Projets de loi sur la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale
BOYER (André)
RAPPORT 12 (1999-2000) - COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES
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-
INTRODUCTION
- I. LA PORTÉE ET L'ENJEU DE LA CONVENTION DE BRUXELLES II : HARMONISER LE CADRE JURIDIQUE DES CITOYENS DE L'UNION DANS LE DOMAINE MATRIMONIAL
-
II. LE DISPOSITIF DE BRUXELLES II
- A. LE CHAMP D'APPLICATION DE BRUXELLES II
- B. LES CRITÈRES DE COMPÉTENCES JUDICIAIRES EXCLUSIVES
- C. LA RECONNAISSANCE ET L'EXÉCUTION DES DÉCISIONS : UNE FORMALITÉ SIMPLIFIÉE ET UNIFORMISÉE
- D. LA COHÉRENCE ÉTABLIE PAR LA PRÉSENTE CONVENTION AVEC D'AUTRES ACCORDS BI OU MULTILATÉRAUX PORTANT SUR LE MÊME DOMAINE : EXCEPTIONS ET RÉSERVES
- III. LE PROTOCOLE SUR LA COMPÉTENCE DE LA COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (CJCE) POUR L'INTERPRÉTATION DE LA CONVENTION DE BRUXELLES II
- CONCLUSION
- EXAMEN EN COMMISSION
- PROJET DE LOI
- PROJET DE LOI
-
ANNEXE -
ETUDE D'IMPACT55 Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des parlementaires. -
ANNEXE -
ETUDE D'IMPACT66 Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des parlementaires.
N° 12
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 13 octobre 1999
RAPPORT
FAIT
au nom
de la commission des Affaires étrangères, de la défense et
des forces armées (1) sur :
- le projet de loi autorisant la ratification de la
convention
établie sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union
européenne, concernant la
compétence
, la
reconnaissance
et
l'exécution des décisions
en matière matrimoniale
,
- le projet de loi autorisant la ratification du
protocole
,
établi sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union
européenne, relatif à l'
interprétation, par la Cour
de justice des Communautés européennes
, de la convention
concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des
décisions en
matière matrimoniale
,
Par M.
André BOYER,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Xavier de Villepin,
président
; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait,
Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle
Bidard-Reydet,
vice-présidents
; MM. Michel Caldaguès,
Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès,
secrétaires
; Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc
Bécart, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy Branger, Mme
Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Hubert
Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean
Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel,
Roger Husson, Christian de La Malène, Philippe Madrelle,
René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Jean-Luc
Mélenchon, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. René Monory, Aymeri de
Montesquiou, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Michel Pelchat, Alain Peyrefitte,
Xavier Pintat, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat,
Gérard Roujas, André Rouvière.
Voir les numéros :
Sénat :
384
et
385
(1998-1999).
Traités et conventions |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Les deux projets de loi dont nous sommes saisis s'inscrivent dans un processus
engagé déjà depuis plusieurs années, tendant
à faciliter, dans l'espace communautaire, la libre circulation des
jugements, en mettant en place des procédures simplifiées de
coordination des règles de compétences judiciaires
internationales, ainsi que de reconnaissance et d'exécution, dans les
différents pays membres, de jugements rendus par leurs juridictions.
Le premier texte, dans la suite logique de la convention de Bruxelles du
27 septembre 1968 (Bruxelles I), étend son champ d'application aux
questions matrimoniales, à l'heure où la libre circulation des
personnes au sein de l'Union européenne se traduit, entre autres, par
l'accroissement des mariages entre ressortissants d'Etats membres.
Le second projet de loi tire les conséquences du premier en ce qu'il
confie à la CJCE les éventuels problèmes
d'interprétation que peut poser sa mise en oeuvre.
Le domaine couvert par cette convention de " Bruxelles II " est
essentiel pour la vie quotidienne de nos concitoyens. Les procédures
judiciaires nationales liées au divorce, à la séparation
de corps, à l'annulation des mariages ou à l'exercice de
l'autorité parentale, engendrent aujourd'hui des difficultés,
souvent douloureuses, du fait de décisions judiciaires
éventuellement contradictoires entre les juridictions d'Etats membres,
et de l'absence de procédure uniforme de reconnaissance et
d'exécution des jugements rendus en ces matières sensibles.
L'importance de cette convention de Bruxelles II et du protocole qui lui est
rattaché justifie un débat devant notre assemblée.
Pourtant, l'organisation d'un tel débat n'était pas
évidente.
En effet, l'entrée en vigueur, depuis le ler mai 1999, du Traité
d'Amsterdam, a abouti à transférer ces questions de
coopération judiciaire civile du domaine
" intergouvernemental " -sur la base duquel la convention de
Bruxelles II a été conclue- au domaine communautaire. De ce fait,
l'élaboration de normes communes dans ce domaine ne relève plus
de la même procédure et un projet de règlement
communautaire, portant sur les mêmes questions que celles couvertes par
Bruxelles II est en négociation, à Bruxelles, depuis quelques
semaines.
Votre rapporteur détaillera dans le présent rapport les enjeux
de cette transformation de procédure qui pourraient aboutir à
rendre, à terme, obsolète la convention sur laquelle nous sommes
invités aujourd'hui à débattre, au profit d'un
règlement communautaire d'application directe. Il fera valoir
également l'intérêt de conduire néanmoins à
son terme la procédure dont le Sénat est aujourd'hui saisi.
Après avoir rappelé l'enjeu de la nouvelle convention de
Bruxelles du 28 mai 1998, votre rapporteur en présentera le
dispositif général, avant de préciser le contenu du
protocole concernant la compétence d'interprétation
confiée à la Cour de justice des communautés
européennes.
I. LA PORTÉE ET L'ENJEU DE LA CONVENTION DE BRUXELLES II : HARMONISER LE CADRE JURIDIQUE DES CITOYENS DE L'UNION DANS LE DOMAINE MATRIMONIAL
A. ÉTABLIR UNE COHÉRENCE DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET SIMPLIFIER LES PROCÉDURES DE RECONNAISSANCE ET D'EXÉCUTION POUR LES QUESTIONS MATRIMONIALES
La
première convention de Bruxelles, signée le 27 septembre 1968 sur
la base de l'article 220 du Traité de Rome, a profondément
innové en instituant un dispositif de libre circulation des jugements en
ce qui concernait les décisions rendues en matière civile et
commerciale. Cette convention a été légèrement
modifiée au fil du temps depuis 1968, en particulier du fait des
élargissements successifs de l'Union, et votre rapporteur a
récemment présenté devant votre commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées les
textes liés à l'adhésion, à cette convention de
Bruxelles I, de l'Autriche, de la Suède et de la Finlande. Une
proposition de règlement, fondée sur les nouvelles dispositions
du Traité d'Amsterdam sur le coopération judiciaire en
matière civile est d'ailleurs en négociation afin d'apporter
quelques modifications au texte originel..
Toutefois, la convention de " Bruxelles I " avait un champ
d'application délimité, excluant notamment alors explicitement
certaines questions liées à la famille et singulièrement
celles liées au divorce et aux questions matrimoniales. Trente ans
après le texte originel, et compte tenu des mutations
considérables qui ont entre-temps affecté la vie quotidienne des
citoyens de l'Union et la société européenne en
général, il importait de prendre en compte ces besoins nouveaux.
Une réflexion fut donc engagée à cette fin au sein de
l'Union dès 1992 sous présidence britannique. La nouvelle
disposition introduite par le traité de Maastricht, l'article K3, a
favorisé les travaux. Cet article, en liaison avec l'article K1,
prévoyait que "
la coopération judiciaire en
matière civile
" constituait une "
question
d'intérêt commun
", aux fins de la réalisation des
objectifs de l'Union européenne.
On peut relever cependant que depuis la date de signature de cette
convention de Bruxelles II, le 28 mai 1998, le Traité d'Amsterdam, qui
modifie substantiellement les règles d'élaboration des normes
communes en matière de coopération judiciaire civile, est
entré en vigueur le ler mai 1999.
On se rappelle que l'une des innovations substantielles de ce traité a
consisté à " communautariser " des domaines qui,
jusqu'alors, relevaient de " l'intergouvernemental ". Ces domaines
figurent désormais au Titre IV du Traité d'Amsterdam, au sein
duquel l'article 65 définit les "
mesures relevant du domaine de
la coopération judiciaire en matière civile
(...)
qui
(...)
visent entre autres à
(...)
améliorer et
simplifier
(...)
la reconnaissance et l'exécution des
décisions en matière civile
(...),
favoriser la
compatibilité des règles applicables dans les Etats membres en
matière de conflits de lois et de compétences
(...),
éliminer les obstacles au bon déroulement des
procédures civiles, au besoin en favorisant la compatibilité des
règles de procédure civile applicables dans les Etats
membres "
. Sur ces domaines, l'article 67 § 1 du traité
d'Amsterdam précise que : "
Pendant une période
transitoire de cinq ans après l'entrée en vigueur du
traité d'Amsterdam, le Conseil statue à l'unanimité sur
proposition de la Commission ou à l'initiative d'un Etat membre et
après consultation du Parlement européen
". Le contenu
et le texte de Bruxelles II peuvent donc, aujourd'hui, faire l'objet de cette
nouvelle procédure communautaire qui conduirait, à la
différence de ce qui nous est aujourd'hui proposé, à
l'élaboration d'un règlement communautaire d'application directe
pour tous les Etats membres.
Au demeurant, le 14 mai dernier, la
Commission a précisément élaboré une proposition de
règlement du Conseil sur cette matière afin de mettre en
cohérence la nouvelle procédure et le domaine auquel elle
s'applique désormais.
Votre rapporteur se trouve ainsi placé dans une position
singulière où il lui revient de présenter un texte
appelé à être prochainement remplacé par une norme
communautaire nouvelle, qui en reprendra cependant l'essentiel du contenu. Pour
autant votre rapporteur ne croit pas opportun de renoncer à examiner les
deux projets de loi qui nous sont soumis, et ceci pour les deux raisons
suivantes :
- Le caractère désormais communautaire du domaine couvert par les
conventions de Bruxelles II et la procédure qui s'y rattache ne
garantissent pas automatiquement une adoption rapide du règlement
actuellement en cours de négociations. Il faut rappeler que le § 1
de l'article 67 du Traité d'Amsterdam exige
que le Conseil soit
unanime
pour l'adopter ce qui peut, sur certains points, provoquer des
retards.
La convention de Bruxelles II n'encourt pas ce risque. Adoptée par les
15 ministres de la justice de l'Union, il lui reste, certes, à passer le
cap des ratifications parlementaires. Toutefois, une de ses dispositions
prévoit que deux pays, qui auront ratifié la convention pourront,
par déclaration, décider de l'appliquer entre eux par
anticipation. Cette faculté sera utilisée, les ministres
compétents l'ont déjà indiqué, tant par la France
que par l'Allemagne, pays avec lequel nous rencontrons, sur ces questions
couvertes par la convention, les problèmes les plus fréquents et
les plus complexes.
- A cette première raison de " calendrier ", s'ajoute un
second motif qui paraît important à votre rapporteur : la
procédure de la convention permet un débat parlementaire, ce que
n'autorisera pas, évidemment, le recours au règlement
communautaire. Or, sur un sujet aussi sensible, l'occasion qui nous est ainsi
offerte d'analyser et de débattre des dispositions proposées
devait être saisie.
B. UN ENJEU ESSENTIEL POUR LES CITOYENS DE L'UNION
La
présente convention se propose d'introduire des règles uniformes
de compétence judiciaire en matière matrimoniale, des
règles modernes de reconnaissance et d'exécution des
décisions en matière d'annulation du mariage, de divorce, de
séparation de corps et d'autorité parentale, et des
modalités permettant d'éviter que des procédures en ces
matières soient engagées parallèlement dans
différents Etats membres.
En effet, la facilitation de la circulation et de l'établissement des
personnes dans l'espace communautaire a notamment entraîné une
augmentation considérable des mariages entre ressortissants
communautaires de nationalité différente. Lorsque ces unions en
viennent à se distendre ou à se rompre, les personnes
concernées se trouvent trop souvent confrontées, dans chacun de
leur Etat de nationalité, à des décisions judiciaires
contradictoires dues aux différences de législation. Aux
complexités juridiques et administratives qui en découlent
s'ajoutent très souvent les problèmes liés à la
séparation ou au divorce des époux en ce qui concerne l'exercice
de l'autorité parentale sur les enfants du couple, problème qui
conduit parfois à l'enlèvement du ou des enfants par l'un des
deux parents, soit dans l'attente d'une décision judiciaire sur le droit
de garde, soit après une décision sur cette matière que
l'un des deux parents n'accepte pas .
L'actualité récente a mis en lumière, à travers de
nombreux cas concrets, les difficultés qu'a pu subir tel ou tel parent
français -notamment dans le cas de couples franco-allemands-
confronté à ce que les juristes appellent la " soustraction
internationale d'enfants ".
Il est évident que ces agissements, parfaitement illicites, se
nourrissent des disparités législatives et des décisions
contradictoires rendues par les juridictions des Etats concernés. Comme
le relève Mme Thomas-Sassier, magistrat, "
le recours à
l'enlèvement permet
(...)
d'échapper à
l'exécution des décisions rendues dans l'Etat de résidence
habituelle en tirant partie de la discontinuité des droits ; de
choisir son «for» en créant un lien artificiel de
compétence ; d'obtenir de son juge national, supposé
(souvent à juste titre) plus complaisant, une décision
favorable ".
On peut ainsi rappeler que dans l'une des affaires récentes opposant une
ressortissante française, Mme Lancelin, à son ex-mari M. Tieman,
de nationalité allemande, chacun des deux parents s'était vu
reconnaître la garde des enfants par les tribunaux de son pays
respectif...
Ainsi, comme l'a déclaré Mme Elisabeth Guigou, garde des
Sceaux : "
Avec la convention de Bruxelles II, les couples vont
désormais bénéficier de règles efficaces assurant
une coordination de la compétence des juges européens du divorce
en facilitant la circulation de leurs décisions dans tous les Etats de
l'Union européenne. Le principe de la reconnaissance de plein droit,
dans tous les Etats membres, d'une décision de divorce simplifiera
beaucoup les formalités des citoyens. Ainsi, pour se remarier
ou
mettre à jour leur état civil, il ne sera plus nécessaire
de refaire une procédure à l'étranger. En cas de
contestation d'une décision de divorce étrangère ou de
non-respect d'une décision relative à l'autorité
parentale, il sera mis en oeuvre une procédure simple, uniforme et
allégée de reconnaissance et d'exécution
(...).
II. LE DISPOSITIF DE BRUXELLES II
Cette
convention est originale pour deux raisons principales :
- elle est un " traité double ", en ce qu'elle comporte, d'une
part, des
critères de compétence exclusive directe
et,
d'autre part, des normes régissant la
reconnaissance et
l'exécution de décisions de justice
dans l'Union. Ainsi les
règles qu'elle établit en matière de compétence
judiciaire internationale doivent être respectées par le juge
d'origine qui doit se dessaisir lorsqu'il ne s'estime pas compétent en
regard de la convention. Enfin, le système prévu de
reconnaissance par un Etat membre des décisions de justice rendues dans
un autre Etat membre dispense de toute procédure préalable ;
- une fois entrée en vigueur, la convention s'appliquera d'office et ses
dispositifs seront d'application obligatoire en s'intégrant dans le
droit interne de chaque Etat.
A. LE CHAMP D'APPLICATION DE BRUXELLES II
Aux
termes de l'article premier, la convention s'applique :
- aux procédures civiles relatives au divorce, à la
séparation de corps ou à l'annulation du mariage des époux,
- aux procédures civiles relatives à la responsabilité
parentale à l'égard des enfants communs des époux à
l'occasion de l'action matrimoniale visée ci-dessus.
L'article premier
, point 2, précise que par delà les
procédures judiciaires civiles, d'autres procédures non
judiciaires sont incluses dans le champ de la convention. Celles-ci concernent
par exemple des procédures administratives en cours sur ces
matières dans certains Etats membres comme le Danemark et la Finlande.
A contrario
, sont exclues du champ d'application de la convention :
- les procédures de nature religieuse,
- les questions connexes relatives à la dissolution du lien conjugal,
par exemple les effets patrimoniaux du mariage, les obligations alimentaires et
d'autres mesures accessoires comme le droit au nom...
S'agissant des questions d'obligation alimentaire, la convention applicable est
celle de Bruxelles I (article 5, § 2.
Pour ce qui est de la responsabilité parentale, elle ne vise, aux termes
de la convention, que les enfants
communs
des deux époux,
excluant donc les éventuels autres enfants nés d'une autre union
de l'un des deux parents. Ces enfants verraient leur situation couverte par
d'autres instruments internationaux notamment la Convention de La Haye de 1996
sur "
la compétence judiciaire, la loi applicable,
l'exécution des décisions de justice et la coopération en
relation avec la responsabilité parentale et les mesures pour la
protection des mineurs ",
à condition que le mineur
réside habituellement dan un Etat membre
.
B. LES CRITÈRES DE COMPÉTENCES JUDICIAIRES EXCLUSIVES
Les
règles de détermination de la compétence judiciaire
exclusive constituent, avec les modalités de reconnaissance et
d'exécution des jugements, l'un des aspects essentiels de la Convention
de Bruxelles II qui les précise dans son
titre II. L'article 2
énumère tout d'abord les critères de
détermination des compétences judiciaires pour ce qui est du
divorce,
de la
séparation de corps
et
l'annulation du
mariage.
Cette compétence judiciaire internationale est, sur cette base,
essentiellement fondée sur la
notion de résidence
habituelle
. Une première série de critères de
compétence optionnels sont ainsi énumérés à
l'article 2.1 a) : résidence habituelle des époux du
défendeur ou du demandeur -à certaines conditions dans ce dernier
cas-, (afin d'éviter que le demandeur choisisse l'Etat où la
législation lui serait le plus favorable (condition de
nationalité ou de " domicile "
1(
*
)
, ou/et de durée minimale de séjour dans
cet Etat avant l'introduction de sa demande).
Un deuxième critère est prévu au b) du point 1. de
l'article 2 : celui de la nationalité
des deux époux
ou du "
domicile commun " établi de façon
durable
".
Il reviendra à chaque Etat d'indiquer celui de ces deux groupes de
critère (résidence habituelle ou
nationalité/ " domicile ") dont il sera fait usage sur
son territoire.
L'article 3
définit ensuite les critères de
compétences judiciaires internationales pour ce qui concerne la
responsabilité parentale
: en règle
générale, c'est la juridiction d'un Etat, compétente pour
régler le divorce, la séparation de corps ou l'annulation du
mariage qui sera également compétente pour statuer sur
l'autorité parentale, si l'enfant a sa résidence habituelle dans
cet Etat. Si tel n'est pas le cas, les juridictions de l'Etat en question
restent compétentes si deux autres conditions cumulatives sont
réunies :
- que l'un des époux exerce la responsabilité parentale à
l'égard de l'enfant ;
- que la compétence de ces juridictions ait été
acceptée par les époux et qu'elle soit dans
l'intérêt supérieur de l'enfant.
Enfin, ce principe de compétence générale du juge du
divorce sur la responsabilité parentale est
limitée dans le
temps
, et prend fin après que la décision judiciaire relative
au divorce à la séparation ou à l'annulation du mariage
soit passée en force de chose jugée ou que la décision sur
la responsabilité parentale, si elle est encore en instance dans le cas
ci-dessus, soit elle-même passée en force de chose jugée.
Une règle de compétence particulière est
énoncée en ce qui concerne les cas, hélas trop
fréquents,
d'enlèvement international d'enfants
(article 4). Aux termes de cet article, les juridictions
compétentes pour les questions de responsabilité parentale
exercent leur compétence, conformément notamment aux
articles
3 et 16 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils
de l'enlèvement international d'enfants.
Cette convention
définit
, à son
article 3
, les cas
où le déplacement ou le non retour d'un enfant peuvent être
considérés comme illicites.
Par ailleurs,
l'article 16
de cette même convention de La Haye
-auquel renvoie la présente convention de Bruxelles II, précise
que les autorités judiciaires ou administratives de l'Etat où
l'enfant a été emmené et retenu de façon illicite
ne pourront statuer
sur le fond
du droit de garde que :
- lorsqu'il sera établi que les conditions -définies dans la
convention de La Haye- pour un retour de l'enfant ne sont pas réunies
- ou jusqu'à ce qu'une "
période raisonnable
"
se soit écoulée
" sans qu'une demande en application de
la convention (de La Haye) ait été faite
".
En donnant ainsi, sur ce point, priorité aux dispositions
précitées de la Convention de La Haye de 1980, la Convention de
Bruxelles II fait prévaloir le critère de la résidence
habituelle même si celle-ci, après un déplacement ou un
non retour illicite de l'enfant se trouve modifiée. Une décision
sur le retour ou le non retour de l'enfant devra donc être prise avant
toute décision modifiant éventuellement la responsabilité
du droit de garde.
Votre rapporteur rappelle que l'application de cette convention de La Haye de
1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants fait
parfois l'objet de critiques eu égard notamment à son
article
13
qui apporte une atténuation sans doute excessive à
l'obligation de restituer l'enfant que d'autres dispositions de la convention
prévoient : cet article 13 énonce en effet trois motifs
susceptibles de
justifier qu'il ne soit pas donné suite à la
demande de retour :
- si le parent " ravisseur " réussit à établir
qu'il existe un risque grave -danger physique ou psychique- pour l'enfant en
cas de retour de celui-ci
- si le parent demandant le retour de l'enfant n'exerçait pas le droit
de garde ou a accepté le déplacement
- que l'enfant s'oppose à son retour.
Comme le relève une magistrate en charge de l'application de cette
convention, "
ce que les négociateurs ont voulu exceptionnel
tend à devenir la règle. L'article 13 est systématiquement
évoqué et trop souvent retenu par le juge de l'Etat refuge qui,
par le biais de l'examen de la situation de danger, a tendance à se
réapproprier la connaissance du fond et à vider ainsi la
convention de sa substance (...). Le cas de l'Allemagne qui ne renvoie pas les
enfants est exemplaire (...).
Les principes de compétence judiciaire
ainsi définis au
titre II de la présente convention (articles 2 à 6)
entraînent les conséquences suivantes
:
- la juridiction compétente sur ces bases est également
compétente pour l'examen d'une
demande reconventionnelle
si elle
entre dans le champ d'application de la convention.
- elle reste également compétente lorsqu'il s'agit de
convertir en divorce une décision de séparation de corps
rendue par elle.
- les règles de compétence exclusive ainsi définies aux
articles 2 à 6
ne valent que pour les affaires matrimoniales et les
questions de responsabilité parentale
qui y sont liées et
n'affectent pas les règles de compétence en matière de
protection des mineurs lorsque ces questions ne sont pas liées à
une affaire matrimoniale.
- lorsque les règles de la convention ne permettent pas de conclure
à la compétence d'un tribunal d'un Etat membre (défaut de
résidence habituelle ou de domicile dans l'Union ou défaut de
nationalité d'un Etat membre), la compétence est
déterminée dans chaque Etat selon sa loi nationale. Cette
compétence " résiduelle
" est donc
laissée à la juridiction de l'Etat membre du demandeur lorsque le
défendeur relève d'un Etat non communautaire pour sa
résidence habituelle, son " domicile " ou se
nationalité.
Ainsi en France, l'article 14 du code civil serait applicable qui donne
compétence aux tribunaux français lorsque le demandeur a la
nationalité française.
-
Une juridiction d'un Etat membre saisie en premier lieu
d'un affaire
vérifie sa compétence au regard des règles de la
présente convention. Si cette compétence ne ressort pas de
l'exercice de cette vérification,
elle se déclare d'office
incompétente
au profit de la juridiction d'un autre Etat membre.
- Afin de
préserver les droit de la défense
, la
juridiction compétente doit surseoir à statuer jusqu'à ce
qu'il soit établi que le défendeur a été à
même de recevoir l'acte introductif d'instance pour se défendre en
temps utile ou que toute diligence a été faite à cette fin.
- Enfin, lorsque des demandes portant sur le même objet et ayant la
même cause sont formées entre les mêmes parties, devant des
juridictions d'Etats membres différents,
la juridiction saisie en
second sursoit à statuer jusqu'à ce que la compétence de
la juridiction première saisie soit établie
(règle
prior temporis
) ; la même solution est retenue pour les
demandes en divorce, séparation de corps ou annulation de mariage -et
non pour les questions de responsabilité parentale- n'ayant ni le
même objet ni la même cause.
C. LA RECONNAISSANCE ET L'EXÉCUTION DES DÉCISIONS : UNE FORMALITÉ SIMPLIFIÉE ET UNIFORMISÉE
1. La reconnaissance de la décision de justice
Le titre
III de la Convention, qui traite de la reconnaissance et de l'exécution
des décisions judiciaires rendues dans un Etat membre sur les
matières entrant dans le champ d'application de Bruxelles II,
précise ainsi en son article 124 que ces décisions "
sont
reconnues dans les autres Etats membres sans qu'il soit nécessaire de
recourir à aucune procédure ".
En particulier,
aucune
procédure n'est requise pour la mise à jour des actes
d'état civil dans un Etat membre
.
L'article 15
énumère
les motifs de non
reconnaissance
d'une décision. Pour une décision concernant
le divorce, la séparation de corps ou l'annulation de mariage, les
motifs de non reconnaissance sont les suivants :
- la reconnaissance serait
contraire à l'ordre public
de l'Etat
membre
-
les droits de la défense n'ont pas été
respectés
dans la procédure d'introduction de l'instance,
- la reconnaissance serait
inconciliable avec une décision rendue
dans une instance
opposant les mêmes parties dans l'Etat membre
requis,
- elle serait
inconciliable avec une décision rendue
antérieurement
dans un autre Etat membre ou dans un Etat tiers dans
une affaire opposant les mêmes parties.
S'agissant de décision
en matière d'autorité
parentale
, cette
reconnaissance peut être refusée :
- si elle est contraire à l'ordre public de l'Etat membre requis eu
égard
aux intérêts supérieurs de l'enfant
,
- si la décision a été rendue
sans que l'enfant n'ait
eu la possibilité d'être entendu
(sauf cas d'urgence),
- si les procédures suivies ont affecté les
droits de la
défense
,
- si une personne fait valoir que la décision fait
obstacle à
l'exercice de sa responsabilité parentale
et qu'elle n'a pu
être entendue au cours de la procédure qui a
précédé la décision,
- si elle est
inconciliable avec une décision rendue
ultérieurement
sur la même matière dans l'Etat membre
requis pour la reconnaissance, ou , dans un autre Etat membre ou dans l'Etat
tiers où l'enfant réside habituellement dès lors que la
décision ultérieure peut être reconnue dans l'Etat requis.
Enfin la
reconnaissance peut être refusée sur la base de
l'article 43
de la présente convention qui
prévoit qu'un
Etat membre peut ne pas reconnaître une décision
rendue dans
un autre Etat membre
si cette décision n'est pas fondée sur un
des critères de compétence permis au titre II
, article 2
à 7 mais sur une compétence de droit interne prévue
à l'article 8 (compétence résiduelle).
En tout état de cause, la reconnaissance ou l'exécution de la
décision ne saurait être l'occasion d'une révision au
fond.
2. L'exécution de la décision concernant la responsabilité parentale
Le
problème de l'exécution d'une décision judiciaire ne
concerne en fait que l'exercice de la responsabilité parentale. En
effet, pour les affaires matrimoniales, la seule reconnaissance suffit.
L'article 20
de la convention stipule à cet égard que,
s'agissant de l'exercice de l'autorité parentale, "
les
décisions rendues dans un Etat membre et qui y sont exécutoires
sont mises en exécution dans un autre Etat membre après y avoir
été déclarées exécutoires sur requête
de toute partie " intéressée "
(époux,
enfants, autorité publique).
La procédure d'exécution, simple et rapide, sera la même
dans tous les Etats membres. Aucune observation ne pourra être
reçue, par la juridiction saisie de la requête, de la part de la
personne contre laquelle l'exécution est demandée et celle-ci ne
peut être refusée que sur les mêmes bases que celles
prévues pour la reconnaissance.
La convention, en ses
articles 21, 26, 28 et 29
énumère
les juridictions compétentes pour apprécier la requête,
pour examiner les recours contre les décisions autorisant ou rejetant la
requête ou la procédure à suivre contre la décision
rendue sur recours contre une décision de rejet (pour la France,
respectivement le Président du Tribunal de grande instance, la cour
d'appel ou la cour de cassation).
D. LA COHÉRENCE ÉTABLIE PAR LA PRÉSENTE CONVENTION AVEC D'AUTRES ACCORDS BI OU MULTILATÉRAUX PORTANT SUR LE MÊME DOMAINE : EXCEPTIONS ET RÉSERVES
1. La primauté de Bruxelles II sur les autres conventions traitant du même domaine
La
règle générale, exprimée à
l'article
39
, pose le
principe de la primauté de la convention de Bruxelles
II
sur les
autres conventions internationales
auxquelles les Etats
membres sont parties dans la mesure où elles concernent des
matières identiques ou voisines. En l'occurrence, sur les 4 premiers
textes mentionnés, la France n'est partie qu'à deux d'entre eux,
à savoir :
- la convention de La Haye du 5 octobre 1961 concernant la compétence
des autorités et la loi applicable en matière de protection des
mineurs et
- la convention européenne du 20 mai 1980 sur la reconnaissance et
l'exécution des décisions en matière de garde des enfants
et le rétablissement de la garde des enfants.
S'agissant du cinquième texte, la Convention de La Haye du 19 octobre
1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance,
l'exécution en matière de responsabilité parentale et de
mesures de protection des enfants, la France ne l'a pas encore signé et
elle n'est pas à ce jour entrée en vigueur.
- Au surplus, Bruxelles II remplace, entre les Etats membres qui y sont
parties, les conventions existant au moment de son entrée en vigueur
portant sur des matières réglées par elle et conclues
entre deux ou plusieurs Etats membres.
Deux textes bilatéraux auxquels la France est partie sont visés
par cette disposition : la convention de coopération judiciaire
relative à la protection des mineurs conclue avec le Portugal le
20 juillet 1983 et la convention sur la compétence judiciaire,
l'autorité et l'exécution des décisions judiciaires
conclue le 8 juillet 1899 avec la Belgique.
- Toutefois, les Etats Nordiques -membres de l'Union européenne-
Danemark, Finlande, Suède- ont la possibilité, aux termes de la
convention (article 38 § 2a), de
déclarer
lors de la
notification d'adoption, que l'Accord nordique conclu le 6 février
1931
2(
*
)
, qui contient des dispositions de droit
international privé sur le mariage, l'adoption et la garde des enfants,
peut continuer à s'appliquer dans leurs relations mutuelles "
en
lieu et place des règles
" de la convention de Bruxelles II.
Cette disposition, lors de la signature de la Convention, reposait sur
l'article K7 du Traité de Maastricht, qui ne faisait "
pas
obstacle à l'institution ou au développement d'une
coopération plus étroite entre deux ou plusieurs Etats
membres
", dans la mesure où il n'en résulterait ni
conflit ni entrave pour la coopération prévue par la convention.
On relèvera que cet article K7 a été remplacé, lors
de l'adoption du Traité d'Amsterdam, par l'article 40 sur les
"coopérations renforcées " dont la mise en oeuvre
obéit à une procédure nouvelle particulière.
Cette dérogation à la règle générale a
été adoptée par un accord politique de décembre
1997 au profit des trois Etats membres nordiques. Cet accord a
spécifié que cette exception à l'application de la
convention serait limitée aux cas où les deux époux sont
ressortissants d'un Etat membre nordique et ont leur résidence
habituelle dans un de ces Etats. C'est pourquoi les trois Etats
concernés, par une déclaration annexée à la
convention, se sont engagés à ne plus appliquer, dans leurs
relations mutuelles, l'article 7 § 2 de cet accord nordique -fondé
sur la nationalité d'un seul des époux-, et à revoir, dans
un avenir proche, les critères de compétence applicables dans le
cadre de ladite convention à la lumière du principe de
non-discrimination en raison de la nationalité (article 38, § 2, b).
En tout état de cause, si les Etats concernés convenaient de
conclure d'autres accords portant sur les mêmes domaines que la
convention de Bruxelles II, les critères de compétence devraient
être alignés sur ceux qu'elle définit (article 38, §
2, c). Enfin, les décisions rendues dans l'un des Etats nordiques qui a
fait la déclaration évoquée plus haut, pour peu qu'elles
aient été rendues sur la base d'un chef de compétence
correspondant à l'un de ceux prévus par la présente
convention, seront reconnues et exécutées conformément aux
règles prévues par cette dernière.
2. Le cas particulier des traités conclus avec le Saint-Siège
Trois
Etats membres sont liés par un accord spécifique avec le Saint
Siège en ce qui concerne certains aspects de la dissolution du lien
conjugal : le Portugal (accord du 7 mai 1940), l'Italie (concordat du 11
février 1929 modifié en 1984) et l'Espagne (accord du
3 janvier 1979).
L'accord qui lie le Portugal au Saint-Siège est particulier, en ce qu'il
reconnaît aux tribunaux ecclésiastiques une
compétence
exclusive
pour prononcer
l'annulation
des mariages catholiques. Le
Portugal contreviendrait à cet engagement international s'il acceptait
sans réserve la convention de Bruxelles II qui, à ses articles 2
et suivants, donne compétence aux tribunaux civils pour annuler les
mariages portugais conclus conformément au concordat. L'article 42,
§ 1 de la convention
permet donc au Portugal de ne pas
reconnaître cette compétence ni les décisions d'annulation
des mariages que ces juridictions pourraient éventuellement
prononcer.
L'Espagne et l'Italie ne sont pas confrontés au même
problème puisque les tribunaux ecclésiastiques n'y disposent, en
vertu de chacun des accords passés avec le Saint-Siège, que d'une
compétence concurrente et non exclusive avec les tribunaux civils.
En Italie toutefois, l'accord avec le Saint-Siège prévoit que les
décisions exécutoires relatives à l'annulation d'un
mariage prononcées par des tribunaux ecclésiastiques produiront
leurs effets en Italie par le biais d'une décision de la cour d'appel
compétente si plusieurs conditions sont réunies
(compétence du juge ecclésiastique, respect des droits de la
défense...). C'est pourquoi l'Italie a fait une déclaration,
annexée à la Convention, par laquelle ce pays se réserve,
à l'égard des décisions des tribunaux
ecclésiastiques portugais, le droit de procéder aux
contrôles prévus dans son propre ordre juridique à
l'égard de décisions analogues des tribunaux
ecclésiastiques.
3. La réserve irlandaise
L'Irlande, où le divorce a été récemment introduit dans la législation par référendum, garde une certaine sensibilité sur le sujet et sa constitution elle même comportait des dispositions particulières en la matière. Si l'Irlande ne s'oppose pas au principe de reconnaissance d'une décision de divorce rendue dans un autre Etat membre, elle a toutefois souhaité que soit opérée une vérification de la réalité des liens de rattachement des époux à tel ou tel Etat membre, qui fonde, en application de Bruxelles II, sa compétence judiciaire, afin d'éviter toute fraude ou tout détournement des objectifs de la convention. L'Irlande, par déclaration annexée, se réserve donc le droit de refuser de reconnaître un divorce obtenu dans un autre Etat membre lorsque ce divorce a été obtenu après que l'une des parties -ou les deux- aient délibérément induit en erreur une juridiction de l'Etat en question quant aux conditions de sa compétence. Cette déclaration sous forme de réserve est valable pour une durée de cinq ans et renouvelable tous les 5 ans.
III. LE PROTOCOLE SUR LA COMPÉTENCE DE LA COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (CJCE) POUR L'INTERPRÉTATION DE LA CONVENTION DE BRUXELLES II
Le 28
mai 1998, soit le jour même de l'adoption, par le Conseil des ministres
de la justice de l'Union, de la Convention de Bruxelles sur la
compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions
en matière matrimoniale, était signé un protocole confiant
à la CJCE l'interprétation de cet instrument dont votre
rapporteur vient de décrire l'économie générale.
L'article 45
de cette convention prévoit cette compétence
interprétative reconnue à la CJCE.
Déjà, dans le cadre de la convention originelle de Bruxelles du
27 septembre 1968 concernant la compétence, la reconnaissance et
l'exécution des décisions en matière civile et
commerciale, la CJCE, également investie des questions
d'interprétation, a contribué à élaborer une grille
d'analyse uniforme et cohérente de cette convention, dans
l'hypothèse de problèmes d'appréciation et
d'interprétation posés aux instances judiciaires
concernées.
Le protocole du 3 juin 1971 qui confiait ainsi à la CJCE
l'interprétation de la convention de Bruxelles I inspire largement le
présent protocole en ce qui concerne la nouvelle convention de Bruxelles
II.
La CJCE peut être saisie dans deux hypothèses d'une question
d'interprétation de la convention : lorsqu'en cours d'examen d'une
affaire, une juridiction nationale est confrontée à un
problème d'interprétation (recours préjudiciel), ou
lorsque une autorité judiciaire souhaite consulter la Cour sur
l'interprétation qu'elle fait de telle ou telle disposition de la
Convention (recours consultatif en interprétation).
A. LE RECOURS PRÉJUDICIEL EN INTERPRÉTATION
Lorsque
survient devant une juridiction nationale, en charge d'une affaire entrant dans
le champ d'application de la convention, un problème lié à
son interprétation, deux options de saisine sont ouvertes aux Etats par
le protocole. Ainsi, en fonction du choix fait par chaque Etat au moment de la
ratification du protocole, la saisine peut être faite :
- soit par les plus hautes juridictions des Etats membres, dont
l'article 3 du protocole établit la liste et qui, pour la France,
sont la Cour de cassation et le Conseil d'Etat,
- soit par ces plus hautes juridictions
et
les autres juridictions des
Etats membres lorsqu'elles statuent en appel.
C'est cette dernière option qui sera retenue par les autorités
françaises.
L'article 4 du protocole précise par ailleurs que la saisine de la Cour
pour un recours préjudiciel est
obligatoire pour une juridiction
suprême
lorsqu'elle est confrontée à un problème
d'interprétation dans une affaire pendante. Cette saisine n'est que
facultative
, en une telle occurrence, lorsque
la juridiction
concernée par la question d'interprétation statue en appel
.
B. LE RECOURS CONSULTATIF EN INTERPRÉTATION
L'article 6 du protocole prévoit que
" l'autorité
compétente d'un Etat membre " -le procureur général
près la Cour de cassation en France- peut demander à la CJCE de
se prononcer sur une question d'interprétation si une décision
rendue par la juridiction de cet Etat et passée en force de chose
jugée est en force de chose jugée est en contradiction avec
l'interprétation donnée soit la la CJCE elle-même, soit par
la juridiction d'un autre Etat membre. L'interprétation alors
donnée par la Cour est purement consultatif et sans effet sur la
décision en cause.
Ce protocole, qui ne peut faire l'objet d'aucune réserve pourra entrer
en vigueur après avoir été adopté par trois Etats
membres (90 jours après la notification de ratification au
Secrétaire général du Conseil par le troisième
Etat), mais
ne peut en tout état de cause entrer en vigueur avant la
convention à laquelle il se rapporte
.
*
* *
CONCLUSION
Sur
le fond
, le texte qui nous est soumis constituera un
réel
progrès
, dans un domaine où les contradictions entre
tribunaux entraînent souvent des situations de détresse, en
particulier quant à la situation des enfants communs du couple. Au
surplus, dans l'Europe qui se construit, de telles frontières
judiciaires n'ont plus lieu d'être et la convention, à cet
égard, permet une avancée significative.
Sur la forme
cependant, force est de constater le
caractère
très particulier d'une démarche qui consiste à demander au
Parlement de légiférer sur une convention vouée à
se trouver prochainement remplacée par un règlement
communautaire
.
Pour que le vote par notre Haute
Assemblée
garde une quelconque signification, juridique et même politique,
il est indispensable que l'Assemblée nationale, saisie en second
lieu, procède à l'examen des textes dans un délai
rapproché. A défaut, cette procédure de ratification
,
que le gouvernement lui-même entend conduire à son terme et qui
n'est pas sans fragilité juridique, en n'aboutissant qu'après
l'adoption du règlement européen,
perdrait tout son sens
.
Au bénéfice de cette réserve importante et compte tenu de
l'importance politique et juridique des dispositions qui nous sont soumises et
des cas humains très douloureux qu'elles cherchent à
régler, votre rapporteur invite la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées
à voter les deux textes qui nous sont soumis.
EXAMEN EN COMMISSION
Lors de
sa séance du 13 octobre 1999, la commission des Affaires
étrangères, de la défense et des forces armées a
examiné le présent rapport.
A l'issue de l'exposé du rapporteur, M. Xavier de Villepin,
président, a évoqué avec le rapporteur plusieurs cas
particuliers dont il avait été récemment saisi, notamment
la situation de Mme Lancelin qui avait été confrontée
à une attitude très stricte de la justice allemande en ces
matières de garde d'enfants nés de couples franco-allemands.
La commission a alors
approuvé les deux projets de loi qui lui
étaient soumis
.
PROJET DE LOI
(Texte
proposé par le Gouvernement)
Article unique
Est autorisée la ratification de la convention établie sur la base de l'article K. 3 du traité sur l'Union européenne, concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale faite à Bruxelles le 28 mai 1998, et dont le texte est annexé à la présente loi. 3( * )
PROJET DE LOI
(Texte
proposé par le Gouvernement)
Article unique
Est autorisée la ratification du protocole, établi sur la base de l'article K. 3 du traité sur l'Union européenne, relatif à l'interprétation, par la Cour de justice des Communautés européennes, de la convention concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale, signé à Bruxelles le 28 mai 1998 et dont le texte est annexé à la présente loi. 4( * )
ANNEXE -
ETUDE D'IMPACT5(
*
)
(Projet de loi autorisant la ratification de la convention établie sur la base de l'article K. 3 du traité sur l'Union européenne, concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale).
-
Etude de droit et situation de faits existant
La plus grande mobilité de la famille dans l'espace européen et
dans le temps est source de conflits fréquents à l'égard
desquels, ni le citoyen, ni les praticiens du droit ne disposent actuellement
de réponses satisfaisantes.
La plupart des systèmes nationaux ont des règles de
compétence internationale en matière de divorce comportant une
pluralité de chefs de compétences qui suscitent de nombreux
conflits.
L'absence de coordination de ces règles de compétences
concurrentes favorise la multiplication inutile des procédures, la
surenchère procédurale, le prononcé de décisions
parfois contradictoires et l'apparition de rapports juridiques
" boiteux ".
Ces conflits revêtent encore plus d'acuité en présence de
règles de compétence exclusive. Ainsi le jeu du privilège
de juridiction fondé sur la nationalité française des
articles 14 et 15 du code civil empêche, dès lors qu'un membre du
couple est français, de reconnaître en France une décision
étrangère de divorce au seul motif de l'incompétence du
juge étranger. Il empêche également d'accueillir
l'exception de litispendance internationale au profit d'un juge étranger
déjà saisi. Il empêche enfin la décision
française de divorce d'être efficace au-delà de notre
territoire.
Les systèmes sont d'une façon générale
protectionnistes en matière d'efficacité internationale des
décisions de divorce, ou concernant la garde des enfants. Souvent ces
décisions doivent, pour y être reconnues faire l'objet à
l'étranger d'une nouvelle procédure, longue, coûteuse et
aléatoire.
-
d'emploi
: sans objet
- financière
: sans objet
- de simplification de formalités
: les décisions de
divorce rendues dans un Etat contractant et remplissant les conditions de
régularité fixées par la convention seront reconnues de
plein droit dans tous les autres Etats contractants de l'Union
européenne sans qu'une procédure soit nécessaire. Ainsi,
le remariage et les mentions de mise à jour des actes de naissance et de
mariage pourront être réalisés désormais à
l'étranger sans exequatur, sur le fondement de cette reconnaissance de
plein droit.
- d'intérêt général et de complexité de
l'ordonnancement juridique
: la convention institue des règles
claires qui permettent d'assurer efficacement la coordination de la
compétence des juges européens du divorce.
Ces règles conventionnelles obligatoires et exclusives se substituent
aux règles nationales actuelles.
La convention va faciliter la circulation et l'effectivité dans tout
l'espace européen des décisions prises par ces autorités
compétentes concernant le lien matrimonial et l'exercice de
l'autorité parentale.
La convention de Bruxelles II constitue à cet égard une
étape importante dans le renforcement de la sécurité
juridique des relations familiales en Europe.
ANNEXE -
ETUDE D'IMPACT6(
*
)
autorisant la ratification du Protocole concernant l'interprétation par la Cour de justice des Communautés européennes de la convention relative à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale
-
Etude de droit et situation de faits existant
Toutes les grandes conventions civiles élaborées dans le cadre de
l'Union européenne sont accompagnées d'un dispositif permettant
d'assurer leur interprétation uniforme par la Cour de justice des
Communautés européennes.
Il en est ainsi de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968
concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des
décisions en matières civile et commerciale dont le
mécanisme d'interprétation par la Cour de justice est
prévu par le Protocole du 3 juin 1971.
Il en est de même pour la Convention de Rome de 1980 dur la loi
applicable aux obligations contractuelles dont l'interprétation et
soumise à la Cour par deux protocoles du 19 décembre 1988
(ratifiés par la France mais non encore en vigueur).
Enfin, plus récemment la convention de Bruxelles du 26 mai 1997
relative à la notification et à la signification des actes
judiciaires en matière civile et commerciale confie son
interprétation à la Cour par un protocole du 26 mai 1997
(non encore en vigueur).
La jurisprudence de la Cour de justice sur la Convention de Bruxelles de 1968
est riche et abondante. Elle met en oeuvre une interprétation
théologique du texte et elle a également recours à la
technique des notions communautaires autonomes, ce qui permet d'assurer une
véritable uniformité d'interprétation de la Convention.
-
Avantages escomptés en matière :
- d'emploi :
sans objet
-
financière
: sans objet
-
de simplification de formalités
: sans objet
-
d'intérêt général et de complexité de
l'ordonnancement juridique
: la convention de Bruxelles du 28 mai
1998 qui, dans la matière du divorce, fixe des mécanismes de
compétence et de circulation des décisions civiles et
commerciales dans l'Union européenne est destinée à
apporter une sécurité juridique aux relations familiales en
Europe. Cette sécurité sera accrue par l'application uniforme des
solutions qui sera assurée par la Cour de justice en vertu du
protocole.
1
Au sens reconnu à certains en
droit
anglo-saxon
2
Entre la Suède, la Finlande, le Danemark, l'Islande et la
Norvège.
3
Voir le texte annexé au document Sénat n° 384.
4
Voir le texte annexé au document Sénat n° 385.
5
Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des
parlementaires.
6
Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des
parlementaires.