III. LES TRAVAUX DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : RELANCER LA CODIFICATION SANS MÉCONNAÎTRE LE RÔLE INDISPENSABLE DU PARLEMENT

La codification constitue une oeuvre nécessaire à laquelle le Sénat a apporté un soutien actif, tant par le rôle joué par ses représentants au sein de la commission supérieure de codification, que lors de l'examen des projets de code. Il est donc particulièrement regrettable que l'encombrement du calendrier législatif n'ait pas permis de poursuivre dans de bonnes conditions la procédure engagée.

Au regard de la situation de blocage dans laquelle se trouve la codification, le recours à la procédure prévue par l'article 38 de la Constitution doit, aux yeux des auteurs du projet de loi, constituer un moyen de surmonter les difficultés actuelles.

Votre commission des Lois s'est donc attachée à examiner, d'une part, si le projet de loi d'habilitation qui vous est soumis réunissait bien les conditions requises par l'article 38 de la Constitution et, d'autre part, dans quelle mesure le recours aux ordonnances pourrait constituer une réponse efficace à ce blocage de la codification.

Le premier alinéa de l'article 38 de la Constitution dispose que " le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ".

S'il a écarté tout rapprochement entre ces dispositions et celles du premier alinéa de l'article 49 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a néanmoins considéré qu'elles devaient être entendues " comme faisant obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement, lors du dépôt d'un projet de loi d'habilitation et pour la justification de la demande présentée par lui, quelle est la finalité des mesures qu'il se propose de prendre " (décision DC n° 76-72 du 12 janvier 1977).

En l'espèce, la finalité de l'habilitation demandée est précisée par l'exposé des motifs du projet de loi qui souligne que " le programme de travail des assemblées ne permettait pas actuellement d'assurer, à échéance suffisamment rapprochée, l'inscription à l'ordre du jour de plusieurs codes dont l'élaboration est d'ores et déjà achevée ".

Ce n'est donc qu'" à seule fin de résorber le retard ainsi enregistré dans la procédure de codification " que l'habilitation est demandée.

Il convient néanmoins de souligner que le Gouvernement ayant la maîtrise de l'ordre du jour prioritaire , il lui revient de donner à la codification, dans l'organisation des travaux parlementaires, une place plus conforme à l'importance qu'il entend lui accorder.

La loi d'habilitation doit, par ailleurs, préciser les " domaines d'intervention " des mesures envisagées (Conseil constitutionnel, décision n° 287-DC des 25-26 juin 1986). Tel est bien le cas, en l'espèce, puisque le projet de loi énonce expressément les neuf codes qui devront être établis selon la procédure des ordonnances.

En outre, conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article 38, l'habilitation ne vaudra que " pendant un délai limité ". Les ordonnances devront, en effet, être prises dans un délai courant entre s ix et douze mois selon le code concerné.

Comme le prescrit le dernier alinéa de l'article 38 de la Constitution, passé ce délai, les ordonnances ne pourront plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif.

On rappellera, en outre, que les ordonnances prises en conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat -entreront en vigueur dès leur publication mais deviendront caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par le présent projet de loi, soit dans les quinze mois suivant la publication de la loi.

L'extension éventuelle des dispositions codifiées à la Nouvelle-Calédonie et aux territoires d'outre-mer étant envisagée, la consultation préalable des assemblées territoriales sur le présent projet de loi, est requise conformément aux dispositions de l'article 74 de la Constitution. Selon les informations recueillies par votre rapporteur, cette consultation a bien été effectuée.

Mais au-delà du respect des prescriptions constitutionnelles, il importe de s'interroger sur l' efficacité du recours à la procédure des ordonnances pour surmonter les blocages de la procédure de codification.

Les ordonnances demeurent des actes réglementaires tant qu'elles n'ont pas été ratifiées par une loi. S'agissant de la codification de textes législatifs, la procédure des ordonnances aura donc pour effet, au moins temporairement, du fait de l'abrogation des textes d'origine, de conférer aux dispositions codifiées une simple valeur réglementaire . Jusqu'à leur ratification, ces dispositions subiront un déclassement dans la hiérarchie des normes et pourront faire, la cas échéant, l'objet de recours contentieux.

La seule voie pour prévenir ou, à tout le moins, limiter le risque d'une insécurité juridique , contraire à l'objectif poursuivi par la codification, consiste à ce que la ratification des ordonnances intervienne dans le délai le plus bref possible à compter de leur publication.

Or, votre commission des Lois constate que le délai de quinze mois prévu par le projet de loi ne permet pas de répondre à cette exigence.

C'est pourquoi, elle juge nécessaire -contrairement à ce qu'envisage le projet de loi- de prévoir le dépôt de plusieurs projets de loi de ratification qui permettraient la ratification des ordonnances dans un délai de deux mois à compter de leur publication.

Encore faut-il souligner qu'il appartiendra au Gouvernement de veiller à ce que chacun de ces projets de loi de ratification soit inscrit le plus rapidement possible à l'ordre du jour des assemblées. En effet, le simple dépôt d'un projet de loi de ratification ne vaut pas ratification implicite, laquelle ne peut résulter que d'une modification ultérieure du contenu de l'ordonnance par une loi (Conseil d'Etat, 10 juillet 1972, Cie Air Inter ; 11 juin 1990 Congrès du Territoire de la Nouvelle-Calédonie ; Conseil constitutionnel, 72-73 L du 29 février 1972, 224-DC du 23 janvier 1987).

En outre, une ratification implicite des projets de code par des lois ultérieures pouvant être partielle , elle ne pourrait que susciter des difficultés d'interprétation de nature à créer la confusion.

Enfin, la présente habilitation ne saurait aboutir au dessaisissement du Parlement, lequel doit au contraire, lors de l'examen du projet de loi de ratification, pouvoir se prononcer expressément tant sur le périmètre des codes que sur leur contenu .

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