EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Rendre le droit plus clair et plus accessible, veiller à sa
cohérence et assurer une plus grande sécurité juridique
constituent des ambitions nécessaires auxquelles la codification peut
apporter une contribution réelle.
La codification constitue, en outre, un instrument majeur du rayonnement
international de notre tradition juridique.
Relancée à partir de 1989, elle a permis au Parlement
d'entreprendre un effort de rationalisation du droit en vigueur, en adoptant
plusieurs codes élaborés par la commission supérieure de
codification. Les texte législatifs applicables à la
propriété intellectuelle, à la consommation, au droit
rural, aux juridictions financières et aux collectivités
territoriales ont pu faire l'objet d'un regroupement et d'une nécessaire
remise en ordre. Le Sénat a apporté sa pleine contribution
à cet important travail.
Pourtant, en dépit des efforts entrepris, ce processus apparaît
désormais bloqué. Bien que certains codes aient
déjà été élaborés par la commission
supérieure de codification, seul le livre VI du code rural a en effet pu
être promulgué depuis 1996, année de parution du code
général des collectivités territoriales.
Dans le but de résorber le retard ainsi enregistré, le
présent projet de loi propose d'habiliter le Gouvernement, sur le
fondement de l'article 38 de la Constitution, à prendre, par voie
d'ordonnances, les dispositions législatives nécessaires à
l'adoption de la partie législative de
neuf codes
dont la
rédaction est achevée.
I. LA CODIFICATION : UN PROCESSUS EN PANNE
1. Une préoccupation ancienne relancée à partir de 1989
a) une préoccupation ancienne
L'exercice de codification répond à une
préoccupation ancienne
. S'il est en définitive
resté une simple compilation sans effet juridique, le code
élaboré par Barnabé Brisson à la demande
d'Henri III avait permis de regrouper l'ensemble des édits et des
ordonnances des rois dans un volume unique. Par la suite, les
cinq
codes
élaborés sous le Consulat et l'Empire, dont le code civil
imité dans le monde entier, ont constitué une étape
majeure dans l'histoire de la codification.
L'objectif de rassemblement des textes ne fut plus mis au rang des
priorités avant la IV
è
République sous laquelle
fut créée une commission supérieure chargée
d'étudier la codification et la simplification des textes
législatifs et réglementaires (décret n° 48-800
du 10 mai 1948).
Encore faut-il relever qu'à la différence des codes
napoléoniens qui, au-delà de la clarification et de la remise en
ordre des textes, procédaient à leur refonte, cette nouvelle
étape de la codification a répondu à un objectif plus
limité de meilleure accessibilité des textes sans remise en cause
du droit applicable.
La codification réalisée sous la IV
è
République a pris la forme d'une procédure de nature
administrative, les codes étant publiés
par décret en
Conseil d'Etat.
Le recours à une procédure
réglementaire n'a pas été sans soulever des
difficultés principalement en raison de
l'incertitude
pesant sur
la
portée juridique
des codes.
Cette technique de codification par décret fut néanmoins reprise
sous la V
è
République et utilisée presque
systématiquement jusqu'en 1989. Entre 1960 et 1982, sur
21 codes publiés comprenant une partie législative, seuls
trois
ont résulté d'une loi (code du service
national : loi du 10 juin1971 ; code de la
nationalité : loi du 9 janvier 1973 ; code de la
justice militaire : loi du 8 juillet 1965) et seulement
six
autres ont fait l'objet d'une validation législative. Au
cours des années suivantes, le processus de codification s'est ralenti
et a requis une nouvelle intervention du législateur : le code de
la sécurité sociale, tout d'abord publié par
décrets en Conseil d'Etat en décembre 1985, a reçu
force législative par la loi du 30 juillet 1987 ; le code
de la mutualité fut refondu dans sa partie législative par la loi
du 25 juillet 1985.
b) un processus relancé à partir de 1989
La
codification a été relancée à partir de 1989 avec
de nouvelles méthodes conduisant à l'adoption des codes par le
Parlement et donnant ainsi aux codes
force de loi
dès leur
publication.
L'abandon de la codification par décret a répondu au souci
d'efficacité juridique. En effet, cette codification se superposait aux
textes d'origine qui n'étaient pas abrogés parallèlement.
En conséquence, lorsque des articles figurant dans les codes
étaient ultérieurement modifiés par le Parlement -et donc
implicitement ratifiés- des règles à l'origine identique
figurant à la fois dans un code et dans une loi connaissaient des
évolutions divergentes. L'objectif de clarification n'était donc
pas atteint. Ainsi, la loi du 3 avril 1958 eut pour objet de valider
quinze
codes publiés depuis 1951 et procéder aux
abrogations nécessaires.
Cette méthode présentait, en conséquence, en dehors de la
question de sa constitutionnalité, l'inconvénient sérieux
de créer une situation d'
imbroglio juridique
(juxtaposition de
textes législatifs sources et de dispositions codifiées ayant le
même objet mais de valeur simplement réglementaire, seule une loi
de validation pouvant abroger les textes codifiés)
source de
contentieux
(exemples nombreux concernant le code des communes et le code
général des impôts) et de
confusion pour l'usager
(en contradiction avec l'objectif de simplification et de clarification
justifiant la codification).
Ce point de vue est d'ailleurs très explicitement défendu par le
premier rapport de la commission de codification publié au Journal
officiel : "
tant qu'elle n'a pas eu lieu, l'absence d'approbation
par le Parlement entraîne de sérieux inconvénients. D'une
part, les lois codifiées demeuraient en vigueur puisque le décret
de codification ne pouvait naturellement les abroger. D'autre part, un risque
non négligeable de contentieux apparaissait : on pouvait, en effet,
soutenir que le texte codifié avait illégalement apporté
à la loi des modifications autres que de pure forme. Tant le Conseil
d'Etat que la Cour de Cassation ont ainsi été conduits à
écarter l'application de certains articles des codes les plus
variés. Récemment encore la chambre criminelle de la Cour de
cassation (arrêt du 23 janvier 1989) puis le Conseil d'Etat
(arrêt du 22 mai 1989) ont constaté
l'illégalité d'un article du livre des procédures
fiscales. Dans de telles conditions, la codification, loin de simplifier le
droit, complique plutôt la situation et accroît
l'insécurité.
"
La réforme des méthodes de codification s'est par ailleurs
caractérisée par la création d'une
commission
supérieure de codification
(décret n° 89-647
du 12 septembre 1989) à laquelle, à l'origine, a
été adjointe une commission spécifiquement chargée
de recenser la législation applicable dans les territoires d'outre-mer
(cette commission adjointe a en définitive été
intégrée à la commission supérieure par le
décret n° 97-894 du 2 octobre 1997).
La commission supérieure de codification est placée sous la
présidence du Premier ministre et la vice-présidence d'un
président de section au Conseil d'Etat, actuellement
M. Guy Braibant, conseiller d'Etat. Parmi ses membres, siègent
un député et un sénateur, en tant que membres permanents
désignés par les commissions des Lois des deux assemblées
-en l'espèce, votre rapporteur pour la commission des Lois du
Sénat- et en fonction du projet de code examiné, un
député et un sénateur membres des commissions
concernées.
Outre les représentants du Parlement, la commission supérieure
associe des membres de la Cour de cassation, du Conseil d'Etat, de la Cour des
Comptes et six directeurs d'administration centrale (le directeur des Affaires
civiles et du Sceau, le directeur des Affaires criminelles et des grâces,
le directeur général de l'administration et de la fonction
publique, le directeur au Secrétariat général du
Gouvernement, le directeur des journaux officiels et le directeur des affaires
politiques, administratives et financières au ministère des
départements et territoires d'outre-mer). Selon les projets en
discussion, les directeurs des administrations centrales concernées sont
également présents ou représentés.
La commission supérieure de codification a jusqu'à présent
joué un
rôle éminent
-sous l'impulsion de son
vice-président, M. Guy Braibant-, pour veiller au respect de
la finalité de la codification, à savoir en priorité
faciliter l'accès des citoyens à la règle de droit, et
coordonner les activités des équipes mises en place dans les
ministères pour élaborer les projets de code.
Au fil de l'examen des codes, la commission supérieure a
dégagé certains
grands principes de codification
. Parmi
ces derniers, la codification
à droit constant
constitue une
caractéristique majeure de la procédure actuelle. La commission
supérieure veille, en conséquence, à ce que la
codification n'aille pas au-delà des corrections rendues
nécessaires par des besoins de forme, de cohérence ou de mises
à jour.
Outre ce principe de codification à droit constant, la commission
supérieure opère une distinction entre les codes
dits
" pilotes "
et les
codes dits
" suiveurs "
. Telle qu'elle a été exposée
dans son cinquième rapport annuel de 1994, cette technique est la
suivante : "
lorsqu'une disposition est indiscutablement de nature
à intéresser deux codes, elle fait l'objet d'une codification
à titre principal dans l'un des deux codes, l'autre se bornant à
signaler l'existence de ce texte et à le reproduire
".
La commission supérieure a également choisi de
ne pas
intégrer le droit communautaire
dans les codes, solution logique
dès lors que ce droit n'est pas produit par les Etats membres.
Cependant, il a été décidé que lors de la
publication des codes au Journal officiel, une partie communautaire non
codifiée serait annexée. En outre, les directives communautaires
ayant fait l'objet d'une transposition en droit interne, sont codifiées
à travers les textes qui les ont intégrées dans le droit
national.
Enfin, face à l'ampleur de la tâche et dans le but de ne pas
retarder la codification, il a été prévu que les
dispositions applicables aux
territoires d'outre-mer
seraient
regroupées dans une livre spécifique publié
séparément lorsqu'il aura été
élaboré.
2. Un bilan mitigé
a) L'adoption de plusieurs codes depuis 1989
Depuis
1989, le Parlement a adopté plusieurs codes suivant la nouvelle
procédure :
- le code de la propriété intellectuelle ;
- le code de la consommation ;
- les livres Ier, III, VI et VIII du code rural (les livres II, IV et V
ayant été validés suivant l'ancienne
procédure) ;
- les livres I, II et III du code des juridictions
financières ;
- le code général des collectivités territoriales.
Il est en outre remarquable que cet effort de modernisation se soit
accompagné de la mise à disposition des codes sur les bases de
données informatiques (cf. annexe 2).
Le Parlement, tout particulièrement le Sénat, s'est montré
très vigilant lors de l'examen des projets qui lui étaient
soumis, en adoptant de nombreux amendements destinés à rendre le
droit effectivement
plus accessible
. Ces amendements ont permis, outre
la correction des erreurs matérielles ou la réparation d'oublis,
de mieux affirmer certains principes, de clarifier l'ordre de
présentation, d'insérer des dispositions dont la codification
n'avait pas été envisagée ou encore d'harmoniser la
législation en vigueur.
A titre d'illustration, votre rapporteur se plaît à souligner
l'important travail accompli lors de l'examen de la partie législative
du code général des collectivités territoriales par notre
collègue Michel Rufin, lequel a par ailleurs apporté une
contribution très active aux travaux de la commission supérieure
de codification. Sur son initiative, le Sénat a ainsi adopté
près de 230 amendements aux quelque 1 700 articles de ce
code.
Le Sénat s'est par ailleurs montré très attentif quant aux
méthodes de codification
, notamment pour l'application de la
technique du " code pilote " et du " code suiveur " et pour
la procédure de
déclassement
des textes de nature
réglementaire sur laquelle votre commission des Lois a plus
particulièrement appelé l'attention de la Haute
assemblée.
b) Une procédure désormais bloquée
La
circulaire du 5 juin 1996 relative à la codification des textes
législatifs et réglementaires avait témoigné de la
place reconnue à la codification. Cette circulaire avait en effet
défini les règles de procédure pour l'élaboration
de projets de codes, précisé l'organisation et les
modalités de fonctionnement de la commission supérieure de
codification et fixé les méthodes de codification en retenant le
principe d'une codification "
à droit constant
".
Annexé à cette circulaire, le programme général de
codification adopté par la commission supérieure le
4 décembre 1995 pour la période 1996-2000
prévoyait l'élaboration de 22 nouveaux codes et la refonte
de 18 codes existants.
Malgré cette initiative et le maintien de la codification au rang des
priorités gouvernementales,
le processus de codification se trouve
depuis trois ans dans l'impasse
. En effet, depuis la publication du code
général des collectivités territoriales en
février 1996, seul le livre VI du code rural a
été définitivement adopté par le Parlement (cf.
annexe 1).
Ce blocage est essentiellement dû à un
encombrement de l'ordre
du jour législatif
qui aboutit à une accumulation de codes
prêts mais non adoptés.
La
qualité formelle
de certains projets de loi de codification a
pu également faire l'objet de
diverses critiques
. Tel fut le sort
du code de l'éducation et du code de l'environnement lors de leur examen
à l'Assemblée nationale. La commission des Lois de
l'Assemblée nationale a par ailleurs rejeté -mais cette fois-ci
pour des raisons de fond- sous la précédente législature
le projet de code de commerce adopté par le Sénat le
14 octobre 1993.
Votre commission des Lois tient à souligner que beaucoup de corrections
d'ordre formel pourraient être évitées lors de l'examen des
projets de codes si les méthodes gouvernementales étaient
harmonisées sur celles retenues par le Parlement pour le
décompte des alinéas
.
Toujours est-il que cette situation entraîne trois conséquences
dommageables constatées par la commission supérieure de
codification dans son neuvième rapport annuel :
"
les projets de code une fois déposés sur le
bureau d'une assemblée vieillissent rapidement du fait des
réformes de fond envisagées entre temps (cas du code de la
communication et du cinéma) ou du fait de l'intervention de lois
nouvelles dans la matière considérée (cas du code de
l'environnement) ce qui induit, soit le report de l'examen du projet, soit une
mise à jour toujours délicate à opérer
;
"
le blocage d'un projet de code au stade parlementaire se
répercute non seulement sur l'élaboration de la partie
réglementaire dudit code mais encore sur l'élaboration des autres
projets de code législatif avec lesquels il s'articule (code de commerce
et code monétaire et financier)
:
"
l'ensemble de la chaîne participant à la
confection de codes, des missions de codification jusqu'au Conseil d'Etat, se
trouve affecté par le goulot d'étranglement que constitue
l'absence de débouchés parlementaires (cas du code
rural).
"
On ajoutera que le problème des délais d'examen parlementaire ne
doit pas faire oublier celui de la parution de la
partie
réglementaire des codes
, qui intervient souvent
très
longtemps
après la partie législative. Or, pour l'usager qui
doit disposer d'un texte d'ensemble, la codification des décrets est
aussi importante que celle du corpus législatif.
Même si l'importance de la tâche ne peut être ignorée,
force est de constater que la partie réglementaire du code
général des collectivités territoriales n'est toujours pas
publiée à ce jour, alors que la loi relative à la partie
législative a été promulguée le
21 février 1996.
Les récents travaux de la commission supérieure de codification
ont néanmoins témoigné d'une meilleure prise en compte des
inconvénients liés au décalage dans le temps de la
parution de la partie législative et de la partie réglementaire
des codes.