II. UNE INTERVENTION LÉGISLATIVE NÉCESSAIRE
A. TROIS PROPOSITIONS DE LOI AUX OBJECTIFS SIMILAIRES
1. Trois propositions de loi
La
reconnaissance officielle de la guerre d'Algérie passe
nécessairement par une intervention législative. Sur le plan
juridique, dans la mesure où des dispositions à valeur
législative font référence aux " opérations
effectuées en Afrique du Nord ", seul le législateur est
habilité à les modifier. Sur le plan des principes, votre
rapporteur estime important que la représentation nationale
témoigne formellement, au cours d'un débat solennel, sa
reconnaissance aux anciens combattants d'Afrique du Nord en appelant par leur
nom et non par un quelconque euphémisme les conflits dans lesquels ils
ont été engagés.
Dans cette perspective, trois propositions de loi ont été
déposées au Sénat et renvoyées à votre
commission des Affaires sociales :
- la proposition de loi n° 344 (1998-1999) relative à la
reconnaissance de l'état de guerre en Algérie et aux combats en
Tunisie et au Maroc, présentée par M. Guy Fischer et plusieurs de
ses collègues ;
- la proposition de loi n° 403 (1998-1999) tendant à la
reconnaissance de l'état de guerre en Algérie,
présentée par MM. Serge Mathieu, Aymeri de Montesquiou, Joseph
Ostermann et votre rapporteur ;
- la proposition de loi n° 418 (1998-1999), adoptée à
l'Assemblée nationale à l'unanimité le 10 juin dernier,
relative à la substitution de l'expression " aux opérations
effectuées en Afrique du Nord " par l'expression " à la
guerre d'Algérie et aux combats en Tunisie et au Maroc ".
Le Gouvernement ayant choisi d'inscrire la proposition de loi n° 418
à l'ordre du jour prioritaire du 5 octobre, ce sera ce texte qui servira
de support à la discussion en séance publique. Toutefois, dans la
mesure où ces propositions recouvrent un objectif identique, votre
commission, dans un souci de cohérence et d'exhaustivité, a
choisi de les examiner conjointement.
2. Des objectifs communs
Si ces
trois propositions de loi ont un objet identique -elles visent à
remplacer la référence aux " opérations
effectuées en Afrique du Nord " par une référence
mentionnant explicitement la guerre d'Algérie dans la législation
en vigueur-, elles diffèrent cependant sur trois points.
•
La méthode retenue
S'agissant de la méthode de reconnaissance retenue, deux conceptions
s'opposent.
La proposition de loi n° 344 de M. Guy Fischer retient le principe d'une
reconnaissance générale (inscrite à l'article L.
1
er
bis du code des pensions militaires d'invalidité) et
d'une déclinaison " automatique " de cette reconnaissance par
le remplacement, dans l'ensemble des textes législatifs et
réglementaires et sur l'ensemble des titres, de l'expression
" opérations de maintien de l'ordre en Afrique du Nord "
par l'expression
" combats de Tunisie, Maroc et guerre
d'Algérie ".
A l'inverse, la proposition adoptée à l'Assemblée
nationale et celle présentée par votre rapporteur retiennent une
méthode plus formelle. Après une même reconnaissance de
principe, elles visent à substituer dans les textes à valeur
législative du code des pensions militaires d'invalidité et du
code de la mutualité les expressions où apparaît la notion
" d'opération " par une nouvelle rédaction faisant
référence à la " guerre d'Algérie ". Il
s'agit donc d'une méthode " au cas par cas ", chacun des cinq
articles visés étant successivement modifié.
Cette seconde méthode semble préférable pour deux
raisons :
Elle permet de respecter la séparation entre domaine législatif
et domaine réglementaire. La proposition de M. Guy Fischer
entraînerait une modification de dispositions réglementaires par
la loi. Or, ce n'est pas à la loi de les modifier, mais au décret.
Elle garantit une rédaction satisfaisante des codes modifiés par
les propositions de loi. En effet, la régularité juridique rend
nécessaire, dans un souci de cohérence rédactionnelle, une
nouvelle rédaction de chaque article visé et non un principe de
substitution générale qui serait difficilement applicable, ne
serait-ce que pour des raisons de syntaxe ou d'orthographe.
•
La qualification officielle choisie
S'agissant de la qualification officielle choisie, votre commission observe une
légère différence entre les propositions. Celle
adoptée à l'Assemblée nationale et celle
présentée par M. Guy Fischer font référence non
seulement à la
" guerre d'Algérie ",
mais aussi
aux
"
combats
en Tunisie et au Maroc "
. La proposition
de loi n° 403 ne mentionne, à côté de la guerre
d'Algérie, que les
"
opérations
effectuées
en Afrique du Nord ".
Initialement, la proposition présentée par M. Jacques Floch
à l'Assemblée nationale faisait également
référence aux " opérations " et non aux
" combats " du Maroc et de Tunisie. L'Assemblée nationale a
toutefois adopté, à l'unanimité, un amendement de M.
Maxime Gremetz retenant l'appellation de " combats ".
Prenant en compte la position adoptée à l'Assemblée
nationale, votre commission estime préférable de retenir
l'appellation de " combats ", ce terme étant sans conteste
plus conforme à la réalité historique.
•
Le contenu des propositions
La dernière divergence entre les trois textes proposés tient
à leur contenu. Les propositions de l'Assemblée nationale et de
M. Guy Fischer ont essentiellement une portée symbolique : la
reconnaissance de la guerre et des combats n'a aucune implication
matérielle, sauf bien évidemment celle de mettre le droit en
accord avec les faits et d'apporter satisfaction à une revendication
ancienne du monde combattant.
En revanche, la proposition n° 403, en modifiant le code des pensions
civiles et militaires de retraite, est créatrice de droits. Elle
prévoit explicitement, dans son article 5, l'octroi des
bénéfices de campagne pour les anciens combattants d'Afrique du
Nord.
Votre commission observe qu'à l'Assemblée nationale, MM. Georges
Colombier, Didier Quentin et François Rochebloine avaient
déposé un amendement identique à cet article 5. Mais il
avait été déclaré irrecevable en application de
l'article 40 de la Constitution avant le passage en séance publique.
Votre commission estime inopportun de rouvrir, dans le cadre de l'examen de
cette proposition de loi, la discussion sur les bénéfices de
campagne, même s'il s'agit d'une vraie question pour les anciens
combattants d'Afrique du Nord.
D'une part, si un tel amendement était déposé, il serait,
tout comme à l'Assemblée nationale, passible de l'article 40.
D'autre part, et surtout, il est nécessaire d'adopter de manière
à la fois solennelle, consensuelle et rapide, un texte qui
réponde aux attentes des combattants de la troisième
génération du feu. Et la première de leurs attentes est de
voir enfin reconnue cette notion de guerre d'Algérie. Dans ces
conditions, il n'est pas forcément souhaitable de s'engager dans une
navette longue, aux conséquences incertaines, et qui donnerait aux
anciens combattants l'impression que la représentation nationale
tergiverse sur la nature de leur sacrifice. Il n'est sans doute pas souhaitable
non plus de mêler des préoccupations matérielles à
un débat qui devra avant tout être solennel.
Au total, les divergences entre les trois textes restent bien minces et ne
sauraient justifier une modification de la proposition de loi adoptée
à l'Assemblée nationale.
B. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
1. Les implications juridiques de la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie
Même si la proposition de loi est d'ordre formel et
rédactionnel, la nécessaire reconnaissance de la
réalité des opérations d'Afrique du Nord ne peut dispenser
d'étudier avec attention les conséquences juridiques
qu'aurait la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie,
au-delà de son importante dimension symbolique.
Ces conséquences pourraient être de deux ordres :
- des conséquences financières,
- des conséquences en terme de responsabilité pénale.
Des
conséquences financières
seraient envisageables tant
sur les droits à réparation reconnus aux combattants
mobilisés durant le conflit que sur la question des dommages de guerre.
En réalité, l'analyse des textes permet de conclure à
l'absence de conséquences financières.
S'agissant de droits reconnus aux anciens combattants, l'adoption du texte de
l'Assemblée nationale serait sans autre conséquence. L'octroi des
bénéfices de campagne pour les fonctionnaires n'est en effet pas
nécessairement lié à la reconnaissance d'un état de
guerre. Le code des pensions civiles et militaires de retraite
(dans ses
articles L. 12 et R. 14 à R. 19)
subordonne l'ampleur des
bonifications non à la qualification du conflit, mais à la nature
des services accomplis et à la plus ou moins grande proximité des
zones de combat. La participation à une guerre permet de
prétendre à une bonification de campagne, mais elle ne
détermine pas le niveau de cette bonification. Or, les anciens
combattants d'Afrique du Nord peuvent déjà
bénéficier, depuis 1975, d'une bonification de campagne simple.
S'agissant des dommages de guerre, là encore la proposition de loi
n'entraîne pas de conséquences financières. La question des
dommages matériels a été assurée par l'application
de la loi de 1946 sur les dommages de guerre. L'indemnisation des
préjudices physiques a déjà été
réglée par trois lois
(loi du 8 août 1956 pour la
Tunisie, loi du 31 juillet 1959 pour le Maroc, loi du 31 juillet 1963 pour
l'Algérie).
De même, la qualification juridique de guerre ne saurait entraîner
une éventuelle mise en jeu de la
responsabilité
pénale
de certains actes individuels. Les actions devant les
juridictions françaises sont irrecevables du fait de la loi d'amnistie.
Les actions devant les juridictions algériennes sont impossibles en
application des accords d'Evian. Enfin, les actions devant la justice
internationale seraient aussi irrecevables, la Cour pénale de justice
internationale n'ayant pas compétence rétroactive.
2. Une nécessaire mise en accord du droit avec les faits
S'il
n'est pas évident que les requalifications effectuées par cette
proposition soient totalement exhaustives et qu'elles embrassent l'ensemble des
textes législatifs dans lesquels il est fait mention de l'expression
" opérations effectuées en Afrique du Nord "
,
votre rapporteur n'a pas jugé nécessaire de se lancer dans un
vaste et aléatoire travail de " toilettage " de la
législation. Il importe avant tout de reconnaître la
réalité des conflits d'Afrique du Nord. C'est pourquoi votre
commission a jugé préférable de proposer une adoption
rapide de la proposition de loi à la valeur essentiellement symbolique,
dans sa rédaction actuelle, plutôt que de prendre le risque d'une
modification de la proposition de loi, modification qui aurait alors
entraîné une navette longue dans un calendrier parlementaire pour
le moins chargé.
Votre commission estime que l'adoption de cette proposition de loi sera
l'occasion de rendre un hommage particulier à tous les jeunes
appelés, rappelés, réservistes, engagés et harkis
qui ont servi avec bravoure et honneur la France en Afrique du Nord. Demain,
plus encore qu'aujourd'hui, cette génération incarnera le monde
combattant. Il est donc nécessaire de reconnaître l'étendue
de leurs sacrifices. Il ne s'agissait pas de simples " opérations
de police " mais bien d'une guerre et de combats. Aussi notre respect pour
leur engagement souvent tragique doit se concrétiser par une mise en
accord de la loi avec la réalité, au nom de la reconnaissance de
la Nation.
En conséquence, votre commission vous propose d'adopter la proposition
de loi transmise par l'Assemblée nationale sans modification.