C. L'ÉGALITÉ ENTRE COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DANS LA COMPOSITION DU COLLÈGE ÉLECTORAL
Les
communes sont constituées à la fois d'une circonscription
administrative et territoriale et d'une population. Le barème de
participation des communes au collège électoral sénatorial
intègre ces deux éléments :
•
La circonscription administrative et territoriale
, ce
qui donne à toute commune de France le droit de participer en tant que
telle au collège électoral des sénateurs en
désignant au moins un délégué.
Le statut constitutionnel des collectivités territoriales, fixé
par les articles 24 et 72 de la Constitution, ne comporte pas de
distinction entre celles-ci. Elles jouissent donc toutes d'un statut identique
impliquant une représentation parlementaire significative de chaque
collectivité.
Le principe d'égalité du suffrage, affirmé par
l'article 3 de la Constitution, doit être interprété
à la lumière de l'article 24 de la Constitution, chargeant
le Sénat de représenter les collectivités territoriales.
Ce principe d'égalité du suffrage paraît donc devoir
bénéficier avant tout aux collectivités en tant que
telles.
Le poids de chaque commune dans le collège électoral
sénatorial n'est pas strictement proportionné à la
population, ce qui conduirait à une inégalité de fait
entre collectivités.
En effet les zones rurales verraient leur place dans le corps électoral
diminuer à mesure de la baisse de leur population, alors que ces
territoires ont, au contraire, besoin d'une représentation
assurée, condition indispensable à l'essor d'une politique
d'aménagement du territoire
Pour traduire dans les faits l'égalité en droit des
collectivités territoriales, la loi comporte un mécanisme
assurant une représentation significative des communes rurales ou
périphériques.
Aussi, le barème de représentation des communes dans le
collège électoral sénatorial a-t-il pour base l'effectif
des conseils municipaux, dont on sait qu'il n'est pas strictement proportionnel
à la population.
En effet, si l'effectif des conseils municipaux était proportionnel
à la population, une commune de 99 habitants élisant 9
conseillers, une ville de 300.000 habitants, par exemple en aurait...plus de
27.000 (au lieu de 69).
•
Ce barème intègre néanmoins
la
population
des communes, sans en faire un critère exclusif, sous
la forme d'un " correctif " pour les grandes villes.
En effet, il ne serait pas souhaitable que les règles de
représentation des villes ne tiennent pas compte, dans une certaine
mesure, de leur population, la densité des zones urbaines constituant,
comme celle des zones rurales, une caractéristique du territoire
à prendre en considération.
Il s'en suit que le nombre des délégués des communes,
basé sur l'effectif de leurs conseils municipaux, est inférieur
à cet effectif dans les communes les moins peuplées, les autres
communes étant représentées par tous leurs conseillers
municipaux, les villes les plus peuplées élisant en outre des
délégués supplémentaires.
La recherche de l'égalité de représentation des
collectivités territoriales avait conduit les auteurs de la loi
constitutionnelle du 24 février 1875 à attribuer
à chaque commune, quelle que soit sa population, un seul électeur
sénatorial.
La nécessité de prendre en compte la taille des communes dans le
barème de représentation des communes est rapidement apparue.
A partir de la loi du 9 décembre 1884, la
représentation des communes a été établie sur la
base de l'effectif des conseils municipaux, qui traduit lui-même
partiellement le chiffre de la population.
La loi organique du 23 septembre 1948, en rétablissant le
principe de la désignation des délégués des
communes par les conseils municipaux suspendu en 1946
25(
*
)
, a accru l'élément
démographique de leur représentation en accordant des
délégués supplémentaires aux villes de plus de
45.000 habitants et a fixé la règle selon laquelle les grands
électeurs sont choisis en priorité au sein du conseil municipal.
Le poids des grandes villes dans les collèges électoraux a
été accentué par l'ordonnance du
15 novembre 1958 (abaissement à 30.000 du nombre d'habitants
à partir duquel des délégués supplémentaires
sont désignés) puis par la loi n° 82-974 du
19 novembre 1982, celle-ci ayant augmenté le nombre des
conseillers municipaux des communes les plus peuplées, dans lesquelles
tous les conseillers sont membres de droit du collège électoral.
Certes, la population des collectivités les moins peuplées est
"
mieux représentée
" dans le collège
électoral que celle des plus grandes collectivités.
Les distorsions de représentation des populations selon la taille des
communes ne peuvent pas plus être occultées, puisque dans une
commune de moins de 3.500 habitants, un délégué
représente en moyenne 292 habitants et, dans une ville entre 30.000
et 100.000 habitants, 788 habitants.
Ces différences pourraient sans doute être réduites, ce
à quoi tendent, à des degrés divers, plusieurs
propositions de loi soumises au Sénat.
Elles doivent cependant être relativisées, dans la mesure
où
les distorsions au plan national n'ont d'impact réel que
lorsqu'elles se retrouvent au sein de chaque département, cadre de
l'élection des sénateurs.
Les différences de représentation des communes selon leur taille
n'ont de signification qu'à l'intérieur d'un même
département.
Selon un tableau récapitulatif de la sur ou de la sous
représentation des communes dans les différents collèges
électoraux des départements, établi par
M. Jean Grangé et publié par
M. François Robbe
26(
*
)
, les
communes de 2.000 à
20.000 habitants sont les plus exactement représentées
au sein
de chaque collège électoral départemental
la
surreprésentation ne dépassant 10 % que dans onze
départements. La sous représentation ne dépasse ce
pourcentage que dans cinq départements
.
Les départements démographiquement homogènes, qu'ils
soient ruraux (Creuse) ou urbains (Seine-Saint-Denis, Hauts de Seine) ne
laissent pratiquement pas apparaître de distorsion. A Paris, qui
constitue à la fois une ville et un département, aucune
différence de représentation n'est, par définition,
possible.
Ces différences de représentation selon la population des
communes apparaissent dans les départements démographiquement les
plus hétérogènes où la "
sous
représentation urbaine
" se combine avec une
"
surreprésentation rurale
".
En revanche, ces différences ne peuvent être complètement
effacées, comme cela est proposé dans le projet de loi et dans
les propositions de loi de nos collègues,
Mme Hélène Luc et M. Jean-Michel Baylet, avec
la fixation uniforme du nombre des délégués à 1
pour 500 habitants dans toutes les communes quelle que soit leur
population.
En effet, le Sénat représente les collectivités
territoriales en tant que telles et pas seulement leur population de
manière indifférenciée.
Surtout, une représentation égale des collectivités -si
elle n'est pas conditionnée par un nombre identique de
délégués dans toutes les communes- suppose que chaque
catégorie de communes, des plus grandes aux plus petites, pèse
d'un poids significatif pour l'élection des sénateurs.
L'égalité constitutionnelle des collectivités locales
suppose en effet que la représentation de chacune d'entre elles ne soit
pas purement formelle.
La représentation uniforme des communes par un
délégué pour 500 habitants ne permettrait pas aux
communes les moins peuplées de bénéficier d'un poids
suffisant pour l'élection des sénateurs.
Cet impératif a été clairement exprimé par
M. Marcel Prélot, estimant qu'il convenait de
"
pondérer la représentation de telle sorte que les
parties du territoire les moins peuplées conservent une influence dans
les affaires du pays et ne soient pas vouées à un
dépérissement irrémédiable
"
27(
*
)
.
La représentation au Sénat des espaces économiquement
les plus fragiles constitue une chance pour surmonter la "
fracture
territoriale
" par une véritable politique d'aménagement
du territoire.