B. UNE GESTION DÉFICIENTE DES RESSOURCES HUMAINES
Pour
expliquer de telles pratiques, on pourrait être tenté d'incriminer
le statut protecteur des salariés des services publics. Ce ne peut
être la seule explication dans la mesure où les salariés du
secteur privé bénéficient d'un certain nombre de garanties
pour faire usage librement de leur droit de grève.
Un autre facteur qu'il convient d'évoquer est celui des critères
de représentativité des syndicats : dès lors que
peuvent coexister dans certaines entreprises publiques près d'une
dizaine de syndicats, dont certains fondent leur légitimité sur
la protection catégorielle, le risque est grand d'une surenchère
propice à des excès. Au demeurant, les conditions de
dépôt des préavis peuvent parfois soulever des
interrogations. Quoi qu'il en soit, la question de la faiblesse relative des
instances syndicales en France par rapport à certains de nos partenaires
soulève une question très générale qui
n'épargne pas les entreprises du secteur privé.
Il apparaît parfois un déficit de concertation qui semble le signe
de dysfonctionnements de l'Etat en tant qu'employeur et qui explique largement
le taux de conflictualité élevé du secteur public.
1. Un déficit de concertation
Les
auditions des représentants des syndicats conduisent à souligner
les insuffisances en matière de gestion des ressources humaines : le
manque d'écoute de la hiérarchie et la centralisation excessive
des décisions font partie des reproches communément
adressés aux directions.
Le succès de la démarche d'alarme sociale prévue dans le
cadre de l'accord du 11 juin 1996 à la RATP est d'avoir permis de faire
apparaître des problèmes de terrain porteurs de conflits qui,
auparavant, n'étaient pas formulés dans le cadre d'une
procédure définie. Des réclamations portant sur le cadre
de travail quotidien des agents pour lesquelles aucun accord n'était
recherché, trouvent une structure qui facilite la recherche de solutions.
Il est révélateur à cet égard que sur près
de 200 préavis de grève encore déposés par an
à la RATP -contre près de 800 en moyenne avant la mise en place
de l'alarme sociale- près de 170 concernent en fait des problèmes
localisés qui devraient pouvoir être réglés à
l'échelon adéquat.
Si les structures d'encadrement subissent souvent des reproches,
M. Jean-Paul Bailly a souligné qu'un patron d'unité qui ne
mettait pas en oeuvre l'accord social du 11 juin 1996
" était
rappelé à l'ordre par lui, personnellement ".
Un accord
sur le dialogue social appelle donc une discipline, non seulement des
syndicats, mais aussi du management de l'entreprise.
Il reste que les cadres intermédiaires sont souvent en situation
difficile : mal informés pour négocier des décisions
auxquelles ils sont peu associés, leurs marges de manoeuvre sont
étroites. Ils ne sont pas tous formés à des
méthodes modernes de management social.
Enfin, une large part des dysfonctionnements humains trouve son origine dans
des structures d'entreprise ou de service qui ne favorisent pas la recherche
du dialogue social.
S'agissant des transports publics, la SNCF ou la RATP ont visiblement pris des
chemins différents en termes de gestion des ressources humaines
même s'ils tendent aujourd'hui à suivre la même voie.
Il est parfois avancé que, la SNCF, qui est traditionnellement
gérée par des ingénieurs, comprend difficilement que les
avancées techniques ne peuvent pallier les insuffisances de management.
Sans prendre partie, votre rapporteur souligne toutefois
l'importance du
caractère plus ou moins décentralisé des structures
ou
unités d'activité des entreprises.
La SNCF constitue une entreprise à statut unique, dans laquelle les
modes de production sont fortement intégrateurs, le cheminot ayant
vocation à servir sur plusieurs catégories de lignes nationale ou
régionale. En revanche, la RATP, au sein de laquelle les
" lignes " constituent des unités de production assez faciles
à distinguer, a pu faire l'objet, avec succès à partir de
1990, d'une réforme visant à renforcer le degré de
décentralisation des décisions.
La décentralisation vient conforter la démarche positive de
l'alarme sociale.
2. Les carences de l'Etat employeur
Il reste
que, comme l'a fait remarquer M. Denis Kessler, vice-président du
Mouvement des entreprises de France (MEDEF), le degré relativement
élevé de la conflictualité dans l'ensemble du secteur
public pose une question de fond : l'Etat, en tant que
" patron " des agents sous statut ou en tant qu'autorité de
tutelle vis-à-vis des établissements ou entreprises publiques, ne
semble pas avoir la capacité d'empêcher que les conflits sociaux
ne dégénèrent.
Le Sénat, par la voix de sa commission des Finances, a
déjà eu l'occasion de s'interroger sur les insuffisances de
l'Etat actionnaire : peut-être conviendrait-il également de
se demander si les méthodes de gestion des ressources humaines que
l'Etat applique ne sont pas fortement en retrait par rapport aux pratiques
développées dans le secteur privé.
L'insatisfaction sociale que révèlent les grèves trahit
parfois une certaine inadaptation des statuts dont l'apparent confort ne suffit
plus à masquer les rigidités. Une réflexion pourrait sans
doute s'engager sur les moyens de récompenser l'initiative, la
volonté d'animer un projet collectif ou de remplir des objectifs, ce qui
permettrait de poser les bases d'un dialogue social plus moderne.
Une déconcentration insuffisante des structures étatiques,
l'emprise pesante du ministère des Finances et l'interventionnisme de la
tutelle sur les entreprises publiques accentuent certains travers. Certains
responsables de service peuvent avoir une sorte d'intérêt objectif
à ce qu'une grève soit
" réussie "
à la veille de décisions budgétaires les concernant. A un
certain degré de gravité, les grèves dans les
établissements publics échappent parfois à la seule
sphère de responsabilité des directions pour engager plus
largement celle de l'Etat, ce qui n'est pas sans générer des
effets pervers.
L'Etat s'accommode parfois trop facilement de l'absence de réelles
procédures de prévention des conflits qui nécessiteraient
de laisser une marge de manoeuvre plus importante à des échelons
déconcentrés de décision.
Il reste que les conséquences financières et économiques
des faiblesses du dialogue social dans le secteur public sont supportées
en définitive par les contribuables et les entreprises du secteur
marchand.