TEXTE DES CONCLUSIONS DE LA
COMMISSION
SUR LA PROPOSITION DE LOI
PROPOSITION DE LOI VISANT À PRÉVENIR
LES
CONFLITS COLLECTIFS DU TRAVAIL
ET À GARANTIR LE PRINCIPE DE
CONTINUITÉ
DANS LES SERVICES PUBLICS
Article premier
Dans les établissements, entreprises et organismes chargés de la gestion d'un service public visés à l'article L. 521-2 du code du travail, les employeurs ainsi que les organisations syndicales de salariés reconnues représentatives au sens de l'article L. 521-3 dudit code sont appelés à négocier, dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi, les modalités de mise en oeuvre de procédures destinées à améliorer le dialogue social et à prévenir le déclenchement de grèves, le cas échéant, par des procédures de conciliation.
Art. 2
I - Dans le quatrième alinéa de
l'article
L. 521-3 du code du travail, le chiffre : " cinq " est
remplacé par le chiffre : " sept ".
II - Après le quatrième alinéa de l'article
précité, il est inséré un alinéa ainsi
rédigé : " Un nouveau préavis ne peut être
déposé par la même organisation syndicale qu'à
l'issue du délai de préavis initial et, éventuellement, de
la grève qui a suivi ce dernier. ".
III - L'article précité est complété par deux
alinéas ainsi rédigés :
" A cette fin, les représentants de l'autorité
hiérarchique ou de la direction de l'établissement, de
l'entreprise ou de l'organisme se réunissent avec les
représentants de la ou des organisations syndicales ayant
déposé le préavis dans un délai maximum de cinq
jours à compter du dépôt de celui-ci.
" En cas de désaccord à l'issue de la réunion et au
moins deux jours avant l'expiration du délai de préavis, les
parties concernées établissent en commun un constat dans lequel
sont consignées leurs propositions en leur dernier état. Ce
constat est adressé par la direction ou l'autorité
hiérarchique aux syndicats reconnus représentatifs dans le
service, l'établissement, l'entreprise ou l'organisme puis est rendu
public. ".
Art. 3
Le Gouvernement présentera au Parlement, dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport établissant le bilan des grèves dans les services publics au sens de l'article L. 521-2 du code du travail, des négociations collectives prévues à l'article premier et de l'application des accords conclus ainsi que des mesures prises par les établissements, entreprises et organismes concernés pour rendre compatible le principe de continuité du service public avec l'exercice du droit de grève. Ce rapport est établi après consultation des associations d'usagers du service public.
ANNEXE N° 1COMPTE RENDU DES AUDITIONS
A. AUDITION DE MME MICHELLE BIAGGI, SECRÉTAIRE CONFÉDÉRALE DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL FORCE OUVRIÈRE (FO)
M. Jean
DELANEAU, président. - Tout d'abord, je voudrais vous faire part des
raisons pour lesquelles nous vous avons invités à venir
aujourd'hui vous exprimer dans le cadre d'une audition publique sur la
proposition de loi qui émane du groupe centriste du Sénat, et qui
tend à assurer un service minimum en cas de grève dans les
services des entreprises publiques.
La commission a désigné un rapporteur, M. Huriet, que tout le
monde connaît, qui est sénateur et qui a déjà
beaucoup de travaux de rapporteur à son actif. C'est lui qui
interviendra au début de chaque audition. Nous avions prévu de
commencer à 9 heures 30, mais Mme Doneddu, secrétaire
générale de la Fédération des Services Publics de
la CGT, n'a pas pu caler son agenda et nous a fait savoir hier qu'elle ne
pourrait pas venir. Notre réunion s'ouvre par l'audition de Mme Biaggi,
Secrétaire confédéral de la CGT FO.
Je laisse la parole à M. Huriet, en précisant que nous avons une
longue série d'auditions, car nous avons voulu entendre les
représentants de toutes les centrales syndicales, mais aussi les usagers
et les responsables d'un certain nombre de services ou entreprises publiques.
Et également un représentant du MEDEF, qui interviendra en
dernier, ainsi que des représentants des usagers.
Cette audition est publique, c'est-à-dire qu'elle est ouverte à
la presse, et ceux que cela intéresse peuvent rester toute la
journée.
C'est bien sûr un sujet important, mais pour l'instant la commission n'a
pas encore examiné ce texte, qui est très simple, qui comprend un
seul article, et cette audition a pour but notamment de s'informer pour savoir
quelles propositions seront faites au Sénat.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Mesdames et Messieurs, merci d'avoir
accepté de participer à cette audition publique sur un texte
important puisque, dans la procédure législative, participer
à des auditions publiques est la quintessence de la démocratie.
La proposition sur laquelle la commission est appelée à
travailler a été déposée le 11 juin dernier. La
date est importante puisque vous pourrez remarquer que cette initiative
parlementaire est bien antérieure aux événements, les
derniers en date, qui ont amené de nouveau, avec certaines
réactions de l'opinion, à s'interroger sur les
conséquences des grèves dans le secteur public.
Ce n'est donc pas une démarche d'opportunité, mais une
démarche qui s'inscrit dans une réflexion démocratique
sereine à laquelle vous apportez votre contribution.
Il était en effet apparu nécessaire que le législateur se
penche sur la question. D'abord, en droit, le préambule de la
Constitution rappelle que le droit de grève s'exerce dans le cadre des
lois qui le réglementent et que le législateur a donc vocation
à intervenir, même si jusqu'ici il n'a adopté que des
mesures partielles qui proscrivent l'usage de la grève pour certaines
catégories de fonctionnaires, au nom de l'ordre public, ou qui imposent
déjà un service minimum dans certains domaines.
Le législateur est également fondé à intervenir
puisqu'un sondage récent montre que 82 % des Français
souhaitent un service minimum en cas de grève dans les services publics.
Mais le sujet est complexe, il faut se garder des simplifications et c'est
pourquoi notre objectif, à travers les auditions, est de chercher
à assurer comment mieux garantir le principe de continuité des
services publics -reconnu lui aussi comme un principe de valeur
constitutionnelle et qui est au coeur de la notion de service public- tout en
respectant ce qui est aussi un principe constitutionnel de même force,
à savoir le droit de grève.
Nous abordons ces auditions dans un souci d'ouverture et de dialogue, sans
idée préconçue, et en tout cas, de la part du rapporteur,
sans aucune idée de remettre en cause en quoi que ce soit l'expression
du droit de grève dans les services publics comme dans les autres
secteurs d'activité de la Nation.
Vous avez la possibilité de vous exprimer très
spontanément pour apporter votre contribution à un travail
législatif important et difficile, mais qui peut correspondre à
une conception du dialogue social dans une société moderne.
M. Jean DELANEAU, président. - Je vais donc passer la parole à
Mme Biaggi, secrétaire confédérale de la
Confédération générale du travail Force
Ouvrière (CGT-FO).
Mme Michelle BIAGGI. - Je voudrais d'abord commencer par présenter la
délégation qui m'accompagne, puisque l'ensemble de nos
responsables de ces services publics et de la fonction publique devaient
s'exprimer sur ce sujet.
M. Seigneur représente la Fédération de l'Energie EDF GDF.
Ensuite, M. Apruzzese, qui représente la Fédération
des Transports RATP. M. Pougis est le trésorier de la
Fédération des Services publics et de Santé. M. Perrot est
le secrétaire de la Fédération des Services publics et de
Santé. M. Charbonnier représente notre
Fédération des transports SNCF. M. Tourneau, la
Fédération générale des fonctionnaires. Et M.
Veyrier, qui est le secrétaire général de la
Fédération des Transports équipements, il s'agit des
transports aériens.
Après avoir présenté mes camarades qui sont ici et qui
s'exprimeront, je vais donner la position de la Confédération sur
un plan très général et ce que nous pensons à FO
des propositions de réglementer le droit de grève.
Je vous dirai pour commencer que je trouve que c'est un sujet qui est
extrêmement sensible et récurrent. A chaque fois qu'il y a un
mouvement de grève dans la fonction publique, toujours revient cette
vieille idée, à savoir la mise en place d'un service minimum.
Pour la confédération exécutive générale de
la CGT-FO -nous l'avions déclaré dans un communiqué de
presse- mettre en place un service minimum revient à mettre en cause non
seulement le droit constitutionnel de grève, mais présente par
ailleurs dans certains secteurs, comme dans le transport, des problèmes
de sécurité. C'est pourquoi je me suis fait accompagner de mes
camarades qui vous évoqueront ces problèmes de
sécurité, qui sont très importants.
La remise en cause du droit fondamental de grève est une vieille
idée, qui ressort périodiquement, de même que l'opposition
du droit des usagers au droit des travailleurs.
Par ailleurs, je voudrais rappeler que la loi prévoit le respect d'un
préavis de cinq jours avant l'exercice du droit de grève, pendant
lesquels les parties intéressées sont tenues de négocier.
C'est l'article L. 521-3 du Code du travail, qui découle d'une loi de
1963.
Les réalités sociales sont telles parfois que les directions
refusent de recevoir les représentants légitimes des
salariés une fois que le préavis est déposé, et
parfois contestent également la validité de ce
préavis ; ce qui fait que les cinq jours pendant lesquels les
parties sont tenues de négocier sont des jours où les gens se
regardent au lieu de discuter.
Dans ces conditions, lorsqu'il y a détérioration du climat
social, pour que les organisations syndicales soient écoutées,
voire entendues, leur seul recours est la grève, et c'est pour cela que
lorsque l'on n'utilise pas ces cinq jours de préavis pour discuter, on
voit bien souvent le conflit aboutir à la grève.
Donc pour la confédération FO, plutôt que d'instaurer un
service minimum -et je demanderai même ce qu'est un service minimum et ce
que vous imaginez que cela pourrait être- pour nous, il faut redonner du
sens aux cinq jours de préavis. Légalement, les parties sont
tenues de négocier pendant ce temps-là et c'est pendant cette
période qu'il faut redonner tout son sens à la négociation.
Et je terminerai en disant que pour notre organisation syndicale FO, en
démocratie, l'idée d'encadrer ou de limiter le droit de
grève constitue une remise en cause d'une liberté fondamentale.
Telles sont les positions générales de la
confédération.
Je vais laisser s'exprimer mes camarades qui iront plus dans le détail
de chacun des secteurs d'activité.
M. Jean DELANEAU, président. - Je vous remercie.
M. Yves VEYRIER. - Vous nous posez une série de questions et vous
invoquez le principe de continuité du service public. Moi, j'ai envie de
vous poser à mon tour une question : est-ce que la suppression de
17.000 emplois au sein des services du ministère de l'Equipement,
reconnue par les deux derniers ministres, est-ce que les 490 nouvelles
suppressions d'emplois votées dans le cadre du budget 99 permettent de
mieux respecter la continuité du service public et la mission
essentielle au maintien de la sécurité des personnes et des biens
?
On a interpellé beaucoup de parlementaires et élus locaux
à l'occasion des débats sur le projet de budget pour 1999, et
beaucoup se plaignent du manque de moyens des services de l'Etat pour assurer
normalement le service public. Dans le cadre de la viabilité hivernale,
qui consiste à déneiger les routes et à s'assurer
qu'à tout moment n'importe quelle route sera accessible par les services
de sécurité, le ministre fait le constat que des véhicules
restent dans la cour du parc de l'équipement faute de personnel pour les
conduire. C'est un constat qui a été fait publiquement par le
ministre. Les plans d'organisation de la viabilité hivernale sont
organisés en fonction de priorités qui tiennent compte du manque
de moyens pour assurer globalement la viabilité hivernale. Quand on
sous-traite les services en question à des entreprises privées,
c'est un fait que les entreprises privées n'interviennent que la
journée et non la nuit.
A contrario
, est-ce qu'on assure un service minimum permettant de
préserver au-delà de la sécurité des personnes et
des biens, y compris la sécurité des agents ? Là où
on mettait deux agents dans un véhicule, on n'en met plus qu'un. Quand
on conduit un véhicule de déneigement, c'est dans des conditions
climatiques rigoureuses, cela peut être la nuit, sur des chaussées
glissantes, avec un trafic engorgé ; l'année dernière
un accident mortel a eu lieu parce que l'agent avait conduit pendant de
nombreuses heures d'affilée.
Parallèlement, l'astreinte qui est organisée pour permettre que
les agents soient disponibles à tout moment, au lieu d'être
organisée sur quatre semaines, l'est sur un cycle de deux
semaines : les agents sont amenés à intervenir beaucoup plus
fréquemment.
On a pris l'exemple du système des transports aériens. Est-ce que
l'application des directives dites de libéralisation du transport
aérien permet d'assurer au mieux le principe de continuité du
service public ? Cela a conduit à remettre en cause le principe de
péréquation mis en oeuvre par Air Inter pour développer le
réseau intérieur dans un souci d'aménagement du
territoire. Il en résulte que certaines lignes ont été
abandonnées. La concurrence s'est exacerbée, mais sur certaines
lignes seulement, aux mêmes créneaux horaires et on voit se
multiplier les vols petits et moyens porteurs sur ces créneaux horaires,
d'où un engorgement du trafic et des retards accrus auxquels tout un
chacun ici a été confronté, en dehors de tout mouvement de
grève.
C'est plutôt en période normale que le service minimum n'est
même plus appliqué. Je m'en tiendrai à cela.
Nous constatons, concernant la question du préavis, qu'il est
très souvent utilisé maintenant non pas pour négocier -les
directions de l'administration ayant plutôt pour consigne d'éviter
de négocier et de faire en sorte que la grève ne se voit pas- et
que les cinq jours sont utilisés pour mettre en place des services de
remplacement.
M. Jean DELANEAU, président. - Je voudrais indiquer que bien sûr,
ce n'est pas le rôle du Sénat de définir le contenu du
service minimum, il ne peut aller sur les brisées des responsables des
entreprises ou des services, et ces problèmes que vous avez
évoqués, beaucoup de sénateurs sont également
membres des conseils généraux et c'est une responsabilité
que nous partageons avec eux.
M. Guy TOURNEAU. - Voilà un débat qui revient souvent sur le
tapis, car si la Constitution prévoit que la grève s'exerce dans
le cadre des lois qui la réglementent, il apparaît qu'il n'y a pas
beaucoup de lois, à part celles prévues pour interdire le droit
de grève à certaines catégories d'agents, comme l'a
très bien dit monsieur le rapporteur, cela ne veut pas dire que les
organisations syndicales n'ont pas été associées à
une discussion à ce sujet. Je prendrai pour exemple quand le statut de
la fonction publique a été réformé.
La continuité du service public dispose de moyens assez importants pour
la sauvegarde des biens et des personnes, et les services publics ne rentrent
pas en grève comme d'autres services.
Il a été prévu que l'exercice du droit de grève
était subordonné au dépôt d'un préavis. Les
organisations syndicales le respectent, sauf cas exceptionnels qui prouvent
bien qu'aucune réglementation ne résiste à des mouvements
sociaux profonds. En fait, il n'était pas utilisé pour essayer de
voir la source du conflit et essayer de négocier avant le conflit. La
loi a été précisée en fixant une obligation de
négocier ; quelques années après, on constate qu'on
est toujours dans cette situation de non-négociation pendant le
préavis de grève.
Le Gouvernement attend de voir combien il y a de grévistes pour savoir
comment il peut négocier. C'est une drôle de manière
d'aborder le sujet. Naturellement les syndicats, forts de cette situation,
essaient qu'il y ait le plus de grévistes possibles pour négocier
le mieux possible. Je ne crois pas que ce soit la volonté des
organisations syndicales, loin de là. En général, elles
demandent des négociations et elles veulent négocier. Mais la
balle n'est pas dans leur camp.
Les textes existent, l'obligation de négocier aussi. La grève est
toujours le résultat, la matérialisation d'un conflit. On
constate que l'on essaie toujours de négocier ce conflit au moindre
prix. On négocie au moindre prix et on constate ensuite que les usagers
ne sont pas contents.
Il faut peut-être renforcer la négociation pendant le
préavis parce qu'on a pu le voir, des gens qui n'avaient pas le droit de
grève ont été amenés à faire la
grève, parfois très légitimement à certains
moments, sur des problèmes de sécurité. Les services
publics font souvent grève pour des problèmes de
sécurité. Les derniers mouvements actuels ne sont pas faits pour
gêner les usagers, mais pour régler des problèmes de
sécurité pour les personnels et ceux qui utilisent le service
public. La grève a incontestablement son utilité ; je sais
que vous ne la remettez pas en cause.
Enfin, il y a des grèves très populaires, celle du service des
impôts par exemple. On n'a jamais vu de levée de bouclier des
usagers parce qu'ils n'avaient pas reçu leur rappel d'imposition.
Dans tous les cas, lorsqu'il y a un conflit de cette nature, il doit être
négocié ; mais il faudrait surtout éviter qu'il y ait
conflit et il faudrait aussi qu'il y ait plus de négociations et
peut-être un peu plus de considération aussi. Par rapport aux pays
d'Europe du Nord, les syndicats en France sont moins puissants mais
peut-être aussi moins bien considérés, ce qui fait qu'il y
a peut-être un peu plus de conflits. Il y a là un sujet de
réflexion notamment parce que dans la fonction publique, le droit
syndical est relativement récent, et qu'avant 1945 le droit de
grève n'existait pas dans la fonction publique.
J'ai peut-être un peu tendance à renvoyer vers le Gouvernement,
mais il a de lourdes responsabilités dans ces conflits.
M. Vincent CHARBONNIER. - Je voudrais dire que les textes prévoient
déjà en cas de grève tout un arsenal de procédures
qui vont du préavis à la réquisition.
A la SNCF, concernant la continuité du service public et l'instauration
d'un service minimum, je ferais remarquer que le service minimum existe
déjà. Il est très rare qu'une grève soit suivie
à 100 % et, selon les rapports de force prévus lors du
dépôt d'un préavis de grève, la direction de
l'entreprise met en place un service minimum qui est plus ou moins
étoffé selon le nombre de grévistes.
Ce qu'il faut souligner, c'est qu'en général ce service minimum
est mis en place par l'entreprise en privilégiant les trains des grandes
lignes et en défavorisant les trains de la vie quotidienne. Alors
probablement, dans l'esprit de l'entreprise, il s'agit d'un souci commercial,
contrairement d'ailleurs à ce que pourrait être un souci de
service public.
La responsabilité de la qualité du service minimum dans ce
cadre-là n'incombe plus aux organisations syndicales ni aux
grévistes, mais plutôt à la direction de l'entreprise et,
pourquoi pas, à la tutelle.
A la suite de la promulgation de la loi du 13 juillet 1963 qui instaure le
préavis de grève de cinq jours, j'ai retrouvé une lettre
du ministère des Travaux Publics et des Transports, en date du 31
juillet 1964, qui expliquait que cette loi ne faisait pas obstacle aux mesures
prises pour assurer la continuité du service public et la
sécurité des personnes et des biens.
Dès 1964, il était donc admis qu'il y avait moyen d'assurer la
continuité du service public et la sécurité des personnes
et des biens.
Ce n'est qu'en 1982 qu'a été instaurée l'obligation de
négocier durant le préavis. La plupart du temps, à la
SNCF, on attend le cinquième jour pour recevoir les organisations
syndicales -c'est devenu une habitude- quand on ne vérifie pas s'il ne
manque pas une virgule au préavis de grève pour déclarer
qu'il n'est pas valable.
De plus, il est tout à fait exceptionnel que l'entreprise
découvre lors du dépôt d'un préavis de grève
les problèmes. Souvent, des semaines, des mois ou des années
à l'avance, les organisations syndicales ont demandé à
discuter, à être reçues, et l'entreprise est parfaitement
au courant des problèmes qui existent lors du dépôt d'un
préavis de grève.
Malheureusement, dans la pratique actuelle à chaque fois que les
organisations syndicales sont reçues dans le cadre d'un préavis
de grève, elles se heurtent à des interlocuteurs qui ne veulent
rien entendre et surtout ne rien négocier. Dès lors, la
grève devient le seul moyen de se faire entendre. Je citerai un exemple
récent : les cheminots en 1997 ont été victimes de
372 agressions physiques et les contrôleurs de 247 agressions. On ne
peut pas réduire les problèmes de sécurité au seul
problème des effectifs, mais dans une entreprise comme la SNCF qui, en
10 ans, a supprimé 80.000 emplois, on ne peut pas non plus
évacuer ce problème-là alors que les trains et les gares
ont été complètement déshumanisés. Il reste
que, paradoxalement, lors du dernier conflit des contrôleurs, les
négociations ont débuté le onzième jour de la
grève.
Pour instaurer un service minimum par voie législative, se posent en
plus à la SNCF des problèmes de sécurité : on
ne peut pas faire circuler plus de trains avec un effectif réduit. Ce
qui est assuré actuellement en cas de grève à la SNCF, est
le maximum qui puisse être assuré ; mais l'entreprise
pourrait privilégier certains transports par rapport à d'autres.
M. Jean DELANEAU, président. - Je ne voudrais pas qu'on dérive
sur les modalités détaillées de chaque service. Nous
n'avions pas prévu que chacun vienne avec plusieurs intervenants
supplémentaires. Et il reste 10 minutes.
M. Vincent CHARBONNIER. - Instaurer un service minimum à la SNCF
reviendrait à instaurer la réquisition permanente.
M. Raymond PERROT. - Je représente ici le secteur hospitalier public et
je vais me limiter à quelques notions à caractère
général.
Tout d'abord, pour mettre au point un principe qui vient contredire
l'argumentaire et l'exposé des motifs que je lis dans la proposition de
loi : il s'avère que, dans un arrêt du 7 juillet 1950, le Conseil
d'Etat a considéré qu'il appartenait au Gouvernement, responsable
du bon fonctionnement des services publics, de fixer, sous le contrôle du
juge, la nature et l'étendue des limitations du droit de grève.
Toutefois, la compétence de réglementer le droit de grève
dans les hôpitaux a été refusée par le Conseil
d'Etat au ministre chargé de la santé, en partant du principe que
la compétence en ce domaine appartenait à la seule direction de
l'établissement hospitalier et non aux organismes de tutelle.
La fonction publique hospitalière, c'est en France, y compris les
départements et territoires outre-mer, 2.500 établissements dont
1.600 dans le secteur sanitaire et 900 dans le secteur social et
médico-social, dont les personnels relèvent du statut de la
fonction publique.
Le principe d'autonomie de chacun des établissements fait que le
directeur de l'établissement est le représentant légal de
l'institution hospitalière, et qu'il lui appartient à ce titre,
et à lui seul, d'organiser le service minimum le jour de la grève.
Les seules instructions officielles qui existent dans le secteur hospitalier
sont le résultat de circulaires ministérielles. Il n'existe ni
législation ni réglementation applicable dans le domaine du
service minimum à l'hôpital public. C'est le simple
résultat soit de jurisprudence, soit de circulaires
ministérielles ponctuelles, elles-mêmes conformes à la
jurisprudence, du tribunal administratif ou du Conseil d'Etat.
Cela m'amène à dire qu'aujourd'hui il n'y a pas dans le service
public hospitalier de réglementation particulière concernant
l'organisation du service minimum en cas de grève. La définition
qui est donnée du service minimum dans les hôpitaux publics est
définie par un jugement du tribunal administratif de Lyon du 5 octobre
1978 : "le personnel dont la présence est nécessaire doit
être en nombre suffisant pour assurer la sécurité physique
des personnes ainsi que la continuité des soins et la conservation des
installations et du matériel."
On retrouve ce principe général dans une circulaire
récente sous la signature du directeur des hôpitaux, en date du 3
octobre 1995 où il est écrit : " Par ailleurs, vous
voudrez bien rappeler aux directeurs des établissements de votre
département qu'il leur appartient de prendre toutes dispositions pour
qu'un service minimum soit assuré, la notion de service minimum pouvant
être appréciée par référence aux services
offerts aux usagers les dimanches et jours fériés. La
procédure des réquisitions ne doit être utilisée
qu'en cas d'impérieuse nécessité. "
J'ajoute, pour ce qui me concerne, le commentaire suivant : au cours des deux
derniers mouvements de grève des blouses blanches, dits
" grève des infirmières " en octobre 1988 et octobre
1991, qui ont été extrêmement suivis dans les
hôpitaux, le sens de la responsabilité des personnels a fait
qu'à aucun moment les directeurs d'établissements n'ont eu
à constater un relâchement dans l'attention des personnels.
J'ajoute que ceci est la conséquence directe de la conscience
professionnelle des professionnels exerçant auprès des malades.
Les personnels et les fonctionnaires ont le sentiment permanent de la
satisfaction du travail bien fait et leur sens des responsabilités les
amène à travailler normalement pour prendre en charge la
santé des patients, y compris les jours de grève.
M. Jean DELANEAU, président. - Il reste très peu de temps et le
rapporteur est prêt à recevoir toutes les contributions
écrites complémentaires que vous pourriez nous faire.
M. Robert POUGIS. - Je représente les fonctionnaires territoriaux qui
travaillent dans les collectivités locales. S'agissant de l'exercice du
droit de grève dans la fonction publique territoriale, le service
minimum existe déjà puisque les élus locaux et
l'autorité territoriale sont tenus d'assurer en toutes circonstances la
sécurité des personnes et des biens. Ce service minimum s'exerce
dans deux directions : tout d'abord, les sapeurs-pompiers, la police
municipale, le service des eaux, l'hygiène, et ensuite les obligations
de service concernant l'état-civil où il y a des délais
légaux à respecter en matière de recueil et de
déclaration des naissances et des décès.
M. Gérard APRUZZESE. - Je ne vais pas revenir sur ce qui a
été développé par mes camarades sur le principe et
le droit, mais je vais essayer d'aborder les conséquences, pour autant
qu'on arrive à définir ce qu'est aujourd'hui en matière de
transport un service minimum et un service maximum.
Nous avons plutôt le sentiment que la situation actuelle correspond aux
deux notions en même temps : service minimum, parce que les besoins
de transports sont satisfaits en limite, et service maximum si on prend en
compte les risques de pic de pollution, certaines entreprises de transport
public ne pouvaient sur 90 % des lignes augmenter de manière
sensible l'offre de service.
En même temps, on oublie de prendre en compte les évolutions en
matière des besoins de transport, notamment sur la nature des
déplacements, sur les horaires de travail flexibles et le temps partiel,
ce qui fait qu'on n'est plus tout à fait rigide sur la notion de
périodes dites de pointe.
Concrètement, comment se passeraient les choses si une décision
de ce type était prise ? On aurait les voyageurs qui utilisent
quotidiennement les transports à l'heure du service minimum, mais aussi
les voyageurs qui partent avant et les voyageurs qui partent après, qui
viendraient en même temps sur ces créneaux horaires. On aurait
très rapidement de sérieux problèmes de
sécurité pour les voyageurs transportés. Cela conduirait
à remettre en cause et à imposer non pas un service minimum sur
des créneaux horaires, mais à interdire concrètement
à des salariés le droit à faire grève.
M. Louis SEIGNEUR. - Pour ce qui concerne le domaine de
l'électricité et du gaz, et notamment pour les entreprises
nationales, EDF GDF, le concept même de service minimum est un vieux
concept qui finalement est mis en application depuis la nationalisation et qui
a suivi essentiellement deux étapes. Une première étape
qui se termine dans les années 88 à peu près, qui
permettait d'exercer dans le cadre d'une réglementation appelée
" Plan Croix Rouge ", qui permettait en toute intelligence, entre les
partenaires sociaux d'une part et la direction d'autre part, de gérer
les périodes difficiles et conflictuelles. Il est évident que
toute cette période que nous avons vécue, en toute
responsabilité, notamment des partenaires sociaux, il n'y a pas eu
véritablement
in fine
de coupures dommageables pour le service
public et pour les clientèles.
Mais depuis 1988, le cadre législatif et réglementaire a
évolué ; nous avons vu apparaître une
définition plus économique du périmètre qui doit
être celui du service minimum, et nous avons assisté, notamment
dans notre entreprise, à une redéfinition de ce qu'on appelait le
service minimum uniquement axé sur la sécurité, mais qui a
intégré des données économiques, notamment
l'obligation d'affronter les échanges internationaux. A partir de
là, le périmètre lui-même est devenu un peu flou.
D'autre part, il faut bien le dire, la Direction a pris à cette
époque et jusqu'à aujourd'hui très arbitrairement les
décisions. Et les organisations syndicales ne sont plus
véritablement associées, alors que jusque-là elles avaient
fait preuve de responsabilité, dans les périodes difficiles, pour
gérer ces périodes.
Pour ce qui nous concerne, nous qui connaissons ce concept de service minimum
de longue date, nous ne pensons pas forcément qu'il faille devoir
aujourd'hui légiférer pour ajouter à l'idéologie
dominante de l'argent. Nous disons simplement qu'on n'empêchera pas les
conflits du travail d'exister et que les mouvements sociaux doivent être
bien entendu canalisés en toute responsabilité.
Je prendrai pour terminer l'exemple de décembre 95 : y compris avec
les réglementations qui sont à l'intérieur de nos
entreprises, nous n'avons pas eu moins de 72 référés.
C'est vous dire, messieurs, qu'il est important surtout de donner satisfaction
lors de la phase initiale la plus importante, qui est la phase de la
concertation. Cette phase, y compris à EDF, n'est pas utilisée
véritablement pour tenter de résoudre les préoccupations
sociales internes.
M. Jean DELANEAU, président. - Merci. Je dois dire que nous avions
envisagé cette audition sous une autre forme avec un exposé
liminaire de 10 minutes et ensuite un échange. Le rapporteur avait
préparé des questions, nous pouvons vous les laisser et vous les
compléterez de façon écrite si vous voulez.
M. Claude HURIET, rapporteur. Je propose, pour que nous ne restions pas sur
notre faim, maintenant que chacun a pu s'exprimer, que je convienne, en accord
avec vous-mêmes et la commission, d'une audition avec Mme Biaggi pour que
je puisse poser les questions, que je n'ai pas pu poser maintenant.
Ces questions portent sur les dispositions de prévention des conflits,
le respect de la finalité du préavis, et aussi la position de
votre confédération sur des dispositions préventives
telles que celles qui ont été mises en place à la RATP. Il
faut convenir d'un autre rendez-vous afin qu'il ne soit pas dit que nous
n'aurons pas apporté réponse à vos questions, pas plus que
vous ne puissiez considérer que nous n'avons pas voulu apporter
réponse à vos questions. Je souhaite donc que le dialogue se
poursuive dans les jours qui viennent.
M. Jean DELANEAU, président. - Nous nous reverrons donc
ultérieurement.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Et dans le rapport de la commission, il va de
soi que les auditions, quelle que soit leur nature, apparaissent et qu'il n'y a
pas de rétention d'information.