B. LES DEUX ÉCUEILS
1. Déséquilibre financier ou alourdissement de la fiscalité ?
Comme
les recettes propres sont insuffisantes pour financer les investissements, le
recours à d'autres sources de financement s'impose.
On suppose que
les recettes tirées de la taxe de sécurité et de
sûreté sont affectées à d'autres missions que celle
de navigation aérienne, ce qui est conforme à la vocation de
cette taxe et au principe de financement de la navigation aérienne
résultant de la logique même du budget annexe. Il en
résulte que les besoins d'emprunts nécessaires à la
couverture des investissements de navigation aérienne sont
considérables et qu'ils absorbent une part importante de la
capacité d'emprunt du budget annexe telle qu'elle ressort des choix
opérés pour calibrer le recours à l'endettement
extérieur.
Ce phénomène d'insuffisance d'autofinancement des
crédits de la navigation aérienne contraint à retenir un
niveau d'autofinancement des opérations en capital résultant des
missions régaliennes
sensiblement élevé.
Compte tenu de l'évolution qui affecte la subvention versée par
le budget général et les autres recettes,
il est alors
nécessaire d'accroître considérablement le taux de la taxe
de sécurité et de sûreté qui devient la ressource
d'ajustement d'un budget annexe qui, sans elle, verrait son équilibre
financier sérieusement menacé.
2. Un alourdissement de la fiscalité affectée en question
La formule du budget annexe constitue une exception à la règle de non-affectation des recettes posée à l'article 18 de l'ordonnance n° 59-2 portant loi organique relative aux lois de finances. Ce même article dispose en effet que certaines recettes pouvant être directement affectées à certaines dépenses, ces affectations spéciales "prennent la forme de budgets annexes, de comptes spéciaux du Trésor ou de procédures comptables particulières au sein du budget général ou d'un budget annexe." Mais, l'accroissement de la fiscalité affectée au BAAC ainsi que celui des dépenses d'intérêt général qu'il retrace sont à l'origine de doutes quant à la pérennité même du BAAC.
a) Qu'est-ce qu'un budget annexe ?
L'article 20 dispose que "
les opérations financières de
services de l'Etat que la loi n'a pas dotés de la personnalité
morale et dont l'activité tend essentiellement à produire des
biens ou rendre des services
donnant lieu au paiement de prix, peuvent
faire l'objet de budgets annexes
."
La formule du budget annexe, exception aux principes d'universalité et
d'unité budgétaire et à son corollaire le principe de
non-affectation, permet donc
deux formes d'affectation distinctes
:
l'affectation directe de certaines recettes à certaines
dépenses ;
l'affectation par procédure particulière.
Cette deuxième catégorie d'affectation est
décidée par voie réglementaire dans les conditions
prévues à l'article 19 de l'ordonnance.
Ce dernier article
précise que
les procédures particulières d'affectation
sont la procédure de fonds de concours et la procédure de
rétablissement de crédits.
Des définitions précises de ces procédures sont
données à l'article 19. Elles encadrent et limitent les
procédures particulières d'affectation et, par conséquent,
l'entorse qu'elles apportent au principe général de
non-affectation des recettes. Il va de soi que l'actuelle taxe de
sécurité et de sûreté, comme d'ailleurs toute autre
taxe venant s'y substituer, n'entre pas dans ce cadre réservé, on
le sait, aux ressources non fiscales.
Un problème majeur avait été mis en
évidence par votre commission, celui de l'interprétation à
donner aux termes de l'article 21 de l'ordonnance organique.
Celui-ci précise que "
les budgets annexes comprennent, d'une part,
les recettes et les dépenses d'exploitation, d'autre part, les
dépenses d'investissement et les ressources spéciales
affectées à ces dépenses".
En fixant le contenu et la structure des opérations
budgétaires retracées par un budget annexe, il semblait que
l'article 21 jetait les principes à partir desquels on pouvait
définir le champ de l'affectation directe de recettes à certaines
dépenses ouvert par la formule du budget annexe.
Suivant cet article, deux types de ressources semblaient, seules,
pouvoir être affectées au BAAC : des ressources d'exploitation et
des ressources spéciales. Mais aucune définition explicite de ces
ressources n'étant donnée par le texte, il fallait tenter une
exploration de la logique particulière du budget annexe pour comprendre
ce que peuvent être ces ressources. Au terme de cette exploration, les
conclusions suivantes s'imposaient.
L'article 20 mentionné plus haut invite à considérer que
les recettes d'exploitation visées par l'article 21 sont les
recettes perçues en contrepartie de la tarification d'un prix
censé rémunérer l'exploitation du service rendu aux
bénéficiaires des prestations de la DGAC soit, pour l'essentiel,
les recettes tirées des redevances.
Cette interprétation est confortée par l'accolement des termes
"d'exploitation" au mot "recettes" alors que, pour le budget
général, le mot "recettes" n'est accompagné d'aucun
élément de précision. De plus, le texte concernant les
budgets annexes vise les "dépenses d'exploitation" là où,
pour le budget général, sont visées les dépenses
ordinaires.
On peut constater que le lexique des budgets annexes diffère donc de
celui du budget général et trouver cette situation logique dans
la mesure où les budgets annexes retracent les opérations
financières de services qui, par leur nature, offrent des prestations
"donnant lieu au paiement d'un prix", ce que ne fait pas le budget
général.
On peut conclure que les recettes d'exploitation du BAAC sont
principalement les redevances de navigation aérienne, d'autres
ressources tirées de l'exploitation entreprise par la DGAC pouvant y
être ajoutées comme des recettes issues des autres prestations de
service.
Dans cette acception, le concept de recettes d'exploitation diffère
profondément de celui de recettes de fonctionnement. Il s'agit en effet
d'un concept économique et non d'un concept purement comptable.
Cette lecture du texte de l'article 21 de l'ordonnance n'est pas la seule
mais elle paraît plus heureuse que celle qui considérerait comme
d'étroits synonymes les termes "recettes d'exploitation" et "recettes de
fonctionnement".
En effet, si cette dernière interprétation purement juridique
devait être privilégiée, les recettes d'exploitation ne
pourraient couvrir aucune des charges d'investissement du budget annexe.
Celles-ci devraient toutes être financées à partir des
"ressources spéciales" visées par l'article 21 de
l'ordonnance. Dans cette hypothèse, les deux sections du budget annexe,
la section d'exploitation et celle des opérations en capital, devraient
être, chacune, équilibrées par des recettes propres sans
possibilité de transfert d'une section à l'autre.
Mais, il s'ensuit que ni des recettes purement fiscales ni des ressources
d'emprunt ne sauraient être assimilées à des recettes
d'exploitation.
Par conséquent ces recettes ne pouvant être
considérées comme des recettes d'exploitation ne sauraient, au
terme de l'article 21 de l'ordonnance organique, couvrir les
dépenses d'exploitation du BAAC, c'est-à-dire les dépenses
liées à la mission de navigation aérienne alors que, dans
la réalité, elles y contribuent.
Le même écueil se retrouve du côté des
dépenses : que sont les dépenses d'exploitation du budget
annexe ?
L'article 21 de l'ordonnance distingue clairement les dépenses
d'exploitation des dépenses d'investissement pour indiquer quelles
dépenses peuvent figurer à un budget annexe
4(
*
)
.
Ce faisant, l'ordonnance apporte plus de confusion que de clarté
puisque la distinction qu'elle opère entre les dépenses
d'exploitation et les dépenses d'investissement donne à penser
que les charges d'investissement seraient à exclure du champ des
dépenses d'exploitation des prestations de navigation aérienne.
Dans cette hypothèse, les dépenses d'investissement devraient
n'être financées que par les ressources spéciales
qu'évoque l'ordonnance.
On sait bien qu'il n'en est rien -v. supra- et que, si les crédits
budgétaires d'investissement doivent être distingués des
dépenses d'exploitation, celles-ci sont néanmoins tributaires
pour partie des dépenses d'investissement.
En bref, la notion de dépenses d'exploitation devrait être
distinguée de celle de dépenses de fonctionnement : pour la
cerner, il faut ajouter aux dépenses de fonctionnement liées au
service offert aux usagers les charges des opérations en capital qui
concourent à rendre possible l'exploitation du service rendu aux
usagers.
Une autre interprétation qui retiendrait l'idée
d'équivalence entre dépenses d'exploitation et dépenses de
fonctionnement serait ruineuse pour le budget annexe. On sait que,
dans la
pratique, la part des recettes dites d'exploitation qui excède les
besoins de fonctionnement courant du BAAC, est virée en recette de la
section d'investissement. Si une conception des recettes d'exploitation tendant
à les assimiler aux recettes de fonctionnement courant devait
prévaloir les principes d'affectation posés par l'article 21 de
l'ordonnance devraient interdire cette pratique
qui reviendrait à
affecter à des dépenses d'investissement d'autres ressources que
les ressources spéciales mentionnées par l'ordonnance.
Face à une lecture purement juridique des budgets annexes,
l'interprétation juridique et économique qu'on propose de retenir
conduit à ceci que, les dépenses d'exploitation seraient
constituées de l'ensemble des coûts d'exploitation du service de
la navigation aérienne et les recettes d'exploitation, des redevances et
autres recettes directement tirées de l'exploitation du service.
Ce n'est pourtant pas cette voie qu'à suivie le Conseil Constitutionnel
dans sa décision sur la loi de finances pour 1998.
Par cette décision, le Conseil a affirmé le principe
d'universalité des budgets annexes. Il en a conclu que les ressources
fiscales affectées au budget annexe n'avaient pas à être
affectées à une dépense plutôt qu'à une autre
et qu'elles pouvaient ainsi sans contrarier la Constitution ni l'ordonnance
organique concourir aux conditions de l'équilibre général
du budget annexe.
On observera que cette décision a pour effet d'atténuer
considérablement la portée de l'article 21 de l'ordonnance
organique qui semblait, par dérogation aux principes rappelés par
le Conseil et à la règle de non affectation posée par
l'article 18 de la même ordonnance, articuler des règles
d'affection de recettes à certaines dépenses.
Il est bien possible que le Conseil en négligeant une disposition
spéciale au profit d'une référence à des
règles d'ordre général ait souhaité neutraliser un
article qui, à l'évidence, relève d'une conception un peu
vague et est entaché d'une rédaction plutôt floue et
ambiguë.
Il n'empêche que la décision du Conseil, simplificatrice, a pour
effet de réduire la spécificité des budgets annexes et, au
fond, d'atténuer également la portée de l'article 20 de
l'ordonnance.
Il sera sans doute utile à l'avenir d'apporter quelques
précisions au texte de l'article 21 de l'ordonnance
organique.
b) De quelques compromis peu satisfaisants
C'est peut-être parce qu'il a été conscient de ce
problème que le Conseil s'est attaché à commencer à
régler
une difficulté considérable sur le plan des
principes.
On sait que le budget annexe de l'aviation civile abrite des opérations
qui n'ont pas vocation à y être retracées et reçoit,
du coup, des financements qui ne devraient pas lui être affectés.
Ce problème lassant avait été perçu lorsque le
BANA
5(
*
)
avait
été transformé en BAAC.
Dans l'avis du Conseil d'Etat du 17 juillet 1990, la Haute
Assemblée avait considéré que :
"
Si, en revanche, les missions de la Direction Générale, en
ce qui concerne la sûreté des passagers dans les aéroports,
ne peuvent être regardés comme tendant à rendre des
services donnant lieu au paiement d'un prix, dès lors qu'en ce domaine
le législateur a créé la taxe définie à
l'article 302 Bis K du Code Général des Impôts, ces
activités ne représentent, du point de vue tant des moyens en
personnel que des charges financières,
qu'une part très faible
de l'ensemble de l'activité
de la direction générale
de l'aviation civile qui serait reprise dans le budget annexe ;
il s'ensuit
que, même en tenant compte de cette part des missions de la direction
générale les conditions définies à
l'article 20 resteraient remplies
; par suite, il est loisible au
législateur de créer un budget annexe pour les opérations
financières de la direction générale de l'aviation civile
correspondant à l'ensemble des missions ci-dessus rappelées et de
décider que les recettes correspondant au produit de la taxe de
sûreté sur les aéroports seront affectées à
ce budget".
Dès l'origine, l'avis du Conseil d'Etat pouvait ne pas emporter
complètement la conviction.
La Haute Assemblée se référait en effet à
l'article 20 de l'ordonnance et négligeait l'article 21.
Or, si son interprétation de l'article 20 peut satisfaire,
même si le choix de conférer à l'adverbe "essentiellement"
le sens de l'adverbe "principalement" plutôt que celui, plus
philosophique de "naturellement" peut être contesté,
le
défaut de référence à l'article 21,
décidément peu prisé par nos juristes, posait
problème
.
Comme aucune des dépenses régaliennes assumées par le
budget annexe ne peut être assimilée soit à une
dépense d'exploitation, soit à une dépense
d'investissement nécessaire à l'exploitation d'un service, ces
dépenses ne peuvent donc être retracées par le budget
annexe que moyennant "l'oubli" des dispositions de l'article 21 de
l'ordonnance.
Il y a sans doute une contradiction entre cet article 21 et
l'article 20 que le Conseil a alors choisi de résoudre en
privilégiant celui-ci plutôt que celui-là, comme le Conseil
Constitutionnel l'a, semble-t-il, plus récemment, fait. Ce compromis peu
satisfaisant n'a pas réglé toutes les difficultés.
Depuis, le problème est resté pendant et s'est trouvé
aggravé par l'ampleur prise par la part des dépenses
régaliennes dans le budget annexe et par celle du financement
trouvé dans les taxes affectées à ce budget.
Sur ce sujet, il faut souligner que, dans son avis, le Conseil d'Etat avait
considéré que ses observations ne pouvaient valoir que pour
autant que les activités autres que de prestations de service conservent
une place très faible dans l'ensemble de l'activité de la DGAC et
que, parallèlement, la taxe de sûreté procure une part
très faible des recettes du budget.
Votre rapporteur avait fait valoir que tel n'était plus le cas et
que, par conséquent, l'entorse au principe de non-affectation des
recettes pourrait bien dégénérer en une fracture du BAAC.
Il avait ajouté qu'on ne pourrait "sauver" l'affectation à
ce budget annexe des taxes qu'en considérant celles-ci comme appartenant
à la catégorie de ces ressources spéciales que vise
l'article 21 de l'ordonnance organique.
Mais, il avait précisé alors que son produit devrait être
affecté aux seules dépenses d'investissement -ce qui est loin
d'être le cas-, ce qui supposerait, au demeurant, que le budget annexe
puisse abriter des dépenses d'investissement conséquentes
destinées à autre chose qu'à l'exploitation d'un service
faisant l'objet de prestations donnant lieu au "paiement de prix".
La décision du Conseil constitutionnel sur la loi de finances pour 1998
allait globalement confirmer le bien-fondé des observations de votre
rapporteur en indiquant que, de la combinaison des articles 20 et 21 de
l'ordonnance organique, il résultait "
que, pour l'essentiel, les
recettes des budgets annexes doivent être constitués de
rémunérations pour services rendus et que la part des ressources
fiscales qui leur sont affectées doit demeurer réduite
". Le
Conseil devait conclure que tel était encore le cas.
Mais, le rappel
des principes a été compris par chacun comme une sorte de mise en
garde devant le renforcement d'un risque constitutionnel substantiel.