B. LE PROJET DE LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE NE PARVIENT PAS À RAMENER À L'ÉQUILIBRE LA BRANCHE VIEILLESSE DU RÉGIME GÉNÉRAL
Avant
les mesures prévues par le projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 1999, le déficit tendanciel de la
branche vieillesse du régime général devrait atteindre
5,98 milliards de francs.
Les mesures prévues dans la loi de financement de la
sécurité sociale pour 1999 affectent à la fois les
recettes et les dépenses du régime général.
Les dépenses sont accrues de 1,81 milliard de francs en raison du taux
de revalorisation des pensions choisi par le Gouvernement pour 1999 :
+ 1,2 %, soit 0,5 % de plus que ce qu'exigeait le maintien de
l'indexation sur les prix.
Le nouveau déficit s'établirait, sans recettes nouvelles,
à 7,79 milliards de francs.
Le projet de loi prévoit cependant 3,86 milliards de francs de recettes
nouvelles :
- 3,8 milliards de francs au titre d'un versement du Fonds de
solidarité vieillesse (FSV) ;
- 40 millions de francs résultant de la modification de
l'exonération de cotisations sociales patronales pour l'embauche d'un
premier salarié (article 4 du projet de loi) ;
- 20 millions de francs au titre des mesures de consolidation des
assiettes sociales (article 5).
Hors variation des produits et frais financiers, le déficit devrait
s'établir à 3,93 milliards de francs. Après variation
des produits et frais financiers, le déficit s'élèverait
en définitive à 3,87 milliards de francs.
1. La réduction du déficit du régime général : le résultat d'un versement exceptionnel du Fonds de solidarité vieillesse (FSV)
Pour
réduire de moitié le déficit tendanciel du régime
général et financer le " coup de pouce " de 0,5 %
accordé sur les pensions de retraite, le Gouvernement a choisi de faire
verser par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) une contribution de
3,8 milliards de francs.
Ce versement à la Caisse nationale d'assurance vieillesse des
travailleurs salariés (CNAVTS) comporte deux composantes :
- la prise en charge par le FSV, en application de l'article 3 du projet
de loi, d'une somme de 2,9 milliards de francs au titre de la prise en
charge des validations pour la retraite, dans les départements
d'outre-mer en 1994, 1995 et 1996, des périodes pendant lesquelles les
assurés au chômage ont bénéficié des
prestations versées par l'assurance chômage ;
- la prise en charge par le FSV, à hauteur de 900 millions de
francs, de la validation de nouveaux avantages non contributifs aujourd'hui
assumés par la CNAVTS. Il s'agirait d'une augmentation des effectifs de
chômeurs non indemnisés utilisés pour le calcul du
versement correspondant du FSV. Cette augmentation sera effectuée par
voie réglementaire
La prise en charge des périodes des chômeurs résidant dans
les DOM apparaît comme une opération de régularisation et
d'apurement du passé. L'exposé des motifs du projet de loi
rappelle que
" la prise en charge financière de la validation
pour la retraite des périodes non travaillées des chômeurs
inscrits à l'ASSEDIC est assurée par le FSV ".
Il précise en outre que
" les données utilisées au
départ ne tenant pas compte des chômeurs dans les DOM, le FSV n'a
pas effectué de versement à ce titre jusqu'en 1997. Depuis lors,
les données UNEDIC intégrant les DOM, les chômeurs des DOM
ont été pris en compte dans les règlements du
FSV. "
Le Gouvernement a donc fait le choix de présenter ce versement du FSV
à la CNAVTS comme un apurement à caractère essentiellement
technique visant
" à régler sur des bases juridiques
incontestées les sommes dues par le FSV au titre des chômeurs de
ces départements par un versement forfaitaire ".
Sans remettre en cause le montant arrêté de 2,9 milliards de
francs, on remarquera que cette évaluation repose sur des estimations
effectuées
ex post
qui comprennent
inévitablement une
part d'arbitraire
.
Le Fonds de solidarité vieillesse (FSV)
Le Fonds
de solidarité vieillesse, créé par la loi n° 93-936
du 22 juillet 1993, relative aux pensions de retraite et à la
sauvegarde de la protection sociale, a pour mission de prendre en charge les
avantages d'assurance vieillesse à caractère non contributif
relevant de la solidarité nationale.
A l'origine, la liste des avantages ainsi pris en charge comprenait l'ensemble
des prestations composant le minimum vieillesse et, pour le régime
général et les régimes alignés (c'est-à-dire
ceux des artisans, des commerçants et des salariés agricoles),
les majorations des pensions pour enfant ou conjoint à charge, ainsi que
la validation gratuite des périodes de service national, de
préretraite totale et de chômage indemnisé.
Le périmètre d'intervention du Fonds a ensuite été
élargi aux avantages suivants :
- réductions de durée d'assurance accordée aux
anciens combattants d'Afrique du Nord (AFN) (loi n° 95-5 du 3 janvier
1995) ;
- validation des périodes de perception de l'allocation de
préparation à la retraite propre aux anciens combattants d'AFN
(loi de finances pour 1995 n° 94-1162 du 29 décembre 1994) ;
- majorations pour enfant accordées par le régime des
exploitants agricoles (loi de finances pour 1996 n° 95-1396 du 30
décembre 1995) ;
- validation des périodes de chômage non indemnisé et
de convention de conversion (loi n° 95-116 du 4 février 1995).
Par ailleurs, les conditions de prise en charge du coût des validations
de périodes non cotisées ont été
améliorées par l'augmentation de 60 % à 90 % du
SMIC de l'assiette forfaitaire utilisée.
On notera également qu'un arrêté devrait très
prochainement augmenter la proportion des chômeurs non indemnisés
prise en compte pour valider les périodes correspondantes, proportion
qui est actuellement limitée à 23,5 % des effectifs. Le
coût de cette mesure est estimée à 900 millions de
francs par l'annexe f du projet de loi de financement de la
sécurité sociale.
Les recettes du FSV sont principalement constituées par le produit de
1,3 point de CSG. Le fonds perçoit également
l'intégralité des droits sur les boissons alcoolisées ou
non alcoolisées prévus par les articles 402 bis, 438, 406 A et
520 A du code général des impôts, une fraction des droits
de consommation sur les alcools prévus par l'article 403 du code
général des impôts ainsi que le produit de la taxe sur les
contributions des employeurs aux prestations de prévoyance
complémentaire instituée par l'ordonnance n° 96-51 du
24 janvier 1996, taxe dont la loi de financement de la sécurité
sociale pour 1998 a porté le taux de 6 % à 8 %.
On remarquera en outre que cette opération de régularisation
vient, d'une part, bien tard, d'autre part, fort à propos pour le
Gouvernement qui trouve là un artifice bienvenu pour réduire de
manière spectaculaire le déficit de la branche vieillesse en 1999.
Ce versement forfaitaire constitue une recette non renouvelable et un
expédient qui présente le caractère d'un pistolet à
un coup, et non un moyen de financement durable.
2. La revalorisation de 1,2 % des pensions de retraite en 1999 : une mesure généreuse et coûteuse
La loi
du 22 juillet 1993 relative aux pensions de retraite et à la sauvegarde
de la protection sociale a modifié les modalités de
revalorisation des pensions et des salaires portés au compte individuel.
Dans le régime général et les régimes
alignés (artisans, commerçants, professions industrielles,
salariés agricoles) ainsi que pour les exploitants agricoles, les
pensions ont été indexées sur les prix pour les exercices
allant de 1994 à 1998 inclus et revalorisées le 1
er
janvier de chaque année.
Il ne s'agissait cependant pas d'une mesure totalement nouvelle, puisque cette
indexation était, en pratique, appliquée depuis 1987.
Le dispositif de revalorisation instituée par la loi de 1993 se
composait de trois éléments :
- une revalorisation annuelle fixée en fonction d'un indice
d'évolution prévisionnelle des prix (hors tabac) ;
- un ajustement permettant de corriger un éventuel écart
entre le taux prévisionnel et le taux réel d'évolution
annuelle des prix (hors tabac) (ajustement " en niveau "). Cet
ajustement peut être positif ou négatif ;
- une compensation positive ou négative pour les assurés
titulaires, à la date de la revalorisation, d'un avantage de vieillesse
ou d'invalidité, correspondant à l'écart ainsi
constaté au titre de l'année précédente (ajustement
" en masse ").
Il était également prévu de procéder à un
ajustement au 1
er
janvier 1996 afin de faire
bénéficier les titulaires de pensions de vieillesse ou
d'invalidité des progrès de productivité, ce qui a en fait
été anticipé au 1
er
juillet 1995.
Au 1
er
janvier 1998, la revalorisation a ainsi été de
1,1 %. Ce taux comprenait une revalorisation provisionnelle de 1,3 %
au titre de 1998 et un rattrapage négatif de 0,2 % au titre de
1997, compte tenu de l'évolution des prix semblant se dessiner
(1,1 % au lieu de 1,3 % initialement prévu).
Or ce dispositif d'indexation mis en place par la loi du 22 juillet 1993
était provisoire : l'article 5 de la loi mentionne en effet que ces
dispositions sont applicables pendant cinq ans à compter du
1
er
janvier 1994.
Les dispositions de la loi de 1993 venant à échéance au 31
décembre 1998, il était nécessaire de définir les
modalités de revalorisation pour 1999 et les années suivantes.
Historique des revalorisations des pensions depuis 1990 : régime général, ARRCO, AGIRC, minimum vieillesse
|
Revalorisation des pensions du régime général (taux) |
Revalorisation des pensions du régime général en moyenne annuelle |
|
|
Evolution de la valeur du point Arrco en moyenne annuelle |
Evolution du point Agirc en moyenne annuelle |
1990 |
au 1/01 : 2,15 % |
3,35 % |
2,15 % |
3,4 % (1) |
4,11 % |
3,0 % |
|
au 1/07 : 1,3 % |
|
1,3 % |
|
|
|
1991 |
au 1/01 : 1,7 % |
2,85 % |
1,7 % |
3,2 % (1) |
3,72 % |
4,10 % |
|
au 1/07 : 0,8 % |
|
0,8 % |
|
|
|
1992 |
au 1/01 : 1 % |
2,3 % |
1,0 % |
2,2 % |
3,49 % |
2,90 % |
|
au 1/07 : 1,8 % |
|
1,8 % |
|
|
|
1993 |
au 1/01 : 1,3 % |
2,33 % |
1,3 % |
1,8 % |
2,14 % |
2,70 % |
1994 |
au 1/01 : 2 % |
1,94 % |
2,0 % |
1,4 % |
0,52 % |
0,0 % |
1995 |
au 1/01 : 1,2 % |
1,48 % |
1,2 % |
1,7 % |
0,8 % |
0,0 % |
|
au 1/07 : 0,5 % |
|
2,8 % |
|
|
|
1996 |
au 1/01 : 2 % |
2,23 % |
2,1 % |
1,9 % |
1,76 % |
1,50 % |
1997 |
au 1/01 : 1,2 % |
1,27 % |
1,2 % |
1,1 % |
0,6 % |
0,50 % |
1998 |
au 1/01 : 1,1 % |
1,11 % |
1,1 % |
1,3 % (P) |
1,1 % |
0,0 % |
(1)
Prix tabac compris
(P) Prévisions. Les nouvelles prévisions pour 1998 font
état d'un taux d'évolution de 0,8 % (source : rapport de la
commission des comptes de septembre 1998).
Deux options fondamentales s'offraient dès lors au Gouvernement :
- le maintien du système aujourd'hui en vigueur,
c'est-à-dire pour l'essentiel une indexation fondée sur
l'évolution des prix ;
- le choix d'une indexation sur l'évolution des salaires à
laquelle l'actuelle majorité s'était déclarée
favorable lors de la campagne électorale précédant les
élections législatives de mai 1997.
Le Gouvernement n'a pas véritablement tranché entre ces deux
options fondamentales.
La nouvelle rédaction de l'article L. 351-11 du code de la
sécurité sociale résultant de l'article 29 du projet de
loi ne porte que sur l'année 1999. Ce nouveau dispositif d'indexation
est provisoire,
" dans l'attente du diagnostic que doit établir
le Commissaire général du Plan en concertation avec les
partenaires sociaux et portant sur la situation de l'ensemble des
régimes de retraite "
, indique l'exposé des motifs de
l'article 29 du projet de loi.
Le Gouvernement a donc repoussé à une décision
ultérieure la définition d'un système d'indexation des
pensions applicable pour les prochaines années.
Il a fait le choix de revaloriser au 1
er
janvier 1999 les pensions
conformément au taux
prévisionnel
d'évolution en
moyenne annuelle des prix à la consommation hors tabac, prévu
dans le rapport économique, social et financier annexé au projet
de loi de finances, soit 1,2 %.
Cette revalorisation est donc bien supérieure à ce qu'aurait
exigé la simple reconduction du mécanisme d'indexation des
pensions instaurée par la loi du 22 juillet 1993. En effet,
l'application de ce mécanisme aurait conduit à procéder
à un rattrapage négatif pour compenser l'écart entre le
taux de l'inflation prévisionnelle qui a servi de base à la
revalorisation au 1
er
janvier 1998 (1,3 %) et l'inflation qui
devrait être effectivement constatée pour 1998 (0,8 %).
Ce choix du Gouvernement assure dès lors automatiquement un gain du
pouvoir d'achat de 0,5 % à l'ensemble des retraités au titre
de l'année 1998.
Pour l'année 1999, les éventuels gains ou pertes de pouvoirs
d'achat dépendront du taux d'inflation effectif constaté à
la fin de l'année. Il est cependant probable que l'année 1999 se
traduira par un nouveau gain de pouvoir d'achat pour les retraités, le
taux d'inflation prévisionnel affiché par le Gouvernement
(1,2 %) étant particulièrement élevé
5(
*
)
. Ce gain de pouvoir d'achat sera lui
aussi acquis définitivement, le nouveau dispositif de revalorisation
proposé par le Gouvernement ne prévoyant pas de
possibilité de rattrapage négatif.
Le coût du " coup de pouce " accordé en 1999
s'avère particulièrement élevé.
Il est
évalué par l'annexe C du projet de loi à
1,81 milliard de francs pour la seule branche vieillesse du régime
général.
Il se traduit également, pour le FSV, par un alourdissement des
dépenses de majoration de pension de 92 millions de francs et, le
Gouvernement ayant annoncé qu'une mesure similaire serait prise en
faveur du minimum vieillesse, de 88 millions de francs pour les
allocations aux personnes âgées, soit un total de
180 millions de francs de dépenses supplémentaires pour le
FSV.
Cette revalorisation de 0,5 % supérieure à ce qui aurait
résulté au 1
er
janvier 1999 de l'application de
la loi du 22 juillet 1993 affecte également les régimes dont les
pensions sont, en droit ou en fait, revalorisées dans les mêmes
conditions que celles du régime général.
Le surcoût induit par la revalorisation de 1,2 % est de 45 millions
de francs pour le régime des mines, de 70 millions de francs pour
l'ORGANIC, de 50 millions de francs pour la CANCAVA et de 10 millions de francs
pour la CNAVPL.
L'accroissement du besoin de financement de l'ORGANIC et de la CANCAVA
réduira d'autant l'excédent du compte de C3S disponible pour
alimenter le fonds de réserve.
Le coût pour le régime général -toutes branches
confondues- est en outre plus élevé dans la mesure où la
revalorisation des pensions entraîne -mécaniquement- la
revalorisation d'un certain nombre d'autres prestations dont l'évolution
est alignée sur celle des pensions (rentes d'accidents du travail,
pensions d'invalidité). Le surcoût de cette revalorisation est par
conséquent estimé à 120 millions de francs pour la
branche maladie et 150 millions de francs pour la branche accidents du
travail. Le coût total du " coup de pouce " de 0,5 % est
donc évalué à 2,080 milliards de francs pour le
régime général -toutes branches confondues.
Coûteuse en 1999, la mesure de revalorisation décidée par
le Gouvernement le sera également les années suivantes. Par un
effet de base habituel, la charge du régime général des
années à venir se trouve mécaniquement alourdie de plus de
2 milliards de francs.
Le Gouvernement a fait le choix de privilégier les retraités :
votre rapporteur en prend acte.
Votre rapporteur souligne cependant que si les pensions de retraite sont
revalorisées de 1,2 % en 1999, les prestations familiales ne le
seront quant à elles que de 0,71 %.
En effet, le Gouvernement a choisi, pour la deuxième année
consécutive, d'opérer sur l'évolution de la base mensuelle
des allocations familiales (BMAF), qui conditionne la progression de la plupart
des prestations familiales, le rattrapage négatif de 0,5 % qu'il
s'est refusé à appliquer aux pensions de retraite.
Les retraités conserveront donc le gain de pouvoir d'achat acquis au
titre de 1998, par les familles. Cette décision paraît d'autant
plus surprenante que la branche vieillesse sera déficitaire de
4 milliards de francs en 1999 tandis que la branche famille sera, elle,
excédentaire. Le Gouvernement donne un petit coup de pouce aux retraites
et accroît encore les dépenses d'une branche déficitaire ;
parallèlement, il refuse tout effort supplémentaire en faveur des
familles alors que la branche famille enregistre un excédent
important.