D. UN PROJET QUI A MAL VIEILLI
Projet trop ancien, élaboré dans un esprit qui a réduit la concertation à la portion congrue, le projet de canal n'a pas reçu tous les soutiens que ses promoteurs espéraient trouver lors de sa déclaration d'utilité publique.
1. Un projet trop ancien
Aux
dires de nombreuses personnalités auditionnées par votre
commission d'enquête, la lenteur avec laquelle le dossier
Rhin-Rhône a été géré explique son
échec : plus de vingt ans séparent les procédures
préalables à la déclaration d'utilité publique et
l'abrogation de cette dernière.
Tel qu'il était conçu, le projet de canal correspondait, grosso
modo, aux besoins du système de transport fluvial du début des
années 1970. Il s'ensuit que les options choisies à cette
époque ne répondaient plus aux évolutions du marché
du transport fluvial du XXIe siècle.
La perte de part de marché subie par le transport fluvial
entre
la fin des années 1970 et la fin des années 1990
a
considérablement diminué la rentabilité
prévisionnelle du projet de liaison à grand gabarit.
En 1980, la part de marché du transport fluvial par rapport au rail et
à la route (ou " part modale ") était
légèrement inférieure à 5 %. La
rentabilité du projet Rhin-Rhône s'avérait par
conséquent nettement plus élevée qu'en 1997. A cette date,
la part modale du transport fluvial a presque diminué de moitié
par rapport à 1978 et reste légèrement inférieure
à 3 %.
Sans nul doute, la régression tendancielle du transport par voie d'eau
fut accentuée par l'existence d'un " maillon manquant " entre
Rhin et Rhône. Réciproquement, la rentabilité
prévisionnelle de la voie fluviale à grand gabarit
calculée au début des années 1990 souffrait de
l'affaiblissement du transport fluvial par rapport aux autres modes. Le temps a
travaillé pour les adversaires de Rhin-Rhône : plus il passait
moins la liaison était rentable.
Les caractéristiques techniques du projet initial répondaient
aux besoins du début des années 1970.
Or, le transport
fluvial avait évolué depuis cette époque. Tel qu'il
résultait des travaux menés par la Compagnie Nationale du
Rhône (CNR) entre 1980 et 1993, le projet s'avérait
inadapté pour trois raisons principales :
- sa conception répondait aux nécessités du transport
de
matériaux pondéreux
, et ne prenait pas assez en compte
le développement prévisible du transport de
conteneurs
(qui nécessite un tirant d'air plus élevé) ;
- il n'accordait pas une place suffisante aux exigences de la
navigation de plaisance
car il était avant tout conçu pour
le
trafic commercial
;
- il ne prenait pas en considération la meilleure connaissance des
systèmes hydrauliques et la nécessité d'une
meilleure
gestion des crues et de l'étiage
.
Evoquée dans le rapport " Renié-Wallon ",
présenté en 1996 par l'Inspection générale des
finances et le Conseil général des Ponts et Chaussées, la
question de la gestion des eaux, avait fait l'objet d'études
approfondies qui soulignaient les limites du projet élaboré par
la CNR.
Examinant le projet de liaison à grand gabarit en 1995, le
Conseil
scientifique du Comité de bassin
Rhône-Méditerranée-Corse
estimait souhaitable de
compléter les études
sur l'état initial de
l'environnement
par une approche plus qualitative
afin de
mieux
définir les mesures compensatoires
.
S'agissant du fonctionnement hydraulique de la région empruntée
par la liaison Saône-Rhin, le Conseil scientifique considérait que
l'étude du système hydraulique antérieur à la
réalisation du projet et l'impact de ce dernier laissaient à
désirer, s'agissant en particulier de :
- l'incidence des crues concomitantes du Doubs, de la Loue et de la
Saône ;
- la gestion des débits d'étiage en cas de sécheresse
;
- l'impact du projet sur l'équilibre entre eaux de surface et eaux
souterraines ;
- la gestion des crues inondantes.
Un rapport du Conseil général des Ponts et Chaussées
publié en avril 1996, présentant des
éléments préliminaires d'évaluation de
l'incidence de la liaison fluviale Saône-Rhin au regard des enjeux de la
loi sur l'eau
, formulait trois réserves vis-à-vis du projet,
dans le droit fil des analyses du Conseil scientifique du Comité de
bassin précité.
Il soulignait, en premier lieu, que la liaison se traduisait par une
"
perte écosystémique et patrimoniale
" en ce
qui concernait les
écosystèmes aquatiques
. Cette perte
-
non compensable
- provenait du bouleversement occasionné par
l'aménagement d'une rivière rapide qui limitait la
diversité des biocénoses
13(
*
)
aquatiques, et conduisait à une
"
banalisation du patrimoine hydrographique initial
".
Il considérait, en second lieu, que loin de garantir contre toute
pollution, le projet "
constituait, par sa conception
, un risque
d'aggravation des manifestations de la pollution
par
l'eutrophisation
14(
*
)
et les
toxiques
".
Il jugeait enfin que l'ouvrage était susceptible
d'aggraver les
conséquences des inondations
dans tout le secteur du Doubs aval, de
la Saône amont, ainsi qu'en aval de leur confluence. Il recommandait, en
conséquence, "
l'examen de scénarios diversifiés
de genèse et de transfert des crues de la Saône, du Doubs et de la
Loue
", ainsi que "
la formulation de règles de gestion
des crues
".
Au total, le rapport préconisait une "
remise à plat
généralisée du projet
".