1. Les prévisions de trafic
L'analyse de l'OEST réalisée en 1987
Dans une note publiée en 1987, l'Observatoire économique et
statistique des transports a présenté une critique des
prévisions élaborées par la CNR. Pour le service du
Ministère de l'Équipement, la liaison Saône-Rhin
était : "
Un projet trop coûteux au regard des
alternatives d'investissements possibles à long terme ".
Il
concurrençait les réseaux existants "
sans que les
transferts modaux soient assurés, ni que ces transferts conduisent
réellement à une réduction des coûts globaux
d'acheminement pour la collectivité ".
Il "
ne
bénéficiait pas aux agents nationaux même à terme,
et constituait un transfert net vers des pays limitrophes sans que sa
rentabilité soit elle-même garantie sur le plan
communautaire
".
Tout en soulignant que son appréciation "
découlait
essentiellement du constat de non-rentabilité économique du
projet Rhin-Rhône compris comme une opération isolée et ne
préjugeait pas celle de la création d'un réseau national
à grand gabarit
", l'étude de l'OEST évaluait le
transfert de trafic à moins de 3 milliards de
tonnes/kilomètres dont 2 milliards provenant du rail.
En valorisant, sur la base d'un taux d'actualisation de 8 % les avantages
liés à ce transfert, compte tenu d'un investissement total alors
estimé à 9,3 milliards de francs, l'étude estimait le
déficit global de l'opération entre 6,6 et 8 milliards de
francs selon que l'on examinait cette perte au niveau de la France seule ou
à l'échelon européen.
Pour la France, la perte avoisinait 8 milliards de francs. Le gain pour
les Etats voisins étant estimé à 1,3 milliard de
francs, le déficit total de l'opération approchait
6,6 milliards de francs pour tous les pays concernés.
Ces estimations sont reproduites dans le tableau ci-dessous.
SOLDES DES GAINS ET PERTES PAR ACTEURS
en millions de francs 1987
ACTEURS |
FRANCE
|
ÉTRANGER
|
TOTAL TOUS PAYS (1 + 2) |
Chargeurs/consommateurs |
996 |
996 |
1.992 |
Compagnies de navigation/Bateliers |
586 |
586 |
1.172 |
Chemins de fer |
- 290 |
- 290 |
- 580 |
Transporteurs routiers |
- 23 |
- 23 |
- 46 |
État |
80 |
80 |
160 |
CNR |
- 9.320 |
0 |
- 9.320 |
Compagnies routières |
- 26 |
0 |
- 26 |
TOTAL |
- 7.996 |
1.349 |
- 6.647 |
Source : Ministère de l'Equipement, OEST.
L'OEST expliquait ce résultat par l'existence d'importants coûts
fixes sur les réseaux concurrents qui "
ne permettait pas
d'espérer une réduction des coûts globaux d'acheminement
sur la liaison
". En clair : le projet bénéficiait aux
Etats voisins, et concurrençait le rail.
L'étude NEA de 1993 et les critiques émises à son
encontre par le Conseil général des Ponts et Chaussées
A la demande de la CNR, le bureau d'études néerlandais NEA a
réalisé, en 1993, une volumineuse étude
6(
*
)
dont il ressort qu'en tablant sur un
doublement du gisement du trafic entre 1990 et 2010 de 100 à
200 millions de tonnes, la circulation sur la liaison Saône-Rhin
pourrait atteindre en 2010 :
- de 11 à 13 millions de tonnes ;
- de 7,1 à 8,6 millions de tonnes/kilomètre.
Comme le souligne le rapport rédigé pour la 4e section du Conseil
général des Ponts et Chaussées (CGPC) à la demande
du directeur des transports terrestres, les prévisions de NEA reprises
par la CNR dépassent très largement celles
élaborées par l'OEST sept ans plus tôt. Ce service du
ministère des transports chiffrait, en effet, entre 2,2 et
3,2 milliards de tonnes/kilomètre le trafic fluvial à
l'ouverture de la liaison Saône-Rhin, alors prévue pour 2005.
Le même rapport du CGPC rappelait, en outre, que sur le Rhône et la
Saône à grand gabarit le trafic fluvial ne dépassait pas
1,4 million de tonnes depuis 1980 ce qui rendait peu vraisemblable
l'estimation avancée par NEA.
Aussi le CGPC estimait que les évaluations du cabinet néerlandais
étaient à la fois "
incertaines, extrêmement
optimistes et aléatoires
". Il soulignait que le modèle
utilisé par NEA fonctionnait comme une " boîte noire "
du fait d'un "
cheminement des calculs obscur
" et de la
fixation de certains paramètres de façon arbitraire. Il relevait
également que les hypothèses de croissance s'avéraient
trop optimistes car elles tablaient sur un quadruplement du trafic fluvial, ce
dont on pouvait douter s'agissant d'un flux principalement constitué de
pondéreux.
Le CGPC exprimait des réserves sur la substituabilité des modes
de transport. Il notait que : "
le report de trafic de la route ou du
fer à la voie d'eau n'est pas automatique : il suppose que soient
surmontés les principaux handicaps du transport fluvial, ce qui implique
toute une série de mesures sur lesquelles l'étude NEA
renchérit sans pour autant conclure sur les dispositions à
prendre
. " Il soulignait enfin que le taux de rentabilité
économique et social évalué entre 10,4 et 11,1 % pour
" Rhin-Rhône " "
ne pouvait être
sérieusement pris en considération en raison des imperfections de
la méthodologie, de la surestimation du coût des transports
routiers qui faussent considérablement l'évaluation de l'avantage
apporté par la voie d'eau et de la surestimation du trafic attendu [...]
particulièrement sensible pour Rhin-Rhône
". Il estimait
enfin que l'impact du canal sur la congestion routière serait
" très limité ".
Le coût prévisionnel du canal fit également l'objet
d'évaluations divergentes.