PREMIÈRE PARTIE -
LAISSONS UNE CHANCE À LA VOIE
D'EAU
Dans le
cadre des engagements pris lors de la campagne électorale du
printemps 1997, au travers de l'accord politique avec les Verts, le
Premier Ministre a abrogé, le 30 octobre dernier, la
déclaration d'utilité publique (DUP) de la liaison fluviale
" Saône-Rhin " entre Laperrière (Côte d'Or) et le
grand canal d'Alsace à Niffer (Haut-Rhin). Cette DUP, signée en
1978 et renouvelée dix ans plus tard, venait à
échéance le 30 juin 1998.
L'abandon du projet de ce qu'il est convenu d'appeler le " canal
Rhin-Rhône " pose avec acuité le problème des
relations commerciales entre bassin rhénan, couloir rhodanien et
Méditerranée occidentale. En effet, depuis l'achèvement
des travaux de mise à grand gabarit du Rhône et de la Saône,
la France dispose d'un axe fluvial continu de près de
520 kilomètres, accessible aux navires de 1.500 tonnes entre
Marseille et la Bourgogne. Cet axe est interrompu au confluent de la
Saône et du Doubs à la hauteur de
Laperrière-sur-Saône. A cet endroit, les plus gros navires ne
peuvent emprunter en direction du nord-est ni le Doubs ni le canal Freycinet
dont le gabarit ne dépasse pas 649 tonnes (classe 1 et 2).
L'aménagement de 169 kilomètres de rivières entre
Laperrière et Niffer aurait permis d'établir une communication
directe, accessible aux plus grands des navires actuellement en circulation
entre le Rhône et le Rhin.
Afin de franchir le relief qui sépare l'Alsace de la
Franche-Comté (la ligne de partage des eaux culmine au nord de
Montbéliard), d'importants travaux de terrassement étaient
nécessaires. Pour compenser la dénivellation
(106 mètres sur le versant alsacien et 158 mètres sur
le versant franc-comtois), il fallait créer 23 biefs
séparés par 24 écluses d'une longueur de
190 mètres et d'une hauteur maximale de chute de
24 mètres. La gestion du débit des eaux nécessitait,
en outre, la construction de 15 barrages tandis que le franchissement de
l'ouvrage par les piétons, les voitures et les trains supposait
l'édification de plus de 100 ponts et passerelles. Au total,
75 millions de tonnes de matériaux auraient été
extraites du chantier en une quinzaine d'années.
La liaison aurait eu un impact majeur sur l'environnement et le cadre de vie
car elle empruntait la vallée du Doubs, traversait les
agglomérations de Mulhouse, Montbéliard, Besançon et
Dôle, passait à proximité de 33 sites classés
ou inscrits, 36 monuments historiques et 196 sites
archéologiques.
Une fois en service, la voie d'eau à grand gabarit aurait permis
à des navires automoteurs de 2.000 tonnes et à des convois
poussés de 4.400 tonnes de se rendre en quatre jours de Niffer, sur
le grand canal d'Alsace, à Port-Saint-Louis, au débouché
du delta du Rhône.
Si l'essentiel des études préalables au projet de voie d'eau
à grand gabarit ont été réalisées par la
Compagnie nationale du Rhône, sa construction fut confiée à
la Société pour la Réalisation de la liaison fluviale
Saône-Rhin.
Depuis sa création,
la
Compagnie nationale du Rhône
(CNR) est le concessionnaire
des travaux d'aménagement du
fleuve
(production d'électricité, navigation et
agriculture
3(
*
)
). La loi
n° 80-3 du 3 janvier 1980 lui a expressément
confié, outre la construction de la liaison Saône-Rhin à
grand gabarit, l'exploitation et l'entretien de l'ensemble de la liaison
fluviale du Rhône au Rhin.
La
Société pour la Réalisation de la liaison fluviale
Saône-Rhin ou SORELIF
4(
*
)
a, quant à elle, reçu aux
termes de l'article 35 de la loi n° 95-115 du
4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le
développement du territoire, la délégation de la
maîtrise d'ouvrage des travaux. A ce titre,
elle était
chargée de la construction de l'ouvrage,
ultérieurement
exploité par la CNR.
L'article 36 de la loi n° 95-115 du
4 février 1995 d'orientation précitée a
prévu que le
financement
des travaux de construction
effectués par la SORELIF
serait
principalement
assuré
par EDF
, au titre de la mise à disposition de l'énergie
produite par les installations hydroélectriques situées sur le
Rhône. Le système de financement choisi par le législateur
ne grevait donc pas le budget de l'Etat. Le même texte -toujours en
vigueur- prévoit également que l'ensemble des travaux devait
être achevé au plus tard en 2010.
La décision d'abandonner le projet Rhin-Rhône est intervenue au
moment où celui-ci était en passe de débuter,
malgré les oppositions dont il faisait l'objet. Peu de projets
d'infrastructure ont suscité autant de polémiques à cause
des transformations écologiques -réelles ou supposées-
qu'ils étaient susceptibles d'entraîner. " Maillon
manquant " entre la mer du Nord et la Méditerranée pour les
uns, " projet pharaonique " et gouffre financier pour les autres, ce
dossier mérite d'être réouvert. Nul n'a examiné les
conséquences de son abandon sur le moyen terme, dans la perspective de
l'unification européenne.
En effet, actuellement plusieurs de nos voisins européens misent sur le
développement de la voie d'eau.
L'Allemagne qui a d'ores et déjà mis en service le canal Main
Danube auquel est consacrée une annexe du présent rapport, va
réaliser d'importants investissements sur le Mittellandkanal qui
traverse le pays d'Ouest en Est et permet de relier Hanovre et Berlin à
la Pologne. Le coût total des travaux réalisés sur les
283 kilomètres de voies navigables avoisine 15 milliards de
francs. La réalisation de telles infrastructures ne peut laisser
indifférent à l'heure où certains prédisent
l'inéluctable déclin de la voie fluviale.
Lors d'une mission à Bruxelles, les membres de votre commission
d'enquête ont été frappés de constater que les
services de la Commission européenne prévoyaient un
développement du transport fluvial en Europe dans les années
à venir !
D'un point de vue plus général, l'abandon de la liaison
Saône-Rhin pose le problème du développement du transport
fluvial dans notre pays, à l'heure où l'on poursuit des
études sur les canaux " Seine-Nord " et
" Seine-Est ". Quels enseignements la politique fluviale
française peut-elle tirer de l'échec du projet de liaison
Rhin-Rhône ?
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