Rapport n° 364 - Propositon de résolution présentée en application de l'article 73 bis du règlement par M. James BORDAS
M. Michel SOUPLET, Sénateur
Commission des Affaires économiques et du Plan - Rapport n° 364 -1997-1998
- Tableau comparatif au format Acrobat
Table des matières
-
I. INTRODUCTION
- I. A. LA PROPOSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE TENDANT À MODIFIER LES PROCÉDURES ANTI-DUMPING APPLICABLES À LA RUSSIE ET À LA CHINE
- A. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION N° 334
- A. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
- PROPOSITION DE RÉSOLUTION
N° 364
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 1er avril 1998
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires économiques et du
Plan (1) sur la proposition de résolution présentée en
application de l'article 73 bis du règlement par M. James BORDAS
sur :
-- la communication de la Commission au Conseil et au Parlement
européen
relative au
traitement des anciens pays n'ayant pas
une économie de marché, dans les
procédures
anti-dumping
,
--
la proposition de règlement (CE) du Conseil
portant
modification du règlement (CE) n° 384/96 du Conseil relatif
à la défense contre les importations qui font l'objet d'un
dumping de la part de pays non membres de la Communauté
européenne
(E 1001),
Par M. Michel SOUPLET,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM. Jean
François-Poncet,
président
; Philippe François,
Henri Revol, Jean Huchon, Fernand Tardy, Gérard César, Louis
Minetti,
vice-présidents
; Georges Berchet, William Chervy,
Jean-Paul Émin, Louis Moinard,
secrétaires
; Louis
Althapé, Alphonse Arzel, Mme Janine Bardou, MM. Michel Barnier, Bernard
Barraux, Michel Bécot, Jean Besson, Jean Bizet, Marcel Bony, Jean Boyer,
Jacques Braconnier, Gérard Braun, Dominique Braye, Michel Charzat,
Marcel-Pierre Cleach, Roland Courteau, Désiré Debavelaere,
Gérard Delfau, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Rodolphe
Désiré, Michel Doublet, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard
Dussaut
,
Jean-Paul Emorine, Léon Fatous, Hilaire Flandre, Aubert
Garcia, François Gerbaud, Charles Ginésy, Jean Grandon, Francis
Grignon, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson,
Rémi Herment, Bernard Hugo, Bernard Joly, Gérard Larcher, Edmond
Lauret, Pierre Lefebvre, Jean-François Le Grand, Kléber
Malécot, Jacques de Menou, Louis Mercier, Jean-Baptiste Motroni,
Jean-Marc Pastor, Jean Pépin, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Bernard
Piras, Alain Pluchet, Jean Pourchet, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Paul
Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Roger Rigaudière, Roger
Rinchet, Jean-Jacques Robert, Jacques Rocca Serra, Josselin de Rohan,
Raymond Soucaret, Michel Souplet, Mme Odette Terrade, M. Henri Weber.
Voir le numéro
:
Sénat
:
334
(1997-1998).
|
|
Union européenne. |
I. INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
La Russie et la Chine sont encore considérés comme des
" pays à commerce d'Etat " dans la procédure
communautaire d'anti-dumping et se voient appliquer, par conséquent, un
traitement spécifique à cette catégorie de pays.
La subsistance de ce dernier dans la procédure anti-dumping constitue
l'un des principaux sujets de conflit entre l'Union européenne et ces
deux pays.
Soucieuse de préserver les intérêts européens sur
ces marchés potentiels, la Commission européenne propose aux
Etats membres de tenir compte de l'évolution de la Russie et de la Chine
vers l'économie de marché, en modifiant le règlement de
base sur l'anti-dumping de façon à les exclure de la liste des
pays à commerce d'Etat et à leur appliquer un dispositif
spécifique, plus proche de celui applicable aux pays à
économie de marché. Tel est l'objet de la communication de la
Commission et de la proposition de règlement figurant dans le document
E 1001.
Un tel assouplissement des procédures anti-dumping pourrait fragiliser
un certain nombre de secteurs industriels en Europe, d'autant plus qu'il
s'effectuerait sans contrepartie de la part des deux pays concernés.
Ce risque a justifié le dépôt par notre collègue M.
James Bordas, le 5 mars dernier, de la proposition de
résolution n° 334 sur cette proposition de règlement du
Conseil, assortie d'une communication de la Commission sur les
procédures anti-dumping, en application de l'article 73 bis du
Règlement du Sénat.
Précisons que les Etats membres apparaissent très partagés
sur cette proposition de la Commission. Si l'Allemagne, les Pays-Bas, la
Suède, le Royaume-Uni et le Danemark sont favorables à une
libéralisation immédiate, la France, la Belgique, l'Italie, le
Portugal, l'Irlande, la Grèce, l'Autriche et l'Espagne estiment, quant
à eux, que les libéralisations successives accordées ou
proposées à ces pays n'ont été, jusqu'à
présent, suivies d'aucun effet. Une minorité de blocage a
d'ailleurs été réunie, liée à la menace
russe de contingenter les importations européennes de tapis,
menaçant ainsi une industrie importante pour la Belgique.
I. A. LA PROPOSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE TENDANT À MODIFIER LES PROCÉDURES ANTI-DUMPING APPLICABLES À LA RUSSIE ET À LA CHINE
Le droit anti-dumping de l'Union européenne
prévoit un traitement différencié des pays tiers, selon
qu'ils sont pourvus ou non d'une économie de marché. La
Commission européenne propose d'exclure la Russie et la Chine de la
liste des pays dépourvus d'économie de marché, afin de
leur appliquer un statut spécifique plus souple, et par
conséquent, selon elle, mieux adapté à l'évolution
de leurs économies.
L'adoption, en l'état, d'une telle proposition ne serait pas sans poser
de problèmes.
1. LES PROCÉDURES ANTI-DUMPING ACTUELLEMENT APPLICABLES AUX PAYS DÉPOURVUS D'ÉCONOMIE DE MARCHÉ
a) La détermination du " prix normal " des marchandises
Rappelons qu'il y a dumping lorsqu'un producteur vend des
marchandises sur un marché d'exportation à un prix
" anormal ", c'est-à-dire inférieur aux coûts de
la production locale.
Pour établir l'existence de pratiques de dumping, il est donc
nécessaire de comparer le prix pratiqué à un prix
considéré comme " normal ".
Le droit anti-dumping de l'Union européenne prévoit des
modalités de détermination de ce " prix normal "
différentes selon que le producteur concerné est établi
dans un pays à économie de marché ou dans un pays à
économie administrée :
- dans le premier cas, cette valeur est déterminée sur la
base des prix pratiqués sur le marché intérieur ;
- dans le second cas, c'est-à-dire dans les pays à commerce
d'Etat, on ne peut retenir une telle référence, en raison de la
distorsion importante induite par le contrôle très strict de
l'Etat et de l'absence de signaux éloquents émanant du
marché et reflétant les conditions de l'offre et de la demande.
Aussi, procède-t-on par
référence aux prix et
coûts pratiqués dans un pays tiers analogue, lui-même
doté d'une économie de marché
.
a) La détermination du droit anti-dumping
En vertu des procédures anti-dumping
européennes, le traitement appliqué aux pays dépourvus
d'une économie de marché diffère également de celui
accordé aux économies de marché sur la manière de
déterminer le droit anti-dumping. Dans ce dernier cas, des droits
individuels sont établis pour chaque exportateur alors que, dans le cas
d'un pays dépourvu d'une économie de marché, un
taux
moyen unique
est appliqué à toutes les importations en
provenance de ce pays.
L'impossibilité d'opérer une différenciation entre les
producteurs d'un pays dépourvu d'une économie de marché
tient au fait que tous les moyens de production et toutes les ressources
naturelles appartiennent à une seule entité, l'Etat. Toutes les
importations en provenance de ces pays sont donc considérées
comme le fait d'un seul et même producteur et l'application d'un taux
unique est indispensable afin d'éviter que les droits puissent
être éludés en faisant réaliser les exportations par
l'exportateur bénéficiant du taux du droit le plus faible.
La pratique actuelle de l'Union européenne autorise des
dérogations à cette règle générale lorsque
la situation économique des secteurs concernés le justifie
.
Des droits individuels peuvent donc être appliqués, dans des cas
exceptionnels, lorsqu'une société est en mesure de
démontrer son indépendance vis-à-vis de l'Etat, à
la condition que
huit critères
soient remplis. En mars 1997,
les règles administratives du traitement individuel ont
été révisées afin de les rendre plus souples. Pour
bénéficier d'un tel traitement, les exportateurs doivent
désormais répondre à cinq critères
de base,
une certaine liberté étant laissée à la Commission
pour les trois autres critères.
Ces dispositions particulières sont applicables aux 17 pays
figurant encore sur la liste des pays dits " à commerce
d'Etat " inscrite en annexe du règlement concernant le
régime applicable aux importations de certains pays tiers. Les pays
d'Europe centrale et orientale ont été rayés de cette
liste, l'Union européenne ayant ainsi souhaité reconnaître
leur transformation économique et les progrès
réalisés sur la voie de l'adhésion à l'Union. La
Russie et la Chine y figurent, en revanche, ainsi que l'Albanie,
l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie,
le Kazakhstan, la Corée du Nord, la Kirghizie, la Moldavie, la Mongolie,
le Tadjikistan, le Turkménistan, l'Ukraine, l'Ouzbékistan et le
Vietnam.
1. LA PROPOSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE TENDANT À CRÉER UN RÉGIME SPÉCIFIQUE POUR LA RUSSIE ET LA CHINE
a) Les motivations de la Commission européenne
La Commission européenne estime que la Russie et la
Chine ont définitivement tourné le dos à l'économie
centralisée.
Dans sa Communication au Conseil et au Parlement européen relative au
traitement des anciens pays n'ayant pas une économie de marché
dans les procédures anti-dumping -qui fait partie intégrante de
la proposition d'acte communautaire E 1001-, elle précise que
dans ces deux pays :
" la production n'est plus planifiée
à l'échelon central ; la plupart des restrictions frappant les
importations et les exportations ont été levées ; les prix
ont été grandement libéralisés ; la monnaie
nationale est devenue convertible s'agissant des paiements courants ; la
privatisation s'est accélérée et les entreprises
privées ont été encouragées. Parallèlement,
les structures juridiques et institutionnelles sont en voie de réforme
et de nouvelles lois fiscales et régimes budgétaires nouveaux
sont en cours d'élaboration.
Au niveau micro-économique, la structure des entreprises se modifie. A
côté des entreprises d'Etat encouragées à fusionner
et à se restructurer, on voit apparaître de nouvelles
sociétés indépendantes vis-à-vis de l'Etat et
opérant dans des conditions de concurrence sans cesse renforcées.
On observe un nombre croissant d'entreprises étrangères
opérant dans ces pays sur la base des principes de l'économie de
marché. Il va de soi qu'en ce qui concerne ces opérateurs, il est
possible de se référer de plus en plus à leurs prix et
à leurs coûts dans les enquêtes anti-dumping. "
La Commission européenne souhaite
,
en s'appuyant sur une
telle "
évaluation objective de la situation économique
en Russie et en Chine "
,
que soit reconnus les efforts ainsi
accomplis par ces deux pays pour transformer leur économie
et que
ceux-ci soient incités à poursuivre et à
accélérer leurs réformes. Elle estime, en outre, qu'une
telle mesure ne pourrait qu'encourager les autres pays figurant sur la liste
des pays à commerce d'Etat à entreprendre également des
réformes.
Il faut, par ailleurs, souligner les
pressions exercées par la
Russie
pour obtenir un assouplissement de la réglementation
anti-dumping de l'Union.
La Russie et la Chine étant d'importants partenaires commerciaux pour
cette dernière et représentant des marchés potentiels
énormes pour l'avenir, la Commission européenne incite les Etats
membres à accorder des concessions sur ce sujet sensible. Elle estime
que celles-ci ne seront pas de nature à affaiblir les instruments de
défense commerciale de l'Union, ceci d'autant plus que 1 %
seulement des importations en provenance de ces deux pays a été
concerné par les mesures anti-dumping adoptées dans l'Union
européenne en 1996.
En outre, la Commission souhaite ainsi mettre les règles anti-dumping
de l'Union en conformité avec la pratique de certains de nos principaux
partenaires commerciaux, tels que les Etats-Unis, l'Australie et le Canada.
Enfin, le commissaire en charge de la politique commerciale commune, Sir Leon
Brittan, n'a-t-il pas saisi ainsi une nouvelle occasion de tenter d'assouplir
les instruments communautaires de défense commerciale ?
a) Un régime spécifique plus souple
La Commission européenne reconnaît cependant
qu'il n'est pas aisé de déterminer avec précision le
niveau des réformes afin de décider si un pays a
évolué " suffisamment " pour justifier le
bénéfice du traitement appliqué aux économies de
marché. En outre, les résultats varient sensiblement selon les
secteurs.
Aussi propose-t-elle, non pas d'appliquer immédiatement à la
Russie et à la Chine le régime applicable aux pays à
économie de marché, mais d'instaurer à leur profit
un
régime transitoire spécifique
.
Il s'agirait
d'examiner, au cas par cas
, si toutes ou certaines
entreprises dans un secteur de ces pays opèrent dans des conditions
permettant d'établir le prix " normal " sur la base des prix
et coûts en vigueur sur le marché interne.
La décision de déterminer ou non le prix " normal "
à partir des prix et des coûts internes serait prise après
examen des cinq critères suivants :
- les décisions des entreprises concernant les prix et les
coûts des matières premières et la main-d'oeuvre, la
production et l'investissement sont arrêtées en tenant compte des
conditions du marché ;
- les entreprises utilisent un seul jeu de documents comptables conformes
aux normes internationales ;
- les coûts de production et la situation financière des
entreprises ne font l'objet d'aucune distorsion importante, induite par
l'ancien système d'économie planifiée (troc, paiement sous
la forme de compensation de dettes...) ;
- les entreprises nationales et étrangères
"
bénéficient de l'application raisonnable de lois
appropriées concernant la propriété et la
faillite
" :
- les opérations de change sont exécutées aux taux du
marché.
La charge de la preuve incomberait aux sociétés exportatrices.
Dans la mesure où il serait prouvé que les conditions du
marché prévalent, les données internes à ces deux
pays seraient utilisées.
Cependant, s'il s'avérait impossible de démontrer la
prédominance de conditions de marché, les données du pays
analogue continueraient à être utilisées. Toutefois, la
pratique du traitement de ce type de dossier par la Commission serait assouplie
sur les deux points suivants :
- la Commission procéderait systématiquement à une
enquête, en Russie et en Chine, afin de déterminer si la valeur
normale du pays analogue doit être ajustée pour tenir compte d'un
avantage comparatif que les producteurs russes ou chinois pourraient avoir par
rapport aux producteurs du pays analogue choisi. En effet, si les producteurs
russes ou chinois disposent d'un tel avantage comparatif, il est
justifié que le prix local soit inférieur à celui en
vigueur dans le pays analogue de référence ;
- pour le traitement individuel des exportateurs russes ou chinois, la
Commission continuerait à utiliser les huit critères actuellement
en vigueur, mais procéderait à une évaluation plus globale
du niveau d'indépendance d'une société sur la base de
l'ensemble des éléments, plutôt que d'exiger que chacun
d'entre eux soit entièrement satisfait dans tous les cas. L'objectif
principal de cette évaluation globale serait de déterminer s'il y
a ou non risque de contournement des droits.
Afin qu'un tel régime spécifique soit instauré, la
proposition de règlement du Conseil n° E 1001
prévoit de modifier le règlement (CE) n° 384/96 relatif
à la défense contre les importations qui font l'objet d'un
dumping de la part de pays non membres de la Communauté
européenne, afin, en résumé, de :
- mettre fin, pour la Russie et la Chine, à la qualification de
pays ne disposant pas d'une économie de marché ;
- autoriser, au cas par cas, une certaine souplesse de manière
à tenir compte, selon l'exposé des motifs de la proposition de
règlement, "
des situations caractérisées par la
prédominance avérée de conditions économiques de
marché
" ;
- instaurer une approche plus systématique du calcul du traitement
individuel et de l'avantage comparatif.
1. UNE PROPOSITION NON ACCEPTABLE EN L'ÉTAT
On ne peut que saluer l'ampleur des réformes
économiques engagées par la Russie et la Chine et on ne saurait
mettre en doute l'intention que manifestent leurs dirigeants à les
poursuivre. De surcroît, la France ne peut que souhaiter le
développement des échanges commerciaux entre l'Union
européenne et ces pays, dont les marchés potentiels
présentent effectivement des opportunités considérables
pour les entreprises européennes.
Il n'apparaît pas pour autant souhaitable d'adopter en l'état la
proposition de règlement du Conseil, qui semble appeler
trois
critiques
essentielles
:
- elle pourrait fragiliser un certain nombre de secteurs industriels en
Europe,
- d'autant que les concessions seraient accordées
unilatéralement ;
- enfin, la rédaction proposée apparaît insuffisamment
transparente quant à l'application de la procédure anti-dumping.
a) Le risque de fragiliser un certain nombre de secteurs industriels au sein de l'Union européenne
On l'a dit, l'impact des mesures anti-dumping adoptées
par l'Union européenne à l'encontre d'exportations russes ou
chinoises est assez limité. Il n'est pas pour autant
négligeable : au 31 décembre 1997, sur un total de
148 mesures instituant des droits provisoires ou définitifs au
motif de dumping, la Chine était au premier rang des décisions de
dumping avec 35 de ces mesures, devant la Russie, visée par 13 d'entre
elles.
En outre, elles concernent essentiellement des secteurs déjà en
situation difficile au sein de l'Union, tels que les produits chimiques de
base, la sidérurgie (menacée en particulier par le dumping
exercé par des entreprises russes) et les secteurs de la chaussure, la
petite maroquinerie et le textile (objets d'opérations de dumping de la
part d'entreprises chinoises).
Dans ce domaine, on ne peut donc se contenter de raisonner en termes globaux,
en négligeant le grave impact sectoriel des mesures envisagées.
Peut-on, en effet, prendre le risque de fragiliser encore davantage les
entreprises des secteurs évoqués, sachant de plus qu'elles sont
fortement pourvoyeuses d'emplois ?
Dans ces conditions, on peut s'interroger sur l'opportunité d'assouplir
le dispositif en vigueur, d'autant que, si les progrès
enregistrés vers l'économie de marché par la Russie et la
Chine sont réels, ils n'en sont pas moins inégaux selon les
secteurs et parfois fragiles.
a) Des concessions unilatérales
Il y a également lieu de s'interroger sur
l'opportunité d'accorder de nouvelles concessions à la Russie et
à la Chine sans aucune contrepartie de leur part.
D'après les informations fournies à votre rapporteur, il semble
même au contraire qu'en dépit de la libéralisation
progressive offerte du côté communautaire afin d'obtenir une
ouverture du marché russe, les entreprises européennes se
heurtent à des difficultés croissantes d'accès à ce
dernier.
Dernière illustration en date : la Russie menace, à l'heure
actuelle, de réduire ses importations belges de tapis de
65 millions de m² à 1 million de m².
Ne serait-il pas, par conséquent, logique d'établir un lien entre
l'adaptation des règles anti-dumping et l'accession de la Russie et de
la Chine à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC),
conformément aux termes de la déclaration de l'Union
européenne adoptée à l'occasion du dernier Conseil de
coopération entre l'Union et la Russie ?
a) Une insuffisante transparence de la procédure anti-dumping proposée
Il apparaît essentiel que la modification du
règlement de base sur l'anti-dumping n'introduise aucun
élément d'opacification de la procédure, qui pourrait se
révéler désastreux pour les entreprises françaises.
Au cours des dernières semaines de négociations à
Bruxelles, la France -appuyée par un certain nombre de pays- a, à
cet égard, obtenu quelques améliorations dans la rédaction
de la proposition.
Elle s'était notamment opposée à ce que les
cinq critères permettant de déterminer si les entreprises
russes ou chinoises opèrent dans des conditions de marché soient
purement et simplement renvoyées en annexe. Désormais, dans le
dernier état de sa rédaction, la proposition intègre ces
critères dans le corps même du texte.
Mais ce résultat est loin d'être suffisant. Un problème
majeur subsiste, en effet,
la rédaction étant insuffisamment
claire quant au caractère cumulatif de ces cinq critères
.
Il semble bien, en réalité, que la Commission se soit
ménagé une marge d'appréciation pour l'octroi de la
dérogation aux règles anti-dumping en faveur des entreprises
russes et chinoises.
A. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION N° 334
Cette proposition de résolution estime
" hautement contestable "
le dispositif proposé par
la
Commission européenne, jugeant que :
- la démarche de cette dernière est
prématurée ;
- les règles existantes permettent d'ores et déjà de
prendre en compte les progrès réalisés par les
opérateurs russes et chinois vers l'économie de
marché ;
- il ne semble pas opportun d'accorder des concessions unilatérales
sur les mesures anti-dumping sans contrepartie, notamment en termes
d'avancée des négociations pour la soumission de ces pays au
régime de l'OMC, d'autant plus que sous l'impulsion du commissaire
chargé des relations économiques extérieures, Sir Leon
Brittan, la Commission affiche l'ambition de restreindre le champ d'application
de la réglementation anti-dumping de l'Union et d'en assouplir une
rigueur déjà toute relative, la proposition E 1001 lui
apparaissant donc comme l'un des moyens d'atteindre cet objectif.
Pour ces raisons, la proposition de résolution :
- " se déclare favorable à la reconnaissance, par
l'Union, des progrès accomplis par la Russie et la Chine dans la
libéralisation de leur économie ;
- estime toutefois que la voie choisie par la Commission n'est pas
adaptée à la situation ; qu'à tout le moins, il
conviendrait d'obtenir de la Russie et de la Chine des contreparties en termes
d'application des règles du commerce international à l'avantage
qui leur est consenti ;
- demande en conséquence au Gouvernement de s'opposer à la
proposition E 1001 en l'état et d'obtenir le maintien d'un
dispositif anti-dumping cohérent et opérationnel indispensable
à l'application de règles commerciales loyales entre les
Etats ".
A. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
Votre commission vous propose d'adopter le texte
proposé par la proposition de résolution de M. James Bordas,
sous réserve d'une nouvelle rédaction des deux derniers
alinéas permettant d'en compléter le dispositif. Il s'agit de
demander au Gouvernement d'obtenir, si la proposition de règlement
devait être adoptée, outre les contreparties que prévoit la
proposition de résolution, que les cinq critères permettant
de déterminer si les entreprises opèrent dans des conditions
d'économie de marché soient réellement contraignants et
appliqués de façon cumulative
.
Cet élément est, certes, technique, mais il apparaît
fondamental ; à défaut, le dispositif anti-dumping n'aurait
pas véritablement de sens et laisserait une trop large place à
l'appréciation de la Commission européenne.
Enfin, votre commission souhaite que le Gouvernement obtienne une
évaluation de cette réforme des procédures anti-dumping
après deux ans d'application.
Il convient d'être très vigilant sur tous ces points, d'autant
plus que si une telle réforme était adoptée, il est
probable que d'autres pays figurant sur la liste des pays à commerce
d'Etat en demanderaient le bénéfice.
* *
*
Compte tenu de l'ensemble de ces observations, votre Commission des Affaires économiques a adopté la proposition de résolution ci-après .
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu la proposition d'acte communautaire E 1001,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Considérant que cette proposition a pour objet de retirer de la liste
des pays à commerce d'Etat la Russie et la Chine, pour l'application du
dispositif anti-dumping ; que cette modification, qui a pour objectif
d'encourager la poursuite du mouvement de modernisation des économies de
ces pays, semble prématurée, comme l'indiquent les multiples
dérogations prévues au profit de ces pays pour qu'ils
bénéficient d'un système spécifique
d'appréciation des coûts locaux de production ;
Considérant que le dispositif actuel d'anti-dumping autorise
déjà une appréciation individualisée des
producteurs correspondant au souhait affiché par la Commission à
l'appui de la présente proposition ;
Considérant qu'il s'agirait, en l'espèce, d'une concession
unilatérale de l'Union sans contrepartie de ces deux pays, notamment en
termes d'avancée des négociations pour leur soumission au
régime de l'OMC ;
Considérant que le dispositif anti-dumping européen est
déjà très peu contraignant ; qu'il n'est pas
justifié que l'Union se prive d'un instrument indispensable à la
protection de ses producteurs et industriels ;
Se déclare favorable à la reconnaissance, par l'Union, des
progrès accomplis par la Russie et la Chine dans la
libéralisation de leur économie ;
Estime toutefois que la voie choisie par la Commission n'est pas adaptée
à la situation et demande en conséquence au Gouvernement de
s'opposer à l'adoption de la proposition E 1001 en
l'état ;
Demande au Gouvernement d'obtenir à tout le moins :
- des contreparties de la part de la Russie et de la Chine, en termes
d'application des règles du commerce international, à
l'avantage qui leur serait consenti ;
- l'application cumulative des cinq critères prévus pour
déterminer si les entreprises opèrent dans des conditions
d'économie de marché ;
- une évaluation de la réforme après deux ans
d'application ;
- dans tous les cas, le maintien d'un dispositif anti-dumping
cohérent et opérationnel, indispensable à l'application de
règles commerciales loyales entre les Etats.