Rapport n° 279 - Décision de réduire à trente-cinq heures la durée hebdomadaire du travail crée en vertu d'une résolution adoptée par le Sénat le 11 décembre 1997
M. Jean Arthuis, Sénateur
Commission d'enquête chargée de recueillir des éléments d'information sur les conséquences de la décision de réduire à trente-cinq heures la durée hebdomadaire du travail - Rapport n° 279 - 1997-1998
Table des matières
- PRÉAMBULE
- AVANT-PROPOS
-
INTRODUCTION
-
I. LA RÉDUCTION IMPOSÉE DU TEMPS DE TRAVAIL EST UN PARI INTELLECTUEL
- A. L'IDÉE SELON LAQUELLE LA RÉDUCTION IMPOSÉE DU TEMPS DE TRAVAIL SERAIT CRÉATRICE D'EMPLOIS EST UNE VUE DE L'ESPRIT
- B. IL N'EST PAS POSSIBLE D'AFFIRMER QU'ELLE " VA " CRÉER DES EMPLOIS
-
II. CE PARI N'EST PAS RAISONNABLE, CAR BEAUCOUP TROP RISQUÉ
- A. TROP D'OBSTACLES FONT CRAINDRE QUE CE PARI NE SOIT PERDU D'AVANCE
- B. ON NE SPÉCULE PAS AVEC L'ESPOIR DES FRANÇAIS
- III. POUR IMPOSER SON PROJET, LE GOUVERNEMENT A PRIS DES LIBERTÉS AVEC LA VÉRITÉ AU NOM D'UNE VISION ÉTATISTE
-
I. LA RÉDUCTION IMPOSÉE DU TEMPS DE TRAVAIL EST UN PARI INTELLECTUEL
- CONCLUSION
- OBSERVATIONS DU GROUPE SOCIALISTE
- A N N E X E S
-
ANNEXE N° 1
-
COMPTE RENDU DE L'ENQUÊTE SUR PIÈCES ET SUR PLACE EFFECTUÉE LE LUNDI 5 JANVIER 1998 -
ANNEXE N° 2
-
ECHANGE DE LETTRES ENTRE LE PREMIER MINISTRE ET LE PRÉSIDENT DU SÉNAT -
ANNEXE N° 3
-
EXTRAITS DES " MAINS COURANTES " ET LISTES DES DOCUMENTS DEMANDÉS -
ANNEXE N° 4
-
NOTE DE LA DIRECTION DE LA PRÉVISION DU 6 MARS 1997 -
ANNEXE N° 5
-SYNTHÈSES DES ENQUÊTES -
ANNEXE N° 6
-
COMPTE RENDU DES AUDITIONS-
I. SÉANCE DU MERCREDI 7 JANVIER 1998
- A. AUDITION DE M. RAYMOND SOUBIE, PRÉSIDENT D'ALTÉDIA
- B. AUDITION DE M. JEAN-PHILIPPE COTIS, DIRECTEUR DE LA PRÉVISION AU MINISTÈRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
- C. AUDITION DE M. JEAN-PAUL FITOUSSI, DIRECTEUR DE L'OBSERVATOIRE FRANÇAIS DES CONJONCTURES ÉCONOMIQUES (OFCE)
- D. AUDITION DE M. JEAN MARIMBERT, DIRECTEUR DES RELATIONS DU TRAVAIL AU MINISTÈRE DE L'EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ
-
II. SÉANCE DU MARDI 13 JANVIER 1998
- A. AUDITION DE M. DANIEL GIRON, PRÉSIDENT DE L'UNION PROFESSIONNELLE ARTISANALE (UPA)
- B. AUDITION DE M. CLAUDE COMPANIE, DÉLÉGUÉ AU DÉPARTEMENT EMPLOI DE LA CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DE L'ENCADREMENT (CFE-CGC), ACCOMPAGNÉ D'UNE DE SES COLLABORATRICES, MLLE LAURENCE MATTHYS, CONSEILLER TECHNIQUE
- C. AUDITION DE M. JEAN-PAUL PROBST, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA CFTC
- D. AUDITION DE M. PIERRE GILSON, VICE-PRÉSIDENT DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES (CG-PME) ACCOMPAGNÉ PAR M. DOMINIQUE BARBEY, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL ET DE M. GEORGES TISSIÉ, DIRECTEUR DES AFFAIRES SOCIALES
- E. AUDITION DE M. DENIS KESSLER, VICE-PRÉSIDENT DU CONSEIL NATIONAL DU PATRONAT FRANÇAIS (CNPF) ET PRÉSIDENT DE SA COMMISSION ÉCONOMIQUE, ET DE M. GEORGES JOLLES, PRÉSIDENT DE SA COMMISSION SOCIALE
- F. AUDITION DE MM. JEAN-RENÉ MASSON, SECRÉTAIRE NATIONAL, GILBERT FOURNIER, SECRÉTAIRE CONFÉDÉRAL, MME CHRISTINE REFFET, SECRÉTAIRE CONFÉDÉRAL (CFDT)
- G. AUDITION DE M. JEAN-FRANÇOIS PERRAUD ET DE M. DANIEL PRADA, SECRÉTAIRES CONFÉDÉRAUX DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL (CGT)
-
III. SEANCE DU MERCREDI 14 JANVIER 1998
- A. AUDITION DE M. PIERRE CABANES, PRÉSIDENT DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'EMPLOI, DES REVENUS ET DES COÛTS (CSERC)
- B. AUDITION DE M. BERNARD BRUNHES, PRÉSIDENT DE BERNARD BRUNHES CONSULTANT
- C. AUDITION DE MME MICHÈLE BIAGGI, SECRÉTAIRE CONFÉDÉRAL DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL-FORCE OUVRIÈRE (CGT-FO), ACCOMPAGNÉE DE M. RENÉ VALLADON, SECRÉTAIRE CONFÉDÉRAL ET DE MME ISABELLE MUTEL, ASSISTANTE CONFÉDÉRALE
- D. TABLE RONDE ÉCONOMIQUE
-
IV. SÉANCE DU JEUDI 15 JANVIER 1998
- A. AUDITION DE M. MICHEL FREYCHE, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION FRANÇAISE DES BANQUES (AFB), DE M. PATRICE CAHART, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL, ET DE M. OLIVIER ROBERT DE MASSY, DIRECTEUR DES AFFAIRES SOCIALES
- B. AUDITION DE MM. CLAUDE COCHONNEAU, ADMINISTRATEUR DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES SYNDICATS D'EXPLOITANTS AGRICOLES (FNSEA) ET DE M. ARNOLD BRUM, CHEF DU SERVICE DES AFFAIRES SOCIALES
- C. AUDITION DE M. JEAN CATHERINE, REPRÉSENTANT DE L'ASSOCIATION NATIONALE DES DIRECTEURS ET CADRES DE LA FONCTION PERSONNEL (ANDCP)
-
V. SÉANCE DU MARDI 20 JANVIER 1998
- A. AUDITION DE M. BERNARD GEYMOND, DIRECTEUR DES RESSOURCES HUMAINES, DIRECTEUR DES RELATIONS ADMINISTRATIVES DU GROUPE VALEO
- B. AUDITION D'UNE DÉLÉGATION DE L'UNION DES FÉDÉRATIONS DE TRANSPORT (UFT) COMPOSÉE DE MM. PHILIPPE CHOUTET, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DE L'UFT, JEAN DE CHAUVERON, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DE LA CHAMBRE DES LOUEURS ET TRANSPORTEURS INDUSTRIELS (CLTI), RÉGIS DE FOUCAULD, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA CHAMBRE SYNDICALE DU DÉMÉNAGEMENT ET DENIS LESAGE, CONSEIL CENTRAL DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES TRANSPORTEURS DE VOYAGEURS (FNTV)
- C. AUDITION DE M. RENÉ CHABOD, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DES RESSOURCES HUMAINES DE L'AÉROSPATIALE
- VI. SÉANCE DU MERCREDI 21 JANVIER 1998
-
I. SÉANCE DU MERCREDI 7 JANVIER 1998
N° 279
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 5
février 1998
Dépôt publié au Journal officiel du 6 février 1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 10 février 1998
RAPPORT
de la commission d'enquête (1) chargée de recueillir des éléments d'information sur les conséquences financières, économiques et sociales de la décision de réduire à trente-cinq heures la durée hebdomadaire du travail , créée en vertu d'une résolution adoptée par le Sénat le 11 décembre 1997.
Président
M. Alain GOURNAC,
Rapporteur
M. Jean ARTHUIS,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de :
MM. Jean
Arthuis, Denis Badré, Michel Bécot, Marcel-Pierre Cleach, Mmes
Marie-Madeleine Dieulangard, Dinah Derycke, MM. Hubert Durand-Chastel, Guy
Fischer, Yann Gaillard, Paul Girod, Alain Gournac, Claude Huriet, André
Jourdain, Roland du Luart, Philippe Marini, Marc Massion, Daniel Percheron,
Jean-Jacques Robert, Bernard Seillier, Frank Serusclat, Louis Souvet.
Voir les numéros
:
Sénat
:
75
,
159
,
163
et T.A.
52
(1997-1998).
|
Travail. |
PRÉAMBULE
présenté par M. Alain GOURNAC, président
La commission d'enquête sur les conséquences de
la réduction à 35 heures hebdomadaires du temps de travail a
achevé ses travaux dans des délais records (quatre semaines),
après avoir rempli, de façon novatrice, la mission que lui avait
confiée le Sénat : si elle a, en effet, procédé
à 39 auditions, organisé un déplacement en province
pour se faire présenter une expérience concrète de
réduction du temps de travail, adressé 600 questionnaires
aux différentes chambres consulaires (chambres de commerce et
d'industrie, chambres des métiers, chambres d'agriculture), et
réuni autour d'une table ronde des experts du monde économique,
elle a aussi consulté les entreprises françaises par Internet,
multipliant ainsi de manière importante les sources d'information des
commissaires.
C'est dire qu'elle ne s'est jamais placée dans la perspective du rejet
a priori
du principe de réduction du temps de travail, mais a
voulu savoir ce qui se passerait en cas de réduction imposée et
uniforme de cette durée à 35 heures.
J'ai la conviction que notre commission d'enquête aura pu, de cette
façon, contribuer utilement à la réflexion de la
commission des Affaires sociales, à laquelle il appartient d'examiner le
texte dans tous ses détails et ses implications, ainsi qu'à celle
de tous nos collègues intéressés qui pourront puiser dans
notre rapport une partie de la matière nécessaire à
l'examen de cette difficile question.
Mais, au-delà de cette utilité immédiate, liée
à l'ordre du jour parlementaire et politique, j'ai le sentiment que nos
travaux nous ont rappelé combien dans notre société,
à l'aube du XXIème siècle, le travail était
essentiel à l'épanouissement de l'homme et de la femme, à
leur dignité, et au maintien de leur sens des responsabilités.
En effet, même si certains, la majorité de la commission
d'enquête, concluent à l'erreur économique et sociale des
35 heures imposées, tandis que d'autres y voient un défi
jamais tenté jusqu'alors, tous ses membres ont placé l'Homme au
coeur de leurs préoccupations.
Prenons garde que la réduction du temps de travail, ainsi
imposée, ne vienne dénaturer la relation de l'homme avec le
travail, en laissant accroire que le travail des uns est le chômage des
autres.
Au moment où l'Europe, avec l'euro, va pénétrer
concrètement dans nos foyers, nos commerces, nos entreprises, au moment
où le monde est à nos portes, ne serait-il pas
préférable de créer un environnement favorable au
développement de nouvelles activités, de favoriser les
initiatives, de nous libérer de contraintes injustifiées, et de
rendre ainsi obsolète toute idée de rationnement du travail.
Et si la réduction du temps de travail vient de surcroît, ce sera
au bénéfice de tous, de l'entreprise, source de richesses
partagées, des salariés, de leur vie familiale et sociale.
Au terme de ces quelques lignes, je voudrais remercier notre excellent
rapporteur, Jean Arthuis, qui a su, au travers de ses questions, guider notre
démarche.
Je voudrais aussi remercier tous nos collègues qui, même à
l'occasion de débats parfois un peu vifs, mais que je me suis
efforcé de garder sereins, ont enrichi nos réflexions de leurs
expériences et de leurs analyses.
Enfin, et surtout, je voudrais remercier toutes les personnes
auditionnées, économistes, experts, chefs d'entreprise, hauts
fonctionnaires, organisations syndicales ou professionnelles, qui se sont, sans
réticences, prêtés au cérémonial un peu
solennel d'une commission d'enquête pour nous faire part de leurs points
de vue, de leurs analyses ou de leurs expériences. Toutes nous ont
conforté dans l'idée que l'homme au travail reste un idéal
commun, qu'il nous appartient, au-delà de nos idées et de nos
projets politiques, de protéger et de développer.
Gardons-nous de prendre quelques initiatives qui viennent remettre en cause
cette valeur fondatrice de nos sociétés modernes.
AVANT-PROPOS
Le Gouvernement a déposé le 10 décembre
1997 un projet de loi sur la réduction de la durée hebdomadaire
légale du travail à 35 heures.
Ce projet de loi mérite une attention particulière dans la mesure
où il a pour objectif déclaré de créer des emplois
par " centaines de milliers " et d'améliorer les conditions
d'existence de nos concitoyens.
Mais il exige une attention encore plus soutenue, car au-delà de cet
objectif, il est au coeur d'un débat de société
avivé par la montée du chômage. Il va, en effet, changer la
vie quotidienne de millions de nos concitoyens et l'organisation de nos
entreprises. Il va également affecter les conditions de fonctionnement
de notre économie, à un moment de son histoire
particulièrement crucial : le passage à la monnaie unique sur
fond de mondialisation.
Pour examiner ce projet de loi, particulièrement important, le
Sénat a décidé le 11 décembre 1997 de créer
une commission d'enquête dont la mission est d'apporter des
éléments d'information sur les conséquences de cette
décision.
Cette commission d'enquête a commencé ses travaux alors que le
Gouvernement avait déjà déposé le projet de loi sur
le bureau de l'Assemblée nationale. Elle entend ainsi apporter une aide
à la formation des choix du législateur en éclairant la
commission permanente, normalement chargée de faire des propositions sur
le contenu normatif du texte, et à travers elle le Sénat, sur les
conséquences financières, économiques et sociales de la
décision.
Dans cette perspective, la commission d'enquête a utilisé les
pouvoirs qu'elle tient de l'ordonnance du 17 novembre 1958. Elle a
procédé à l'audition des personnes de son choix, et
effectué des contrôles sur pièce et sur place.
Par ailleurs, elle s'est efforcée d'enserrer ses travaux dans un horizon
temporel assez long pour être en mesure de comprendre, mais assez bref
pour faire oeuvre utile.
Dans ce laps de temps, la commission d'enquête a beaucoup consulté.
Elle a effectué de nombreuses auditions -sous serment- de hauts
fonctionnaires, de partenaires sociaux, d'économistes et de praticiens
du monde du travail et de l'entreprise, dont les procès-verbaux sont
consignés en annexe du présent rapport. Elle a organisé
une table ronde, une sorte de dispute intellectuelle entre les partisans et les
adversaires de cette décision. Elle a demandé à des
économistes étrangers venant de pays où la
réduction du temps de travail constitue une réalité
tangible, de venir l'éclairer sur les contraintes imposées par ce
choix.
Elle a envoyé des questionnaires, en France, aux organismes consulaires
(chambres de commerce et d'industrie, chambres des métiers, chambres
d'agriculture) et, à l'étranger, à nos attachés
d'ambassade. Elle a donné la parole, par le truchement du réseau
Internet, aux chefs d'entreprise et à tous ceux qui souhaitaient faire
connaître leur point de vue. Elle s'est également
déplacée en province pour voir, concrètement, comment
chacun vivait la réduction du travail au sein des entreprises. A ce
titre, elle s'est rendue à Amiens, visiter l'entreprise Whirlpool.
Enfin, utilisant ses pouvoirs d'enquête, elle s'est transportée au
ministère de l'économie et des finances ainsi qu'au
ministère de l'emploi et de la solidarité dans le but de
réunir les documents établis par les services de l'Etat qui
mettent en lumière les difficultés techniques (droit du travail,
droit des contrats...) et les implications chiffrées de cette
décision, notamment pour nos finances publiques.
Une partie de ces documents établis par les services -les seuls qu'elle
ait jamais demandés- lui a été communiquée, et le
secrétariat de la commission d'enquête les tient à la
disposition des sénateurs qui souhaiteraient en prendre lecture.
Mais l'accès à la plus grande partie de ces documents lui a
été refusé, notamment tous ceux concernant les
conséquences de cette décision pour les finances de l'Etat.
Le 6 janvier, M. le Premier ministre a écrit, dans une lettre
(reproduite en annexe au présent rapport) dont certains extraits ont
ensuite été rendus publics par le truchement du journal
"
Le Monde
", à M. le Président du Sénat,
que "
l'étude des conséquences éventuelles d'un
projet de loi déposé sur le bureau de l'une ou l'autre
assemblée ne saurait être, à l'évidence
regardée comme une enquête sur des " faits
déterminés "... (...) Ainsi, la création d'une
commission d'enquête, aux fins d'exercer un contrôle a priori sur
les conditions d'élaboration de la politique menée par le
Gouvernement et ses incidences éventuelles, non seulement constitue un
détournement de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, mais
encore affecte le déroulement normal de la procédure d'adoption
de la loi, tel qu'il est fixé par l'article 43 de la Constitution. Elle
est susceptible de mettre en cause l'exercice de la compétence reconnue
au Gouvernement pour déterminer et conduire la politique de la Nation,
et d'avoir, de ce fait, des incidences graves sur le fonctionnement des
pouvoirs publics. "
Dans son édition du 9 janvier dernier, le journal "
Le
Monde
" publiait un article intitulé "
Le Sénat
veut s'infiltrer dans les cabinets ministériels
".
Le 9 janvier, le Président du Sénat, M. René Monory, dans
une lettre adressée au Premier ministre, s'élevait vivement
contre l'interprétation restrictive donnée de l'article 6 de
l'ordonnance de 1958.
Le 20 janvier dernier, M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie s'est exprimé devant
la commission des finances de l'Assemblée nationale, en des termes
rapportés comme suit par le bulletin des commissions de cette
assemblée (bulletin n°2 p. 201) :
"
M. Dominique Strauss-Kahn a tout d'abord salué la
méthode retenue pour l'information de la commission des finances (de
l'Assemblée nationale), de bien meilleure qualité que
l'intrusion
pratiquée par d'autres instances dans les locaux de
son ministère
".
La commission d'enquête souhaite appeler l'attention du Sénat
et de nos concitoyens sur les points suivants :
1. La France est un Etat de droit et une démocratie
représentative.
Cela signifie que les règles du
fonctionnement régulier
des
pouvoirs publics et leurs
attributions respectives sont fixées par la règle de droit et non
par la seule volonté de la personne qui est
au
pouvoir. Faut-il
rappeler l'article 3 de notre Constitution selon lequel : "
La
souveraineté appartient au peuple qui l'exerce par ses
représentants et par la voie du référendum ; Aucune
section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice ; Le
suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions
déterminées par la Constitution. Il est toujours universel,
égal et secret. (...) ".
Dans ces conditions, le renversement
de perspectives opéré par le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie devant la commission des finances de
l'Assemblée nationale, et répercuté par le journal
"
Le Monde
", tendant à accréditer l'idée
que les membres de la commission d'enquête sénatoriale pratiquent
"
l'intrusion
" et cherchent à
"
s'infiltrer
" dans la préparation des projets du
Gouvernement, alors que ceux-ci ne font qu'utiliser les pouvoirs qui leur sont
conférés par les lois et règlements de la
République est proprement scandaleux. Cette présentation des
choses porte atteinte au fonctionnement normal de la démocratie
représentative en ce qu'elle marque un possible retour en force de la
raison d'Etat contre l'Etat de droit.
2. Les commissions d'enquête constituent une pièce
essentielle d'une démocratie représentative
, non pour mener
des opérations médiatiques, mais pour préserver le peuple
des risques d'abus de tout gouvernement. A cet égard, rappelons qu'en
application des dispositions combinées de l'article 6 de l'ordonnance du
17 novembre 1958 et de l'article 100 du Règlement du Sénat
ci-dessus évoqués, leurs travaux sont secrets et qu'il n'est pas
établi qu'une seule indiscrétion émanant de l'un
quelconque des membres de la commission ait été commise. Le
bureau de la commission d'enquête n'a donc informé à aucun
moment la presse des contrôles sur pièces et sur place qu'il
entendait effectuer et n'a opposé que son silence face aux
polémiques lancées par le Gouvernement.
3. Il n'appartient pas au Premier ministre de se prononcer sur
l'exercice des pouvoirs des commissions d'enquête au regard de la
séparation des pouvoirs et encore moins sur la légitimité
du vote de l'assemblée qui décide de créer ces
commissions, en l'occurrence le vote exprimé par le Sénat le 11
décembre 1997
. Qu'en cas de doute sur les dispositions
combinées des textes fixant les pouvoirs des commissions
d'enquête, notre Constitution ne reconnaît qu'un seul arbitre : le
Président de la République qui, aux termes de l'article 5 :
"
veille au respect de la Constitution
" et
"
assure,
par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi
que la continuité de l'Etat. "
4. Qu'en tout état de cause, la création de la
présente commission d'enquête n'a pu affecter "
le
déroulement normal de la procédure d'adoption de la
loi
" pour la simple et bonne raison que les travaux de cette
commission d'enquête ont commencé alors que le projet de loi
était déjà déposé sur le bureau de
l'Assemblée nationale.
Cette commission s'est donc placée
dans une perspective
a posteriori
et non
a priori
comme cela
était son droit. Quand bien même se serait-elle placée
avant la décision, elle n'aurait pas entravé la conduite par le
Gouvernement de la politique de la Nation puisque recueillir des
éléments d'information n'est pas empêcher d'agir.
5. Enfin, qu'il est de la plus haute importance que nos concitoyens
puissent être informés des conséquences des
décisions prises par tout gouvernement
avant
qu'elles ne soient
définitives et non pas après. Ce n'est pas en se faisant le porte
étendard d'une technostructure toute puissante et sans contre-pouvoirs
que les ministres contribueront à sortir la France de la situation
délicate où elle se trouve, notamment au regard du
problème du chômage.
Au-delà de cette question, le refus du Gouvernement instille le doute
sur la solidité même des raisonnements et des évaluations
qui sous-tendent sa décision. Car que craint-on de la lumière
quand on n'a rien à cacher ?
La commission d'enquête chargée de recueillir des
éléments d'information sur les conséquences
financières, économiques et sociales de la décision de
réduire à 35 heures la durée hebdomadaire du travail
a, lors de sa première réunion, le 7 janvier 1998, fixé
son calendrier de travail de telle sorte que le rapport puisse être
publié, sans préjudice des dispositions du deuxième
alinéa du IV de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du
17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées
parlementaires, avant l'examen par la commission des affaires sociales du
projet de loi d'orientation et d'incitation relatif à la
réduction du temps de travail.
Elle a aussi adopté le protocole de publicité des auditions
suivant : publication d'un compte rendu au bulletin des commissions, sur
minitel et sur internet, annexe du procès verbal intégral au
rapport et, ponctuellement, ouverture des auditions à la presse et
enregistrements audiovisuels.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
La volonté du Gouvernement de promouvoir une réduction
générale et significative de la durée légale du
temps de travail procède d'un double constat.
Le premier, clairement affiché, est que la croissance ne suffit plus
à créer des emplois et qu'il faut donc faire "
autre
chose
" si on veut développer l'emploi. Cette autre chose est
précisément la réduction de la durée légale
hebdomadaire du travail. Cette démarche mérite d'être
saluée tant elle est novatrice. Comme le souligne, justement,
M. Jean Marimbert, directeur des relations du travail au ministère
de l'emploi et de la solidarité
1(
*
)
, ce
projet de loi rompt avec les précédentes réductions du
temps de travail qui avaient pour objectif soit la santé publique au
XIX
ème
siècle, soit l'amélioration des
conditions sociales par l'accroissement du temps libre, au milieu de ce
siècle.
Le second, implicite, est que l'Etat, dans le contexte actuel d'un passage
imminent à la monnaie unique, ne dispose plus d'une prise suffisante sur
les leviers de politique économique conjoncturelle susceptibles de
permettre une relance de la demande intérieure. D'autant plus que le
Gouvernement actuel a utilisé ses dernières marges de manoeuvre
en mettant en oeuvre les "
emplois-jeunes
" (40.000
en 1997,
150.000 prévus en 1998) qui constituent le second volet de sa politique
pour l'emploi.
Une "
autre politique
", en quelque sorte, est donc
nécessaire pour résoudre le problème du chômage.
C'est la réduction-réorganisation de la durée du temps de
travail, dont on peut penser qu'elle a été sinon
"
voulue
", du moins acceptée par nos concitoyens aux
dernières élections législatives.
Une fois la décision prise, la question s'est posée des
modalités. Deux options étaient envisageables : la voie
incitative, déjà empruntée par la précédente
majorité avec la loi " de Robien ", et celle de la
réduction obligatoire qui constitue, pour reprendre une formule de M.
Jean-Paul Fitoussi
2(
*
)
, "
un
continent
nouveau
" à ce jour encore inexploré, une
terra
incognita.
Il faut du reste admettre que cette comparaison avec le départ pour un
Nouveau Monde
a connu une pertinence renouvelée depuis que le
mouvement des chômeurs s'est emparé de ce thème. Mais,
fallait-il hâter le lancement du navire ? Fallait-il larguer les
amarres sans avoir vérifié que rien ne manquait à bord
pour tenter "
l'aventure
" ? Le Gouvernement a
décidé de se hâter lentement, avec ce calme fiévreux
qui précède toujours les décisions irréversibles.
L'absence d'accord au soir de la Conférence nationale pour l'emploi du
10 octobre dernier est venu à point nommé pour l'aider à
justifier sa décision : puisque les partenaires sociaux sont incapables
-ou peu désireux- de prendre les choses en main, il est donc naturel
qu'il fixe lui-même le cap, ou plutôt les caps successifs, puisque
la réduction du temps de travail sera d'abord incitée, puis
imposée.
La loi d'incitation et d'orientation qui nous est proposée comporte donc
deux éléments :
- un élément incitatif
: les entreprises qui mettront en
oeuvre la réduction du travail avant le butoir imposé par le
Gouvernement recevront une aide financière. C'est en quelque sorte une
loi " de Robien "
reprofilée
.
- un élément obligatoire :
en 2000 pour les entreprises de
plus de vingt salariés et en 2002 pour les autres, la durée
légale du travail sera ramenée à 35 heures par
semaine.
Mais avant d'explorer les conséquences de cette décision, encore
faut-il en souligner les multiples dimensions. On peut certes considérer
que le temps de travail est un levier utile pour développer l'emploi.
Mais il occupe, d'abord, une place centrale dans la relation entre l'homme et
la société. Le travail, le métier, ont été,
et sont encore, l'élément essentiel de l'insertion de l'homme et,
plus récemment, de la femme, dans la société ; c'est une
condition de leur dignité, de leur épanouissement... Le travail
n'est pas une damnation mais, pour rester humain, doit être intelligent
et libre. Tout travailleur est un créateur, quel que soit son statut,
travailleur indépendant, chef d'entreprise ou salarié.
Faudrait-il, dès lors, en conclure que la réduction du temps de
travail ne fait que traduire la perte de la valeur que notre
société confère au travail, au métier ? Donnant
ainsi raison au mouvement des chômeurs qui réclament moins un
emploi qu'un revenu ?
Ensuite, cette décision pose immanquablement la question de la place que
doit occuper l'Etat dans ce choix qui, semble-t-il, est avant tout personnel.
Il y a là, en effet, une relation complexe à élucider
entre le choix de l'individu et celui de l'Etat. Certes, pour des
métiers particulièrement pénibles, qui sont souvent aussi
- mais pas toujours - ceux où le salaire est bas, la
légitimité de l'intervention de l'Etat n'est guère
contestable. Il s'agit de fixer des limites dans un but qui, fondamentalement,
n'est pas très différent de celui que se fixait le
législateur du siècle dernier. Mais pour les autres, ceux qui
trouvent dans le travail une source d'épanouissement ? Faut-il la leur
interdire ?
Au demeurant, le concept même de temps de travail a-t-il encore un sens
et une utilité ? C'est, comme le verra le lecteur qui prendrait la peine
de lire les auditions annexées au présent rapport, une sorte de
fil rouge qui a guidé les travaux de la commission d'enquête.
Il importe donc d'analyser cette décision dans toutes ses dimensions, de
prendre au sérieux les arguments qui la fondent, d'en soupeser un par un
la valeur et d'essayer ainsi de contribuer à éclairer les choix
de notre Haute Assemblée, tant il vrai que la question de l'emploi est
trop sérieuse pour que l'on puisse s'en servir pour entretenir chez nos
concitoyens un espoir qui serait finalement irraisonné.
C'est dans cet état d'esprit que la commission d'enquête -voulue
par le Sénat- s'est efforcée de concentrer ses efforts sur la
seule question qui vaille
hic et nunc
: la réduction de la
durée légale hebdomadaire du travail telle que voulue par le
Gouvernement, c'est-à-dire obligatoire et
généralisée à tous les salariés du secteur
privé, est-elle capable de créer des emplois ?
En réponse à cette question, la commission d'enquête a pu
dresser un constat, qui l'a conduite à se poser deux questions.
Le constat est celui du pari :
les effets attendus de la
réduction de la durée légale du travail reposent sur une
construction, qualifiée par ses promoteurs d'intelligente, mais qui
n'est qu'intellectuelle. Pas plus l'histoire que la géographie ne
permettent d'affirmer que cela va marcher. En outre, les expériences
étrangères de réduction négociée et les
expériences de réduction incitée menées en France
ne sont d'aucun secours, car c'est une chose de constater la réduction
du temps de travail, c'en est une autre de la provoquer. La réduction
imposée n'est donc qu'une
spéculation, un pari intellectuel.
Dès lors qu'il s'agit d'un pari, une question vient immédiatement
à l'esprit : ce pari est-il raisonnable ?
Et s'il ne l'est pas, faut-il considérer qu'il est dicté par
l'esprit de système ?
I. LA RÉDUCTION IMPOSÉE DU TEMPS DE TRAVAIL EST UN PARI INTELLECTUEL
Depuis de nombreuses années, l'idée que la
réduction du temps de travail contribuerait à créer des
emplois et à lutter contre le chômage -ce qu'il faut bien appeler
le partage du travail- s'est largement diffusée dans la
société, comme si la quantité de travail offerte
était une donnée immuable.
Elle est même devenue un élément du débat
parlementaire avec l'article 39 de la loi quinquennale du
20 décembre 1993, puis avec la loi " de Robien "
du
11 juin 1996 qui réorganisait le dispositif de
l'article 39 pour le rendre plus efficace.
Naturellement, les économistes ont parallèlement travaillé
sur ce sujet. Et des chiffres, présentés comme le résultat
des simulations macro-économiques, ont commencé à
circuler. C'est ainsi qu'on a évoqué il y a quelques
années, le chiffre de 2 millions de créations d'emplois.
Depuis, les estimations se sont faites beaucoup plus modestes.
Mais l'idée avait pris corps, l'espoir de trouver là une des
solutions au chômage était né.
Malheureusement, passer de la théorie à la pratique n'est pas
aussi simple. C'est ce que semble avoir oublié le Gouvernement lorsqu'il
a repris à son compte cette idée. Car si les simulations
économiques montrent que la réduction du temps de travail peut
créer des emplois, elles montrent aussi qu'elle peut en détruire
et, parallèlement, dégrader l'environnement économique. En
effet, le résultat final dépend des agents économiques et
sociaux, et leurs décisions et leurs comportements, conscients ou
inconscients, ne se décrètent pas. Il y a donc là tous les
éléments d'un pari, dont le résultat, au stade de la
théorie, est tout à fait imprévisible.
Les développements qui vont suivre tendent à montrer qu'il n'y a
pas d'enseignements à tirer, en matière de création
d'emplois, des expériences menées ici et là. Ils visent
aussi à rappeler les conditions dans lesquelles sont
réalisées les simulations macro-économiques, et montrer
qu'elles peuvent aussi déboucher, suivant les hypothèses
entrées en machine, sur des scénarios catastrophes.
A. L'IDÉE SELON LAQUELLE LA RÉDUCTION IMPOSÉE DU TEMPS DE TRAVAIL SERAIT CRÉATRICE D'EMPLOIS EST UNE VUE DE L'ESPRIT
1. Il n'y a aucune corrélation à l'échelle internationale entre durée du travail et chômage.
a) Les comparaisons internationales de durée du travail
· Les comparaisons internationales de durée
du travail sont difficiles. En effet, il n'existe pas de définition
harmonisée au niveau international de la notion de durée du
travail, et les statistiques nationales sont établies de manière
différente.
En outre, les instituts statistiques nationaux éprouvent des
difficultés croissantes à appréhender et à mesurer
le temps de travail, parce que les durées effectives du travail sont de
plus en plus hétérogènes, aussi bien entre les individus,
qu'entre différentes périodes de l'année pour chaque
individu, et parce que les frontières entre travail et non-travail ont
tendance à se brouiller du fait du développement de la formation
continue, du travail en dehors des locaux de l'entreprise (par exemple l'audit
ou le conseil), de l'organisation du travail autour de projets, du travail
indépendant, du travail multi-employeurs, du télétravail,
etc., sans parler de l'économie parallèle.
Ces difficultés de définition et de mesure reflètent
d'ailleurs
le caractère quelque peu suranné de la notion de
durée hebdomadaire du travail
et la vanité d'une politique
qui voudrait faire de la durée légale hebdomadaire du travail un
levier efficace pour lutter contre le chômage.
· Sous ces réserves, il ressort des statistiques
recensées par l'OCDE ou par EUROSTAT qu'il n'y a
aucune
corrélation
à l'échelle internationale entre
durée du travail et chômage : les pays où la durée
du travail est faible ne connaissent pas de ce fait un moindre niveau de
chômage, et les pays où la durée du travail est
relativement élevée n'ont pas un taux de chômage plus
élevé, comme l'illustre le tableau ci-après.
Au contraire,
la durée effective annuelle du travail
,
c'est-à-dire la durée du travail sur l'année,
déduction faite des congés, des interruptions de la production,
de l'absentéisme, etc.,
est la plus élevée dans des
pays comme les Etats-Unis, le Japon, la Nouvelle-Zélande ou le
Royaume-Uni, où le taux de chômage est aujourd'hui très
faible
, grâce au dynamisme des créations d'emplois : au cours
des quinze dernières années, le nombre d'emplois s'est accru de
près de 29 % aux Etats-Unis, de 16 % au Japon,
de 14 % en Nouvelle-Zélande et de 10 % au
Royaume-Uni, contre seulement 3 % en France.
LA DURÉE ANNUELLE EFFECTIVE DU TRAVAIL
|
Durée annuelle effective
moyenne du travail par
salarié en 1995
(1)
|
Taux de chômage
|
Etats-Unis |
1 953 |
5,0 |
Japon |
1 909 |
3,2 |
Nouvelle-Zélande |
1 843 |
6,1 |
Espagne |
1 749 |
22,7 |
Royaume-Uni |
1 735 (2) |
7,4 |
Canada |
1 726 |
9,7 |
Italie |
1 682 |
12,1 |
Suisse |
1 583 |
4,7 |
France |
1 523 |
12,4 |
Allemagne |
1 509 |
10,3 |
Pays-Bas |
1 383 |
6,7 |
Sources : OCDE, Données nationales pour la Suisse et
l'Allemagne.
(1) Dernière donnée disponible.
(2) Durée annuelle effective moyenne du travail pour l'ensemble des
personnes ayant un emploi.
·
Dans le secteur des services, c'est-à-dire le secteur
où se trouvent la plupart des emplois de demain, il existe d'ailleurs un
lien évident entre durée du travail, création de richesses
et emploi
.
En effet, dans les services à haute valeur ajoutée comme la
formation, les services informatiques ou le conseil, les gains de
productivité sont réduits, même si la qualité
progresse, de sorte que la création de richesses et la
compétitivité des entreprises dépendent étroitement
de la durée du travail. De même, dans la recherche, par exemple la
recherche médicale, et plus généralement dans les
activités innovantes, des durées du travail élevées
en fin de projet sont souvent la clef du succès.
Par ailleurs, les employeurs et les salariés des services de
proximité, notamment des services d'aide à la personne, dont les
prestations sont décomptées en heures, sont confrontés
à un dilemme cornélien lorsque la durée effective du
travail est faible :
- ou bien les salaires horaires sont faibles et les revenus mensuels des
salariés concernés sont alors très réduits ;
- ou bien les salaires horaires sont élevés. Cela assure un
revenu décent aux salariés, mais augmente le coût des
prestations, ce qui réduit la demande -donc l'emploi- et favorise le
travail au noir, avec pour conséquence des coûts sociaux
élevés (absence de couverture en cas d'accident par exemple) et
une déperdition de ressources pour les finances publiques
3(
*
)
.
b) La France se singularise
En ce qui concerne la durée du travail, la France se
singularise déjà :
·
La durée effective annuelle du travail des
salariés est d'ores et déjà inférieure à la
moyenne des pays de l'OCDE
. Si elle devait être réduite de
10 %, elle serait, à 1.370 heures par an, la
plus faible au
monde
.
·
L'écart de durée du travail entre les
salariés et les travailleurs indépendants est en France l'un des
plus élevés au monde
4(
*
)
:
selon l'INSEE, la durée hebdomadaire habituelle des travailleurs
indépendants -agriculteurs exploitants, artisans, commerçants,
chefs d'entreprise et professions libérales- était
supérieure à 50 heures en 1995, tandis que celle des
salariés s'établissait en moyenne à 36,6 heures
- compte tenu des personnes à temps partiel parmi les
indépendants et les salariés -.
Au total, les indépendants travaillaient ainsi en moyenne près
de 40 % de plus que les salariés. Si la durée hebdomadaire
habituelle de travail des salariés était réduite de
10 %, les indépendants travailleraient moitié plus que les
salariés, au risque de créer une France à deux vitesses.
·
Le taux d'activité de la population active
,
c'est-à-dire la proportion des personnes âgées de 15
à 64 ans présentes sur le marché du travail,
est
inférieur en France à la moyenne des pays de l'OCDE
(67,1 % contre 70,1 % en 1996) et la France est l'un des rares pays
de l'OCDE où le taux d'activité se soit réduit depuis
1980
5(
*
)
.
Cette diminution du taux d'activité résulte d'une autre
singularité française :
la tendance au raccourcissement
de la vie active
, en raison notamment de l'abaissement de l'âge
légal de la retraite et du développement parfois abusif des
préretraites, avec le gâchis de compétences qui en
résulte. Selon la DARES
6(
*
)
, la
durée moyenne de la vie active s'est ainsi réduite de
40,9 ans en 1981 à 37,4 ans en 1996, alors même que
l'espérance de vie augmentait, ce qui met en péril
l'équilibre financier des régimes de retraite et contribue
à alourdir le poids des prélèvements sur le travail. Cette
échéance invite à la prudence.
Au total,
la durée moyenne effective de travail par personne en
âge de travailler est aujourd'hui en France l'une des plus faibles au
monde
:
DURÉE MOYENNE DU TRAVAIL PAR PERSONNE EN ÂGE DE TRAVAILLER
|
Durée effective annuelle du travail par personne en âge de travailler en 1995 |
Taux de chômage
|
Etats-Unis |
1 458 |
5,4 |
Japon |
1 408 |
3,3 |
Nouvelle-Zélande |
1 307 |
6,7 |
Royaume-Uni |
1 223 |
7,4 |
Canada |
1 182 |
9,7 |
Finlande |
1 089 |
16,3 |
Suède |
1 077 |
8,0 |
Allemagne |
1 014 |
10,3 |
France |
973 |
12,4 |
Pays-Bas |
896 (1) |
6,7 |
Italie |
861 |
12,1 |
Espagne |
856 (1) |
22,7 |
Source : Calculs d'après données OCDE.
(1) En approchant la durée moyenne du travail par celle des
salariés, ce qui peut conduire à une sous-estimation.
· De même, selon les calculs de la direction de la
prévision du ministère de l'économie et des finances, le
temps de travail sur l'ensemble de la vie est déjà très
faible en France, en particulier pour les hommes.
DURÉE DU TRAVAIL SUR L'ENSEMBLE DE LA VIE
|
Durée du travail
sur l'ensemble de la vie
|
Taux de
|
||
|
TOTAL |
Hommes |
Femmes |
en 1996, en % |
Japon |
71 123 |
- |
- |
3,3 |
Portugal |
62 800 |
77 999 |
49 244 |
7,3 |
Etats-Unis |
61 343 |
- |
- |
5,4 |
Danemark |
57 467 |
66 508 |
49 418 |
8,8 |
Royaume-Uni |
56 918 |
73 904 |
41 052 |
7,4 |
Allemagne |
51 642 |
64 578 |
38 429 |
10,3 |
France |
49 507 |
60 635 |
38 922 |
12,4 |
Pays-Bas |
45 218 |
61 622 |
30 195 |
6,7 |
Italie |
44 501 |
61 825 |
28 095 |
12,1 |
Espagne |
43 974 |
62 257 |
26 347 |
22,7 |
Belgique |
43 737 |
57 306 |
30 369 |
12,9 |
Sources : Estimations de la direction de la
prévision, OCDE.
· Enfin, la France se singularise encore à triple
titre :
- Comme l'indiquait à juste titre la fiche n° 06 bis relative
aux
" comparaisons internationales de la durée du
travail ",
remise par le Gouvernement aux partenaires sociaux le
3 octobre 1997, en préalable à la Conférence du
10 octobre : "
Seules la France et la Belgique ont une
durée hebdomadaire légale uniforme
".
" Dans beaucoup d'autres Etats membres [de l'Union européenne],
ce sont les conventions collectives qui déterminent la durée
pivot, le plus souvent au niveau de la branche, ce qui n'exclut pas qu'une
référence centrale y soit définie au niveau
interprofessionnel ",
et que la loi prévoit des durées
maximales. Enfin, dans certains pays, comme aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni,
il n'existe pas de normes légales pour la durée du travail, tout
se négociant au niveau des branches ou à l'échelon le plus
décentralisé, celui de l'entreprise.
- De plus, la durée hebdomadaire de référence est d'ores
et déjà très basse en France. Si la durée
légale du travail était réduite à 35 heures en
France, elle serait, de très loin, la plus faible au monde.
DURÉE " LÉGALE " DU TRAVAIL
|
Durée hebdomadaire
légale du travail
|
Etats-Unis |
pas de durée légale |
Royaume-Uni |
pas de durée légale |
Allemagne |
48 |
Irlande |
48 |
Italie |
48 |
Pays-Bas |
48 |
Suisse |
45 |
Portugal |
44 |
Autriche |
40 |
Belgique |
40 |
Canada* |
40 |
Danemark |
40 |
Espagne |
40 |
Suède |
40 |
France |
39 |
Sources : EUROSAT, DARES, données nationales.
* Il s'agit de la durée " normale " du travail, celle-ci
pouvant notamment être augmentée en cas d'événements
qui interrompent la prestation d'un service essentiel.
- Enfin, le statut de " cadre " est une particularité
de
notre pays ; M. Raymond Soubie, président d'Altédia
7(
*
)
, a souligné, lors de son audition, que cette
notion n'existe pas chez nos principaux compétiteurs, et que sa
conception, de nature administrative, n'est plus adaptée à la
répartition des responsabilités, telle qu'elle existe aujourd'hui
au sein de nombreuses entreprises, et notamment dans le secteur des services ;
l'application d'une durée légale du travail à cette
catégorie de salariés suscite souvent l'incrédulité
ou l'incompréhension chez nos partenaires.
2. La réduction du temps de travail imposée n'est pas la réduction du temps de travail négociée
a) L'histoire
Comme l'a souligné M. Jean-Paul Fitoussi
8(
*
)
lors de son audition par la commission
d'enquête, la réduction du temps de travail au cours de ce
siècle a été un processus spontané, lié
à la croissance : le progrès de notre capacité
à produire des richesses permettait le développement des loisirs
et du temps libre.
On peut ainsi appliquer à la réduction du temps de travail le mot
de Vaclav Havel relatif à la liberté
9(
*
)
:
"
C'est comme une plante : pour la faire
croître, on peut l'arroser et la soigner, mais si on tire dessus comme le
ferait un enfant pour qu'elle grandisse plus vite, elle se
casse.
"
Ainsi les expériences françaises de 1936 et de 1982 ont-elles
été des échecs
.
- En 1936, comme le soulignait Alfred Sauvy, la réduction
autoritaire de la durée hebdomadaire du travail de 48 à
40 heures, avec interdiction des heures supplémentaires, a
été suivie d'une augmentation du chômage ainsi que de
l'apparition de nombreux goulets d'étranglement qui ont
accéléré l'inflation et réduit le potentiel de
croissance de l'économie.
- En 1982 la réduction de 4,5 % de la durée
légale du travail dans l'ensemble de l'économie
10(
*
)
, ce qui correspond à la moitié du choc
envisagé aujourd'hui, aura créé très peu d'emplois
-entre 15.000 et 70.000 selon les estimations- au prix d'
une aggravation des
déséquilibres macro-économiques
, notamment d'une
accélération de l'
inflation
et d'un creusement des
déficits publics,
ainsi que d'une
aggravation durable des
problèmes structurels de l'économie française
, une
large part des emplois créés l'ayant été dans les
entreprises publiques.
b) L'expérience étrangère
Dans certains pays, comme aux Pays-Bas ou, dans une moindre
mesure, en Allemagne, la réduction du temps de travail a favorisé
la création d'emplois et la baisse ou la modération du
chômage.
Il serait toutefois malhonnête de se fonder sur ces exemples pour
justifier l'abaissement de la durée légale du travail à 35
heures hebdomadaires en France.
En effet,
aux Pays-Bas et en Allemagne, la réduction du temps de
travail a été négociée et mise en oeuvre
progressivement, en fonction des besoins d'organisation des entreprises et des
véritables aspirations individuelles ou collectives des
salariés
.
Dans ces deux pays, la réduction du temps de travail n'a
été ni uniforme, ni obligatoire, ni brutale et les
négociateurs ont toujours pris en compte les spécificités
des branches, des entreprises, voire des succursales, de même que des
salariés concernés.
Ainsi, les partenaires sociaux néerlandais ont-ils pris soin de ne pas
réduire le potentiel de croissance de leur économie en
réduisant le temps de travail de personnes dont les compétences
étaient rares, alors qu'il est probable que la mise en oeuvre uniforme
et obligatoire des 35 heures en France entraînera des goulets
d'étranglement dans les services informatiques aux entreprises, ce qui
se traduira par un handicap pour l'ensemble des entreprises françaises
au moment de modifier leurs systèmes informatiques pour le passage
à l'euro et à l'an 2000.
De même, le Dr. Bernd Hof
11(
*
)
,
spécialiste de ces questions pour l'Allemagne, a-t-il souligné en
conclusion de son audition, qu'une réduction du temps de travail
massive, générale et obligatoire serait aujourd'hui pour
l'Allemagne une " catastrophe ".
c) Les expériences micro-économiques menées en France.
·
Les expériences
micro-économiques montrent qu'une réduction du temps de travail
librement négociée peut créer ou préserver des
emplois
, en accroissant à la fois la compétitivité des
entreprises et le bien-être collectif.
La commission d'enquête s'est ainsi rendue à l'usine Whirlpool
d'Amiens où deux accords d'aménagement-réduction du temps
de travail particulièrement innovants, fondés sur l'annualisation
du temps de travail et pour le second accord sur le recours à la loi
" de Robien ", ont permis de faire face à des contraintes de
production spécifiques (la très grande saisonnalité des
ventes de sèche-linge),
en améliorant la
" compétitivité-coût " de l'usine et en
créant des emplois
. La bonne volonté et l'imagination des
acteurs de terrain peuvent ainsi conduire à des accords
" donnant-donnant " profitables à tous.
Il ressort néanmoins clairement des entretiens des membres de la
commission d'enquête avec les responsables, les
délégués du personnel et des salariés de l'usine,
que la négociation ne se décrète pas.
En effet, les accords d'aménagement du temps de travail sont des accords
extrêmement complexes, et qui doivent être évolutifs, ce qui
requiert une confiance mutuelle tant au moment de la négociation de
l'accord que par la suite,
cette confiance ne pouvant évidemment
procéder d'une négociation sous contraintes
.
Non seulement des accords mutuellement satisfaisants n'auraient sans doute
pas été possibles dans le cadre d'une négociation
imposée, mais le contexte actuel risque de remettre en cause le climat
de confiance établi entre les partenaires sociaux des entreprises
signataires d'accords novateurs en matière
d'aménagement-réduction du temps de travail.
· Il est donc inacceptable que, pour justifier sa décision
de réduire de manière uniforme et obligatoire la durée
hebdomadaire du travail, le Gouvernement s'appuie sur le bilan élogieux
effectué par la DARES
12(
*
)
des accords
signés sur une base volontaire, dans le cadre de la loi du 11 juin
1996, dite " de Robien ", qui concernaient à la fin novembre
1997 plus de 1.000 entreprises et 154.000 salariés et
prévoyaient
la création ou la sauvegarde de près de
17.000 emplois.
Il s'agit là d'une double confusion intellectuellement contestable :
- entre un dispositif obligatoire et un dispositif incitatif, reposant sur
le libre accord des parties, d'une part ;
- entre une réduction de la durée hebdomadaire du travail et
un aménagement-réduction du temps travail accordant de la
souplesse tant à l'entreprise qu'aux salariés, d'autre part.
· En outre, le bilan des accords " loi de Robien "
effectué par la DARES doit être nuancé. Certes, l'octroi
par l'Etat de substantielles subventions publiques en contrepartie d'une
réduction du temps de travail assortie d'engagements d'embauches (la
réduction du temps de travail est alors " incitée "), a
sans conteste stimulé des capacités d'innovation
socio-organisationnelle et favorisé des créations d'emplois dans
les entreprises concernées.
Néanmoins,
les créations d'emplois annoncées sont
pour l'heure des intentions,
et l'expérience d'autres dispositifs
" contractuels ", comme l'allocation de remplacement pour
l'emploi
(ARPE) montrent qu'une part significative des embauches annoncées n'est
pas effectuée
13(
*
)
.
En outre, la subvention publique, d'une durée de sept ans, alors que
les contreparties en termes d'emplois ne portent que sur deux ans, peut
entraîner un
effet d'aubaine
en finançant les gains de
productivité des entreprises concernées.
De plus, les aides, dont
le coût pour l'Etat est par ailleurs
très élevé
(selon les calculs de la DARES,
165.000 francs par emploi créé ou sauvegardé la
première année et 123.000 francs par emploi
créé et par an les six années suivantes, sous les
hypothèses d'une baisse de 10 % de la durée du travail, de
salaires moyens -le coût de la loi est beaucoup plus élevé
si les salariés sont mieux rémunérés que la
moyenne- et de l'absence de gains de productivité du fait de la
réduction du temps de travail), peuvent se traduire par des
distorsions de concurrence ou de simples déplacements
d'activité
: ainsi le PDG de la Société Etna
Ascenseurs
14(
*
)
, par ailleurs responsable d'une
association d'entreprises ayant mis en oeuvre la loi de Robien, est-il convenu
lors de son audition devant la commission d'enquête de ce que les
créations d'emplois intervenues dans son entreprise, dans le cadre de
cette loi, s'étaient traduites par des pertes d'emplois chez ses
concurrents.
Au total,
le dispositif pourrait se révéler très
coûteux par emploi créé, ce qui se traduirait au niveau
macro-économique par des déficits accrus ou par des
prélèvements obligatoires supplémentaires,
c'est-à-dire par des destructions d'emplois dans d'autres
entreprises
.
Enfin, le développement de dispositifs d'aide à l'emploi de type
contractuel ou " donnant-donnant " entre l'Etat et les
entreprises
est une idée séduisante, mais dont la
généralisation présenterait de
nombreux effets
pervers
:
- le développement des contrôles et des déclarations
administratives (l'impôt administratif), un risque d'arbitraire et plus
généralement d'immixtion de l'administration dans la gestion des
entreprises ;
- des distorsions de concurrence paradoxales, car l'octroi d'une
subvention en contrepartie d'une réduction du temps de travail par
rapport à l'horaire de travail existant et des embauches compensatrices,
favorise en premier lieu les entreprises en place au détriment de la
création d'entreprises, en second lieu les grandes entreprises au
détriment des petites entreprises, pour lesquelles la complexité
administrative du dispositif représente un obstacle -
les entreprises
de moins de 50 salariés ont signé proportionnellement trente
fois moins d'accords en application de la loi du 11 juin 1996 que les
entreprises de plus de 50 salariés
- ; enfin, l'octroi de l'aide
défavorise les entreprises qui innovent spontanément au
détriment de celles qui attendent des subventions pour le faire, puisque
les entreprises et les salariés qui avaient réduit et
réorganisé le temps de travail avant le dispositif n'en
bénéficient pas.
B. IL N'EST PAS POSSIBLE D'AFFIRMER QU'ELLE " VA " CRÉER DES EMPLOIS
L'utilisation d'un modèle
macro-économique
pour tester les effets d'une mesure telle que celle
envisagée par le Gouvernement
ne saurait constituer le moyen
d'étayer scientifiquement l'opportunité de la mesure en
question
.
En bref, qu'un modèle macro-économique associe à une
réduction du temps de travail des créations d'emplois dans un
contexte de maintien de l'équilibre économique n'apporte pas une
preuve de l'opportunité de la réduction du temps de travail.
Il n'est par conséquent pas fondé d'énoncer comme a pu le
faire le Premier ministre lors de son intervention
télévisée du 21 janvier dernier :
" Il y
a trois études qui viennent de sortir : une de la Banque de France,
une d'un institut économique parmi les plus reconnus, l'OFCE
15(
*
)
, une de la direction de la prévision du
ministère de l'économie et des finances, qui disent que la
réduction du temps de travail peut créer des emplois,
va
créer des emplois
"
16(
*
)
.
L'apport des modèles est-il pour autant négligeable ?
Certainement pas.
Ils permettent en l'espèce de mettre en
évidence les conditions auxquelles la réussite d'une
réduction du temps de travail se trouve suspendue.
A contrario, ils dessinent en creux des scénarios d'échec
et
leurs incidences que nul ne peut souhaiter, mais que chacun doit redouter.
1. Les modèles macro-économiques : une réalité virtuelle...
a) Un scénario favorable...
La modélisation des effets d'une réduction de la durée du travail débouche sur des résultats favorables lorsqu'elle s'inscrit dans un scénario, toujours le même, organisé autour d'un jeu d'hypothèses, toujours identique.
Une simulation du modèle Mosaïque de l'OFCE
L'impact du dispositif Aubry (champ limité aux entreprises de plus de
20 salariés
du secteur marchand)
Ecart cumulé au compte de référence
|
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
PIB marchand en volume |
0,1 |
0,2 |
0,3 |
0,2 |
0,2 |
0,1 |
Prix de la consommation des ménages |
0,0 |
- 0,1 |
- 0,1 |
0,1 |
0,4 |
0,8 |
Salaire horaire réel |
1,5 |
3,1 |
4,6 |
4,7 |
4,8 |
4,9 |
Compensation salariale ex-post |
73 % |
75 % |
75 % |
78 % |
80 % |
81 % |
Effectifs totaux (en milliers) |
159 |
315 |
479 |
459 |
451 |
442 |
Demandes d'emplois non satisfaites (en milliers) |
- 95 |
- 189 |
- 288 |
- 276 |
- 271 |
- 265 |
Taux de chômage (en point) |
- 0,4 |
- 0,8 |
- 1,2 |
- 1,1 |
- 1,1 |
- 1,1 |
Solde des Administrations publiques (écarts en points de PIB) |
- 0,1 |
- 0,1 |
0,0 |
- 0,1 |
- 0,1 |
- 0,1 |
Taux de marge des entreprises |
0,2 |
0,2 |
0,1 |
- 0,1 |
- 0,3 |
- 0,4 |
Coût pour les APU (1) par emploi créé (kF 98) |
54 |
31 |
11 |
14 |
14 |
24 |
Le tableau ci-dessus et celui qui suit mettent en
évidence l'impact de la réduction du temps de travail sur la
croissance à travers ses effets sur le PIB (produit intérieur
brut), sur l'inflation, les salaires, l'emploi bien sûr, mais aussi sur
des données significatives de la situation financière de deux
catégories d'agents économiques.
Il s'agit d'abord des entreprises dont le taux de marge qui, rapportant leur
excédent brut d'exploitation à leur valeur ajoutée, est un
indicateur de la répartition du revenu national entre les salaires et
les profits. Il s'agit ensuite des administrations publiques avec une
indication sur l'effet de la mesure sur leur solde.
Une simulation du modèle BdF de la Banque de France
Le passage à 35 heures avec compensation puis modération
salariale
Ecarts au compte de référence : effets à ... |
... 1 an |
... 3 ans |
... 5 ans |
PIB (en %) |
0,1 |
- 0,2 |
- 0,2 |
Emplois (en milliers) |
200 |
710 |
730 |
Chômage (en milliers) |
- 180 |
- 590 |
- 590 |
Salaire horaire réel (en %) |
1,8 |
4,0 |
3,0 |
Salaire réel par tête (en %) |
- 0,7 |
- 3,8 |
- 4,7 |
Indice des prix à la consommation (en %) |
0,3 |
0,6 |
0,3 |
Inflation (en points) |
0,3 |
0,1 |
- 0,1 |
Croissance du salaire horaire nominal (en pt.) |
2,1 |
1,1 |
- 0,1 |
dont les effets spontanés |
0,7 |
0,7 |
1,0 |
dont la compensation ou modération |
1,4 |
0,4 |
- 1,1 |
Taux de marge des entreprises (en points) |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
Solde des APU (en % du PIB) |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
Cap. de financement de la nation (en % du PIB) |
- 0,1 |
0,0 |
0,1 |
Modèle BdF.
Les deux exercices de simulation rappelés ci-dessus mettent en
évidence la création d'environ 450.000 emplois maintenus
à horizon de 5 ans à champs identiques (voir infra p. 29).
Détail des hypothèses de l'étude Mosaïque
La réduction de la durée du travail fait passer
cette dernière de 39 heures à 35 heures, soit une
baisse de l'ordre de 11 %. La réduction du temps de travail
s'opère en deux ans, l'intégralité des entreprises ayant
basculé au 1er janvier 2000 dans le travail de l'OFCE.
Les gains de productivité horaire du travail
s'élèvent à 5,1 % en moyenne.
La productivité du capital
est inchangée puisque la
durée d'utilisation des équipements ne baisse pas grâce
à des phénomènes de réorganisation du travail.
La compensation salariale
s'élève à 69,5 % en
moyenne, c'est-à-dire 35 heures payées 37,8 heures,
soit une augmentation de 8 % du taux de salaire horaire.
Le salaire des nouveaux embauchés est inférieur d'1/3 à
celui des salariés en place.
Les cotisations employeurs
sont réduites d'1 point par heure de
baisse de la durée du travail.
L'accroissement de l'emploi s'élève à
150.000 unités par an. Il résulte de cheminements
aisés à décrire.
La réduction du temps de travail est censée susciter
mécaniquement les emplois nécessaires à la
préservation de la production.
Mais, les gains de productivité du travail qu'induirait la mesure
réduisent l'ampleur des créations d'emplois qui pourraient lui
être associées.
A ces enchaînements qui concernent le volume du travail, on doit en
ajouter d'autres, essentiels pour apprécier l'équilibre
économique résultant de la réduction du temps de travail,
qui concernent le partage des revenus entre agents économiques.
Ce partage doit permettre d'éviter une dégradation des comptes
des entreprises et, par conséquent, éviter un accroissement des
coûts salariaux unitaires.
Il faut donc que l'évolution du salaire par tête soit
infléchie, ce qui suppose un gel ou une modération salariale.
Enfin, la réduction du temps de travail ne doit pas s'accompagner d'une
baisse de la productivité du capital.
Cette dernière condition a des répercussions sur les
salariés. Leurs conditions de travail doivent être
modifiées de sorte que la durée d'utilisation des
équipements soit, au moins, maintenue. C'est à cette condition
que l'on se réfère lorsqu'on évoque la
nécessité de réorganiser le travail.
La mesure dans laquelle les salariés sont appelés à
financer la réduction du temps de travail varie selon le niveau de
l'intervention publique
.
Les modalités possibles de l'intervention publique
Celle-ci est
a priori
susceptible de
bénéficier soit aux entreprises, et, alors, elle est
censée effacer les surcoûts résultant pour elles de la
réduction du temps de travail, soit aux salariés, et alors, elle
peut compenser les " sacrifices salariaux " consentis par
eux dans le
cadre d'une réduction du temps de travail.
Cette dernière modalité n'ayant pas été retenue,
les modèles décrivent la première situation, où la
puissance publique contribue à alléger les surcoûts
salariaux supportés par les entreprises du fait d'une réduction
du temps de travail donnant lieu à une compensation salariale seulement
partielle au-delà des gains de productivité induits par la baisse
de la durée du travail.
Une première contrainte s'impose alors
: l'aide ne doit pas
déséquilibrer les comptes publics, si bien que son niveau doit
être calculé de sorte que son coût
ex ante
soit
compensé par les bénéfices dégagés
ex
post,
pour les finances publiques, par les créations d'emplois.
Une seconde contrainte doit être mise en évidence
: l'aide
doit dans le même temps compenser les surcoûts résultant
pour les entreprises de la réduction de la durée du travail.
b) ...bien qu'un peu décevant
Chacun attend usuellement de la création d'emplois
de nombreux avantages : un effet sur le niveau de chômage bien
sûr, mais aussi davantage de croissance et une restauration de
l'équilibre des finances publiques. Les résultats des simulations
d'une réduction du temps de travail déçoivent plus ou
moins ces espérances.
(1) Un effet limité sur le chômage
S'agissant des effets attendus de la réduction du temps de travail sur
les créations d'emplois et de leur impact sur le chômage,
on
doit d'abord observer qu'ils se sont restreints à mesure que le champ de
la réduction du temps de travail a été réduit.
De ce point de vue, les écarts entre les créations d'emplois
extériorisées dans les études respectives conduites
à la Banque de France et à l'OFCE apparaissent significatifs.
Dans le premier cas, les créations d'emplois s'élèvent au
mieux à quelques 730.000, dans le second à 450.000. D'une
étude à l'autre, 280.000 emplois disparaissent. Cette
" évaporation " résulte, pour l'essentiel, on l'a dit,
d'une différence de champ d'application de la mesure ; la
première étude porte sur les entreprises de plus de dix
salariés, la seconde ne porte que sur les entreprises de plus de vingt
salariés.
Cette différence de champ n'est pas purement arbitraire puisque
l'étude de l'OFCE se rapproche davantage des conditions d'application du
projet de loi de Mme Aubry, dont l'étude réalisée
à la Banque de France s'éloigne par trop.
Ceci explique pour partie que les chiffres des créations d'emplois
annoncées soient passés de 2 millions il y a quelques
années à 710.000, 450.000, 300.000, voire 100.000 selon certains
des économistes entendus.
On pourrait d'ailleurs observer avec M. Jean-Paul Fitoussi
17(
*
)
, que : "
en devenant loi, l'utopie
devient réaliste, mais divise par cinq (les) espérances (des
économistes de l'OFCE) : 400.000 emplois au lieu des 2.000.000 auxquels
ils avaient rêvé lors d'une précédente
simulation
" et rappeler que la litanie des évaluations des
effets sur l'emploi de la réduction du temps de travail est l'histoire
de la peau de chagrin.
Plus encore,
le choix du champ de la simulation conditionne
, selon les
techniciens eux-mêmes,
le degré de vraisemblance, au demeurant
sujet à des appréciations variées, des hypothèses
posées par ailleurs
. C'est ce dont témoignent abondamment les
réflexions suivantes provenant des modélisateurs. Ainsi de celle
de l'OFCE, selon qui :
" Il aurait certes été possible de reproduire le
schéma retenu pour les entreprises de plus de vingt salariés,
mais l'on aurait alors mêlé des hypothèses relativement
bien fondées (pour les plus de vingt salariés), avec des
hypothèses beaucoup plus spéculatives (pour les moins de
vingt) ".
Ainsi également de celle recueillie lors de l'audition par la commission
d'enquête de M. Gilbert Cette
18(
*
)
,
évoquant les
" particularités techniques d'une simulation
des effets de la réduction du travail étendue à la
fonction publique ".
On peut en déduire que la plausibilité des hypothèses
posées pour réaliser une simulation équilibrée de
la réduction du temps de travail sortirait affaiblie d'un exercice de
projection étendu à un champ plus vaste.
Cette observation prend une résonance particulière lorsqu'on a
à l'esprit la conclusion de l'étude de l'OFCE, selon laquelle :
" ...
les arguments usuels qui s'opposent à un partage massif de
l'emploi et des revenus ... perdent de leur pertinence du simple fait du
changement d'échelle du partage du travail. "
On doit rappeler à ce stade que les estimations de l'OFCE concernent un
champ qui, pour le moins, reste très large puisque la réduction
du temps de travail s'appliquerait à environ 7 millions de
salariés, soit plus que la moitié des effectifs du secteur
marchand non agricole, ce qui est déjà beaucoup.
Quoi qu'il en soit, avec un scénario équilibré de
réduction de la durée du travail de plus de 11 %,
c'est-à-dire d'une ampleur considérable, concernant
7 millions de salariés, donc conduit à grande
échelle,
on n'aboutit qu'à la création de
450.000 emplois correspondant à environ 65 % des emplois
supplémentaires mécaniquement attendus
. Cet écart
provient des hypothèses posées sur les gains de
productivité résultant de la réduction du temps de travail.
Mais, il y a plus, les résultats de ce scénario en termes de
chômage ne s'élèveraient du fait d'une flexion des taux
d'activité qu'à
271.000 chômeurs
évités
, soit moins de 40 % des emplois
mécaniquement attendus et guère plus de 1 point de taux de
chômage.
(2) Pas de dynamisation de l'activité économique
En ce qui concerne l'activité économique, on estime
habituellement que le chômage qui, pour partie, résulte d'une
croissance insuffisante est, à son tour, cause de pertes
d'activité.
L'inemploi d'une partie des facteurs de production disponibles réduirait
la production. La mobilisation de ces facteurs permettrait donc
d'accélérer la croissance et d'aboutir à un niveau de
produit intérieur brut supérieur.
Les résultats des simulations disponibles ne confirment pas cette
analyse quand la progression du nombre des emplois résulte de la
réduction du temps de travail.
Dans le meilleur des cas, la croissance est inchangée et donc le niveau
du PIB aussi. Cela ne conduit pas à invalider les analyses
rappelées plus haut qui peuvent se révéler exactes lorsque
les créations d'emplois empruntent d'autres voies comme, par exemple,
l'émergence d'activités nouvelles.
(3) Pas de contribution à l'assainissement des finances
publiques
En ce qui concerne l'équilibre des finances publiques,
on
évoque fréquemment la responsabilité du chômage dans
les déficits. Une réduction du chômage permettrait de
diminuer les prestations sociales versées du fait de l'inactivité
de certains agents, de percevoir les cotisations assises sur une masse
salariale augmentée, de bénéficier d'économies sur
les dépenses publiques consacrées à l'emploi et des
recettes fiscales associées à un dynamisme économique
supérieur. Les scénarios décrivant une réduction du
temps de travail équilibrée ne retracent pas ces
phénomènes. Dans le meilleur des cas, le solde des
administrations publiques est inchangé. Par conséquent,
les
créations d'emplois associées à la réduction du
temps de travail n'apporteraient pas de contribution à l'assainissement
des finances publiques
. Il est vrai que ce résultat, bâti
d'ailleurs sur des schémas contestables (voir infra), est purement
comptable puisqu'il résulte du parti pris d'affecter la variation
positive du solde public attendue des créations d'emplois au financement
de la réduction du temps de travail.
Il faut cependant rappeler que ce parti pris n'est pas innocent. Sans cette
" redistribution ", la réduction du temps de travail serait,
selon les modèles usuels, plus coûteuse pour les agents
économiques et, par conséquent, source de moindre croissance et,
à terme, de plus de déficits publics.
2. ... construite sur des hypothèses fragiles et donc dénuée de la portée qu'on lui prête souvent...
Les modèles macro-économiques ne constituent pas un outil qui puisse prétendre, en tant que tel, associer à une réduction du temps de travail des effets donnés.
a) L'inadaptation des modèles pour tester la mesure
(1) La nécessaire formalisation
d'hypothèses " hors modèle "
La réduction de la durée du travail est d'abord un enjeu
micro-économique qui mobilise des agents décentralisés,
des entreprises, des salariés... Elle ne naît à la
macro-économie qu'à travers l'évolution de grandes
variables, que celle-ci utilise, et qui sont la productivité, les
salaires, les transferts entre secteurs institutionnels de la
comptabilité nationale (entreprises, ménages, administrations
publiques...).
C'est faire le rêve d'une sophistication des instruments de calcul
économique aujourd'hui hors de portée que d'imaginer que les
modèles macro-économiques sont en mesure de traduire l'impact
d'une réduction du temps de travail sur les valeurs prises par les
variables utilisées par ces modèles.
Peut-on calculer l'impact sur les gains de productivité du travail d'une
réduction de la durée hebdomadaire ? La réponse est
non.
Peut-on, à l'aide des équations usuelles de formation des
salaires, associer à une réduction du temps de travail une
variation donnée des salaires ? La réponse est là
aussi négative.
En bref, le recours à des modèles pour décrire les
effets d'une réduction du temps de travail suppose, on l'a dit, de poser
des hypothèses.
Sans être entièrement arbitraires
-elles peuvent être argumentées-, ces hypothèses n'offrent
aucune garantie d'exactitude.
De plus,
les comportements décrits par les modèles
présentent les comportements moyens des agents économiques
observés sur le passé
. Or, par hypothèse, lesdits
comportements n'intègrent pas les effets d'une réduction du temps
de travail inédite. Quand bien même d'ailleurs cela aurait
été le cas, les changements de conditions économiques et
sociales entre le passé et le présent auraient été
susceptibles de modifier l'impact d'une pareille mesure.
Il est donc essentiel de se poser la question de la plausibilité des
hypothèses, et c'est bien une justification très forte
apportée aux travaux entrepris par la commission d'enquête.
Un exemple d'incertitude tiré du rapport de M. Bernard
Barbier
au nom de la Délégation du Sénat pour la
planification
19(
*
)
L'une des principales limites des modèles à
l'analyse des politiques de réduction du temps de travail résulte
des incertitudes relatives au lien entre durée légale et
durée effective du travail.
Le rapport cité en donne une illustration stylisée.
" En effet, lorsque la durée effective du travail des
salariés à temps plein est supérieure à la
durée légale, cette dernière joue le rôle d'une
" force de rappel " sur la durée effective en raison du
surcoût que représentent les heures supplémentaires et de
la référence que constitue la durée légale du
travail pour les négociations collectives.
Toutefois, la tendance de la durée effective à se rapprocher de
la durée légale est d'une intensité variable : la
durée du travail offerte moyenne s'était ainsi réduite en
1982 de près d'une heure en quelques mois, dans une conjoncture
dégradée, avec des effets décevants sur l'emploi.
Cependant, alors que la durée légale hebdomadaire avait
été fixée à 40 heures dès 1936, la
durée effective moyenne du travail n'a approché ce niveau
qu'à la fin des années 1970.
La loi n'exerce en effet
" qu'une influence indirecte sur la
durée effective du travail en fixant la durée légale, qui
sert de référence pour le calcul des heures
supplémentaires, en imposant des plafonds pour la durée effective
journalière ou hebdomadaire du travail, ou en limitant le volume total
annuel des heures supplémentaires. Dans ce cadre, les marges de
variations des durées effectives demeurent
considérables ".
(1)
Des simulations micro-économiques réalisées par la DARES
suggèrent que les directions d'entreprise et les représentants
des salariés pourraient chercher à
neutraliser
une
réduction de la durée légale du travail, en augmentant les
heures supplémentaires
ou en engageant des négociations
pour accroître l'horaire de travail des salariés à temps
partiel, notamment dans les services.
Plus généralement, la
dispersion
croissante des horaires
de travail (25 % des salariés disent travailler 39 heures,
35 % travailler moins et 40 % travailler plus), rendrait l'impact de
la baisse de la durée légale sur la
durée effective
particulièrement incertain.
Ainsi, les effets de l'abaissement à 35 heures par semaine de la
durée légale du travail annoncé par le Gouvernement
seraient très dépendants d'une éventuelle évolution
de la réglementation relative aux heures supplémentaires...
En effet, les salariés d'une entreprise assujettie à
l'abaissement de la durée légale à partir de l'an 2000,
pourraient a priori continuer de travailler 39 heures par semaine, sans
autre conséquence que la transformation des heures au-delà de la
35ème en " heures supplémentaires "...
Enfin, la réduction de la durée légale du travail pourrait
ralentir le développement du travail à temps partiel, ce
phénomène contribuant à en limiter les effets sur la
durée moyenne du travail et sur l'emploi...
Au total, les conséquences d'une réduction de la durée
légale du travail dépendent très largement de
l'évolution concomitante du droit du travail, de son champ d'application
et de ses
modalités pratiques
de mise en oeuvre dans chaque
entreprise, c'est-à-dire de considérations
micro-économiques et sociales que les modèles ne peuvent
évidemment prévoir. "
(1)
Jacques Freyssinet, direction de l'Institut des
recherches en économie sociale, in " Le temps de travail en
miettes " - 1997.
(2) Des instruments aux propriétés parfois
contradictoires
Il y a plus ! Les modèles peuvent aussi déboucher sur des
résultats différents alors même que la mesure testée
est rigoureusement identique.
Ces écarts sont d'autant plus accusés que l'horizon de la
projection s'éloigne. En témoignent les différences
d'impact à long terme d'une réduction du temps de travail de 39
à 35 heures, sans gains de productivité horaire du travail,
mais avec une baisse du salaire mensuel et de la productivité du capital
proportionnelle à la réduction du temps de travail, tels qu'ils
sont retracés dans l'étude réalisée pour la DARES
par le service d'études macro-économiques sur la France de la
Banque de France. Deux modèles ont été utilisés par
lui dont les résultats apparaissent en effet plus que contrastés.
Ainsi,
dans le modèle Banque de France
, une telle situation
permettrait à dix ans la création de 650.000 emplois,
acquise pour l'essentiel au début de la période de projection, et
se traduirait par une baisse de l'activité économique dont le
résultat serait que le PIB, au bout de dix ans, serait inférieur
de 2,5 points au niveau atteint dans le compte de référence.
Mais, dans le modèle NIGEM
(National Institute Global Econometric
Model) développé par le National Institute of Economic and Social
Research de Londres et également utilisé par la Banque de France,
ces résultats, assez semblables à court et moyen terme,
diffèrent sensiblement à long terme, au moins d'un point de vue
quantitatif. Le nombre d'emplois créés par la réduction du
temps de travail s'étiole au fil de la projection, si bien qu'à
l'horizon de dix ans, il n'est plus que de 170.000. L'infléchissement du
rythme de croissance économique est, en outre, plus accusé, si
bien que le niveau du PIB est à dix ans inférieur de
3,3 points à ce qu'il aurait été sans
réduction du temps de travail.
L'écart sur le nombre d'emplois, de 480.000, est considérable.
Il ne résulte aucunement d'hypothèses différentes, mais
provient d'équations construites autrement.
L'effet des créations d'emplois sur la croissance des salaires (que les
techniciens nomment " effet Phillips ")
20(
*
)
est plus important dans le modèle NIGEM, et il
s'ensuit une poussée inflationniste plus accusée qui
dégrade donc davantage la demande. Surtout, dans le modèle NIGEM,
l'influence du salaire horaire, donc du coût du travail, sur l'emploi,
est plus forte que dans le modèle de la Banque de France. Dans ces
conditions, la dynamique du coût salarial enclenchée par les
fortes créations d'emplois suscitées par la réduction du
temps de travail en début de période pèse
ultérieurement sur le niveau de l'emploi, qui reflue à vive
allure.
b) L'usage des modèles débouche donc en l'occurrence sur des résultats dépendant entièrement d'hypothèses
Il faut, en effet, encore souligner l'importance
décisive des hypothèses retenues pour évaluer l'impact de
la réduction du temps de travail.
Dans l'encadré ci-après, le document de présentation des
résultats des études commandées par la DARES fournit
à cette observation une bonne illustration.
Le point d'équilibre à prix et production inchangés
" Hors modèle ", à prix et production
supposés inchangés, on peut calculer qu'une réduction de
la durée du travail de 10 %, assortie de
gains de
productivité d'un tiers (soit 3,33 %), d'une hausse des salaires
horaires de 6,2 %
(soit une compensation salariale de 62 %, le
salaire mensuel étant alors réduit de 3,8 %) et d'une baisse
du taux de cotisations sociales employeurs égale à un point par
heure de réduction de la durée du travail
(1)
,
laisse inchangés le compte des entreprises et celui des
administrations.
Ces niveaux de compensation salariale et de
réduction des cotisations dépendent de l'ampleur des gains de
productivité et d'autres paramètres comme le coût du
chômage en termes d'indemnisation et la flexion des taux
d'activité.
Si l'on est proche de ces chiffres, le bouclage
macro-économique réalisé à l'aide d'un
modèle macro-économique aboutit à des résultats ex
post relativement peu différents.
(1) Dans cet exemple, la réduction est donc de quatre points, ce qui
correspond à un allégement moyen d'environ 5.000 francs par
an et par salarié.
Il en ressort que le scénario d'équilibre est
mécaniquement obtenu à partir du moment où les
hypothèses sont correctement calibrées.
Le caractère tautologique de l'exercice est d'ailleurs confirmé
par le fonctionnement essentiellement linéaire des modèles
macro-économiques.
Cette propriété confère aux
modèles une allure utopique au terme de laquelle les effets d'une
réduction du temps de travail de 20 % sont exactement le double de
ceux d'une réduction du travail de 10 %, comme si nul effet de
seuil n'existait. Dans ces conditions, on ne doit qu'à la sagesse des
modélisateurs de s'abstenir d'une utilisation irréaliste et
inutile de leurs outils. Toute la question est alors de savoir où
celle-ci commence.
Est-ce à dire que les recours aux modèles sont
irrévocablement inutiles ? La réponse à cette question est
évidemment négative et l'exemple des simulations ici
examinées démontre la nécessité de ces outils qui,
sans même atteindre à la perfection en la matière,
permettent de cerner les enjeux et les risques.
3. ...qui dessine en creux des scénarios catastrophes
Les scénarios de réduction du travail
équilibrés supposeraient que les agents économiques
supportent des coûts que les modèles ont d'ailleurs tendance
à minimiser.
En outre, les modèles dessinent en creux
des
" scénarios catastrophes " au terme desquels la
réduction du temps de travail générerait des
déséquilibres économiques difficilement
réversibles.
a) Les coûts
Même une réduction du temps de travail
" réussie " suppose des coûts qu'il convient, pour
l'honnêteté du débat, d'exposer aux Français. Par
leur construction même, il est d'ailleurs certain que les modèles
utilisés ne les prennent pas tous en considération et, par
conséquent, les minimisent.
Dans la meilleure des situations possibles, la réduction du temps de
travail se ferait à coûts marginaux pour les agents
économiques nationaux,
comme le montre le tableau suivant :
Capacité de financement des agents 21( * )
(écart en points de PIB)
Capacités de financement |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
Sociétés et quasi-sociétés |
0,1 |
0,1 |
0,0 |
-0,1 |
-0,2 |
-0,3 |
Ménages et entreprises individuelles |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
0,1 |
Institutions financières |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
0,1 |
0,1 |
0,1 |
Administrations |
- 0,1 |
- 0,1 |
0,0 |
- 0,1 |
- 0,1 |
- 0,1 |
Extérieur |
0,0 |
0,1 |
0,1 |
0,1 |
0,2 |
0,2 |
Source : simulation réalisée avec le
modèle Mosaïque de l'OFCE
On doit cependant nuancer ce propos.
La capacité de financement des entreprises,
stable dans le court
terme,
se dégraderait à moyen terme
du fait de la
réduction du niveau relatif de l'aide publique consentie à elles
avec le temps et de la réactivité des salaires aux
créations d'emplois issues de la mesure. Ce dernier
phénomène pourrait d'ailleurs intervenir beaucoup plus tôt
et revêtir une toute autre ampleur si l'environnement économique
sous-jacent à la variante devait aboutir à des créations
d'emplois plus nombreuses
22(
*
)
.
L'extérieur
(les concurrents étrangers) sort
gagnant
de l'expérience française. La
compétitivité internationale de l'économie
française se détériore légèrement sous
l'effet d'une hausse des prix induite
23(
*
)
.
Comme le taux de marge des entreprises se détériore un peu,
l'investissement des entreprises en pâtit à due concurrence et,
partant, les capacités concurrentielles de l'économie
française.
Les administrations publiques
subissent une légère
érosion de leur capacité de financement du fait de la
non-équivalence entre le coût de l'aide publique
24(
*
)
et les retours financiers dont elles sont
appelées à bénéficier et ce malgré un
supplément de croissance, limité il est vrai.
Les ménages
voient leur capacité de financement
inchangée. Mais, le sort individuel des salariés est
dégradé. La réduction de la durée du travail impose
un sacrifice salarial, la compensation salariale
ex post
atteignant une
moyenne de l'ordre de 78 %.
En bref, malgré la réduction du chômage, la situation
des ménages ne s'améliore pas en moyenne quand celle des
entreprises, elle, se détériore.
Par ailleurs, plusieurs exemples de coûts non retracés dans les
modèles doivent être évoqués dont il n'est pas
sûr que l'accumulation ne vienne pas amputer considérablement
voire contredire les résultats qu'ils extériorisent.
Les modèles décrivent des moyennes.
Cette
caractéristique est évidemment malencontreuse s'agissant de
mesurer les effets d'une réduction de la durée du travail qui
constitue précisément une contrainte devant laquelle les agents
économiques se trouvent dans des situations très
contrastées. A supposer les moyennes exactes, il est évident
qu'elles s'établiraient dans un contexte de forte dispersion des
situations des agents par rapport à la moyenne.
Par exemple,
certaines entreprises ne résisteront pas au choc de la diminution du
temps de travail. Par conséquent, cette mesure créerait du
chômage et de la destruction de richesses. La sincérité du
débat impose de l'expliquer.
Tout cela ne serait pas trop grave (en théorie seulement), si en moyenne
les créations d'emplois devaient excéder les destructions
d'emplois. Mais, précisément, les hypothèses retenues
à cet effet sont susceptibles d'être contestées du fait de
l'asymétrie de la mesure sur les agents. Cette incertitude est
d'ailleurs d'autant plus grande que
le déclenchement temporel des
effets pervers de la mesure pourraient précéder celui d'effets
favorables qui, alors, auraient peu de chance d'advenir
.
Les exercices examinés ne tiennent pas compte des coûts
d'organisation que devront supporter les agents.
Or, dans le cas d'une mesure qui, à l'évidence, constitue, par
son ampleur, un choc pour les agents économiques, il est indubitable que
les coûts d'organisation ne sont pas à négliger.
Chaque acteur concerné par la réduction du temps de travail
devrait en supporter une part :
les entreprises
, du fait des
réorganisations de la production à mettre en oeuvre susceptibles
par exemple d'augmenter le niveau des coûts variables, mais aussi
les
ménages
concernés par la réduction du temps de
travail. Il est, ainsi, peu probable que la demande de travail des entreprises
puisse être satisfaite par l'offre des salariés sans coûts
d'ajustement supportés par eux. De la même manière, la
nécessaire adaptation des horaires de travail se répercutera sur
les conditions de vie des salariés.
Enfin,
les administrations publiques,
elles-mêmes, devraient
d'abord se trouver confrontées à la nécessité
d'accroître leurs contrôles
, ce qui pourrait être
coûteux en termes de
dépenses publiques induites
. En outre,
il faut prendre en compte le
coût d'opportunité
représenté pour la collectivité par les aides
publiques consenties pour favoriser le succès de la mesure. On doit,
à ce sujet, remarquer que
les simulations disponibles laissent le PIB
inchangé dans le meilleur des cas et en conclure que l'intervention
publique n'a, en l'espèce, aucune influence positive sur le niveau du
revenu national.
b) Les risques
Compte tenu des développements qui
précèdent, il n'est pas nécessaire d'insister sur l'aspect
" exercice d'équilibriste " de la réduction de la
durée du travail.
Que l'une des conditions mises en évidence
par les modèles pour que la mesure ne se traduise pas par des
déséquilibres majeurs vienne à manquer, et ces
déséquilibres se produiraient. Les conditions économiques
du moment les rendraient en outre très difficilement
réversibles
.
Les scénarios catastrophes sont si nombreux que ce serait une litanie de
les passer en revue.
Deux scénarios sont explicitement évoqués par les
modélisateurs de l'OFCE qui donnent la mesure des
risques
associés à des évolutions salariales plus ou moins
éloignées des conditions requises.
"
Si les négociations conduisent à une compensation
salariale intégrale (35 heures payées 39), les créations
d'emplois seraient amputées de 130.000 à l'horizon de notre
évaluation. La réduction du temps de travail conduirait, dans ces
conditions de compensation, à la création de 310.000 emplois
à terme et l'impact sur les prix serait alors beaucoup plus important
(de l'ordre d'un demi-point d'inflation en plus par an). Il s'en
suivrait des modifications des conditions de concurrence dans le pays entre
les entreprises qui réduisent et celles qui ne réduisent pas, et,
a fortiori, entre la France et ses partenaires.
Ces éléments
pourraient alors compromettre le compromis social autour de la réduction
du temps de travail.
"
Outre ce scénario où les salariés
refuseraient d'abandonner une partie de leur salaire, il existe un
scénario " symétrique " dans lequel les entreprises
bloqueraient le processus. La réduction de la durée du travail
serait alors nulle. L'application de la législation des heures
supplémentaires (sans tenir compte du contingent de 130 heures
annuelles) conduirait alors à un renchérissement du coût du
travail et à la destruction d'environ
100.000 emplois.
"
La citation ci-dessus est intégrale et n'engage en rien la commission
d'enquête. Celle-ci incline à penser qu'une présentation
privilégiant le rôle négatif d'un des acteurs sociaux
relève d'une attitude polémique malvenue s'agissant d'un choc qui
sollicite de tous une grande capacité d'adaptation. Plutôt que
d'invoquer des entreprises qui " bloqueraient le
processus ", il
serait pertinent de s'interroger sur l'adaptation du processus à la
réalité des entreprises.
En tout état de cause,
le rôle-clef de la variable salariale
est une fois de plus mise en évidence.
Les perspectives de la
productivité des équipements,
qui
pourrait sortir dégradée d'une réduction de la
durée du travail, renforcent les
craintes d'un renchérissement
des coûts unitaires de production qui exposerait tout
particulièrement la position des entreprises exportatrices, mais se
traduirait pour tous par une perte de substance de l'économie
française.
Dans ce contexte, le risque d'un déséquilibre
supplémentaire des finances publiques est grand.
Le Gouvernement paraît prendre conscience de ces problèmes et
c'est sans doute pourquoi, lors des premiers débats à
l'Assemblée nationale, il a annoncé un renforcement du dispositif
d'intervention publique. Comme on pouvait s'en douter, le risque a tendance
à se déplacer : la collectivité publique va devoir assumer
une part toujours plus grande des coûts générés par
la mesure, malgré la mise en place d'un double SMIC afin d'éviter
en toute hâte et, semble-t-il, confusion, un renchérissement des
coûts salariaux insupportable.
L'allégement des cotisations sociales, tel qu'envisagé
initialement, devait être compatible, en théorie, avec un maintien
de l'équilibre des finances publiques
25(
*
)
, et
assurer un quasi-équilibre des comptes des
entreprises en dépit de l'octroi d'une compensation salariale partielle
à leurs salariés.
Or, l'équilibre des entreprises est lui-même fonction du niveau de
la compensation salariale et de celui des gains de productivité induits
par la réduction du temps de travail.
Que les gains de productivité soient moins importants que prévus
et que la compensation salariale excède l'escompté et les
finances publiques sont davantage sollicitées.
Dans ces conditions, le régime de l'aide publique est
réestimé -c'est ce qui semble advenir- et le déficit
public s'en trouve creusé -c'est ce qu'on doit redouter.
Ces scénarios occasionnent des déséquilibres que les
conditions économiques courantes rendent très difficilement
réversibles.
La survenance de l'euro implique de respecter des disciplines
budgétaires telles que le creusement des déficits doit être
comblé.
On ne financera pas la réduction du temps de travail
par le déficit public.
Mais,
on ne le financera pas davantage par la dévaluation
,
l'instauration de l'euro interdisant d'y recourir pour corriger une perte de
compétitivité. L'impératif de compétitivité
se renforçant,
il faudra alors " récupérer "
par une durable modération salariale le niveau de
compétitivité perdu. Entre-temps, la richesse nationale aura
été amoindrie et les capacités de redistribution avec, et
les chances pour les nouveaux entrants sur le marché du travail de
trouver un emploi amenuisées. On aurait, une fois de plus
sacrifié, au profit des générations actuelles, les
générations à venir, celles-ci devant, en outre, prendre
en charge la dette publique résultant des déficits
accumulés.
*
En théorie, tout est donc possible, le meilleur comme
le pire. Tout dépendra en fait du comportement des agents
économiques et sociaux, qui se cache sous l'expression abstraite de
" conditions micro-économiques ".
La commission d'enquête a donc cherché à savoir quel
pourrait être le comportement de ces acteurs, les entreprises, les chefs
d'entreprise, les salariés et naturellement leurs organisations
représentatives.
II. CE PARI N'EST PAS RAISONNABLE, CAR BEAUCOUP TROP RISQUÉ
En annonçant avec force conviction que les
études "
disent
"
que la
"
réduction du temps de travail peut créer des emplois,
va créer des emplois
", le Premier ministre a fait naître
un immense espoir parmi nos concitoyens.
Mais, comme le dit très justement Denis Clerc
26(
*
)
, : "
comme le droit à l'échec
n'est pas permis, que l'on ne peut mobiliser impunément l'espoir de ceux
que le chômage a frappés pour leur dire, ensuite, que les choses
sont plus compliquées qu'on ne le pensait, qu'elles nécessitent
plus de temps et qu'elles seront moins efficaces qu'on ne l'avait
annoncé, mieux vaut prendre en considération tous les obstacles
envisageables
".
Ce sont ces obstacles qu'il convient maintenant d'examiner.
A. TROP D'OBSTACLES FONT CRAINDRE QUE CE PARI NE SOIT PERDU D'AVANCE
Les simulations macro-économiques
présentées et analysées ci-dessus ont mis en
évidence l'importance des facteurs micro-économiques,
c'est-à-dire essentiellement le comportement des agents
économiques et sociaux chargés de fixer les conditions
d'application de la réduction du temps de travail.
Le succès de la réduction du temps de travail, pour créer
des emplois sans hypothéquer le futur, suppose une volonté
commune de s'entendre et de réussir alors même que les objectifs
des uns et des autres sont différents.
Pour les salariés, il s'agit, individuellement, de disposer de davantage
de temps libre et, collectivement, de favoriser l'emploi, chacun sacrifiant un
peu de son temps de travail pour le bien commun.
Pour les entreprises, il s'agit de mettre en place une nouvelle organisation du
travail, afin de disposer d'une souplesse permettant de faire face plus
aisément aux contraintes de leurs activités, dans un
environnement de plus en plus ouvert et concurrentiel.
Naturellement, ces avantages ne sont pas gratuits. Le salarié doit
" payer " les avantages attendus d'une certaine modération
salariale, sous forme de baisse, de gel ou de moindre progression, et des
contraintes de la modulation du temps de travail. L'entreprise, quant à
elle, doit faire l'effort d'une réorganisation, en supporter le
coût, et jouer le jeu des embauches compensatrices. Tous, enfin, doivent
se retrouver sur la nécessité de ne pas dégrader les
coûts unitaires de production des entreprises.
En théorie, les partenaires sociaux pourraient donc s'entendre sur un
équilibre où chacun trouverait son compte.
Cette bonne volonté partagée, dont les économistes ont dit
qu'elle pourrait créer de l'ordre de 500.000 emplois
27(
*
)
, n'est pas une vue de l'esprit. Les partenaires
sociaux, dans l'accord national interprofessionnel sur l'emploi du 31 octobre
1995, avaient admis que les créations d'emplois pouvaient
résulter non seulement de la croissance, mais aussi d'un certain partage
du travail, que la compensation salariale pouvait ne pas être
intégrale, et que l'objectif commun était l'accroissement de la
compétitivité des entreprises, celle-ci passant notamment par une
organisation plus souple de l'entreprise autorisant une réduction de la
durée du travail
28(
*
)
.
Malheureusement, les auditions et les enquêtes conduites par la
commission ont montré que ce
schéma idéal avait peu de
chances de se réaliser
, pour des raisons " objectives "
-le recours à un dispositif légal obligatoire et uniforme- et
pour des raisons " subjectives " -l'absence des conditions
favorables
à un dialogue social fructueux-.
L'espoir suscité en matière d'emploi et de croissance va se
briser sur les impératifs délibérément
ignorés de l'économie et sur un climat social, rendu par le
Gouvernement lui-même peu propice à la négociation
.
1. Le caractère obligatoire et uniforme de la réduction du temps de travail n'est pas compatible avec la diversité des situations du tissu économique et social
Face à la diversité des situations des acteurs
économiques et sociaux, les entreprises, les associations et, d'une
façon générale, tous les employeurs privés, la
réduction de la durée du travail à 35 heures hebdomadaires
va s'appliquer autoritairement et uniformément.
Si, de l'avis de nombreuses personnes auditionnées, les grandes
entreprises auront, pour de multiples raisons, beaucoup moins de
difficultés à passer à 35 heures, si même elles
n'appliquent pas déjà un accord d'aménagement et de
réduction du temps de travail, en revanche, les petites entreprises
risquent souvent de se retrouver devant des difficultés insurmontables.
Ces difficultés toucheront de la même façon les entreprises
en réseau, voire des structures internes aux grandes entreprises.
Le même constat peut être dressé en fonction des secteurs
d'activité.
a) Grandes et petites entreprises ne sont pas dans une situation d'égalité face à la loi
Cette évidence peut se décliner de
différentes façons :
·
L'indivisibilité des emplois
: si, sur de grands
effectifs, il est possible de compenser les heures de travail perdues par des
embauches, cela est beaucoup plus difficile dans les petites unités, les
petites entreprises, les entreprises en réseau, comme les succursales de
banque, ou encore certaines structures internes, comme les centres de
recherches.
Souvent, les quelques heures perdues ne seront pas remplacées,
l'entreprise ne pouvant embaucher une personne suffisamment polyvalente pour
compléter, poste par poste, la durée de travail nécessaire.
Dans d'autres situations, cette impossibilité tiendra à la
technicité du métier (tel le conducteur d'engin de chantier d'une
petite entreprise)
29(
*
)
ou au caractère
intellectuel de la prestation de travail, par exemple dans un centre de
recherches
30(
*
)
ou une société
d'ingénierie informatique
31(
*
)
. Plus
généralement, cette difficulté concernera une part
importante de l'encadrement, dont l'activité ne se mesure pas
nécessairement en heures de présence.
Dans ces conditions,
réduire les horaires de travail
pénalisera l'entreprise car elle devra aussi réduire son
activité
.
·
L'effet de seuil
: une distorsion particulière de
concurrence est introduite par l'institution d'un seuil de vingt
salariés, permettant aux entreprises dont l'effectif est
inférieur de n'appliquer les 35 heures légales qu'en 2002 :
les entreprises de taille très proche, situées au-dessus de ce
seuil, subiront les contraintes des 35 heures quand celles situées
au-dessous ne le subiront pas. Bien que temporaire, cette disposition pourrait
mettre certaines entreprises en difficulté.
·
L'impossible modération salariale
: si, dans les
grandes entreprises, l'anonymat des relations avec l'employeur protège
ce dernier des revendications salariales directes, dans les petites
entreprises, les comparaisons de bulletin de paye sont plus aisées et
les revendications plus promptes : comment un chef d'entreprise de quelques
personnes pourra-t-il résister à la demande d'augmentation d'un
salarié ancien, dont le salaire aura été amputé par
le passage aux 35 heures, et qui constatera que le nouvel embauché,
bénéficiaire d'un SMIC revalorisé, gagne presque autant
que lui ?
Les petites entreprises verront donc leurs coûts de
production augmenter, car elles ne pourront tenir leur masse salariale
.
·
Le manque de personnels qualifiés
: contrairement
au raisonnement qui sous-tend la démarche gouvernementale, la
réduction du chômage se heurtera souvent à l'obstacle
résultant de ce que les demandeurs d'emploi n'auront pas les
qualifications requises : de nombreuses entreprises ne trouvent actuellement
pas le personnel qualifié dont elles ont besoin. On voit mal que cette
difficulté soit rapidement résolue. Ainsi, la France souffre
d'une pénurie d'informaticiens, évaluée entre 5.000 et
10.000. Avec la réduction du temps de travail, c'est 25.000
informaticiens qui viendraient à manquer.
Cette carence pourrait
avoir de graves répercussions non seulement sur les
sociétés informatiques, mais aussi sur tout le secteur productif,
qui fait de plus en plus appel à l'informatique pour améliorer
ses performances
. Elle pourrait aussi provoquer un appel d'informaticiens
européens, de telle sorte que la réduction du temps de travail
contribuerait à réduire le chômage hors de nos
frontières ; le résultat serait le même si nos propres
sociétés se délocalisaient. Ce secteur n'est pas le seul
à souffrir de ce manque de main-d'oeuvre qualifiée : l'artisanat
connaît aussi des pénuries d'emploi tout comme certaines branches
du secteur sanitaire et social...
·
Le coup porté aux formations en alternance et au
soutien aux handicapés
: qu'il s'agisse des formations en
alternance, et notamment de l'apprentissage, ou de l'insertion des
handicapés en centre d'aide par le travail, la question se pose de la
répartition de la réduction d'horaire entre les activités
de formation ou de soutien et les activités de production. Dans un cas,
on pénalise la formation ou le soutien au détriment du jeune ou
du handicapé, dans l'autre l'activité productive, au
détriment de l'employeur.
Dans tous ces cas, il apparaît clairement que les effets induits par la
réduction du temps de travail ne sont pas ceux escomptés. Si les
inconvénients de certaines des situations décrites peuvent
trouver une solution dans le paiement d'heures supplémentaires, cette
solution ne résisterait pas sur le long terme et pénaliserait les
salariés comme les entreprises.
Elle révèle, en tout
état de cause, l'inadaptation d'une mesure uniforme, qui se traduira
pour toutes les entreprises qui ne pourront passer aux 35 heures
effectives par une perte de compétitivité
32(
*
)
.
Cette situation concerne essentiellement les petites
entreprises, pourtant potentiellement les plus créatrices d'emplois.
b) La diversité des secteurs économiques et leur capacité à absorber le choc des 35 heures
La réduction à 35 heures de la durée
légale du temps hebdomadaire de travail ne pourra, à
l'évidence, s'appliquer avec les mêmes effets à tous les
secteurs. On pense naturellement aux secteurs soumis à la concurrence
internationale, comme le textile, qui va voir ses charges s'accroître,
alors même qu'il est déjà gravement menacé.
Tous les secteurs soumis à la concurrence n'auront pas la
possibilité de faire de nouveaux gains de productivité, par
exemple en négociant de nouveaux accords d'aménagement du temps
de travail, tout simplement parce que les gains de productivité annuels
sont la condition de leur survie, et bien souvent ont été
" prévendus " à leurs clients. Ils ne pourront faire
davantage et donc deviendront déficitaires sur ces contrats
33(
*
)
.
Le secteur de l'artisanat aura, quant à lui, à subir la
concurrence des entreprises étrangères situées de l'autre
côté des frontières françaises
34(
*
)
. Le secteur
des transports verra, avec la
libération totale du cabotage, les transporteurs étrangers venir
travailler en France tout en conservant leurs règles nationales, ou tout
simplement en appliquant les normes communautaires
35(
*
)
beaucoup plus souples. Dans ces deux cas, il est
évident que
l'abaissement de la durée du travail
générera des distorsions de concurrence au détriment des
entreprises françaises
.
Le secteur bancaire, lui aussi menacé, mais de rachat par des
concurrents étrangers, risque de pâtir de la loi, au moment
même où il cherche à s'engager dans un processus de
négociation d'un nouvel aménagement du temps de travail.
Comme l'a rappelé M. Michel Freyche lors de son audition du
15 janvier 1998, le secteur bancaire est
" une juxtaposition
de
petites et moyennes entreprises. L'unité de travail de base dans la
banque est petite : c'est l'agence de quartier, l'agence de bourg, l'agence de
campagne. Or, 75 % de ces agences comptent moins de dix personnes et
90 % d'entre elles comptent moins de vingt personnes ".
La difficulté de réduire le temps de travail lorsque les
effectifs sont réduits a été maintes fois
soulignée. Se trouve donc avivé le risque de regroupement des
agences bancaires.
Ce mouvement, s'il devait s'accomplir, porterait une lourde atteinte à
l'aménagement du territoire.
Le secteur sanitaire et social, représenté par
l'UNIOPSS
36(
*
)
, illustre à la perfection
les multiples effets pervers de la loi et
l'absence de réflexion et
de concertation
ayant présidé à son
élaboration. Le secteur qui regroupe 22.000 établissements
et services, 1.200.000 lits et 400.000 emplois équivalents
temps plein va cumuler les difficultés, en premier lieu au
détriment des bénéficiaires -personnes handicapées
ou âgées, enfants et jeunes, familles etc.-, sur lesquels pourrait
être répercutée une partie des surcoûts et qui, ne
pouvant l'assumer, renonceront au bénéfice du dispositif d'aide.
Ces difficultés se répercuteront aussi sur les
collectivités locales qui seront sollicitées pour assumer leur
part et qui pourraient ainsi être amenées à dénoncer
les conventions conclues avec les établissements ou les organismes de
protection sociale, également appelés à contribuer. L'Etat
lui-même pourrait devoir assumer une partie de ces surcoûts. Le
fera-t-il ? Les 35 heures vont également susciter de nombreux
problèmes : d'organisation, d'abord, pour les établissements qui
travaillent en continu, avec le risque d'émietter les interventions par
le recours au temps partiel pour combler les trous, de financement, ensuite,
lorsque les salaires sont au niveau du SMIC et ne pourront être
baissés, d'emploi, enfin, car les auxiliaires de vie, dont l'heure de
travail sera désormais trop coûteuse, pourraient se retrouver en
surnombre... D'une façon générale, les surcoûts
liés aux 35 heures pourraient entraîner une réduction
des autres postes budgétaires (loisir des handicapés, camps,
etc.) au profit des salaires qui représentent déjà entre
50 et 80 % du chiffre d'affaires (107 milliards de francs) de ce
secteur, une déqualification des personnels à la suite
d'embauches à moindre frais, et une sortie des dispositifs des personnes
désormais incapables de supporter l'augmentation du coût des
prestations (aide à domicile...).
Dans ce secteur, comme dans les autres, la loi va donc détruire des
activités au lieu de générer des emplois, tout en portant
atteinte à notre système d'aide sociale et de
solidarité
.
c) La diversité des situations au regard de l'organisation du travail
L'aménagement du temps de travail n'a bien
évidemment pas été découvert avec le
dépôt du projet de loi sur les 35 heures. La loi " de
Robien " a montré tout l'intérêt de lier
l'aménagement et la réduction du temps de travail. Auparavant, la
voie avait été tracée par l'accord du 31 octobre 1995
sur l'emploi.
De nombreuses entreprises ont donc déjà négocié un
accord d'aménagement et de réduction du temps de travail. La loi
" de Robien " couvrirait aujourd'hui environ
300.000 salariés, avec 1.500 accords dont 71 % d'accords
offensifs. Plus généralement, 4.000 accords sur ce
thème ont été conclus couvrant 10 % des
salariés, depuis la signature de l'accord du 31 octobre 1995.
Il y a donc
des entreprises qui n'auront plus grand chose à
négocier en terme de flexibilité
, dans la mesure où
elles seront déjà réorganisées. Il leur sera en
conséquence difficile de supporter le choc des 35 heures, si elles
n'y sont pas déjà, et dans ce dernier cas, il est peu probable
qu'elles soient en mesure de créer des emplois
37(
*
)
.
Inversement, la majorité des entreprises, regroupant 90 % des
salariés, n'ont encore rien négocié : l'abaissement de la
durée légale sera l'occasion de le faire. Cependant, des
gains
de productivité très importants pourraient être obtenus
absorbant
la réduction bien au-delà du
tiers
généralement admis,
ce
qui réduirait dans de
fortes proportions l'effet emploi.
Cela pourrait notamment se produire en
cas d'automatisation plus poussée.
Encore, faut-il, pour y parvenir, être en mesure de négocier. Or,
il est nettement apparu à la commission d'enquête que le
caractère obligatoire de la réduction du temps de travail, ainsi
que l'absence de prise en compte de la diversité des situations,
avaient braqué les partenaires sociaux, très réticents
à s'engager dans un processus de négociations
.
2. Les conditions du dialogue social sur ce thème ne sont pas remplies
L'annonce d'un dialogue social suppose des objectifs clairs,
" du grain à moudre ", pour être en mesure de donner
quelque chose en échange d'autre chose, de réelles
capacités de négociation et d'abord un accord de volonté.
Des incitations à négocier, venant des pouvoirs publics, peuvent
constituer un facteur supplémentaire de réussite, comme le montre
la loi " de Robien ". Ces incitations sont le plus souvent
d'ordre
financier, l'Etat s'étant révélé, jusqu'à
présent, incapable d'inciter au dialogue social par d'autres voies,
comme cela peut se passer aux Pays-Bas
38(
*
)
.
Or,
les travaux de la commission d'enquête ont montré que ces
différents facteurs de réussite ne sont pas réunis, en
grande partie du fait du Gouvernement lui-même, plus soucieux de passer
en force, que d'inciter et de convaincre. La commission d'enquête n'a pu
que constater qu'il n'y a pas, chez les agents économiques et sociaux,
de volonté d'aboutir. En outre, les difficultés techniques de
telles négociations semblent avoir été largement
sous-estimées par les ministères concernés
.
a) Un dialogue social difficile à établir
Le sentiment qui se dégage de l'ensemble des auditions
est que les partenaires sociaux ne sont pas prêts à s'engager dans
la voie d'une réduction négociée du temps de travail :
cette affirmation, ou cette crainte, se retrouve même chez ceux
-essentiellement des économistes- qui reconnaissent quelques vertus au
dispositif en termes de créations d'emplois. L'incapacité des
acteurs sociaux à négocier, en raison de leur faiblesse, de leur
" fragmentation " ou de leurs faible représentativité,
a souvent été avancée. Il a également
été observé que les négociations novatrices
ressortaient des périodes de crise, ce qui n'est actuellement pas le
cas
39(
*
)
.
En fait, les instruments d'un véritable dialogue social ne sont pas
réunis. Et les conditions de la préparation de la
Conférence nationale sur les salaires, l'emploi et le temps de travail
ont largement contribué à ce blocage.
-
Une mauvaise préparation de la Conférence pour
l'emploi
La Conférence nationale tripartite du 10 octobre 1997 a
été préparée par une réunion d'information,
le 3 octobre, afin de valider le diagnostic économique dressé par
l'INSEE, la direction de la prévision et la DARES, et de dégager
un consensus sur un ensemble de données quantitatives liées au
thème de la Conférence nationale. Des documents techniques ont
abondamment été distribués à cette occasion. S'il y
a mauvaise préparation, cela ne tient donc pas à l'information
sur l'état des lieux et sur les perspectives économiques et
sociales.
Cela tient essentiellement au climat social avant et pendant la
Conférence. Peut-être, y a-t-il eu, au départ, un
désenchantement causé par le rythme accéléré
des projets de réforme du temps de travail : l'accord du 31 octobre
1995, la loi " de Robien " du 11 juin 1996, le sommet
du 8
juillet 1996 et la nouvelle Conférence. Une initiative vient à
peine d'être lancée qu'une nouvelle est annoncée, avant
même qu'un quelconque bilan de la précédente ait pu
être dressé. Une telle
précipitation
ne peut que
susciter le scepticisme des partenaires sociaux qui ne protestent même
plus
40(
*
)
.
Mais surtout, il ressort des auditions que les partenaires sociaux, tout au
long de cette journée, ont éprouvé un sentiment
mitigé
41(
*
)
ou plus
généralement un sentiment de manipulation et de tromperie. Alors
que chacun pensait participer à une consultation où il pourrait
être écouté et faire évoluer les choses, tous ou
presque ont eu le sentiment, à entendre le discours conclusif du Premier
ministre fixant le caractère législatif et obligatoire de la
réforme,
que tout était joué d'avance
,
malgré les propos conciliants des membres du Gouvernement ou des
cabinets ministériels entendus au cours des jours
précédents, et malgré le large éventail de
possibilités ouvertes par le discours introductif du Premier
ministre
42(
*
)
.
Naturellement, la Conférence a été ressentie par les
organisations patronales comme un échec, échec d'autant plus vif
que l'espoir avait été entretenu jusqu'à 17 heures, heure
de l'intervention finale du Premier ministre. Le récit fait devant la
commission par M. Jean Gandois, alors président du CNPF,
43(
*
)
est, à cet égard, on ne peut plus
éclairant. De même, l'UPA avait cru que les petites entreprises
seraient exclues, d'où sa déconvenue. La CG-PME a vécu
cette journée comme une " déchirure ". La CFTC a
également considéré que la Conférence avait
été un échec, en ce qu'elle avait contribué
à rompre le dialogue entre les partenaires sociaux. Quant au CNPF, par
la bouche de l'un de ses vice-présidents, il a qualifié cette
journée de " journée des dupes ".
Ainsi, du côté patronal, mais aussi chez certains syndicats de
salariés, les jugements sur la Conférence sont très
négatifs. Mais au-delà de l'échec, c'est
le sentiment
général d'avoir été trompé, d'avoir
été manipulé et de se trouver privé de toute
initiative qui prédomine
. Dès lors, le Gouvernement peut-il
espérer obtenir l'accord de volonté permettant d'engager des
négociations sur le temps de travail ?
L'échec de la
Conférence est avant tout psychologique, car il a contribué
à braquer les partenaires sociaux contre la procédure retenue
pour passer aux 35 heures
.
Mais les organisations patronales ne sont pas les chefs d'entreprise et la
question se pose de savoir si ces derniers sont davantage disposés
à entamer des négociations.
-
Un patronat inquiet et réticent
Deux critiques de procédure sont formulées par les organisations
patronales, justifiant par des arguments leur refus de négocier :
"
on ne négocie pas sur ordre
", "
on ne
négocie pas quand le résultat est connu
d'avance
"
44(
*
)
. La contradiction
entre
le recours à la loi pour imposer les 35 heures et l'appel à
la négociation pour les mettre en oeuvre est aussi
invoquée
45(
*
)
.
Quant aux critiques de fond, elles sont résumées dans la
déclaration commune du Comité de liaison des décideurs
économiques (CLIDE), signée le 12 janvier 1998 par cinq
organisations patronales, la CG-PME, le CNPF, la FNSEA, l'UNAPL et l'UPA :
Les présidents des cinq organisations "
constatent que l'immense
majorité de leurs membres quels que soient leur secteur, la taille de
leur entreprise ou leur forme juridique, sont opposés à ce projet
qui :
·
ignore la réalité des entreprises et leur
diversité et va à l'encontre de leurs efforts quotidiens pour
s'adapter aux réalités du monde dans lequel ils vivent ;
·
stérilise par avance le dialogue social et risque de
tendre inutilement le climat ;
·
impose de nouvelles contraintes réglementaires et des
augmentations de coûts aux seules entreprises françaises, à
l'heure de l'euro et de la mondialisation ;
·
cassera l'élan de tous ceux qui entreprennent alors
même que l'économie donne des signes de reprise ;
· incitera au travail au noir et au départ des emplois hors
de France
. "
La question est donc de savoir si les chefs d'entreprise sont dans le
même état d'esprit.
A la lecture de la presse, où ils se sont beaucoup exprimés, il
semble bien que la majorité d'entre eux le soient. Les quelques chefs
d'entreprise venus déposer devant la commission d'enquête ont
également exprimé les plus vives réserves.
La commission d'enquête a aussi souhaité recueillir par
elle-même leur sentiment. Elle s'est donc, fin décembre 1997,
adressée aux organismes consulaires pour leur demander s'ils avaient
procédé à des enquêtes auprès de leurs
mandants. Soixante-quinze réponses ont été reçues
au moment de la rédaction du rapport et les réponses continuent
à parvenir au Sénat. Une courte synthèse de ces documents
-les enquêtes réalisées par ces organismes sont nombreuses
et volumineuses- révèle des analyses du processus de mise en
oeuvre de la réforme et de ses conséquences très proches,
sinon identiques, à celles des organisations patronales (cf. annexe).
La commission d'enquête a également lancé une
enquête, sous forme de questionnaire, sur Internet. Le faible nombre de
réponses reçues, et l'absence de véritables garanties
quant à l'identité de la personne morale ou physique qui
répond, ôte à cet exercice toute valeur
scientifique
46(
*
)
.
Cependant, là encore (cf. annexe), les réponses ne sont pas
très différentes des positions des organisations patronales.
Enfin, la commission d'enquête a reçu le document
réalisé par le groupe UDF de l'Assemblée nationale portant
sur 43.550 questionnaires qui conclut à un rejet de la
réduction obligatoire du temps de travail par 92 % des
entrepreneurs, pour les mêmes raisons que le CLIDE.
Certes, on ne peut déduire de ces enquêtes que les chefs
d'entreprise ne négocieront pas. Mais on a bien là un
instantané de leur état d'esprit, sans doute imparfait, mais
suffisant pour prédire que la volonté de réussir ne sera
pas au rendez-vous.
Toutes les personnes entendues exerçant des responsabilités dans
l'entreprise, de même que les organisations professionnelles se sont
affirmées légalistes, ce qui les conduira à appliquer la
loi, et sans doute à tenter une négociation. Mais pour
négocier, il faut être au moins deux. Qu'en est-il des syndicats
de salariés ?
-
Des syndicats affaiblis et divisés dont les priorités
sont autres
Si on laisse de côté les critiques formulées par plusieurs
observateurs de la vie sociale, relative à la faiblesse des syndicats
due à leur peu de représentativité, qui ne les met pas en
position favorable dans une négociation aussi importante, on observe une
large unanimité pour dire ou seulement constater que la
réduction du temps de travail ne constitue pas leur
priorité
.
Mise à part
la CFDT
47(
*
)
, qui
reconnaît que la réduction du temps de travail met "
la
question salariale sur la table des négociations
" et qui
précise que lorsque les salariés sont consultés, ils ne
s'opposent pas à des efforts salariaux, en particulier lorsque les
contreparties en emploi sont sensibles, tous les autres syndicats placent,
à quelques nuances près, la revendication salariale au premier
rang de leurs préoccupations.
La contradiction avec la condition de
modération salariale, de gel ou de réduction
nécessairement associée à la réduction du temps de
travail, est donc flagrante
.
Pour la CGT-FO
48(
*
)
, les priorités
sont les rémunérations, les minima sociaux et les
préretraites
, avec un objectif,
la relance de la
consommation
, pour faire repartir la croissance et donc l'emploi.
L'augmentation des salaires est aussi un moyen d'éviter le travail au
noir ainsi que les heures supplémentaires qui, si leur quantité
augmentait, produiraient des effets inverses de ceux recherchés par la
réduction du temps de travail. Le représentant de la CGT-FO a
d'ailleurs précisé que
son syndicat était hostile
à l'idée de signer des accords de gel ou de réduction des
salaires
, auxquels il estimait que les salariés étaient
opposés.
Cette position est confortée par l'opinion de M. Raymond
Soubie
49(
*
)
, selon laquelle la modération
salariale est déjà un facteur de conflit dans les entreprises et
entraînera sans doute des refus quant à un éventuel gel des
salaires.
La CGT
50(
*
)
, également, se prononce
pour une relance de la croissance, fondée sur une augmentation de la
masse salariale et du pouvoir d'achat
, et ne veut pas que la
réduction du temps de travail soit le prétexte à une
diminution ou à un blocage des salaires.
La CFE-CGC
51(
*
)
s'est prononcée contre
toute perte de salaire
, acceptant à la rigueur un gel, à
condition cependant qu'on ne distingue pas entre cadre et non-cadre.
Quant à la CFTC
52(
*
)
, favorable
à l'annualisation du temps de travail,
elle est opposée
à une réduction des salaires inférieure au plafond de la
sécurité sociale
et marque sa préférence pour
un gel de un ou deux ans. M. Jean-Paul Probst a aussi souligné que
les négociations seraient dures, les organisations syndicales
étant déterminées
à préserver la
qualité de la vie familiale
de leurs mandants, menacée par
les excès de flexibilité.
Du côté patronal, le sentiment est le même. Qu'il s'agisse
des organisations patronales ou des entreprises entendues, tous pensent que les
salariés seront hostiles à un gel des salaires et qu'ils placent
les salaires au premier rang de leurs priorités, avant la
réduction du temps de travail.
En outre, dans les petites
entreprises, les salariés, très proches du chef d'entreprise, et
très sensibles aux résultats, partageront assez facilement
l'analyse de l'employeur sur les effets dangereux pour l'entreprise et l'emploi
de la réforme.
Or, la modération salariale, de l'avis des économistes comme de
l'avis des chefs d'entreprise, est l'élément-clef de la
réforme, faute de quoi les coûts unitaires de production
augmenteraient, ou des gains très importants de productivité
seraient recherchés, ce qui irait, dans les deux cas, à
l'encontre de l'objectif de création d'emplois.
La question est de savoir si ces analyses syndicales se retrouveront au sein
des entreprises, sachant que dans la grande majorité des petites et
moyennes entreprises, il n'y a pas de délégué syndical.
-
Des salariés intéressés mais exigeants
Les sondages sur cette question sont nombreux
53(
*
)
, et leurs résultats assez fluctuants.
Devant la question de savoir si la réduction du temps de travail sera
efficace pour créer des emplois, les salariés restent perplexes.
S'ils sont majoritairement favorables aux 35 heures, approuvés par
63 % des personnes interrogées, ils ne sont que 43 % à
croire à l'efficacité du projet de loi (IFOP, 12 octobre
1997 -
Le journal du Dimanche
). 52 %, selon une enquête IPSOS
(
Le Monde Initiative
du 17 décembre 1997), pensent qu'ils
auront plus à y gagner qu'à y perdre et 42 % pensent le
contraire.
Plus généralement, selon une enquête BVA (
Paris
Match
du 22 janvier 1998), 47 % des Français pensent que
l'emploi va augmenter (de 4 %) ou un peu (43 %), 26 % pensent le
contraire et 2 % que cela ne changera rien.
En décembre 1997, selon un sondage de la SOFRES pour le CNPF, 69 %
des salariés se déclarent favorables aux 35 heures, mais
seulement 12 % pensent que cela va permettre de faire diminuer le
chômage, alors qu'ils sont 21 % à croire qu'on y parviendra
par une baisse des impôts et de cotisations et 28 % par une
augmentation des salaires. On retrouve donc ici les analyses et les
priorités des syndicats.
Pour être acceptée, la réduction du temps de travail
accompagnée d'une diminution du salaire, doit être assortie de
contreparties en termes d'emploi. Si l'emploi n'est pas en jeu, la contrainte
budgétaire des ménages paraît déterminante et le
nombre d'avis favorables chute considérablement.
Les opinions des salariés à temps complet sur la réduction du temps de travail avec diminution de salaire
Q1 : Accepteriez-vous une réduction de l'horaire
concernant l'ensemble du personnel de votre établissement, avec une
réduction correspondante de votre salaire annuel ?
Q2 : si non à Q1, si cela permettait de maintenir ou d'augmenter les
effectifs de votre établissement, l'accepteriez-vous ?
|
Réponses " oui " à Q1 ou Q2 |
Réponses " oui " à Q1 |
Réponses " oui " à Q2 (parmi les " non " à Q1) |
Hommes |
49,8 |
19,8 |
38,3 |
Femmes |
56,7 |
27,4 |
41,3 |
Ensemble |
53,0 |
22,7 |
39,4 |
Lecture : 39,4 % des salariés qui répondent
non à Q1 répondent oui à Q2.
Les pourcentages ne sont pas égaux à (Q1 + Q2) car
l'échantillon concerné par les deux questions est
différent. En effet, la question 1 s'adresse à l'ensemble de la
population alors que la question 2 ne s'adresse qu'aux salariés ayant
répondu négativement à la question
précédente.
Source : INSEE - Enquête complémentaire emploi de 1995.
Il apparaît donc que les Français, ou du moins les
salariés, ne sont pas opposés, même si leur opinion a
fluctué au cours des dernières années, à une
réduction du temps de travail accompagnée d'une diminution ou
d'un gel de leur rémunération dès lors qu'elle s'inscrit
dans une démarche solidaire favorable à l'emploi.
Inconsciemment, ils font leur le raisonnement de M. Jean-Paul
Fitoussi
54(
*
)
, considérant la baisse
momentanée des revenus comme un investissement, car les salariés
ont collectivement intérêt à la croissance de l'emploi,
celle-ci réduisant la précarité de leurs conditions et
étant un gage de revenus plus élevés dans l'avenir.
Mais, encore faut-il pour négocier, que chacun ait une conscience claire
des enjeux. Or, la commission d'enquête a constaté que le
Gouvernement, par ses hésitations, ses manoeuvres ou ses contradictions,
n'avait pas facilité la compréhension des conditions de mise en
oeuvre de la réduction du temps de travail.
b) Un message gouvernemental brouillé
Le premier exemple de cette démarche hésitante
concerne l'objectif même de la réduction du temps de travail.
C'est ainsi que l'exposé des motifs du projet de loi annonce
"
qu'une réduction du temps de travail bien conduite peut
créer des centaines de milliers d'emplois
",
présentées non pas comme une attente, mais bien comme un
résultat assuré puisqu'il est ajouté qu'"
aucune
des politiques mises en oeuvre depuis une vingtaine d'année n'est
parvenue à le faire jusqu'ici
". Naturellement, nul ne peut
résister à un tel programme, même s'il ne brille pas par sa
probité intellectuelle. Malheureusement, la lecture de l'étude
d'impact, fournie quelques semaines après l'adoption du projet de loi au
conseil des ministres, ne mentionne aucune prévision de création
d'emplois,
comme si les hypothèses et les chiffres sur lesquels
s'étaient fondés les rédacteurs du projet de loi avaient
soudain perdu toute crédibilité
. L'affirmation triomphaliste
s'est transformée en un discours sur les bénéfices
qu'allaient pouvoir retirer les entreprises des contreparties qu'elles
négocieraient en termes de flexibilité. Des effets en termes
d'emplois, il n'est plus question.
On retrouve, dans les prises de position des membres du Gouvernement, ces
mêmes allers et retours entre les affirmations péremptoires et les
prises de position plus réalistes. Les déclarations
contradictoires de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la
solidarité (450.000 emplois) et de M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (350.000), ce
dernier se permettant " en boutade " de proposer des
résultats
de simulation macro-économiques pronostiquant la création d'un
million d'emplois. Le Premier ministre lui-même, sélectionnant
soigneusement ses chiffres dans trois études, opportunément
publiées le jour de son intervention télévisée, par
le journal "
Le Monde
", a annoncé de 300.000 à
700.000 emplois. Quant à M. François Hollande, premier
secrétaire du parti socialiste, il est redescendu à quelques
milliers d'emplois créés. Il n'en reste pas moins que
l'opinion publique et les salariés auront bien du mal à
évaluer l'impact du projet de loi.
Le discours sur la compensation salariale a aussi quelque peu varié au
fil du temps, passant d'une réduction du temps de travail sans perte de
salaire, à l'affirmation que la réduction du temps de travail ne
doit pas affecter la compétitivité des entreprises, ce qui,
ipso facto
, mais cela n'apparaît pas avec évidence aux yeux
de non-spécialistes, signifie un gel, voire une réduction des
salaires.
Cela n'a jamais été dit explicitement
.
Dernier exemple, le flou entretenu à propos de la baisse de la
durée du travail. Pour beaucoup de Français, la baisse de la
durée légale est comprise comme la baisse de la durée
effective. Or, il n'est pas sûr qu'ils se représentent les
implications sur leur mode de vie d'une durée légale
annualisée, dans la mesure où 90 % des salariés ne
relèvent pas d'une convention d'aménagement du temps de travail
et ne l'ont donc jamais expérimentée.
Une plus grande
transparence aurait, là aussi, été nécessaire. Car
quelle sera leur réaction quand on leur demandera de travailler plus de
40 heures pendant quelques semaines, alors que la durée
légale sera de 35 heures ?
Enfin, en plus de la conscience des enjeux, la réussite d'une
négociation sociale repose sur la capacité des acteurs sociaux
à négocier. Or, la négociation de ce type d'accord est
sans doute
la plus difficile qui soit, et la plus risquée pour la
préservation du climat social. Son objet est sans
précédent.
c) Des conditions techniques de négociation complexes
La complexité des mécanismes
d'aménagement du temps de travail est considérable. Il n'est,
pour s'en convaincre, que de parcourir les articles du code du travail
consacrés aux heures supplémentaires (art. L. 212-5 et
suivants) ou aux différents types de modulation (art. L. 212-7 et
suivants). La négociation de tels accords, qui comportent en outre un
volet de négociation salariale, toujours sensible, suppose des
négociateurs qualifiés, des aides à l'ingénierie
sociale et, enfin, une connaissance précise des paramètres
à prendre en compte.
Malheureusement, la commission d'enquête a constaté que ces
conditions étaient loin d'être remplies.
-
La technicité du débat
Négocier un accord d'annualisation suppose d'abord de la part de
l'entreprise une bonne connaissance de ses contraintes. Cela suppose
également une bonne connaissance de la législation et des
libertés qu'elle accorde, ainsi que des sacrifices que sont en mesure
d'accepter les salariés en matière de flexibilité. A
défaut, un accord mal équilibré peut compromettre
l'organisation du travail ou détériorer gravement le climat
social.
Il faut également du temps et, à ce titre, les délais
impartis, avec le couperet du 1
er
janvier 2000, sont
relativement courts
55(
*
)
. Mais la
complexité du processus de négociation ne s'arrête pas
là. La matière à traiter ne peut plus être
appréhendée aujourd'hui comme hier.
La question se pose en effet de savoir si
le concept de durée
hebdomadaire du travail
, voire même de durée du travail, est
encore d'actualité, notamment dans les nombreux secteurs à forte
valeur ajoutée intellectuelle ou recourant à de nouvelles formes
de travail (télétravail, nouvelles astreintes dues aux
facilités de télécommunication...). La même question
se pose à propos des
cadres,
et si celle-ci a souvent
été évoquée au cours des auditions, nul n'a
proposé de solution satisfaisante
56(
*
)
.
Néanmoins, ces questions se poseront et devront être
résolues.
Un autre facteur de complexité est la prise en compte du
temps
partiel
, éventuellement dans un cadre annualisé que le
Gouvernement tente d'ailleurs de dissuader en supprimant l'exonération
de charges sociales dont ce dernier bénéficie.
Or, cette complexité n'a nullement été prise en
considération dans le cadre de cette réforme imposée.
D'ailleurs, le Gouvernement a pris bien soin de refuser à la commission
d'enquête l'accès aux notes de la direction des relations du
travail qui, pour certaines d'entre elles -entr'aperçues lors du
transport au ministère de l'emploi et de la solidarité-,
traitaient bien de ces difficultés.
- Le manque de négociateurs qualifiés
De ce qui vient d'être dit, on déduit aisément que de
telles négociations nécessitent une grande maturité et une
forte expérience syndicale, qui pourraient faire défaut en raison
de la faiblesse du syndicalisme en France
57(
*
)
,
principalement dans les petites entreprises qui n'ont que rarement des
délégués syndicaux ou des délégués du
personnel pouvant les suppléer.
Pourtant, plus un sujet est complexe, plus il doit être
négocié au niveau local, pour coller le mieux possible aux
réalités du terrain
58(
*
)
.
Si, sur ce plan, les grandes entreprises ne devaient pas rencontrer de
difficultés, il en va différemment pour les petites entreprises.
Ce problème n'est pas nouveau.
Pour pallier l'absence de délégués syndicaux, qui
empêche l'élaboration d'un droit conventionnel spécifique,
la Cour de cassation avait admis, dans un arrêt du 25 janvier 1995,
qu'en l'absence de toute représentation du personnel, une organisation
syndicale pouvait mandater un salarié pour négocier un accord
avec l'employeur. Les partenaires sociaux, dans leur accord national
interprofessionnel du 31 octobre 1995 relatif à la politique
contractuelle, ont repris cette possibilité, mais l'ont
subordonnée à un accord de branches. Ce dispositif
dérogatoire a été validé, à titre
expérimental, par la loi du 12 novembre 1996. Cependant, la lenteur
des négociations de branches qui le conditionnent a poussé le
Gouvernement, en dépit du texte de l'accord et de la loi, a rouvrir la
possibilité d'un mandatement sans accord de branches préalable.
C'est cette possibilité qui devrait être validée par le
projet de loi, afin de favoriser le dialogue social et la négociation
d'accords d'aménagement de réduction du temps de travail dans le
cadre de la loi sur les 35 heures. C'est d'ailleurs dans ces conditions
que 34 % des accords de Robien ont été
négociés et conclus, la plupart par la CFDT.
On voit néanmoins que
la pratique du mandatement est loin d'offrir
les garanties exposées ci-dessus
. C'est la raison pour laquelle,
à l'exception de la CFDT, les syndicats n'y sont pas favorables. La CFTC
craint une remise en cause de la loi du 12 novembre 1996, avant même
que les nouvelles formes de représentation qu'elle a instituées
aient pu être réellement expérimentées
59(
*
)
. La
CGT voit dans le mandatement une remise en cause
du monopole syndical de négociation. Pour la CGT-FO
60(
*
)
, les salariés ainsi mandatés ne seront
ni formés, ni indépendants, car le plus souvent proposés
par l'employeur. D'une façon générale, les syndicats
préfèrent les accords de branches, ici expressément
exclus. Les organisations patronales, quant à elles, auraient
préféré pouvoir recourir aux seuls représentants
élus du personnel.
Finalement,
le recours au mandatement, facilité pour étendre
le plus largement possible le champ des négociations, pourrait jouer
contre l'aménagement du temps de travail si les accords, mal
négociés et déséquilibrés,
généraient des conflits internes à l'entreprise
.
-
Le conseil aux PME est insuffisamment développé
Lors de son audition, M. Jean Marimbert, directeur des relations du
travail, a indiqué que le ministère de l'emploi et de la
solidarité avait accompli de gros efforts pour mobiliser les services en
direction des petites entreprises.
Il n'en reste pas moins que de nombreux chefs d'entreprise, peu
familiarisés avec les finesses de la négociation, auront beaucoup
de difficultés à négocier ces accords au nom de
l'entreprise. Certes, des aides financières sont inscrites au budget du
ministère de l'emploi, mais elles sont loin de correspondre aux
besoins
61(
*
)
. Quant aux cabinets privés,
peu développés, ils s'adressent surtout aux grandes entreprises.
- Certains paramètres à prendre en compte dans la
négociation ne sont pas encore fixés
L'un des reproches adressés à la démarche du Gouvernement
est qu'elle consiste à
demander aux partenaires sociaux de
négocier en fonction de critères qui ne seront fixés que
par une nouvelle loi en l'an 2000
62(
*
)
.
Parmi ces critères figurent le régime juridique des heures
supplémentaires (surcoût et repos compensateur), l'insertion dans
la loi de la mention de l'annualisation ou le régime du SMIC. Si ce
dernier point a reçu un début de réponse à
l'occasion du débat sur les 35 heures à l'Assemblée
nationale, avec l'institution d'un double SMIC (mensuel revalorisé pour
les bas salaires, horaire et inchangé pour les autres), la solution
retenue constituera une source de complexité et un nouveau facteur de
conflits au sein des entreprises lorsque les salariés compareront leurs
feuilles de paie
63(
*
)
.
D'une façon générale,
l'intervention d'une
deuxième loi, en 2000, ne peut constituer qu'un facteur d'incertitude
juridique, contraire à la stabilité dont ont besoin les
entreprises sur le long terme.
*
L'accumulation de conditions difficiles à remplir, la persistance de zones d'ombre, la fragilité des raisonnements sur lesquels s'appuie le Gouvernement, qui semble s'apercevoir de son erreur tout en restant déterminé, la précipitation avec laquelle est engagée cette réforme, sans réflexion ni concertation suffisantes, ont conduit la commission d'enquête à considérer que les partenaires sociaux ne parviendraient pas à amortir le choc des 35 heures sur le fondement d'un accord de volonté . Ces conditions micro-économiques favorables n'étant pas remplies, seule la voie des 35 heures autoritaires et non négociées reste ouverte. Mais elle dégradera les coûts de production des entreprises et se soldera nécessairement par des destructions d'emplois .
B. ON NE SPÉCULE PAS AVEC L'ESPOIR DES FRANÇAIS
Face au succès potentiel invoqué par le Gouvernement, il existe un échec, également potentiel, qu'il convient d'examiner dans le cadre d'une analyse qui se veut objective. En d'autres termes : cela peut échouer ; que se passe-t-il dans ce cas ?
1. Le gain potentiel ne réside pas seulement dans les chiffres
On peut considérer que les chiffres ne reposent que sur
des hypothèses et qu'ils sont somme toute modestes, au regard du
problème du chômage. Mais, tout de même, ces
hypothèses existent et doivent bien être prises en
considération. Et surtout, leur résultat n'est quand même
pas négligeable, loin s'en faut.
Le problème vient du fait qu'au-delà de ces chiffres, c'est bien
autre chose qui est en jeu : c'est l'espoir que fondent nos concitoyens sur
l'idée que l'on va résoudre le problème du chômage
grâce à la réduction du temps de travail.
a) On pourrait considérer que les chiffres sont modestes, mais non négligeables
Si tout marche bien, l'effet théorique de la
réduction du temps de travail sur l'emploi est loin d'être
négligeable. A en croire le Premier ministre, puissamment aidé
par un important quotidien du soir, dans le meilleur des cas les 35 heures
créeront
" 710.000 emplois en trois ans, selon la Banque de
France "
-
" 450.000 autour de l'an 2000 selon le
scénario le plus optimiste de l'OFCE "
64(
*
)
.
La commission d'enquête a déjà montré en quoi ces
chiffres étaient contestables et pour quelles raisons.
Elle pourrait encore objecter que, même si l'on admettait -simple
hypothèse d'école- que la réduction du temps de travail
est en mesure de créer 710.000 emplois, l'emploi n'est pas le
chômage. Tous les économistes savent en effet qu'il y a un pas
entre la création d'emplois et la réduction du chômage et
que ce pas n'est pas négligeable. C'est le fameux "
effet de
flexion
" qui fait que le nombre des emplois créés n'est
pas égal au nombre de chômeurs en moins.
Mais tout de même : 710.000 emplois ou seulement 400.000 même si
ce n'est que sur cinq ans,
" cela représente un résultat
intéressant que peu de politiques peuvent égaler
"
(M. Jean-Paul Fitoussi
65(
*
)
). Et pour ceux
qui seraient à nouveau tentés par les charmes dangereux du calcul
simpliste de la règle de trois, cela représente
deux points et
demi
de chômage. Qui pourrait le négliger ? Qui, sans
disposer du recul et de l'expérience des sénateurs, serait
capable d'assumer le risque d'autant d'impopularité ?
C'est précisément pour cette raison que l'espoir existe et
qu'il ne faut pas le décevoir.
b) Au-delà des chiffres : l'espoir
Certes, le Gouvernement ne dit pas que la réduction du
temps de travail constitue l'arme fatale contre le chômage et tient,
désormais, des propos plutôt responsables. La réduction du
temps de travail n'est plus "
la
" solution mais
seulement
"
une
" solution. Comme le dit M. Pierre Cabanes,
président du Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des
coûts (CSERC)
66(
*
)
, avec une rigueur qui
force l'admiration : "
le Gouvernement n'affirme pas qu'il en
résultera (de ce projet de loi) monts et merveilles. Il me semble qu'il
y a là une grande preuve d'honnêteté
". Ayons nous
aussi l'honnêteté de le reconnaître.
Mais il n'en reste pas moins que quand le Premier ministre affirme, avec
tout le crédit de la charge qui est la sienne : "
on
va
créer des emplois
", quand il dit "
la réduction
du temps de travail
(sur le terrain)
ça marche
"
67(
*
)
, il est inéluctable que nos
concitoyens comprennent "
on va réduire le
chômage
". Il y a -c'est un fait- dans l'esprit des
Français, comme de beaucoup d'autres, un amalgame entre le chômage
et l'emploi. Augmenter l'emploi c'est,
forcément
,
réduire le chômage. Dire que l'on réduit le
chômage, c'est faire renaître l'espoir.
Dans une société rongée par le chômage, où le
lien social se délite du fait du manque d'emplois, on peut penser que
tout
est bon à prendre, dès lors que cela se traduit par
une augmentation de l'emploi.
Or, précisément,
tout
n'est pas bon à prendre,
tout
n'est pas bon à faire,
tout
n'est pas bon à
dire. En particulier si, au terme de la réaction en chaîne que
nous aurons nous-mêmes déclenchée, le bien-être
collectif en général et le nombre d'emplois en particulier se
révèlent moins élevés après, qu'ils ne
l'étaient avant la décision.
Si la commission d'enquête avait utilisé
l'intégralité des six mois qui lui sont impartis pour rendre son
rapport, elle aurait pu soupeser un à un au trébuchet de la
connaissance économique, toutes les hypothèses, tous les
raisonnements et dépouiller toutes les études
économétriques avec davantage de précision qu'elle ne l'a
fait. Son rapport aurait été sans doute plus
étoffé. Mais, intervenant après le vote de la loi, il
n'aurait constitué à son tour qu'une étude
supplémentaire, une somme de plus dans le débat actuel et
n'aurait pas pesé plus lourd que tous les précédents face
à l'espoir de nos concitoyens. Point n'est besoin d'aller plus loin pour
comprendre ce qui est en jeu.
C'est parce qu'il ne faut pas tuer l'espoir qu'il convient de
considérer les risques dès maintenant. Les considérer
avant qu'il ne soit trop tard.
2. La perte potentielle n'est pas à négliger, elle pourrait même être considérable
On soulignera, à titre liminaire, que la
décision de réduire la durée légale hebdomadaire du
travail à 35 heures a, d'ores et déjà, produit des effets.
En premier lieu
, et comme le souligne M. Pierre Cabanes
68(
*
)
, "
la première conséquence (de
cette décision) est que l'accord national interprofessionnel du 31
octobre 1995 est, du fait de cette décision, tenu pour mort
".
Il est en effet difficile de contester, comme le souligne M. Pierre
Cabanes, que cet accord par lequel les partenaires sociaux, tous unanimes, sauf
un, s'entendaient pour réduire, par la négociation, la
durée du temps de travail pour créer des emplois, était
proprement "
révolutionnaire ".
Rappelons que cet
accord mettait fin à des débats théoriques ou
idéologiques qui "
faisaient rage depuis vingt ans
"
et, que pour la première fois dans notre pratique sociale, les
partenaires sociaux s'accordaient à dire que leur objectif commun
était la compétitivité des entreprises, que ce
résultat passait par une organisation plus souple de l'entreprise et,
enfin, que parmi les différents types d'organisation du travail et parmi
les multiples types de répartition d'une durée donnée du
travail, ils acceptaient de privilégier ceux qui étaient les plus
créateurs d'emplois. C'est une perte que l'on peut d'ores et
déjà constater au bilan. En termes de psychologie sociale, force
est d'admettre qu'elle est loin d'être négligeable.
En second lieu
, nombre de praticiens auditionnés par la
commission ont mis en évidence
les effets néfastes de cette
décision sur l'investissement des entreprises françaises
. Il
est sans doute trop tôt pour que nos économètres soient
capables de prendre la mesure du phénomène et de l'isoler des
nombreux autres facteurs qui agissent sur les décisions des chefs
d'entreprise. Mais si l'incertitude profite aux marchés financiers, elle
agit de façon négative sur les décisions des chefs
d'entreprise et plus encore sur leurs anticipations, dont il n'est plus besoin
de montrer l'importance dans le processus de formation des choix
économiques.
Peut-on imaginer que ce ralentissement de
l'investissement
, en des temps rendus encore plus incertains par les
troubles survenus sur les marchés asiatiques,
n'aura pas d'effets sur
les embauches programmées
? Là encore c'est une perte
que l'on ne peut ignorer, même si on ne peut encore la chiffrer. Il sera
toutefois intéressant de suivre l'évolution de la demande de
crédit adressée par les entreprises dans les mois qui ont
précédé l'adoption de la loi.
Au-delà, entrent en ligne de compte les effets négatifs
potentiels. Quels sont-ils ? Essayons rapidement de les identifier en nous
efforçant de graduer leur importance.
a) La perte potentielle n'est pas à négliger
Comme le souligne notre excellent collègue, M. Philippe
Marini, dans son rapport sur la résolution tendant à créer
la présente commission d'enquête
69(
*
)
, le
premier des risques, le plus évident, le
plus probable, mais aussi le moins grave, du moins pris isolément, c'est
celui d'aggraver le déséquilibre de nos finances publiques. En
effet, sous réserve de ce qui sera dit plus loin concernant le passage
à l'euro, il ne saurait ici être question de mettre en balance une
" plaie d'argent " avec le problème du chômage. Toute la
question, mais elle est difficile, est de savoir si cette plaie d'argent fait
partie du problème ou bien de la solution ?
La question est donc de savoir qui financera les pertes de recettes
résultant pour les organismes de protection sociale de la
" ristourne " pratiquée par l'Etat ? En d'autres termes, ces
pertes seront-elles compensées ? Et si oui, le seront-elles totalement
comme l'exigerait l'application de la loi du 25 juillet 1994 (art. L. 131-7 du
code de la sécurité sociale) ? Alors que le processus
législatif a déjà débuté à
l'Assemblée nationale, la question reste, semble-t-il, entière.
Même en faisant l'hypothèse, raisonnable, que,
in fine,
l'Etat prendra à sa charge cette mesure, quel en sera le coût
exact pour le budget ?
Les calculs présentés par le Gouvernement, qui ont
été rappelés par M. Philippe Marini dans son rapport
précité, reposent sur l'idée qu'il est possible de
calculer une aide d'équilibre qui rend neutre, à moyen terme, le
coût de la mesure. Les contribuables n'auront donc pas à financer
les 35 heures... pas plus qu'ils n'auraient dû financer le naufrage
du Crédit Lyonnais. On remarquera au passage, le revirement
jurisprudentiel consistant à ne pas prendre en compte une charge
dès lors qu'elle peut à terme avoir un rendement qui annule son
coût. Il s'agit d'une novation budgétaire intéressante au
regard des règles de la recevabilité financière des
amendements d'origine parlementaire
70(
*
)
.
Toujours est-il que la question posée par Philippe Marini reste sans
réponse : que se passe-t-il si se produit un phénomène
"
d'hystérésis
" budgétaire
71(
*
)
c'est à dire si, par malheur, les
rentrées fiscales n'étaient pas au rendez-vous des
dépenses budgétaires ?
En effet, le Gouvernement a refusé à la commission
d'enquête l'accès aux documents établis par les services de
la direction du budget
72(
*
)
, documents d'autant
plus intéressants qu'ils traduisent généralement une
vision plutôt pessimiste afin précisément de bien prendre
la mesure des risques encourus pour le budget de l'Etat. Le Gouvernement a
même refusé, contrairement aux engagements verbaux pris par ses
collaborateurs, de fournir la liste de ces documents. Il a en revanche
accepté de communiquer la liste des documents de la direction de la
prévision, sans pour autant faire droit à toutes les demandes de
la commission d'enquête.
La représentation nationale et, à travers elle les
Français, ne sauront donc rien des véritables hypothèses,
élaborées par les services de Bercy, dont on rappelle qu'ils sont
au service de l'Etat et non du seul Gouvernement, quant à l'impact
réel de la décision de réduire la durée
légale hebdomadaire du travail à 35 heures pour nos finances
publiques. Aux parlementaires et aux citoyens d'apprécier la
portée qu'il convient de donner à ce refus.
Le second risque potentiel à prendre en compte est celui de
"
rallumer le feu sous le chaudron social
"
.
Certes, la
décision de réduire la durée légale du travail ne
provoquera vraisemblablement pas de guerre civile. Bon nombre des chefs
d'entreprise, y compris les représentants du CNPF, ont fait observer que
si la loi est votée, ils l'appliqueront. Mais il convient de ne pas
sous-estimer les difficultés d'application aussi bien dans les
entreprises privées qu'au sein de la fonction publique.
Pour les entreprises privées
le risque le plus évident
est, semble-t-il, qu'en forçant la main des partenaires sociaux afin de
provoquer la négociation, on remette en cause non seulement les accords
existants en matière
de
temps de travail -c'est le but - mais la
myriade
des
temps, des
normes, le plus souvent informelles, des
références communes ou différentes qu'il s'agira de
redéfinir, de réarticuler, afin de remettre en cause pour le
meilleur, mais peut-être aussi pour le pire, l'organisation de notre
appareil productif. Comme le souligne M. Hugues Bertrand
73(
*
)
: "
réduire massivement
le
temps de travail, c'est inévitablement engager le corps social dans
son intégralité, dans toutes ses dimensions, dans une gigantesque
réflexion-action sur lui-même, sur sa manière d'organiser
la contribution productive de chacun et de répartir les fruits de la
production, sur le sens, la portée et l'équité de ces
règles et de ces innombrables accords et arrangements locaux
".
Pour prendre un seul exemple, les cadres accepteront-ils encore longtemps
d'être les laissés pour compte de la réduction du temps de
travail et, selon la jolie formule utilisée par M. Bernard
Brunhes
74(
*
)
, de ne pas voir traitée la
question du "
temps de travail de ceux qui ne le comptent
pas
". Certes, on peut comme M. Bernard Brunhes ou M. Jean
Marimbert,
directeur des relations du travail au ministère de l'emploi et de la
solidarité, faire preuve d'optimisme et considérer que le
problème de l'encadrement n'en est pas un et qu'il ne tient qu'à
nous de changer nos habitudes latines selon lesquelles être cadre c'est
forcément travailler jusqu'à, au moins, 20 heures le soir. En
somme si les cadres travaillent tant, c'est sans doute qu'ils
"
s'organisent mal
".
Pour autant, l'audition de M. Claude Companie, délégué au
département emploi de la Confédération française de
l'encadrement (CFE-CGC) et de Mlle Laurence Matthys
75(
*
)
est de nature à entamer ce bel optimisme,
d'autant plus que leurs déclarations s'appuient sur un récent
sondage particulièrement éclairant du journal
"
L'Expansion
"
76(
*
)
,
qui
montre bien la "
perte de confiance
" des salariés
français "
déboussolés par la mondialisation,
hantés par le chômage, déçus par leurs
managers
". Selon M. Claude Companie
77(
*
)
: "
le principe de fond de la CFE-CGC
est que
les cadres doivent bénéficier de la réduction du temps de
travail, sans baisse de salaire. Il n'y a pas de raison qu'ils supportent, un
peu plus que les autres, le financement d'une réduction du temps de
travail et de la contrepartie d'embauche
". Cet exemple avait
seulement pour objectif de montrer l'existence d'un risque : celui de rentrer
dans une période d'instabilité juridique, préjudiciable
à la bonne marche des entreprises et à la capacité de
notre économie à maintenir ses capacités de production, ce
qui est pourtant l'une des hypothèses fondamentales des modèles.
Pour ce qui est de la fonction publique,
nul n'est besoin de longs
développements tant les enjeux, dans leurs multiples dimensions, et
notamment en termes de "
fracture sociale
", ont
suffisamment
été pris en compte et soulignés dans les débats qui
ont entouré la préparation du projet de loi. Si toutefois
l'incertitude est encore de mise -peut-être plus pour longtemps-
concernant l'application aux fonctionnaires de la réduction de la
durée légale du travail, une seule certitude s'impose : le
coût que cela aurait pour les finances publiques. La commission
d'enquête n'a pu obtenir aucune évaluation émanant de la
direction du budget sur les conséquences du passage à
35 heures des aspects des différentes fonctions publiques (Etat,
collectivités territoriales, fonction publique hospitalière).
Mais, de toute évidence, l'Etat n'est pas en mesure de s'imposer
à lui-même l'effort qu'il impose aux entreprises.
b) La facture pourrait même être considérable
Nous envisagerons ici des risques qui ne se
matérialiseront que plus tard, une fois que la durée
légale du travail aura été effectivement abaissée.
Ce sont donc ce que l'on pourrait appeler des risques de second rang. Tels une
lame de fond, ils n'en sont que plus redoutables.
Le premier d'entre eux est de savoir
, si les évaluations
concernant les dépenses publiques sont fausses, ou même seulement
si leurs effets sont décalés dans le temps,
ce qui se passera
pour la mise en place de la monnaie unique
? Devrons-nous renoncer à
l'euro après tous les sacrifices consentis ? Si l'euro est
déjà en place devrons-nous, pourrons-nous, revenir en
arrière ? La France sera-t-elle le premier pays à se voir imposer
des sanctions pour déficit excessif ?
Encore une fois, il convient de souligner que la réduction du temps de
travail n'est pas imposée
in abstracto
. Elle intervient
hic et
nunc
dans un contexte économique et politique rendu fragile par la
mise en place de l'euro et le passage à l'an 2000, qui imposent des
charges informatiques considérables aux entreprises ainsi qu'une mise
à niveau des qualifications.
Le Gouvernement veut-il donc prendre le risque de mettre en balance l'emploi
et l'euro ? Va-t-on mettre en péril la construction européenne,
juste
pour voir
si la réduction du temps de travail va vraiment
créer des emplois ?
Enfin, le pire des risques est bien celui qui résulterait d'une
augmentation du chômage et d'un ralentissement de la croissance.
Or, comme le prévoient les praticiens et, notamment, M. Jean-Claude
Trichet, gouverneur de la Banque de France
78(
*
)
: "
le maintien de nos coûts unitaires de production à un
niveau aussi compétitif que possible est essentiel, non seulement du
point de vue de la préservation d'un bas niveau d'inflation, mais aussi
pour que les consommateurs bénéficient de bons rapports
qualité/prix, que les investisseurs investissent sur notre sol, et que
par conséquent, la création d'emplois y soit aussi dynamique que
possible
. "
En d'autres termes, si la réduction de la durée légale
du travail se traduit par une augmentation des coûts salariaux, cela sera
néfaste à l'emploi.
Pour faire face à cette augmentation des coûts salariaux les chefs
d'entreprise mettront en place
des stratégies de fuites devant
l'impôt social.
C'est la longue litanie des
"
épouvantails
" brandis par plusieurs des personnes
auditionnées et, notamment, par MM. Pierre Deschamps,
président de la commission sociale de Syntec Informatique et Pierre
Dellis, délégué général
79(
*
)
: travail au
noir, heures supplémentaires non
facturées, délocalisations, externalisation des contraintes...
qui se traduiront inéluctablement par une perte de substance pour notre
économie.
Enfin, existe
un risque de diminution de la croissance,
en cas de
modération salariale trop marquée, qui risque de déprimer
un peu plus la demande intérieure et la consommation des ménages.
La mise en place d'une réduction du temps de travail pour une entreprise
qui représente une proportion massive des emplois d'une ville, peut
soulever des difficultés considérables. C'est ce qui s'est
passé à Wolfsburg, où Volkswagen, dans le but de
préserver des emplois, a mis en oeuvre une réduction de la
durée du travail accompagnée à la fois d'une annualisation
et d'une réduction des salaires. Or, les effets sur la création
de richesses et l'emploi ne sont pas si probants que cela. Dans un premier
temps, le pouvoir d'achat des ménages s'est brutalement contracté
; puis les négoces, et notamment les supermarchés, ont dû
s'ajuster à cette contraction de la demande, d'abord en se
lançant dans une guerre des prix, ensuite, en licenciant.
In fine,
les emplois sauvegardés dans l'industrie automobile ont
été perdus dans le commerce et les services.
La commission d'enquête s'est efforcée, dans les
développements qui précèdent, d'éviter de tomber
dans le piège consistant, face au scénario idyllique
dressé par le Premier ministre, à bâtir un scénario
catastrophe et à brandir des "
épouvantails
".
Ce scénario, il faut le reconnaître est tout aussi virtuel que le
précédent. La vérité est que personne ne sait quels
seront les effets sur l'emploi du passage aux 35 heures. Mais comme le
déclarait Jean Gabin, savoir qu'on ne sait rien "
c'est
déjà beaucoup
".
Plus modestement, et dans un souci d'objectivité, la commission
d'enquête s'est efforcée de poser les questions -sans apporter les
réponses- qui montrent, qu'à côté d'un gain
potentiel, existe bel et bien une perte potentielle et que cette perte est
supérieure au gain.
Cela ne signifie pas que les bénéfices à attendre de la
mesure ne soient pas importants. On n'écarte pas 450.000 emplois d'un
simple revers de la main. Mais cela signifie que ces bénéfices
sont moins importants que les dégâts que causerait l'échec.
Ces dégâts ne seraient pas tant l'agitation dans la fonction
publique, la désorganisation dans les entreprises privées, nos
jeunes cerveaux qui partiraient à l'étranger, ni même le
déséquilibre de nos finances publiques, sans rien dire du report
de l'euro. Ce ne serait même pas l'aggravation du chômage,
résultat inverse de la mesure annoncée. Notre pays est un vieux
pays qui a connu beaucoup d'épreuves. Il est de taille à
affronter celles-là encore.
Mais s'il est une perte qu'il sera sans doute difficile à faire accepter
à nos concitoyens en cas d'échec des 35 heures, c'est la fin de
l'espoir, de l'idée selon laquelle il ne serait plus possible de vaincre
le chômage. Car c'est bien cela qui est en jeu.
III. POUR IMPOSER SON PROJET, LE GOUVERNEMENT A PRIS DES LIBERTÉS AVEC LA VÉRITÉ AU NOM D'UNE VISION ÉTATISTE
La commission d'enquête a acquis la certitude que le
Gouvernement a eu conscience du risque qu'il prenait en ne disposant pas des
" relais " sociaux qui lui auraient été
nécessaires, et de la forte probabilité de voir les
35 heures sinon déboucher sur l'un des " scénarios
catastrophes " précédemment décrits, du moins freiner
la reprise sans pour autant créer des emplois.
D'ailleurs, il a hésité avant de s'engager dans cette voie. Mais
les 35 heures figuraient dans le programme électoral du parti
socialiste, il fallait donc tenir les promesses.
La "
concertation sociale
", point d'orgue d'une
"
méthode
" tant vantée par les médias,
était en réalité biaisée et la commission
d'enquête a pu établir que le Gouvernement a pris quelques
libertés avec la vérité. D'autre part, il n'est pas
contestable que ce comportement puise ses forces dans une doctrine -ce qui
n'est pas critiquable- mais qui, dans la mesure où cette doctrine
conduit à jeter un voile sur des réalités embarrassantes,
peut, en revanche, être dommageable pour l'intérêt du pays.
A. DES LIBERTÉS AVEC LA VÉRITÉ
Dans une vraie concertation les décisions ne sont pas
prises
avant
d'être soumises à discussion et ne sont pas
présentées uniquement sous leur facette favorable.
S'il n'est pas possible d'établir que la décision de rendre
obligatoire la réduction de la durée légale hebdomadaire
du travail était prise
avant
la Conférence nationale pour
l'emploi, il n'en reste pas moins que le Gouvernement n'a pas agi de
façon transparente avant, pendant et après cet
événement, soit qu'il ait développé une
argumentation oblique, soit qu'il ait péché par omission.
1. Une communication biaisée
D'une part, le Gouvernement n'a pas été transparent au moment de la Conférence nationale pour l'emploi du 10 octobre. D'autre part, le Premier ministre a présenté aux Français une vision biaisée de la réalité en affirmant qu'il existe des " études " qui " disent " que " la réduction du travail peut créer des emplois, va créer des emplois ".
a) La Conférence nationale tripartite pour l'emploi
Depuis longtemps, les économistes qui travaillent
dans la mouvance du Gouvernement, notamment M. Dominique Taddei, puis le
Gouvernement, avaient envisagé de procéder en deux étapes
:
- poser le principe de la réduction du temps de travail à un
horizon fixé d'avance, afin d'obliger les partenaires sociaux à
la négociation et recueillir les informations de terrain
(micro-économiques), nécessaires pour comprendre comment
pouvaient se passer les choses au niveau global (macro-économique) ;
- élaborer dans un second temps une
" loi
balai "
qui épouse au plus près la diversité des situations et
prenne en compte les différences existant entre les secteurs
économiques, les entreprises et les catégories de salariés.
Ce choix n'est en aucune manière contestable.
On pourrait même admettre, à l'instar de M. Raymond Soubie,
président d'Altédia
80(
*
)
, qu'il
s'agit d'une façon "
intelligente
" de voir les
choses.
Toute différente serait la situation, si le Gouvernement avait
arrêté l'idée de rendre la réduction du temps de
travail obligatoire
avant
la Conférence nationale pour l'emploi
et n'aurait eu, à travers cette conférence, que pour seul
objectif d'administrer la preuve du blocage syndical afin de légitimer
de la sorte l'intervention de l'Etat
sur l'air bien connu des faiblesses du
dialogue social en France et de l'incapacité des partenaires sociaux
à s'entendre.
En d'autres termes, serait-il extravagant de penser que cette
Conférence, au lieu d'être le reflet d'une concertation loyale et
approfondie, n'ait été que l'alibi permettant d'imposer par la
loi ce que l'on ne pouvait obtenir de la seule négociation ?
Sous serment, M. Jean Gandois a déclaré que tel n'était
pas le cas, ou plus exactement qu'il serait faux de dire que des membres du
Gouvernement l'avaient informé personnellement de l'issue de la
réunion du 10 octobre
avant
cette réunion.
Les travaux de la commission d'enquête ont néanmoins permis
d'établir avec plus de précision le déroulement de cette
journée du 10 octobre. Ainsi, toujours selon M. Jean Gandois
81(
*
)
, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la
solidarité, avait opté en faveur d'une réduction
obligatoire
avant
la Conférence pour l'emploi. Néanmoins,
il semblerait que
le Premier ministre n'avait pas encore rendu son arbitrage
dans les jours qui ont précédé cette Conférence, ou
tout au moins jusqu'au moment où a eu lieu l'entretien secret entre
celui-ci et le président du CNPF
.
En revanche, il apparaît clairement que le Gouvernement a
" dupé " le CNPF, d'où l'expression de M. Gandois qui a
fait
florès.
En effet, en demandant, quelques heures avant la déclaration, au
Président du CNPF de donner son accord sur un texte sur lequel ne
figurait que le volet incitatif du projet et dont on avait
délibérément omis le passage sur le volet obligatoire (ce
que M. Gandois appelle "
la deuxième feuille
"),
le Gouvernement n'a pas vraiment été transparent dans ses
relations avec les partenaires sociaux.
Jusque là rien de très dommageable, sauf que ce n'est pas
vraiment ce que l'on peut appeler une bonne
"
méthode
"
pour faciliter le dialogue entre partenaires que de leur présenter des
versions tronquées de la réalité. Dans ces conditions,
comment, après avoir lui-même biaisé, le Gouvernement
peut-il feindre la colère et l'agacement, et invoquer la mauvaise
volonté face à l'opposition résolue de l'organisation
patronale ?
b) Les études chiffrées
Rappelons, une fois encore, les termes exacts de
l'intervention de M. Lionel Jospin, au journal
télévisé du soir de TF1, le 21 janvier dernier :
" Il y a trois études qui viennent de sortir ; une de la Banque
de France, une d'un institut économique parmi les plus reconnus, l'OFCE,
une de la direction de la prévision du ministère de
l'économie et des finances, qui disent que la réduction du temps
de travail peut créer des emplois, va créer des
emplois. "
Cette affirmation mérite, pour le moins, d'être nuancée.
- L'étude de la Banque de France
Rappelons que la commission a procédé aux auditions de
MM. Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France
82(
*
)
, Alain Vienney, directeur général des
études à la Banque de France et de M. Gilbert Cette,
directeur de recherche de l'étude en question à la Banque de
France
83(
*
)
au moment où cette
étude a été réalisée, puis membre du conseil
d'analyse économique depuis le 13 octobre dernier, instance de
réflexion placée auprès du Gouvernement. Ces auditions
éclairent d'une lumière crue les non-dits et les contradictions
qui ont entouré l'exploitation médiatique de ces
différentes études et en particulier de l'étude de la
Banque de France.
Il résulte en effet de ces auditions que :
a. les travaux de l'étude menée par la Banque de France ont
été initiés à la demande et sur les
hypothèses du Gouvernement, par le truchement de la direction des
analyses des relations sociales (DARES) du ministère de l'emploi et de
la solidarité, vraisemblablement au mois de juillet 1997 ;
b. les résultats de cette étude étaient largement compris
dans les hypothèses de départ, fixées au mois de juillet
et ne présentaient guère d'intérêt en termes
politiques si l'on s'en tenait à dire la vérité ;
c. on peut dire, a fortiori, que les résultats étaient donc
établis de façon quasi-définitive dans le courant du mois
de septembre 1997, c'est-à-dire avant que la convention de services,
mentionnée par M. Alain Vienney, entre la direction des
études de la Banque de France et la DARES ne soit signée, le
22 septembre ;
d. au moment où le Gouvernement a officiellement commandé cette
étude, il était à la fois conscient des résultats
-ceux-ci étaient connus depuis le départ- et surtout de la faible
portée prédictive de cette étude, comme des autres
études de ce type ;
e. la suite des travaux n'a servi qu'à élaborer des variantes par
rapport au scénario central et mettre en forme les résultats de
cette étude qui a été finalement publiée le 16
janvier dernier.
De ces faits, on peut déduire :
1. Que le Premier ministre n'a pas dit toute la vérité lors de
son intervention au journal télévisé du mercredi 21
janvier 1998 puisque s'il est vrai que l'étude a bien été
réalisée par les services de la Banque de France, c'est en
réalité à l'initiative des services du Gouvernement, sur
des hypothèses fournies par eux, et donc sur des résultats connus
d'avance. La valeur probante de cette étude quant aux effets sur
l'emploi de la réduction imposée de la durée hebdomadaire
du temps de travail est en réalité des plus limitées.
2. Qu'en se servant de la crédibilité de la Banque de France pour
faire accroire aux Français que l'étude demandée par ses
services, émanait en fait d'un " institut "
indépendant, le Premier ministre n'a pas craint, d'une part, d'affecter
la crédibilité de notre Banque centrale et, d'autre part de la
faire entrer dans le champ des polémiques partisanes, ce que s'est
efforcé d'éviter à tout prix le gouverneur de cette
institution lors de son audition devant la commission d'enquête.
3. En outre, on observera qu'il a fait peu de cas du préjudice moral
qu'il était susceptible de causer, si le subterfuge était
découvert, à la réputation et à la
crédibilité de ces équipes de chercheurs, comme celle de
M. Gilbert Cette
84(
*
)
, dont la rigueur
intellectuelle force pourtant l'admiration.
Ces faits et les déductions qui s'imposent sont graves au regard du
fonctionnement normal de nos institutions démocratiques.
- L'étude de la direction de la prévision
Cette étude n'ayant pas été rendue publique, ni
communiquée à la commission d'enquête dans les
délais nécessaires pour qu'elle puisse être examinée
avec sérieux par votre rapporteur ni
a fortiori
par les membres
de la commission d'enquête, aucun jugement ne pourra être
porté sur la validité de son analyse et la force probante de ses
résultats, à ceci près que cette étude obéit
aux mêmes contraintes et aux mêmes limites scientifiques que toutes
les autres études, limites qui viennent à l'instant encore
d'être soulignées.
Cependant, la commission constate :
- D'une part, que lors de son intervention télévisée,
M. le Premier ministre n'a pas hésité à utiliser une
étude, non encore terminée et
a
fortiori
publiée de ses services, mais au sujet de laquelle le journal
"
Le Monde
" était providentiellement en mesure
d'affirmer dans son édition du 22 janvier 1998, parue le mercredi
après-midi 21 janvier, donc avant cette intervention
télévisée, que :
" Dans une simulation confidentielle, la Banque de France évoque
le chiffre de 710.000 emplois d'ici trois ans. Des estimations de la direction
de la prévision vont dans le même sens. Ces études
suggèrent que la réforme pourrait être conduite sans
affecter le coût salarial pour les entreprises, ni
déséquilibrer les comptes publics, à la condition que le
pays accepte un effort de modération salariale.
(...) " Les simulations de la direction de la prévision.
" Devant la commission des finances de l'Assemblée nationale,
Dominique Strauss-Kahn a évoqué, mardi, d'autres chiffres, sans
en citer la source. Il s'agit de travaux de la direction de la
prévision, qui ne sont pas encore totalement achevés. Plus d'une
dizaine de scénarios seraient envisagés. Un scénario
prévoirait 550.000 à 600.000 créations d'emplois d'ici
2002 et une baisse de deux points du taux de chômage, en cas de passage
généralisé aux 35 heures et de gel prolongé du
pouvoir d'achat.
Un deuxième scénario prévoirait 200.000 à 250.000
emplois créés si les deux tiers des entreprises passent aux 35
heures, avec une compensation salariale seulement partielle. Un scénario
de " blocage " est également envisagé : si moins de 50
% des entreprises franchissent le pas et sans modération salariale, le
taux de chômage progresserait de 0,1 point d'ici à l'an
2002. " (fin de l'article).
- D'autre part, qu'une note de cette même direction de la
prévision, en date du 6 mars 1997, communiquée par le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie, M. Dominique Strauss-Kahn,
à la demande du bureau de la commission d'enquête (voir
infra
), le précédent directeur de la prévision,
M. Philippe Nasse, indiquait :
"
Le développement des préretraites et la
réduction du temps de travail ne sont pas des instruments de lutte
contre le chômage. Ne s'attaquant pas aux causes du sous-emploi, ils ne
peuvent pas constituer une solution durable.
En réduisant la
quantité de travail offerte dans l'économie, la
généralisation de ces deux mesures réduirait la
création de richesses et aurait probablement un effet négatif sur
l'emploi en raison des coûts associés à leur mise en
oeuvre. Le premier de ces coûts correspond aux prélèvements
obligatoires nécessaires pour faire financer, aux frais de la
collectivité, les ajustements de main-d'oeuvre désirés par
les entreprises et l'augmentation du temps libre des salariés. Ces deux
dispositifs sont donc impuissants pour favoriser une baisse durable du
chômage.
Cette note est annexée dans son intégralité au
présent rapport.
- L'étude de l'OFCE
La commission d'enquête souhaite simplement rappeler les propos tenus
devant elle par M. Jean-Paul Fitoussi, directeur de l'OFCE
85(
*
)
:
"
Il convient de considérer les résultats de ces
études avec la plus grande des modesties.
Il s'agit d'explorations
d'un continent nouveau -le partage du travail dans une société
moderne, riche de surcroît- dans un contexte nouveau pour un pays
industrialisé, celui du chômage de masse. Le comportement des
acteurs n'est donc pas extrapolable à partir du passé.
Confronté à cette radicale nouveauté, il n'est pas
d'autres méthodes pour le chercheur que de procéder par
hypothèses, dont chacune est forcément simplificatrice et dont la
conjugaison ne peut que conduire à un résultat fragile. Mais le
doute n'implique pas la paralysie car il n'est de science que
d'hypothèses. Il faut donc en permanence garder à l'esprit
la
nature exploratoire de ces travaux dont les conclusions valent davantage par
leur vertu pédagogique que par leur capacité
prédictive.
"
2. Une information tronquée
Depuis qu'il a annoncé sa décision de réduire la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures, le Gouvernement a commis au moins deux omissions regrettables. L'une vis-à-vis de l'ensemble des Français, consistant à dissimuler l'ampleur des efforts qu'ils devront consentir afin que cette décision aboutisse à créer des emplois. L'autre vis-à-vis du Parlement concernant le coût de la mesure pour les finances publiques qui reste une des grandes incertitudes.
a) Le débat occulté sur l'ampleur des efforts
Il semble tout à fait clair, à ce stade de la
réflexion, que, pour créer des emplois, la réduction de la
durée du travail exigera des efforts considérables pour tous et
notamment pour les salariés.
Citons encore ce propos important, puisqu'il émane de la personne qui a
dirigé l'étude sur laquelle le Premier ministre s'est
appuyé pour dire aux Français que la réduction du travail
allait créer des emplois. Pour M. Gilbert Cette
86(
*
)
: "
Le message principal de
l'étude
qui a été réalisée par la
Banque de France
est
que les conditions de réussite d'une
réduction du temps de travail sont simples, elles sont partagées
d'ailleurs par tous les gens qui ont l'habitude de faire ce type
d'évaluation, c'est que les coûts de production unitaires des
entreprises n'augmentent pas.
C'est tout.
Et le fait que les
coûts de production unitaires des entreprises n'augmentent pas
nécessite, inévitablement, une contribution salariale au
financement de la réduction du temps de travail. Et ce résultat
là est avancé comme le résultat essentiel dans
l'étude qui a été réalisée par mon service
à la Banque de France. C'est ce résultat-là que nous avons
voulu mettre en avant, valoriser
. "
En d'autres termes, les 35 heures, si l'on reprend l'expression de
M. Vincent Bronze
87(
*
)
, chef d'une
entreprise ayant mis en place la réduction du temps de travail,
"
c'est la galère
" assurée pour tous, aux
salariés la modération salariale, aux entreprises la
nécessité de revoir leur système de production, à
l'Etat d'assurer le financement, à tous de négocier.
b) Le débat dissimulé sur le coût pour les finances publiques
Le lundi 5 janvier 1998, au matin, le président de la
commission d'enquête, M. Alain Gournac, le rapporteur, M. Jean Arthuis,
le secrétaire M. Denis Badré, accompagnés des
administrateurs membres du secrétariat de la commission, se sont rendus
au ministère de l'économie et des finances afin de se faire
communiquer conformément au deuxième alinéa du paragraphe
II de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative
au fonctionnement des assemblées parlementaires, pour y recueillir,
conformément à la
mission
assignée à la
commission d'enquête par la
résolution n° 159
votée par le Sénat
, en application de l'article 11 de son
règlement, le jeudi 11 décembre 1997, tous les
"
éléments d'information sur les conséquences
financières, économiques et sociales de la décision de
réduire à trente-cinq heures la durée hebdomadaire du
travail.
"
Dans les jours qui suivirent le 5 janvier, les services du ministère de
l'économie et des finances remirent, concernant la direction de la
prévision, certaines études, mais pas l'ensemble de celles
demandées par la délégation.
Aucune note n'émanant de la direction du budget, ni même
"
la main courante
" de ces notes, ne furent remises
à
la commission d'enquête.
De la même façon, aucune des notes émanant de la direction
des relations du travail ne lui a été communiquée.
En revanche, la totalité des notes prévues par la DARES, dont bon
nombre étaient au demeurant déjà publiées dans des
revues diverses, lui ont été fournies.
Le rapporteur de la proposition de la résolution ayant
créé la présente commission d'enquête, M. Philippe
Marini, indiquait pour motiver son avis favorable à une telle
création que "
la représentation nationale a le droit de
savoir, et même le devoir de connaître
". Telle est bien
la question. Car si même les commissions d'enquête du Parlement ne
sont pas en mesure d'accéder aux vraies informations, alors qui est
vraiment en mesure de connaître la vérité ?
B. LE PROJET CAMPE DANS UNE LOGIQUE ÉTATISTE
Le projet conforte la pensée selon laquelle l'accroissement de l'Etat est inéluctable et que l'on peut commander aussi bien à l'économie qu'aux citoyens.
1. L'accroissement inéluctable de l'Etat
a) L'accroissement des aides publiques
Il ne fait aucun doute que les récentes
déclarations d'intention du Gouvernement, s'ajoutant à la nature
intrinsèque de cette mesure qui, pour réussir à
créer des emplois, nécessite d'épouser au plus près
la diversité des situations, font que l'on s'oriente vers un
mécanisme d'aides publiques qui sera de plus en plus sophistiqué.
Quelle que soit la conviction qui anime le chef d'entreprise, il est
" rentable " de capter les aides publiques. Qui peut y
résister ? Tous les conseils d'entreprises ne manqueront pas demain
d'en faire la démonstration comme ils l'ont fait pour la loi de Robien.
Le projet de loi prévoit en effet le versement, la première
année
88(
*
)
, d'une aide forfaitaire de
9.000 F. par salarié dès lors que la durée du temps
de travail est réduite d'au moins 10 % et que l'entreprise augmente
ses effectifs de 6 %. Prenons l'exemple d'une entreprise employant
100 personnes. Après avoir réduit la durée
hebdomadaire du temps de travail et créé 6 emplois, elle
percevra une aide de 106 x 9.000 F = 954.000 F, soit 954.000 F :
6 = 159.000 F par emploi créé. Sans doute plus que les
salaires et charges correspondant à chacun de ces nouveaux emplois. Du
bénéfice avec l'argent des contribuables !
Ce qui fait dire à juste titre à M. Daniel Giron
89(
*
)
, président de l'Union professionnelle
artisanale, que ce dispositif est injuste car l'artisan ou le
commerçant, le patron d'une petite entreprise, percevra infiniment moins
s'il crée un seul emploi, alors même que son effectif
progresserait de 50 % pour deux salariés ou de
33,
1
/
3
% pour trois salariés. Dans la
première hypothèse, il ne reçoit que (2+1) x 9.000 F
= 27.000 F, dans la seconde (3+1) x 9.000 F = 36.000 F.
Comment nier que les petites entreprises seraient moins bien traitées
que les grandes !
Ce dispositif fondé sur l'aide publique prend des allures de machine
infernale.
b) L'accroissement des contrôles
La réduction de la durée du temps de travail
repose sur le pari que la durée effective va peu à peu s'ajuster
sur la durée légale.
En effet, soit la durée effective du travail diminue et l'effet de
partage s'enclenche, soit elle ne diminue pas, et la mesure se traduit
uniquement par une augmentation des coûts unitaires dont l'ensemble des
intervenants, praticiens comme théoriciens, s'accordent à penser
que celle-ci aura des effets néfastes sur l'emploi. Pour ce faire, il
faut être en mesure de contrôler qu'il n'y a pas inertie,
c'est-à-dire que les entreprises ne neutraliseront pas la mesure en
fraudant ou bien en se mettant en conformité nominale
avec la
règle de droit. Cela suppose, comme l'ont souligné plusieurs
personnes auditionnées par la commission d'enquête, que l'Etat se
donne les moyens de contrôler les règles de plus en plus complexes
qu'il n'a de cesse d'établir. Va-t-on mettre un inspecteur du travail
dans chaque entreprise ?
c) L'accroissement de la complexité
La complexité qui résulte d'ores et
déjà de la règle de droit, et qui ne ferait que
s'accroître encore avec la mise en place de dispositifs désireux
de "
coller
" au plus près des réalités,
a un coût. Ce coût a été sous-estimé.
S'agit-il de façon plus générale de continuer à
établir, strate après strate, des législations certes plus
subtiles, mais aussi plus complexes et partant plus difficiles à
appliquer ? Nombre de personnes auditionnées par cette commission et,
notamment M. Claude Companie, délégué au
département emploi de la confédération française de
l'encadrement (CFE-CGC), et Mlle Laurence Matthys
90(
*
)
ont souligné le fait que la législation
en matière de temps de travail des cadres était totalement
bafouée. Veut-on étendre cela au reste des salariés,
notamment dans les petites et moyennes entreprises ?
2. La vanité de penser que l'on peut commander à l'économie, et faire le bonheur des citoyens malgré eux
a) Commander à l'économie
La décision de réduire à 35 heures
hebdomadaires la durée légale du travail repose sur l'idée
qu'il serait possible, en agissant sur les différentes variables de
l'économie par le biais, d'une part, de la réglementation et,
d'autre part, d'un système adéquat d'aides publiques, de
procéder à un "
réglage fin "
de
l'économie permettant de maximiser les gains et de minimiser les pertes.
C'est en somme l'idée exprimée par M. Jean-Paul
Fitoussi
91(
*
)
que : "
pour les
économistes habitués à raisonner en termes d'agents
micro-économiques rationnels surtout en ces temps de montée de
l'individualisme la seule chose qu'il soit possible d'affirmer est que la loi
sera d'autant plus efficace qu'elle mettra en place un système
d'incitations et de contraintes tel que les choix individuels
égoïstes conduisent spontanément au bien commun. Elle
jouerait alors le rôle de la main invisible qui harmonise les
intérêts individuels, selon la métaphore d'Adam
Smith. "
Mais l'Etat est-il vraiment à même de jouer ce rôle ? Que
fait-il pour combattre le travail au noir ?
b) Faire le bonheur des citoyens malgré eux
Pour M. Jean-Paul Fitoussi
92(
*
)
: "
La réduction du temps de travail est un objectif en soi de
toute société humaine. Il témoigne de ce que la lutte
contre la rareté, qui est le contenu même de l'activité
économique, est victorieuse. La " fin du travail " est
éminemment désirable car elle signifierait alors que nous aurions
trouvé le secret de l'abondance
. " C'est peu ou prou
l'idée qui inspire la réduction du temps de travail et selon
laquelle c'est le travail qui avilit, c'est le loisir qui libère.
Non seulement cette idée nous semble contestable, mais surtout, elle
suppose qu'il appartient à l'Etat de substituer, sur la base
d'appréciations forcément technocratiques, son propre choix
à celui des citoyens et de dire à chacun quelle doit être
la part du temps libre et celle du travail. Comment, et sans vouloir
polémiquer, qualifier cette décision autrement que par le
qualificatif "
d'étatiste
" ?
CONCLUSION
Au terme des travaux d'une commission d'enquête, la
question de l'utilité d'une conclusion se pose inévitablement.
C'est qu'en effet, une commission d'enquête n'est pas une mission
d'information. Sa mission n'est pas de faire le procès d'une idée
et d'opposer une théorie à une autre théorie. Elle n'est
pas non plus de dire ce qu'il faut faire ou ne pas faire.
Une commission d'enquête a pour mission de rechercher la
vérité, toute la vérité, rien que la
vérité. C'est dire qu'elle doit dévoiler ce qui est
caché, ou mal visible. En d'autres termes, elle doit faire
apparaître les faits dans leur nudité. C'est pour cela qu'elle ne
doit affirmer que ce qu'elle peut démontrer. C'est pour cela qu'il est
fondamental qu'elle mène son enquête sans a priori. Et c'est bien
ce que nous nous sommes efforcés de faire depuis le début, en
écoutant les uns et les autres nous dire leur part de
vérité. Une commission d'enquête doit constater et
démontrer. C'est à l'assemblée à laquelle elle
remet son rapport que revient la responsabilité de conclure.
Cependant, compte tenu de l'enjeu, il nous a paru utile de résumer en
quelques mots, le constat effectué et les déductions qui
s'imposent afin de mettre en exergue l'importance du choix et
l'impérieux devoir d'en délibérer. Ce constat, quel est-il
?
Premièrement, la décision de réduire la durée
hebdomadaire légale du travail à 35 heures est un pari qui
repose sur une construction qui n'est, malheureusement, qu'intellectuelle.
Aucune évidence empirique n'est en mesure de montrer que la
réduction imposée du temps de travail crée des emplois.
Elle n'a jamais été tentée sur une telle échelle,
dans un passé récent. C'est qu'en effet, la réduction
imposée du temps de travail n'est pas la réduction
spontanée, que celle-ci soit négociée par les partenaires
sociaux ou incitée par l'Etat. Et ce qui " marche " sur le
terrain, c'est-à-dire pour une entreprise donnée, peut
très bien ne pas marcher pour l'ensemble du système
économique.
Ce n'est donc qu'une idée, une théorie. C'est un château de
cartes, fait de modèles économétriques et
d'équations complexes. Trop complexes. Du reste, pourquoi
s'arrêter en si bon chemin ? Si la théorie dit vraiment
4 heures de moins, c'est 700.000 emplois supplémentaires,
alors calculons -nous ne sommes plus à une règle de trois
près- de combien il faudrait réduire la durée du travail
pour créer 3 millions d'emplois.
En somme, c'est une belle histoire. Et en ces temps difficiles qui voient le
pacte social déchiré par le chômage, les Français
sont enclins à écouter les belles histoires. Qui ne le serait pas
? Mais ce n'est qu'une histoire virtuelle.
Elle participe des idées reçues selon lesquelles la
quantité de travail offerte est une donnée immuable, idée
en contradiction complète avec les réalités de la vie
économique.
Deuxièmement, ce pari est très important, car au-delà des
emplois par " centaines de milliers " la décision du
Gouvernement a fait naître l'espoir -celui qu'on puisse réduire
significativement le chômage-. Or, la tolérance de nos concitoyens
à entendre des histoires qui finissent mal est certes grande, mais elle
a aussi ses limites.
L'enjeu de la décision des 35 heures est d'une telle importance
pour la France, qu'il était du devoir de ses représentants d'en
mesurer les chances de succès et les conséquences
prévisibles. Qu'avons-nous constaté ? Que face à
l'optimisme des théoriciens s'opposaient la réserve des
praticiens et la franche hostilité de ceux-là mêmes sur qui
repose le succès : les chefs d'entreprise. Certes, les praticiens n'ont
pas toujours raison et après tout, s'il fallait s'en remettre à
leur seul jugement, nous en serions peut-être restés à
l'abjuration de Galilée ? Mais voilà, la science
économique n'est pas la mathématique. Elle doit prendre en compte
le facteur humain. Et qui y-a-t-il de plus imprévisible, de plus
insaisissable que l'Homme ? La confiance ne se laisse pas enfermer dans des
équations. C'est en prenant en compte cette dimension que la commission
d'enquête reste très réservée sur les chances de
succès du pari. Ça peut marcher. Ça peut ne pas marcher.
Dans le doute abstiens-toi.
Une chose est sûre : le Gouvernement s'est enfermé dans une
contradiction en lançant aux partenaires sociaux
" négociez d'abord, je préciserai la loi
ensuite ".
Les chefs d'entreprise disent au contraire : pour
négocier, il faut que les incertitudes (concernant le SMIC, les heures
supplémentaires, les congés compensateurs...) soient
levées. Or, il n'est pas possible de sortir de cette contradiction. Car
si le Gouvernement donne des précisions, c'est qu'il n'avait pas besoin
d'attendre des informations du terrain. La seconde loi ne sera plus
nécessaire.
Troisièmement, le Gouvernement a pris une décision qui n'est pas
une décision pragmatique, mais inspirée, sous-tendue dans ses
moindres implications, par une doctrine, un système d'idées dans
lequel la place de l'Homme vient après celle de la
Société. Cette décision aura pour conséquence un
accroissement inéluctable de l'Etat. Une fois de plus, les accords
seront achetés avec l'argent du contribuable. Ainsi
présentée, la réforme aura toute l'apparence de la
rentabilité. Elle se traduira, d'une part, par une complexité
croissante de la règle de droit et, d'autre part, par une augmentation
des moyens nécessaires pour en contrôler l'application. Le constat
des praticiens est clair. Hommes d'entreprises et hauts fonctionnaires, pour
une fois unanimes, disent : si l'on veut que les 35 heures enclenchent le
processus de partage nécessaire pour créer des emplois et ne
débouchent pas sur une augmentation de l'économie
parallèle dans laquelle seule l'apparence de la règle est
respectée, il faut que l'Etat se donne les moyens de sa politique. Et
tout le monde sait ce que cela signifie : plus d'inspecteurs du travail, plus
de contrôles, plus de réglementation. Pire, l'économie
nationale est aujourd'hui ouverte au monde et les risques de
délocalisation d'activités et d'emplois sont réels.
Plus fondamentalement encore, cette décision aura pour
conséquence d'affecter la liberté de chacun. De nouveau, le
Gouvernement succombe au mal français consistant à substituer la
volonté de l'Etat à celle des acteurs économiques et
sociaux, comme si les expériences du passé avaient
été oubliées. Comme si la lutte contre le chômage
avait été jusqu'à présent un franc succès.
Comme si chaque homme n'était pas capable de décider par
lui-même et qu'il faille absolument faire le bonheur des gens
malgré eux, ou à tout le moins sans eux.
Que cela soit clair. Il ne s'agit pas ici d'opposer une idéologie
à une autre, et l'on donnera acte à cette commission de n'avoir
fait aucune proposition, ni aucune recommandation. Elle n'a pas dit s'il
existait une autre voie, ni laquelle, alors même que beaucoup de ses
membres sont intimement convaincus qu'une voie plus simple et plus efficace
existe, fondée sur plus de liberté et de responsabilité.
Elle a simplement dit que la voie choisie serait un chemin difficile voire
dangereux.
La responsabilité d'indiquer au Sénat ce qu'il convient de faire,
appartient à d'autres instances et, dans le cas présent, à
la commission permanente chargée de rapporter ce texte. La commission
d'enquête, s'en tenant au mandat qui lui était confié,
s'est simplement efforcée de mettre à nue la décision
soumise à son examen et de la montrer telle qu'elle est,
débarrassée du fatras scientifique qui l'entoure et lui donne
l'apparence d'une vérité mathématique.
Le constat est simple : c'est une décision inspirée par une
conception globale de la Société qui aura pour conséquence
d'accroître encore la place de l'Etat. Au fil des auditions, nous avons
entendu des appels pathétiques pour aller jusqu'au bout de cette
logique, sorte de prolongation d'une partition archaïque, comme s'ils
s'agissait d'une ultime tentative pour retarder, mais à quel prix,
l'échéance d'une voie plus libérale.
OBSERVATIONS DU GROUPE SOCIALISTE
Le Groupe socialiste tient tout d'abord à
féliciter le personnel du Sénat qui a travaillé avec
compétence et célérité dans un contexte
délicat.
Il adresse également ses remerciements aux nombreux experts, chefs
d'entreprise et représentants du monde syndical et associatif qui ont
été auditionnés. Il note que dans leur grande
majorité, les intervenants ont su s'écarter des a priori
manichéens et répondre avec sérénité aux
questions posées, pour apporter aux Parlementaires des
éléments d'information et d'analyse très
intéressants qui enrichiront leur réflexion.
Toutefois, le Groupe socialiste formule un certain nombre d'observations sur
les conditions de création et sur le déroulement de cette
commission d'enquête.
I. La création de cette commission d'enquête constitue un
détournement grave de la procédure de création des
commissions d'enquête
Elle ne répond pas aux critères de constitution d'une commission
d'enquête tels qu'ils sont définis par l'article 6 de l'ordonnance
n° 58-100 du 17 novembre 1958 : enquête sur des faits
précis ou sur la gestion des services publics ou des entreprises
nationales. Ce n'est manifestement pas le cas ici, comme l'indique d'ailleurs
l'intitulé même de la commission.
Il n'est en effet pas possible de se placer sur le terrain des faits, puisque
le seul fait dont on dispose est que le Gouvernement a décidé de
présenter un projet de loi devant le Parlement. La décision
d'adopter ou non ce projet de loi appartient au Parlement, et à lui seul
en application de l'article 34 de la Constitution. Le Parlement ne s'est
pas encore prononcé, et la réduction du temps de travail telle
qu'elle est proposée par le texte du Gouvernement n'est donc aujourd'hui
qu'une éventualité.
Dès lors, il est évident que la commission d'enquête a
travaillé sur le futur, sur les conséquences possibles d'une
réforme qui n'est pas encore mise en oeuvre, et non sur des " faits
déterminés ".
En réalité, cette commission d'enquête n'a pour but que
d'anticiper sur l'examen du projet de loi d'incitation et d'orientation relatif
à la réduction du temps de travail par la commission
compétente du Sénat. Ce faisant, elle empiète sur les
prérogatives de la commission des Affaires sociales.
Dès à présent, les membres de celle-ci sont d'ailleurs
informés, conformément à l'usage, de la prochaine audition
de personnalités compétentes. Il s'agit pour l'essentiel des
mêmes personnes que celles qui viennent d'être entendues par la
commission d'enquête.
Au-delà de l'aspect incohérent de la méthode, le
déroulement normal de la procédure législative, tel qu'il
est fixé par l'article 43 de la Constitution, a donc été
affecté.
Par ailleurs, le Groupe socialiste déplore que les auditions de la
commission d'enquête se soient déroulées de façon
systématique alors que le Sénat siégeait en même
temps en séance publique, que les Sénateurs étaient
convoqués aux réunions de leurs commissions permanentes
respectives, notamment la commission des Affaires sociales, ou étaient
appelés en réunions de groupes.
II. Cette commission d'enquête empiète sur les
prérogatives du Gouvernement, chargé de déterminer et de
conduire la politique de la Nation, en application de l'article 20 de la
Constitution
Il convient de rappeler que le Gouvernement dispose de la compétence
exclusive pour préparer les projets de loi qu'il soumet ensuite au
Parlement. Il n'est pas soumis dans le cadre de cette compétence
à un quelconque contrôle a priori du Parlement.
La commission d'enquête apparaît donc comme une tentative de
remettre en cause le plein exercice de cette compétence et d'influer sur
le fonctionnement des pouvoirs publics tel qu'il est défini par la
Constitution.
A cet égard, la " descente " assortie de tentatives
d'intimidation à l'encontre de fonctionnaires des services,
opérée le 5 janvier 1998 au ministère de l'Economie et des
Finances puis au ministère de l'Emploi et de la Solidarité par le
rapporteur de la commission d'enquête, revêt un caractère
particulièrement choquant et relève de méthodes contraires
à l'exercice normal de la démocratie parlementaire.
Le Groupe socialiste rend hommage au sang-froid dont a fait preuve en cette
circonstance difficile Monsieur le Premier Ministre : tout en rappelant
avec fermeté les prérogatives gouvernementales, il a en effet
donné instruction aux services de mettre à la disposition du
Parlement les documents nécessaires pour éclairer la teneur et la
portée du projet de loi, et ordonné aux fonctionnaires dont la
commission d'enquête jugerait l'audition utile de déférer
à ses convocations. Un conflit aux conséquences
imprévisibles a ainsi pu être évité.
Cette confusion quant aux objectifs de la commission d'enquête s'est
poursuivie jusqu'aux dernières auditions dans l'esprit de ses
initiateurs, puisque l'on peut relever lors de l'audition de M. Jean Gandois
(Bulletin des Commissions du 31/01/98 page 2564) que " M. Jean
Arthuis,
rapporteur, a souligné le souci de la commission d'enquête
d'établir la lumière sur le processus de décision de la
réduction du temps de travail à 35 heures
hebdomadaires... ", ce qui n'entre manifestement pas dans les
compétences du Parlement.
Au demeurant, il est regrettable, si la commission d'enquête souhaitait
être éclairée sur ce point, qu'elle n'ait pas simplement
demandé à entendre les ministres compétents.
L'ensemble de ces événements constitue donc un
dévoiement du pouvoir de contrôle du Parlement et une innovation
dangereuse pour l'équilibre des institutions.
III. Les auditions de la commission d'enquête démontrent le
caractère inéluctable de la réduction du temps de travail
et l'opportunité de relancer la négociation dans les
entreprises.
La commission d'enquête a procédé à l'audition de
nombreux experts des différents organismes d'études
économiques et de prévision et de l'administration du travail,
ainsi que de représentants des organisations représentatives de
salariés et d'employeurs.
La lecture attentive des comptes-rendus de
ces auditions démontre qu'à l'exception notable des
représentants des fédérations patronales et de l'institut
Rexecode proche du CNPF, l'ensemble des intervenants conclut en faveur de
créations nettes d'emplois consécutives à la mise en
oeuvre du projet de loi relatif à la réduction du temps de
travail.
L'évaluation du nombre possible de ces créations nettes d'emplois
varie suivant les intervenants et les modèles
économétriques auxquels ils se réfèrent. Les
représentants de certaines branches (ex : transports) demandent que
soient prises en compte les spécificités de leur activité
et la structuration de leur profession. Il convient de noter qu'il a
déjà été répondu à une partie de ces
questions lors de la discussion générale du projet de loi
à l'Assemblée Nationale (ex : le rôle de la
négociation de branches dans les professions constituées de
très petites entreprises, l'adaptation du travail à temps partiel
dans certaines branches, la déconnexion du SMIC horaire et
mensuel,...etc.).
Au total, il apparaît que le projet de loi d'incitation et d'orientation
relatif à la réduction du temps de travail suscite de nombreuses
interrogations -et de grands espoirs chez les salariés et les
chômeurs. Le Gouvernement devra sans doute apporter de nouvelles
réponses lors du débat au Parlement. Toutefois, ce projet ne
suscite pas de rejet préalable, sauf parmi les représentants du
patronat institutionnel.
A l'inverse, des chefs d'entreprise sont venus exprimer leur satisfaction
d'expériences réussies de réduction et
d'aménagement de la durée du travail négociées dans
le cadre de la législation actuelle. Ils témoignent que non
seulement ce passage à temps réduit a permis de créer ou
de sauver des emplois, mais qu'il a aussi permis de relancer le dialogue et de
modifier le climat social dans leur entreprise. Ils constatent que la
négociation a permis d'améliorer l'organisation interne, sans
augmenter le coût du travail grâce aux effets induits par cette
réorganisation, aux gains de productivité et à l'aide de
la collectivité nationale
(Cf. les auditions des dirigeants de
l'Aérospatiale, MBK, et Etna Ascenseurs).
Il se confirme donc que le refus catégorique et préalable du
projet de loi d'incitation et d'orientation relatif à la
réduction du temps de travail revêt pour l'essentiel un aspect
politique.
Sur le terrain, les praticiens de l'entreprise
auditionnés constatent les apports de la réduction du temps de
travail là où elle est déjà mise en place. Ils en
tirent les conséquences et s'interrogent sur l'organisation la plus
efficace, afin d'en recueillir les aspects les plus intéressants pour
leur entreprise.
********
Malgré un important déploiement de moyens et
quelques agissements discourtois et suspicieux peu en rapport avec l'usage
sénatorial, il est clair que les initiateurs de la commission
d'enquête ont manqué leur but. Aucune démonstration
argumentée sur le caractère néfaste de la réduction
du temps de travail n'a été réalisée.
Des craintes et des doutes se sont légitimement exprimés. Des
témoignages ont été produits. Des espoirs ont
été avancés.
Le Groupe socialiste constate que les participants à la commission
d'enquête ont pu recueillir de nombreux éléments
d'information et de réflexion malgré des circonstances
défavorables. Il s'en remet maintenant à la procédure
normale d'examen des projets de loi et participera donc activement aux travaux
de la commission des Affaires sociales.
A N N E X E S
ANNEXE N° 1
-
COMPTE RENDU DE
L'ENQUÊTE SUR PIÈCES ET SUR PLACE EFFECTUÉE LE LUNDI 5
JANVIER 1998
Le lundi 5 janvier 1998, à 9 heures 30, le rapporteur,
le président de la commission d'enquête et un membre du bureau se
sont rendus dans le bureau de M. Jean-Philippe Cotis, directeur de la
prévision au ministère de l'économie et des finances et
lui ont demandé de leur communiquer tous les éléments de
service relatifs à la décision de réduire la durée
hebdomadaire légale du travail à 35 heures, ainsi que la liste
chronologique des notes, parfois appelée "
main
courante
", établies par ses services sur cette question.
M. Jean-Philippe Cotis a alors demandé à obtenir l'autorisation
du cabinet du ministre afin de délivrer ces documents. Vers 11 heures,
il a informé les membres de la délégation qu'il
n'était pas autorisé à délivrer ces documents, mais
que les membres de la délégation pourraient voir le ministre
s'ils le désiraient. M. Jean Arthuis, rapporteur, a alors indiqué
qu'il ne souhaitait pas voir le ministre, mais les documents. Vers 11 heures
15, constatant que l'entrave était constituée, les membres de la
délégation s'apprêtaient à sortir lorsque le
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Dominique
Strauss-Kahn, est entré dans le bureau de M. Jean-Philippe Cotis. M.
Strauss-Kahn a alors demandé à bénéficier d'un
temps de réflexion afin, d'une part, de vérifier que la
commission d'enquête était effectivement habilitée à
exiger des documents de service et, d'autre part, le cas échéant,
à préparer matériellement les exemplaires de ces
documents. Les membres de la délégation ont alors accepté
de quitter les lieux, rendez-vous étant pris en début
d'après-midi.
Les membres de la délégation ont alors rejoint le Sénat et
se sont rendus à la Présidence du Sénat où ils
informé M. le directeur de cabinet du Président du Sénat,
M. René Monory, de la teneur des événements survenus dans
la matinée.
Il doit être ici observé que les membres de la
délégation de la commission d'enquête, conformément
aux dispositions combinées du paragraphe IV de l'article 6 de
l'ordonnance du 17 novembre 1958 précité et de l'article 100 du
Règlement du Sénat, avaient jusqu'alors observé le secret
le plus complet sur leur intention d'exercer les pouvoirs de contrôle sur
pièce et sur place qu'ils tiennent du deuxième alinéa du
II de ce même article 6.
En début d'après-midi, les membres de la commission
d'enquête se sont à nouveau rendus au ministère de
l'économie et des finances. Ils ont été installés
dans une salle de travail de ce ministère où ils ont
été à nouveau reçus par le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie. Le ministre leur a
déclaré qu'il les autorisait à consulter la liste
chronologique des documents établis par la direction de la
prévision sur la question des 35 heures et qu'il leur ferait
ultérieurement parvenir les documents demandés, à la
condition expresse toutefois que, après vérification par les
services du Premier ministre, cette demande n'enfreigne pas la loi. Le ministre
de l'économie, des finances et de l'industrie a encore
déclaré que tout ce que les fonctionnaires placés sous ses
ordres pourraient dire ou faire le serait en son nom et qu'il devait être
tenu pour seul responsable de leurs décisions.
Les membres de la délégation, après avoir consulté
et pris note de la liste chronologique des documents ont alors adressé
la liste des documents qu'ils souhaitaient se voir communiquer à M.
Jean-Philippe Cotis.
Ils ont ensuite, alors qu'ils étaient restés dans la salle de
travail du ministère de l'économie et des finances,
demandé à joindre téléphoniquement le ministre ou
l'un des membres de son cabinet pour obtenir la même liste chronologique
des documents établis par les services de la direction du budget et
concernant le coût pour les finances publiques de la décision de
réduire à 35 heures la durée hebdomadaire légale du
travail.
Après de multiples tentatives infructueuses pour joindre les membres du
cabinet, une communication téléphonique a été
établie avec le directeur de cabinet du ministre de l'économie,
des finances et de l'industrie, M. François Villeroy de Galhau, lequel a
refusé de donner, sur le champ, la liste chronologique des documents
mais a pris l'engagement sur l'honneur de la communiquer aux membres de la
délégation, si toutefois le ministre l'y autorisait.
Les membres de la délégation se sont ensuite retirés et
rendus à la direction des relations du travail au ministère des
affaires de l'emploi et de la solidarité où ils ont
rencontré M. Jean Marimbert, directeur de cette direction. Dans les
mêmes conditions, que précédemment, ils ont demandé
à consulter la liste chronologiques des travaux effectués par ce
service sur la question des 35 heures. L'accès leur a été
donné non seulement à la liste chronologique, mais aux notes
elles-mêmes. Les membres de la délégation ont pu constater
le nombre très important de notes sur ce sujet, concernant notamment
tous les aspects liés aux éventuelles remises en cause des
contrats en cours. Des copies de ces notes avaient été
effectuées lorsqu'est arrivé un contre-ordre, émanant de
M. Dominique Marcel, directeur de cabinet de Mme Martine Aubry, donnant ordre
à M. Jean Marimbert de ne pas donner accès, dans
l'immédiat, aux documents de son service à la
délégation sénatoriale.
Prenant acte de ce refus, la délégation s'est ensuite rendue
à la direction des analyses des relations sociales de ce même
ministère où elle a été reçue par M. Claude
Seibel, directeur de ce service qui, averti, avait d'ores et déjà
dressé une liste des travaux de son service susceptibles
d'intéresser la délégation.
Dans les jours qui suivirent le 5 janvier, les services du ministère de
l'économie et des finances remirent, concernant la direction de la
prévision, certaines études, mais pas l'ensemble de celles
demandées par la délégation.
Aucune note n'émanant de la direction du budget, ni même
"
la main courante
" des notes, ne furent remises à
la
commission d'enquête.
De la même façon, aucune des notes émanant de la direction
des relations du travail ne lui a été communiquée.
En revanche, la totalité des notes prévues par la DARES, dont bon
nombre étaient au demeurant déjà publiées dans des
revues diverses, lui ont été fournies.
ANNEXE N° 2
-
ECHANGE DE LETTRES ENTRE LE
PREMIER MINISTRE ET LE PRÉSIDENT DU SÉNAT
ANNEXE N° 3
-
EXTRAITS DES " MAINS
COURANTES " ET LISTES DES DOCUMENTS DEMANDÉS
1. Main courante de la direction de la prévision
2. Liste des notes demandées aux sous-directions de la direction de la
prévision
Sept documents ont été communiqués.
D3.97/108 |
15.07.97 |
4 pages |
L'emploi à l'hôpital et la réduction du temps de travail, résultats de l'enquête SAE 1995 |
A2.97/088 |
24.07.97 |
3 pages |
Quelques éléments sur le lien entre productivité et durée du travail |
D4.97/112 |
13.08.97 |
12 pages |
Une maquette de réduction du temps de travail |
D4.97/116 |
18.08.97 |
4 pages |
Le calendrier de mise en oeuvre de la réduction du temps de travail : les enseignements de la maquette de réduction du temps de travail |
D4.97/114 |
21.08.97 |
6 pages |
Faut-il taxer les heures supplémentaires ? |
A1.97/087
|
26.08.97 |
12 pages |
La réduction du temps de travail : le bouclage macro-économique |
D4.97/120 |
03.09.97 |
17 pages |
Les enseignements d'une maquette de réduction du temps de travail |
D4.97/123 |
11.09.97 |
25 pages |
La réduction du temps de travail. Dispositif d'accompagnement de la baisse de la durée légale hebdomadaire |
D4.97/124 |
12.09.97 |
2 pages |
Régime juridique des heures supplémentaires et réduction du temps de travail |
D4.97/126 |
15.09.97 |
5 pages |
La réduction du temps de travail. Commentaires rapides sur le dispositif proposé par le ministère de l'Emploi |
D4.97/127 |
22.09.97 |
3 pages |
Commentaires relatifs au projet " Riposte au chômage " |
D4.97/130 |
26.09.97 |
3 pages |
La flexibilité du marché du travail français. Argumentaire |
D4.97/132 |
26.09.97 |
1 page |
L'estimation des coûts de réorganisation liés à une réduction du temps de travail |
D4.97/135 |
03.10.97 |
3 pages |
Salaire minimum et réduction du temps de travail : l'expérience du passage aux 39 heures |
D4.97/137 |
03.10.97 |
2 pages |
Eléments d'appréciation sur le recyclage des gains pour les finances sociales liés à la réduction du temps de travail |
D4.97/138 |
09.10.97 |
5 pages |
Dispositif d'accompagnement de la réduction du temps de travail et ristourne dégressive sur les bas salaires |
D4.97/141 |
16.10.97 |
3 pages |
Entreprises soumises à la durée légale et entreprises affiliées à l'Unedic |
D4.97/149 |
24.10.97 |
1 page |
Le cadre de définition de la durée légale du temps de travail |
D4.97/150 |
24.10.97 |
3 pages |
Durée du travail en France et en Europe |
D4.97/153 |
24.10.97 |
3 pages |
Réduction du temps de travail et SMIC : quelques points d'éclaircissement |
D4.97/154 |
30.10.97 |
2 pages |
Champ des salariés concernés par la réduction du temps de travail |
D4.97/166 |
20.11.97 |
3 pages |
Réactions à l'avant-projet de loi d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail |
D4.97/165 |
25.11.97 |
12 pages |
Flexibilité de l'emploi, de la durée du temps de travail et des salaires |
D4.97/167 |
25.11.97 |
2 pages |
Réactions à la deuxième version de l'avant-projet de loi d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail |
D4.97/164 |
28.11.97 |
2 pages |
Le dispositif actuel de contrôle des heures supplémentaires |
3. Lettre du ministre de l'économie, des finances et
de l'industrie refusant de communiquer les notes de la direction du budget
4.
Liste des documents demandés à la direction des
relations du travail
Aucun document n'a été communiqué.
D.97/227 |
16.05.97 |
5 pages |
Temps partiel en Europe |
D.97/241 |
26.05.97 |
|
Missions de la DRT |
DSS/FGSS/5B |
23.06.97 |
Fiche 9
|
Mesures relatives aux recettes. Réforme de l'abattement du temps partiel |
DSS/SDFG/5B/h |
30.06.97 |
9 pages |
Cotisations sociales et désincitation aux heures supplémentaires |
D.97/268 |
|
1 + 3 |
Négociation de branche sur l'aménagement de la réduction du temps de travail, le point au 30.03.97 |
D.97/282 |
07.07.97 |
2 pages |
Réflexions sur le contenu du futur projet de loi-cadre. |
D.97/294 |
15.07.97 |
13 fiches
|
|
D.97/306 |
22.07.97 |
10 pages
|
Amélioration de la situation
des salariés
à temps partiel
|
DRT/NCZ/FD |
17.07.97 |
|
Coopératives laitières |
D. 97/311
|
22.07.97
|
|
Loi-cadre sur les 35 heures |
D.97/316 |
28.07.97 |
|
Rapport de l'Association nationale des directeurs et cadres de la fonction personnel |
D.97.327 |
04.08.97 |
2 pages |
Durée du travail et grands magasins |
D.97/336 |
06.08.97 |
3 pages |
FNAC |
D.97/360 |
27.08.97 |
9 pages |
Mise en oeuvre de la réduction du temps de travail et modification du contrat de travail |
D.97/374 |
03.09.97 |
1 + 6 + 3 pages |
Champs d'application possibles |
D.97/381 |
08.09.97 |
1 + 10 pages |
Préparation de la Conférence nationale |
D.97/396 |
13.09.97 |
1 + 2 pages |
Intéressement, participation et compensation dans le cadre de la réduction du temps de travail |
D.97/403 |
17.09.97 |
1 + 5 pages |
Impact de la baisse de la durée légale sur les dispositifs législatifs existants |
D.97/406 |
18.09.97 |
1 + 5 pages |
Avant-projet de loi-cadre |
D.97/407 |
18.09.97 |
1 + 4 pages |
Analyse de la note de M. L. Morin |
D.97/418 |
23.09.97 |
1 + 5 + 5 pages |
Droit d'opposition aux accords loi de Robien |
D.97/431 |
13.10.97 |
1 + 5 pages |
Accompagnement de la réduction de la durée du travail |
D.97/451 |
14.10.97 |
1 + 3 + 5 pages |
Eléments de réflexion sur les aides à la réorganisation + accompagnement de la réduction de la durée du travail |
D.97/465 |
20.10.97 |
3 pages |
Intéressement, participation et compensation salariale dans le cadre de la réduction du temps de travail |
D.97/879 |
08.09 |
14 pages
|
Heures supplémentaires, abaissement du seuil du repos compensateur |
D.97/932 |
14.10.97 |
2 pages |
Annualisation : indemnité à temps complet |
5. Liste de documents établie par la DARES
Ces documents ont tous été communiqués à la
commission d'enquête.
ANNEXE N° 4
-
NOTE DE LA DIRECTION DE LA
PRÉVISION DU 6 MARS 1997
ANNEXE N° 5
-SYNTHÈSES DES ENQUÊTES
(arrêtées au jeudi 29 janvier 1998)
CHAMBRES DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE
Sur
25
réponses reçues,
8
ne se
prononcent pas.
Les
17
autres nous ont communiqué le résultat de leurs
enquêtes effectuées à la fin de l'année 1997 et dont
le recensement fait apparaître les chiffres suivants.
Sur 26 000 entreprises consultées, 5 814 ont répondu au
questionnaire.
De son côté, l'Assemblée des Chambres Françaises de
Commerce et d'Industrie (ACFCI) a reçu 17 565 réponses.
C'est donc sur un total de
23 379
entreprises que porte l'analyse.
Il convient de noter que les réponses font preuve d'une étonnante
homogénéité et ne varient pas significativement quels que
soient le secteur d'activité et la taille des entreprises. On peut
cependant remarquer, sans pouvoir le chiffrer, que les entreprises qui sont les
plus hostiles au projet sont les petites entreprises (- de
10 salariés), qui auront le plus de difficultés
d'organisation du temps de travail.
90 %
93(
*
) des entreprises en moyenne
considèrent que la réduction du temps de travail est une erreur
(voire une catastrophe) économique qui sera sans effet ou aura un
très faible effet sur l'économie ; cette mesure pouvant
même avoir une incidence nuisible sur l'emploi.
Elles se déclarent opposées à toute mesure autoritaire
allant en ce sens.
Autres effets négatifs
cités le plus souvent :
- |
· hausse du coût du travail ; |
- |
· menace sur la compétitivité des entreprises ; |
- |
· risque de délocalisation vers des pays à faible taux de main-d'oeuvre ; |
- |
· difficultés d'embauche (en particulier pour les petites entreprises) ; |
- |
· augmentation du " travail au noir ". |
- |
· licenciement de personnel pour passer en deçà du seuil de 20 salariés. |
Améliorations proposées
:
- |
· baisse des charges ; |
- |
· annualisation ; |
- |
· suppression des seuils ; |
- |
· oui à la réduction du temps de travail , à condition de ne payer que 35 heures. |
Remarque formulée par certains employeurs
:
Les salariés ne veulent pas travailler moins mais gagner plus.
CHAMBRES DES MÉTIERS
34
réponses ont été reçues :
4
ne se prononcent pas, dans l'attente du résultat
d'enquêtes, ou se rallient purement et simplement à la position
des organisations professionnelles (en particulier celle de l'Union
professionnelle artisanale).
1
a décidé la mise en place, sur la période
1998-1999, d'une expérimentation de la réduction du temps de
travail, qui concerne 15 entreprises volontaires représentatives de
la structure professionnelle et dimensionnelle du tissu artisanal du
département (Chambre des Métiers du Nord en collaboration avec le
Conseil général du Nord - Pas-de-Calais).
Toutes les autres (
29
) se prononcent formellement contre.
Raisons invoquées
:
- |
· mesure autoritaire ( 14 ) ; |
- |
· hausse du coût du travail ( 24 ) ; |
- |
· perte de compétitivité et distorsion de concurrence entre les entreprises ( 11 ) ; |
- |
· difficulté d'embauche, même à temps partiel, en raison de la taille des entreprises (en moyenne 3 salariés) ( 14 ). |
- |
· augmentation du " travail au noir " ( 18 ) ; |
- |
· inégalités entre salariés selon taille des entreprises ( 4 ) ; |
- |
· répercussion de la compensation financière de l'Etat sur les contribuables entraînant une baisse du pouvoir d'achat, donc une diminution de l'activité économique et, à terme, une destruction d'emplois ( 2 ) ; |
- |
· diminution des salaires (avec les mêmes effets que ci-dessus) ( 1 ) ; |
Propositions
:
- |
· baisse des charges, afin de compenser l'augmentation du coût du travail (15) ; |
- |
· augmentation du contingent d'heures supplémentaires autorisées, et |
- |
· aménagement de leur régime de rémunération (10) ; |
- |
annualisation (10). |
CHAMBRES D'AGRICULTURE
16
réponses ont été reçues :
12
n'avaient procédé à aucune enquête ;
1
s'est prononcée pour la réduction du temps de travail
qui " s'inscrit sans réserve dans le processus de soutien à
l'emploi " ;
4
se sont prononcées contre, en invoquant une ou plusieurs des
raisons suivantes :
|
· défavorable à toute mesure réglementaire ; favorable à la négociation entre partenaires sociaux. |
|
· la réduction du temps de travail pourrait s'appliquer au personnel non spécialisé mais pas aux ingénieurs et techniciens. |
|
· ne répond pas à l'attente des agriculteurs. |
|
· va entraîner un accroissement des charges des entreprises. |
|
· est mauvaise pour la compétitivité. |
|
· doit s'accompagner d'une réduction des salaires. |
|
· ne favorisera pas la création d'emplois. |
CONSULTATION INTERNET
42
réponses ont été reçues
provenant d'entreprises de :
- moins de 20 salariés :
16
- plus de 20 salariés :
8
- plus de 100 salariés :
8
(les autres n'ayant pas donné de précisions sur leur taille).
Seules
3
d'entre elles avaient conclu un accord
d'aménagement-réduction du temps de travail.
9
entreprises n'ont pas répondu du tout aux questions ou se sont
contentées de formuler quelques remarques. Deux études
approfondies ont été annexées à l'E-mail.
1
s'est prononcée contre le projet, sans motiver sa position.
1. Le dispositif d'abaissement de la durée légale du travail
à 35 heures hebdomadaires est-il susceptible de créer des
emplois dans votre entreprise ?
OUI : 5
NON : 25
2. Pensez-vous pouvoir tirer de ce dispositif un avantage en terme de flexibilité de l'organisation de votre entreprise ?
OUI : 5
NON : 21
3. Incidence du dispositif sur le dialogue social au sein de
l'entreprise :
- Meilleur 2
- Peut être bon 3
(si les salaires ne sont pas diminués)
- Minime 1
- Aucune 8
- Néfaste 10
4. Incidences sur les résultats de l'entreprise :
- Bonne 1
(à condition que le taux des heures supplémentaires
entre 35 et 39 heures soit réduit et que le SMIC
soit inchangé)
- Meilleur rendement 1
- Inconnues 1
- Aucune incidence 2
- Négative 10
- Hausse des coûts 15
- Perte de compétitivité 7
5. Incidences sur l'investissement et la stratégie de
développement de l'entreprise :
- Incidence favorable 1
- Embauche de nouveaux salariés 1
- Incidence faible 1
- Création de services à forte valeur ajoutée 1
- Frein à l'embauche 3
- Stratégie "sécuritaire au détriment de la croissance" 3
- Frein à l'investissement 10
- Délocalisation 12
Outre deux critiques dirigées contre l'institution sénatoriale,
le sondage comporte un certain nombre de remarques (ou propositions)
complémentaires.
Remarques complémentaires
:
- Ne correspond pas à une demande des salariés ni des syndicats
(1).
-Les salariés seront réticents à accepter une
réduction de salaire (1).
-Ce projet est utopique (1) et démagogique (4).
-Il va instaurer une distorsion de concurrence (4).
-Il va favoriser le travail au noir (2).
-Favorables à l'annualisation (3).
-La rémunération ne doit pas être fonction du temps de
travail mais des résultats obtenus.
Le projet ne prend pas en compte les nouvelles technologies (informatique,
télé-travail, etc.). Il ne faut pas
" légiférer sur les structures du passé, mais se
tourner vers les solutions d'avenir ".
" Le droit du travail est inadapté à l'évolution de
l'entreprise ".
ANNEXE N° 6
-
COMPTE RENDU DES
AUDITIONS
I. SÉANCE DU MERCREDI 7 JANVIER 1998
A. AUDITION DE M. RAYMOND SOUBIE, PRÉSIDENT D'ALTÉDIA
(M. Raymond Soubie est introduit dans la salle)
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la
commission d'enquête et fait prêter serment à M. Raymond
Soubie.
Si vous en êtes d'accord , nous vous accordons dix minutes pour vous
exprimer librement sur le sujet. Le rapporteur vous posera ensuite des
questions, ainsi que l'ensemble des collègues. Vous avez la parole.
M. Raymond SOUBIE - Monsieur le président, il est extrêmement
difficile de dire toute la vérité sur les 35 heures ; je
dirai toute la vérité sur ce que je sais.
Je voudrais d'abord essayer de m'interroger devant vous sur l'origine de
" l'affaire des 35 heures " ou plus précisément encore,
sur les raisons qui justifient ou justifieraient le projet de loi et le
processus engagé sur les 35 heures. Ayant écouté ce
qui se disait ou ce qui s'écrivait, j'en ai trouvé trois. Je les
rappelle brièvement.
Il y a des raisons économiques, liées à la lutte contre le
chômage. Il y a des raisons, indépendamment de ce premier
argument, purement sociales, à savoir que réduire la durée
du travail ne peut que faire du bien. C'est un progrès social. La
troisième raison est d'ordre aristotélicien et s'appuie sur
l'argument d'autorité sur le thème : on va le faire, donc on le
fait.
Voilà ce que j'ai pu noter dans les raisons qui sont données sur
cette affaire des 35 heures et que je vais reprendre rapidement.
Tout d'abord, la raison économique. Premier argument qui est double en
réalité : tout d'abord, la réduction du temps de
travail telle qu'elle est engagée va permettre de créer des
emplois. Deuxièmement, toutes les politiques pour l'emploi ont
été essayées. Elles ont toutes échoué.
Celle-là n'a pas été essayée ; donc, essayons
la !
Quand on y regarde bien, ces deux arguments sont de nature différente.
Je commencerai par le premier, à savoir les raisons économiques.
Dans vos auditions, vous avez programmé -si j'ose ainsi m'exprimer-
plusieurs économistes. Vous en entendrez plusieurs éminents cet
après-midi. Je ne voudrais pas m'élever au-dessus de ma condition
en évoquant leurs thèses et encore moins en les contredisant. Ces
économistes sont de deux catégories : ceux qui y croient et ceux
qui n'y croient pas. Si on devait voter, ceux qui n'y croient pas sont en
majorité très nette par rapport à ceux qui y croient.
Ceux qui n'y croient pas disent qu'il y a un accroissement de coût
évident pour les entreprises. Ce seul effet est destructeur d'emploi.
Ils ajoutent que l'expérience menée en France à certaines
périodes montre que les créations d'emplois ont été
nulles ou, au mieux, faibles.
Ceux qui y croient -vous allez en entendre cet après-midi- disent que,
sous certaines conditions, la réduction du temps de travail,
accélérée, peut créer des emplois. Je prendrai
l'exemple donné par l'Observatoire français des conjonctures
économiques selon lequel des emplois peuvent être
créés 700.000 emplois sur cinq ans mais avec des conditions tout
à fait draconiennes de pleine utilisation des capacités de
production, et surtout, de modération salariale pendant des
années.
Il nous faut répondre à ces questions : si l'OFCE a raison,
le corps social français est-il prêt à accepter des
concessions ? Le processus engagé correspond-il à ces
concessions ? Enfin, dès lors qu'il doit y avoir des
négociations avec les syndicats dans les branches et dans les
entreprises, les syndicats sont-ils prêts à accepter ces
concessions ?
Dans l'état actuel du paysage syndical et des positions des uns et des
autres, la réponse est plutôt non. D'après ce qui s'est
passé dans certaines entreprises, nous savons qu'il n'y a pas eu amorce
de négociation, et s'il y en a eu, dès lors que les directions
d'entreprises ont évoqué le problème salarial, il y a eu
un retrait des partenaires syndicaux. Cela pour la raison économique
liée aux créations d'emplois.
La deuxième raison donnée est liée à la tendance
historique à la réduction du temps de travail. On dit que le
temps de travail n'a cessé de diminuer en France comme dans la plupart
des pays industrialisés. Il s'est arrêté de baisser pendant
douze ans, ce serait anormal. Il serait donc normal qu'il baisse à
nouveau.
Cet argument fréquemment donné mérite la remarque
suivante : ce sujet n'est pas le précédent. En admettant
même qu'on reprenne un mouvement de baisse, séculaire allais-je
dire, de la durée du travail, cette baisse séculaire ne
crée aucun emploi, historiquement, ni en France ni dans un aucun pays.
Autre fait : il ne faut pas se fixer sur la durée hebdomadaire
réelle du travail. Il faut raisonner en durée annuelle, voire
même en durée de vie, au travail. Si l'on prend le cas de la
France en durée de vie, on voit que ce pays a procédé
à un abaissement massif de la durée du temps de travail par
l'usage des préretraites. Le système de préretraite a
été plus utilisé en France que partout ailleurs. Lorsque
l'on regarde le nombre d'heures travaillées en moyenne dans une vie, il
a baissé en France plus vite et plus fort qu'ailleurs et il est
aujourd'hui en moyenne plus bas qu'ailleurs.
Quant au troisième argument que j'ai qualifié
d'aristotélicien, je ne m'y arrêterai pas, justement parce qu'il
est... aristotélicien.
J'ajouterai à cela quelques commentaires personnels sur le processus
engagé. Premièrement, je ne crois pas du tout que la France ait
essayé toutes les politiques pour l'emploi. Je crois même, pour
dire la vérité, qu'elle en a essayé fort peu. Lorsqu'on
regarde sur une durée de quinze ans, les politiques pour l'emploi
menées par les différents gouvernements des différentes
tendances, ce qui me frappe profondément, ce n'est pas la
diversité mais la continuité.
M. Philippe MARINI - Très juste !
M. Raymond SOUBIE - Je dirai donc que l'on n'a pas essayé les
différentes politiques possibles pour l'emploi. Peut-être qu'il
n'était pas utile ni opportun de les essayer, mais le fait est qu'on ne
les a pas réellement essayées. On est restés
modérés en tous domaines et de tous côtés.
Deuxième remarque : les pays qui ont réussi à
endiguer le chômage existent ; ce ne sont pas des mythes. Quand on
regarde les raisons pour lesquelles ils ont réussi à avoir des
taux de chômage très bas, de l'ordre de 5 % de la population
active, on voit -comme dirait M. la Palisse que cela vient du fait qu'ils ont
réussi à créer beaucoup d'emplois. S'ils ont réussi
à créer beaucoup d'emplois, c'est qu'ils ont réussi
à développer de nouvelles activités sous de nouveaux
créneaux dans de nouvelles PME.
Un universitaire français bien connu, Michel Crozier, s'étant
retiré de l'Université, est devenu consultant d'une grande
société internationale de
consulting,
a fait un tour aux
Etats-Unis où il a été professeur à Harvard. Il est
revenu dans les endroits où il avait enseigné. Qu'a-t-il
constaté ? Que 90 % des promotions de l'équivalent de nos
grandes écoles de gestion, à la question qui leur était
posée sur ce qu'elles voulaient faire à la sortie,
répondaient : " créer une entreprise ". Non
seulement elles le disaient mais le faisaient. Elles passaient parfois par
l'antichambre d'un cabinet d'audit ou de consulting, mais elles le
faisaient ! Le vrai problème du chômage est, je crois,
profondément un problème d'esprit d'entreprise, notamment dans
les parties les plus jeunes de la population.
Troisième remarque : on ne peut pas aborder cette affaire des
35 heures de manière homogène dans l'économie
française. De nombreuses entreprises industrielles y sont ; beaucoup n'y
sont pas et pourraient y être avec des gains de productivité
évidents et sans grands problèmes : il s'agit des grandes
entreprises industrielles.
A l'opposé du spectre, il y a les PME du secteur tertiaire et des
services qui elles, auront beaucoup de mal à s'adapter sans hausses de
coût et sans pertes de marchés aux 35 heures, d'abord en
raison des hausses de coûts qu'elles connaîtront et ensuite, parce
que les personnes qu'elles emploient, surtout dans les métiers
évolués, ne sont pas substituables et qu'on ne peut pas les
échanger.
Quatrième remarque : lorsque l'on parle du temps de travail et
qu'on en fait l'alpha et l'oméga d'une politique et d'un raisonnement
sur l'emploi, on raisonne en termes du passé et non pas en termes du
futur.
Tout d'abord, qu'est-ce que la durée du travail ? Que veut dire la
durée effective du travail ? Je ne lancerai pas un débat
dont on pourrait parler pendant des heures. Encore faudrait-il avoir une
conception homogène et réelle de la durée du travail.
Pire, je suis convaincu que dans un nombre de plus en plus grand de
métiers, les métiers du XXI
ème
siècle,
de demain, le concept de temps de travail n'a plus de sens. Le vrai concept est
le concept de la mission faite, notamment dans les métiers tertiaires et
non pas le temps passé dans l'entreprise. C'est d'autant plus vrai que
tous les moyens de transmission de l'information font que, aujourd'hui, les
gens ne sont plus dans l'entreprise.
Je parlais d'entreprises de consulting. A Paris, le siège d'Arthur
Andersen a supprimé les bureaux. Les consultants n'ont plus de bureaux.
A la rigueur, ils les louent pour recevoir l'un ou l'autre client à qui
ils veulent montrer leur éminence. Ils travaillent sur leurs portables,
là où ils se trouvent. Que veut dire la durée
réelle du travail ? Comment est-elle contrôlable ?
Comment est-elle appréhendable ? Je crois que c'est un concept du
passé.
Ma dernière remarque portera sur le processus de la loi sur la
durée légale et sur ce qui a été entamé.
Tout d'abord, la loi ne peut appréhender que ce qu'elle
appréhende, c'est-à-dire, en dehors des incitations, la
durée légale du travail. Cette durée légale du
travail est mécaniquement un système de majoration et de
contingentement d'heures supplémentaires. Ce système
n'entraîne pas obligatoirement une réduction de la durée
réelle. Celle-ci dépend, elle, des négociations dans les
entreprises.
S'agissant des négociations dans les entreprises, il est clair
aujourd'hui qu'il y a deux problèmes. Le premier, je l'ai
évoqué et je n'y reviens pas. Pour qu'une réduction du
temps de travail rapide entraîne des emplois, il ne faut pas trouver
seulement des compensations d'organisation mais aussi des compensations
salariales. On s'aperçoit, dans beaucoup d'entreprises en France que
là où il y a des problèmes de restructuration pendants,
cela peut être accepté et l'a été dans le
passé ; que là où il n'y en a pas, ce n'est pas
accepté et que les organisations syndicales ne sont pas prêtes
à s'engager dans cette voie.
Le deuxième point que je souhaitais souligner est que le système
de la loi tel qu'il a été engagé est - nous le savons tous
- très mal vécu, non pas tant par les grandes entreprises que par
beaucoup de petites et moyennes entreprises.
On dit aussi qu'il faut trouver des contreparties en termes de
flexibilité.
Je dirai ceci qui pourra vous paraître paradoxal. Je suis convaincu que
le droit du travail en France permet beaucoup plus de flexibilité qu'on
ne le dit. L'ennui, c'est qu'il faut être entouré d'excellents
conseils. Cela me ravit à titre personnel, mais cela me gêne pour
les entreprises. Autrement dit, on peut toujours monter ces systèmes de
flexibilité. Le droit a d'infinies facettes, mais ce n'est pas simple,
ce n'est pas clair, ce n'est pas visible.
En tout cas, cela ne peut s'appliquer aux petites et moyennes entreprises. Il y
a donc un problème spécifique de la flexibilité des
petites et moyennes entreprises. Sur les grandes entreprises, il faut constater
qu'en moyenne, par rapport à l'Europe continentale, les systèmes
français ne sont ni plus ni moins contraignants que la moyenne des
systèmes de l'Europe occidentale.
Je suis convaincu que s'il n'y a pas de signaux politiques donnés
à ces entreprises, aucun processus de négociation ne
s'enclenchera réellement dans les entreprises. Avec en outre, ce constat
que nous faisons aujourd'hui : une rétention des entreprises sur
les négociations salariales qui devaient avoir lieu. Les entreprises se
demandent ce qui va leur tomber dessus. Par conséquent, elles retiennent
les augmentations de salaires que, normalement, elles auraient
accordées. Il y a donc un vrai risque social si on laisse ce
phénomène se développer.
Je terminerai par un éloge de la loi sur un point. Cette loi est
fondée sur la négociation collective d'entreprise je crois
à cette négociation et permet enfin, là où il n'y a
pas d'organisations syndicales, d'engager la négociation collective par
le système du mandatement. Cela me paraît fondamentalement
positif. J'ai rêvé l'autre jour que ce qui resterait de la loi
serait cela. Ce ne serait pas un mince acquis qui, en outre, serait
historiquement très important.
M. Alain GOURNAC, président
-
Je vous remercie.
Après le rêve, nous allons en venir aux questions de notre
rapporteur à qui je donne la parole.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Monsieur Soubie, merci pour
l'expression de votre opinion sur la problématique de la
réduction du temps de travail. J'ai un certain nombre de questions
à vous poser. Vous y avez implicitement répondu mais je voudrais
y revenir pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté.
Première question au coeur de ce projet : selon vous, la
réduction à 35 heures de la durée hebdomadaire de
temps de travail est-elle de nature à créer des emplois ?
C'est cela qui nous préoccupe ; c'est bien cela qui motive ce
texte. D'autre part, s'il y a un potentiel de création d'emplois,
pouvez-vous en faire une estimation ?
Ma deuxième question est liée aux conséquences de la
durée du travail sur la compétitivité des entreprises.
Quel peut être l'impact sur les coûts salariaux ? Vous avez
laissé entendre que certains experts favorables à cette mesure
l'assortissaient de conditions très strictes, notamment le gel des
salaires.
Avez-vous quelques hypothèses sur la variation et l'augmentation des
coûts du travail du fait de cet abaissement de la durée
hebdomadaire ? Enfin, quel peut être l'impact sur les
investissements, y aura-t-il substitution du capital au travail, et quel peut
être l'impact sur l'attractivité de la France comme territoire
d'enracinement d'entreprises ?
Peut-être aussi, quel est votre sentiment sur l'impact de ce projet par
rapport à la croissance de l'économie française ?
Enfin, quelles sont les alternatives à la réduction de la
durée du travail hebdomadaire, les impacts sur le fonctionnement du
marché du travail et sur le développement de l'emploi ? Vous
avez évoqué l'annualisation. Vous pourriez peut-être
revenir brièvement sur cette proposition.
M. Alain GOURNAC, président
-
Pouvez-vous
répondre au rapporteur ? Nous passerons ensuite aux questions de
nos collègues.
(assentiment de M. Soubie)
M. Raymond SOUBIE - Pour répondre à Monsieur le rapporteur, sur
la question de savoir si la réduction à 35 heures est susceptible
de créer des emplois et combien, je vous répondrai que la
réduction du temps de travail me paraît en effet capable, dans un
certain nombre de cas qui respecteront les critères que j'ai
indiqués tout à l'heure, de créer des emplois.
S'agit-il de beaucoup de cas et de beaucoup d'emplois ? Je ne le crois
pas. Si vous aviez à donner un chiffre, lequel donneriez-vous ?
Comme j'ai promis de vous dire la vérité, je n'ose pas donner de
chiffre ; mais comme je suis imprudent, j'en donnerai quand même un : je
ne crois pas que cela aboutirait à créer plus de
100.000 emplois dans l'économie française. C'est un chiffre
non nul mais faible par rapport à la réalité du
chômage.
La loi étant supposée votée, un certain nombre
d'entreprises se la voyant appliquée, que va-t-il se passer ?
Premièrement, un certain nombre d'entreprises vont vraiment essayer de
l'appliquer, dans son esprit en tout cas, c'est-à-dire de
négocier en attendant 1999. Ces entreprises vont essayer d'obtenir des
contreparties des organisations syndicales et du gouvernement. Des
organisations syndicales en utilisant les flexibilités autorisées
par le droit du travail actuel ; en obtenant non pas des baisses de
salaires, mais une quasi stabilité des salaires sur plusieurs mois ou
deux à trois ans. Je crois que s'ils ne l'obtiennent pas, ils ne
signeront pas les accords. Ils préféreront supporter
mécaniquement l'effet de la majoration des heures supplémentaires
de la loi sur la durée légale à 35 heures.
D'autres en revanche signeront des accords. Je crois que cela ne sera pas la
majorité. Parmi ceux qui signeront des accords, il me semble qu'une
partie aura la subtilité de prendre le dispositif de la loi à la
lettre et dans l'esprit, c'est-à-dire de faire des gains, et donc
d'avoir des systèmes d'organisation entraînant des gains de
productivité qui feront qu'il n'y aura pas d'emplois.
Par conséquent, entre ceux qui ne négocieront pas et ceux qui
négocieront de la manière la plus intelligente en faisant des
gains de productivité, ceux qui aboutiront réellement à
des créations d'emplois seront la minorité. Voilà pour
répondre à votre première question.
Sur l'influence sur la compétitivité des entreprises, j'ai deux
réponses. Tout d'abord, la modération salariale aujourd'hui dans
beaucoup de secteurs de l'économie française est un facteur de
conflit. En outre, quand vous menez des enquêtes spécifiques avec
entretiens qualitatifs dans des entreprises qui ne vont pas mal, comme
heureusement la grande majorité des entreprises, et que vous demandez
aux salariés ce qu'ils préfèrent en les amenant dans leurs
retranchements, il est évident qu'une grande majorité d'entre eux
opte pour des majorations salariales. C'est très clair. Et leurs
organisations syndicales ne pourront pas ne pas tenir compte de ce
problème. Je ne crois pas que le gel des salaires sera la règle.
Concernant l'influence sur la compétitivité des entreprises, je
suis d'un naturel assez optimiste. Pour jouer un peu à Mme Soleil, que
se sera-t-il passé dans un an ? Certaines entreprises auront conclu
des accords qui seront donc qualifiés d'exemplaires par tout le monde, y
compris leurs auteurs, dès lors qu'ils auront été conclus.
Tout le monde mettra sur le compte de ces magnifiques accords qui auront
été conclus les créations d'emploi liées à
ces accords. Des créations d'emplois seront donc affichées Tout
le monde sera satisfait. La grande majorité des acteurs de cette affaire
des 35 heures sera satisfaite. Les gens et les syndicats qui auront
signé, le gouvernement qui aura obtenu des résultats, le patronat
qui aura montré qu'il était moins borné que certains
veulent le dire.
Mon analyse est que dans un an, une fois qu'un certain nombre d'accords seront
signés, toute cette affaire aura tendance à se dissoudre quelque
peu. Pourquoi ? Parce que d'aller plus loin et de faire pression sur
d'autres entreprises pour qu'elles signent entraînera des
conséquences graves sur les autres sujets, c'est-à-dire la
confiance, l'investissement, la croissance. Personne ne prendra ces
risques-là.
Je peux me tromper, mais c'est un schéma que je vois dans ma boule de
cristal.
Dernière remarque. Profondément, je crois que cette affaire des
35 heures est, de la part de ses auteurs, une affaire de bonne foi. Je
connais ceux qui ont inspiré cette idée depuis deux ou trois ans.
Ce sont des hommes de bonne foi, très convaincus.
Sur le papier, ils n'ont pas tort. C'est-à-dire qu'on peut dire que si
toutes les conditions sont réunies, ils n'ont pas tort. Le
problème est qu'en France, nous n'avons pas un système de
relations sociales, de compromis social qui permette d'arriver à ce
résultat. On ne l'a pas au niveau national ; on l'a vu au moment de
la Conférence sur l'emploi : aucun syndicat ni aucun patronat n'est
prêt à s'engager sur ce point. On renvoie donc au niveau des
entreprises pour le laisser au bon vouloir de chacun.
L'idée en soi, dans l'absolu, telle qu'elle a été
montée n'est pas une idée absurde ; elle peut même
être considérée comme une idée intelligente si les
conditions sont réunies. Mais la grande difficulté dans le
modèle français est de réunir ces conditions. Le
problème est peut-être moins dans le concept de base que dans la
difficulté d'appliquer aujourd'hui on le voit tous les jours ce concept
de base.
M. Alain GOURNAC, président
-
Je vous remercie
et passe la parole à nos collègues.
M. Paul GIROD
- Monsieur le président, trois questions
à M. Raymond Soubie.
Première question, le but de la commission d'enquête est de se
faire une opinion sur la manière dont ce slogan électoral a
été transformé en projet de loi. Gouverner un pays
implique de prendre des précautions. Le pays a-t-il été
consulté ? Lui qui est le président d'une organisation dont
l'autorité est reconnue, a-t-il été consulté par
quelqu'un dans la phase préparatoire ?
Deuxième question : je viens de représenter le
président Monory à un colloque international sur des questions
constitutionnelles en Italie. Les Italiens m'ont fait part d'un chiffre
très récent, que je n'ai pas pu vérifier, mais qui me
semble très important, à savoir que leur pays compte plus de
travailleurs indépendants que de salariés. Le basculement est
intervenu en décembre 1997. Plus de travailleurs à leur compte
que de salariés en Italie ! On connaît les Italiens : leurs
capacités à s'adapter aux réalités de la vie,
quelquefois en transgressant certaines réglementations. Peut-on avoir au
sein de l'Europe un pays réglementé selon le système de
Colbert, et en même temps, un pays qui ne serait constitué que
d'indépendants ?
Troisième question : il y a quelques instants, vous avez dit, Monsieur
Soubie, que dans la mesure où l'on sait très bien que l'on ne
peut pas régler le problème à l'échelon national,
on le renvoie au niveau de l'entreprise. Vous qui êtes un homme averti de
la vie politique et sociale française, pensez-vous que ce renvoi
à la décentralisation est compatible avec notre notion jacobine
de l'égalité de traitement des uns et des autres à
l'échelon national ? N'y a-t-il pas un risque de voir le
système exploser au bout d'une période d'adaptation et
d'exploration par retour de l'esprit jacobin sur cette égalité de
traitement ? Par conséquent, l'aspect souple de
l'expérience, que vous avez par ailleurs souligné, et
l'état actuel du droit du travail en France se trouveraient
contournés par les résultats de l'expérience qui sera
lancée.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Philippe Marini.
M. Philippe MARINI
- Monsieur le président, deux
questions à M. Raymond Soubie après lui avoir dit combien
j'ai trouvé lumineux son propos, comme toujours quand on a le plaisir de
l'écouter. En premier lieu, ma question serait de lui demander si,
à son avis, l'effet emploi du dispositif n'aurait pas des chances
d'être meilleur s'il n'était pas contraignant. En effet, dans ce
projet de loi, il y a un aspect incitatif et un aspect contraignant. En
matière de création d'emplois, chacun sait que les aspects
psychologiques ce qui va déclencher le ressort de l'embauche- jouent un
rôle essentiel.
En second lieu, et sur un autre plan, nous voyons des contrôles se
multiplier sur le temps de travail des cadres dans la législation
actuelle. Nous imaginons que ces contrôles seront encore plus
contraignants par définition au terme du processus annoncé.
Cela ne conduit-il pas, à son avis, à une réflexion de
portée quelque peu générale sur l'évolution de la
notion de cadre ? Ne sommes-nous pas en train de raisonner sur de
véritables fictions ? D'autre part, ne faudrait-il pas imaginer que
notre législation s'adapte et considère que certaines
tâches et certains niveaux de responsabilités ne sont plus de
l'ordre du quantitatif ?
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD
- J'aurai trois questions
à poser, Monsieur le président. A la question de savoir si cette
loi sur la réduction du temps de travail à 35 heures
créera ou non de l'emploi, vous répondez :
" peut-être, peu, plutôt peu, mais sous certaines
conditions. " Dans les conditions, vous parlez de rapidité, de
maintien de la production et de la modération salariale.
Je m'étonne que dans le maintien de la production, vous n'ayez pas
mentionné l'importance du sujet valait en soi un développement la
nécessité d'une réorganisation du travail au sein de
l'entreprise. Il me semble que création d'emplois ne peut s'entendre
sans repenser l'organisation au sein des entreprises.
Deuxième question. Concernant le processus de la loi et la durée
légale, vous dites que cette durée légale des 35 heures
n'influera pas du tout sur la durée effective puisque les heures
supplémentaires y échappent. Or, il me semble avoir lu que les
heures supplémentaires étaient intégrées dans les
termes de la loi à hauteur de 130 heures supplémentaires
annuelles. Si besoin était, on peut tout de même intégrer
un quota d'heures supplémentaires à ne pas dépasser pour
aller effectivement vers une durée légale qui n'excède pas
ce que l'on décide.
Troisième point. Je vous ai trouvé quelque peu définitif
sur le refus des organisations syndicales et de la population d'aller vers une
modération salariale. Un certain nombre d'enquêtes récentes
ne sont pas aussi catégoriques. A savoir qu'en échange de
contreparties et d'un certain niveau de salaire, il n'est pas du tout exclu que
certaines organisations syndicales acceptent l'idée de négocier,
y compris là-dessus. Il ne faudrait pas aller trop vite sur cet aspect,
même s'il est difficile.
Enfin, une question d'importance concerne ce que vous avez dit de vos raisons
de trouver cette loi bonne et très positive, soit la relance de la
négociation collective, à savoir que l'on pourra négocier
dans les PME-PMI notamment par mandatement.
Il y a là un vrai problème de la négociation collective au
sein de l'entreprise. Je ne pense pas que l'accord d'octobre 1995, et la loi
qui a suivi, règlent tous les problèmes concernant les
négociations dans les petites entreprises. Auriez-vous un certain nombre
de suggestions à faire sur ce point.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Denis Badré.
M. Denis BADRE
- J'aurai deux questions à poser.
Tout d'abord, vous avez évoqué un effet pervers de l'existence
même du projet de loi qui serait une certaine rétention de la part
de certaines entreprises face aux négociations salariales en
général. Plus généralement et à terme, la
démarche dans laquelle le gouvernement engage le pays ne risque-t-elle
pas de déboucher sur un freinage du développement du temps choisi
?
Deuxième question : vous avez souligné le fait que la notion
de temps de travail était déjà quasiment obsolète.
Demain, dans l'Union européenne, on ira vers une harmonisation des
politiques de l'emploi. Dans ce contexte, si la France organise son corps de
doctrine sur l'emploi, notamment autour de cette notion de temps de travail, ne
risque-t-on pas de voir la France handicapée dans ce contexte
d'harmonisation qui s'imposera, soit au contraire d'aller vers un freinage dans
la construction de l'Union européenne du fait que la France,
élément moteur de cette construction, aura fait en quelque sorte
cavalier seul et choisi une autre voie ?
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Daniel Percheron.
M. Daniel PERCHERON
- Vous avez les idées très
claires, c'est une chance pour les sénateurs qui vous écoutent.
Ma première question, qui appelle des précisions de votre part,
est une argumentation qui portera sur le raisonnement paradoxal que vous avez
défendu sur la tendance historique, que je n'avais jamais jusqu'à
présent entendu. Vous nous avez clairement dit que la tendance
historique à la baisse de la durée du travail n'avait jamais
créé d'emploi. De manière scolaire, quelque peu primaire,
je vous poserai la question précise suivante : cela veut-il dire que si
l'on travaillait aujourd'hui autant qu'en 1936 et autant qu'en 1890, nous
n'aurions que 3 millions de chômeurs ?
Il me paraît très difficile
a priori
de vous accompagner
sur se raisonnement et sur ce postulat. Mais peut-être avez-vous
raison !
Deuxièmement, je pense que cela est dû à votre
expérience irremplaçable : vous avez un raisonnement d'homme
d'appareil au sens noble du terme. Vous écartez l'opinion qui, comme
vient de le rappeler ma collègue, au travers des sondages
répétés, au travers de photographies précises et,
à mon avis, indiscutables, admet la réduction du temps de
travail, envisage certains sacrifices et donne la priorité, soit au
temps choisi, soit à la baisse du chômage. Cela correspond au
choix démocratique que les Français ont fait en juin, même
si les 35 heures n'ont pas été seulement et uniquement au coeur
de leur décision.
Depuis une dizaine d'années, cette opinion ne dément pas sa bonne
volonté et son intérêt pour la réduction du temps de
travail, même contraignante en ce qui concerne l'évolution de son
pouvoir d'achat. Vous la mettez de côté et vous nous expliquez que
ce concept, après tout parfaitement intelligent -à la limite vous
instruisez à décharge, ce qui est très bien et très
sain au sein de cette commission- d'après votre expérience, peut
être en quelque sorte, non pas dévoyé mais freiné,
morcelé entreprise par entreprise.
Vous ajoutez que, les patrons et les 8 % de salariés
syndiqués français au coeur de cette cellule
privilégiée dans le monde clos de l'entreprise vont finalement
tourner le dos à l'opinion et à l'accord, et qu'il y aura
très peu d'accords.
Ma question sera donc la suivante : ne pensez-vous pas que dans ce débat
qui va occuper l'opinion française, l'opinion va jouer un
rôle ? A propos des mouvements de chômeurs aujourd'hui, compte
tenu de la médiation moderne telle qu'elle est pratiquée, nous
avons quand même le sentiment que l'opinion pèse
énormément.
Ou pensez-vous, en tant que praticien et théoricien du monde clos de
l'entreprise, que la négociation entreprise par entreprise pourrait
être une impasse pour ceux qui ont inventé et pris la
responsabilité du concept, et que la faiblesse du syndicalisme
français au sein du monde clos de chaque entreprise va peser très
lourd sur le résultat final ?
Troisièmement, à propos des conséquences sur la croissance
et sur les investissements, si l'investissement hésite compte tenu des
35 heures, comment expliquez-vous qu'il ait hésité de la
même manière après le transfert massif de charges en faveur
des entreprises ?
Au fond, les entreprises qui se sont adaptées à la mondialisation
sont devant la première mesure contraignante depuis 1983. C'est le
premier rendez-vous difficile et contraignant intellectuellement,
économiquement, syndicalement qui leur est proposé.
Dès lors, pourquoi l'investissement hésiterait-il puisque depuis
six mois, dans un contexte que beaucoup prévoyaient difficile, la
confiance semble enfin apparaître, la consommation semble enfin se
dégeler ?
Trente-cinq heures à l'horizon ou pas ? C'est l'une des questions
qui me semblent importantes. Vous n'envisagez pas le cercle vertueux. Vous avez
fait allusion au bilan d'une année qui pourrait être relativement
heureux. Vous n'envisagez pas, là non plus, le cercle vertueux qui
donnerait confiance et favoriserait la croissance.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. André Jourdain.
M. André JOURDAIN
- Monsieur le président, en dehors
des questions d'ordre général qui viennent d'être
posées, je voudrais ajouter une question plus précise. Monsieur
Soubie, vous n'avez pas parlé du temps partiel. Vous avez
évoqué la flexibilité. Or, il me semble que le texte qui
nous est proposé va vers un durcissement du temps partiel. Partagez-vous
mon sentiment ?
D'autre part, quand je pense aux petites entreprises qui auraient besoin de
cadres à temps partagé pour pouvoir se développer, j'ai
l'impression que l'on va tout à fait dans le sens contraire de leur
développement.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Bernard Seillier.
M. Bernard SEILLIER
-
J'aimerais que M. Soubie puisse nous
dire quelques mots de l'incidence du lien entre le taux horaire du SMIC et une
réforme de cette nature. J'ai l'impression que tout en approuvant la
clarté de son exposé, il y a un point majeur qui risque
d'être assez explosif, et en tout cas difficile à régler
légalement.
M. Alain GOURNAC, président
-
S'il n'y a plus de
questions, je demande à M. Soubie d'essayer de répondre
à l'ensemble de ces questions.
M. Raymond SOUBIE - Monsieur le président, plusieurs questions traitent
du même sujet. Je vais donc essayer d'y répondre de manière
groupée.
Pour répondre à la première question, au moment de
l'élaboration du projet de loi, il y a eu de nombreuses consultations.
Votre serviteur a été consulté. On ne peut donc pas dire
qu'il n'y a pas eu de consultations ; il y en a eu beaucoup.
Ce qui m'a frappé au cours de toutes ces consultations, ayant
participé à un certain nombre de réunions, c'est la bonne
volonté collective et générale de cette affaire, un
certain accord de fond, et une difficulté considérable à
mettre le tout en pratique. Si vous me permettez d'en faire le
résumé, je le crois profondément, ma réponse est
une introduction à tout ce que je vais dire.
Concernant l'Italie et les travailleurs indépendants, on va de plus, en
dehors de l'Italie, vers un accroissement des travailleurs indépendants.
Il y a même une nouvelle race de travailleurs indépendants sous
dépendance économique. C'est-à-dire notamment dans les
activités de services, des travailleurs indépendants qui sont
sous statut d'indépendants, mais qui sont en réalité
dépendants d'un employeur. Cela tendra à se développer
considérablement dans les nouveaux métiers que le droit
n'appréhende pas aujourd'hui. C'est un réel problème qu'il
convient de traiter. J'assistais récemment à un colloque
où le phénomène était expliqué.
J'étais assis à côté du patron d'une organisation
syndicale française. Je lui ai demandé si ce discours le
choquait. Il m'a répondu :
" Pas du tout, c'est
l'évidence. "
Cela montre que sur des sujet apparemment complexes, nombreux sont ceux
à être d'accord. C'est un vrai grand sujet d'avenir. Tout comme il
est clair qu'en Europe les diversités des systèmes sociaux de
droit social et de protection sociale dans les quinze ans ne tiendront pas la
route. Il y a là un problème de fond auquel il faudra bien un
jour également s'atteler.
Sur le renvoi à la négociation d'entreprise, c'est vrai qu'il y a
un risque considérable de disparité, mais je crois que c'est le
seul moyen. En effet, les sujets traités et les choix laissés aux
gens portent plutôt sur le temps de travail ou plutôt sur le
salaire. Ce choix ne peut être fait qu'au plus près du terrain.
Inéluctablement, on ira vers des négociations, avec certes des
disparités, mais cela me paraît plutôt un bien et il faut
continuer à y aller.
M. Marini m'a posé deux questions : l'une sur les cadres. Il est
clair que le concept des cadres est un concept franco-français. Quand
vous allez à l'étranger, les cadres, ils ne connaissent pas ! En
outre, en France vous avez diverses définitions des cadres. Par
conséquent, profondément je ne crois pas que le concept de
" cadre " soit le meilleur pour appréhender toute une
série de fonctions et de métiers.
Sur votre autre question, essentielle : n'aurait-ce pas été plus
efficace si cela avait été moins contraignant, je vous
répondrai oui et non. Je commencerai par justifier le non. Un accord a
été effectivement conclu qui prévoyait des
négociations de branches. Elles n'ont pas eu lieu. L'absence de
contraintes a donc fait qu'il ne s'est rien passé. Il faut bien dire la
vérité.
Inversement, il y a le fait que cette loi fixe une partie seulement -je ne l'ai
pas assez dit tout à l'heure de la règle du jeu. La grande
difficulté pour les entreprises aujourd'hui est qu'un projet de loi sera
sans doute voté. Ensuite, un second volet à ce projet de loi
interviendra dans deux ans. Elles se demandent toutes ce que contiendra ce
nouveau volet du projet de loi dans deux ans.
Le gouvernement a répondu, dans un souci de concertation avec les
entreprises : " Cela dépend de vos accords ". Les
entreprises
répondent alors : " Comment négocier des accords sans savoir
ce qui se passera dans deux ans ". C'est l'histoire du chat qui se
mord la
queue.
Un processus qui eût été meilleur aurait été
de dire à la collectivité des entreprises :
" Messieurs, vous négociez des accords, et dans un an, nous faisons
le projet de loi. " Il n'y aurait pas eu la contrainte juridique
-psychologiquement, cela aurait donc été différent mais il
y aurait eu une contrainte politique.
Ce que je dis est tellement vrai que c'est ce que j'avais cru comprendre. Je
m'explique : quand vous lisez les interventions des participants à
la conférence tripartite de l'emploi, et notamment celle du Premier
ministre à l'issue de la journée, c'est exactement ce qu'il a
écrit dans l'intervention qu'il avait préparée. Qu'y
disait-il ? :
" Vous allez négocier. Maintenant va
être retenu l'objectif cela figure dans son texte du passage de la
durée légale à 35 heures. Mais toutes les
modalités figureront dans la seconde loi. "
Au fond, il y a eu passage subreptice d'une intention clairement
exprimée dans son texte à un projet de loi qui ne correspond pas
exactement -et même sur un point fondamental psychologiquement à
ce qu'il a dit.
M. Philippe MARINI
- C'est de la tromperie !
M. Raymond SOUBIE - Cela tient en grande partie à la manière dont
s'est déroulée la conférence tripartite, que j'ai
appelée " une journée de dupes ". Parce que M. Gandois
croyait avoir convaincu le Premier ministre, et le Premier ministre croyait
avoir convaincu M. Gandois ! Le problème est que les deux
avaient raison et que tous les deux pensaient avoir eu tort. En clair, la
déclaration du Premier ministre était une vraie ouverture pour
les entreprises et elle a été prise comme une insulte par les
entreprises. Quelque chose ne s'est pas bien passé dans les
transmissions et explications. Tout est vraiment parti de là.
Madame, vous avez posé une série de questions. Si je n'ai pas
parlé de la réorganisation, c'est qu'elle me paraît
être au coeur de sujet. Je suis convaincu que dans de nombreuses
entreprises françaises, il y a des possibilités
considérables de réorganisation, de gains de productivité.
Je crois dès lors que l'on peut c'est bien de cela dont il s'agit
dégager du temps par les gains de productivité liés
à la réorganisation. Ce temps, on peut en faire ce que l'on veut.
On peut l'affecter à la réduction du temps de travail ou à
d'autres facteurs de production. Mais je ne suis pas convaincu que cela
aboutisse à créer des emplois. C'est cela que je crains.
Je crois que l'un des aspects très positifs du processus engagé
est d'obliger les entreprises à réfléchir sur la
réorganisation du temps de travail, mais je ne suis pas sûr que la
réponse qu'elles vont trouver aboutira à des créations
d'emplois. Cela dit, je suis totalement d'accord avec vous sur l'aspect de la
réorganisation.
Sur le processus de la durée légale, il est clair que l'un des
points fondamentaux est le contingent d'heures supplémentaires. Cela me
paraît tout fait évident.
Sur le problème, également évoqué par M. Percheron,
de l'opinion et de la négociation collective : deux remarques. Tout
d'abord, le dispositif implique des accords, des appareils, et des accords
d'entreprises dans une France où le syndicalisme est tombé si
bas, constitue un vrai problème, fondamental d'application.
M. Alain GOURNAC, président
-
8 % !
M. Raymond SOUBIE - C'est un vrai problème, fondamental d'application.
Personnellement, je n'ai pas la réponse.
Sur le problème de l'opinion que vous avez évoqué tous les
deux tout à l'heure, certes on connaît bien les enquêtes
d'opinion. Simplement, lorsqu'on fait un effet de zoom sur diverses
entreprises, on voit bien que si l'on demande aux gens un arbitrage entre le
salaire et la durée du travail, lorsqu'ils sont prêts à le
rendre, c'est pour voir des résultats visibles dans leur entreprise ou
autour d'eux.
Or, malheureusement et pour la raison qu'évoquait madame, liée
à la réorganisation- je ne suis pas sûr que les
résultats soient si visibles. Je ne suis pas sûr non plus que le
cycle vertueux de l'opinion puisse vraiment s'enclencher dans les entreprises.
D'autre part, en raison même de la faiblesse des syndicats, ils
hésiteront à s'engager dans ce contexte. Voilà ce que je
voulais exprimer.
La réponse à cela est qu'il faudrait qu'il y ait suffisamment
d'entreprises où des accords soient conclus.
Sur la remarque de M. Percheron sur la baisse tendancielle de la durée
du temps de travail, on peut dire que les baisses lentes de la durée du
travail ne créent pas d'emplois. Les gains de productivité
absorbent immédiatement tout cela. Si l'on veut vraiment créer
des emplois, M. Fitoussi l'expliquera tout à l'heure, il faut aller
rapidement dans la réduction du temps de travail. C'est une autre
opération répondant à d'autres logiques.
Sur le cercle vertueux de la croissance et de l'investissement, les
décisions en matière d'investissement relèvent des
entreprises. Il est tout de même caractéristique de la situation
française de constater qu'il n'a pas été brillantissime
depuis huit ou neuf ans.
M. Daniel PERCHERON
- Quels qu'aient été les efforts
dans leur direction !
M. Raymond SOUBIE - Oui. C'est donc quand même un comportement
des décideurs quelque part contraints, de non confiance. Ce n'est pas
seulement l'attitude des consommateurs, mais c'est aussi l'attitude profonde
des décideurs.
Un autre aspect que je n'ai pas évoqué : il ne faut pas
exclure que certaines négociations sur le temps de travail
débouchent sur des conflits. Des entreprises préviennent qu'elles
n'accorderont pas les augmentations de salaires ; les salariés et
les syndicats le prennent très mal. Une partie du processus risque donc
de déboucher sur des conflits, ce qui irait psychologiquement dans
l'autre sens.
Sur les questions de MM. Badré et Jourdain concernant le temps partiel,
c'est pour moi un mystère. Tout le monde était d'accord pour dire
que le temps partiel est la manière la moins conflictuelle, la plus
rapide et la plus massive de réduire le temps de travail sans
compensation salariale et de manière paisible.
C'est tellement vrai que M. Bérégovoy avait mis en place, puis
Martine Aubry, des dispositifs massifs d'aide au temps partiel qui ont
été remarquablement efficaces. Le projet de loi marque un coup de
frein à ce sujet. Pourquoi ? Parce que certains secteurs ont
abusé de cela, notamment la grande distribution pour appeler un chat un
chat. Cela dit, c'est grandement dommage car des secteurs entiers du tertiaire
ont utilisé très intelligemment cette mesure. Il ne faudrait donc
pas enterrer le temps partiel, tout en prenant des précautions dans
certains secteurs.
Je termine par la question sur le taux horaire du SMIC. C'est une vraie
question, mais vous me pardonnerez, Monsieur le sénateur, je n'ai pas de
vraie réponse.
M. Alain GOURNAC, président
-
Je voudrais vous
remercier d'avoir répondu à toutes les questions et d'avoir
donné à votre propos beaucoup de clarté et ainsi
éclairé cette commission.
B. AUDITION DE M. JEAN-PHILIPPE COTIS, DIRECTEUR DE LA PRÉVISION AU MINISTÈRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
(
M. Jean-Philippe Cotis est introduit dans la salle)
Je voudrais maintenant accueillir M. Jean-Philippe Cotis.
Le président lit la note sur le protocole de publicité des
travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à
M. Jean-Philippe Cotis, directeur de la direction de la prévision au
ministère de l'Economie, des finances et de l'industrie.
La parole est à M. Jean-Philippe Cotis
.
M. Jean-Philippe COTIS
- Monsieur le président, avant de
débuter mon intervention, j'ai deux ou trois points matériels
à porter à votre connaissance. Les notes qui doivent vous
parvenir le seront avec une lettre du ministre des Finances. Le Premier
ministre a adressé une lettre au Président du Sénat dans
laquelle il lui fait part d'un certain nombre de réflexions
générales et des instructions transmises aux fonctionnaires
appelés à déposer.
Le Premier ministre est soucieux d'informer le Parlement. Il a donné
l'ordre aux fonctionnaires de déférer aux convocations et leur a
demandé de veiller à ce que les documents nécessaires pour
éclairer la teneur et la portée du projet de loi vous soient
fournis.
Il nous a donné également pour consigne de ne pas donner suite
aux demandes de communication présentant un caractère
systématique ou portant sur des pièces destinées à
préparer les choix du pouvoir exécutif, et constituant de ce fait
des documents de travail internes au gouvernement.
Cette ligne de conduite a été portée à la
connaissance du Président de la République au titre de l'article
5 de la Constitution.
M. Alain GOURNAC, président
-
Je vous en
remercie. J'ai en effet reçu le double de la lettre envoyée par
le Premier ministre.
M. Jean-Philippe COTIS
-
Monsieur le ministre, Monsieur le
président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je suis
très honoré de l'invitation qui m'est faite de
" plancher " aujourd'hui devant vous sur les conséquences du
passage aux 35 heures. Il s'agit d'un sujet difficile dont les ramifications
s'étendent très au-delà de la sphère
économique et qui invite les techniciens à la prudence et
à la modestie.
Au cours de cette intervention, j'aurai à coeur, en conséquence,
de faire la part entre ce que les experts connaissent mal, ce qui reste encore
incertain, et ce sur quoi l'on peut raisonnablement tabler.
Je prie par avance les membres de la commission avec lesquels je me suis
déjà longuement entretenu du sujet avant-hier, dans des
conditions il est vrai quelque peu imprévues, pour les redites qui ne
manqueront pas d'émailler mon intervention.
Mon propos s'articulera autour de 3 grands thèmes :
- le premier concerne les difficultés et les limites qui s'attachent
à tout exercice de prévision ou d'évaluation
quantifiée des conséquences de la réduction du temps de
travail. Dans ce domaine l'expertise reste, par définition, très
incertaine ;
- dans un deuxième temps, j'insisterai plus particulièrement
sur l'apport de la théorie économique. Si l'analyse
économique reste, en effet, sans réponse à la
question : " la réduction de la durée du travail
est-elle, en soi, favorable ou défavorable à
l'emploi ? ", elle permet en revanche de définir, dans leurs
grandes lignes, les conditions du succès et de mieux cerner les
écueils à éviter;
- dans un dernier temps, j'essaierai de vous proposer une lecture du projet de
loi, à la lumière de cette grille d'analyse.
Les informations micro-économiques qui permettraient de procéder,
dès aujourd'hui, à une évaluation quantifiée, et
robuste, des conséquences de la réduction du temps de travail ne
sont pas encore disponibles. Elles ne le deviendront qu'au cours de la
période intérimaire, lorsque les négociations entre
partenaires sociaux auront pris corps.
Du point de vue de l'analyse macro-économique, la réduction du
temps de travail avec maintien du salaire et incitation publique se
ramène à la combinaison de trois phénomènes :
-
une hausse du coût salarial par unité produite, suivie
éventuellement d'une phase de modération ;
- un partage du travail plus favorable à l'emploi;
- une réduction des prélèvements pesant sur le travail.
Ces 3 types de " chocs ", dès lors que leur ampleur est
connue, peuvent servir d
'
"
inputs
" à des
simulations macro-économiques, dont les conclusions se
révéleront, malgré les incertitudes inhérentes aux
" modèles macro ", relativement robustes.
L'obstacle majeur, qui rend très difficile à l'heure actuelle
toute évaluation quantifiée, se situe en amont de l'analyse
macro-économique, dans la collecte de l'information
micro-économique.
Pour déterminer, par exemple, dès aujourd'hui l'ampleur de
l'effet de partage du travail ou du choc initial de coût de production,
il serait nécessaire de connaître une masse importante
d'informations " privées ", que seules les entreprises sont
en
mesure d'appréhender, et qui varient fortement d'un secteur, d'une
entreprise, voire d'un établissement à l'autre. Il s'agit, par
exemple, des gains de productivité latents dont disposent les
entreprises, de leurs coûts de réorganisation éventuels ou
encore de la capacité des partenaires sociaux à maîtriser,
dans une phase ultérieure, l'évolution des
rémunérations.
Ces " informations de terrain " ne peuvent être glanées,
pour l'heure, qu'à partir de précédents historiques. Les
deux expériences historiques qui viennent à l'esprit, le passage
des 40 aux 39 heures de 1982 et la mise en oeuvre de la loi de Robien, restent
cependant difficiles à mobiliser :
- le passage aux 39 heures s'était effectué dans un contexte
macro-économique particulièrement difficile et peu transposable
à la période actuelle. Il ne portait, en outre, que sur une
réduction d'une heure.
- l'expérience du " Robien " reste encore trop
récente et de courte durée pour en tirer des conclusions fermes.
Il convient de signaler, cependant, que la DARES publiera, demain, un premier
bilan de l'expérience Robien, qui fait apparaître de premiers
enseignements intéressants.
Pour l'heure, les économistes doivent donc se contenter pour l'instant
de scénarios illustratifs qui restent fragiles. Cette fragilité
est bien illustrée par les chiffrages, d'origines diverses, qui sont
recensés dans l'excellent rapport du Sénateur Barbier. Les effets
induits par une réduction échelonnée de 5 % du temps
de travail, avec compensation salariale, varient en effet de 250.000 à
620.000 emplois créés selon les équipes de recherche
concernées (INSEE, Ecole Centrale, OFCE). On passe donc du simple au
triple.
Le souci du Gouvernement de laisser se développer les
négociations au cours d'une période intérimaire trouve,
pour une part, son origine dans la nécessité de mieux
appréhender ces données de terrain, qui manquent encore largement
aux économistes.
J'en viens maintenant à mon deuxième point, qui concerne les
conditions de réussite de la RTT et les écueils à
éviter. Ces conditions du succès et ces écueils, l'analyse
économique peut utilement contribuer à mieux les cerner.
Il y a une " fausse question " que l'on peut évacuer
d'emblée : celle de savoir si la réduction du temps de
travail est intrinsèquement bonne ou mauvaise pour l'emploi. Sur ce
point, la théorie économique, comme d'ailleurs l'histoire
économique, sont totalement " agnostiques ".
Toute l'expérience de l'après-guerre montre, par exemple, que
dans un contexte de forte croissance de la productivité, permettant
à la fois une progression soutenue du pouvoir d'achat et un
accroissement du temps libre, une baisse régulière et
relativement spontanée de la réduction du temps de travail peut
être compatible avec le plein-emploi.
Par conséquent, la question de savoir si, dans l'absolu, c'est bon ou
mauvais pour l'emploi, est probablement une question qui ne se pose pas
exactement aujourd'hui.
La question qui mérite d'être posée aujourd'hui me semble
être d'une autre nature. On peut la formuler de la manière
suivante : une intervention publique visant à
" réenclencher " le mouvement de réduction du temps de
travail qui s'est interrompu au début des années 80, peut-elle
stimuler l'emploi ? Cette question prend une acuité
particulière dans un contexte où les gains de productivité
n'ont plus l'ampleur qu'ils connaissaient au cours des Trente glorieuses.
Pour qu'une intervention publique soit fondée, il faut :
-
mettre en évidence des défaillances de marché,
d'une part sur le marché du travail, ou sur l'économie dans son
ensemble ;
- montrer en quoi l'intervention publique peut atténuer ces
imperfections ;
- s'assurer, enfin, que cette intervention ne générera pas
d'effets pervers qui se révéleraient plus coûteux que les
imperfections de marché que l'on cherche à corriger.
Ces défaillances de marché, quelles sont-elles aujourd'hui en
France ? Elles sont à la fois macro-économiques et
structurelles.
Macro-économiques tout d'abord, avec l'existence d'un important volet de
chômage keynésien. La Direction de la Prévision l'estime
à près de 3 points de taux de chômage correspondant
à un " déficit " de demande globale de près de 4
points de PIB (en 1996). C'est-à-dire l'écart entre la demande
effective et le potentiel de production.
Ce diagnostic est plus ou moins partagé. Le FMI et l'OCDE estiment ce
déficit à près de 3 points de PIB, la Commission
européenne et la Banque de France à 1 point seulement.
Ce retard de demande est imputable au " policy-mix " très
déséquilibré (déficits budgétaires
excessifs, conditions monétaires très tendues), qui ont
caractérisé la politique économique en Europe Continentale
et en France durant la première moitié des années 90.
Ces évaluations mettent en évidence le " terrain
perdu " au cours de la grande récession des années 90, par
rapport à une situation où la conjoncture serait restée
normale. Elles ne garantissent pas, en revanche, que tout le terrain perdu sera
rattrapé. Les économies européennes ne sont pas
prémunies, en effet, contre d'éventuels " effets
d'hysteresis ". J'y reviendrai par ailleurs.
Les défaillances " structurelles " maintenant. Elles
concernent, pour une large part, le marché du travail :
- un coût du travail peu qualifié, qui reste sans doute encore
trop élevé, malgré les progrès accomplis ;
- des négociations entre partenaires sociaux, qui n'ont pas, du point de
vue de l'économiste, l'efficacité souhaitable ;
- des effets d'hysteresis, liés au phénomène du
chômage de longue durée.
Je reviendrai sur ces points plus longuement par la suite.
Quelques précisions, peut-être, sur ces deux derniers points.
Les négociations sociales, tout d'abord. Elles sont le plus souvent
focalisées sur les seuls salaires et portent plus rarement sur l'emploi,
sauf dans les situations de crise.
C'est un phénomène regrettable qui nous distingue des
économies d'Europe continentale qui ont réussi (Pays-Bas,
Danemark, Norvège, Autriche, Allemagne de l'Ouest jusqu'à la fin
des années 80). Dans ces pays, les négociations sociales portent
à la fois sur les salaires, l'emploi, voire même la durée
du travail. Elles débouchent généralement sur des accords
et des compromis plus favorables à l'emploi.
Si nous comparons, par exemple, la France et les Pays-Bas, nous constatons que
dans ces deux pays, la part des salaires dans la valeur ajoutée a
chuté de plus de 10 points depuis son " point haut " du
milieu des années 80. Dans le cas de la France, cette modération
salariale a été associée à une stagnation de
l'emploi. Aux Pays-Bas, en revanche, la modération salariale a
été de pair avec une amélioration de la situation de
l'emploi.
Il existe aujourd'hui un " espace " suffisant pour
permettre une
remontée de la part des salaires dans la valeur ajoutée (les taux
d'intérêt ont beaucoup baissé, la situation
financière des entreprises s'est améliorée). Il serait
donc souhaitable que, comme aux Pays-Bas au cours de ces toutes
dernières années, cette remontée de la part des salaires
profite en priorité à l'emploi.
Un mot, pour conclure ces développements théoriques, sur les
effets d'hysteresis. Ces effets, qui ont été initialement
observés dans les sciences physiques, décrivent des situations
dans lesquelles " les conséquences persistent alors même que
les causes ont disparu ".
En économie, on peut souvent observer des phénomènes de
cette nature. Une hausse du chômage peut trouver, par exemple, son
origine dans la faiblesse de la conjoncture et ne pas se résorber pour
autant, lorsque l'économie revient à une " conjoncture
normale ". Dans l'intervalle, en effet, la durée du chômage a
pu s'allonger, entraînant par là-même une
détérioration du " capital humain " des demandeurs
d'emploi et une perte de contact avec le marché du travail.
Ce risque d'hysteresis n'est pas absent en France où d'une certaine
manière nous assistons peut-être à une " course de
vitesse " entre, d'un côté, la reprise économique en
cours et, de l'autre, la démoralisation et la perte
d'employabilité des chômeurs.
Que peut alors apporter la RTT dans un tel contexte ?
Elle peut contribuer, tout d'abord, à endiguer les effets d'hysteresis
le plus tôt possible au cours de la phase de reprise. La RTT peut
contribuer à accélérer, dès le début de la
reprise, le rythme des embauches et à réintégrer au sein
des entreprises des demandeurs d'emploi avant que leur
" employabilité " ne soit dégradée de
manière irréversible.
L'autre apport de la RTT en termes d'amélioration du fonctionnement du
marché du travail est de déplacer le " centre de
gravité " des négociations sociales, en plaçant
l'emploi au coeur des discussions. Si elle s'accompagne d'une maîtrise
adéquate des évolutions salariales, la RTT peut contribuer
à créer les conditions d'un redémarrage de la masse
salariale tirée par l'emploi.
Les écueils à éviter.
On reproche parfois à la RTT de reposer sur des hypothèses mal
fondées. Au premier rang de celles-ci, l'hypothèse selon laquelle
le volume de travail serait fixé une fois pour toutes et pourrait
être partagé sans difficultés, ni précautions
particulières.
Cette thèse de la " quantité invariable " de travail
n'est, en effet, pas absente des débats. Prenant appui sur l'existence
d'un chômage keynésien, certains économistes soutiennent,
par exemple, l'idée qu'une RTT accompagnée d'une hausse des
coûts de production ne pèserait pas sur l'emploi, et pourrait
même le stimuler avec l'augmentation de la masse salariale qui
entraînerait celle de la demande globale et de l'emploi.
Sur la base d'une telle analyse, la pénurie d'emploi ayant pour origine
un manque de débouchés, il serait souhaitable de renchérir
vigoureusement le coût des heures supplémentaires, de façon
à partager le plus largement possible le travail disponible.
Il ne faut pas chercher dans cette direction les bases d'une réduction
réussie du temps de travail.
Nous vivons, en effet, dans une économie ouverte, dans laquelle la
demande étrangère, et donc la compétitivité des
entreprises, ont une importance cruciale. Une économie également
où le travail qualifié et le capital seront de plus en plus
mobiles. Ce qui impose de respecter certains impératifs de
rentabilité et d'efficacité.
Ces exigences, loin de se relâcher, se renforceront avec l'entrée
dans l'Union économique et monétaire.
Sur la base de cette analyse, la mise en oeuvre, réussie, de la RTT doit
s'efforcer d'éviter :
- la dégradation des coûts salariaux par unité
produite. Toutes les simulations de modèles, qu'ils soient de facture
néo-keynésienne ou plus néo-classique, montrent qu'en
économie ouverte et en changes fixes, une hausse des coûts
salariaux unitaires déprime assez rapidement la demande globale,
même si elle stimule dans un premier temps la consommation des
ménages ;
- le renchérissement des heures supplémentaires. En
période de reprise, avec le retour à une conjoncture normale,
c'est un facteur de tensions inflationnistes qui peut contribuer à
étouffer le redémarrage de l'activité. Le
renchérissement du prix des heures supplémentaires est
particulièrement nocif pour les petites entreprises qui n'ont pas,
physiquement, la faculté de substituer des embauches aux anciennes
heures supplémentaires ; ce que l'on appelle dans notre jargon un
" phénomène d'indivisibilité ".
-
les " effets d'aubaine " en matière de finances
publiques c'est-à-dire ne pas subventionner des créations
d'emploi qui auraient existé en tout état de cause, de
manière à préserver l'équilibre des finances
publiques.
Au total, l'analyse économique suggère, me semble-t-il, qu'une
mise en oeuvre efficace de la RTT passe par des incitations positives
plutôt que par des contraintes, par une négociation
décentralisée mais en même temps globale, portant à
la fois sur les emplois et sur les salaires, et par la prise en compte
spécifique des difficultés rencontrées par les petites
entreprises, par des incitations " bien calibrées ", qui
limitent au maximum les effets d'aubaine.
Très brièvement, comment peut-on lire le projet de loi à
la lecture de cette grille d'analyse ?
Le projet du Gouvernement est fondé pour l'essentiel sur une
démarche incitative.
Les changements apportés au cadre légal et réglementaire
dans lequel opèrent les entreprises resteront modérés.
Dans la période intérimaire 1998-2000, les changements seront
modestes (léger durcissement de régime du repos compensateur,
moralisation souhaitable du temps partiel, possibilité ouverte de signer
un accord, même en l'absence de syndicats dans l'entreprise).
En régime de croisière les " effets contraignants " du
passage aux 35 heures légales ne doivent pas être
surestimées. Comme le rappelle clairement le projet de loi, le
surcoût associé à l'utilisation des heures
supplémentaires ne dépassera en aucun cas les 25 % actuels.
Dans un tel contexte, les entreprises qui souhaiteraient rester à
39 heures ne subiraient qu'un surcoût modeste de l'ordre de + 2,5%.
En outre, une attention particulière devrait être accordée
aux petites entreprises, de manière à ce que leurs comptes
d'exploitation n'aient pas à souffrir de la RTT.
Je conclurai en signalant que les incitations positives seront puissantes.
Comparées au " Robien ", les aides à la RTT seront
certes un peu moins fortes mais il sera plus facile d'en
bénéficier (conditions de créations d'emploi de + 6% au
lieu de + 10% avec le Robien).
Compte tenu de l'aide accordée, et même avec une compensation
salariale totale, le surcoût pour les entreprises resterait
limité. Pour une entreprise caractérisée par une forte
proportion de salariés payés au SMIC qui appliquerait la RTT
aujourd'hui, les aides se révéleraient même avantageuses.
La mise en oeuvre d'un système d'incitation à la RTT ne devrait
pas entraîner de dégradation des soldes publics. Comme dans le
Robien, les conditions posées en termes de créations nettes
d'emplois limiteront nécessairement les effets d'aubaine et
entraîneront vraisemblablement de ce fait des effets de retour favorables
sur les finances publiques.
L'analyse des premiers accords Robien semble confirmer la faiblesse des effets
d'aubaine. Les projets de RTT apparaissent bien mûris et longuement
négociés : réorganisation importante, annualisation
fréquente, implication forte des syndicats, pause dans la progression
des rémunérations souvent prévue.
M. Alain GOURNAC, président
-
Monsieur le
directeur, je vous remercie de votre propos et de bien vouloir nous remettre
une copie de votre exposé. Je donne immédiatement la parole
à notre rapporteur qui souhaite vous poser quelques questions.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
-
Je voudrais d'abord remercier
le directeur de la prévision pour l'éclairage qu'il a bien voulu
nous apporter. En cette matière, je comprends qu'il n'est pas
aisé de faire des projections et qu'il y a une démarche
expérimentale.
Il nous a rappelé les contraintes à respecter pour que cette
démarche soit couronnée de succès. Je voudrais revenir sur
quelques points particuliers et demander à M. Cotis s'il veut bien nous
faire part des conclusions auxquelles il aurait pu aboutir, ou en tout cas les
évaluations auxquelles pourrait aboutir telle ou telle simulation.
En supposant toutes les contraintes que vous avez bien voulu rappeler, ainsi
que les réserves que vous avez exprimées; peut-on faire des
hypothèses de création d'emplois sur la base de cette
réduction à 35 heures de la durée légale du
travail ? Si des évaluations ont été faites,
pouvez-vous nous indiquer les différentes hypothèses ?
Avez-vous pu chiffrer les conséquences de la réduction de la
durée du travail sur la compétitivité des entreprises,
leur impact sur les coûts salariaux, et donc sur le coût relatif du
travail ?
Egalement, l'impact que peuvent avoir ces mesures sur l'investissement des
entreprises et sur l'attractivité de la France pour les entreprises.
J'ai bien noté que vous avez souligné que l'économie
était dans un environnement ouvert sur le monde et que nous devions
être prudents.
Avez-vous pu évaluer l'impact du projet de loi sur la croissance
économique et avez-vous étudié les alternatives à
la réduction de la durée hebdomadaire du travail pour que le
fonctionnement du marché du travail contribue au développement de
l'emploi ?
Enfin, avez-vous fait des simulations sur l'annualisation du temps de
travail ?
M. Alain GOURNAC, président
-
Monsieur Cotis, je
vous propose de répondre au rapporteur et ensuite nos collègues
vous poseront des questions.
M. Jean-Philippe COTIS
- J'ai peur d'apporter une
réponse partiellement décevante à la question qui vient
d'être posée. Dans le cadre de la préparation du projet,
nous avons fait toute une série de chiffrages qui portaient sur des
dispositifs qui ont varié dans le temps. Ces hypothèses ont
été faites avec des calibrages divers.
Nous n'avons pas encore d'estimation définitive du dispositif tel qu'il
vient d'être arrêté dans le projet de loi, mais
plutôt, d'une certaine manière, toute une gamme de
résultats dont j'évoquais la grande dispersion à propos du
rapport du sénateur Barbier.
Ce que je peux dire de manière plus globale, qui anticipe donc sur les
travaux en cours, sur les grands enseignements de ces estimations, c'est que
les résultats sont plus ou moins bons pour l'emploi en fonction des
paramètres. Plus la modération salariale est forte, plus les
résultats en matière d'emploi sont favorables. On retrouve cette
conclusion dans les simulations que le ministère du Travail a
demandées à l'OFCE. Les résultats sont meilleurs si les
coûts de réorganisation sont faibles et si les gains de
productivité sont élevés. L'autre point est la taxation ou
le renchérissement des heures supplémentaires qui a, a priori, un
effet défavorable.
Si les coûts sont mal maîtrisés, ce que montrent les
simulations c'est vrai pour toute hausse de coût quelle qu'en soit
l'origine il y a un risque pour les exportations et pour l'investissement. En
revanche, c'est bon pour la consommation des ménages s'il y a un peu
plus de masse salariale, mais l'effet net sur le PIB en général,
dans ce type d'estimation, est plutôt négatif.
C'est-à-dire qu'entre deux scénarios de réduction du temps
de travail celui où la modération salariale serait plus faible
n'aurait pas d'effet aussi positif sur l'emploi. Ces mêmes conclusions
s'appliquent aux gains de productivité qui sont favorables à
l'emploi à terme.
Ceci est d'ailleurs très proche des résultats de l'OFCE. Lorsque
l'on parle de réduction du temps de travail avec ou sans
modération salariale, le rendement en termes d'emploi est très
différent. Il est bien meilleur lorsque les rémunérations
sont maîtrisées ainsi que sur l'activité.
C'est-à-dire que les effets de compétitivité l'emportent
en quelque sorte sur les effets de revenu dans ces simulations.
Cela explique l'accent qui est mis dans ce projet de loi sur la
nécessité de stabiliser les coûts de production et de faire
en sorte que la RTT ne dérape pas. Cela étant, les travaux sont
en cours pour finaliser...
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- L'enjeu est donc la modération
salariale et l'emploi !
M. Jean-Philippe COTIS - C'est l'enjeu macro-économique. Le
deuxième enjeu important est, je crois, le coût des heures
supplémentaires pris globalement.
Là, le problème n'est pas simple. La théorie
économique dit grosso modo que si vous êtes dans une situation de
chômage keynésien, c'est-à-dire avec une pénurie de
débouchés pour les entreprises, à ce moment-là
l'emploi est contraint, non pas par son coût mais par l'absence de
demande. Dans ce cas, si vous taxez les heures supplémentaires, ou si
vous les renchérissez, c'est bon pour l'emploi à très
court terme.
Mais dès que l'économie revient à conjoncture normale,
à ce moment-là, les coûts marginaux à la production
sont plus tendus. On a alors des conditions de production plus inflationnistes.
C'est de nature à contrarier le développement de la reprise. A
partir de là, ce qui compte, c'est de déterminer les bonnes
conditions sur le moyen terme plutôt que de se focaliser sur une
situation qui comporte une composante keynésienne forte.
A priori, c'est à la politique macro-économique de combler ce
déficit de demande keynésien. Ce que la RTT doit pouvoir faire,
de son côté, est d'aider à ce que le redémarrage de
la masse salariale passe plutôt par des créations d'emplois,
davantage que cela n'a été le cas en France dans le passé.
En effet, si on compare la France et les Etats-Unis sur les quinze
dernières années, on observe que pour une croissance de la masse
salariale réelle de l'ordre de 30 %, aux Etats-Unis, il y a
30 % d'emplois créés. Le partage est donc extrêmement
favorable à l'emploi. En France, il l'est moins.
Cela signifie que sur longue période, il y a eu peu de création
d'emplois. Pour le reste, l'accroissement de la masse salariale a pris la forme
d'une hausse du coût du travail. Cela ne veut pas dire que les salaires
nets ont augmenté mais que le coût du travail a absorbé
à peu près tous les accroissements de salaires.
M. Marcel-Pierre CLEACH
-
En raison des cotisations sociales.
M. Jean-Philippe COTIS
-
A cause des cotisations sociales.
En même temps, la part des salaires a baissé. Il est un peu
paradoxal qu'avec la même baisse de la part des salaires dans la valeur
ajoutée que les Néerlandais, nous n'ayons pas pu conduire des
négociations en " face à face ", porteuses d'un
deal
emploi-salaire, ce que font bien les pays scandinaves et que nous avons des
difficultés à réussir.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
-
Une question
complémentaire : le potentiel d'emploi est surtout le fait des
petites et moyennes entreprises. Dans vos simulations, avez-vous pu faire
tourner vos modèles par rapport à ce type d'entreprises, et aux
conséquences que la baisse de la durée hebdomadaire du travail
aurait sur l'emploi dans les petites entreprises ?
M. Jean-Philippe COTIS - Les modèles macro-économiques ne
distinguent malheureusement pas les tailles d'entreprise. Les instruments qui
existent sont plutôt des maquettes globales où l'on raisonne sur
le bouclage macro-économique.
Il est clair que dans les petites entreprises, en raison des
" indivisibilités ", du fait que chacun est très
spécialisé dans son domaine, il paraît difficile de
recruter 10 % d'une secrétaire, d'un contremaître, etc.
Là, les risques de hausse des coûts sont plus
élevés, incontestablement, que dans les entreprises de moyenne et
grande tailles.
C'est cela qui motive aujourd'hui l'attention particulière que le projet
de loi porte aux petites entreprises. Si vous réduisez le temps de
travail de 10 % dans une entreprise de moins de dix salariés, il
paraît difficile de recruter de tous petits segments de travail. On
recrute des personnes par unité complète.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Il y a les PME, mais il y a
également les très grandes entreprises qui fonctionnent avec des
réseaux de tout petits établissements.
M. Alain GOURNAC, président
-
Comme les banques
par exemple.
M. Jean-Philippe COTIS
- L'interprétation que j'ai du projet
de loi de ce point de vue est qu'à l'automne 1999, un examen très
attentif sera fait sur ce qui se sera passé dans les petites
entreprises. L'idée que le coût des heures supplémentaires
ne dépassera pas 25 % concerne notamment ce qui peut se passer du
côté des petites entreprises.
Le texte tel qu'il est là est surtout orienté vers des
incitations positives pour les entreprises qui basculent dans la
réduction du temps de travail. L'idée n'est pas de faire
l'impossible, c'est-à-dire de renchérir les heures
supplémentaires là où à l'évidence, la
substitution entre les hommes et les heures n'est physiquement pas possible.
Ces difficultés ont été clairement identifiées et
tout le monde en est bien conscient.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
M. Marie-Madeleine DIEULANGARD
-
Monsieur le directeur,
votre propos est d'une extrême prudence, et bien qu'il était
quelque peu difficile, je souhaiterais vous poser quelques questions.
La personne qui vous a précédé a parlé d'une
réorganisation du travail au sein de la cellule entreprise si on veut
effectivement qu'en termes de création d'emplois, cela puisse porter des
fruits, avec une réserve cependant, en précisant que l'on peut
gagner en compétitivité dans les entreprises en
réorganisant et en regardant de près. Si bien qu'au total, cela
peut être dangereux en termes de créations d'emplois que de
réorganiser l'entreprise de façon très efficace.
Je voudrais avoir votre sentiment à ce sujet. Voilà une
première question autour de la réorganisation du travail dans
l'entreprise.
Une deuxième question concerne le coût du travail. Vous avez bien
mis en évidence que le coût du travail pesait et que, notamment
les cotisations sociales la protection sociale pouvaient être un
élément important dans la structure des salaires.
On n'a pas encore parlé d'une piste qui consisterait à examiner
de plus près les cotisations versées par l'employeur à
l'Unedic et qui pourraient peut-être être retravaillées en
fonction de la création d'emplois au sein des entreprises.
La troisième question concerne les heures supplémentaires. Je
considère pour ma part que le texte laisse peut-être des
ouvertures sur les heures supplémentaires, notamment la tarification. Je
crains tout de même que de ne pas toucher aux quotas des 130 heures
supplémentaires annuelles, maintienne un quota élevé
d'heures supplémentaires possibles et n'intervienne pas dans les heures
effectives travaillées au sein de l'entreprise, puisqu'on ne touche pas
à ces 130 heures.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Daniel Percheron.
M. Daniel PERCHERON
- A propos d'une question posée par
M. Arthuis, je suppose que vos services ne découvrent pas les
35 heures. Et comme M. Arthuis est ministre sortant et qu'il a
accompagné la loi de Robien, j'aimerais qu'il nous fasse part de ce que
disaient, de son temps, les simulations des services de la prévision.
Nous ne voulons pas jouer au chat et à la souris avec le directeur et
découvrir d'un seul coup la réduction du temps de travail.
Vous aviez tous les éléments que vous aviez certainement
étudiés. Cela vous a sûrement amené à
préférer la méthode de Robien à la loi actuelle qui
n'a pas votre appui. Vous pourriez donc éventuellement nous donner votre
sentiment sur les prévisions qui étaient déjà
vraisemblablement réalisées. Sinon, je n'aurais pas le sentiment
d'une rigueur absolue dans ces débats et je me sentirais quelque peu
frustré.
M. Alain GOURNAC, président
-
En l'occurrence,
nous sommes dans le cadre de l'audition de M. Cotis. On a bien noté
votre demande.
M. Daniel PERCHERON
- Vous avez bien fait de la noter. Ma
liberté de ton existe comme la vôtre. Deuxièmement, une
idée m'intéresse beaucoup avec l'esquisse que vous venez de
donner en conclusion sur la loi de Robien. Car elle s'oppose totalement aux
craintes de M. Soubie.
Vous avez expliqué en gros que le premier bilan semble faire état
d'accords mûrement réfléchis, sérieusement
discutés, avec des effets d'aubaine pratiquement nuls. Bref, vous avez
tracé un tableau très positif.
Or, votre prédécesseur nous a dit que sa crainte, à partir
d'un concept qu'il acceptait et qu'il jugeait aussi intelligent qu'un autre
était que le niveau d'application, c'est-à-dire l'entreprise,
débouche sur un échec et sur des arbitrages plus
égoïstes que mûrement réfléchis.
Je voudrais que vous redisiez, avant que la publication en soit donnée
à tous, ce que vous venez de dire sur ces deux aspects tout à
fait intéressants de cette première journée. Ce qui s'est
passé avec la loi de Robien plaide en faveur de la responsabilité
au niveau de l'entreprise et sans déboucher sur le succès au
niveau de cette entreprise, alors que pour votre prédécesseur qui
est tout à fait reconnu dans le domaine social, la faiblesse du
mouvement syndical et le fait que, même si c'est inévitable, la
discussion se fasse par entreprise, ce serait plutôt de mauvais augure
pour un succès global.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. André Jourdain.
M. André JOURDAIN
- Monsieur le président, je
voudrais revenir sur deux points développés par M. Cotis. Il
a dit que le coût du travail peu qualifié était encore trop
élevé malgré les efforts faits au cours de ces
dernières années ; efforts qui ont été
stoppés par la loi de finances pour 1998.
Pourrait-il nous dire quel est le nombre d'emplois qui ont été
créés ou maintenus grâce à ces allégements de
charge sur le travail peu qualifié ?
Deuxième remarque pour aller dans son sens sur le fait d'éviter
l'alourdissement du coût des heures supplémentaires en particulier
pour les petites entreprises. C'est vrai qu'elles ont des difficultés
à transformer une augmentation de leur production par des emplois
aussitôt, et qu'elles ont besoin d'adaptation. Par conséquent, ces
adaptations ne peuvent se faire qu'en pratiquant des heures
supplémentaires. Si ces heures supplémentaires sont d'un taux
plus lourd, cela risque de casser leur développement.
Dans le projet de loi, le repos compensateur interviendrait dès la
41
ème
heure, alors qu'actuellement, elle intervient pour la
42
ème
heure, et cela au 1er janvier 1999, sans attendre le
1er janvier 2000.
Troisième observation que je partage avec Mme Dieulangard quand elle dit
qu'elle souhaiterait que les cotisations d'assurance-chômage ou
cotisations ASSEDIC soient peut-être activées en créations
d'emplois par les entreprises. Je rappelle que j'ai déposé une
proposition de loi dans ce sens. Cela dit, pour ma part, je ne l'envisage pas
avec une réduction du temps de travail. Au contraire, je souhaite qu'on
aide, par cette application, les entreprises qui ont des perspectives de
développement.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Michel Bécot.
M. Michel BECOT
-
Monsieur le directeur, j'attends
simplement une confirmation sur les enjeux macro-économiques. Vous les
avez évoqués tout à l'heure. Ne craignez-vous pas en effet
que si nous réduisons le temps de travail il faut se placer dans
l'hypothèse de la loi : les entreprises ont commencé ou vont
négocier avec les syndicats sur le maintien, voire la diminution des
salaires ou le gel des salaires sur deux ou trois ans cela constitue une
réduction du pouvoir d'achat ? Malheureusement, je crains fort que
cela crée un chômage supplémentaire, c'est-à-dire
l'inverse de ce que nous souhaitons.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Denis Badré.
M. Denis BADRE
- Deux questions, Monsieur le directeur : une
question centrale de notre débat est de savoir quel serait l'impact de
la RTT en termes d'emplois. Cet impact est-il fonction des conditions
économiques du moment, de la mise en oeuvre ou non du texte ? Si
oui, dans quelle mesure ?
Deuxième question : la transposition des conditions de mise en
oeuvre du texte dans la Fonction publique nous imposerait quel type
d'adaptation ou de précautions ? Avez-vous des
éléments de réponse sur cette importante question ?
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Franck Sérusclat.
M. Franck SERUSCLAT
- Monsieur le directeur, on a dit qu'en
France tout au moins, tout ce que l'on avait fait pour créer des emplois
n'avait jamais réussi à en créer. En revanche, il a
été fait référence à des pays qui ont pu
créer des emplois, en particulier l'Amérique.
J'aimerais savoir si, selon vous, les conditions dans lesquelles se
créent des emplois aux Etats-Unis sont compatibles avec nos conceptions
sociales, de précarité ou non de l'emploi et de la valeur du
salaire ? Pourquoi, si l'Amérique fait si bien selon M. Soubie, ne
ferions-nous pas comme l'Amérique ?
M. Alain GOURNAC, président
-
S'il n'y a plus
d'autres questions, je vous poserai deux questions, Monsieur le directeur.
Premièrement, à votre avis, les salariés sont-ils
prêts à accepter l'annualisation du temps de travail ? Quels
seraient les effets à attendre d'une flexibilité accrue ?
Deuxièmement : Sommes-nous en mesure actuellement de distinguer l'impact
en fonction des différents secteurs économiques ?
Je vous remercie d'apporter des réponses à toutes ces questions.
M. Jean-Philippe COTIS
- Je commencerai par la fin si vous le
permettez. Sur la comparaison France-Etats-Unis et sur le diagnostic
très pessimiste de M. Soubie que je ne connais pas personnellement mais
dont les publications sont réputées.
M. Daniel PERCHERON
- La dernière étude de Thomas
Piketty semble donner des clefs, sur l'hôtellerie et la restauration.
M. Jean-Philippe COTIS
-
En effet. Ce que l'on peut dire sur
la France est qu'un changement y est intervenu au début des
années 90 en matière de contenu en emplois de la croissance. On
ne peut pas passer cela par profits et pertes. Dans les années 80, on ne
commençait à créer des emplois en France qu'à
partir de 2,5 % de croissance, et à réduire le chômage
qu'à partir de 3,5 %.
Aujourd'hui, le seuil de croissance du PIB annuel à partir duquel on
crée des emplois est de 1,5 %. On est donc en bien meilleure
situation de ce point de vue. Ces progrès sont malheureusement
passés inaperçus. Pourquoi ? Parce que nous avons
changé notre dosage des politiques monétaire et
budgétaire. En effet, alors même que nous avions des conditions
macro-économique très mauvaises en Europe occidentale, nous avons
eu objectivement, un dosage des politiques macroéconomiques
inadapté avec un laxisme budgétaire et des conditions
monétaires inadaptées à la conjoncture européenne
pour des raisons diverses - réunification allemande, etc. alors
qu'aujourd'hui, nous sommes en position raisonnablement favorable pour profiter
de conditions macroéconomiques plus saines.
Si nous avions eu le même fonctionnement du marché du travail
depuis 1993 que dans le passé, avec les conditions
macroéconomiques médiocres que nous avons subies depuis lors,
nous aurions perdu 400.000 emplois de plus !
La bonne surprise, on ne la trouve pas dans l'industrie mais dans les services.
En effet, une moitié de ces créations d'emploi inattendues est
liée au développement du temps partiel dont le coût a
été réduit à partir de 1992. Nous attribuons
l'autre moitié à la baisse des charges sociales sur les bas
salaires. On peut dire à cet égard qu'il y a consensus assez
fort, même si ce n'est pas une majorité absolue, dans la
communauté des économistes pour estimer que les deux causes sont
celles-là.
Les secteurs de services étaient justement ceux où la France
était en déficit par rapport à ses partenaires du G7.
Lorsque l'on compare la France et ses partenaires du G7 -mettant de
côté le Japon qui est un peu particulier entre 1980 et 1995, nous
avons connu un même taux de croissance du PIB que les autres, mais les
créations d'emploi étaient en retrait d'un gros demi-point par
rapport à la moyenne du G7. C'est donc vraiment ce
déficit-là qui est en train de disparaître.
Dès lors, par rapport à ce que dit M. Soubie, je suis beaucoup
plus confiant dans notre capacité à profiter d'une croissance
plus forte pour créer des emplois. Encore faut-il que l'on soit en
situation ce qui semble être le cas maintenant de profiter enfin d'une
reprise robuste et d'un environnement favorable.
M. Daniel PERCHERON
- Robuste dites-vous ?
M. Jean-Philippe COTIS
-
Il s'est donc passé quelque
chose qu'il faut poursuivre. Le partage de la masse salariale a
été plus favorable à l'emploi au début des
années 1990 qu'il ne l'était dans le passé. On se
rapproche donc des pays européens qui réussissent. Ensuite, toute
la question de la RTT est de savoir comment elle s'insère dans la
stratégie économique d'ensemble et quel rôle on veut lui
faire jouer.
Les Etats-Unis ont créé beaucoup plus d'emplois, quel que soit le
niveau de qualification. Le taux de croissance de l'emploi qualifié
reste très supérieur aux Etats-Unis par rapport à la
France. Nous avons été surclassés partout. La
différence entre la France et les Etats-Unis n'est pas qu'ils aient
créé plus d'emplois chez Mc Donald. Aux Etats-Unis, le stock
d'emplois peu qualifiés n'a pas baissé comme il a pu baisser en
Europe continentale. Il ne s'est pas beaucoup accru pour autant. Le volume
d'emplois disponibles pour les salariés les moins qualifiés est
resté à peu près stable, alors qu'en Europe continentale,
il a continué à baisser. La différence est là.
Mais les Etats-Unis ont créé énormément d'emplois.
Pour autant, la situation du travail peu qualifié aux Etats-Unis n'est
pas bonne. Les plus pauvres ont perdu 20 points de pouvoir d'achat en vingt
ans. Le salaire médian a perdu du pouvoir d'achat également
En Grande-Bretagne, cela a été un peu mieux. Les salaires des
plus pauvres ont plus ou moins stagné. L'éventail des revenus
s'est fortement élargi. On ne sait d'ailleurs pas très bien dire
pourquoi. Nos amis anglo-saxons disent que c'est l'impact des nouvelles
technologies de l'information qui ont biaisé les choses. Pour ma part,
je n'y crois pas beaucoup. J'ai présidé un groupe de travail
à l'OCDE pendant un an et demi sur le sujet ; nous ne retrouvons
pas ces effets en France. Nous n'avons pas l'impression que l'ordinateur soit
responsable grosso modo de la baisse des salaires réels des Noirs
américains dans le Bronx. Il y a d'autres explications, d'autres
idiosyncrasies américaines.
M. Daniel PERCHERON
- Il y a également la baisse du
syndicalisme aux Etats-Unis qui est considérable.
M. Jean-Philippe COTIS
-
Par ailleurs, le commerce Nord-Sud
a été sous-pondéré par les économistes
américains aussi. Ils ont tendance à laisser cela de
côté pour des raisons
pro domo
. Toutes les nations gagnent
à l'échange international ; mais à l'intérieur de
chaque nation, il peut y avoir des perdants, qu'il faut dédommager,
sinon cela ne fonctionne pas. Ce qui est crédible, c'est que l'espace
économique de libre échange profite à tous les pays
participants. Mais il faut dédommager ici aussi de manière active
les perdants de l'échange, et il y en a dans au moins un pays. C'est
exactement ce que dit l'analyse économique.
Voilà ce que l'on peut dire sur la comparaison entre la France et les
Etats-Unis. Aux Etats-Unis, les salaires ont tellement baissé qu'il a
fallu subventionner par voie budgétaire les "
working
poors "
chargés de famille, ce qui nécessite un budget
considérable. Cela ne fonctionne donc pas bien.
Nous, partant d'une situation opposée, nous réduisons les
cotisations sociales sans toucher au pouvoir d'achat du SMIC même. Dans
les deux cas, on essaie en quelque sorte de faire la même chose,
c'est-à-dire que l'on essaie de faire en sorte que le coût du
travail ne soit pas une barrière à l'entrée pour les moins
qualifiés. Mais en même temps, on essaie de faire en sorte que les
moins qualifiés puissent toucher des rémunérations
suffisamment conséquentes par rapport aux revenus de remplacement pour
faire en sorte que le retour à l'emploi soit possible. Car, dans le cas
de " parents isolés ", même en France, on peut perdre de
l'argent quand on reprend un travail. C'est difficile quand on n'en a
déjà pas beaucoup. Mais ceci est un autre sujet.
Il y a un problème commun aux grands pays industriels sur l'emploi peu
qualifié. Mais comme les situations sont extrêmement divergentes,
les moyens sont différents. La solution serait que le coût du
travail peu qualifié baisse, non pas sous la forme d'une baisse des
salaires nets, mais plutôt par le biais d'une solidarité nationale
plus forte. C'est en tout cas mon avis d'économiste.
M. Daniel PERCHERON
- Vous vous libérez quelque peu,
Monsieur le directeur, vous parlez. C'est très bien !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Nous en sommes ravis. Et cela a
marché.
M. Jean-Philippe COTIS
-
Il y a eu une question très
intéressante, si je peux contribuer à éclairer les choses,
sur la flexibilité, l'annualisation, la productivité et leurs
effets en matière d'emploi. En fait, tout dépend de la situation
macro-économique dans laquelle vous vous trouvez et du rôle que
vous voulez faire jouer à la réduction du temps de travail. Si
vous êtes dans une situation de chômage keynésien,
conjoncturel et que vous n'en sortirez jamais, alors tout ce qui fait augmenter
la productivité est mauvais puisque vous avez un volume limité de
débouchés. Donc, plus vos salariés sont productifs, moins
il y a d'emplois. Dans ce cas-là, il faut donner des augmentations
salariales, il ne faut pas chercher des gains de productivité, etc. Il
ne faut rien faire pour maîtriser les coûts.
En revanche, si vous vous placez dans une situation où l'économie
est à conjoncture " normale ", concept difficile à
définir, et où ce qui compte essentiellement est la
compétitivité, la profitabilité des entreprises qui
peuvent alors recruter, vous avez alors intérêt à mettre en
place une réduction du temps de travail qui ne dégrade pas la
compétivité, qui ne dégrade pas -je n'aime pas beaucoup le
mot " flexibilité " la souplesse, l'efficacité de
l'entreprise.
Aujourd'hui, il peut y avoir la tentation de faire jouer à la
réduction du temps de travail un rôle de relance de la demande,
visant à éponger le chômage " keynésien ".
Je pense qu'il vaut mieux avoir une stratégie macroéconomique
dans laquelle la politique macroéconomique elle-même se charge de
résorber le chômage conjoncturel. La réduction du temps de
travail sert à améliorer le contenant emploi de la masse
salariale et à augmenter la masse salariale que nous anticipons dans les
années à venir ; que cela se fasse par l'emploi
plutôt que sans l'emploi.
On ne peut donc pas répondre à la question de savoir si
l'annualisation, c'est bon ou mauvais. Tout dépend du cadre dans lequel
on se situe. Je crois qu'il faut se placer dans le cadre d'une économie
qui sera revenue à une conjoncture normale après deux ans de
bonne croissance et faire un raisonnement sur le long terme en pensant que la
politique macro-économique sera capable de nous ramener à une
conjoncture normale.
L'idée selon laquelle le taux de croissance moyen de l'économie
française, de 1 % depuis cinq ou six ans, est appelé
à se prolonger ne fait pas sens. L'estimation du potentiel de croissance
de l'économie française se situe entre 2,25 et 2,5. Les
estimations fluctuent quelque peu.
Il n'y a donc pas de raison pour que l'on n'ait pas une situation normale
lorsque l'on passera aux 35 heures en l'an 2000. Dans ce cas, l'idée est
plutôt d'améliorer l'efficacité de l'entreprise et de
laisser jouer l'annualisation dans la mesure où elle constitue un moyen
de faire en sorte que le coût de l'heure supplémentaire baisse. Si
vous pouvez gérer cela en fonctionnement de pointe, cela peut aller
mieux.
Enfin, une question visait à savoir si la modération ou le gel
des salaires pouvaient éventuellement déprimer la demande. A
priori, ce qui compte dans le revenu des ménages, c'est la masse
salariale totale, c'est-à-dire à la fois les effectifs et le
salaire par tête.
Dès lors, si une entreprise bascule dans la réduction du temps de
travail, c'est parce qu'elle aura créé 6 % d'emplois
supplémentaires en réduisant la durée effective à
35 heures. En tant que tel, c'est une augmentation forte de la masse salariale.
Après, ce que l'on peut obtenir en matière de modération
des salaires n'empêchera pas que la masse salariale totale a priori
devrait augmenter, et donc, plutôt soutenir le revenu que le
déprimer.
Là où réside peut-être une inquiétude
éventuelle est que le pouvoir d'achat par tête diminuant, cela
peut générer des comportements d'épargne et de
précaution. Cela nuance quelque peu mon raisonnement. Néanmoins,
je pense que l'effet de premier rang est qu'une entreprise qui bascule, qui
crée effectivement 6 % d'emplois nets voit a priori sa masse
salariale progresser, y compris avec une modération des salaires
Sur le bilan de la DARES, je pourrais faire mention des principaux
résultats mais j'ai plutôt souhaité approfondir avec vous...
M. Alain GOURNAC, président
-
Il y a encore la
semaine prochaine.
M. Daniel PERCHERON
- Ce qui me paraît intéressant,
c'est l'opposition dans le temps, immédiate, entre le jugement de M.
Soubie qui ne doit pas être pris à la légère et les
conclusions que vous donnez sur la loi de Robien. C'est cela qui me parait
intéressant.
M. Jean-Philippe COTIS
-
Le ministère des Finances
avait une vue très prudente de la loi de Robien. Ce que l'on constate
dans le bilan est donc une surprise agréable. Mais n'ayant pas conduit
le bilan, je ne peux pas ...
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- M. Percheron, je vous rappelle que
nous entendons M. Cotis, mais si vous souhaitez auditionner l'ancien ministre
de l'économie, cela ne pose pas de problème. On y consacrera le
temps qu'il faut. Il n'est pas question de ne pas avoir cet échange !
M. Daniel PERCHERON
- C'est intéressant.
M. Alain GOURNAC, président
-
Il n'y a pas de ma
part ni de la part de chaque membre de cette commission le moindre a priori.
M. Daniel PERCHERON
- Je n'en ai jamais douté.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
-
Nous sommes confrontés
à un vrai problème de société. La différence
entre la loi de Robien et celle qui va être examinée dans quelques
semaines est que la loi de Robien j'y reviendrai quand l'occasion m'en sera
donnée.
M. Alain GOURNAC, président
-
La semaine
prochaine si vous le souhaitez.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- ...ne comportait pas de volet
contraignant de la réduction obligatoire du temps de travail.
M. Alain GOURNAC, président
-
Une question n'a
sans doute pas encore obtenu de réponse.
M. Jean-Philippe COTIS
- A la question de M. Badré sur la
Fonction publique, je ne peux pas vous répondre. De fait, ce n'est pas
dans le champ de la loi. Vous m'excuserez !
M. Denis BADRE
- C'est précisément parce que ce n'est
pas dans le champ de la loi que je posais la question de savoir si
c'était transposable.
M. Jean-Philippe COTIS
- C'est sans doute pour cela que j'avais du
mal à répondre. D'autre part, l'impact de la réduction du
temps de travail varie-t-il en fonction du moment ? Oui, d'une certaine
manière. Il vaut mieux lancer le mouvement au début d'une
période de reprise de manière à essayer de maximiser les
effets de la création d'emplois, et de ne pas attendre. L'idée
d'accélérer les créations d'emplois en début de
reprise est une bonne chose, afin d'éviter ce mouvement d'allongement de
la durée du chômage. Plus on peut aller vite de ce point de vue,
mieux c'est.
La théorie économique dit aussi que,
a priori
dès
lors qu'il y a plus de salariés dans l'entreprise, si les
représentants du personnel sont de " vrais
représentants ", ils seront aussi plus modérés par la
suite sur l'évolution des rémunérations puisqu'il y a
davantage d'emplois à défendre. C'est d'ailleurs ainsi que l'on
explique la réussite des économies dites nordiques. Les grands
syndicats qui se sentent responsables de l'ensemble de l'économie ne se
comportent pas du tout de la même manière dans l'arbitrage
emplois-salaires.
Cela dépend aussi des partenaires sociaux dans chaque pays, dans les cas
où cela fonctionne bien.
M. Alain GOURNAC, président
-
En avez-vous ainsi
terminé ? (
assentiment de M. Cotis)
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Un dernier mot, Monsieur le
président. Monsieur le directeur, vous faites l'hypothèse que les
salaires ne seront pas affectés. J'ignore le contenu du rapport de la
DARES, mais j'imagine mal que cela soit autre chose que l'inventaire des termes
des protocoles.
Il n'y aura pas d'appréciation sur la mise en oeuvre. Autrement dit, on
aura le catalogue des intentions manifestées par ceux qui ont
signé ces accords de loi de Robien. Il y a deux types d'accords qui se
répartissent à peu près à parité : les
accords offensifs d'une part créateurs d'emplois, et les accords
défensifs.
Je crois que dans les accords défensifs, dans la plupart des cas, il y a
réduction des salaires. C'est-à-dire qu'en contrepartie de
l'abaissement de la durée du travail, il y a une baisse du salaire.
Autrement dit, on répartit une masse de salaires entre un plus grand
nombre de personnes, mais globalement l'entreprise ne subit pas un
supplément.
M. Daniel PERCHERON
- Mais on sauve des emplois !
M. Jean-Philippe COTIS
- Si mon souvenir est exact, mais je ne
voudrais pas dire de sottise, il doit y avoir dans le bilan des
réductions de rémunération. Mais les accords offensifs
prévoient aussi des pauses. Il y a là une matière
concrète que je n'arrive pas à appréhender
complètement. Cela étant dit, il y a eu des entreprises dans
lesquelles il n'y a pas eu d'accord de modération.
M. Alain GOURNAC, président
-
Nous remercions M.
le directeur d'avoir répondu à l'ensemble de nos questions.
C. AUDITION DE M. JEAN-PAUL FITOUSSI, DIRECTEUR DE L'OBSERVATOIRE FRANÇAIS DES CONJONCTURES ÉCONOMIQUES (OFCE)
M. Fitoussi est introduit dans la salle
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la
commission d'enquête et fait prêter serment à M. Jean-Paul
Fitoussi.
M. Alain GOURNAC, président
-
Monsieur Fitoussi,
je vous propose de vous entendre pendant une dizaine de minutes. Ensuite, le
rapporteur vous posera quelques questions auxquelles nous vous demanderons de
répondre ; puis mes collègues vous poseront des questions
avant d'entendre vos réponses à l'ensemble de leurs questions.
Vous avez la parole.
M. Jean-Paul FITOUSSI
- Merci, Monsieur le président,
je vais essayer de vous dire toute " ma " vérité sur
les 35 heures, étant donné que, comme je l'imagine, les
vérités en la matière sont multiples.
Nous terminons une étude importante sur les conséquences des
35 heures. Je serai donc amené à vous donner quelques
chiffres qui ne sont pas encore définitifs ; il peuvent subir
encore quelques révisions. Mais ce sont des ordres de grandeur qu'il est
bon d'avoir à l'esprit car les équipes de l'OFCE ont tenté
d'évaluer, aussi complètement qu'il était possible, les
conséquences diverses selon les hypothèses que pouvait avoir sur
l'emploi le passage aux 35 heures.
Il convient de considérer les résultats de ces études avec
la plus grande des modesties. Il s'agit d'explorations d'un continent nouveau
le partage du travail dans une société moderne, riche de
surcroît dans un contexte nouveau pour un pays industrialisé,
celui du chômage de masse. Le comportement des acteurs n'est donc pas
extrapolable à partir du passé. Confronté à cette
radicale nouveauté, il n'est pas d'autres méthodes pour le
chercheur que de procéder par hypothèses, dont chacune est
forcément simplificatrice et dont la conjugaison ne peut que conduire
à un résultat fragile. Mais le doute n'implique pas la paralysie
car il n'est de science que d'hypothèses. Il faut donc en permanence
garder à l'esprit la nature exploratoire de ces travaux dont les
conclusions valent davantage par leur vertu pédagogique que par leur
capacité prédictive.
Par rapport à nos études antérieures sur le sujet, il
convient cependant de souligner que l'éventail des possibles s'est
notablement restreint. Il existe, en effet, un projet de loi dont les
modalités constituent autant de points de repères dans ce
territoire inconnu. Nous avons alors tenté d'établir les
conditions qui peuvent conduire à l'échec ou au succès des
35 heures, car pour les raisons précédemment soulignées,
aucune prévision n'est possible. En effet, " les
probabilités de réalisation des jeux d'hypothèses les plus
favorables ou défavorables sont, dans l'état de nos connaissances
des comportements individuels et collectifs, non quantifiables ".
Le passage aux trente-cinq heures pour les entreprises de plus de vingt
salariés (70 % de l'ensemble des salariés du secteur
marchand) peut contribuer significativement à la création
d'emplois (plus de 400.000) s'il s'effectue dans des conditions qui ne
conduisent pas à la dégradation des équilibres
macro-économiques, c'est-à-dire s'il n'a aucune
conséquence sur les coûts du travail ou du capital. Cela implique
" un effort " réciproque des différents acteurs, de
réorganisation pour les entreprises et d'acceptation d'une compensation
salariale non intégrale pour les salariés. Il est possible de
parvenir à un tel résultat de différentes manières
selon la répartition " des efforts " consentis. Ces derniers
peuvent porter de façon privilégiée sur les salaires les
plus élevés ou sur les nouvelles embauches.
L'effort de réorganisation est nécessaire pour que la
durée d'utilisation des équipements soit maintenue et non
réduite en proportion de la baisse de la durée du travail. La
compensation salariale ne doit pas dépasser initialement l'augmentation
de la productivité du travail (environ 30 % de la RTT)
abondée par les subventions des pouvoirs publics, c'est-à-dire
par une baisse des cotisations sociales correspondant aux 5.000 Fr. de
subvention par salarié prévue par la loi.
L'un des intérêts de l'étude est de montrer que d'une part,
" l'effort " demandé collectivement aux salariés n'est pas
considérable -les 35 heures ne seraient pas payées 39, mais un
peu plus de 37- et que " cet effort " pourrait encore être
réduit si les entreprises profitaient de la loi pour augmenter la
durée d'utilisation de leurs équipements. On devrait mettre le
mot effort entre guillemets. Car il pourrait s'agir de fait non pas d'un
sacrifice, mais d'un investissement dont la rentabilité pourrait
être beaucoup plus élevée qu'on ne le croit. Les
salariés ont collectivement intérêt à la croissance
de l'emploi car elle réduit la précarité de leur condition
et qu'elle est donc promesse de revenus plus élevés dans
l'avenir. Les entreprises ont intérêt à repenser leur
gestion, car cela est gage d'une plus grande efficacité future et
producteur d'une externalité sociale positive. Le scénario choisi
est favorable parce qu'il ne coûte pas un sou supplémentaire aux
entreprises. En d'autres termes, les acteurs réalisent un échange
inter-temporel profitable qui accroît le bien-être de chacun.
Evidemment, si les conditions favorables énumérées par
l'étude n'étaient pas réunies, l'effet sur l'emploi des
35 heures en serait amoindri, et les conséquences
macro-économiques en seraient défavorables au point que l'on peut
se demander si le jeu en vaudrait la chandelle.
Parmi les différents scénarios envisageables, je n'en citerai que
deux.
Le premier suppose qu'il n'y ait ni réorganisation, ni compensation
salariale, ni baisse des cotisations sociales. Il en résulte une baisse
du revenu des ménages. L'absence de recyclage des économies
réalisées du fait de la baisse du chômage équivaut
à une politique restrictive. L'absence de réorganisation diminue
la productivité moyenne du capital, ce qui pèse à terme
sur les coûts de production du fait des investissements
supplémentaires nécessaires pour compenser la baisse des
capacités de production.
Dans ce scénario, au bout de trois ans, l'emploi augmente, certes
d'environ 400.000, ce qui suscite une certaine tension sur les salaires, et de
fait une compensation salariale ex-post du fait de cette tension. Mais les
effets défavorables conduisent à une baisse du PIB d'environ
2 %, qui rétroagit négativement sur l'emploi. Cette
évolution de la production entraîne également une baisse
des recettes fiscales qui conduit à une hausse des déficits
publics.
Ce scénario illustre le fait que les 35 heures, même non
compensées, et donc a priori neutres sur les coûts salariaux, ont
potentiellement des effets négatifs sur la croissance, l'inflation et
les grands équilibres macro-économiques si elles ne sont pas
accompagnées d'un effort de réorganisation des entreprises.
Le second scénario ajoute au premier l'hypothèse d'une
compensation salariale intégrale. L'emploi n'augmenterait quasiment pas,
un peu plus de 100.000 à long terme. Mais les équilibres
macro-économiques seraient profondément dégradés.
Le PIB baisserait de près de quatre points à long terme, et
l'inflation serait beaucoup plus importante. Les prix à la consommation
seraient plus élevés d'environ 8 points au bout de trois ans.
Mais il dépend de la bonne tenue de la négociation sociale et de
l'intérêt bien compris des acteurs collectifs qu'il n'en soit pas
ainsi. Pour les économistes habitués à raisonner en termes
d'agents micro-économiques rationnels surtout en ces temps de
montée de l'individualisme la seule chose qu'il soit possible d'affirmer
est que la loi sera d'autant plus efficace qu'elle mettra en place un
système d'incitations et de contraintes tel que les choix individuels
égoïstes conduisent spontanément au bien commun. Elle
jouerait alors le rôle de la main invisible qui harmonise les
intérêts individuels, selon la métaphore d'Adam Smith.
A moins encore que le modèle pertinent dans la société
française aujourd'hui soit celui du " fou rationnel ", qui
selon la conceptualisation de Sen, désigne l'individu calculateur mais
non dépourvu de sentiments altruistes, en ce qu'il attache de
l'utilité au bonheur des autres. Pour cela, il serait disposé
à partager son travail et son revenu de façon suffisante pour que
chacun trouve un emploi. Il serait alors théoriquement possible de fixer
la durée du travail pour qu'à tout moment, toute la population
active disponible soit employée à temps partiel,
c'est-à-dire que le déséquilibre du marché du
travail soit partagé entre tous et non pas supporté par
quelques-uns.
En elle-même l'idée est généreuse. Elle revient
à partager de façon beaucoup plus équitable le fardeau du
chômage, sans le réduire globalement. On sent percer chez les
économistes de l'OFCE qui ont procédé à
l'étude une pointe de regret. La loi sur les 35 heures est
crédible parce qu'elle est réaliste. Mais,
précisément pour cela, le partage du travail ne décrit
plus l'utopie d'une société devenue si solidaire qu'elle fournit
un travail à chacun et à laquelle ils avaient rêvé
dans un précédent travail. En devenant loi, l'utopie devient
réaliste, mais divise par presque cinq leurs espérances : 400.000
emplois au lieu des 2.000.000 auxquels ils avaient rêvé lors d'une
précédente simulation. Ils sont cependant suffisamment rompus
à l'analyse macro-économique pour reconnaître que pour
limité qu'il soit " il s'agit d'un résultat
intéressant que peu de politiques peuvent égaler ".
Je ne suis pas loin de partager leur sentiment, mais pour d'autres raisons. La
réduction du temps de travail est un objectif en soi de toute
société humaine. Il témoigne de ce que la lutte contre la
rareté, qui est le contenu même de l'activité
économique, est victorieuse. La " fin du travail " est
éminemment désirable car elle signifierait alors que nous aurions
trouvé le secret de l'abondance. Ce qui est gratuit n'a, du moins en
économie, pas de valeur, et il n'est nul besoin de travailler pour
l'obtenir. Mais on ne peut sérieusement soutenir que tel est le cas
aujourd'hui, en raison même de l'immensité des besoins non encore
satisfaits.
L'histoire de la croissance est
l'histoire de la réduction de la
durée du travail, car la croissance économique rend solvable
" la demande " de loisirs. C'est parce que nos sociétés
ont aujourd'hui un niveau de vie incomparablement plus élevé que
celui qui les caractérisait il y a 50 ans que l'on y travaille beaucoup
moins. Et il est presque de l'ordre de la certitude -sauf accident de
l'histoire que l'on travaillera encore beaucoup moins dans cinquante ans. C'est
que l'arbitrage entre travail et loisir devient de plus en plus favorable au
loisir à mesure que les niveaux de vie s'élèvent.
Mais une chose est de constater une évolution spontanée, la
réduction de la durée du travail, lorsqu'elle se déroule
dans un contexte de progrès économique et social ; une autre est
de vouloir contraindre cette évolution, en justifiant cette contrainte
par l'absence même de perspectives de progrès. La réduction
du temps de travail est une fin en soi de l'activité économique,
mais il me paraît improbable qu'elle constitue un remède à
la pénurie d'emplois en période de crise.
Il est une seconde raison pour laquelle la réduction de la durée
du travail peut être considérée comme un objectif
désirable en soi. Dans une économie caractérisée
par un chômage de masse, les rapports de force entre acteurs sont
profondément déséquilibrés au détriment du
travail. La baisse du temps de travail est alors conquête sociale si elle
rétablit un espace de négociations entre salariés et
entrepreneurs que le déséquilibre des rapports de force entre
acteurs avait réduit à sa plus simple expression.
Par contre, la réduction du temps de travail comme moyen de lutte contre
le chômage, m'apparaît beaucoup moins fondée si elle est
conséquence d'un renoncement, consenti ou contraint, à des
politiques de croissance. Elle est alors une solution de résignation
dont le bon côté est qu'elle repose sur la solidarité, mais
dont le risque est qu'elle accrédite l'idée que l'offre de
travail est devenue surabondante et qu'il n'est d'autre solution d'avenir que
de la rationner. On sait à quels errements une telle philosophie peut
conduire.
L'étude de l'OFCE montre certes que la loi des 35 heures peut
contribuer, dans les conditions les plus favorables, à la
création d'emplois. Mais elle montre aussi qu'il ne faut en attendre
qu'une réduction d'un point du taux de chômage. C'est
évidemment important, mais -on le concevra aisément- pas vraiment
à la hauteur du déséquilibre de l'emploi en notre pays.
" Tout ça pour ça " pourrait-on dire.
En bref, la réduction du temps de travail est un objectif souhaitable
pour les deux premières raisons. D'une part, nos sociétés
sont suffisamment riches pour que le gouvernement soit fondé à
les inciter à modifier leur arbitrage entre travail et loisir en
anticipation de la croissance à venir, à condition que celle-ci
advienne vraiment ; d'autre part elle accroît le pouvoir de
négociation des salariés qu'une trop longue période de
stagnation avait considérablement affaibli. Mais elle ne doit en aucun
cas être considérée comme un substitut à une
politique d'expansion qui, seule, permettra de retrouver vraiment le chemin de
la croissance et de la réduction spontanée de la durée du
travail. Les gouvernements ne devraient pas définitivement renoncer
à l'usage des instruments de la politique économique pour vaincre
le chômage.
M. Alain GOURNAC, président
- Je donne la parole au
rapporteur qui va vous poser quelques questions
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Je remercie M. Fitoussi pour sa
communication et de nous livrer les éléments d'une étude
qui va être prochainement publiée.
Votre prédiction reste relativement optimiste même si elle est
seulement autour de 400.000 créations d'emplois, ce qui, dans le
contexte actuel est toutefois un acquis très significatif. Vous
évoquez la nécessité de la croissance. Comment situez-vous
cette croissance par rapport aux contraintes budgétaires ? Cela
vous mène-t-il à des préconisations de rupture par rapport
à la politique budgétaire ?
Autrement dit, le cadre plus général dans lequel se trouve la
France aujourd'hui constitue-t-il à vos yeux le principal frein à
la croissance et à la création d'emplois ?
En second lieu, je voudrais vous demander si dans votre étude vous avez
pu scinder les comportements d'entreprises par rapport à la
réduction du temps de travail selon qu'il s'agit de grandes ou de
petites entreprises dans lesquelles la flexibilité, en tout cas la
réduction, est beaucoup moins évidente et la
réorganisation très difficile. De même, la situation
d'entreprises qui comptent des effectifs par dizaines de milliers mais qui
répartissent leurs effectifs par petites unités au sein
desquelles il est difficile de procéder à des réductions
substantielles de la durée du temps de travail.
Je voudrais vous demander si cette voie réglementaire et l'accroissement
du coût des heures supplémentaires ne risquent pas, à
l'heure de la mondialisation, de freiner l'attractivité du territoire
économique français ? Autrement dit, ne risque-t-on pas de
subir des délocalisations ou de ne pas être en mesure d'attirer
des entreprises. Je sais que Toyota s'installe en France, il faut s'en
réjouir, mais je ne suis pas sûr que les salaires
représentent une part significative dans la valeur ajoutée de ce
groupe.
Accessoirement, au-delà des délocalisations territoriales, n'y
a-t-il pas des risques de délocalisations dans des activités
clandestines qui commencent à prendre de la substance dans notre
économie ?
Enfin, peut-on imaginer des alternatives à la réduction de la
durée hebdomadaire du travail ? Qu'est-ce qui vous paraîtrait
le plus satisfaisant en terme de flexibilité et peut-être
d'annualisation du temps de travail ?
M. Alain GOURNAC, président
-
Monsieur Fitoussi,
vous pourriez peut-être répondre immédiatement à
notre rapporteur.
M. Jean-Paul FITOUSSI
- Monsieur le président, il
s'agit d'une liste de questions importantes. Sur la première question
qui concerne la conception que j'ai de ce que devrait être la politique
économique aujourd'hui et des contraintes qui pèsent sur elle, je
commencerai par une remarque. Ce que l'expérience des dix ou quinze
dernières années suggère est qu'une trop grande contrainte
sur le maniement des instruments de la politique macro-économique,
à savoir les politiques monétaire et budgétaire,
s'accompagne généralement d'un très grand degré
d'interventionnisme. à savoir que la passivité
macro-économique a pour coût un certain activisme structurel. La
raison en est que les gouvernements ne peuvent pas rester passifs devant la
montée d'un déséquilibre tel que le chômage et
qu'ils sont contraints de trouver des solutions de résignation, telles
que le traitement social du chômage ou les subventions à l'emploi.
Finalement, en termes de bien-être, cela n'est pas nécessairement
favorable. Je crois qu'une politique structurelle n'est pas un substitut
à une politique macro-économique.
Dans quelle mesure ? On le voit bien pour la loi des 35 heures : les 35
heures sont un substitut à la possibilité de pratiquer une
politique de relance si on veut faire quelque chose pour l'emploi.
Il est curieux de constater que nous avons atteint un résultat assez
paradoxal : plutôt que, par exemple, de baisser les
prélèvements obligatoires d'un point ou de permettre une
augmentation d'un quart de point du déficit budgétaire, on
préfère réorganiser l'ensemble de la société
en réduisant la durée du travail. Cela étant il existe des
contraintes pour la politique macro-économique, contraintes que
génère la construction européenne.
Ces contraintes notamment le pacte de stabilité pourraient être
mieux comprises si elles l'étaient collectivement par l'ensemble des
gouvernements européens puisqu'on peut aisément montrer qu'une
politique de baisse des prélèvements obligatoires à
l'échelle européenne ne conduirait à aucun déficit
supplémentaire au bout d'un an en raison de l'élargissement de la
base fiscale qu'implique le supplément de croissance que cette politique
susciterait.
On voit bien qu'il y a un blocage ici qui est d'ordre institutionnel et
politique davantage que d'ordre économique, parce que jamais les
conditions de réussite d'une politique expansionniste n'ont
été aussi favorables.
D'une part, il n'y a pas de contrainte extérieure c'est le moins que
l'on puisse dire puisque les échanges extérieurs dégagent
un excédent considérable. D'autre part, il n'y a pas de risque
d'inflation c'est le moins que l'on puisse dire on est systématiquement
en-dessous, en termes d'objectifs d'inflation, de ceux que se fixent les
autorités monétaires. Les entreprises sont globalement,
même si leur situation est diverse, dans une situation de bonne
profitabilité puisque la part de profit dans le revenu national est
important. Elles ont la capacité financière d'investir puisque le
secteur des entreprises pour la quatrième année
consécutive dégage un excédent financier, ce qui est un
comble pour un investisseur, pour l'agent en charge de l'investissement.
Que l'agent en charge de l'investissement soit créditeur net de la
nation apparaît extraordinairement paradoxal, quasiment non
répertorié dans les manuels de macro-économie. Toutes ces
conditions font qu'une politique d'expansion économique peut être
efficace. Mais cette politique est empêchée et il dépend de
la bonne intelligence entre les gouvernements européens que cet obstacle
puisse être surmonté. Mais en l'absence de cette
possibilité, on voit bien que, dans ce cas, les gouvernements sont
contraints à l'action structurelle.
Pour répondre à votre deuxième question les entreprises
ont-elle les mêmes marges de réorganisation selon qu'elles sont
grandes ou petites ? nous n'avons simulé que l'effet pour les
entreprises de plus de vingt salariés. Evidemment, nous n'avons pas une
très grande expertise en termes de réorganisation des
entreprises. Il existe cependant des expériences de conduite de
réduction du temps de travail dans le passé. Notamment, des
expériences de réduction du temps de travail qui ont
été menées dans le cadre de la loi de Robien. Ces
expériences ont été étudiées,
intégrées ; nous avons essayé d'en tirer la
substance. L'une des conclusions de l'étude est que
généralement, la durée effective du travail converge
autour de la durée légale je suppose que votre question devient
beaucoup plus complexe pour les entreprises très petites parce que l'on
passe au-dessous du seuil de vingt salariés. En tout cas, pour les
entreprises de vingt salariés je parle bien ici des entreprises et non
pas des établissement que vous avez évoqués tout à
l'heure, et il se peut qu'une entreprise de plus de vingt salariés ait
plusieurs établissements qui fait que chaque entité ne compte
finalement que 7 ou 8 salariés...
M. Alain GOURNAC, président
-
Les banques par
exemple.
M. Jean-Paul FITOUSSI
- Dans ce cas, on voit bien que la
réduction du temps de travail peut poser de graves problèmes,
mais qu'elle peut aussi en résoudre si elle s'accompagne d'une
flexibilité de la durée annuelle du travail.
Il y a donc là une possibilité d'échange profitable entre
salariés et entrepreneurs pourvu que les intérêts de chacun
soient préservés, et que la flexibilisation du temps de travail
annuel ne soit pas trop grande. Tout est affaire de degré, de bonnes
négociations, et les pouvoirs publics ont un rôle à jouer.
Quant à votre question sur la voie réglementaire, il y a deux
solutions concernant la réduction du temps de travail. Il y a la voie
incitative, qui est coûteuse même si elle est efficace. On l'a vu
pour la loi de Robien. La voie réglementaire ne l'est pas, en principe.
Sur les conséquences en terme d'accroissement du coût des heures
supplémentaires, je vois plusieurs scénarios : celui que je
vous ai présenté en premier qui est dessiné pour qu'il
n'en coûte rien aux entreprises. Pas d'augmentation du coût du
travail en France. Et donc, il n'y a pas d'effet sur la profitabilité et
la rentabilité des entreprises du fait du passage aux 35 heures.
Pour cela, il faut que tout se passe bien. Dans ce cas, si le scénario
favorable prévaut, ce n'est que ce scénario qui aboutit à
la création de 400.000 emplois, au bout de 3 à 4 ans ! C'est
pourquoi je dis " tout cela pour cela ". Ce ne sont pas
400.000
emplois qui se produiraient au second semestre 1998 !
Il dépend des acteurs d'avoir une bonne intelligence de la
négociation pour qu'il n'y ait pas de conséquences
défavorables en termes de choix de localisation, ni sur les
activités clandestines. Je ne sais pas si ainsi j'ai répondu
à votre question.
M. Alain GOURNAC, président
-
Je vous remercie.
La parole et à M. André Jourdain.
M. André JOURDAIN
- Monsieur le président, lorsque je
me suis manifesté pour poser une question, j'étais en fait
resté sur ma faim après l'exposé de M. Fitoussi. Mais
suite aux questions du rapporteur, M. Fitoussi vient d'apporter quelques
précisions.
Néanmoins, sur le scénario qui l'amène à des
créations d'emplois, vous aviez précisé que 400.000
emplois dans trois ou quatre ans s'accompagneraient quand même de
problèmes sur les déficits, si j'ai bien compris ?
M. Jean-Paul FITOUSSI
- Dans le scénario favorable, le
gouvernement se contente de recycler en termes de baisse des cotisations
sociales ce qu'il payait en termes d'indemnisations du chômage, de sorte
qu'il n'en coûte pas un sou au budget de l'Etat. Et il n'y a aucun effet
sur le déficit budgétaire. Il y a même un léger
excédent puisqu'on a calculé dans le scénario favorable
que 5.000 francs par salarié représentait moins que
l'économie réalisée du fait de la baisse des
indemnités de chômage.
Par contre, dans le scénario défavorable, il y a augmentation du
déficit public, non pas du fait de la subvention à l'emploi de la
part du gouvernement mais du fait de la baisse de la production - du taux
de croissance - qui réduit les recettes fiscales et qui
génère donc le déficit public. Voilà pour le
scénario défavorable.
M. André JOURDAIN
- Excusez-moi d'avoir mal compris. Je
souhaiterais, Monsieur le président, que l'on nous transmette le texte
de l'intervention.
M. Alain GOURNAC, président
-
Nous l'avons
photocopié pour vous le remettre. La parole est à M. Yann
Gaillard.
M. Yann GAILLARD
- Vous nous avez dit que le
bénéfice attendu en termes d'emplois serait au mieux de 400.000
emplois dans un délai dont la longueur m'a étonné. Vous
conditionnez ce résultat favorable à un certain nombre de
facteurs difficiles à réunir.
Avez-vous un chiffre sur les bénéfices minimums que l'on peut en
attendre ? Au mieux, c'est 400.000. Au pire, y aura-t-il quand même
100.000 emplois, ce qui était à peu près le chiffre que
nous a donné M. Soubie, ou cela peut-il être zéro ?
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole et
à Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
M. Marie-Madeleine DIEULANGARD
- Une question très simple
sans être simpliste : vous avez dit que la réduction du temps de
travail ne pouvait pas représenter un remède au chômage.
C'est bien un objectif mais elle ne peut représenter un remède au
chômage d'autant moins qu'elle s'accompagnerait d'un refus de certaines
contraintes et d'un renoncement à la croissance.
Est-ce qu'il y a des solutions plus favorables que le scénario qui nous
est proposé à travers ce texte de loi qui, bon an mal an et en
acceptant certaines contraintes et certains efforts, pourrait aller
jusqu'à 400.000 créations d'emplois, et est-ce que d'autres
scénarios ont été élaborés qui pourraient,
selon vous, mieux correspondre à un remède au
chômage ? C'est tout simple.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Michel Bécot.
M. Michel BECOT
- Ma question est similaire à celle de
Mme Dieulangard. La réduction du temps de travail a pour objectif
de faire diminuer le chômage et donc de provoquer une création
d'emploi. A-t-on exploré d'autres solutions ? Vous l'avez
certainement fait, mais a-t-on exploré la possibilité qu'en
diminuant les charges sociales des entreprises, on arrive à un
résultat bien supérieur ? Cela a-il été
exploré ?
M. Alain GOURNAC, président
-
S'il n'y a pas
d'autres questions, je voudrais pour ma part revenir sur trois points. Premier
point : le seuil de vingt salariés ? Ne pensez-vous pas qu'il y
aura des effets de seuil ? Aujourd'hui, déjà nos entreprises
rencontrent de grandes difficultés quand il y a des obligations
au-dessus de X salariés au niveau syndical, comité d'entreprise,
etc.
Deuxième souci : vous parlez de 400.000 emplois. Dans votre
étude, avez-vous une première approche différenciée
selon les secteurs économiques ? Dernière réflexion
qui contient une question : S'il doit y avoir réorganisation -vous
avez dit que pour réussir cette réduction, il faut envisager la
réorganisation au sein de l'entreprise ainsi que respecter une certaine
modération salariale- pendant combien de temps pensez-vous que les
salariés vont accepter une modération salariale ?
M. Jean-Paul FITOUSSI
- A la question combien d'emplois on
pourrait créer dans le pire des scénarios, la réponse est
un peu plus de 100.000, mais avec une baisse de croissance, avec une inflation
plus élevée, avec peut-être des problèmes de
contraintes extérieures qui émergeraient à nouveau. Ce
n'est pas un partage à somme constante, c'est un partage d'un
gâteau qui se réduit.
Sur ce que sont les autres remèdes, j'insiste sur ce que je disais
initialement, à savoir que si les instruments de la politique
économique ne sont pas disponibles, il faut bien que le gouvernement
fasse quelque chose. Excusez-moi d'être aussi franc, parmi ces mesures,
on ne voit guère autre chose que le traitement social du chômage
l'expérience passée n'a pas produit de résultats
très probants ou le partage du travail.
Il y avait d'ailleurs un certain consensus entre l'ensemble des partis
politiques responsables en France pour penser que le partage du travail
était une solution. La loi de Robien figurait au programme du
précédent gouvernement, et la loi sur les 35 heures fait partie
du programme de ce gouvernement.
Pour les autres remèdes, il y en a. Je viens de réaliser une
étude qui n'est pas encore publique avec un économiste
américain du MIT
(Massachussets Institute of Technology)
. sur la
question de savoir quel taux de croissance serait nécessaire en France
pour que, dans un horizon de 5 ans, on revienne à un taux de
chômage de 7,5 %, soit - 5 points de chômage en moins par
rapport à aujourd'hui. On aboutit au résultat que le taux de
croissance nécessaire serait de l'ordre de 3,6 à 3,8 % par
an. Ce n'est pas extraordinaire, c'est à portée de main. Surtout
dans les conditions favorables que j'ai soulignées. Mais pour
débloquer la croissance, il faut bien qu'il y ait une action des
pouvoirs publics. Cette action, nous l'avons imaginée comme
résultant d'une politique concertée à l'échelle
européenne. Elle consisterait à baisser les cotisations sociales
payées par les salariés.
Pourquoi les cotisions sociales payées par les salariés ?
Parce que cela aboutit à une augmentation de salaire net, et donc
à un effet de demande important. Mais c'est l'intérêt de la
mesure à terme, qu'il s'agisse d'une baisse des cotisations sociales
salariés ou d'une baisse des cotisations sociales employeurs, c'est la
même chose puisque cela réduit le coût du travail à
moyen terme.
Si cette politique était conduite à l'échelle
européenne, elle impliquerait une baisse des cotisations sociales
salariés équivalant à 2 points de PIB en 5 ans, dans ce
cas on atteindrait effectivement cette croissance de 3,8 - 4 %.
Il pourrait donc y avoir une solution au problème de chômage.
L'intérêt de cette mesure est qu'elle n'engendre aucun
déficit budgétaire supplémentaire parce que toute
politique de relance conduite à l'échelle européenne a un
effet multiplicateur beaucoup plus grand sur l'activité, qui fait
croître beaucoup plus rapidement la base fiscale. Dans notre jargon
économiste, on dit que le multiplicateur à l'échelle
européenne est beaucoup plus élevé que le multiplicateur
à l'échelle nationale.
On voit donc bien qu'il y a une possibilité de solution par le haut au
problème du chômage. Il ne faut pas renoncer à la
croissance. La croissance est quand même l'objectif naturel de
l'activité économique.
Sur les effets de seuil, je ne sais pas y répondre. Il y aura
probablement des effets de seuil. On peut supputer qu'ils seront d'autant moins
importants que l'on connaîtra rapidement les conditions du passage aux
35 heures des entreprises de moins de vingt salariés. Il y a
là un problème d'information important à prendre en compte.
Sur les conséquences différenciées, il est évident
que la création d'emplois nette est de 400.000 c'est un ordre de
grandeur j'y insiste, ce ne sont pas des chiffres définitifs lorsque
toutes les conditions favorables sont réunies.
La tendance générale est celle d'une baisse des effectifs dans le
secteur industriel et d'une augmentation des effectifs dans les secteurs des
services. Il y a une aide à la création d'emplois un peu plus
importante dans les secteurs des services qui compense une réduction des
effectifs dans le secteur industriel. Mais à part cette grande division
en secteurs, nous ne savons pas aller plus finement dans le détail.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
-.Je voudrais revenir sur le rapport
introductif de M. Fitoussi. Vous dites que nous n'avons pas de marge de
manoeuvre macro-économique ou budgétaire. On fait donc du
structurel. Je voudrais lui demander si le structurel que l'on fait depuis dix
ans est vraiment du structurel ? En effet, on corrige à la marge
par des opérations qui ont sans doute un impact social et surtout
médiatique important. Mais je ne suis pas sûr que l'on assiste
à une vraie réforme de l'Etat et aux transformations que l'on
attend.
Lorsque l'on s'interroge sur le temps de travail que chaque citoyen va
effectuer au cours de l'ensemble de sa vie, on découvre que la France
est déjà dans une situation très allégée
compte tenu des préretraites et de l'entrée tardive dans le monde
du travail. Il y a de ce fait plus que des interrogations sur la
pérennité des systèmes de financement des retraites dans
notre pays. Je voudrais donc être sûr de me pas me méprendre
sur la qualification de structurel que vous avez donnée aux politiques
conduites depuis une dizaine d'années, et je me demande si c'est
vraiment à la mesure des problèmes structurels et de quelques
archaïsmes que nous avons du mal à déverrouiller.
M. Jean-Paul FITOUSSI
- Je vous répondrai en
étant encore plus franc. Pour moi, le mot structurel n'a aucune
connotation positive ou négative d'emblée. Il peut y avoir de
bonnes ou de mauvaises réformes structurelles. Comment décrire
une action gouvernementale qui, au lieu de s'exercer au niveau de la
régulation globale, essaie de faire de l'interventionnisme pointu ?
On peut la qualifier de " structurel désordonné ". Ce
serait la qualification du structurel des dix dernières années.
On voit bien que ce " structurel désordonné " est
appelé à croître du fait du mouvement des chômeurs.
Il s'agira bien d'y répondre.
Il ne s'agit pas de jeter la pierre au gouvernement. Il faut bien
répondre aux situations d'urgence. De sorte que plutôt que
" structurel désordonné ", ce serait plutôt du
" structurel sans projet ", du structurel en réponse aux
souffrances de la société qui apparaissent plus visibles selon
les moments et les époques. Cela dit, il ne s'agit pas de vraies
réformes structurelles. Une vraie réforme structurelle implique
que l'on ait des marges de manoeuvre au niveau macro-économique. Par
exemple, on a rarement vu une réforme fiscale à
périmètre constant parce qu'elle est généralement
alors inacceptable.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- L'exercice est difficile.
M. Jean-Paul FITOUSSI
- Elle est généralement
inacceptable. Une vraie réforme fiscale se fait d'autant mieux qu'il est
possible d'accroître le déficit budgétaire. Mais alors le
déficit qui résulte de cette réforme fiscale est un
investissement sur l'avenir puisque l'on attend de la réforme fiscale
structurelle, globale, une vraie réforme fiscale, des
bénéfices importants dans l'avenir. Voilà.
Je n'ai jamais pensé qu'il y avait une relation de
substituabilité entre la politique structurelle et la politique
macro-économique. Pour conduire à bien une politique
structurelle, il faut que l'on ait une bonne politique macro-économique.
Si la politique macro-économique n'est pas idéale, les
réformes structurelles s'en ressentiront et ne seront pas idéales
non plus.
M. Alain GOURNAC, président
-
S'il n'y a pas
d'autres questions à M. Fitoussi qui a répondu à
l'ensemble de nos demandes, nous allons le remercier.
M. Paul Girod, vice-président, prend la présidence.
D. AUDITION DE M. JEAN MARIMBERT, DIRECTEUR DES RELATIONS DU TRAVAIL AU MINISTÈRE DE L'EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ
M. Marimbert, directeur des relations du travail au
ministère de l'emploi et de la solidarité, est introduit dans la
salle
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la
commission d'enquête et fait prêter serment à M. Jean
Marimbert.
M. Alain GOURNAC, président
-
Monsieur Marimbert
nous vous demanderons de parler dix minutes, après quoi notre rapporteur
vous posera quelques questions auxquelles vous répondrez avant
d'entendre la suite des questions de nos collègues pour vous permettre
d'apporter une réponse globale à l'ensemble des interventions.
Vous avez la parole.
M. Jean MARIMBERT
- J'ai donc préparé la trame
d'une intervention de présentation liminaire. Je ferai tout d'abord
quelques observations de portée générale en
commençant par la dimension historique du sujet. Je voudrais rappeler
que la durée du travail a toujours été au coeur de la
construction du droit du travail dans notre pays, et plus récemment des
rapports entre loi et négociation. Quand on jette un regard sur
l'histoire sans entrer dans le détail puisque tel n'est pas le propos
aujourd'hui jusqu'au XIX
ème
siècle, la durée du
travail a été le premier si ce n'est le premier sujet
traité dans le cadre de la construction du droit du travail. Cela
dès le milieu du XIX
ème
siècle. La
première loi importante à cet égard est la loi du 22 mars
1841 qui, pour la première fois, a introduit une notion de durée
maximale de durée du travail.
Je ne rappellerai pas toutes les étapes mais je voulais souligner qu'au
fil du temps, cette caractéristique, cette importance de la durée
du travail, conçue au départ comme une norme de la protection de
la santé des salariés, s'est perpétuée dans le
temps avec les changements importants que nous avons vécus. Le plus
important est que le cadre temporel dans lequel a légiféré
le législateur s'est déplacé. A l'origine, c'était
la journée. Petit à petit, cela a glissé vers la semaine.
Au fil du temps, et notamment avec l'apparition des congés payés
dont la durée a varié, la notion de durée du travail s'est
plutôt portée sur l'année. Cela n'enlève rien
à la place de la durée du travail.
Je voudrais également souligner un élément
générateur de beaucoup de confusion parfois dans les
débats. Alors qu'au départ, le législateur traitait
exclusivement de la durée maximale du travail, au fil du temps -il a
fallu attendre le milieu de XX
ème
siècle il s'est
intéressé à la notion de " durée
légale " du travail, indépendamment de la durée
maximale. Ce dont il sera question prochainement dans le cadre des travaux des
deux Assemblées porte bien sur la durée légale du travail
en tant qu'elle sert de point de référence pour déclencher
le régime des heures supplémentaires d'une part, et en dessous,
le régime du chômage partiel. Il ne s'agit donc pas des
durées maximales ; ce n'est pas enfoncer une porte ouverte que de
le souligner car cela permet de rappeler que la durée du travail
effective qui peut être pratiquée dans telle ou telle entreprise
peut s'écarter de la durée légale qui n'est pas une
durée d'ordre public absolu, mais qui a une autre utilité.
Je voudrais rappeler que plus récemment, dans les vingt à
vingt-cinq dernières années, la durée du travail a
été un enjeu privilégié de l'interaction entre la
loi et la négociation. Je n'infligerai pas à votre commission un
rappel détaillé des allers-retours entre lois et
négociations sur ce sujet puisque cela sera un élément de
discussion dans le cadre des débats sur le projet de loi. Pour prendre
des exemples récents, on s'aperçoit que le législateur a
été amené assez souvent à intervenir, soit pour
remédier à des échecs partiels ou des insuffisances de la
négociation, soit au contraire pour étendre ou
généraliser par la loi des éléments relatifs
à la durée du travail introduits par la négociation.
Exemples concrets : l'ordonnance de 1982 ou la loi du début de
l'année 1986 font suite à des phases de relatif échec de
la négociation. En sens inverse, les troisième et
quatrième semaines de congé, en leur temps, ont été
étendues après des avancées qui, au départ, avaient
été négociées au niveau de telle ou telle
entreprise précise ou de telle ou telle branche. Voilà pour la
dimension historique que je souhaitais rappeler.
Deuxième grande remarque, la conception de la réduction de la
durée du travail actuellement développée me paraît
se distinguer assez nettement des visions de la réduction du temps de
travail qui avaient pu exister et être professées dans les dix ou
quinze dernières années.
Je m'explique : tout part d'une analyse macro-économique - que je ne
suis pas le plus qualifié pour apprécier dans mes fonctions de
directeur des relations du travail -qui doit être rappelée parce
qu'elle est centrale dans le raisonnement. L'analyse macro-économique,
qui a été développée au moment de
" l'après-conférence de l'automne " part de
l'idée que les tendances spontanées de l'évolution
économique sur les années à venir, telles qu'on peut les
prévoir, ne permettent pas de mordre significativement sur le
chômage, même en faisant des hypothèses de croissance
relativement optimistes de l'ordre de 2,5 - 3 % qu'on aimerait
bien voir se réaliser. Et même en tenant compte de ce que -fait
plutôt positif ces dernières années- il semble que le seuil
de croissance à partir duquel on se met à créer des
emplois nets dans ce pays, se soit quelque peu abaissé. Autrement dit,
le contenu en emploi de la croissance se serait quelque peu
amélioré au cours de ces dernières années.
Malgré cela, nous disent en effet les macro-économistes, les
prévisions spontanées mènent en fait au mieux à une
stabilisation du chômage, ou à une réduction comprise entre
60 et 70.000 chômeurs.
Dans ce contexte, d'un point de vue strictement intellectuel, on est
amené à se dire qu'on peut difficilement se passer d'une variable
comme le temps de travail si l'on veut dépasser cette contradiction et
développer des politiques structurelles en faveur de l'emploi. On est
amenés à considérer que la variable temps de travail est
un des éléments incontournables d'une panoplie d'actions
structurelles en faveur de l'emploi.
J'oppose les actions structurelles aux actions classiques d'intervention
à court terme sur le marché du travail. Loin de moi l'idée
que ces actions sont inutiles. Elles sont très utiles, ne serait-ce que
pour améliorer les chances d'insertion d'un certain nombre de
salariés particulièrement fragiles et, comme disent les
spécialistes, pour " changer l'ordre dans la file
d'attente ".
Elles sont donc très utiles mais incontestablement insuffisantes.
Il faut des politiques structurelles au nombre desquelles la politique du temps
de travail, sachant qu'il en existe d'autres -ce n'est pas le propos
aujourd'hui qui doivent certainement être tout autant
développées : l'allégement du poids indirect du
travail non qualifié, le développement continu des
compétences par l'amélioration de l'accès à la
formation tout au long de la vie, la promotion des nouvelles activités
dont les récents emplois jeunes se veulent un outil, et certainement
bien d'autres dont je n'établirai pas la liste.
Si je souligne cette analyse, c'est pour indiquer qu'aujourd'hui, on prend la
réduction du temps de travail comme un outil au service de l'emploi
principalement. Cela n'allait pas forcément de soi. Le temps n'est pas
encore très loin où, quand on parlait " réduction de
temps de travail ", on pensait surtout " objectif temps
libre ".
On avait donc une conception sociétale de la réduction du temps
de travail.
Je ne dis pas que cet objectif a disparu. Il est toujours très
présent, c'est l'un des effets de la réduction de temps de
travail que d'ouvrir des espaces de temps libre. Encore faut-il bien les
occuper. Mais aujourd'hui, ce n'est pas l'objectif dominant qui est poursuivi.
Je soulignerai également que vouloir prôner ou vouloir mettre en
oeuvre la réduction du temps de travail n'implique pas -pour autant que
je comprenne bien- de jeter la valeur "travail" aux oubliettes. Les
deux ne
sont pas liés. On peut vouloir la réduction du temps de travail
et considérer que le travail est toujours un élément
d'intégration centrale dont on ne peut se passer. C'est sans doute un
objet de débat.
Ce n'est pas non plus cultiver une vision malthusienne qui considérerait
que l'on doit s'accommoder de la baisse d'activité et que la
réduction du temps de travail serait un palliatif à une maigre
croissance dont on devrait s'accommoder. Au contraire, elle doit avoir comme
pendant la recherche, par tous les moyens, de marges de développement de
la croissance et de l'activité. Sinon, on tombe dans une
réduction " stagnationniste " et de pur partage de la
réduction du temps de travail.
Cette priorité à l'emploi, cette réduction du temps de
travail est aussi une vision actuelle qui se distingue d'une autre conception
où la réduction du temps de travail est simplement un
sous-produit de la flexibilité. C'est d'ailleurs assez largement ce qui
a pu se passer sur le terrain au cours de ces dernières années.
Les négociations sur l'organisation du travail cela n'a rien de
scandaleux en soi ont été tirées par la demande de
flexibilité des entreprises. Dans le cours de la négociation est
apparue l'idée que la réduction pouvait représenter en
quelque sorte une contrepartie le cas échéant, pas toujours
d'ailleurs.
C'est ce que j'essaie d'exprimer en expliquant qu'il s'agissait d'un
sous-produit de l'aménagement du temps de travail.
Or, l'approche actuelle dépasse également cette approche en
mettant l'emploi au premier plan, comme levier, comme ressort de la
démarche de réduction du temps de travail.
Je m'empresse d'ajouter que dans ma perception en tous cas, cela ne veut pas
dire qu'une démarche de réduction de temps de travail qui veut
produire des effets favorables à l'emploi pourrait ignorer la dimension
" conditions de travail " et les exigences de
réactivité des entreprises. Ce sont deux dimensions qui doivent
être prises en compte si l'on veut que la réduction du temps de
travail produise les bienfaits que l'on attend d'elle aujourd'hui.
Pour prendre un exemple concret, imagine-t-on que les gains de
productivité que l'on peut attendre dans une entreprise du fait d'une
réorganisation du temps de travail soient durables si elle
s'accompagnait d'une détérioration des conditions de travail des
salariés ? On risquerait de voir apparaître bien vite les
effets pervers du point de vue de l'efficacité de l'entreprise,
liés à l'absentéisme, aux maladies professionnelles, aux
accidents du travail et à bien d'autres phénomènes. C'est
dire que la dimension " conditions de travail ", si elle ne
vient
pas, a priori, en premier lieu dans le raisonnement doit, bien entendu,
être prise en compte.
Troisième idée que je souhaitais développer à titre
liminaire : il faut réunir les conditions nécessaires pour
que la réduction du temps de travail soit bien créatrice
d'emplois puisque c'est l'objectif poursuivi aujourd'hui. De ce que nous disent
les modèles macro-économiques je n'y insisterai pas, sachant que
d'autres sont plus compétents que moi je retiens globalement que la
réduction du temps de travail, pour être créatrice
d'emplois, ne doit pas diminuer les capacités de production mais au
contraire, de préférence, les augmenter et ne doit pas
dégrader les coûts de production des entreprises. C'est ce que
disent les macro-économistes. Les coûts de production incluent le
coût du travail mais aussi le coût du capital. Il convient de
l'introduire dans le raisonnement.
Cela implique que toute négociation décentralisée sur le
temps de travail ce dont il est question aujourd'hui dans la foulée du
projet de loi dont vous aurez à débattre doit satisfaire ce
cahier des charges. Cela implique d'abord que la réduction du temps de
travail doit s'accompagner dans les entreprises d'une démarche globale
d'une réorganisation du travail. On doit poser les problèmes
d'organisation du travail dans leur globalité, et non pas se contenter
de raisonner mécaniquement en appliquant une réduction.
Pourquoi ? Sans y insister, je dirai que c'est la condition d'une
utilisation plus efficace de l'outil de production. On peut dire aussi que
c'est la condition pour que les entreprises réduisent un certain nombre
de coûts liés à l'utilisation des souplesses les plus
rudimentaires les plus utilisées aujourd'hui. Quand je dis
" rudimentaires ", je ne dis pas qu'elles sont inutiles mais
rudimentaires par rapport à une organisation du travail. L'utilisation
structurelle des heures supplémentaires, le recours, pour faire face aux
à-coups, à l'intérim de façon permanente sont
certes nécessaires, mais ne doivent pas être la source permanente
de flexibilité de l'entreprise. La flexibilité doit venir de
l'organisation du travail elle-même. Or, le recours massif aux
flexibilités telles que les heures supplémentaires ou
l'intérim est générateur de surcoûts pour
l'entreprise.
Ce qui paraît intéressant dans les démarches des
entreprises qui ont réduit la durée du temps de travail, avec ou
sans aide les années précédentes, est que l'on se rend
compte parfois que grâce à une organisation du travail
intrinsèquement plus souple, ces entreprises peuvent stabiliser les
emplois transformés. Par exemple transformer les contrats à
durée déterminée ou des intérimaires en contrats
à durée indéterminée dans le cadre d'une
organisation générale plus souple et réduire leurs
coûts de temps. C'est-à-dire stabiliser à la fois l'emploi
et réduire les coûts. On voit là que la
réorganisation du travail peut permettre de concilier à la fois
des éléments de sécurité, de moindre
précarité et des éléments de souplesse, de
flexibilité qu'attendent les entreprises.
Deuxième condition importante à remplir pour que la
réduction du temps de travail soit créatrice d'emplois d'autres y
insisteront sans doute : une maîtrise de l'évolution des salaires.
Pour les années à venir, les économistes nous disent en
effet que le bouclage du financement des opérations de réduction
du temps de travail, compte tenu de l'aide que l'Etat peut apporter par
ailleurs, implique néanmoins une certaine modération salariale au
moins pendant deux ou trois ans. Cela signifie, non pas que les salaires soient
abaissés ce qui aurait de nombreux effets pervers mais que
l'évolution des salaires sur les deux ou trois années suivantes
soit moins forte qu'elle ne l'aurait été, toutes choses
égales par ailleurs, s'il n'y avait pas eu la réduction du temps
de travail. C'est un enjeu essentiel de la négociation et qui n'est pas
que technique.
Quatrième grande série de remarques par rapport à
l'impératif de réorganisation que j'évoquais à
l'instant : la réduction du temps de travail, pour être vraiment
créatrice d'emplois durables, doit s'accompagner d'une
réorganisation, d une remise à plat de l'organisation de
l'entreprise. Or, on peut s'appuyer sur des tendances de fond plutôt
favorables.
Cela signifie tout d'abord que sur la longue période, sur les quinze
dernières années, la législation sur la durée du
travail a évolué. Le cadre de la durée du travail s'est
diversifié et assoupli. On pourrait mettre beaucoup de dispositifs
derrière mon propos : les modulations, les équipes de
suppléance... De fait, pour qui veut aujourd'hui, dans le cadre
légal prévu par le code du travail, adapter son organisation, de
sérieuses possibilités sont offertes, à condition
toutefois de négocier.
En tant que directeur des relations du travail, je ne méconnais pas
d'ailleurs que cet assouplissement du cadre légal de la durée du
travail a eu pour contrepartie une complexité croissante du droit de la
durée du travail. C'est plus souple qu'il y a quinze ans, mais c'est
aussi plus complexe. Le droit de la durée du travail était plus
simple, plus robuste, mais aussi plus rigide il y a quinze ans.
L'évolution de la législation permet donc aujourd'hui de faire
beaucoup de choses en matière d'organisation du travail.
Enfin, plus important que l'évolution de la législation, une
évolution des esprits est entamée depuis quelques années.
Cela signifie que sur le terrain, la négociation des entreprises sur le
temps de travail s'est développée. Elle s'est aussi
développée au niveau des branches de façon sans doute
moins spectaculaire. Par exemple, on compte 112 accords de modulation conclus
dans les branches entre 1992 et 1997 portant sur 75 branches.
Ensuite, au niveau national, on peut remarquer notamment l'accord national
interprofessionnel du 31 octobre 1995 qui traduit une certaine
maturité des esprits de la part des partenaires sociaux. Je parle du
premier des deux accords qui ont eu lieu le même jour, même si les
suites de cet accord interprofessionnel au niveau des branches ont
été en retrait par rapport aux attentes que l'on pouvait fonder
en lui.
Enfin, pour terminer, la réduction du temps de travail est un enjeu
majeur pour le développement du dialogue social. C'est plus
particulièrement de mon domaine de compétences. C'est un enjeu
majeur pour le développement du dialogue social sur l'organisation du
travail. Autrement dit, cela implique une multiplication, un
développement considérable de la négociation collective.
Là encore, on ne part pas de zéro, tant s'en faut. La
négociation collective, notamment au niveau de l'entreprise sur le temps
de travail s'est développée depuis une dizaine d'années.
On en est aujourd'hui à un peu plus de 4.000 accords sur le temps de
travail, qui ne couvrent qu'une petite proportion sans doute, guère plus
de 10 à 12 % de l'ensemble des salariés, du champ du code du
travail. Aujourd'hui, le thème du temps de travail au sein des
entreprises est même passé légèrement devant les
salaires.
Cela étant dit, on ne peut pas ignorer qu'aujourd'hui, le chantier de la
réduction du temps de travail implique un changement de
" braquet ". On peut considérer qu'indépendamment de
l'aide financière dont vous aurez à débattre, la
réussite dans ce changement de braquet de la négociation
collective sur l'organisation du travail à partir de sa réduction
implique certainement que l'on réunisse les conditions favorables, le
renforcement des outils juridiques de négociations collectives,
probablement un développement de la capacité d'aide au diagnostic
et au conseil, notamment aux PME dans ce domaine ; une négociation
collective plus globale qu'elle n'a été pratiquée
jusqu'à présent, c'est-à-dire qui mette en relation les
questions d'emploi, de temps de travail, de salaires, parfois même les
questions de compétences puisque toute réflexion sur
l'organisation du travail amène à tirer tous ces fils en
réalité. Il est assez difficile de négocier sur tous ces
sujets, même si de nombreux exemples ont montré que c'était
possible au cours de ces dernières années.
Enfin, cela suppose certainement un développement de la capacité
de suivi et d'évaluation de la mise en oeuvre des accords et de l'impact
de ces accords en général et sur l'emploi en particulier. Cet
enjeu du développement de la capacité de suivi concerne
certainement les services de l'Etat, mais aussi les partenaires sociaux qui
doivent être attachés à suivre la mise en oeuvre et l'effet
des accords qu'ils passent, que ce soit au niveau des branches ou des
entreprises. C'est certainement l'un des points sur lesquels l'effort devra
être développé. Voilà, Monsieur le président,
les quelques considérations liminaires que je souhaitais exposer devant
vous.
M. Alain GOURNAC, président
-
Monsieur le
directeur, je vous remercie de la densité et de la clarté de
votre exposé. Je vous livre au rapporteur de la commission qui aura de
nombreuses questions à vous poser. Nous passerons ensuite aux questions
de nos collègues.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Je remercie M. Marimbert, directeur
des relations du travail pour la clarté de son exposé et
l'objectivité qu'il y a mise en situant bien cette démarche dans
les perspectives et le prolongement d'une évolution et d'une
construction.
Première question : ma préoccupation fondamentale, Monsieur
le directeur, est de savoir si ce dispositif est de nature a créer des
emplois. Nous avons entendu ici certains économistes dont les
appréciations sont nuancées. En vous écoutant, je me
demandais si ce projet n'est pas d'abord un instrument au service de la
négociation plutôt que contre la chômage. Avez-vous des
estimations en la matière ? Si vous en avez, quelles sont les
différentes hypothèses et leur transcription dans le temps ?
A propos des conséquences sur les entreprises, vous avez cité des
cas d'entreprises qui appliquent des mesures très novatrices dans la
réduction du temps de travail. Mais ne s'agit-il pas de grandes
structures et ne sont-elles pas de grandes entreprises qui pratiquent tout
à la fois le progrès social en France mais aussi la
délocalisation d'activité, qui bien souvent jouent habilement
d'opérations qu'elles qualifient d'exemplaires pour mieux dissimuler
tous les transferts d'activités sur d'autres territoires que le
nôtre ?
Quel est votre perception de ce qui se passe dans les petites
entreprises ? Vous avez dit que l'on pouvait tout faire pratiquement. Vous
confirmez ce que nous disait un consultant éminent cet après-midi
et qui avait presque mauvaise conscience en disant que l'on pouvait tout faire,
mais que cela coûtait très cher. Il faut en effet recourir aux
meilleurs experts pour appliquer le droit du travail et la jurisprudence.
Bien souvent aussi, on insiste sur la nécessité de simplifier la
fiscalité. Je constate que le problème est le même en droit
du travail. N'avez-vous pas quelques idées sur les simplifications qui
pourraient être introduites dans le droit du travail ? Comment
expliquez-vous la prospérité des agences d'intérim ?
Et n'y a il pas une situation de rente pour la plupart d'entre elles,
liée à la difficulté que nous éprouvons à
réformer notre droit du travail ? Est-il possible de penser que
telle mesure, qui avait été conçue pour protéger
l'emploi et les salariés, est devenue un instrument de propagation du
chômage ? Ou bien cela est-il excessif ?
Enfin, je voudrais vous demander pour quel motif la participation suscite
autant de réserve en France. Quand on parle de projet d'entreprise, non
pas de " flexibilité ", - le terme anglo-saxon
"
flexibility
" n'ayant pas son équivalent en
français les éléments de souplesse d'adaptation de
l'annualisation et de la négociation ne pourraient-ils pas trouver toute
leur place dans le cadre d'accords de participation ?
M. Alain GOURNAC, président
-
Monsieur le
directeur, je vous suggère de répondre d'abord au rapporteur
avant d'entendre les questions des autres collègues.
M. Jean MARIMBERT
- Plusieurs fils ont été
tirés par M. le rapporteur. Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit
à propos des conditions sous lesquelles la réduction du temps de
travail peut produire les effets que l'on en attend sur l'emploi. Les
estimations des macro-économistes à partir de modèles
macro-économique, dont on connaît également les limites,
nous disent que la réduction du temps de travail doit remplir tels types
de conditions pour être créatrice d'emplois, notamment par la
négociation concrète, dans les unités de travail. Ils nous
disent aussi que l'effet emploi est réel une fois que les modèles
ont fonctionné et si l'on considère que les conditions sont
remplies. Il y a convergence des modèles pour produire un effet emploi
réel qui n'est pas mécaniquement et à cent pour cent en
proportion de la baisse de la durée du travail. Cela veut dire que
l'emploi ne va pas augmenter exactement à concurrence de la baisse de la
durée du travail, ne serait-ce que parce que la réduction
entraîne des surcroîts mécaniques de gains de
productivité sur l'évaluation desquels je ne m'aventurerai pas.
Cela dit, je sais que les économistes eux-mêmes partent de ce
point de vue et l'on entend souvent le chiffre d'une déperdition de
l'ordre de 30 %, ce qui signifie que, si vous diminuez la durée du
travail de 10 %, vous obtenez non pas 10 % d'emplois
supplémentaires, mais seulement 7 %.
En revanche, sur la question des petites structures, je vous livre une
réflexion que je me suis faite très récemment, plus
particulièrement d'ailleurs à l'occasion de la mise en oeuvre de
la loi de Robien. L'année dernière, on pouvait se dire, a priori,
que ce dispositif ne serait utilisé que par de grosses ou moyennes
structures parce que c'est compliqué, que cela implique une
réorganisation, parce que l'aide elle-même suppose un
conventionnement... bref, parce qu'il existe une série d'obstacles
psychologiques dont on pouvait penser qu'ils bloqueraient l'accès des
petites entreprises à ce dispositif.
Or, nous avons été démentis par les faits. On a, en effet
constaté qu'en fait un nombre très conséquent de demandes
émanait de petites, voire même de très petites entreprises,
parfois de moins de dix et vingt personnes. La majorité des conventions
de Robien ont été passées avec des entreprises de moins de
50 personnes. L'ordre de grandeur est réel. Nous avons donc
été surpris de voir à quel point il y avait un effet
déclencheur, y compris dans les petites structures. Il ne faudrait donc
pas considérer a priori qu'il ne pourrait pas y avoir de
réorganisation du travail avec réduction dans les petites
structures qui ont quand même des problèmes pour mettre en oeuvre
la négociation collective.
En revanche, il est apparu clairement que dans ces petites structures où
le chef d'entreprise n'a pas des services du personnel très
développés, la possibilité de donner un appui pour faire
le diagnostic de la situation et gérer en quelque sorte
l'opération complexe que représente une réorganisation,
est tout à fait importante et essentielle.
Comme je l'indiquais dans mon exposé liminaire, il est probable que l'on
devra monter en régime dans ce type d'aide. Les services
déconcentrés du ministère du Travail, le réseau de
l'ANACT qui a des compétences dans le domaine, peuvent aider à
cette montée en régime.
Sur la simplification concernant surtout les PME, j'ai dit dans mon
exposé liminaire qu'il me paraissait indiscutable -c'est le paradoxe de
l'histoire- qu'en matière de durée du travail, la flexibilisation
croissante, sans doute nécessaire, s'est faite par sédimentation,
de strates successives qui se sont greffées, depuis quinze à
vingt ans, sur le socle existant ce qui aboutit aujourd'hui à une
construction complexe. C'est indéniable. La plupart des observateurs le
reconnaissent. Encore une fois, je tiens à souligner que la
complexité n'est pas venue de la rigidité mais de l'ouverture
à la " flexibilité ", ce que l'on oublie souvent de
souligner.
Pour l'avenir, il convient certainement de réfléchir à des
simplifications en la matière. La phase de négociation qui devra
s'ouvrir de façon beaucoup plus intense que par le passé si la
loi est adoptée pourrait d'ailleurs nous donner des enseignements pour
savoir dans quelle direction on peut simplifier.
Pour prendre un exemple qui est de notoriété publique, un des
points sur lesquels, à terme même si cela ne se fait pas dans
cadre de la loi qui sera soumise aux deux assemblées et qu'il faudra
certainement simplifier : la modulation. En effet, aujourd'hui, du fait de
l'histoire, notre code compte trois types de modulation du temps de travail. Il
faut évidemment être un bon spécialiste pour s'y retrouver.
On se dit qu'intellectuellement, il ne serait pas plus mal de simplifier tout
cela et d'avoir un système général unique, avec
évidemment des négociations pour sa mise en oeuvre. Voilà
le type de piste auquel on peut penser.
Autre exemple : le régime des heures supplémentaires qui pourrait
également être simplifié dans le futur. Nous avons
plusieurs types de repos compensateurs dans notre système actuel : le
repos compensateur dit " légal ", le repos compensateur de
" remplacement ", des majorations pour heures
supplémentaires.
Le système diffère selon que cela concerne les entreprises de
plus de dix ou de moins de dix personnes. Cela fait partie des
éléments du droit de la durée du travail qui pourraient
certainement être simplifiés. Mais encore une fois, il
apparaît plus logique de laisser la négociation se déployer
comme elle devra le faire, si la loi est adoptée, dans les deux ans
à venir pour tirer les enseignements en termes de simplification pour le
futur.
Monsieur le rapporteur vous avez évoqué l'intérim et son
succès, alors que l'intérim est coûteux. Quand on voit les
statistiques sur l'utilisation de l'intérim, on se rend compte que la
tranche des petites et moyennes entreprises n'est pas trop utilisatrice de
l'intérim globalement. La petite entreprise utilise plus le contrat
à durée déterminée (CDD), pas beaucoup
l'intérim, alors que la moyenne/grosse entreprise utilise davantage
l'intérim et moins les CDD. C'est en tout cas ce que
révèlent les statistiques.
Cela étant, je ne voudrais pas que l'on se méprenne sur mon
propos liminaire. Quand je parlais des expériences
négociées d'entreprises qui montrent qu'avec une
réorganisation du travail, on peut réduire la part des contrats
d'intérim et stabiliser l'emploi, cela ne veut pas dire pour autant que
l'on peut se passer totalement de l'intérim. Ce serait
déraisonnable ; il y a des utilisations tout à fait
légitimes de l'intérim. Ce que je voulais indiquer, c'est que ces
formes d'emploi sont génératrices de surcoûts pour les
entreprises. Lorsqu'une organisation du travail permet d'internaliser la
souplesse et la réactivité, comme on en a la preuve par des
exemples d'entreprises, on peut alors arriver à réduire le
recours à ces formes d'emplois tout en en conservant un peu, et avec une
réduction des surcoûts. Cela fait donc partie de ces fameux gains
d'efficience et de productivité qui peuvent contribuer au financement de
la réduction du temps de travail.
Ayant eu l'occasion d'aller sur le terrain, pas seulement avec les services du
travail mais aussi au contact de chefs d'entreprises, de DRH, de chefs du
personnel, de représentants du personnel et de
délégués syndicaux, j'ai été très
frappé, notamment dans les témoignages des représentants
du personnel par ce qu'ils répondaient lorsqu'on les interrogeait sur
les motivations de leur signature :
" Vous avez signé un
accord qui comporte une réduction du temps de travail mais qui comporte
aussi une annualisation, un assouplissement de l'organisation du travail.
Pourquoi l'avez-vous signé ? "
L'une des premières
réponses des représentants du personnel était de dire :
" Certes, il y a des plus et des moins, mais je l'ai signé
d'abord parce qu'il y a création d'emplois, notamment des emplois qui
vont bénéficier aux jeunes de la région. Mais aussi parce
que la réorganisation, dont je n'approuve pas tous les aspects, a permis
de transformer 20 à 30 contrats d'intérim en contrats à
durée déterminée ",
et donc de
" déprécariser " -terme quelque peu technocratique.
J'ai été frappé par le fait que ces motivations revenaient
très souvent dans leurs propos.
C'est aussi ce que je voulais dire dans mon exposé liminaire lorsque je
disais que les esprits ont évolué de tous les
côtés ; du côté des représentants du
personnel mais aussi du côté de certains chefs d'entreprise.
Sur la participation, j'aurai une réponse très prudente. Vous
évoquiez les réticences, réelles, à la
participation je l'ai constaté de la plupart des partenaires sociaux
à l'idée d'utiliser la participation financière pour
faciliter toutes les opérations de réorganisation, notamment la
compensation salariale, dans le cadre d'opérations de
réorganisation du temps de travail. L'argument très souvent
employé pour justifier cette réticence consiste à dire que
la participation financière est par définition aléatoire
cela fait partie de sa nature en particulier l'intéressement. Mais
même la participation obligatoire dépend des résultats.
Au fond, l'idée qu'une partie de la non compensation salariale pourrait
être gagée dans le futur par le truchement d'un
intéressement supplémentaire, c'est en quelque sorte troquer du
certain aujourd'hui contre de l'aléatoire demain. Il y a donc une forte
et réelle réticence à ce sujet. Pour autant j'ai pu le
constater l'an dernier, puisque l'un des groupes de travail sur la
participation a été amené à plancher sur le sujet
il y a quand même quelques exemples d'entreprises dans lesquelles, de
façon plus positive, il est arrivé que l'on réorganise le
temps de travail et que l'accord d'intéressement soit modifié
voire créé pour essayer de faire bénéficier les
salariés des gains de productivité et d'efficience liés
à la réorganisation du travail, dans une optique plus
constructive. Les exemples existent, même s'ils ne sont pas très
nombreux, il faut le reconnaître.
M. Alain GOURNAC, président
-
Je vous remercie.
Y a-t-il des questions ?
M. André JOURDAIN
- En dépit des réponses que
vient d'apporter M. Marimbert aux questions de notre rapporteur, je reste
quand même sceptique sur l'application aux petites entreprises entre 20
et 50 salariés. Cela posera beaucoup de difficultés et de
problèmes. D'autre part, je regrette qu'une mesure autoritaire soit
envisagée.
M. Jean MARIMBERT
- L'intervention de M. André Jourdain
est une appréciation qui en fait n'appelle pas de réponse. Le
rôle des services du ministère, si la loi est votée par le
Parlement, sera de faire en sorte que les conditions du succès soient
réunies, que la réduction soit effectivement créatrice
d'emplois. Je peux dire d'ores et déjà qu'un travail
considérable a été entrepris pour mobiliser sur ce sujet
les responsables déconcentrés du ministère. Le reste n'est
pas de ma responsabilité, car il y a un rôle des partenaires
sociaux, qui sont les acteurs de la négociation et qui ont leurs propres
responsabilités.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Yann Gaillard.
M. Yann GAILLARD
- Dans un ministère comme celui auquel
vous participez, il y a toujours des projets dans les cartons. On
prévoit sur plusieurs années certaines évolutions de la
réglementation, de la législation. J'ai été
moi-même directeur de cabinet dans cette maison.
Avant que l'affaire des 35 heures arrive, comment l'administration que vous
dirigez entrevoyait-elle l'évolution de la législation en
matière de durée du travail, selon quel calendrier etc. ?
Aviez-vous un quelconque projet administratif
revolving
en cours ?
M. Jean MARIMBERT
- Le droit de la durée du travail est
le type même de droit à propos duquel interviennent constamment
des rédactions ou des projets. Depuis une quinzaine d'années, on
peut dire qu'il ne s'est pas passé plus de deux ans sans voir
éclore un texte sur la durée du travail. Chaque gouvernement est
amené à légiférer sur le sujet ou à inviter
les partenaires sociaux à se pencher sur le sujet, puis à
légiférer. Il y a donc toujours des projets de cette nature.
L'année 1996, indépendamment de la loi de Robien, issue
d'ailleurs d'une initiative parlementaire...
M. Alain GOURNAC, président
-
Le Parlement n'a
pas que des défauts.
M. Jean MARIMBERT
- Le parlement est un élément
essentiel de la démocratie, Monsieur le président.
M. Alain GOURNAC, président
-
Je vous remercie
de le dire !
M. Jean MARIMBERT
- C'était donc une époque de
pause législative tout à fait volontaire de la part du
Gouvernement, l'idée de laisser libre cours à la
négociation à l'époque puisque 1996 était une
année de négociation. Evidemment dès la fin de
l'année 1996 se profilait la nécessité d'un bilan de cette
négociation. Il est vrai que nous avions constaté à
l'époque que la dynamique de négociation qui avait semblé
s'engager début 1996 s'était quand même fortement assoupie
au second semestre. Fin 1996, la question de savoir s'il fallait
légiférer sur le temps de travail, de toute manière,
commençait à pointer sérieusement, avec les
problématiques évoquées tout à l'heure et touchant
au temps partiel, aux heures supplémentaires, à la
simplification ; tout cela est constamment présent. Ces
problématiques étaient déjà présentés.
M. Paul GIROD - Je voudrais pour ma part vous poser trois questions, Monsieur
le directeur. Vous avez dit tout à l'heure que 112 accords en
matière de modulation étaient intervenus dans 75 branches.
Pardonnez le côté quelque peu béotien de ma question, mais
combien de branches y a-t-il au total ?
M. Jean MARIMBERT
- La question est d'importance concernant le
chiffre en valeur absolue. Nous comptons dans nos classements 214 branches de
plus de 10.000 salariés. On ne répertorie pas les micro-branches.
Les branches qui pèsent sont celles comptant plus de
10.000 salariés. Je vous ai volontairement cité ce chiffre
du fait que la modulation est l'un des deux ou trois thèmes les plus
négociés.
Sur quinze ans, 112 accords sont intervenus concernant 75 branches. C'est donc
à la fois un nombre significatif qui n'est pas du tout
négligeable. Mais en même temps, ce n'est qu'un tiers des branches
de plus de 10.000 salariés, ce qui relativise bien son importance.
M. Paul GIROD
-
Deuxième question :
à part le travail posté lié à une installation
fixe, la notion de temps de travail, dans cette période d'expansion des
activités de services a-t-elle encore une signification
quelconque ? Je rentre d'Italie où je représentais M. le
Président René Monory à un colloque de droit
constitutionnel. La nouveauté du jour était moins le fait que les
juristes italiens sont plus capables que les juristes français de couper
les cheveux en quatre, notamment en 1997 sur un sujet aussi important que
l'élection du Président de la République au suffrage
universel, sujet intéressant s'il en est ! La grande nouvelle du
jour était que depuis quelques semaines, on avait constaté qu'en
Italie, il y avait moins de salariés que de travailleurs
indépendants exerçant leur activité à titre
personnel et individuel.
Je rapproche cela d'une information qui circule en ce moment sur le nombre de
contrôles en matière de temps d'emploi des cadres que,
paraît-il, on traque à la sortie des entreprises, et notamment des
banques. On regarde les fiches de pointage pour voir s'ils respectent ou non la
réglementation sur le temps de travail. Peut-on sérieusement
penser que compte tenu de l'évolution de notre société, et
en dehors du travail posté, la notion juridique de temps de travail
comporte encore une réalité ? Entre nous, beaucoup de candidats
aux concours des grandes écoles seraient-ils titulaires d'un poste
quelconque si on limitait leur travail hebdomadaire de préparation
à 35 heures ?
Autrement dit, quelle est la part de volontarisme de l'individu dans son temps
de travail dans une société souple comme celle qui s'ouvre devant
nous ? Ne sommes-nous pas en train de négocier ou de
légiférer sur du vent ? Excusez la brutalité de ma
question.
M. Jean MARIMBERT
- Monsieur le président, il est
certain qu'aujourd'hui il y a des débats théoriques autour de
l'actualité du temps de travail. Pour ma part, je pense que l'on ne peut
jeter aux oubliettes la notion du temps de travail. Vous avez
évoqué les travailleurs salariés en les opposant aux
travailleurs indépendants dont je rappelle qu'ils n'entrent pas dans le
champ du projet de loi. Cela dit, il y a encore près de 85 % de
salariés, et même s'il y a des situations intermédiaires
qui se développent c'est exact aux franges du salariat et du travail
indépendant, l'un des problèmes qui risque de se poser à
l'avenir n'est pas tant de considérer que les protections
accordées traditionnellement aux salariés seraient
désuètes mais de se demander s'il ne convient pas de
réfléchir à des modes de protection adéquats pour
ces travailleurs qui sont aux franges du salariat et du travail
indépendant, et qui souvent sont juridiquement indépendants mais
économiquement très subordonnés. Je me demande s'il ne
conviendrait pas de renverser l'approche.
Je soulignerai également qu'il n'y a pas nécessairement liaison
entre l'efficacité d'un travail et sa durée. Les cadres, y
compris ceux du public, ont été formés dans l'idée
que plus on est sur son lieu de travail, plus on en fait, plus on est
présent et plus méritant et meilleur on est. Ce n'est sans doute
pas aussi évident. Je suis très frappé quand je vais
à l'étranger, et que je rencontre des collègues, notamment
allemands ou nordiques, de constater qu'ils ont le teint frais. C'est une
boutade. Mais j'ai le sentiment que leur temps de présence sur leur lieu
de travail est bien moindre que le nôtre à responsabilités
équivalentes. Sont-ils pour autant plus inefficaces et moins à la
hauteur de leurs tâches que nous ?
En s'interrogeant sur l'organisation du travail et la façon dont on
travaille, on se rend compte parfois que l'on peut être aussi efficaces
et performants en étant moins présents et en travaillant moins
sur la durée. Je suis intimement persuadé de ce que je vous dis.
Cela n'implique pas pour autant que tout le monde doive être assujetti de
la même façon aux mêmes règles de la durée du
travail.
Vous avez fait allusion au problème particulier des cadres. Je rappelle
que d'ores et déjà dans la jurisprudence puisqu'à cet
égard, il n'y a pas grand chose dans la loi il est admis que les cadres
supérieurs sont en dehors du régime des heures
supplémentaires. En revanche, cette jurisprudence ne s'étend pas
à tout le personnel d'encadrement ou intermédiaire. Il faut faire
attention : sans nier l'existence de problèmes réels
d'application de la réglementation de la durée du travail
à des salariés intermédiaires et à des cadres non
supérieurs, il convient de se garder de l'idée qu'un cadre, parce
qu'il est cadre, devrait rester à l'écart du mouvement
général de réduction de la durée du travail. Ce ne
serait pas rendre un bon service aux entreprises de ce pays que de
perpétuer cette idée.
J'ajoute que si les contrôles auxquels vous faites allusion
contrôles d'initiative décentralisée ont eu lieu, c'est que
dans bon nombre de cas, les agents de contrôle ont été
appelés. Cela signifie que ce qui était supporté, admis,
bien toléré socialement par la communauté des
salariés intermédiaires en question pendant des années se
trouvent l'être beaucoup moins à l'heure actuelle. Il faut
s'interroger à ce propos.
Ces affaires montrent que la question des horaires des cadres mérite
d'être traitée avec beaucoup de sérénité et
avec le souci de trouver des solutions qui ne partent pas de l'hypothèse
que les cadres doivent travailler beaucoup plus que les autres et ne doivent
pas bénéficier de la réduction de la durée du
travail. Il est certain néanmoins que les formes de la réduction
du temps de travail pour le personnel d'encadrement ne sont pas
forcément les mêmes que pour l'ensemble des salariés.
Probablement, la réduction de la durée du travail sous forme de
jours de congé bloqués est certainement, pour les personnels
d'encadrement, plus adaptée que la réduction de la durée
du travail sous forme de réduction horaire hebdomadaire. C'est sans
doute une piste à explorer davantage.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Sur ce sujet, vous avez en quelque
sorte répondu à la question que je souhaitais vous poser, mais je
la pose quand même. Vous êtes directeur des relations du travail.
Les inspecteurs du travail ne sont pas sous votre autorité ; ils
sont indépendants. Cela dit, peut-être leur donnez-vous des
priorités de la même façon que le Garde des Sceaux donne
des priorités en matière criminelle et de politique
pénale. Leur avez-vous donné instruction pour qu'ils se rendent
attentifs aux horaires des cadres ? On nous signale de toutes parts que
les contrôles se multiplient. Est-ce parce que les cadres ont
alerté, de l'intérieur, les inspecteurs du travail pour qu'ils
viennent procéder à des contrôles, ou est-ce une
instruction émanant du ministère ?
M. Jean MARIMBERT
- A question précise, réponse
précise ! Sur cette question particulière des horaires des
cadres, il n'y a pas eu d'instruction générale donnée aux
services déconcentrés. Comme je le signalais tout à
l'heure, certaines initiatives décentralisées ont
été prises, souvent en réponse à un certain nombre
d'appels venant de l'intérieur même des entreprises.
En revanche, pour revenir à ce que vous disiez au début de votre
intervention, Monsieur le rapporteur, de manière générale,
si les inspecteurs du travail bénéficient des garanties
d'indépendance, notamment par les textes tels que les textes
internationaux (Convention de l'OIT), cela signifie que je ne suis pas
habilité à leur donner des instructions sur telle ou telle
affaire individuelle en exigeant ou non de verbaliser, de constater ou non tel
ou tel fait. Il résulte donc des textes que cela n'entre pas dans mes
pouvoirs.
En revanche le ministre, en tant qu'autorité centrale, dont je suis le
représentant, l'émanation, est parfaitement habilité
à donner des orientations de portée générale. Vous
preniez l'exemple du parquet tout à l'heure ou,
mutatis mutandis,
c'est assez comparable. Il est tout à fait normal que le ministre
donne des orientations de portée générale aux inspecteurs
du travail pour l'exercice de leurs attribution et leur demande d'être
plus attentifs à tel ou tel phénomène, notamment en
matière de durée du travail. Mais cela n'a pas été
le cas pour les horaires des cadres. Je suis formel : il n'y a pas eu de
consignes en cette matière.
M. Alain GOURNAC, président
-
Que peut-on dire de l'impact
du télétravail sur la durée du travail ?
M. Jean MARIMBERT
- La technique fait des miracles. Certains
systèmes télématiques permettent, le cas
échéant si on le souhaite, de réduire la durée de
travail des gens qui travaillent en liaison avec l'entreprise en utilisant leur
ordinateur mais chez eux. Il n'y a pas incompatibilité absolue entre
l'application d'un régime de durée du travail et la situation de
télétravailleurs. C'est plus complexe à contrôler
que lorsque l'ensemble des salariés d'une entreprise est sur un
même site géographique. C'est tout à fait indéniable
du point de vue du contrôle de l'effectivité. Mais il y a des
systèmes informatiques qui, si on s'en donne les moyens, permettent de
gérer les durées de travail.
Cela étant, je ne nie pas pour autant que le télétravail
nous confronte à des problèmes d'adaptation du droit du travail.
Ces problèmes sont réels. Je voudrais simplement les relativiser
sans pour autant les nier. Il y a quinze ou vingt ans, des rapports nous
annonçaient une explosion du télétravail,
déjà en 1979-1980. Or, cette explosion n'a pas eu lieu. Ne
serait-ce pas une Arlésienne ?
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Quand même ! Le
télétravail s'est développé au Maroc, en Inde. Avec
le télétravail, on est allé en temps réel là
où ce n'est pas cher, là où il n'y a pas de contraintes.
M. Alain GOURNAC, président
-
Où est le
centre de réservation de Lufthansa ?
M. Jean MARIMBERT
- Je vous laisse le soin de donner la
réponse.
M. Alain GOURNAC, président
-
A Karachi !
M. Jean MARIMBERT
- Quand je dis que cela n'a pas
été l'explosion, je veux parler de l'ensemble des pays
industrialisés. Le télétravail en Allemagne par exemple ne
s'est pas formidablement développé. Par contre, qu'il ait
été utilisé dans le cadre de stratégies de
délocalisation est tout à fait plausible.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Mais M. Marimbert quand vous faites
appel au télétravail, vous ne restez pas en France ! Vous
déménagez carrément les services.
Tout à l'heure, vous avez dit quelque chose d'inquiétant : vous
avez parlé des salariés qui sont protégés et de
ceux qui ne sont pas salariés et qui peuvent être dans une
situation un peu précaire malgré tout. Dois-je entendre par votre
observation que l'agriculteur qui est dans un processus d'intégration et
qui doit de l'argent au Crédit Agricole, qui est donc très
contraint, va devenir salarié du Crédit Agricole ? Dois-je
entendre qu'il faut rendre rigide ce qui ne l'est pas encore ?
M. Jean MARIMBERT
- Loin de moi l'idée de remettre en
cause le régime des travailleurs indépendants ou même du
travailleur agricole. Je faisais allusion à autre chose, à des
situations qui se développent dans la sphère de l'entreprise
traditionnelle et dans lesquelles des personnes qui, juridiquement, ne
remplissent pas les critères classiques, sont placées dans des
situations de dépendance économique vraiment fortes :
externalisation, sous-traitance. J'indique simplement que c'est une
problématique discutée depuis plusieurs années
déjà. Il faut parfois s'inquiéter du report de charge.
Quand on améliore les conditions de travail à certains endroits,
mais au prix d'un report des contraintes dans des conditions mal ou pas
réglées du tout vers des personnes, des groupes ou des petites
sociétés extérieures qui, elles, sont mises en situation
de ne pas pouvoir respecter les règles protectrices les plus
essentielles, j'estime qu'il y a là un vrai problème. C'est ce
à quoi je faisais allusion et pas à autre chose ; et
certainement pas à l'idée de transposer ou d'imposer ce
régime juridique aux agriculteurs indépendants.
M. Alain GOURNAC, président
-
Ne craignez-vous
pas qu'une loi sur les 35 heures appliquée à de petites
unités risque d'être extrêmement difficile à mettre
en oeuvre ? Ne craignez-vous pas que l'application en l'an 2000 de la loi
sur les 35 heures n'aboutisse à sauter des frontières et que l'on
aille directement travailler à Karachi, comme on l'a
évoqué tout à l'heure en parlant de la centrale de
réservation de la compagnie Lufthansa ?
M. Jean MARIMBERT
- Le projet de loi dont vous aurez à
débattre prévoit le cas des petites entreprises de moins de vingt
salariés.
M. Alain GOURNAC, président
-
Pour les petites
entreprises, une adaptation de cette ampleur, ce n'est pas rien ! Je sors
de mon rôle de président, mais nous sommes en train de
légiférer contre la vie !
M. Jean MARIMBERT
- Il y a ce premier argument que je combine
avec les mesures comme la nécessité absolue du
développement de l'aide au diagnostic pour les petites et moyennes
entreprises. Il est évident que les PME ont des barrières
particulières à franchir pour entrer dans une logique de
réorganisation. C'est réel.
Tout à l'heure, je voulais introduire une note d'optimisme
inspirée notamment par la loi de Robien, dont la surprise,
agréable, a été de voir à quel point ces petites
unités de moins de dix salariés, acceptaient d'entrer dans cette
démarche.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Quand vous prenez votre calculette
concernant la loi de Robien, les conditions sont telles
qu'économiquement vous y avez intérêt. J'ai répondu
à la question que M. Percheron a posée tout à
l'heure. Les gens font leurs comptes et s'aperçoivent qu'avec
l'exonération accordée sur sept ans et les obligations
imposées sur deux ans, c'est très tentant. Certaines entreprises,
certains salariés n'ont pas compris pourquoi ils étaient
écartés de ces mesures, et essayaient de rencontrer des
représentants de syndicats.
J'ai découvert récemment une convention collective. Mon conseil
général était à la veille de lancer des appels
d'offre pour les marchés de nettoiement. Or, les conventions collectives
précisent que celui qui reprend le marché s'engage à
reprendre tout le personnel. Ce type d'articulation pourrait-il concerner
d'autres activités ?
Mme Dinah DERYCKE
- Notamment dans la restauration collective.
M. Jean MARIMBERT
- Ce sont des conventions collectives. Je
peux aussi vous citer le secteur de la propreté qui a une clause de ce
type. La logique des partenaires sociaux a été de vouloir traiter
ce qui n'est pas dans le champ de l'article 122-12 du Code du travail. En
cas de transfert d'une entité sous forme de cession-reprise, il y a
reprise automatique des travailleurs. Cette loi n'est applicable que dans le
cadre d'un transfert. Il y a aussi certains cas où ces conditions ne
s'appliquent pas, par exemple
grosso modo
dans le cadre de prestations
de services pour lesquels il n'y a pas de matériel transmis. C'est le
cas de la propreté, et tant le patronat que les syndicats sont
très attachés à ces règles. Je n'ai pas
l'impression que le patronat de la propreté veuille dénoncer quoi
que ce soit en la matière.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- C'est extraordinaire. Le seul qui n'y
trouve pas son compte finalement est peut-être le client car il
s'aperçoit, quand il lance un appel d'offre, que cela ne sert à
rien puisque celui qui va se substituer reprend tout l'effectif. Cela peut lui
jouer de mauvais tours !
M. Alain GOURNAC, président
-
Il reprend tout
le mauvais personnel. Cela m'est arrivé.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- En effet, je ne suis pas du tout
étonné maintenant que le patronat et le syndicat des
salariés aient signé cette convention avec une belle
unanimité. On pourrait imaginer que cela s'applique à tous les
secteurs de la vie économique.
M. Alain GOURNAC, président
-
Tout cela
étant dit, je voudrais vous remercier, Monsieur le directeur, d'avoir
répondu à des questions qui, par essence étaient
quelquefois abruptes, et vous remercier d'avoir bien voulu contribuer à
cette opération d'enquête du Parlement.
II. SÉANCE DU MARDI 13 JANVIER 1998
A. AUDITION DE M. DANIEL GIRON, PRÉSIDENT DE L'UNION PROFESSIONNELLE ARTISANALE (UPA)
M. Alain GOURNAC, président - Mes chers
collègues, nous allons procéder à l'audition de M. Daniel
Giron, Président de l'Union Professionnelle Artisanale.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Daniel
Giron.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Merci, Monsieur le président. Nous
mesurons tout l'intérêt de l'audition qui va se réaliser
maintenant autour de l'appréciation que porte l'UPA sur la
réduction du temps de travail et les perspectives possibles en termes
d'emploi, nous serons très attentifs à cette audition.
Après une semaine de fonctionnement, une longue journée
d'audition la semaine dernière, les craintes que nous avions
exprimées, lors de la mise en place de cette commission d'enquête,
se confirment.
En effet, la forme que requiert cette commission d'enquête avec tout ce
qui l'entoure : dire rien que la vérité et toute la
vérité sur les 35 heures, sur un texte qui n'a pas encore
été étudié par les commissions permanentes
compétentes, me semble être une procédure totalement
inadaptée. Elle limite, discrédite le travail des parlementaires
qui seront appelés, dans des commissions, à étudier ce
texte des 35 heures.
Monsieur le président, si la situation n'était pas aussi grave et
s'il n'y avait pas ce climat malsain et suspicieux dont vous vous entourez, car
jurer (comme s'il s'agissait d'un acte délictueux) de dire toute la
vérité, rien que la vérité sous peine de sanctions,
ce serait risible. Le ridicule de cette situation nous afflige et ne nous
convient pas du tout.
M. Alain GOURNAC, président - C'est votre point de vue que je respecte,
ma chère collègue. Cette commission d'enquête a
été mise en place dans le respect du Sénat, il y a eu
vote. Le problème est tranché, si le Sénat n'avait pas
voté cette commission d'enquête, elle n'existerait pas.
Le Sénat a décidé que c'était une commission
d'enquête, donc la procédure est celle utilisée dans ce
cadre. Je confirme que les personnes qui répondent à nos
auditions viennent sous serment et doivent, même si cela vous gêne,
s'exprimer dans ce cadre et ce pour respecter la décision du
Sénat. Vous avez exprimé votre point de vue. Je ne le partage
pas.
Nous allons procéder à cette audition. Monsieur, pour que tout
soit clair entre nous, nous vous proposons de vous exprimer pendant dix
minutes, ensuite M. le Rapporteur vous posera des questions, vous pourrez
d'ailleurs y répondre immédiatement, puis nos collègues
interviendront. Je souhaiterais que tout cela se fasse en une heure.
Vous avez donc la parole.
M. Daniel GIRON - Merci, Monsieur le Président.
Monsieur le Président, Madame, Messieurs, je n'apprendrai rien à
cette commission en répétant ici, comme je l'ai fait dans
d'autres enceintes et lors de déclarations publiques, qu'au titre de
l'artisanat, puisque nous sommes la structure de droit privé qui
représente les entreprises du secteur des métiers, nous sommes
hostiles à la réduction autoritaire de la durée du temps
de travail.
C'est une déclaration facile à faire me direz-vous,
peut-être est-il souhaitable de dire pourquoi.
Nous considérons que l'entreprise artisanale a été
placée, dans le cadre de la conférence du 10 octobre, dans un
véritable ghetto. Le fait d'accorder à l'entreprise de moins de
20, la possibilité de ne rentrer dans la démarche des 35 heures
qu'à l'horizon 2002 a permis de sortir le secteur du
bénéfice des mesures accessoires.
Un exemple : une entreprise de cent salariés qui diminue de
10 % son temps de travail, qui augmente de six son personnel, va
bénéficier d'un apport financier de 956 000 F, soit
159 000 F par emploi créé.
Il nous paraît donc tout à fait normal qu'une entreprise
artisanale qui diminue son temps de travail de 10 % et crée un
emploi bénéficie des 159 000 francs, sinon nous
rentrons dans une distorsion de concurrence qui, sur des schémas
analogues, est insupportable.
Par ailleurs, si nous parlons de la réduction du temps de travail, un
ébéniste passe 800 heures pour réaliser une armoire
normande (je suis normand). Si le temps de travail est diminué, pour lui
et les salariés de haut niveau qu'il est obligé d'engager pour sa
production, cela augmente à due concurrence son coût. Pour un
ébéniste qui peut exporter, on diminue sa capacité de
concurrence sur le marché extérieur. C'est un
élément important.
Je prendrai le cas d'un boulanger qui emploie huit ou neuf salariés. Son
équipe est composée de trois boulangers, de trois
pâtissiers et de trois vendeuses. Comment peut-il créer des
emplois en diminuant de 10 % chacune de ses équipes ?
Créer un emploi ne lui est pas possible et ne lui apporte rien dans
l'articulation de son travail et de son organisation.
Je prendrai un schéma analogue pour un mécanicien automobile
tôlier. Il emploie deux peintres, trois tôliers, quatre
mécaniciens. La diminution du temps de travail ne lui permet pas,
même s'il le réduit de 10 %, de créer un emploi.
Dans les conditions d'exercice actuelles, la création d'emplois à
temps partiel est très difficile et implique des
" contraintes " très dures à supporter pour
l'entreprise artisanale.
C'est le problème majeur qui se pose à la petite entreprise dans
le cadre de son organisation de travail.
Si nous regardons les effets induits, ceux que nous commençons à
connaître et pouvons prévoir dans le cadre de l'organisation du
travail, que voyons-nous aujourd'hui ?
Des entreprises artisanales qui avaient des projets d'investissement et qui les
ont annulés. Nous constatons que les enveloppes de crédits
bonifiés destinées aux entreprises artisanales ne seront pas
consommées au titre de l'année 1997 eu égard au
décalage dans l'investissement, réflexe de beaucoup d'entreprises
artisanales.
Parmi les informations qui nous reviennent, nous sommes informés de
radiations d'entreprises du répertoire des métiers parce qu'elles
s'installent en Europe, celles qui sont proches de la frontière
espagnole s'installent en Espagne et d'autres, normandes, vont en Angleterre.
Observons maintenant les motifs des embauches. Quand une entreprise se
déplace en Angleterre pour embaucher du personnel anglais, elle
bénéficie du prix du carburant anglais, ce qui minore les frais
de transport des équipes qui viennent travailler en France. Est-ce une
solution pour créer de l'emploi ? J'avoue que je reste très
interrogatif.
Voilà les conséquences immédiates.
Nous devons aussi analyser celles qui résultent de l'apprentissage. La
loi sur l'apprentissage oblige des cycles de 400 heures/année dans
un centre de formation d'apprentis. Si nous réduisons la durée du
travail à 35 heures, si nous maintenons les 400 heures, c'est
normal si nous souhaitons avoir des personnes bien formées, nous
augmentons la durée des cycles hors entreprise, ce qui ne permet plus
aux chefs d'entreprise d'apprendre aux jeunes leur métier, comme il s'y
est engagé.
Cette analyse n'inclut pas les conséquences financières qui vont
avoir une répercussion sur les soutiens financiers nécessaires
aux centres de formation d'apprentis. En effet, quand le nombre de stages va
augmenter, dans les centres de formation d'apprentis il faudra plus de
professeurs mais aussi plus de salles. Donc, obligation de trouver les moyens
financiers pour investir dans le cadre des besoins pédagogiques nouveaux
qui vont s'exprimer.
Voilà, rapidement, les raisons pour lesquelles nous considérons
que, économiquement et financièrement, pour l'entreprise
artisanale, le passage à 35 heures est insupportable dans la
compétition, non pas hexagonale que nous avons connue à certaines
périodes, mais dans celle devenue mondialiste.
Tout le monde sait très bien que nous avons une quantité non
négligeable de chirurgiens-dentistes qui travaillent avec des
prothèses qui viennent d'Asie, au détriment des
prothésistes dentaires français. Les difficultés iront en
augmentant.
Nous avons fait également une analyse des pertes de revenus de
l'entreprise suite à la diminution de la durée du temps de
travail, au travers d'une moindre utilisation de ses investissements. Le temps
de travail étant plus court, la matière employée est
moindre, d'où diminution de la marge sur la matière
utilisée.
Je vous remettrai une analyse portant sur la modification de rentabilité
des entreprises, en fonction du nombre de salariés, des investissements,
des produits consommés qui montre bien que, dans un marché qui
peut être égal, la diminution du temps de travail fait baisser le
revenu net de l'entreprise.
Voilà, en premier lieu, ce que ressent le secteur des métiers
quant à la proposition de loi qui va venir en discussion.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie, je passe
immédiatement la parole à notre rapporteur qui a quelques
questions à vous poser.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Monsieur le président, nous nous sommes
constitués en commission d'enquête suite à la
décision prise par le gouvernement et nous voulons prendre les moyens
d'éclairer la réflexion du Sénat préalablement
à l'examen et à la discussion du projet de loi.
Nous sommes tout simplement dans notre mission, car l'emploi est au coeur de
nos préoccupations.
Nous savons bien que les potentialités les plus fortes de
créations d'emplois sont au sein des petites entreprises. Les
entreprises industrielles aujourd'hui, étaient, hier sans doute, des
entreprises artisanales.
Je voudrais d'abord vous demander, Monsieur le président, comment vous
avez été consulté, associé à la prise de
décision du Gouvernement, d'abord en préalable à la
Conférence de l'emploi du 10 octobre et, ensuite, à la
décision en Conseil des ministres.
Avez-vous pu faire valoir tous les arguments que vous venez d'exposer ?
Avez-vous reçu, en contrepartie, des apaisements ? Vous a-t-on
laissé entendre que, pour les petites entreprises, cela se passerait
peut-être autrement ?
Sur ces dispositions propres à toute négociation
préalable, sur la concertation entre le Gouvernement et les partenaires
sociaux, pouvez-vous nous donner les informations que vous avez recueillies
dans cette phase préalable ?
M. Daniel GIRON - Dans la phase préalable au 10 octobre, nous n'avons eu
que de l'information parcellaire et restreinte. Nous avons
bénéficié d'un rendez-vous chez Mme Martine Aubry la
semaine qui a précédé le 10 octobre. Là, nous
avons simplement été informés que vraisemblablement la
petite entreprise, de moins de 10 ou moins de 20, serait exclue du champ
d'application. Donc, il n'y avait pas d'horizon formel tel que celui
exprimé le 10 octobre.
A cette date, ayant déjà participé à d'autres
entretiens chez le Premier ministre avec les partenaires sociaux, j'ai
été très surpris de la discussion. Le matin, nous en
avions eu une très feutrée. Par ailleurs, nous avions
déjeuné avec le Premier ministre et les différents
responsables, déjeuner très convivial mais hors sujet ;
l'après-midi s'était passé dans la même ambiance.
Imaginez notre déconvenue, enfin pas totale car nous avions
déjà des informations qui montraient que la décision de M.
le Premier ministre était prise, lorsqu'à 17 heures 50
il a fait la déclaration que vous connaissez.
Depuis, une réunion technique s'est tenue chez Mme Martine Aubry avec
nos collaborateurs, mais nous sommes dans l'attente d'un entretien avec Mme le
Ministre. Nous avons fait pression avec nos amis agriculteurs et les
professions libérales, nous serons reçus, je l'espère, par
Mme Martine Aubry demain matin à 11 heures 30.
Notre dernière information nous laisse penser que peut-être
Mme le ministre ne pourra pas être présente compte tenu
d'un débat qui va avoir lieu devant l'Assemblée nationale. Elle
nous a fait savoir que, si elle avait du retard, nous serions reçus par
son Directeur de cabinet.
Avouez que, pour des secteurs tels que l'agriculture, les professions
libérales et nous-mêmes, qui au titre de la petite entreprise
représentons 47 % de l'emploi, c'est quand même un peu
" fort de café " que d'avoir autant de difficultés
à être reçus par un ministre de la République, cela
ne m'était jamais arrivé.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie. Monsieur le Rapporteur,
la réponse vous convient-elle ?
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Toutes les réponses me conviennent,
Monsieur le président.
M. Alain GOURNAC, présiden
t
- Avez-vous des questions
complémentaires à poser ?
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - J'aurais une autre question à poser
à M. le président Giron. Comment voit-il ces questions de
seuil ?
Si l'on pose un seuil à 10 ou à 20 pour des entreprises, n'est-ce
pas finalement un obstacle à la création d'emplois ?
Le problème se posera dans le texte qui viendra en discussion devant le
Parlement dans quelques jours, mais plus globalement quelle est votre
réflexion par rapport aux problèmes de seuil, puisqu'il en existe
de nombreux dans la législation française ?
M. Daniel GIRON - Nous sommes hostiles à tout principe de seuil et
demandeurs de la compétence préalable. Cela ne date pas
d'aujourd'hui. En effet, lorsque, sous une autre casquette, j'ai
présenté le Titre 2 de la loi sur l'Economie sociale concernant
la coopération en milieu artisanal, j'ai obtenu qu'au titre des
différentes composantes d'une coopérative, il y ait le droit de
suite jusqu'à 49 salariés, là on passe dans le cadre d'un
comité d'entreprise, et nous considérions que ce seuil ne pouvait
pas être franchi.
Dans les discussions que nous avons eues avec un précédent
Gouvernement, nous avons émis l'idée du droit de suite. En effet,
il crée une barrière susceptible de scléroser
l'entrepreneur dynamique qui, ne voulant pas sortir du secteur, va restreindre
sa capacité d'emploi pour ne pas aller dans d'autres dont
l'appréciation, pour lui, est différente.
Voilà la raison pour laquelle nous sommes hostiles au seuil. D'ailleurs,
dans nos discussions, nous le répétons toujours et nous demandons
que le critère recevable soit l'inscription au répertoire des
métiers avec un critère qualitatif.
Si nous comparons ce qui se fait dans d'autres pays, nous sommes les seuls
à avoir de tels seuils. Par ailleurs, un responsable comme moi a connu
les artisans fiscaux.
M. Arthuis sait bien ce que c'était. Vous comprendrez que nous ne
souhaitons pas connaître de nouveau les mêmes situations avec des
artisans qui, pour des raisons ou d'autres, ont des problèmes majeurs
dans l'expansion de la dynamique d'entreprise qu'ils pourraient créer.
M. Alain GOURNAC, président - D'autres questions ?
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Ne craignez-vous pas, Monsieur le
président, que, dans le secteur des petites entreprises, l'accroissement
de ces contraintes et la réduction du temps de travail hebdomadaire
n'ouvrent des voies à une économie parallèle,
clandestine ?
Enfin, si nous devons aller vers la réduction du temps de travail, ne
pensez-vous pas que, dans certaines entreprises, compte tenu de la
saisonnalité des activités, nous pourrions peut-être
admettre qu'il y ait une annualisation du temps de travail ?
Quelle est la position de l'UPA quant à cette idée
d'annualisation ?
M. Daniel GIRON - Monsieur le Sénateur, nous sommes convaincus
que, si nous passons à 35 heures, il y aura un développement
du travail noir. Nous étions hier soir en réunion du CLIDE, et
nous avons sorti un communiqué de presse qui paraîtra
vraisemblablement aujourd'hui, où tout le monde a reconnu, à
notre demande, qu'il fallait qu'il mentionne le problème du travail noir.
Quant à l'annualisation du temps de travail, nous en sommes demandeurs,
non pas entreprise par entreprise, mais dans le cadre des discussions de
branches, profession par profession.
Je ne vois pas comment une entreprise de deux salariés peut discuter
d'une annualisation avec les centrales syndicales ouvrières. En
revanche, nous avons déjà eu des pourparlers et nous sommes
d'accord pour que cette discussion ait lieu au travers des commissions qui
existent à l'intérieur des branches.
M. Alain GOURNAC, président - Merci. Je vais passer la parole à
notre collègue M. Badré.
M. Denis BADRÉ - Monsieur le président GIRON,
quelle est, pour l'UPA, la signification du temps de travail ? A partir du
moment où, dans vos entreprises, le travail se manifeste par sa
qualité et sa personnalisation, chacun étant responsable de sa
création, la notion de temps de travail peut-elle encore avoir un
sens ?
Deux autres questions incidentes : le fait de contrôler le temps de
travail dans une entreprise artisanale, à moyen ou long terme, a-t-il
une signification ?
Vous avez évoqué le problème de l'apprentissage,
souligné un certain nombre d'effets, pervers à votre sens, du
projet sur la montée en puissance de l'apprentissage auquel nous sommes
très attachés. Voyez-vous des possibilités d'adaptation
des procédures d'apprentissage pour se placer dans cette nouvelle
configuration et poursuivre leur développement dans ce nouveau
cadre ? Est-ce possible ou non ?
M. Alain GOURNAC, président - Merci, notre collègue,
M. Daniel Percheron, va poser sa question.
M. Daniel PERCHERON - Nous ne pouvions pas deviner que vous étiez
normand. Je vous remercie de votre franchise, ce n'est pas
" peut-être bien que oui, peut-être bien que non ", c'est
carrément non.
En tant que sénateur socialiste, il n'y a aucune surprise qu'en
période de gouvernement de gauche la radicalisation de certaines couches
sociales -et notamment de leur encadrement syndical ou politique, je pense
à l'agriculture et à sa puissante FNSEA et à votre
organisation- soit une donnée fondamentale et très
intéressante à étudier.
Je me suis penché sur vos prises de position en tant qu'organisation,
une seule a reçu, je ne vois pas comment vous auriez pu l'éviter,
un accord : c'était en 1982, le statut du conjoint. J'espère
que vous ne souhaitez pas le supprimer.
A partir de là, je voudrais vous poser quelques questions. Les
catastrophes que vous annoncez, qu'elles aient été
masquées ou non au cours d'un dîner convivial avec le Premier
ministre, se sont-elles partiellement produites lorsque nous sommes
passés de 40 à 39 heures, par exemple ?
Lors des gouvernement de gauche, avez-vous eu le sentiment que le nombre
d'artisans avait augmenté ou diminué ? Je connais la
réponse, mais je voudrais savoir si vous avez confronté vos
craintes à cette expérience.
Enfin, pouvez-vous vraiment préciser votre position et nous dire si,
à partir de votre hostilité de principe exprimée ici dans
le cadre de cette commission d'enquête -en nous disant toute la
vérité et donc en échappant à toutes les sanctions
possibles- vous préférez finalement être compris
directement dans l'éventuelle loi des 35 heures, dès
maintenant, avec ses compensations, ses incertitudes et ses contraintes ?
Souhaitez-vous que les PME et les artisans soient dans ce carcan qui vous fait
tellement peur ? Ou bien le délai, vous avez parlé de
distorsions, de concurrence, vous semble-t-il de nature à
véritablement aggraver la situation ?
Un dernier mot à propos de votre funeste sort commun avec l'agriculture
française. Je vous souhaite un jour... un seul jour,
Monsieur le président, en tant qu'artisan, d'avoir des
artisans qui bénéficient (à travers une politique
européenne et mondiale volontariste) de la possibilité de vendre
leurs produits en quantité parfois illimitée à prix
garantis. Ce serait une révolution extraordinaire pour l'artisanat
français.
Je pense qu'à l'heure actuelle cette communauté de
"détresse" ne peut être évoquée sans prendre de
véritables précautions.
Je vous remercie, encore une fois, pour votre franchise et vous demande
d'accepter la mienne.
M. Alain GOURNAC, président - Merci.
M. André JOURDAIN. - Avec ce que je viens d'entendre, ce n'est pas une
question, c'est une affirmation.
Monsieur le président Giron, j'ai retrouvé dans
vos propos ce que j'entends quotidiennement dans mon département du Jura
de la part des artisans qui craignent énormément les effets de
cette funeste loi sur les 35 heures.
Vous avez dit en préambule, et c'est ce qui est important, que vous
étiez hostile à la réduction autoritaire.
M. Daniel GIRON - Bien sûr. C'est le mot : autoritaire qui nous
gêne.
M. André JOURDAIN - Ce mot "autoritaire" est important. Que les
entreprises le fassent par elles-mêmes si elles le peuvent, tout le monde
serait d'accord, mais que l'on prenne une mesure autoritaire, c'est là,
la gravité de cette loi.
Une question annexe par rapport à celles qui ont été
posées. Vous n'avez pas évoqué le problème du temps
partiel. Je sais qu'il est pratiqué très souvent dans les
entreprises artisanales, par exemple une secrétaire utilisée
à mi-temps. Or, il y a dans ce texte un durcissement à
l'égard du temps partiel qui va, me semble-t-il, pénaliser le
développement de vos petites entreprises.
Partagez-vous mon sentiment sur ce sujet ?
M. Alain GOURNAC, président - Merci chers collègues.
D'autres collègues souhaitent-ils s'exprimer ?
M. Franck SÉRUSCLAT - Je voudrais intervenir sur les mots qui viennent
d'être employés, ce n'est pas une décision
" autoritaire ", c'est une décision
" législative ".
Le Parlement est-il considéré comme
" autoritaire " ? Il y aurait des décrets, oui, mais ce
n'est pas autoritaire. Je passe mon temps, peut-être à tort,
à essayer de réagir quand on emploie des mots faux, comme
" embryon " pour " zygote " et bien
d'autres,
" éthique " pour " morale ", etc.
Ainsi, on finit
peu à peu par tordre sa pensée. Là, je pense que nous
n'avons pas le droit d'employer le mot " autoritaire ".
C'est une décision législative qui se prendra ou pas. Il y aura
des votes, des débats en assemblée. C'est tout
Monsieur le président.
M. Alain GOURNAC, président - Merci. Je souhaiterais vous poser une
question. Monsieur le président, vous qui avez l'habitude des
négociations salariales, pouvez-vous nous dire si c'est une aspiration
des salariés ? Avant que l'on ne parle de cette réduction de
travail à 35 heures, était-ce une revendication, une
priorité des salariés dans votre domaine ?
Voulez-vous maintenant répondre à chacun ?
M. Daniel GIRON - Je répondrai d'abord à M. Badré.
Il est bien entendu que le temps de travail, pour l'artisan lui-même, est
une notion totalement ignorée. Pour lui, ce qui compte c'est que sa
production soit la plus importante afin que son revenu et celui de sa famille
correspondent, à la fin de l'année, à quelque chose de
cohérent au regard du risque qu'il a pris et des investissements qu'il a
réalisés.
En revanche, pour ses salariés il est tenu au respect de la
législation du travail. Vous m'avez posé une question, nous
souhaitons que l'entité artisanale perdure. Puisque l'Euro va se mettre
en place demain, nous voyons très bien, au titre de l'économie et
de l'aménagement du territoire, ce qui a été
réalisé dans un pays comme l'Allemagne où l'artisanat
bénéficie d'une structuration depuis 1953.
Je connais les problèmes que la réunification a posés.
Néanmoins, avant cela, l'Allemagne de l'Ouest était dans
l'aménagement du territoire et dans la dynamique économique -je
pourrais même vous raconter quelques anecdotes sur ce sujet- qui
montraient bien qu'il y avait, en créant cette entité, et en ne
la mettant pas dans un ghetto de seuil, une dynamique économique
très importante.
Enfin, l'apprentissage, je suis inquiet des répercussions que cela peut
entraîner. L'entrepreneur artisanal, lorsqu'il engage un apprenti, sait
quel est l'engagement qu'il prend pour le former, mais également quel en
est le coût par rapport à une formation de temps plein. Il va
être obligé d'analyser la répercussion du temps de travail
en matière de rentabilité de l'entreprise.
Je ne veux pas faire de supputations préalables, je dis simplement,
comme je l'ai dit en préambule, qu'il y a dans la prévision une
interpellation forte sur la répercussion que cela peut avoir.
M. Percheron a dit que nous étions entrés dans une
radicalisation. Il y a un ministre autour de la table qui, je crois, n'est pas
socialiste et qui m'a connu dans la même fonction sur d'autres sujets. Il
sait que, lorsque je défendais les intérêts du secteur que
j'avais en charge, ce n'était pas un souci de radicalisation, mais de
promotion du secteur qui m'animait.
Vous avez le droit, en tant que politique, d'avoir votre propre vocabulaire.
M. Daniel PERCHERON
- J'ai le devoir de dire ce que je pense.
M. Daniel GIRON - Vous comprendrez que je ne le perçoive pas comme tel.
Si vous faites allusion à ce que nous avions reconnu comme bon,
c'est-à-dire le statut du conjoint, vous oubliez que, dans mon propos
tout à l'heure, j'ai reconnu que la loi sur l'Economie sociale et la
coopération artisanale étaient à porter à l'actif
du gouvernement en place lorsque cette loi a été votée. Je
ne crois pas que vous puissiez me reprocher un manque d'objectivité
quant à notre analyse de la répercussion d'une telle loi.
Je n'ai pas dit que c'était une catastrophe, c'est le mot que vous avez
utilisé, je ne crois pas l'avoir employé. Donc, la
radicalisation, selon le vocabulaire utilisé, peut être
également à la charge de celui qui provoque.
Vous avez dit qu'il n'y avait pas eu de répercussion sur les
39 heures payées 40. L'incidence est déjà moins
grande, je n'ai pas de chiffres qui me permettent de l'affirmer ou de
l'infirmer.
M. Daniel PERCHERON
- Le commerce et l'artisanat ont créé
plus d'emplois en 1982 et 1983.
M. Daniel GIRON - Quand l'artisanat crée des emplois, c'est exactement
comme l'entreprise industrielle qui va venir s'implanter. Elle ne va pas
recruter à 39 heures, mais à 35 heures.
Les entreprises, qui ont créé des emplois lorsque la durée
du temps de travail est passée de 40 à 39 heures, ont
recruté à 39 heures.
C'est vrai, je vous remercie de l'avoir signalé, nous sommes le secteur
qui a créé le plus d'emplois au cours de ces dix dernières
années.
M. Daniel PERCHERON - Et, même au moment des tourmentes industrielles,
même après le socle du changement de 1981, vous avez
continué à créer des emplois dans le commerce et
l'artisanat.
M. Alain GOURNAC, président - Mes chers collègues, puis-je vous
demander de bien vouloir laisser le président répondre, c'est la
règle du jeu. M. le président s'exprime à la
suite de votre question.
M. Daniel GIRON - Il est vrai que nous avons créé des emplois,
mais dans les périodes préalables nous en avions
créé aussi. Depuis 1974, nous créons potentiellement des
emplois.
Avant, nous en avons certainement créé, mais l'analyse que nous
avions et la structuration du secteur n'étaient pas ce qu'elles sont
aujourd'hui et nous n'avons pas la possibilité de sortir les chiffres
avant 1974.
Avant la crise de 1974, nous étions considérés comme un
secteur social, résurgence de l'industrialisation. Après cette
date, comme nous avons continué à créer des emplois,
à investir et à aménager le territoire, nous avons
été considérés comme un secteur économique
à part entière.
Nous nous réjouissons de cette prise de conscience et de l'analyse fine
disant que nous créons des emplois, car le problème de l'emploi
fait partie de la conscience de chacun au travers de ce qu'il voit autour de
lui.
En revanche, je ne partage pas votre avis, il n'y a pas augmentation du nombre
d'artisans, mais une légère diminution des inscrits au
répertoire des métiers. Pourquoi ? Je m'en réjouis
aussi, nous avons moins de travailleurs indépendants,
c'est-à-dire d'artisans qui travaillent seuls et plus d'entrepreneurs
artisans.
La dynamique de l'emploi passera par l'entreprise et non pas par le travailleur
indépendant qui veut rester seul. C'est cette dynamique que nous
souhaitons voir préservée et renforcée.
Il est vrai que nous sommes hostiles à ce projet de loi parce qu'il
introduit une mesure autoritaire de réduction du temps de travail. Nous
sommes prêts à négocier dans le cadre des branches, mais
nous sommes hostiles à l'obligation qui résulte d'une loi. Je
laisse aux législateurs les pouvoirs qui sont les leurs.
Nous avons le droit de les avertir que nous sommes hostiles. Je ne crois pas
être sorti de ce raisonnement en le disant et en donnant les motifs de
cette hostilité.
Dans mon introduction, j'ai bien dit, en prenant l'exemple du boulanger et du
mécanicien, que nous avions quelques craintes sur le temps partiel. En
effet, les dispositions contenues dans la loi nous donnent à penser que
l'utilisation du temps partiel sera plus difficile avec cette loi.
Nous espérons nous tromper, peut-être les amendements
présentés modifieront-ils le projet de loi et feront-ils que la
loi nous permette un peu plus de souplesse entre son vote définitif et
le projet qui nous est présenté. Voilà peut-être une
des raisons pour lesquelles je suis heureux de m'exprimer devant vous.
M. le sénateur Sérusclat a dit que ce n'était pas une loi
autoritaire. Je ne rentrerai pas dans ce débat car j'ai noté
qu'il y avait un envoi de balles de chaque côté de la table.
Monsieur le président, quant à votre question concernant
l'aspiration du salarié à créer des entreprises
artisanales, nous notons aujourd'hui une diminution du nombre d'inscrits au
répertoire des métiers. Nous n'arrivons pas à renouveler
suffisamment les départs à la retraite par de nouveaux
entrepreneurs.
Nous sommes très engagés dans l'apprentissage et lorsque nous
étudions les cursus, nous notons que 66 % des inscrits au
répertoire des métiers viennent de l'apprentissage. C'est donc
que l'esprit d'entreprise se communique mieux par voie d'apprentissage que par
le temps plein.
Ce sont les chiffres, c'est un constat. Je ne veux pas créer
d'hostilité à ce niveau. Pour nous, c'est aussi
préoccupant. Nous craignons que les dispositions prises, qui
entraînent plus de contraintes, n'amènent ceux qui pouvaient
être porteurs d'un projet à y renoncer.
M. Daniel PERCHERON - Monsieur le président, je vous remercie de vos
derniers propos, mais je voudrais revenir à ma dernière question.
Avez-vous mené auparavant une négociation portant sur
l'aspiration à baisser le temps de travail ?
M. Daniel GIRON - Oui. Une centrale syndicale ouvrière, la CFDT, depuis
de nombreuses années, dans nos discussions, avait inclus dans son plan
de partenariat la diminution du temps de travail.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Si vous permettez, Monsieur
le président, une dernière question.
M. Daniel GIRON nous a dit qu'il avait une préférence pour une
éventuelle réduction du temps de travail, mais dans le cadre de
l'annualisation et à condition qu'il y ait négociation par
branche.
M. Daniel GIRON - Et utilisation de temps partiel pour compenser.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - J'entends bien. Pouvez-vous nous dire, combien
l'UPA a-t-elle signé de conventions, d'accord de branches, ces
dernières années ?
S'il y a eu des accords, combien, à un titre ou un autre, ont-ils
porté sur la réduction du temps de travail ou le temps
partiel ?
M. Daniel GIRON - Je ne peux pas apporter de réponse précise, si
vous permettez nous vous ferons une note. J'ai prêté serment,
Monsieur.
M. Alain GOURNAC, président - Monsieur le président,
vous aurez toute possibilité de nous transmettre une réponse
écrite.
Mes chers collègues, avez-vous d'autres questions à poser ?
M. Daniel PERCHERON - Je reviens sur la dernière question qui a
été oubliée. Votre préférence, dans le
malheur global, va-t-elle à une intégration immédiate de
votre secteur, dans la contrainte, mais aussi dans la compensation
financière ?
M. Daniel GIRON - Bien sûr. Mais avec une compensation adaptée
à l'entreprise artisanale. Si demain il est dit que l'entreprise
artisanale qui a trois salariés et va créer un emploi puisqu'elle
se développe, bénéficie de 159 000 francs pour
cette création, il est bien entendu que nous serons d'accord, même
si cela intervient à partir de l'an 2000.
M. Daniel PERCHERON - C'est important car il y a un consensus, presque un
cliché, sur le fait que les petites et moyennes entreprises de moins de
10 ou de 20, voire de 50, ne peuvent immédiatement être
concernées.
A la lecture de la presse de vulgarisation et spécialisée, nous
trouvons ce consensus. Or, vous nous dites exactement le contraire,
c'est-à-dire que vous préférez être tout de suite
dans la mécanique contraignante des 35 heures, mais avec tous les
avantages.
M. Daniel GIRON - Avec toute la négociation qui en découle.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Si nous avançons dans cette voie, comment
allez-vous créer de l'emploi lorsque vous avez des effectifs de deux ou
trois personnes ?
Je comprends bien que vous puissiez réduire la durée du temps de
travail, mais quelle va être la contrepartie en termes de création
d'emplois ?
M. Daniel GIRON - Je n'ai pas dit qu'il y aurait contrepartie complète.
Mais pour une entreprise qui passe de trois à quatre salariés, si
elle réduit à 35 heures et qu'elle reçoive les
159 000 F donnés à l'entreprise de 100 salariés,
il est bien entendu que cela l'aidera à atteindre le palier
nécessaire à la dynamique de l'entreprise pour amortir ce
quatrième emploi.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Il me semble que ce que vous décrivez,
Monsieur le président, va à l'encontre du tableau que
vous avez dressé dans le cadre de la réduction du temps de
travail à 35 heures, en disant : pour les petites entreprises, il y
aura diminution de la production probable, dans la mesure où il y aura
sous utilisation des équipements.
Donc, passer de trois à quatre salariés, dans le tableau que vous
êtes en train de dresser, me paraît difficile.
M. Daniel GIRON - Je n'ai pas dit que c'était facile. Je dis que des
entreprises pourraient, si elles bénéficiaient de la
compensation, satisfaire à l'exigence du palier pendant lequel elles
sont amenées à recruter.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Nous sommes sur un point crucial.
M. Alain GOURNAC, président - Très important.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - J'ai compris le raisonnement du
président GIRON. Il dit : une entreprise de 100
salariés créé six emplois, cela fait cent six fois
9.000 F, soit 954.000 F, 159.000 F par emploi nouveau. Si nous
passons de trois à quatre salariés, nous devons percevoir
159.000 F.
Pardonnez-moi, mais si cela consiste à faire prendre en charge le
salaire du quatrième salarié, je voudrais savoir où nous
allons. Je ne vois pas comment les finances publiques résisteraient
à ce type d'opération.
M. Daniel GIRON - Ce n'est plus mon problème. Je souhaite simplement que
nous soyons traités à égalité par rapport à
d'autres.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Ce n'est quand même pas tout à fait
la même chose.
Si l'on dote l'entreprise de la somme de 9.000 F par emploi et s'il y en a 106,
cela fait 954.000 F, d'accord, mais ce n'est pas pour autant qu'ayant trois
emplois et en créant un quatrième vous allez faire payer
l'intégralité du salaire et les charges sociales du
quatrième par la puissance publique.
Vous faites exploser les finances publiques avec un tel dispositif.
M. Daniel GIRON - Je suis d'accord, mais pourquoi est-ce accordé aux uns
et pas aux autres ?
M. Daniel PERCHERON
.
- L'argument est fort, il sera compris des artisans.
M. Daniel GIRON - D'ailleurs, Monsieur le Ministre, lorsqu'on regarde la
directive sur la concurrence, je me demande si nous n'aurons pas à faire
un recours si de telles dispositions étaient prises.
M. Alain GOURNAC, président - Oui, au niveau égalité de
concurrence.
M. Daniel GIRON - Je suis tout à fait d'accord pour admettre que ma
référence à 100 salariés est ambitieuse, mais
c'est un critère comme un autre. Je ne vois pas pourquoi je ne prendrais
pas celui-là puisqu'il est significatif des anomalies qui
résultent des mesures d'encadrement.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Je crois, Monsieur le président que
vous n'aurez pas à faire ce recours. En effet, il n'est dit nulle part
dans le texte de loi que les petites entreprises, notamment artisanales, seront
exclues du dispositif. Il ne deviendra contraignant qu'à terme.
Une petite entreprise qui, immédiatement, réduit son temps de
travail et embauche, bénéficie, au même titre qu'une grosse
ou moyenne entreprise, de l'avantage non pas de 9.000 F sur cinq ou sept ans,
mais autour d'une moyenne de 6.000 F. C'est 9.000 F la première
année, ensuite c'est dégressif.
Vous n'aurez pas à faire ce recours parce que, négociant dans le
cadre de cette loi et vous pouvez le faire, vous avez, bien entendu, les
mêmes attendus, avantages et contraintes.
M. Daniel GIRON - Madame le Sénateur, je suis d'accord, mais les
contraintes ne s'appliquent pas de la même façon. C'est la raison
pour laquelle je prenais, pour bien montrer toute la difficulté qui en
résultait, la comparaison entre l'entreprise qui a trois
salariés, qui va diminuer son temps de travail et créer un emploi
partiel, et l'entreprise de 100 salariés dans les mécanismes qui
sont prévus.
C'est vrai que nous y avons droit, mais nous ne pouvons pas y accéder.
C'est la nuance.
Nous ne pouvons pas y accéder car une entreprise qui a trois
salariés et qui diminue de 10 % son temps de travail, cela
représente 12 heures/semaine, ce qui n'est pas un emploi, ni
même un emploi partiel.
Si elle crée un emploi supplémentaire, elle fait un effort encore
beaucoup plus grand que d'autres, voilà pourquoi nous maintenons que,
son effort étant plus important, elle devrait encore
bénéficier d'une aide compensatrice plus importante. Dans la loi
telle que prévue, il n'y a pas l'adaptation à la petite
entreprise.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Non pas encore, effectivement.
M. Daniel GIRON - Merci, des amendements pourront être
présentés si le budget de l'Etat... c'est un autre
problème.
M. Alain GOURNAC, président - Vous vous êtes exprimé, vous
avez donné votre point de vue et nous vous remercions.
Nous passons à l'audition suivante.
B. AUDITION DE M. CLAUDE COMPANIE, DÉLÉGUÉ AU DÉPARTEMENT EMPLOI DE LA CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DE L'ENCADREMENT (CFE-CGC), ACCOMPAGNÉ D'UNE DE SES COLLABORATRICES, MLLE LAURENCE MATTHYS, CONSEILLER TECHNIQUE
Le président rappelle le protocole de
publicité des travaux de la commission d'enquête et fait
prêter serment à M. Claude Companie et à
Mlle Laurence Matthys.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie. Voici
l'organisation que nous observons : vous avez dix minutes pour vous
exprimer sur le sujet, ensuite M. le Rapporteur aura quelques
questions à vous poser et nous donnerons la parole à l'ensemble
nos collègues, ici présents, qui poseront des questions.
Si vous êtes d'accord, nous vous écoutons.
M. Claude COMPANIE - D'accord sur la méthodologie. Nous vous avons
envoyé le texte de notre audition à l'Assemblée nationale.
C'est un élément de base et nous élargirons le sujet
après, mais notre démarche consiste d'abord à rappeler le
contexte et à examiner ce projet de loi, article par article.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous arrête tout de suite. Nous
ne pas dans l'étude de la loi. Cette commission d'enquête a
été créée pour traiter des conséquence de
cette décision, pas pour examiner le projet de loi. Je rappelle que
cette décision est un fait puisque le Gouvernement a déjà
décidé d'inscrire des crédits pour mettre en oeuvre sa
décision. Je rappelle également que vous n'êtes pas devant
la Commission des Affaires sociales, mais devant la commission d'enquête.
Nous nous intéressons beaucoup plus aux conséquences de cette loi
et à votre façon de voir la situation et votre réaction
face à cette décision.
M. Claude COMPANIE - Je suis entièrement d'accord sur la
méthodologie. Nous avons quand même des positions très
importantes quant au mandatement et autres sur le contexte de la loi.
Concernant notre organisation, le problème est l'article premier, les
32-35 heures. La réduction du temps de travail est-elle une arme
anti-chômage ? Le grand problème pour nous est l'emploi.
Nous devons résoudre le problème de l'abus des heures
supplémentaires, elles sont condamnables et freinent l'embauche et
constituent, pour le personnel de l'encadrement, des conditions de travail
inacceptables.
Pour l'élargissement du contexte, je vous ai apporté une lettre
de demande d'application de cette loi des 35 heures à l'Union des
Industries chimiques. Pour le moment, la réponse est négative car
nous demandons, bien sûr, l'application de ces 35 heures avec, comme
condition préalable, l'embauche.
Notre programme est l'emploi et non la réduction du temps de travail.
Nous, responsables de l'encadrement, disons qu'il ne peut y avoir de
réduction, de réaménagement du temps de travail, que ce
soit 32 ou 35 heures si le problème de l'emploi n'est pas
réglé.
Il faut donc, au préalable, régler définitivement le
problème des heures supplémentaires. Toute réduction du
temps de travail doit s'accompagner d'embauches correspondantes. En outre, dans
l'organisation de la RTT, c'est important, nous sommes pour l'annualisation.
N'oublions pas, et vous le verrez dans notre audition à
l'Assemblée nationale, que nous sommes signataires de l'accord du
31 octobre sur l'annualisation qui implique la réduction du temps
de travail.
Nous sommes pour une organisation de la RTT au niveau de l'année et
pourquoi pas au niveau de la carrière.
Pour nous, le projet d'amélioration de l'emploi perdrait toute sa
consistance si les 35 heures n'étaient pas associées
à des mesures drastiques, j'insiste bien, concernant les licenciements
et les plans sociaux. C'est la défense primaire de l'emploi.
Les 35 heures ne doivent pas dispenser les entreprises de pratiquer une
politique salariale plus dynamique que celle que nous connaissons aujourd'hui.
Il faut, par un moyen ou par un autre, dissuader les employeurs de nous faire
payer la RTT Celle-ci doit être négociée au niveau
interprofessionnel, dans l'articulation des branches et enfin dans les
entreprises.
Les retombées que nous avons des entreprises sont susceptibles
d'intéresser votre commission d'enquête. Elles montrent que nous
sommes dans la négociation annuelle obligatoire.
Les entreprises, peut-être pour la première fois de façon
importante, ne vont pas faire la déconnexion entre la négociation
sur les salaires effectifs et l'organisation de la durée du travail. Il
n'y a pas actuellement de possibilité de faire autrement que de
négocier la réduction du temps de travail et les salaires.
Je vous ai apporté quelques accords, à part la négociation
de branche au niveau de l'UIC, que nous avons signés notamment au
Crédit Mutuel de l'Ouest et chez Roussel-Uclaf.
Par ailleurs, le point du mandatement est très important. Nous avons
travaillé comme les autres, nous sommes signataires de la
deuxième partie de l'accord du 31 octobre 1995, corroboré
par la loi du 12 novembre. C'est un problème important en ce qui
concerne les 35 heures.
Il faudrait, pour essayer de bien fixer le débat, d'examiner aussi ce
qui s'est passé dans la loi de Robien. Nous ne voudrions pas retomber
dans certains errements de cette loi. Par exemple, pour ce qui a trait au
mandatement, nous préférons rester dans le cadre de la loi du 12
novembre, et j'insiste sur ce point important pour nous. Nous avons
proposé à la commission sociale de l'Assemblée nationale
de prolonger d'une année la période d'expérimentation.
La date du bilan des négociations de branches serait ainsi
reportée d'octobre 1998 à octobre 1999. Cette proposition
d'expérimentation est un point important. Cette solution aurait, pour
nous, le mérite de mettre des garde-fous indispensables à une
négociation sur la RTT
Par ailleurs, sans rentrer dans un problème technique, ce n'est pas
l'objectif aujourd'hui, le projet de loi prévoit d'informer le COFEF des
accords conclus. Nous avons toujours tenu compte des CODEF, des COREF, de tout
ce qui se passe au niveau régional et départemental pour un
mandatement, pour une simple diffusion, sans vouloir minimiser le travail de
ces instances qui ne sont certainement pas les plus à même
d'opérer une veille efficace.
M. Alain GOURNAC, président - Je passe maintenant la parole à
notre rapporteur.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Je remercie M. Claude Companie pour la
déclaration qu'il vient de faire. J'ai bien noté que sa
première préoccupation était la création d'emplois.
Parmi les préconisations qui sont souvent faites, notamment par les
économistes, il en est qui visent le gel et même un ajustement des
salaires pour tenir compte du passage des 39 heures à 35 heures.
Jusqu'où estimez-vous pouvoir aller dans la réponse à
cette recommandation, qui, si elle n'est pas mise en oeuvre, peut faire
craindre que l'espérance de création d'emplois ne soit
déçue et qu'en définitive cette opération ne
remplisse pas son objectif ?
Êtes-vous prêt à signer des accords visant à
l'annualisation et dans quelles conditions ? Cela implique-t-il que la loi
en fasse explicitement mention ?
Ne redoutez-vous pas qu'une réduction du temps de travail, avec ce
qu'elle peut avoir de restriction sur les salaires, sur la durée du
temps de travail comme sur la durée de vie professionnelle, ne mette en
difficulté l'équilibre financier des organismes de retraites, y
compris des retraites complémentaires ?
Quelle est votre estimation du nombre d'entreprises qui vous semblent
prêtes à entrer dans cette logique et votre évaluation du
nombre de cadres qui pourraient en bénéficier ? Enfin, je
voudrais que vous nous fassiez part de votre réflexion sur la notion de
temps de travail pour les cadres.
Un cadre est-il pris dans les mêmes contraintes d'horaires que les autres
collaborateurs ? Quelle est votre réflexion à ce sujet ?
Il nous a été signalé qu'il y aurait une recrudescence des
contrôles opérés par les inspecteurs du travail
auprès des membres d'encadrement d'un certain nombre d'entreprises.
Quel est le sentiment de votre Confédération sur le temps de
travail et les cadres ?
M. Claude COMPANIE - Je vais répondre en tant que politique de mon
organisation.
Vous nous avez demandé des documents, les confédérations
écrivent beaucoup. Pour alimenter notre réflexion, nous avons
établi un document qui s'intitule : " réorganiser la
vie professionnelle qu'est le temps de travail pour l'encadrement ".
Nous avons la notion d'encadrement, des cadres et des encadrants, ce n'est pas
du tout la même chose, il faut faire la différence entre un cadre
expert et un autre cadre.
Le temps passé sur le temps de travail n'est pas un critère de
productivité. Dans nos réflexions, nous essayons d'examiner ce
qu'est le travail de cette population et la réorganisation
nécessaire. Les dirigeants d'entreprise sont souvent critiqués.
Nous disons, moi le premier, que les entreprises et les responsables de
ressources humaines ont toutes les possibilités et tous les
éléments. Ils ont par exemple l'analyse de la valeur de
l'encadrement, le portefeuille des compétences, etc. Tous ces
éléments ne sont pas mis en exergue dans la gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences.
L'INSEE a les meilleurs éléments, en la matière.
Pour nous, le premier accord signé par la CFE-CGC et d'autres, chez
Thomson, Radar, sur le temps de travail allait dans le bon sens. La presse en a
reparlé, il y a eu une intervention très importante de
l'inspection du travail. Au départ, l'horaire hebdomadaire moyen des
ingénieurs et cadres a été négocié et ne
devait pas dépasser 43 heures.
Pour lutter contre cette clause de dérive, il a été aussi
question de revoir la pyramide des âges. L'approche du temps de travail
est différente selon les générations. Nous avons tous des
enfants et des petits-enfants. La proportion de femmes dans la population
active est importante. Les femmes représentent 53 % de la
population totale et 44,7 % de la population active.
Une note anecdotique : dans mon milieu familial, je note que la
réaction de mes enfants et de mes petits-enfants vis-à-vis de
leur conjoint n'est pas du tout la même.
Il ne faut pas oublier que, pour les 35 heures, l'application ne sera pas
la même selon qu'il s'agit d'une grande ou d'une petite
agglomération. En agglomération parisienne, le temps de transport
peut atteindre trois heures, ce ne sera pas du tout la même chose.
Pour en revenir à l'accord de Thomson, c'était une bonne
solution. Depuis lors, il y a eu à nouveau l'inspection du travail. Pour
répondre à votre question, je disais, à cette
époque et c'est toujours valable que, pour sortir du piège
actuel, c'est-à-dire de l'intervention médiatisée de 1996
et 1997 des inspecteurs du travail, les entreprises avaient la solution de
négocier l'annualisation du temps de travail.
L'annualisation était une des conditions
sine qua non
de notre
signature de l'accord du 31 octobre qui n'a pas eu une forte application
dans les branches et dans les entreprises.
Ces décisions de faire ou non appel à l'annualisation vont
obliger les entreprises à repenser en profondeur leur organisation. La
loi de Robien avait au moins cet avantage. Au début, nous étions
un peu frileux quant à cette loi, après nous avons signé
12 à 15 % des accords dits offensifs, qui avaient au moins
l'avantage de revoir l'organisation du travail.
Je reviens toujours à cet accord du 31 octobre qui était la
base de la loi de Robien. J'ai un cliché depuis des années :
tout commence par l'organisation du travail. Une fois ce discours tenu qui a
permis l'annualisation, nous sommes pour et nous avons déjà
signé des accords.
Dans ces contraintes de nouvelle organisation du travail, il y a un
problème de donnant, donnant. On ne peut pas avoir le beurre et l'argent
du beurre, il faut bien que l'annualisation du temps de travail crée des
emplois.
Un exemple concret. Nous avons signé chez Kodak, à Châlons,
un accord sur l'annualisation du temps de travail, mais au bilan, il n'y a pas
eu de contrepartie d'embauches en regard.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Le salaire, gel, réduction, ajustement,
qu'en est-il ?
Mlle Laurence MATTHYS - La logique étant toujours l'emploi, la CFE-CGC a
toujours abordé la réduction du temps de travail comme un moyen,
pas du tout comme une finalité sociétale, de répondre
à une situation de crise, notamment pour l'insertion des jeunes. En
fait, c'est un des problèmes les plus criants actuels.
Pour avoir un impact sur l'emploi, la réduction du travail est un moyen,
mais il doit être accompagné d'autre chose. La question porte
notamment sur le salaire.
Que se passe-t-il ? Dégager du temps est une chose, mais comment
gérer la rémunération des personnes qui vont être
embauchées en contrepartie de cette réduction du temps de travail
au niveau de l'entreprise ? La position de principe est la suivante :
pas de perte de salaire.
Les cadres sont dans une situation particulière. Ils ont
déjà de longs horaires, avec un problème de
rémunération qui est émergeant. Longtemps les cadres ont
été un peu complices, toujours prêts à
dégager de la disponibilité de temps sans forcément
regarder leur salaire. Maintenant qu'il y a une prise de conscience - parce que
leurs enfants, leurs voisins, leurs neveux n'arrivent pas à trouver du
travail - ils voient la possibilité de réduire leur temps de
travail et se disent : très bien, je vais réduire mon
salaire de 2 %, je travaillerai 2 % en moins, mais comme je fais
déjà 50 heures, je ne m'y retrouve pas. C'est une approche
très simpliste mais très juste, elle est perçue de cette
manière
Le principe est donc : pas de perte de salaire.
La contrepartie est d'aborder la négociation sans baisse de salaire
a
priori
et de remettre à plat les heures supplémentaires
effectuées régulièrement par les cadres : comment
sont-elles gérées ? Eventuellement l'arriéré
n'est pas réclamé, mais il y a remise à plat
complète pour repartir sur des bases nouvelles ainsi qu'une étude
du forfait.
Nous avons signé des accords dans la loi de Robien. Le volet
défensif est un peu différent : pas de perte de salaire.
Quant au volet défensif (le projet de loi l'appelle autrement) pour
répondre à des problèmes de maintien de l'emploi, la
position est un peu en bémol dans la mesure où c'est la situation
de l'entreprise qui peut justifier un réalisme en matière du
salaire. La CFE-CGC a signé des accords comportant une baisse de salaire
en matière de plan défensif, avec le problème du suivi et
de l'effectivité de cette baisse de salaire. Tout problème de
structure de rémunération est complexe, notamment les cadres ont
des objectifs. Que baisse-t-on ? Baisse-t-on le salaire de base , la
rémunération annuelle ? C'est du cas par cas.
Le principe de fond de la CFE-CGC est que les cadres doivent
bénéficier de la réduction du temps de travail, sans
baisse de salaire. Il n'y a pas de raison qu'ils supportent, un peu plus que
les autres, le financement d'une réduction du temps de travail et de la
contrepartie d'embauche.
Je tiens à préciser la notion du temps de travail des cadres. La
CFE-CGC, depuis plus de dix ans, a développé un concept du temps
de travail spécifique aux cadres, qui s'éloigne de la notion
d'heures. Il s'est enrichi avec les dernières avancées de la
jurisprudence dans ce domaine. La CFE-CGC prône l'annualisation, dans un
premier temps, en heures, qui est plus facile à gérer et à
contrôler sur l'année.
En revanche, la CFE-CGC, elle l'a expliqué aussi bien à
l'Assemblée nationale qu'au Ministère du Travail, souhaite que
l'annualisation soit en jours.
En fait, on compte non pas un nombre d'heures sur l'année, mais on passe
à la notion de jours sur l'année. Il faudrait décliner une
durée légale du travail en jours, une durée maximale du
travail et une durée moyenne du travail en jours pour le cadre.
En fait, la proposition faite en son temps, et qui est toujours
d'actualité, est de convertir la notion de 39 heures, ce serait
éventuellement un étalon comptable, en semaines. Donc, combien de
temps par jour ? Combien sur l'année ?
Nous avons tiré une déduction toute simple : il y a
52 semaines, 5 semaines de congés payés, tout cela,
traduit en jours, donne 365 jours en moyenne ; Que
représentent cinq semaines de congés payés ? Selon
qu'il s'agit de jours ouvrés ou ouvrables, le nombre de jours est
différent. On obtiendrait ainsi une durée légale, en
nombre de jours. De mémoire, ce doit être 220 jours,
10 % de 220 jours, c'est 22 jours.
Gérer des jours pour le personnel d'encadrement est beaucoup plus simple
que gérer des heures. Cela ne remettrait pas en cause la durée
maximale du temps de travail par jour, soit 10 heures, et par semaine, soit 48
heures.
La gestion du temps de travail des cadres en jours et non en heures permet une
lisibilité sur l'année de la gestion du temps de travail du cadre
et oblige à revoir l'organisation du travail de l'entreprise. Donc c'est
un aspect pédagogique et de contrôle beaucoup plus efficace.
Pour finir sur l'inspection du travail, il faut reconnaître que la
CFE-CGC a été très frileuse face aux interventions de
l'inspection du travail quant au contrôle des horaires.
C'est culturel, la CFE-CGC le reconnaît, sa population n'aime pas compter
ses heures. Cela s'est révélé surtout dans l'industrie,
dans les services ce n'est pas encore aussi criant. Dans l'industrie, avec les
problèmes d'emploi et les plans sociaux à
répétition, il y a une prise de position très douloureuse.
Les personnels d'encadrement ont fait l'objet de licenciements comme les
autres, malgré toute la disponibilité qu'ils mettaient au profit
de leur entreprise.
Là, il y a vraiment une envie, elle est latente. Ils sont un peu
démunis et n'arrivent pas à se discipliner, en tout cas à
changer les habitudes qu'ils ont prises. L'inspecteur du travail, de ce point
de vue, peut être vraiment un tiers efficace.
Thomson a été cité, mais la FNAC a reçu aussi la
visite de l'inspecteur du travail et la CFE-CGC a été partie
prenante dans ce domaine. Elle a profité de la visite de l'inspecteur du
travail pour signaler à l'entreprise qu'elle ne voulait plus très
longtemps encore négocier le temps de travail de ce personnel
d'encadrement. L'intervention de l'inspecteur du travail a été
l'élément déclencheur. Ce dernier peut être un
élément très important pour faire avancer les choses. La
CFE-CGC ne va pas forcément le chercher, d'ailleurs elle pense que,
malheureusement, il a très peu de moyens.
Le temps de travail est d'une grande complexité, il exige de nombreuses
heures d'investigation et des opérations coup de poing pour obtenir des
effets. L'inspecteur du travail est une aide très précieuse,
malheureusement, à notre avis, il ne dispose pas de tous les moyens
nécessaires pour mener à bien les opérations coup de poing
qu'il pourrait faire sur le temps de travail, notamment sur celui des cadres.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Sur les négociations, j'ai bien compris
votre position : pas de réduction de salaire. Pas de gel non
plus ?
Mlle Laurence MATTHYS - Dans le principe, pas de baisse de salaire. Si on remet
à plat la rémunération des cadres, notamment le
problème des forfaits, des heures supplémentaires des cadres, si
cette situation est clarifiée sans trop de difficultés, la
CFE-CGC a signé des accords dans ce sens, elle est prête à
conduire une politique salariale modérée, avec
éventuellement un gel des salaires, mais pas de distinction avec celui
des autres populations de l'entreprise. Nous nous y opposons formellement. Dans
certains entreprises il y a eu des accords de hiérarchisation des
salaires, on ne baissait pas les salaires minima, mais on baissait, de
façon assez forte, pas strictement proportionnelle, les salaires les
plus hauts. Encore faut-il voir le problème de la base de la
rémunération. Que baisse-t-on ?
Sur le gel des salaires la CFE-CGC est d'accord, mais en dernier recours.
Méthodologiquement, le préalable n'est pas la baisse des
salaires. Il faut examiner comment les cadres, dans leur ensemble, dans toutes
leurs diversités, sont rémunérés pour savoir ce que
l'on gèle et, au pire, ce que l'on baisse quand il s'agit du maintien de
l'emploi et de jouer la solidarité entre salariés.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Une deuxième question pour m'assurer
d'avoir bien compris.
Sur la durée du temps de travail, vous préconisez sa
détermination en nombre de jours. Implicitement, ne reconnaissez-vous
pas que, pour la journée, on ne sait pas très bien
apprécier le temps de travail ?
Ne compliquez-vous pas la tâche des inspecteurs du travail, que vous ne
sollicitez pas si j'ai bien compris ? A vous entendre, on a l'impression
qu'ils sont les activateurs de la négociation en quelque sorte.
M. Claude COMPANIE - Nous venons de rédiger notre lettre
confédérale, nous écrivons beaucoup, comme d'autres, en
évoquant le fameux retour de la bonne vieille pointeuse que ma
génération a connue. Sans rentrer dans le domaine technique, il y
a un article du Code du travail le D.-212.-21 qui, depuis 1992, permet
d'intervenir.
L'idée médiatique de 1996 et 1997 des inspecteurs du travail
était de donner un coup de projecteur sur le temps de travail de
l'encadrement. Maintenant que se passe-t-il ? Vous l'avez vu comme moi
dans la presse, chez Thomson, Synthélabo, on est revenu à cela
pour préparer l'application des 35 heures.
Nous ne faisons pas appel à l'inspecteur du travail, mais dans le
domaine des grandes industries comme les industries chimiques que je
côtoie toujours, nous avons été obligés d'y faire
appel. Nous sommes ici en commission d'enquête, chez Heineken, Cola, ELF,
Atochem, la CFE-CGC a fait appel à l'inspecteur du travail pour le
problème des horaires des cadres.
Pour répondre aussi au problème de l'annualisation, nous disons
qu'il nous permet un décompte en jours, mais c'est la seule solution que
nous avons trouvée jusqu'à présent. Nous ne l'avons pas
encore dit, mais nous avons un cheval de bataille qui s'appelle le
" compte épargne-temps ".
Un exemple, nous avons signé chez EDF-GDF, et cela a fait couler
beaucoup d'encre, un accord qui permet d'octroyer douze jours de congés
supplémentaires. Une des seules solutions est l'annualisation du temps
de travail.
Pour répondre à votre question, Monsieur le Rapporteur,
vous dites que le fait de faire un décompte en jours ne facilite pas le
travail de l'inspection du travail. Ai-je bien compris ?
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous parlez d'un décompte en jours, parce
qu'il est difficile de le faire en heures. Si on l'admet, il faut
peut-être renoncer à faire ces contrôles. Il y a là
une contradiction qu'il me paraît difficile de lever.
M. Alain GOURNAC, président - Rapidement, Mademoiselle, pour que nous
nous comprenions bien, je vous prie d'apporter une réponse
précise à la question posée, s'il vous plaît.
Mlle Laurence MATTHYS - Il y a un problème, il faut être
pragmatique. La législation depuis 1992 sur le contrôle des heures
de travail est violée dans 90 % des entreprises pour les cadres.
C'est un état de fait, les opérations coup de poing des
inspecteurs du travail et tous les procès-verbaux dressés, avec
des amendes d'un montant très élevé, montrent que cette
législation, pour une certaine population de salariés des
entreprises, n'est pas respectée.
La CFE-CGC veut qu'elle le soit. Toutefois, elle est consciente qu'il y a un
problème pour la respecter. Le système de comptage ou de
décompte du temps de travail des cadres n'est pas facile en nombre
d'heures.
En fait, certains cadres sont à la mission, d'autres aux objectifs,
d'autres encore complètement autonomes dans leurs temps de travail, dans
l'organisation de leur travail, notamment les VRP. Comment voulez-vous savoir
si le VRP va travailler 39 heures ? Il peut faire du
déclaratif, c'est lui qui tient son compte. L'entreprise peut le faire,
elle y est tenue. Il en est de même avec la pointeuse. Effectivement, il
va pointer, mais une fois que c'est écrêté, qu'est-ce qui
prouve qu'il n'a pas fait 50 heures, la machine écrêtant
automatiquement ?
Il existe de réels problèmes techniques de contrôle du
temps de travail. La CFE-CGC n'a pas la prétention d'y répondre
toute seule. En revanche, elle veut que la loi soit respectée, il faut
qu'il y ait un contrôle du temps de travail, que l'on arrête les
abus de disponibilités. Nous sommes dans une situation où nous ne
pouvons plus accepter les déséquilibres entre l'inactivité
des uns et le trop d'activité des autres.
La CFE-CGC a réfléchi à la gestion en jours. Il nous
semble que la porte est ainsi moins ouverte à la fraude, aussi bien
à travers les machines qu'en déclaratif et qu'il y a une
lisibilité aussi bien pour l'inspecteur du travail que pour le dirigeant
de l'entreprise et pour le cadre lui-même qui gère un peu en
liberté son temps.
Nous sommes conscients que cela ne va pas résoudre tous les
problèmes de contrôle de la durée du temps travail, mais
c'est une piste que nous lançons. Nous sommes vraiment persuadés
que nous sommes à l'aube d'une réflexion.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - N'êtes-vous pas en train d'instruire la
nécessité de trouver d'autres références que le
temps de travail ? Nous sommes complètement en porte-à-faux.
Mlle Laurence MATTHYS - Certainement, il y a une réflexion de fond sur
la façon dont le temps de travail est mesuré, nous en sommes
conscients, c'est criant pour le personnel d'encadrement.
Toutefois, il faut bien distinguer la définition de la durée
légale et la gestion de cette durée légale. Notre
proposition porte sur la gestion et non pas sur la définition.
Il faut un étalon, nous souhaitons qu'il reste l'heure, mais en
matière de gestion, il faut convertir. Nous restons sur les bases de
l'horaire, la définition légale étant 39 heures.
L'annualisation doit aussi permettre cette conversion d'heures en jours. C'est
tout à fait possible. Nous avons construit quelque chose que nous
soumettons à votre critique. Si nous ne savons pas vous convaincre,
à nous d'être plus pédagogues.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous n'avez pas une tâche facile.
La contribution des hommes aujourd'hui va se mesurer de plus à plus
difficilement en temps de travail. On note bien que l'on joue les prolongations
sur un registre qui ne correspondra plus à la vie économique et
au mode de collaboration.
J'enregistre votre contribution qui illustre la nécessité de
changement...
Mlle Laurence MATTHYS - Nous sommes persuadés qu'il faut évoluer
en ce qui concerne la mesure du temps.
La durée légale du travail en heures correspondait à une
définition à une époque donnée. Aujourd'hui,
l'évolution technologique est telle que cette référence
n'est plus bonne, ce n'est pas pour autant qu'il faut la jeter à la
poubelle. Il faut mener une réflexion de fond, la première porte
sur les jours, mais l'étalon doit rester petit, dans le sens de l'heure.
Beaucoup de personnes travaillent encore à l'heure. Il faut donc trouver
un étalon commun.
M. Alain GOURNAC, président - Y a-t-il des cadres qui travaillent
à l'heure ?
Mlle Laurence MATTHYS - Non, je parlais de la population en
général. Pour les cadres, il est criant que la
référence à l'heure pose problème.
Notre seul constat est la violation de la loi. Depuis 1992, l'intervention des
inspecteurs du travail, aussi médiatique soit-elle, montre la violation
totale de cette loi. Il faut trouver un moyen de contrôle. La gestion du
temps pose une question de la définition globale.
Pour rendre effectif le contrôle -car il en faut un en matière de
législation de la durée du travail, c'est une question de
santé publique- la CFE-CGC, par sa contribution modèle, a
essayé d'ouvrir la porte de la conversion des heures en jours pour le
personnel d'encadrement.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Je remercie nos invités ; grâce
à eux, nous comprenons que le passage de 39 heures à 35 heures
n'a pas de sens pour les cadres.
M. Claude COMPANIE - Les interprétations sur la place du travail
divergent. J'en reviens toujours à ma démonstration, à ma
réflexion : la question de l'usage des temps individuels et des
temps sociaux est posée. Il n'y a pas, de tous les retours
d'expérience de terrain que nous avons vus, d'attente standard. On a
parlé du fameux temps choisi, convenu, subi. Chaque cadre est un cas.
Le sujet est très difficile, je ne vous apprendrai rien. On parle
souvent de l'amélioration des conditions de travail. Tous ces
problèmes sont à voir.
M. Alain GOURNAC, président - Nous avons bien compris votre propos qui
est d'ailleurs difficile à exprimer, pour les cadres ce n'est pas
facile, même en transformant des heures en journées.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Nous avons bien noté l'adhésion
de la CFE-CGC à la réduction du temps de travail, à
condition que l'emploi soit la contrepartie et, sous certaines conditions, vous
adhérez à cette idée. La création d'emplois est
l'objectif de la loi, donc il y a accord.
Une question précise : vous avez signé l'accord d'octobre
1995, et notamment sa deuxième partie concernant les
négociations. Ne pensez-vous pas, compte tenu de ce que vous avez dit,
auquel j'adhère, que l'efficacité en termes de créations
d'emplois de cette loi, dépendra de la qualité des
négociations et notamment de la responsabilité des
négociateurs ?
Ne pensez-vous pas que, dans certaines entreprises, peut-être les moins
importantes, les petites et moyennes, ce sera un maillon faible dans la
chaîne des négociations que de s'appuyer sur l'accord de personnes
mandatées ?
Vous avez parlé du mandatement, avec des faiblesses et peut-être
pas suffisamment ce souci de négocier avec la perspective fermement
affirmée de créer des emplois coûte que coûte dans le
cadre de la négociation, que ce soit par rapport à la
réorganisation, à l'utilisation des équipements, aux
heures supplémentaires, à tout ce dont vous avez parlé.
Je me demande s'il ne faudrait pas travailler sur cet aspect
négociation : validée par qui ? A quel niveau ?
L'entreprise certainement, le niveau de l'entreprise est indispensable, mais,
par qui ?
Mlle Laurence MATTHYS - Cet aspect a été longuement
évoqué dans l'audition que nous avons eue devant
l'Assemblée nationale.
La CFE-CGC est signataire des deux accords du 31 octobre 1995, l'un sur
l'emploi, concernant l'aménagement du temps de travail avec l'objectif
emploi ; l'autre avait trait à la reconnaissance des interlocuteurs
en tant que négociateurs ainsi que l'articulation entre les niveaux de
négociations.
Dans ce deuxième accord, les signataires ont voulu prévoir le cas
d'absence des délégués syndicaux, d'interlocuteur syndical
dans les entreprises et la possibilité, malgré tout, de signer
des accords.
C'est ce que l'on appelle la base du mandatement, c'est un terme très
générique.
Cet accord n'est pas né comme cela, il est né parce qu'il voulait
donner une sécurité juridique, c'est-à-dire la
reconnaissance de l'interlocuteur, ses modalités de désignation,
de protection et de suivi de l'accord signé. Il voulait arrêter et
encadrer tout cela, ce que ne faisait pas une jurisprudence de Cour de
cassation qui l'avait déjà permis, mais qui ne donnait pas la
sécurité juridique aux accords.
Les partenaires sociaux signataires de l'accord du 31 octobre 1995 ont voulu
tirer les leçons de cette jurisprudence et l'encadrer juridiquement.
La clef de cet encadrement est la qualité de la négociation et
des interlocuteurs. Dans le projet de loi, le retentissement est d'autant plus
grand que se pose le problème du suivi des accords parce que justement
il y a un objectif emploi.
L'emploi va se mesurer sur un an, deux ans, plusieurs années. Or, s'il
n'y a pas d'interlocuteur syndical présent dans l'entreprise, comment
suivre ? Les partenaires sociaux signataires de l'accord du 31 octobre ont
apporté une réponse à cette question.
Le fait que le projet de loi justement ne tienne pas compte de cette loi du
12 novembre 1996, qui reprend l'accord du 31 octobre 1995 et permet de
légaliser le mandatement, dit jurisprudentiel, c'est-à-dire sans
aucune sécurité juridique, nous interpelle de la même
façon que vous. Quelles vont être la qualité du suivi de
l'accord et la qualité des interlocuteurs ? Nous sommes convaincus
que la qualité des interlocuteurs va être déterminante pour
les résultats en matière d'emploi et de suivi des accords et des
sanctions notamment.
Nous partageons votre préoccupation, nous l'avons dit à la
commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale, la CFE-CGC
l'a répété devant le Ministre. Elle a bien dit que la
qualité des négociateurs et le suivi des accords étaient
déterminants dans les objectifs. L'accord du 31 octobre 1995,
repris par la loi du 12 novembre 1996 prévoit une période
d'expérimentation, mais elle est fondamentale pour assurer un minimum de
résultats en matière de création d'emplois.
Le fait de laisser la désignation d'interlocuteurs dans les petites
structures à des organisations syndicales, sans aucune certitude quant
à la sécurité juridique du mandat et à la
protection de ces personnes, incite à être très dubitatif
sur l'indépendance de l'interlocuteur, sa liberté de manoeuvre et
son accessibilité aux documents pour éventuellement
évaluer la création d'emplois, en contrepartie de la
réduction du temps de travail.
Cela rejoint l'articulation branche, entreprise. Bien sûr, cela va se
passer au niveau de l'entreprise, mais la branche a un rôle important
à jouer.
Nous sommes aussi très défavorables, c'est la leçon que
nous avons tirée de la loi de Robien, au fait que cette loi, en voulant
légitimement mettre l'accent sur les entreprises, a complètement
vidé la négociation collective de branche de sa substance et a
mis à mal ce problème de négociation sur la base du
mandatement.
Elle a complètement court-circuité la négociation de
branche par rapport à la négociation d'entreprise, en
privilégiant l'une par rapport à l'autre. Nous craignons, dans le
nouveau projet de loi, d'arriver à la même situation.
Nous disons : oui l'entreprise est le niveau déterminant, mais elle
doit être accompagnée et encadrée par la branche. Le
mandatement est le point le plus fondamental de cet accompagnement. C'est au
niveau de la branche que cela doit se régler. Si c'est au niveau de la
branche et de l'encadrement, nous sommes convaincus que la qualité des
accords dans les entreprises sera à la hauteur des engagements.
M. Claude COMPANIE - Pour compléter ce que vient de dire ma
collègue, je répète ce qui figure dans le préambule
de notre audition : la CFE-CGC examine ce projet de loi, dont on parle
tant, avec intérêt car certaines leçons ont
été tirées du passé. Il relance une dynamique de
négociation avant d'imposer la nouvelle règle. Cependant, il est
loin d'être idéal.
Nous avons fait de nombreuses remarques. Vous verrez tout cela dans le
détail. Je ne vais pas revenir sur ce que nous venons de dire sur le
mandatement qui est un problème très important.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Merci.
M. André JOURDAIN - Vous avez dit, Monsieur le
Délégué, que toute RTT devait être
accompagnée d'embauches. Je vois des détracteurs qui disent que
la RTT, pour eux, sera accompagnée d'automatisation et pas
forcément d'embauches.
Quelle va être l'attitude des cadres face à de telles
situations ?
Une question que le rapporteur a posée : y aurait-il perte de
salaire ou pas ? Vous avez été très affirmatif sur le
fait qu'il n'y en aurait pas.
Si nous comprenons bien, pour les employés qui sont déjà
dans l'entreprise, cela implique-t-il que les nouveaux embauchés auront
des salaires calculés comme les anciens dans l'entreprise ? Ou bien
pensez-vous que les salaires des nouveaux embauchés seront
différents des anciens, après l'application des 35 heures ?
M. Alain GOURNAC, président - Je vais passer la parole à mon
collègue M. BECOT.
M. Michel BECOT - Peut-être n'ai-je pas très bien compris, mais
parler de la durée du temps de travail pour les cadres me paraît
aujourd'hui un peu hors du temps.
Tout à l'heure vous avez pris un exemple que je reprends volontairement,
celui du VRP. Il prend la route le mardi matin pour visiter ses clients et
rentre le vendredi soir. Vous savez ce que fait un cadre VRP sur la route, je
comprends bien qu'il soit intéressé par son chiffre d'affaires,
par l'intéressement de l'entreprise, mais je ne le vois pas faire ce
décompte de temps.
Ne sommes-nous pas en train de faire fausse route ?
Je voudrais y voir plus clair dans votre approche.
M. Alain GOURNAC, président - Merci mon cher collègue.
Allez-vous négocier ? Dans quelles conditions ? Dans quel
cadre ? Allez-vous demander des contreparties ?
J'aurais souhaité, Monsieur, Madame, que vous répondiez
rapidement aux trois questions que je viens de vous poser, ainsi qu'à
M. André Jourdain et à mon collègue M. Michel
Bécot.
Mlle Laurence MATTHYS - Sur le temps de travail des cadres, pour les VRP, il
faut bien voir que la RTT est un objectif emploi. Emploi signifie
solidarité, bien sûr le VRP qui va travailler trois jours au lieu
de cinq risque de perdre par rapport à son chiffre d'affaires. Mais la
solidarité passe aussi par là. En réduisant son temps, il
permet aussi à un jeune de débuter. C'est la logique, elle est
globale.
Quand on parle de l'objectif emploi, il ne faut pas se leurrer. En
matière de réduction de salaire, il faut savoir de quoi on parle
et ce qu'on baisse. La structure des rémunérations et
l'expérience des accords défensifs de Robien ont posé
très crûment cette question : que baisse-t-on ? Quand il
y a baisse de salaire, baisse-t-on le salaire de base ? Le salaire
annuel ? Commissions comprises ?
Pour le VRP ou pour n'importe quel salarié directement
rémunéré sur ses commissions, sans avoir forcément
le statut de VRP, se pose le problème de la réduction du temps de
travail. Il ne va pas le vivre comme quelqu'un qui a un salaire fixe. Si l'on
demande à un VRP de passer de cinq ou six jours à trois ou quatre
jours, il se posera la question suivante : comment vais-je atteindre le
même chiffre en un minimum de temps ? C'est évident.
A côté de cela, pour la secrétaire de direction, le cadre,
qui sont complètement fonctionnels, la problématique est
différente. Le fait de réduire leur temps de travail ne se posera
pas dans les mêmes termes.
C'est vraiment du cas par cas, compte tenu de la complexité de la
rémunération des cadres, tellement l'implication sur les
objectifs ou sur la production du chiffre d'affaires découle de leur
disponibilité. On peut avoir une position de principe, mais quand on la
décline on s'aperçoit qu'en matière de structure de
rémunération la question se pose : que baisse-t-on ?
Que gèle-t-on ?
La CFE-CGC veut-elle négocier ? Oui, car elle est convaincue que la
négociation collective a prioritairement sa place dans le domaine de la
réduction du temps de travail. Elle associe complètement la
démarche de la proposition de loi, à savoir : on
négocie d'abord et il y aura une loi, type balai, qui tirera les
enseignements de la négociation.
Oui, pour l'expérimentation pendant ces trois ans.
Oui, pour la négociation collective, parce qu'il appartient aux
partenaires sociaux de s'occuper de l'organisation du travail, ce qu'ils
veulent faire au sein de l'entreprise. Oui, elle est complètement partie
prenante.
Quelle est la contrepartie pour les cadres ? Ils ne sont pas exclus de la
réduction du temps de travail. Celle-ci doit se convertir par des
modifications spécifiques pour les cadres, des jours de congés
supplémentaires. Il n'y a qu'en matière de jours que le cadre
pourra voir la réduction de son temps de travail effective. Il ne faut
pas se leurrer, il a déjà du mal à prendre cinq semaines
de congés payés, s'il en a huit, il n'en prendra pas plus. Le
compte épargne-temps peut être un bon outil pour permettre au
cadre de garder ses droits à la conversion en congés de son temps
de travail.
Tout un système d'outils peut permettre la gestion prévisionnelle
des emplois, de même en formation.
Plusieurs facettes sont à expérimenter. Nous sommes au
début de cette conversion, il existe des outils. Il faut des
contreparties spécifiques en matière de charge de travail.
Voilà pourquoi le point emploi est si important. C'est bien de
réduire le temps de travail et d'accorder des jours de congés aux
cadres, mais si sa charge de travail ne change pas, il n'y aura aucun impact.
Voilà pourquoi la réduction du temps de travail, notamment des
cadres, passe par une réorganisation du travail et une sorte de revisite
de la hiérarchie, du concept de management, etc. C'est un travail
colossal.
Si l'on veut avoir un effet sur l'emploi, avec une diminution de la charge de
travail, ces exigences doivent être respectées.
Dans quel cadre ? Le niveau national interprofessionnel en ce qui concerne
la négociation collective, a effectué son travail. Un accord a
été signé le 31 octobre 1995. Il y a des
difficultés de relais dans les branches. La CFE-CGC a toujours dit
qu'elle était prête à négocier dans les branches.
Ces dernières n'ont pas eu la dynamique nécessaire, l'attrait de
l'entreprise est très prégnant.
Dans quel cadre ? Au niveau de la branche, le niveau interprofessionnel
ayant rempli ses fonctions, ce que n'a pas fait la branche. La CFE-CGC est
prête à négocier dans les branches et même dans les
entreprises où il n'y a pas de présence syndicale CFE-CGC
M. Claude COMPANIE - La réduction du temps de travail peut se
décliner sous des formes diverses, nous parlons toujours de la formation
sur toute une vie. Dans mon entreprise on appelait cela le " capital
temps
formation ", le " passeport pour la formation ".
C'est une des
formes pour conserver son travail, il faut se former sur toute une vie.
Une autre précision sur l'accord du 31 octobre. Beaucoup de
branches, et particulièrement celle dont je faisais partie, ne voulaient
négocier qu'un des aspects, c'est-à-dire d'un côté
le temps partiel, d'un autre, de manière différenciée, le
compte épargne-temps.
Il n'y avait pas de négociations globales avec les quatre composantes de
cet accord. Voilà pourquoi cela ne marchait pas.
Nous avons une réponse à donner à M. André
Jourdain qui parlait d'automatisation. Le fait d'automatiser n'entraînera
pas des contreparties d'embauches.
(Rires)...
Mlle Laurence MATTHYS - C'est une préoccupation, de même que ne
pas maintenir les salaires ou les baisser. Pour les nouveaux embauchés,
les contreparties d'embauches, quelles seront les conditions ?
Ce sont des questions de principe. Pour que la réduction du temps de
travail ait un impact sur l'emploi, elle ne doit pas se convertir uniquement en
optimisation de la productivité qui se traduirait non pas par des
embauches, mais par substitution au travail par le capital.
Il est clair que la CFE-CGC fait partie de ceux qui revendiquent depuis
très longtemps le partage des fruits de l'expansion, aussi bien
auprès des salariés que des détenteurs du capital. La
réduction du temps de travail en fait partie. L'emploi passe par un
autre partage de ce qui pourrait découler, en matière de
productivité, de cette réduction du temps de travail.
Quant au statut des nouveaux embauchés, la question est
complètement ouverte. Bien sûr, si l'on respecte le principe de
maintenir le salaire, le problème des nouveaux embauchés
reçoit une réponse claire.
Si les salaires sont gelés, cela devient plus nébuleux. Tous les
accords signés par la CFE-CGC concernant la baisse des salaires,
étaient surtout défensifs, donc le problème de l'embauche
se posait différemment.
Malheureusement, nous n'avons pas réussi à avancer suffisamment
d'arguments pour qu'il n'y ait pas de baisse de salaire. Quand il y a eu baisse
de salaire et démarche offensive création d'emplois, les
nouvelles embauches se sont faites aux nouvelles conditions salariales, avec
tout le problème à gérer d'une dualité au sein de
l'entreprise, entre ceux qui ont joué la solidarité, qui ont
accepté de baisser, mais pas beaucoup, et ceux qui sont
rémunérés sur la base 35 heures et pas sur celle de
37 heures.
La question est ouverte. Pour nous, il n'est pas question de faire de
différence. C'est hypothétique dans l'entreprise en
matière de gestion. Ou tout le monde baisse et les nouveaux entrants
sont au même niveau que les personnes présentes dans l'entreprise,
ou personne ne baisse et il faut trouver le juste milieu pour trouver les
ajustements et la négociation à maille à faire...
M. Alain GOURNAC, président - Merci.
Monsieur le Délégué, avant de partir, pouvez vous me dire
si la réduction du temps de travail est une revendication des cadres
aujourd'hui ?
M. Claude COMPANIE - Nous travaillons tous les deux de concert sur ce point.
Mlle Laurence MATTHYS - Une réponse en deux temps. Les cadres ont subi
de plein fouet les licenciements économiques et, à partir de
1992, il y a eu une prise de conscience et un ras-le-bol général,
très clairement.
Les cadres se sont aperçus qu'ils pouvaient être licenciés
comme les autres malgré tout le temps qu'ils consacraient à leur
entreprise. D'un seul coup ils ont pensé qu'il n'y avait pas de raison
de passer autant de temps dans leur entreprise, puisqu'ils étaient
traités de la même façon.
Premier élément : ils ne s'agissait même pas de la
réduction du temps de travail, mais de respecter la durée
légale du travail. Revendication est peut-être un peu fort comme
terme, mais prise et conscience et un ras-le-bol par rapport au
dépassement d'horaire. Donc, revenir à des horaires normaux est
une réalité et une demande très forte.
Deuxième élément : la prise de conscience du
problème du chômage et de l'intégration, notamment des
jeunes diplômés qui ont une très bonne formation et qui
n'arrivent pas à s'intégrer parce que la fonction n'émerge
pas ou qu'il y a un problème d'emploi.
Par ailleurs, beaucoup de personnes, excusez l'expression, se
" défoncent " et par peur d'un problème de
qualification, compte tenu des jeunes qui rentrent, surgit un conflit de
génération de par la conception même de la mission et dans
la façon de vivre sa vie au travail.
Alors le raisonnement suivant vient à l'esprit : oui j'ai
peut-être travaillé, je me suis donné beaucoup et le petit
jeune, mon voisin ou mon neveu n'arrivent pas à s'intégrer. Si je
réduisais mon temps de travail immédiatement, cela ne
créerait peut-être pas un poste, mais ils pourraient être
intégrés et prendre en partie ma charge de travail ou entrer
à un autre niveau.
Ces deux réflexions se cumulent et font en sorte qu'à ce jour le
cadre est prêt à jouer la solidarité de l'emploi à
ce niveau. Quand on est cadre, l'avenir de l'entreprise est très
prégnant dans sa logique. Il passe par les jeunes, par le renouvellement
des compétences, par le dynamisme de sa main-d'oeuvre. Si l'on reste en
déséquilibre des âges, l'automobile est le meilleur
exemple, ce n'est pas ainsi que se construira l'avenir. Les cadres en ont pris
conscience.
Maintenant, vont-ils lever le pied ? Si nous mettons tous les outils pour
les convaincre, s'ils ne sont pas lésés, s'ils ne se sentent pas
les laissés pour compte de la réduction du temps de travail, nous
sommes convaincus qu'ils suivront.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie beaucoup Madame et
Monsieur le Délégué.
C. AUDITION DE M. JEAN-PAUL PROBST, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA CFTC
Le président rappelle le protocole de
publicité des travaux de la commission d'enquête et fait
prêter serment à M. Jean-Paul Probst.
M. Jean-Paul PROBST - Puis-je faire une remarque, monsieur le
président ?
Bien évidemment, je jure de dire toute la vérité rien que
la vérité, en sachant que vous m'interrogez sur un sujet relatif
à un projet de texte et que les analyses dont je vous ferai part ne sont
que celles de mon organisation syndicale. Je raisonnerai à
éléments connus et à contexte connu.
M. Alain GOURNAC, président - C'est tout à fait ce que nous vous
demandons, nous vous demandons les positions actuelles de votre syndicat, sur
la base des éléments que vous avez, concernant cette
décision du Gouvernement.
Je vais vous donner la parole pendant dix minutes pour vous exprimer, puis je
donnerai la parole à notre rapporteur qui vous posera quelques questions
auxquelles vous répondrez directement et ensuite je passerai la parole
à nos collègues.
M. Jean-Paul PROBST - Lorsque j'ai été invité à
cette commission d'enquête, mon organisation n'avait pas porté
attention au libellé de l'enquête. En fait, je ne suis pas le
véritable spécialiste des problèmes d'emploi dans mon
organisation, je suis vice-président et j'ai en charge la protection
sociale.
Cela étant, pour la plupart des événements importants
touchant la vie sociale de notre pays, bien évidemment nous avons des
réflexions en commun au sein d'instances comme le bureau
confédéral et le conseil.
C'est donc le point de vue de cette organisation que je transmettrai ici, mais
peut-être ne suis-je pas le meilleur spécialiste de ces
problèmes.
Nous nous sommes aperçus tardivement de cette méprise et il nous
a semblé préférable de venir au rendez-vous convenu,
plutôt que de convenir d'une autre date.
Je rappelle que notre organisation syndicale était favorable à la
loi de Robien qui envisageait un dispositif entre une entreprise et ses
salariés, moyennant une aide de l'Etat. Lors de l'analyse de ce
dispositif, nous avions fait un certain nombre de remarques critiques sur la
disparité de durée entre l'aide de l'Etat et l'engagement que
devait prendre l'entreprise par rapport aux salariés qu'elle embauche ou
conserve.
Je fais cette remarque préalable pour montrer que la position que nous
prendrons dans ce projet de loi concernant les 35 heures, n'est pas
novatrice au regard de celle que nous avions prise sur la loi de Robien.
Quant au projet de loi sur les 35 heures, je ferai quelques commentaires
et une analyse en point d'interrogation. Nous nous sommes interrogés sur
son l'impact, en termes d'emploi, pour les entreprises et pour les
salariés. Si l'ensemble des réponses apportées à
ces questions était négatif, bien évidemment notre
conclusion en tiendrait compte.
Quel est l'impact en termes d'emploi ? Plusieurs études, notamment
d'économistes, sont assez sceptiques sur l'impact, les premières
années, de la mise en oeuvre d'une loi définissant la
durée légale du travail à 35 heures. Nous lisons avec
attention ces commentaires, mais nous ne nous y arrêtons pas. Nous
pensons qu'un certain nombre de pistes méritent d'être
explorées et, qu'en matière d'emploi, nous n'avons certainement
pas encore imaginé toutes les solutions.
J'ai une remarque à faire à votre commission, qui n'est pas
directement liée à ce projet de loi, cependant elle peut
être intéressante dans le cadre de l'approche des problèmes
d'emploi. Je la ferai à la fin, en conclusion ou, le cas
échéant, après vos remarques et vos questions.
En termes d'emploi, nous considérons que la situation actuelle n'est pas
satisfaisante. Ce ne sont pas les réactions d'associations ou de
chômeurs révoltés qui nous incitent à le dire. Je
crois que la situation n'est pas satisfaisante sur beaucoup de plans.
Sur le plan du traitement social du chômage, certes, des partenaires
sociaux ont imaginé des dispositifs, tels que ceux transitant par
l'UNEDIC, mais c'était à une époque où la situation
de chômage était relativement courte et devait déboucher
sur une situation de reprise du travail. Juxtaposer des dispositifs disparates
pour laisser des ex-salariés dans une situation de fragilité
financière et sociale, n'a jamais été l'objectif final des
partenaires sociaux.
Dans un pays important comme le nôtre, une frange de population
considérable, le dernier rapport du Commissariat au Plan parle de
quelque sept millions de personnes, est touchée de près ou de
loin, par le chômage. Certes, dans cette population sont
intégrés les chômeurs déclarés, tous ceux qui
sont lassés de cette situation et qui ont opté pour d'autres
solutions, à savoir celles qui consistent à ne plus être
déclaré à l'ANPE ni à l'ASSEDIC puisque plus aucun
droit n'est ouvert.
Dans ces sept millions, il faut compter le million de Rmistes, ceux qui sont
considérés comme stagiaires en stages professionnels et ceux qui
ont une activité inférieure à celle qu'ils souhaiteraient
obtenir. Il y a donc des salariés qui travaillent dans des conditions
très précaires, difficiles et qui n'ont pour autant ni la
rémunération liée à leur fonction, ni certainement
la durée nécessaire pour obtenir l'ensemble des droits, notamment
des droits sociaux.
Cette population de sept millions de personnes représente un chiffre
important ; bien évidemment nous ne pouvons pas nous contenter de nous
résigner, donc nous devons trouver, organisations syndicales, patronales
et formations politiques confondues, une ou des pistes pouvant modifier cette
situation.
La piste qui nous est proposée, consistant à rendre légal
un horaire de 35 heures, moyennant une aide de l'Etat étalée
dans le temps, dégressive et également un engagement des
entreprises, nous semble être une piste parmi d'autres.
C'est un impact sur le plan de l'emploi, certes. A court terme, nous pensons
que les entreprises qui auront recours à cette disposition vont se plier
aux contreparties demandées en termes d'emploi, mais quelle sera la
garantie de ces emplois sur le moyen et le long terme ? Pour l'instant,
cela n'est qu'un point d'interrogation.
L'impact pour les entreprises se traduira par une réorganisation
très importante en termes d'organisation des ressources humaines de
l'entreprise, de réponses possibles sous forme d'ouverture des locaux,
de moyens pouvant être mis en place pour répondre, le cas
échéant, à des préoccupations purement
professionnelles. Sur le plan de la réorganisation des entreprises, il
s'agira, pour le management des principales d'entre elles, de
reconsidérer plus ou moins totalement la façon dont on
gère les ressources humaines.
Enfin, l'impact pour les salariés. Je représente une organisation
syndicale, mais
a priori
, toutes souhaitent que l'on s'achemine
plutôt vers une réduction du temps de travail, notamment pour
permettre à un certain nombre de non-salariés de retrouver une
forme d'emploi. Toutefois, l'appréciation est différente selon
que l'on est cadre ou non-cadre, que l'on a un revenu proche ou
éloigné du SMIC.
Notre organisation syndicale insiste sur les points suivants :
Pour tous les salaires relativement proches du SMIC, inférieurs au
plafond de la sécurité sociale, nous aimerions que cela ne se
traduise pas par une diminution de salaire et de revenu.
Nous souhaiterions que, si ce dispositif entre en vigueur, il y ait un suivi
très particulier de la situation des cadres. En effet, en
général ils ont un comportement très particulier en termes
d'engagement professionnel. Il est clair que cela se traduira par des
difficultés dans certaines entreprises. Nous pensons que, dans certaines
d'entre elles, la solution passe par une activité étalée
sur quatre jours au lieu de cinq, sachant notamment, pour un cadre, que si
d'aventure on lui impose de travailler 35 heures sur cinq jours, cela ne
changera pas grand-chose par rapport à la situation d'aujourd'hui.
Enfin, deux dernières remarques :
La première concerne la protection sociale. Il est prévu dans le
projet de loi, en tout cas dans l'exposé des motifs
présenté aux différentes caisses nationales de
sécurité sociale, un dispositif qui nous semble
inquiétant. Nous avons fait connaître notre réaction au
ministère des Affaires sociales et à Matignon. Pour l'instant,
nous n'avons obtenu aucun commentaire sur notre réaction.
Vous le savez comme moi, les dispositifs de protection sociale sont largement
fondés sur des cotisations qui, elles-mêmes, sont largement
tributaires de la masse salariale. Si d'aventure la masse salariale est
modifiée, les cotisations le sont également.
Il est prévu, dans l'exposé des motifs, qu'à court terme,
en 1998, il n'y aura pas d'incidences en termes de financement de la protection
sociale. En effet, tout dispositif faisant entrevoir une exonération de
charges sera intégralement compensé par l'Etat selon
l'application de la loi de juillet 1994 qui prévoyait qu'il ne pouvait
plus y avoir de dispositif d'exonération non pris en charge par l'Etat.
Toutefois, dans cet exposé des motifs il est rappelé que les
pouvoirs publics ne s'interdisent pas de revoir le dispositif
d'exonération des contributions sociales à partir de 1999. Donc,
si à partir de 1999 il y a une embellie économique liée
à l'application de cette loi ou à d'autres motifs, elle se
traduira par une augmentation des ressources de la sécurité
sociale et pourra être mise à profit par les pouvoirs publics pour
diminuer d'autant les mécanismes de compensation auxquels ils se sont
astreints dans les années écoulées.
Pour nous, c'est inacceptable. En fait, cela signifierait que les ressources de
toutes les branches de sécurité sociale, aussi bien maladie et
vieillesse que politique familiale, vont être gelées sur la base
des ressources de 1998.
C'est inacceptable car il n'y a aucune raison de penser que nous puissions nous
en sortir sur le plan de l'équilibre des différentes branches
à partir de 1999, sur le simple maintien des ressources 1998. Si
d'aventure l'idée était acceptée de ne pas faire
évoluer les ressources des différentes branches à partir
de 1998, elle ne pourrait que se traduire par des diminutions successives de
prestations et de niveaux de couverture dans les différentes branches.
Voilà une remarque incidente par rapport au dispositif sur la loi de
35 heures, qui semble important à notre organisation syndicale.
Certes, elle vise essentiellement les problèmes d'emploi, mais les
problèmes de protection sociale sont tout aussi importants pour notre
organisation que ceux de l'emploi.
Dernière remarque, monsieur le président, il est concevable
d'imaginer autre chose. Je suis légèrement hors sujet en abordant
ce point. Ici, ce n'est pas une réflexion de mon organisation syndicale,
mais de certains parmi elle. Plusieurs personnes, hors de mon organisation
syndicale, commencent aussi à entrevoir cette idée.
Pour l'instant, tous nos dispositifs d'aide transitent par des
mécanismes d'aide aux entreprises, que ce soit des exonérations
de charges patronales ou des aides mises en place par le biais de la loi de
Robien ou de la loi sur les 35 heures, aides aux entreprises moyennant des
contreparties.
Pourquoi ne pas imaginer qu'un jour les pouvoirs publics passent à une
logique d'aide directe aux salariés qui acceptent de se retirer
progressivement ou partiellement du marché du travail ? On pourrait
très bien imaginer qu'à tous ceux qui acceptent volontairement de
travailler à mi-temps, par exemple, la collectivité assure un
complément de revenus.
Cela aurait plusieurs avantages : le premier, de ne rien demander aux
entreprises ; le deuxième, de se fonder sur les volontaires qui
acceptent ce mécanisme ; le troisième, celui d'avoir une
aide strictement proportionnelle à ceux qui acceptent cet engagement. En
fait, si un million de salariés acceptaient de travailler à
mi-temps, cette aide serait directement liée à ces personnes. Si
ce dispositif ne fonctionnait pas, l'aide serait nulle puisque strictement
proportionnelle à cet engagement.
Je suis prêt à répondre sur ce volet, sachant que je suis
hors sujet. Cependant, dans la mesure où nous nous interrogeons
aujourd'hui sur le problème de l'emploi, il me semblait
intéressant d'aborder également cette problématique.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie. Je passe la parole
à notre rapporteur.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Merci monsieur le président,
merci à vous, monsieur le Secrétaire
général, pour les précisions apportées.
Votre organisation est-elle prête à signer les accords qui
prévoiraient, en contrepartie de l'abaissement à 35 heures
de la durée du temps de travail, des gels ou des réductions de
salaire ?
Comme vous, nous avons consulté quelques économistes et certains
parmi eux considèrent que, s'il n'y a pas une modération
salariale, une autre répartition des revenus, l'objectif de
création d'emplois peut être compromis.
Dans les accords que vous envisagez de signer, y a-t-il des dispositions
relatives à la flexibilité, notamment d'annualisation, en
contrepartie de la réduction du temps de travail ? Le cas
échéant, seriez-vous favorable à l'inscription de ces
contreparties dans le projet de loi ?
De votre point de vue, compte tenu de votre présence dans les
entreprises, à quelle proportion situez-vous celles qui sont
prêtes à entrer dans cette voie ? Quels pourraient être
les salariés susceptibles d'en bénéficier ?
Sur le travail des cadres, vos interrogations ne remettent-elles pas en cause
la notion même de temps de travail ? Cela a-t-il encore du
sens ? En légiférant sur la durée du temps de travail
et sa réduction, n'est-on pas dans un exercice déjà
quelque peu périmé ?
Enfin, dans votre contribution personnelle, à la fin de votre propos,
vous avez parlé des aides qui seraient versées aux personnes qui
accepteraient de travailler moins, ne craignez-vous pas que la gestion d'un tel
dispositif finisse par poser des problèmes ?
Nous notons aujourd'hui que ceux qui ne travaillent pas du tout ont du mal
à obtenir les fonds versés par la collectivité. Si demain
il fallait verser des fonds à ceux qui travaillent en partie, qui
seraient payés par l'entreprise et par l'Etat ou les organismes sociaux,
ne serait-ce pas la création d'une étrange
société ?
M. Jean-Paul PROBST - Vos questions sont difficiles, monsieur le rapporteur.
Mon organisation est-elle prête à signer des accords
intégrant des situations comportant des gels ou des réductions de
salaire ? Pour mon organisation, la réponse ne peut pas être
oui ou non.
Dans nos réflexions, nous intégrons celles de nos principales
fédérations et tous ces dispositifs feront l'objet de discussions
très fortes au sein de chacune d'elles et des syndicats les plus
importants.
A priori
, nous n'écartons pas la possibilité de signer des
accords, en sachant que nous n'accepterons certainement pas de signer ceux qui
se traduiront par des réductions pour les plus bas salaires.
Quand nous discutons avec nos collègues syndicalistes d'entreprises
où les salaires sont relativement modestes, l'une de leurs craintes est
que le fait de passer de 39 à 35 heures s'accompagne d'une
diminution de salaire. Cette situation est ingérable pour les
salariés dont le salaire est modeste.
Certes, poser le problème du gel des salaires, pourquoi pas ? Sur
un an ou deux, il serait plus facilement accepté qu'une réduction
de salaire, notamment pour les personnes dont le salaire est proche du SMIC.
Faut-il ou peut-on parler de flexibilité et d'annualisation ? Tous
les collègues représentant les organisations syndicales et
patronales qui vont défiler sont tous devant la même
problématique. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi ce genre de
question n'est pas facile pour nous.
Certes, d'une part je suis syndicaliste et bien évidemment j'ai pris
l'engagement tout à l'heure de vous faire part de l'analyse de ma
confédération ; d'autre part, il se trouve qu'au titre des
accords entre partenaires sociaux, je suis président de la Caisse
nationale des allocations familiales, et il est prévu que ce texte
s'applique également aux organismes sociaux.
Or, quand on analyse l'application de ce texte sur les 35 heures à
la branche qui gère les allocations familiales, des problèmes
insurmontables vont se poser. Si nous observons les différentes
branches, celle qui au cours des dernières années a obtenu le
plus de gains de productivité, malgré l'effort
considérable réalisé en termes de modification de
logiciels informatiques, se trouve devant des défis considérables
pour traiter la précarité, la pauvreté, certains minima
sociaux et certaines politiques du logement (nous ne traitons pas que la
politique familiale).
Autant nous pouvons imaginer que, dans les années à venir, nous
nous acheminerons vers des gains de productivité importants en
matière d'assurance maladie, certainement vers une stabilisation des
situations en termes d'assurance vieillesse, autant nous sommes dans une
logique d'augmentation de la charge de travail dans la branche famille. S'il
fallait appliquer demain la loi sur les 35 heures, nous aurions
nous-mêmes une pression de la part des organisations syndicales y compris
la mienne, pour nous rallier à ce dispositif. Nous ne pourrons nous en
sortir qu'à condition de trouver les ressources, notamment
financières, nécessaires au redéploiement et à
l'intégration de nouveaux salariés.
Nous sommes conscients de cette nécessité de flexibilité.
Pour certains salariés, il peut être question d'annualisation,
mais il faudrait des garanties, des horaires minimum et maximum.
L'annualisation du temps de travail n'implique pas, dans notre esprit, des
semaines de zéro heure et d'autres de 70 heures. De toute
façon, il faudra, dans ce cadre, redéfinir des limites
acceptables et non transgressables.
Sommes-nous favorables à l'inscription de ce dispositif dans le projet
de loi ? Cette disposition ne figure pas dans le projet de loi, la
négociation entre organisations syndicales et patronales risque
d'être très dure pour faire accepter, par les organisations
syndicales, des contreparties en termes de flexibilité.
En tant que syndicalistes, nous sommes conscients de cette difficulté,
mais nous souhaitons préserver un minimum de vie familiale.
Au-delà de la réorganisation des horaires de travail, il faudrait
insister sur le fait de préserver une vie familiale et notamment de
laisser la possibilité à chaque salarié de ménager
son dimanche et éventuellement un deuxième jour accolé au
dimanche (le samedi pour les uns, le lundi pour les autres). La vie familiale
ne doit pas être perturbée par une volonté de
réorganisation de la part de l'entreprise.
Faut-il intégrer des dispositifs relativement contraignants en termes de
contrepartie ? Dans un premier temps, ils pourraient ne pas être
intégrés pour laisser le champ libre aux négociations avec
les employeurs et connaître les contreparties que souhaitent les
entreprises. En effet, la situation sera différente selon que l'on est
dans une entreprise du secteur bancaire, de la métallurgie ou du grand
commerce.
Pourquoi ne pas attendre les propositions des négociateurs en termes de
contrepartie, plutôt que de vouloir calquer un même dispositif sur
l'ensemble des entreprises ?
Faut-il traiter différemment les cadres ? Cette notion de temps de
travail a-t-elle encore un sens ? Ces questions rejoignent l'idée
que j'évoquais tout à l'heure, à savoir qu'au-delà
des 35 heures, il nous semble que l'une des approches, qui pourraient
être un facteur déterminant en termes d'embauches, serait
plutôt de raisonner sur quatre jours que sur 35 heures.
Je vais peut-être choquer certains, mais raisonner sur quatre jours aura
un impact très fort pour les cadres et non-cadres car, quel que soit
l'horaire demandé, on n'ira pas au-delà. Le cadre pourra donc
utiliser le cinquième jour pour imaginer différemment son temps
de vie. Nous craignons que faire l'impasse sur les quatre jours
n'entraîne que peu de perspectives d'amélioration de la situation
pour les cadres.
Enfin vous avez évoqué, Monsieur le Rapporteur, les
conséquences et la possibilité d'imaginer un dispositif d'aide
directe aux personnes.
Que ce soit par l'UNEDIC ou les CAF, nous arrivons à gérer des
populations proches de 10 millions de personne et il nous est possible
d'appliquer un dispositif d'aide très fin, aussi bien une prestation
logement qu'une prestation familiale. Il s'agit plutôt d'une
difficulté politique que technique.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie.
M. Franck SERUSCLAT - Une question sur la dernière partie de votre
intervention que vous avez considérée un peu comme annexe,
n'étant pas celle de votre syndicat.
Dans une certaine mesure, lors du débat de la loi Giraud, une
hypothèse de ce genre avait été soulevée, à
ma demande, par le groupe socialiste.
Entendez-vous par là une possibilité de partage, pour le temps de
vie, d'une activité marchande et non marchande ?
Autrement dit, cette deuxième partie serait, comme le sont aujourd'hui
les activités de caractère social, humanitaire ou autres, prise
en compte par les collectivités et par ceux qui les utilisent. On arrive
ainsi à une situation où l'on a deux revenus provenant de deux
activités différentes.
C'était une des propositions présentées à cette
époque et qui a été rejetée par le projet Giraud.
Je souhaitais savoir si c'était à cette formule que vous pensiez
dans votre présentation, qui me paraît importante pour une
réorganisation du temps de vie et, de façon
générale, du temps de travail.
M. Daniel PERCHERON - Monsieur le Secrétaire
général, vous avez dit que, pour votre organisation, l'emploi
était important, mais que la protection sociale était aussi
importante.
Nous pourrions donc résumer votre pensée en disant que c'est un
peu le modèle français, le modèle européen ou le
modèle social-démocrate qui vous semble un tout. Par
conséquent, vous n'envisagez pas, semble-t-il, de revenir à
l'emploi au détriment de la protection sociale.
Le passage aux 35 heures, qui n'a pas de précédent dans les
démocraties industrielles récentes, vous semble-t-il possible en
dehors d'une tradition de cogestion qui existe chez certains de nos
voisins ?
M. Raymond Soubie que nous avons entendu, a été d'une
clarté remarquable et a considéré qu'après tout
l'idée était peut-être bonne, mais que, à coup
sûr, elle échouerait compte tenu de l'incapacité des
acteurs sociaux à la faire vivre au niveau des branches ou à
celui des entreprises.
Partagez-vous cette idée qui semble au coeur de cette volonté de
mettre en mouvement la société française un peu
malgré elle ?
Une autre question qui a un peu le même sens. Pensez-vous,
personnellement, puisque vous êtes à la tête du paritarisme
français, que la négociation des 35 heures, compte tenu
notamment du contexte de la révolte des chômeurs, est une chance
pour le syndicalisme français ?
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie. Encore une question,
Monsieur le Secrétaire général. Je voudrais
avoir votre sentiment, votre perception sur le déroulement de la
Conférence sur l'emploi. Pouvez-vous nous dire comment cela a
été perçu à la CFTC ?
M. Jean-Paul PROBST - Si vous êtes d'accord, je vais répondre dans
l'ordre des questions.
Pour répondre à M. Franck Sérusclat, dans mon idée,
l'hypothèse que j'ai abordée en dernier, à savoir pourquoi
ne pas imaginer qu'il y ait un revenu complémentaire par rapport au
revenu professionnel, il ne s'agissait pas de lier une activité non
marchande à une activité marchande. C'est possible, mais il n'y a
pas d'obligation.
Il s'agit simplement de lancer un signal fort à tous ceux qui occupent
un emploi actuellement et de leur dire : vous avez la possibilité
d'afficher un effort en termes de retrait partiel du monde du travail, la
collectivité vous en sait gré et complète votre revenu par
un revenu complémentaire d'environ 3 000 F par mois, dans
notre idée imposable, puisque c'est un revenu de substitution.
Il s'agirait de débaucher très rapidement, sur la première
année, au moins un million de personnes qui pourraient être
intéressées par ce dispositif. La deuxième année,
cela ne peut que se conforter. L'idée nous paraît
séduisante, ce n'est pas un million de postes créés
à Paris, mais en faisant appel aux volontaires, ce million de postes se
répartit dans toute la France. Si nous tenons compte de l'actuelle
géographie, des fonctions et des postes de travail, nous participons en
plein à l'aménagement du territoire puisque seront
créés ainsi des emplois aussi bien dans telle petite ville que
dans telle bourgade.
Dans notre idée, il s'agissait, pour partie, d'améliorer la
qualité de vie pour certains, et pour d'autres, d'afficher un signe de
partage d'activité. Certes, nous pensons que nous ne pouvons pas trouver
du travail salarié pour l'ensemble de la population française,
malheureusement, car nous sommes tributaires du taux de croissance, de nos
normes de productivité. Même avec beaucoup d'imagination, nous ne
voyons pas comment et avec quelle baguette magique nous pourrions nous en
sortir et laisser entrevoir une activité salariée pour tous ceux
qui le souhaiteraient.
En revanche, pourquoi ne pas nous engager sur le fait de donner une
activité à chacun et, dans ce cadre, une activité
même non salariée, mais rémunérée.
Dans ce cadre de réflexion, pourquoi ne pas offrir des demi-postes
à ceux qui le souhaitent. Bien évidemment, chaque fois qu'un
salarié acceptera de travailler à mi-temps, cela créera un
demi-poste dans l'entreprise. Notre intérêt est de nous adresser
aux salariés et non aux entreprises, celles-ci ayant pour charge de
gérer le fait qu'un salarié veuille travailler à mi-temps.
Alors, comment utiliser ce temps dégagé ? Il peut
l'être par des activités non marchandes, mais pour l'instant, dans
notre esprit, il n'y avait pas d'obligation d'aller dans ce sens.
M. Franck SERUSCLAT - Une brève remarque. Je ne pense pas que l'on
puisse demander à l'Etat et aux collectivités de donner 3.000 F
sans rien en échange.
Dans les communes, nous connaissons bien les besoins en matière sociale,
scolaire, de bibliothèque. Beaucoup d'activités peuvent
être rémunérées par les deux voies que
j'évoquais : une participation de la collectivité qui
crée, comme nous l'avons fait, des activités
périscolaires ; par exemple, il peut y avoir
rémunération dans le périscolaire, l'école
étant gratuite, pour certains besoins comme les aides familiales.
On ne peut pas demander à l'Etat, aux collectivités de payer les
personnes pour aller pêcher, à moins qu'elles ne nourrissent la
communauté avec leurs poissons !
M. Alain GOURNAC, président - Non, le mieux c'est la ligne plutôt
que le poisson...
M. Jean-Paul PROBST - Il s'agissait plutôt d'inciter les personnes, mais
on pourrait imposer des contreparties en termes d'engagements civiques
auprès des communes, des associations, des organisations ayant une
finalité sociale ou humanitaire.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est la disparition des bénévoles,
alors.
M. Franck SERUSCLAT - Il n'y a plus de bénévoles, c'est fini.
M. Jean-Paul PROBST - Ce serait une forme de substitution au
bénévolat.
M. Alain GOURNAC, président - Il y avait près de 1.200 personnes
dans ma salle des fêtes au moment des voeux, dont au moins 150
étaient bénévoles.
M. Franck SERUSCLAT - Le bénévolat a beaucoup diminué.
M. Alain GOURNAC, président
-
Oui, mais il existe toujours.
M. Jean-Paul PROBST - M. Daniel Percheron me fait dire que je ne souhaiterais
pas qu'il y ait développement de l'emploi au détriment de la
protection sociale. Oui, c'est ce que j'ai essayé de faire comprendre.
Dans notre dispositif, certes, il faut un certain nombre d'emplois mais surtout
une bonne couverture sociale. Sans couverture sociale ou avec des couvertures
trop disparates, vous ne permettez pas à certains de mener d'autres
projets, aussi bien professionnels qu'éducatifs. Au contraire, nous
essayons de garder ce lien le plus fortement possible, d'où ma remarque
précédente.
M. Daniel PERCHERON - C'est l'une des rares fois où la CFTC exprime
aussi fortement la globalité de sa vision.
M. Jean-Paul PROBST - Peut-être suis-je plus sensible aux
problèmes de protection sociale ?
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Comment va-t-on pouvoir durablement rendre
compatible le souci que nous avons d'aller faire nos courses en Chine ou
ailleurs et de préserver cette protection sociale ?
M. Daniel PERCHERON - Le jour où l'Europe, qui ne dépend
qu'à 10 % de ses échanges avec le monde, se dotera d'un
pouvoir politique et le jour où ce dernier sera choisi par les
électeurs en fonction de leur volonté de conjuguer la main
invisible du marché et la protection sociale. Qu'en pensez-vous ?
M. Alain GOURNAC, président - Nous n'allons pas faire de débat.
Nous recevons un invité...
M. Daniel PERCHERON - 1.200 personnes d'un côté et vous
régnez et, là, 5 ou 6 passionnées, il faut que
vous interveniez...
M. Alain GOURNAC, président - La passion est aussi quelque chose
d'intéressant, je ne le regrette pas.
M. Jean-Paul PROBST - C'est un sujet intéressant et je pense qu'à
terme nous irons vers un socle de protection sociale, au moins pour un certain
nombre de pays européens, pas forcément élargi aux 23
pays, mais aux pays rhénans. Nous n'accepterons pas de descendre
en-dessous de ce socle social.
M. Daniel PERCHERON - Si le marché le tolère, l'accepte,
aurons-nous le choix ?
M. Alain GOURNAC, président - D'autres questions ?
M. Jean-Paul PROBST - Une question a été posée sur la
capacité ou l'incapacité des acteurs sociaux à faire vivre
certains accords. J'ai la même interrogation. Il n'y a pas les purs et
les bons d'un côté et les moins bons de l'autre.
M. Daniel PERCHERON - C'est le système français, en fait.
M. Jean-Paul PROBST - Oui, le système français est
compliqué. Il est fondé sur les capacités de
réponse des individus. Bien évidemment, quand vous mettez autour
d'une table des négociateurs relevant du monde patronal et de toutes les
organisations syndicales, il y a une difficulté à trouver des
accords.
Moi-même, pour mon organisation, j'ai conduit un certain nombre d'accords
dans le domaine de la protection sociale, de la retraite complémentaire,
etc. Tout accord implique un compromis et ce dernier contient des points sur
lesquels on n'est pas d'accord, mais qu'il faut accepter, donc peser. Certains
articles, contreparties que l'on veut nous faire accepter, supposent une
maturité, une expérience de syndicaliste, une gymnastique
intellectuelle relativement forte et, ce, avec un taux de syndicalisation
relativement faible dans notre pays.
M. Daniel PERCHERON - Dérisoire.
M. Jean-Paul PROBST - Nous sommes mal préparés pour gérer
ce genre d'exercice.
Certes, il y a deux extrêmes. L'un est une juxtaposition de discours
démagogiques et de surenchère : il n'y a qu'à...
L'autre est une surenchère de contreparties complètement
inacceptable. Entre les deux, nous pouvons déplacer un peu le curseur
pour trouver le point d'équilibre, cela se fera dans certaines
entreprises mais pas dans toutes.
Donc cette inquiétude concernant l'incapacité ou la
difficulté pour certains acteurs sociaux de mener cette gymnastique, je
la partage également.
Quant à savoir si les négociations sur les 35 heures sont
plutôt une chance pour le syndicalisme, nous sortons des Prud'hommes,
c'est une difficulté pour les syndicalistes, je ne dirais pas que c'est
une chance. Sur le terrain, ce sera beaucoup plus difficile que vous ne le
pensez dans cette salle.
Il sera difficile de faire comprendre aux organisations professionnelles que,
par le biais de la réorganisation des équipes dans telle ou telle
industrie, par le biais des contreparties, de l'annualisation et
éventuellement par le gel des salaires, nous puissions nous en sortir.
L'une des difficultés consiste à amener un certain nombre de
partenaires, aussi bien politiques que sociaux, à envisager des fils
conducteurs sur le moyen terme.
Pour le syndicaliste que je suis, ce qui compte n'est pas seulement le fait de
se mettre d'accord aujourd'hui, mais de voir quelle va être
l'évolution de cet accord au cours du temps. Si les choses sont claires,
s'il n'y a pas d'arrière-pensées et si nous nous mettons d'accord
sur une démarche étalée sur cinq ou dix ans, largement
acceptée par les partenaires politiques et sociaux, ce sera un facteur
qui pèsera dans la capacité de négociation.
En revanche, s'il y a méfiance parce que nous ne savons pas de quoi sera
fait l'avenir, si nous ne savons pas si l'accord passera par un gel, par une
réduction de salaire, par des contreparties plus ou moins fortes, si ce
n'est qu'une étape dans un autre plan qui nous échappe, vous
comprendrez que ce dispositif peut mettre mal à l'aise plusieurs
négociateurs.
Donc, je ne dirai pas que ce dispositif est une véritable chance, c'est
une étape dans les négociations. Au-delà, il me semblerait
intéressant de formaliser les principes et pas leurs relations sociales
dans ce pays.
Enfin, sur votre dernière question,
Monsieur le président, quant à la perception de notre
organisation syndicale sur cette Conférence sur l'emploi, surtout avec
le recul, la façon dont nous constatons les conséquences,
notamment les relations un peu difficiles avec le monde patronal, avec la
juxtaposition des différentes déclarations syndicales sur le
bien-fondé de cette disposition, il nous semble que c'est un peu un
échec dans la mesure où on aurait pu préparer, de
façon plus longue et précise, les termes de cette
Conférence sur l'emploi.
Notamment sur des sujets difficiles, on ne peut pas se contenter d'avoir des
discours qui frappent l'opinion, qui marquent un certain nombre de processus.
Il faut d'abord vérifier si les moyens envisagés pour la mise en
oeuvre permettent de tenir le cap sur des longues distances.
Cette étape a été quelque peu négligée ou
bâclée, sans prendre les précautions nécessaires
quant à son déroulement. Pour tous ceux qui ont aidé
à préparer cette Conférence de l'emploi, le champ de
vision a été limité lors de la soirée même de
cette Conférence. On aurait dû envisager déjà le
côté opérationnel et aller au-delà de l'étape
liée à la simple annonce de la mesure.
Il aurait fallu mettre au point un mode opératoire pour les deux ou
trois ans qui viennent, avec un engagement respectif de l'ensemble des
partenaires sociaux. Je crois que, sur ce point, ce n'était pas
satisfaisant non plus.
M. Alain GOURNAC, président - Monsieur le Secrétaire
général, je vous remercie. Vous nous avez dit tout à
l'heure que vous n'étiez pas le premier spécialiste à la
CFTC, je vous remercie parce que vous avez été très clair.
Merci beaucoup.
D. AUDITION DE M. PIERRE GILSON, VICE-PRÉSIDENT DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES (CG-PME) ACCOMPAGNÉ PAR M. DOMINIQUE BARBEY, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL ET DE M. GEORGES TISSIÉ, DIRECTEUR DES AFFAIRES SOCIALES
Le président rappelle le protocole de
publicité des travaux de la commission d'enquête et fait
prêter serment à MM. Pierre Gilson, Dominique Barbey et Georges
Tissié.
M. Alain GOURNAC, président - Je voudrais attirer votre attention sur le
fait que nous ne sommes pas en train de discuter devant la commission des
affaires sociales, mais devant la commission d'enquête
décidée par le Sénat, et simplement sur la perception que
vous avez de la décision du Gouvernement qui a décidé de
faire cette proposition et de prévoir des crédits pour
accompagner cette mesure.
Il est important que votre point de vue soit recueilli dans ces conditions.
Je vous propose dix minutes pour cela, ensuite je passerai la parole à
notre rapporteur qui vous posera quelques questions, vous aurez la
possibilité d'y répondre immédiatement et mes
collègues, s'ils le souhaitent, vous poseront des questions.
M. Pierre GILSON - Etant donné le côté un peu solennel de
ce genre d'audition, je lirai le texte que l'on vous remettra. Ensuite nous
rentrerons davantage dans le vif du sujet, y compris en ce qui concerne les
réactions psychologiques des différentes entreprises que la
CG-PME représente : prestataires de services, industriels et
commerçants.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous en remercie.
M. Pierre GILSON - Monsieur le président. Ce sont bien les PME qui sont
créatrices nettes d'emploi dans le secteur marchand :
1.419.000 emplois créés nets dans les établissements
de moins de 200 salariés, dont 1.248.000 par ceux de moins de 50
salariés, entre le 1
er
janvier 1981 et
le 31 décembre 1996 (source UNEDIC).
Dès lors, le rôle prépondérant des PME dans la
création d'emplois et surtout le potentiel qu'elles ont en la
matière, implique qu'elles disposent de l'environnement le plus
favorable, notamment dans le domaine fondamental qu'est la durée du
travail.
Or, les éléments d'information qui nous parviennent unanimement
de nos organisations adhérentes nous confirment qu'une réduction
forcée, massive et uniforme de la durée légale
hebdomadaire à 35 heures avec ou sans maintien des salaires,
dangereuse pour l'ensemble des entreprises, représente une menace,
particulièrement pour les PME.
En effet, les problèmes de temps de travail, y compris la question de la
productivité, ne se posent pas de la même façon dans les
grandes entreprises que dans les entreprises petites et moyennes qui, selon les
domaines (industrie, commerce, prestation de services) sont d'ailleurs
obligées de tenir compte de caractéristiques
particulières.
Si des petites et des moyennes entreprises d'un certain secteur peuvent
accroître leur productivité en augmentant la durée
d'utilisation des équipements par le travail posté, toutes les
PME doivent surmonter plusieurs difficultés, de celles liées
à la recherche de personnel qualifié, contrairement à ce
que l'on peut penser, dont on sait qu'il fait cruellement défaut sur le
marché du travail, surtout, celles soulevées en cas de diminution
de la durée du travail par le rééquilibrage des postes
entre eux car on ne peut pas créer des fractions d'emploi dans cette
taille d'entreprise.
Pour illustrer cette notion, il faut imaginer une petite entreprise
composée d'emplois spécialisés et non
interchangeables : un ingénieur, un contremaître, un
commercial, une secrétaire, un chauffeur, un manutentionnaire, dans
laquelle il faudrait embaucher un ingénieur, un commercial, une
secrétaire pour quatre heures, respectivement, etc. On voit le
côté impraticable de l'opération dans les PME. Par
ailleurs, tel ouvrier, tel employé, tel cadre devrait trouver neuf
employeurs pour effectuer sa semaine de travail complète.
Les prestataires de services et les commerçants, de plus, de par la
nature même de leur activité, ont peu de possibilités de
compenser par des gains de productivité le surcoût lié
à la diminution du temps de travail. Plus particulièrement, le
petit commerce, pour des facteurs humains évidents, est, contrairement
à la grande distribution (qui peut utiliser des équipes
chevauchantes), limité en matière d'heures d'ouverture.
En dernier lieu, on peut fortement douter de la corrélation entre baisse
forte du temps de travail, même hebdomadaire, et création nette
d'emplois. Un exemple historique et significatif à ce propos, celui de
la réduction de la durée légale du travail hebdomadaire de
48 à 40 heures en 1936. Au début de cette
année-là, il y avait 40.000 demandeurs d'emploi pour
20.800.000 actifs et, à la fin de la même année,
après cette réduction massive de 8 heures hebdomadaires,
19.400.000 actifs et 864.000 demandeurs d'emploi dans la même
année.
Nous notons par ailleurs qu'au terme des documents distribués lors de la
séance préparatoire à la Conférence du
10 octobre sur l'emploi, les salaires et la réduction du temps de
travail, quatre des six plus grands pays industrialisés ont une
durée annuelle du travail supérieure à celle de la France
et un taux de chômage inférieur. Dans le même sens, si l'on
se place au niveau de la durée hebdomadaire en Europe, on constate que
les deux pays ayant la plus forte durée hebdomadaire du travail, le
Portugal et la Grande-Bretagne, ont des taux de chômage parmi les plus
faibles et qu'à l'inverse la Belgique, qui a une des durées
hebdomadaires les plus faibles, a un taux de chômage parmi les plus
élevés.
Sachant qu'une des tendances historiques lourdes des économies
occidentales est une réduction progressive de la durée du
travail, mais intervenant très lentement avec des modalités
variées, on ne saurait pour autant ignorer le phénomène
contemporain de mondialisation qui entraîne les entreprises, souvent
contraintes et forcées, à la délocalisation.
Ce mécanisme de délocalisation qui concerne traditionnellement
les grandes entreprises (20 des 40 entreprises constituant le CAC 40 ont plus
de 50 % de leur masse salariale à l'étranger) s'étend
maintenant aux PME. On ne s'en étonne pas quand on sait que le
coût de l'emploi d'un ouvrier vietnamien ou malgache revient près
de 50 fois moins cher que celui d'un ouvrier français.
Il serait dramatique qu'une réduction du temps de travail accentue le
phénomène de délocalisation, c'est-à-dire
d'importation du chômage des autres qui est à l'origine de la
fracture sociale de notre pays.
Pour tenir compte de l'ensemble de ces éléments, l'unique
solution efficace consiste en la mise en place de dispositifs favorisant
l'aménagement du temps de travail.
Cet aménagement, pratiqué à travers des mécanismes
modulation-annualisation négociés volontairement dans les
branches et les entreprises est, à notre avis, seul susceptible de
prendre en compte le besoin et les spécificités des
différents secteurs professionnels et des entreprises les composant,
permettant à ces dernières de faire face à leurs
variations d'activité sans surcoût.
Dans cette optique d'aménagement du temps de travail par la
négociation volontaire, nous jugeons très négativement le
texte proposé à l'examen du Parlement.
Celui-ci est en effet normatif et ne permet donc pas de véritables
négociations, les résultats de cette négociation
étant fixés par avance :
Durée légale hebdomadaire abaissée obligatoirement
à 35 heures au 1
er
janvier 2000 pour les entreprises de
plus de 20 salariés et au 1
er
janvier 2002 pour les autres
(article 1).
Modifications restrictives en matière d'heures supplémentaires et
de temps partiel.
Abaissement du seuil de déclenchement du repos compensateur de
50 %, obligatoire dans les entreprises de plus de dix salariés, le
travail accompli au-delà de 42 heures (dans la limite du contingent
de 130 heures à 41 heures au 1
er
janvier 1999
(article 5).
Réduction du champ d'application de l'abattement de 30 % des
cotisations patronales de sécurité sociale, pour l'embauche de
salariés à temps partiel (article 6).
Le seuil de ce bénéfice est relevé à 18 heures
contre 16 actuellement.
Puis d'autres points que vous connaissez dans les différents articles
que nous contestons.
Par ailleurs, la négociation sera également rendue plus difficile
par le fait que les interlocuteurs du chef d'entreprise, dans les entreprises
n'ayant pas de représentation syndicale, ne pourront être que des
" salariés expressément mandatés " par une ou
plusieurs organisations syndicales reconnues représentatives sur le plan
national, et non directement par les élus du personnel (comité
d'entreprise ou délégués du personnel) ; ceci
contrairement aux dispositions de l'accord du 31 octobre 1995 sur la
négociation collective signé par les partenaires sociaux. Nous
sommes un des instigateurs.
Cela risque de réduire les rentrées de cotisations des
régimes de sécurité sociale, notamment du régime
général et mener, en conséquence, à une nouvelle
augmentation des prélèvements sociaux obligatoires.
En effet, il est précisé dans l'exposé des motifs que
l'aide financière destinée à faciliter la réduction
du temps de travail, accordée sous forme de déduction de
cotisations patronales de sécurité sociale (article 3),
" donnera lieu, à compter du 1
er
janvier 1999,
à un remboursement partiel de la part de l'Etat aux régimes
concernés ".
Ainsi donc, aucune compensation pour les régimes de
sécurité sociale n'est prévue pour l'année 1998 et
la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 ne
prévoit qu'un remboursement partiel.
Cette disposition est contraire à la loi de 1994 qui prévoyait
que les exonérations de cotisations seraient compensées pour les
recettes du régime général de sécurité
sociale par un remboursement de l'Etat. Surtout, elle est complètement
irréaliste quand on sait que le seul régime général
de sécurité sociale enregistre un déficit cumulé de
337 milliards de francs depuis 1992, qui a abouti à l'augmentation
forte des prélèvements sociaux obligatoires, en particulier dans
la dernière période, à travers la CRDS (au taux de 0,25%).
Voilà donc le texte que nous vous remettrons,
monsieur le président.
Si vous le permettez, j'aurais aimé vous donner les dernières
réactions des organisations patronales. Cette nuit, nous avons eu une
séance regroupant tous les partenaires patronaux dans le cadre du
Comité de liaison des décideurs économiques (CLIDE)
où les cinq présidents ont fait une déclaration commune,
pour bien montrer les difficultés auxquelles se heurtent les entreprises.
Pas une seule organisation n'a manifesté un intérêt sur le
texte qui nous est proposé, dicté plutôt, et qui ne permet
pas vraiment la négociation telle qu'elle se pratique avec nos
partenaires sociaux. Sur la forme, c'est véritablement un
événement nouveau.
Nous sommes pantois puisque l'objet d'une négociation est de voir les
intérêts en jeu de part et d'autre, d'arriver à un
consensus et de signer un accord. Or, là, en début de
réunion, le 10 octobre, les jeux ont été
distribués et il nous est demandé de négocier aujourd'hui.
Que négocier, puisque nous n'avons plus rien à donner ?
Cet état de fait risque d'entraîner dans beaucoup d'entreprises
des comportements négatifs.
Tout d'abord, celui du chef d'entreprise qui n'a pas la possibilité,
dans bien des cas, d'augmenter sa compétitivité parce qu'il le
fait tous les jours, contraint qu'il est vis-à-vis de ses fournisseurs
et de ses clients de se battre pour obtenir les meilleurs prix et des
conditions de paiement raisonnables. Bien souvent, devant la dureté de
la concurrence, il est obligé de délocaliser, d'abord en Europe.
J'ai dit tout à l'heure que les pays européens comme l'Irlande,
le Pays de Galles, l'Angleterre, l'Ecosse, commencent à accueillir
certains de nos chefs d'entreprise. C'est véritablement un drame quand
ils le font, mais c'est une question de survie.
Certains acteurs économiques n'ont pas le choix face aux concurrents,
nous parlions de l'Indonésie, elle n'est pas la seule, il y a tous les
pays qui, aujourd'hui, essaient de trouver une place sur le marché
mondial.
Nous n'étions pas habitués à cette concurrence drastique
et sans règles que nous contestons. Je suis de ceux qui, depuis de
nombreuses années, négocient avec les partenaires syndicaux. Cela
me permet de dire que nous craignons beaucoup, y compris au niveau des
branches, qu'il y ait une certaine amertume, en tout cas une non-volonté
de négocier quoi que ce soit, y compris dans d'autres matières
telle que la formation professionnelle.
Ensuite, nous voyons apparaître, et c'est nouveau aussi dans des
entreprises de petite taille, la volonté de mettre en place de la
sous-traitance (je pense à une profession comme la mienne,
j'étais " concessionnaire automobile "), c'est-à-dire
des artisans pour assurer l'activité tôlerie, carrosserie,
peinture par exemple et qui ont juste à payer des royalties à
l'entreprise qui les accueille. A ce moment-là, les problèmes de
présence vis-à-vis de la clientèle sont du ressort de
l'artisan qui travaille le temps nécessaire pour répondre
à la demande de la clientèle.
Ce système existe depuis quelques années aux Etats-Unis. Par la
force des choses, il va être mis en place en France, alors que ce n'est
pas forcément une bonne solution.
Nos propres salariés s'inquiètent. Contrairement à ce qui
est dit, le dialogue social dans les PME existe, les contacts sont permanents
et les réalités sont visibles. Les chefs d'entreprise, quand ils
voient un de leurs clients disparaître, essaient d'inciter leur personnel
à s'associer à eux pour améliorer la production, les
délais et les coûts.
Lorsque les salariés se rendent compte qu'avec une charge de 11 %
supplémentaire le marché va échapper à leur
entreprise, ils se resserrent autour de leur patron pour essayer de comprendre.
Dans beaucoup de PME, les salariés expriment leur inquiétude
à leur patron.
Enfin, s'agissant de la question salariale, je voudrais être parfaitement
clair -je ne sais comment seront réglés les graves
problèmes qu'engendrerait, pour la fixation du SMIC, l'abaissement de la
durée légale hebdomadaire à 35 heures mais, quoi qu'il en
soit, dans une PME, lorsqu'il y a une augmentation du SMIC, vous avez un
défilé, dans les quatre ou cinq mois qui suivent, de l'ensemble
du personnel qui demande pourquoi le patron augmente de 3 ou 4 % le
salarié qui n'a aucune qualification alors que celui qui a dix ans
d'ancienneté ne reçoit pas un centime.
En conséquence, que nous le voulions ou non, nous serons obligés
de céder, donc d'augmenter les salaires et non de les bloquer
contrairement à ce que pense le ministre du travail, nous n'aurons pas
la possibilité de les bloquer car il faut accepter cela ou bien ne pas
fonctionner.
La démonstration a été faite hier, en tout cas au niveau
artisanal, qu'on peut craindre une augmentation du travail illégal pour
de simples raisons de survie. Dans certains cas, il faudra absolument produire
et, pour cela, on le fera de façon contraire à la loi. C'est le
risque. Or, cette situation existe déjà aujourd'hui, et nous nous
en plaignons. Les gestionnaires que nous sommes à l'UNEDIC, ne voient
pas d'un bon oeil tout ce qui pourrait réduire les rentrées de
cotisations dont nous avons grand besoin pour verser les sommes que nous devons
aux allocataires.
Voilà, monsieur le président, nos premières
réactions.
Je voudrais ajouter encore un élément. Nous avons une commission
sociale qui regroupe près de 450 organisations et
fédérations adhérentes. Aucune d'elles ne nous dit
aujourd'hui : nous allons nous réunir autour d'une table pour
négocier.
Nous pensons que ce n'est pas au moment où nous allons nous battre
auprès de nos partenaires européens pour mettre en place l'Euro,
qui est une charge financière non négligeable, qu'il faut en
ajouter une de plus.
M. Dominique BARBEY - Jusqu'à présent les partenaires patronaux
avaient protesté en ordre dispersé. Au fur et à mesure,
ils examinent les mécanismes de cette loi sur laquelle ils n'ont pas
été consultés, comme l'a dit le président Gilson et
sur lesquels il n'a pas été possible de négocier entre le
10 octobre (date du sommet de Matignon) et le 10 décembre
(date du Conseil des ministres). Or, après examen, chacun, dans son
coin, se rend compte de l'effet néfaste de cette loi.
Vous avez eu l'occasion de questionner les composante patronales. Toutefois, il
était intéressant hier soir, à cette réunion du
Comité de liaison des décideurs économiques, de voir que,
dans chaque catégorie de l'activité économique, la
tendance était au durcissement contre cette loi.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie.
Monsieur le président, je vais vous demander de verser la pièce
que vous venez de mentionner, c'est-à-dire le communiqué de cette
nuit. Le pouvez-vous ? Nous allons le photocopier.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Merci à M. Gilson et M. Barbey pour
les indications qu'ils viennent de porter à notre connaissance.
Je voudrais demander à M. Gilson s'il estime, qu'en dépit de
toutes les réserves qu'il a exprimées, on peut envisager demain
la négociation d'accords de branches. Pensez-vous que les conditions
sont réunies pour que les salariés acceptent le gel des salaires,
en contrepartie de la réduction du temps de travail ?
Pensez-vous qu'ils sont psychologiquement ou économiquement prêts
à accepter, en contrepartie de la baisse du temps de travail, une
réduction des salaires ?
Les économistes nous disent que la création d'emplois peut
accompagner la réduction du temps de travail, à condition qu'il y
ait réduction ou gel des salaires.
Pensez-vous qu'il puisse y avoir des perspectives, mais j'en doute après
ce que vous venez de nous indiquer ?
M. Pierre GILSON - En tout cas, dans les PME, cela m'étonnerait.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - La deuxième question concerne les seuils.
J'avais cru entendre votre confédération exprimer une sorte de
soulagement lorsque le seuil avait été porté de 10
à 20.
En définitive, peut-on admettre tous ces seuils ? N'est-ce pas une
complication supplémentaire et, dans certains cas, un frein au
mouvement ? En effet, si l'on franchit le seuil, on change de
régime et on entre dans des contraintes supplémentaires.
J'aimerais bien avoir votre sentiment à ce propos.
Enfin, sur ces seuils, avez-vous eu écho d'un relèvement autour
de 50 ? Il semble que le secrétaire d'Etat à l'industrie ait
fait une avancée dans cette direction ? En avez-vous entendu
parler ?
Dans la préparation de la Conférence nationale sur l'emploi et
dans les semaines qui ont suivi, avez-vous été
consultés ? Dans vos échanges, en avez-vous entendu
parler ?
M. Pierre GILSON - Sur le plan des salaires, je vous ai fait la
démonstration nécessaire. A moins qu'il y ait un blocage ou une
réduction du SMIC, cela viendrait de l'Etat puisque c'est lui qui
décide, il sera très difficile d'empêcher une hausse des
salaires, notamment dans les PME.
Je ne m'attend pas à cela. Je suis réaliste. Nos entreprises sont
bien obligées de l'être. Je ne vois pas cette possibilité.
Dans des grandes entreprises, et le CNPF vous dira ce qu'il en pense, où
il y a des problèmes de réduction des effectifs, je ne vois pas
cette possibilité.
Quant au seuil, en fait il s'agit d'un faux seuil, c'est retarder
l'échéance. C'est même inquiétant parce que nous
avons aujourd'hui des PME qui, a l'orée de 1998, avec une situation qui
semblait s'améliorer, avaient un renouveau d'espoir et pensaient pouvoir
investir, se lancer dans un peu de créativité, de recherche, et
peut-être même d'exportation.
Or, l'annonce de cette loi les a fait revenir sur leur position. C'est
très dommageable pour l'économie, étant donné le
nombre d'entreprises qui espéraient, en 1998, prendre quelques risques.
Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Au surplus, personne ne sait quels seront
les amendements qui seront proposés par la majorité plurielle.
Nous notons déjà un certain affolement de ceux qui allaient
investir.
Le seuil de 20 a été annoncé à l'occasion d'une
manifestation de la CG-PME par Mme Lebranchu. Nous n'avions pas la
certitude qu'il était avalisé par le Premier ministre, cela l'a
été par la suite. Quant au seuil de 50 que vous mentionnez, il
semble que l'idée en soit caduque. De toute façon, il s'agit
simplement d'un délai.
Nous savons bien que, techniquement parlant, le seuil de 50 couvre un effectif
d'entreprises très important. La CG-PME ne peut admettre qu'il y ait,
sur ce plan-là, des seuils, d'autant que le système
proposé risque, d'une part, de diminuer les recettes du régime
général de sécurité sociale (c'est la non
compensation par l'Etat en 1998 et la compensation seulement partielle en 1999)
et, d'autre part, d'introduire une différence de traitement entre les
entreprises. En effet, les entreprises passant rapidement aux 35 heures vont
bénéficier d'un allégement de cotisations sociales et les
autres entreprises non. Cela crée une distorsion de concurrence
vis-à-vis des entreprises qui ont déjà
réalisé des efforts en matière d'aménagement ou de
réduction du temps de travail ou qui n'ont pas du tout l'intention de le
faire. Sur le plan d'une certaine éthique patronale, on trouve
étonnant une telle distorsion qui fait que l'Etat avantage plutôt
une entreprise qu'une autre. Avec cela, personne ne sait où l'on va,
monsieur le rapporteur.
Donc, nous contestons ce seuil prévu dans le temps pour l'application de
la loi... mais, nous ne sommes pas demandeurs.
En revanche, nous sommes demandeurs, pour les entreprises de moins de 50, qu'il
n'y ait pas application de cette loi, en fait pour toutes les entreprises.
En fait, pour toutes les entreprises, nous savons bien que les effets de seuil
sont pervers.
M. Alain GOURNAC, président - Tout à fait.
M. Pierre GILSON - Obliger une entreprise à en créer une seconde
parce qu'elle ne veut pas passer le seuil des 49, avouez que c'est quand
même un peu enfantin. Il y a aussi les seuils de 10 et de 11.
M. Alain GOURNAC, président - D'autres questions, monsieur
le Rapporteur ?
Non, alors je vais passer la parole à notre collègue,
M. André Jourdain.
M. André JOURDAIN - Je voudrais demander au président Gilson
,
s'il croit en la croissance et à quelles conditions, selon lui,
pourrait-elle créer de véritables emplois ?
Enfin, une question plus technique : comment voyez-vous la
rémunération, dans l'hypothèse de l'application des 35
heures dans une entreprise ?
Les salariés qui étaient dans l'entreprise seront-ils toujours
payés sur la base des 39 heures, s'il n'y a pas baisse de salaire
et, les nouveaux, à qualification égale, sur la base de
35 heures ? Ce ne sera pas facile à gérer si tel
était le cas.
M. Pierre GILSON - Je vais faire une réponse de normand. Les PME, en
grande majorité, ont et vont avoir un comportement statique. On risque
de voir nos PME -qui devraient exporter davantage qu'elle ne le font sur le
marché européen ou peut-être commencer à exporter,
alors qu'elles ne l'ont pas encore fait- se trouver statiques et dire :
" nous allons attendre ". C'est dramatique.
Aujourd'hui, dans une entreprise, on n'a pas le droit d'attendre, on doit
toujours être en avance sur un événement. Là, les
entreprises vont avoir un comportement inverse.
Voici quelle va être leur réaction : s'il faut payer 39, 35
heures de travail, elles le feront, mais elles n'augmenteront pas leur
production ; à mon sens, en majorité, elles vont
plutôt la réduire.
Je vous ai montré tout à l'heure l'impraticabilité dans
une PME du passage aux 35 heures. J'étais concessionnaire, je
n'avais pas deux personnes qui assuraient le même travail.
M. André JOURDAIN - Y compris pour celui qui va rentrer dans
l'entreprise après les 35 heures ?
M. Pierre GILSON - Monsieur le Sénateur, vous voyez bien que ces
entreprises sont presque des familles. Le bulletin de paie, on en parle au
" bistrot " : " Comment es-tu rentré ?
Vas-tu
toucher moins que moi ? Comment cela se fait-il ? Tu dois aller voir
le patron, je t'accompagnerai... " Voilà comment cela se passe, il
faut être réaliste. Il n'y a ni intermédiaire, ni
délégué syndical pour prendre en main le dossier.
Le patron, qu'il le veuille ou non, a besoin d'une certaine ambiance
productive, d'un climat pour demander des efforts à son personnel. Une
de nos difficultés quand nous avons de nouvelles recrues, est de leur
donner l'esprit de l'entreprise. On se " défonce " pour que
l'entreprise donne satisfaction à sa clientèle.
M. André JOURDAIN - Je suis conscient du problème que cela
poserait.
M. Alain GOURNAC, président - Quelle leçon pouvons-nous tirer
aujourd'hui de la mise en oeuvre de la loi de Robien pour les PME-PMI ?
Une question beaucoup plus large, comment expliquez-vous que la France soit le
pays européen le plus engagé dans la baisse de la durée
légale du travail ?
M. Pierre GILSON - Je vais passer la parole pour la première question
à M. Georges Tissié qui ne s'est pas encore exprimé.
M. Georges TISSIÉ - Il existe environ 1.500 accords portant sur la
loi de Robien, avec une proportion non négligeable d'accords
défensifs.
Nous estimons que ce débat est un peu dépassé. Nous
n'étions pas favorables au principe de la loi de Robien, nous pensions,
notamment, qu'elle introduisait déjà un certain nombre de
distorsions de concurrence et que son coût était très
lourd. Maintenant, de toute façon, le débat est
dépassé puisque la loi de Robien est amenée à
disparaître, si la mécanique de la loi qui nous est
présentée va jusqu'à son terme.
Donc, le débat est pratiquement clos.
M. Alain GOURNAC, président - Je suis tout à fait d'accord et je
vous suis, mais cela a été une réalité. C'est
quelque chose qui a été lancé en direction de la
réduction du temps de travail.
Avant de nous engager sur la discussion de la loi des 35 heures, nous
aimerions avoir une analyse de votre part.
M. Georges TISSIÉ - L'analyse comporte deux éléments. Le
premier est celui que j'énonçais à l'instant, nous
étions opposés à la mécanique de la loi de
Robien ; le second est le bilan ; j'ai évoqué les chiffres
de 1.500 accords, un peu plus de 15.000 emplois concernés. C'est
peu.
Voilà les deux éléments du bilan que nous tirons.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie. Sur la question un peu
plus large : comment expliquez-vous aujourd'hui que la France soit le pays
européen le plus engagé dans la réduction du temps de
travail ? Quelles réflexions en tirez-vous ?
M. Pierre GILSON - Là, c'est plutôt une réponse politique,
je vais répondre très honnêtement.
Il nous a été répondu, par deux fois, à une
question comme la vôtre : nous avions promis, nous tenons. C'est une
promesse.
Après avoir eu un long débat avec des responsables du
ministère du travail, où la démonstration que je vous ai
faite avait un peu ébranlé la certitude de ces responsables, il
m'a été répondu : " si nous nous sommes
trompés, nous verrons... "
Pour moi, une telle réponse est dramatique.
La promesse faite va-t-elle créer des emplois ? Nous avouons ne
plus en être sûrs aujourd'hui, à la suite de ce que vous
nous dites ", nous a-t-on affirmé. Autre facteur
d'inquiétude, l'évasion d'une partie de la main-d'oeuvre et nous
voyons même certains de nos cadres partir dans d'autres pays pensant
qu'ils n'ont pas d'avenir chez nous.
M. Daniel PERCHERON
.
- La réponse de M. Gilson est
intéressante. Je voudrais la transposer, puisque je suis socialiste,
donc très attentif au problème des 35 heures.
Je vous ai écouté.
Premier point : je pense qu'il était absolument nécessaire
que M. Lionel Jospin vous fasse directement ou indirectement cette
réponse, pour une raison fondamentale : la crise de confiance de la
société française quant à son avenir et à la
capacité des politiques de réussir, notamment dans le domaine de
l'emploi, impliquait le respect des engagements. Je pense que les six premiers
mois de caractère " mendesiste " de l'action de
M. Jospin
ne sont pas étrangers au frémissement de la croissance.
Second point : avant l'angoisse des chômeurs, au nom du patronat,
vous êtes les premiers à mettre en cause la confiance,
délibérément, et cela peut jouer un rôle sur la
croissance.
Je me demande si vous avez fondamentalement raison, car vous savez très
bien que l'autre alternative, à partir du refus d'une politique
volontariste, de l'esquisse d'une sociale démocratie à la
française, sous un gouvernement de gauche, c'est l'acceptation du
modèle anglo-saxon.
En effet, si les 35 heures ne débouchent pas sur cette mise en
mouvement de la société, sur cette relative cogestion au service
de l'emploi, il ne restera plus qu'à essayer la
dérégulation absolue. Il n'est pas évident que la
société française soit d'accord pour l'accepter.
Voilà ce que je voulais vous dire. Je suis profondément
déçu de votre attitude en tant qu'organisation patronale.
En conclusion, je vous ferai remarquer que le fait que le capitalisme
français accepte le grand large, et nos investissements à
l'étranger, comme les investissements étrangers chez nous depuis
même cette année, montrent qu'il a effectivement pour la
première fois accepté le grand large. Cela est dû en grande
partie à la politique menée par les gouvernements de gauche, quel
qu'en soit le prix électoral que, parfois, ils ont accepté de
payer pour ce contre-emploi. Il y a une réhabilitation de l'entreprise.
C'est peut-être le premier effort qui vous est demandé dans la
société française depuis 1981, puisque le giscardisme vous
avait demandé de supporter seuls, en tant qu'entreprises, le poids de la
crise, en faisant passer le poids des prélèvements obligatoires
de 34 à 42.
Devant ce premier effort, vous bronchez vraiment beaucoup. Espérons que
la dynamique de la négociation vous amènera à relativiser
votre attitude.
M. Alain GOURNAC, président - Merci,
monsieur le président. On ne vous a pas posé de
question, vous n'êtes pas obligé de répondre.
M. Pierre GILSON - J'ai pris note de la déclaration. Nous n'avons pas
vraiment une politique, un idéal en matière de réduction
du temps de travail. Nous sommes une confédération et je vous dis
ce qui revient de la base. Ce n'est pas moi qui décide, elle me
dit : " voilà ce que nous allons faire " et, pour moi,
c'est dramatique.
Ne serait-ce que pour la Confédération elle-même qui risque
de perdre des adhérents, je n'ai pas envie de voir partir une bonne
partie de mes troupes à l'étranger ou stagner alors que nous
sommes en train de mettre en place toutes les actions de formation
nécessaires, notamment pour les dynamiser et les inciter à
exporter.
Quoi qu'il en soit, le constat est là. On nous a dit " quand on
fait une promesse, il faut la tenir ". Là, véritablement, je
le reconnais, nous n'y sommes pas habitués.
M. Daniel PERCHERON - Pour la croissance cela peut jouer un rôle.
M. Pierre GILSON - La confiance ne se décrète pas. Les chefs
d'entreprise ont confiance ou pas. Entre deux partenaires, si on est d'accord,
on se serre la main, on est d'accord, on n'a même pas besoin de contrat.
Mais là, le contrat pour eux est faussé, d'abord parce qu'ils
n'ont pas pu discuter ; cette journée du 10 octobre a
été pour nous une réelle déchirure. Nous nous
attendions à une véritable loi d'incitation et d'orientation.
Il y aurait eu une incitation, y compris d'ailleurs avec des
aménagements de charges sociales, nous l'aurions accepté. Les
entreprises auraient fait au fur et à mesure de leur possibilité,
mais vouloir faire croire que toutes les entreprises fonctionnent de la
même façon, de la très grande à la petite... et
même chez les petites (car de l'une à l'autre, il y a des
différences fondamentales), à mon sens, c'est une erreur qu'elles
n'acceptent pas.
M. Alain GOURNAC, président - Monsieur le président, je
vous remercie.
Avez-vous d'autres choses à nous déclarer ?
M. Pierre GILSON - Non.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie, messieurs, nous vous
raccompagnons.
E. AUDITION DE M. DENIS KESSLER, VICE-PRÉSIDENT DU CONSEIL NATIONAL DU PATRONAT FRANÇAIS (CNPF) ET PRÉSIDENT DE SA COMMISSION ÉCONOMIQUE, ET DE M. GEORGES JOLLES, PRÉSIDENT DE SA COMMISSION SOCIALE
M. Alain GOURNAC, président, rappelle le protocole
de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait
prêter serment à M. Denis Kessler et à ses
collaborateurs.
M. Denis KESSLER - Merci. Je me propose de vous laisser le schéma
d'intervention plus détaillé éventuellement, rappelant un
certain nombre de chiffres et de faits, afin que mon exposé ne soit pas
trop long ou trop touffu. Je vais aller à l'essentiel.
Je souhaiterais aborder le problème d'illégitimité que
ressent le CNPF à l'idée de voir les pouvoirs publics intervenir
dans le domaine des relations sociales et salariales dans les entreprises
privées marchandes.
Nous considérons cette intervention comme il légitime. Nous avons
très largement le sentiment que contrairement à ce que d'aucuns
pensent, il faudrait réfléchir avant de savoir s'il y a un
bien-fondé économique au passage à 35 heures.
Notre démocratie reconnaît une certaine autonomie aux relations
sociales concernant le secteur marchand, à des partenaires sociaux que
sont les syndicats, salariés d'une part, et de branche et
interprofessionnels d'autre part, le CNPF ou la CGPME par exemple, pour
décider certaines dispositions les régissant, d'où la
nature paritaire de bien des organisations sociales de notre secteur, en France
les conventions collectives ou d'établissement, accords de droit
privé signés entre les partenaires responsables pour
définir une série d'éléments concernant les
relations sociales et salariales.
En 1998, dans une démocratie, je le répète ouverte, dans
laquelle il y a une séparation entre la sphère publique et celle
privée, ne se pose-t-il pas un véritable problème à
une intervention dans un secteur
a priori
régi par des
conventions, des contrats, des relations de droit privé ? C'est celui
que je voudrais mettre en avant. On considère d'emblée qu'il est
normal d'intervenir et on développe simplement des analyses sur les
modalités de l'intervention.
En ce qui nous concerne, les entreprises et leurs organisations
représentatives considèrent qu'il est urgent en France de
respecter étroitement la sphère dite de la société
civile, dans laquelle les relations fondamentales entre les partenaires sont
déterminées par des conventions de droit privé.
Sur quoi reposent ces contrats et ces conventions ? Sur le dialogue, puisque
nul ne peut les signer s'il y est contraint, ce qui signifie
nécessairement des négociations, et qu'à leur terme les
parties prenantes prennent des dispositions. Moi-même, dans le cadre de
mes fonctions précédentes de président d'une
fédération, j'ai été amené à signer
un grand nombre d'accords, dont trois conventions collectives après
négociations durant des mois afin de déterminer la durée
du travail dans le secteur de l'assurance sans aucune immixtion des pouvoirs
publics, parce que les partenaires sociaux avaient décidé de se
donner une règle, celle-ci ayant été librement
déterminée après négociations.
Parmi les réactions des entreprises auxquelles nous assistons, d'une
très grande ampleur et détermination, il y a le sentiment que le
projet de loi fixant la durée du travail dans les entreprises du secteur
marchand représente une forme d'immixtion, d'ingérence au sens
fort du terme dans un domaine qui devrait rester celui des partenaires sociaux
dûment mandatés pour pouvoir déterminer les règles
les concernant.
Ce rappel est fondamental, je crois. Il permet de comprendre pourquoi certaines
entreprises sont prêtes à discuter de l'organisation et de la
durée du temps de travail. Il ne faut pas croire que les relations
sociales soient nulles dans notre pays. Bien au contraire, chaque année
dans les entreprises, dans les secteurs où se signent des accords, y
compris sur l'organisation ou la durée du temps de travail, ceux-ci
procèdent de la forme de démocratie sociale qui existe dans ce
pays, toujours importante, laissant une initiative et une responsabilité
aux partenaires.
C'est la réaction très vive à l'existence d'une loi
contraignante s'imposant aux parties. Lorsque nous avons fait l'éloge de
la négociation ensuite, je crois me souvenir que l'accord résulte
de la négociation et que celle-ci ne suit pas l'accord. Elle n'a de sens
que si les parties peuvent en déterminer l'issue, ce qui n'est pas le
cas si elle est prédéterminée.
Au titre du CNPF, je répète avec force que les entreprises comme
l'ensemble des secteurs de services sont prêts, et le font, à
discuter avec les partenaires qui sont les représentants des
salariés, de toute une série de questions dès lors qu'est
reconnue leur approche, c'est-à-dire le droit à la
négociation et à l'établissement de conventions librement
établies et signées.
Si je quitte le terrain de ce problème de frontière que je
considère comme fondamental entre la sphère de la
société civile et celle de la société publique, je
ne vois pas non plus de justification sur le terrain économique, au nom
de l'emploi, par une loi, d'une intervention pour le passage à 35 heures
à partir du 1er janvier de l'an 2000.
Dans notre note que nous vous laisserons, nous entrons dans le détail.
Dans la préparation de la réunion du 10 octobre, une
séance technique l'a précédée. Il est dommage que
les huit documents livrés à la sagacité des partenaires
sociaux, établis par des administrations comme l'INSEE, la Direction de
la Prévision, la DARES du ministère du Travail, soumis aux
partenaires sociaux, n'aient pas connu la publicité qu'ils
méritaient.
Ils ont été l'objet d'une étude, on y découvre
toutes les analyses possibles et imaginables, les chiffrages, les comparaisons
internationales fondant les raisons pour lesquelles, d'un point de vue
économique, les 35 heures ne semblent pas être la voie
permettant actuellement de résoudre le problème très
important, lancinant et perturbant du chômage en France.
Je me permets de vous renvoyer à ces documents établis par des
gens pour lesquels j'ai beaucoup de respect, les administrations
économiques et sociales concernées, qui ont pu, s'appuyant sur la
théorie, des faits, des analyses, des statistiques, démontrer que
sur de nombreux points, les thèses avancées étaient
partagées par beaucoup d'observateurs ne parlant pas au nom des
entreprises.
M. Alain GOURNAC, président - Nous possédons ces documents, je
vous le précise.
M. Denis KESSLER - J'en suis extrêmement heureux, il suffit de s'appuyer
sur eux pour montrer que bien souvent les thèses que nous
défendons sont étayées par des analyses de personnes dont
la déontologie et l'expertise nous inspirent une totale confiance.
En résumé, nous considérons que la réduction
obligatoire du temps de travail repose sur de nombreuses idées fausses
répétées.
La première est celle d'une mauvaise répartition du gâteau
de l'emploi. Si certains travaillent moins, d'autres travailleront plus. Cette
règle simpliste se heurte bien entendu à la réalité
économique. Il suffit de citer les pays dans lesquels l'évolution
de l'emploi a été la plus favorable pour constater qu'ils n'ont
pas réduit la durée du temps de travail, voire même dans
certains cas l'ont laissée à un niveau très
élevé. Par exemple, les Etats-Unis sont arrivés à
créer une dizaine de millions d'emplois depuis le début des
années 90 sans procéder à une réduction de la
durée du travail, et d'autres pays sont parvenus à réduire
le chômage sans avoir à le faire.
En France, au cours des vingt dernières années il y a eu une
réduction du temps de travail concomitante à l'augmentation du
taux de chômage. Je sais bien que corrélation n'est pas raison,
mais dans le cas inverse on peut se demander s'il n'y a pas déraison.
La France est le pays actuellement attesté par l'ensemble des chiffres
émanant des ministères concernés où le taux
d'activité, c'est-à-dire le nombre de personnes dans la
population qui participent à l'activité, est le plus bas.
Dans les documents préparatoires à la réunion du 10
octobre, un calcul très intéressant montre que le volume d'heures
travaillées sur un cycle de vie est le plus faible en France dans
l'ensemble des pays développés. Les âges d'entrée et
de sortie de la population active et les durées annuelles en attestent.
Pour toutes ces raisons, nous ne voyons pas comment soutenir l'argument selon
lequel répartir par la réduction du temps de travail l'emploi
permettrait de lutter contre le chômage, les contre-exemples historiques
et géographiques conduisent à penser que tel n'est pas le cas.
Deuxième fausse idée, la réduction obligatoire du temps de
travail aurait un impact positif sur la croissance et donc sur l'emploi. Encore
une fois les faits sont têtus. Dans la plupart des analyses
livrées, qu'il est inutile de rappeler puisqu'elles figureront dans les
annexes à vos travaux, je pense, on constate que la réduction de
la durée du travail n'a jamais été à l'origine
d'une augmentation massive de l'emploi. On peut citer le cas du passage de 40
à 39 heures intervenu au début des années 80 en
France, le nombre d'emplois créés d'après les experts est
extrêmement limité, se chiffrant à quelques dizaines de
milliers, d'après les estimations de 14.000 et 70.000 selon les
hypothèses, pour une réduction de 40 à 39 heures de la
durée du travail, c'est loin d'être massif.
J'ajoute qu'en Belgique, par exemple, les plans de réduction du temps de
travail entre 1983 et 1986 n'ont eu un effet total que de l'ordre de
20.000 emplois.
En Allemagne, les diminutions de la durée hebdomadaire dans certains
secteurs comme la métallurgie décidées en 1984 n'ont pas
empêché une réduction des effectifs de l'ordre de 15,8 %,
donc importante, alors que parallèlement la métallurgie
française, sans réduction de la durée du travail, ne
diminuait ses emplois que de 11 %.
En réalité, l'emploi dépend historiquement de deux
éléments essentiels, la croissance économique globale et
le coût du travail, les deux étant combinés dans
l'idée même de productivité du travail. Selon nous, seule
l'augmentation de l'investissement et de l'innovation peut permettre
d'accélérer la création d'emplois. La baisse de la
durée du travail relève d'une logique de répartition,
alors qu'il faut lui substituer une logique d'accumulation.
Quand on regarde la façon dont les pays ont résolu leur
problème de chômage, je fais de nouveau allusion aux Etats-Unis,
mais également au Canada ou aux Pays-Bas. Dans ces trois pays l'effort
d'investissement a été important. L'exemple des Etats-Unis est
tout à fait éloquent, ils ont repris un processus d'accumulation
très important, se traduisant par une augmentation notamment des
investissements industriels sans précédent.
Troisième fausse idée, qui inspire les partisans de la
réduction obligatoire de la durée du travail, celle d'une
diminution inéluctable de cette dernière.
Certains s'appuient sur l'histoire pour montrer qu'elle doit continuer, qu'elle
est en panne, qu'il faudrait l'accélérer par des mesures
législatives envisagées actuellement.
Il est incontestable sur le plan historique que tous les pays connaissent une
certaine forme de réduction du temps de travail. Néanmoins, dans
la plupart de ceux développés, depuis quelques années,
cette tendance semble avoir atteint un certain plateau.
Ceux qui prétendent se baser sur les tendances historiques devraient
savoir que si on s'appuyait sur la réduction du travail en France depuis
20 ans et que si on la prolongeait au même rythme dans les prochaines
années, selon un calcul n'ayant pas grand sens, dans 130 ans exactement
on ne travaillerait plus du tout, d'où une situation, en retirant quatre
ans tous les vingt ans, dans laquelle nous passerions à une durée
du travail nulle à l'aube du XXIIème siècle.
Je ne crois pas à la prolongation de ces tendances historiques. Nous
considérons qu'elles résultent de celles de fond dans les
entreprises, les services, dans l'évolution de la structure
industrielle. Il faut tenir compte de l'ensemble des tendances du travail
moderne, du développement du temps partiel, des activités de
services, de l'externalisation de toute l'activité.
Si on s'intéresse aux tendances historiques, il faut avoir en tête
non pas le passé, mais l'avenir. Ce que l'on en sait est
extrêmement préoccupant, c'est la diminution de la population
active en France à partir de l'an 2005, quand les
générations du baby boom partiront à la retraite.
Plutôt que de regarder le passé en le prolongeant, nous voyons mal
la rationalité de la réduction du temps de travail en 1998, alors
même que la France risque de connaître une pénurie de
population active à partir de l'an 2005. Selon les hypothèses de
l'INSEE, le départ à la retraite de générations
massives du baby boom, remplacées par celles nées après
1965, se traduirait par une contraction de la population active avec des
problèmes éventuels de facteurs de production en France.
Ces trois idées ne nous semblent pas devoir être retenues, ce
n'est pas un problème de répartition d'un volume de travail
donné, nous ne pensons pas que la réduction du temps de travail
favorise la croissance, ni qu'il faut s'appuyer sur les tendances historiques
pour justifier cette décision de réduire par la loi la
durée du travail.
Ce projet cherche peut-être à faire oublier les vraies raisons du
chômage français, il faut les rappeler :
1) le poids excessif du secteur public. Dans notre pays les emplois non
marchands sont beaucoup plus importants en termes relatifs que ceux marchands.
Quelques chiffres : un actif du secteur marchand pour 3,5 personnes en France,
1 pour 2,8 en Allemagne, 1 pour 2 au Japon. Nous avons développé
l'emploi non marchand depuis vingt ans au détriment de celui marchand.
Dans les autres pays, au contraire, la priorité lui a été
donnée.
2) Le niveau excessif des charges sociales et fiscales. Il est
intéressant de voir dans le dossier préparatoire à la
conférence du 10 octobre que les économistes reconnaissent que
les allégements de charges ont un effet positif sur la création
d'emplois en France.
3) Il faut reconnaître l'inadaptation aux besoins de notre système
éducatif, et le repenser, y compris d'ailleurs la formation
professionnelle.
4) Un mauvais arbitrage salaires-emploi, lié à une
économie encore profondément marquée par l'inflation.
Voilà les raisons qui nous semblent expliquer le niveau du chômage
en France, certainement pas la durée du travail.
Le projet de loi sur les 35 heures pose un problème fondamental des
risques économiques pour l'ensemble de la société
française.
Le projet issu de la journée du 10 octobre aura deux conséquences
directes pour les entreprises.
La première sera une forte augmentation des coûts salariaux.
La mise en oeuvre du projet de loi sur les 35 heures va se traduire par une
hausse du coût des heures supplémentaires, sans compter la
nécessité d'une autorisation administrative dès lors que
le contingent a été dépassé, et une augmentation du
coût du travail non qualifié pour ne pas baisser le tarif horaire
du SMIC. Mais c'est une incertitude. Quand vous prenez des décisions
d'embauche ou d'investissement, il faut connaître ces
éléments pour pouvoir procéder à ces choix.
Deux exemples permettent de chiffrer ces coûts supplémentaires :
1) une entreprise qui fait actuellement 39 heures par semaine et qui voudrait
continuer subirait une augmentation de 5,7 % de sa masse salariale hors effet
SMIC, ou de 17,8 % avec effet SMIC. Le projet n'est donc pas neutre en la
matière en France.
2) Une entreprise utilisant son quota actuel d'heures supplémentaires
subirait une augmentation comprise entre 10,9 et 23 %. Ce projet n'est pas
neutre non plus sur le coût du travail en France.
Croire que ces coûts supplémentaires pourront être
compensés par une baisse des salaires ou par le rythme normal de la
productivité traduit une méconnaissance de la
réalité sociale et économique de l'entreprise qui fait
face aux concurrences de plus en plus aiguës de l'ensemble des pays du
monde, et confrontée à une baisse régulière de ses
prix.
Nous ne sommes pas en économie fermée. Croire qu'il est possible
de répercuter dans les prix ou les gains de productivité le
surcoût lié à ce projet me semble ne pas correspondre au
fonctionnement des marchés.
Deuxième conséquence importante pour la France, l'augmentation
des coûts d'organisation des entreprises.
Croire que l'augmentation des coûts et des contraintes pourra être
compensée par une amélioration de l'organisation du travail est
largement une utopie.
Beaucoup d'entreprises ont déjà accompli cette démarche.
On lit ici ou là que ce projet va les inciter à améliorer
leur organisation, c'est méconnaître celles qui ont
déjà procédé à des réorganisations
majeures. Dans les chiffres que nous avons fournis, une entreprise sur cinq
chaque année procède à une réorganisation massive
de son processus de production, de sa localisation, à une modification
de la gestion de son personnel. Il ne faut pas croire que les gains de
productivité vont naître demain parce qu'ils n'ont pas
été engrangés hier.
Les problèmes que le projet va poser aux petites entreprises sont
évidents. Des goulots d'étranglement vont se produire, la
réduction du temps de travail dans des secteurs comme l'informatique va
poser un véritable problème, il manque déjà des
informaticiens disponibles sur le marché compte tenu du passage à
l'euro et au millénium, c'est-à-dire à l'an 2000.
La réduction généralisée du temps de travail aura
de graves conséquences pour l'économie française, on les
voit à l'oeuvre déjà depuis le projet du 10 octobre.
Il y a un regain d'attentisme de la part des chefs d'entreprise. Quand on
renvoie dans deux ans la discussion sur les heures supplémentaires, il
est difficile de prendre des décisions. Cet attentisme vient s'ajouter
à toutes les incertitudes qui caractérisent déjà
l'univers des patrons, elles peuvent conduire à différer des
projets d'investissement, d'embauche ou de lancement.
Nous considérons que ce projet aura sans doute comme conséquence
une nouvelle montée du chômage, parce que les coûts
supplémentaires qui en découleront seront compensés par
des suppressions d'emplois ou une mécanisation supplémentaire. Je
suis frappé de constater que la réponse au renchérissement
du coût du travail risque de passer par une amélioration de la
compétitivité, par des investissements de substitution.
Troisième conséquence, une augmentation des
délocalisations ou la localisation de nouveaux investissements à
l'étranger. C'est déjà à l'oeuvre malheureusement,
nous préférerions que les activités soient
localisées en France. Dans un marché ouvert avec l'euro, il est
normal que les entreprises cherchent à produire dans les environnements
les plus favorables.
Une aggravation des difficultés des relations entre elles. Il y aura une
répercussion des surcoûts dans la chaîne industrielle, le
projet de 35 heures va sans doute aviver la guerre des prix au niveau des
sous-traitants, chacun essayant de reporter sur l'autre l'augmentation du
coût de cette mesure, et les conséquences en sont connues.
Enfin, le dialogue social suppose que l'Etat laisse aux partenaires sociaux le
soin de le mener, de l'organiser. Il ne vise pas forcément à
conclure des accords immédiatement sur tous les sujets, il suppose aussi
des difficultés, il n'est pas possible de se substituer à
celui-ci.
Lors du vote de la loi de Robien, nous avions lancé dans les secteurs
industriels et de services des discussions autour du thème de
l'aménagement du temps de travail, elles ont été
gelées quand la loi est venue se substituer au dialogue social.
Nous souhaitons un retour au vrai débat de fond.
Cinq arguments fallacieux sont utilisés par les défenseurs d'une
approche par la loi de la réduction du temps de travail.
Le premier fait croire que le projet gouvernemental vise à
développer le dialogue dans l'entreprise, ceci est faux puisque le
résultat des négociations est connu d'avance.
Le second fait croire que l'augmentation des coûts sera limitée
à 2,5 %, c'est également faux du fait du jeu des heures
supplémentaires et de l'impact du SMIC.
Le troisième relativise les contraintes nouvelles en affirmant que le
passage à 35 heures sera l'occasion de développer la souplesse
des entreprises, mais rien n'est fait en matière d'annualisation et
toute entreprise voulant travailler plus de 37 h 46 devra demander
l'autorisation de l'Inspection du travail et accorder une heure de repos par
heure travaillée.
Le quatrième montre l'ampleur des aides accordées en contrepartie
des emplois créés, mais celles-ci sont par définition
temporaires alors que le coût est pérenne. Et, une nouvelle fois,
ces dépenses publiques supplémentaires risquent d'être
payées sous forme de relèvement d'impôts.
Enfin, le dernier est de dire que la voie de la réduction de la
durée du travail est la dernière qui reste après avoir
utilisé toutes les solutions. Là encore, rien de plus faux, il
reste à mettre en oeuvre les vrais remèdes employés par
tous les autres pays qui ont réussi à baisser le chômage :
donner la priorité à l'investissement, à l'innovation,
à la Recherche et le Développement, diminuer le poids du secteur
public et améliorer l'efficacité de l'Etat, la formation
professionnelle, et renforcer les capacités de développement sur
les marchés porteurs.
Ce sont les conditions pour retourner au plein emploi, la création d'un
environnement dans lequel les entreprises auront la volonté et la
capacité de retrouver des projets de développement se traduisant
par davantage d'investissements et d'embauches.
M. Alain GOURNAC, président - Merci. Je passe la parole à notre
rapporteur.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Pouvez-vous revenir un instant sur le
déroulement et la préparation de la conférence nationale
sur l'emploi du 10 octobre ? Elle a donné lieu à son issue
à un éclat, comme si son déroulement avait subitement pris
un cours qui n'était pas prévisible.
Vous êtes président de la Commission des Affaires Economiques du
CNPF, nous imaginons que vous avez été associé aux phases
préparatoires et que vous avez en effet pris part à l'une des
réunions au cours desquelles plusieurs documents ont été
mis à disposition. Cela laisse planer un doute sur l'efficience du
dispositif envisagé.
Comment cela s'est-il déroulé ? Pouvait-on, compte tenu des
phases préparatoires, imaginer la conclusion formulée par M. le
Premier ministre à l'issue de cette conférence ?
Ma deuxième question est relative à la notion de temps de
travail. Dans les entreprises, certains cadres collaborent, et il
apparaît aujourd'hui que l'on veut imposer avec beaucoup de rigueur les
contraintes de la durée du temps de travail. Il semble que ceci pose de
réels problèmes.
De votre point de vue, le concept traditionnel de temps de travail a-t-il
encore un sens, et quelle autre approche pourrait-on lui substituer s'il
apparaît en effet qu'il couvre de moins en moins la
réalité ?
Troisième question : ce dispositif, s'il entre dans les faits, va se
télescoper avec les opérations de passage à l'euro. Il
serait vain d'imaginer qu'il va soudainement régler tous vos
problèmes et contribuer à l'emploi, il est sans doute un bon
instrument pour mettre un terme aux mouvements erratiques des monnaies, mais il
va aviver la concurrence, et par conséquent faire peser une contrainte
supplémentaire sur le secteur public comme sur les entreprises, pour
qu'elles aillent plus hardiment et plus rapidement vers des réformes
structurelles. Comment imaginez-vous la compatibilité entre le passage
à une durée hebdomadaire de 35 heures et l'exigence de
surcroît de compétitivité des entreprises au moment
où nous passons à l'euro ?
Vos fédérations ont-elles appréhendé les
difficultés posées par les contrats à long terme ? Il y a
aujourd'hui, notamment dans le secteur automobile, des contrats avec les
sous-traitants portant sur plusieurs années, et quelquefois ils
prévoient des gains de compétitivité. Ils n'ont pas tenu
compte de l'hypothèse de la réduction du temps de travail et des
coûts supplémentaires. Comment gérer cette situation ?
Enfin, imaginez-vous, en dépit des réserves que vous venez
d'exprimer, si des branches, des entreprises sont en phase de
préparation du passage à 35 heures, et si en définitive
elles en attendent des créations d'emplois ?
M. Denis KESSLER - La première question porte sur le déroulement
du 10 octobre. Je suis sous serment, je suis obligé de dire la
vérité. Je ne connaissais pas le projet qui nous a
été annoncé à 18 heures ce jour-là, si bien
que nous avons participé à cette journée dans une certaine
ambiguïté. C'est clair, net et précis, nous n'avions pas,
comme dans certaines négociations, été informés de
ce qui serait mis sur la table par le gouvernement afin de préparer
éventuellement des arguments.
Si nous l'avions été, nous n'aurions peut-être pas
adopté la position extrêmement positive et constructive tout au
long de la journée du 10 octobre, où à toutes les
questions pratiquement concernant l'emploi des jeunes et autres, nous avions
affirmé notre intention d'ouvrir des négociations avec les
partenaires sociaux, les syndicats de salariés, afin de trouver des
solutions.
J'en veux pour preuve que dans les documents distribués au cours de la
journée du 10 octobre, à chaque ouverture des sessions, dans le
discours du Premier ministre au début, celui du ministre de l'Emploi,
celui du ministre de l'Economie, il ne figurait pas l'existence de cette
seconde loi sur le passage aux 35 heures au 1er janvier de l'an 2000. Nous
l'avons découverte dans le discours de clôture du Premier
ministre, à l'issue de la journée. A aucun moment elle n'a
été présentée, discutée dans son existence
ou ses modalités ce jour-là.
La réaction du président du CNPF se mesure à l'aune de
cette surprise. Participant à une conférence, il a
découvert deux lois à son issue sans avoir à aucun moment
donné son sentiment sur ce dispositif ne correspondant pas à nos
attentes.
Donc l'expression très forte utilisée par le Président
Gandois, qui a déclaré qu'il avait été
berné, s'explique par cette surprise, je dois vous avouer relativement
désagréable, en découvrant à la fin de la
journée que le dispositif avait été arrêté
alors qu'il n'avait pas été discuté au cours de la
journée.
Je suis sous serment, je le maintiens. Je vous renvoie directement au document
présenté par le ministre de l'Emploi lors de la séance de
l'après-midi, distribué à 15 heures, lors de la reprise
des discussions, le mot loi n'y figure pas, c'est la raison pour laquelle nous
avons vécu largement une journée de dupe.
La réaction a été immédiate de la part du CNPF.
J'ai tout entendu, " le CNPF, organisation dépassée, non
représentative... ", parce que nous n'approuvions pas ce qui nous
était annoncé. La mobilisation des entreprises, l'élection
du nouveau président du CNPF avec le soutien des entreprises et de
l'ensemble des fédérations, la déclaration hier soir de
toutes les organisations professionnelles des agriculteurs ou professions
libérales des PME au CNPF de leur hostilité à ce projet
dans des termes non ambigus, tout cela montre que notre position prise le soir
du 10 octobre était légitime. Selon nous, ce n'est pas la loi
pour développer l'emploi.
Deuxième question : y a-t-il d'autres voies ?
Dans beaucoup de secteurs, par exemple celui des assurances que je connais
mieux, nous avons eu trois ans de négociations avec les partenaires
sociaux pour changer de convention collective, et nous sommes annualisés.
Puis chaque entreprise décide, dans le cadre de cet accord,
l'organisation du travail. L'UAP avait choisi la scolarisation du temps de
travail, le Groupe AXA a pris une autre disposition, les AGF une
troisième.
L'encre est à peine sèche puisque cette convention collective a
été signée en 1992 et appliquée dans les
entreprises après des accords. Il ne faut pas croire que toutes les
entreprises françaises étaient en retard dans l'organisation du
temps de travail, qu'aucune expérience n'avait été
menée et que des accords n'avaient pas été passés
sur l'aménagement du temps de travail. On a fait fi de toutes ces heures
de discussion avec les organisations syndicales pour substituer à la loi
l'accord entre les parties.
Je ne connais pas d'autre solution pour trouver les formes d'organisation du
travail que de laisser à l'entreprise et aux représentants de ses
salariés le soin d'en discuter. Compte tenu de la
spécificité du métier, de la technologie, des
investissements, de l'exposition à la concurrence internationale, de
l'histoire, je ne vois pas d'autre solution que de confier à
l'entreprise la tâche de décider de cet élément
fondamental des relations sociales et salariales.
Donc la réponse est d'une très grande simplicité, je fais
confiance aux entreprises pour trouver les voies permettant d'aménager
le temps de travail et de définir une formule correspondant aux
aspirations des salariés et aux contraintes qu'elles rencontrent.
L'euro. Au fur et à mesure que l'Europe avance et qu'on unifie certains
éléments, ce qui reste devient déterminant. Le 2 mai
prochain, nous allons fixer les parités, nous aurons une Europe
monétaire, nous la souhaitons en tout cas, nous avons pris position en
faveur de l'euro, qui permettra d'avoir une monnaie unique.
Les différences sociales et fiscales joueront désormais un
rôle fondamental. L'unification est ce que j'appelle dans mon jargon
l'effet taupinière. Lorsqu'il y a un terrain bosselé, on ne
remarque pas cette dernière, avec des diversités fiscales,
sociales, monétaires, juridiques, le choix des uns et des autres
étant dicté par un certain flou.
Le terrain monétaire étant unifié, ce dont nous nous
réjouissons, les différences vont apparaître en pleine
lumière, au milieu d'une pelouse tondue.
Croire que les 35 heures, apparaissant comme une différence sociale
fondamentale, ne vont pas jouer un rôle dans les localisations
d'activités me semble une erreur. D'autant plus qu'on demande aux
entreprises de supporter une bonne part du coût du passage à
l'euro. On va leur imposer le passage aux 35 heures, dans le même temps
leur demander de supporter la réorganisation, chiffrée pour
certaines à plusieurs milliards de francs, du passage à l'euro,
avec les modifications informatiques, des catalogues, de la
signalétique, des caisses enregistreuses, etc.
Il faut veiller à ne jamais charger la barque des entreprises
françaises au moment où on leur demande de contribuer au passage
à la monnaie unique. Chaque fois qu'on leur impose des charges indues,
elles dégagent moins de gains de compétitivité, ce qui
nuit à l'emploi.
Quatrième point, les contrats à long terme. De plus en plus ils
sont signés entre sous-traitants et donneurs d'ordre, il n'y a donc pas
de possibilité de répercussion ou de réorganisation, le
cas de l'industrie automobile est tout à fait éloquent. C'est la
raison pour laquelle nous souhaitons que ne soient pas prises des dispositions
perturbant l'organisation des relations entre les entreprises.
Cinquième question : ceci va-t-il créer de l'emploi ?
Je suis frappé de voir que depuis quatre mois, le débat est
passé de " combien d'emplois vont-ils être
créés par le passage aux 35 heures ? " à
" combien vont-ils être détruits ? ". Selon l'opinion
actuelle largement répandue chez les chefs d'entreprise, le passage aux
35 heures a plus de probabilités de les faire disparaître que d'en
créer.
Y a-t-il des chiffrages entreprise par entreprise, secteur par secteur, voire
même au niveau national sur le nombre d'emplois créés par
le passage aux 35 heures ? Cela me semble aujourd'hui relativement clair, au
mieux ce projet n'en détruira pas, au pire il le fera.
Je ne cite pas de chiffres, car nous n'avons pas encore tous les termes de
l'équation. Comment vont être traitées les heures
supplémentaires ? Nous ne pouvons pas attendre le passage de la loi pour
le savoir. Leur contingent va-t-il être modifié ? Nous ne le
savons pas. Comment va être traité le problème du SMIC ?
Nous l'ignorons.
Un chef d'entreprise a besoin de visibilité. Un contrat de travail est
extrêmement long, il est conclu pour une grande période. Donc
reporter dans le temps des éléments fondamentaux de la
décision conduit à un attentisme généralisé.
Je suis frappé de voir le nombre de chefs d'entreprise qui attendent
actuellement. On ne prend pas une décision lorsque le brouillard
s'épaissit.
M. Paul GIROD - Il a été fait plusieurs fois allusion ici et
ailleurs au fait que vis-à-vis du redémarrage de
l'économie après la phase de transition et de réadaptation
ayant précédé la mondialisation, certains pays
s'étaient mieux tirés que d'autres d'un problème lancinant
pour tous, le chômage. Il fallait redéfinir les modes de travail
et les domaines d'action.
Bien souvent sont cités les Pays-Bas, l'Angleterre, les Etats-Unis au
sein desquels, avec d'ailleurs des gouvernements d'inspiration très
différente, les solutions ne sont jamais passées par la
réduction du temps de travail, mais bien au contraire par une plus
grande latitude laissée à l'initiative.
L'objection avancée est la suivante : les postes de travail
créés, en particulier en Angleterre, sont mal
rémunérés, considérés,
spécialisés. Mon expérience assez modeste de
l'économie américaine est un peu différente.
J'aimerais savoir s'il y a, dans les études menées au CNPF, des
éléments susceptibles de nous éclairer sur la nature
actuelle, au bout de la période d'adaptation, des emplois
créés aux Etats-Unis.
M. Daniel PERCHERON - Je ne regrette pas d'être venu pour ce beau
discours de combat, d'ailleurs nettement décalé par rapport au
climat général de cette Commission d'enquête, puisqu'il y a
enquête il peut y avoir réquisitoire.
Etant un élu socialiste du Pas-de-Calais, l'expression patronale un peu
caricaturale, simplifiée, pleine de conviction, qui rappelle une bande
dessinée, n'est pas désagréable, et montre que l'exception
française a encore de beaux jours.
Par ailleurs, je vais vous faire connaître ma part de
vérité, qui vraisemblablement vaut la vôtre, n'ayant pas de
grande responsabilité dans la création des richesses tous les
deux en France, ce qui nous permet de nous exprimer avec liberté et
respect pour ceux qui en sont à la base, patrons ou salariés.
Vous tenez un propos très audacieux sur les relations sociales, et par
certains côtés ambivalent. Je vous demande, sur le plan des
conséquences et peut-être celui de l'ambivalence, de me
répondre très franchement. Vous dites que l'Etat en France,
malgré l'histoire, en 1998 n'a pas à se mêler des relations
sociales. Peut-être, mais les deux dernières élections
fondatrices ont eu lieu sur l'intervention de l'Etat, qu'il s'agisse de la
présidentielle où les deux candidats du deuxième tour
étaient sur la volonté politique de l'Etat, ou bien des
législatives où clairement la gauche avait indiqué son
programme.
Par conséquent, vous nous entraînez, nous, les élus, sur un
terrain tout à fait nouveau. Je vous rappelle quand même qu'aucune
des grandes familles politiques pratiquement en France pour l'instant ne vous a
accompagnés, même partiellement. Je pense bien sûr à
la gauche, marxiste ou non, socialiste réformiste, mais aussi à
la démocratie chrétienne, et au gaullisme, ne serait-ce que par
l'utopie parfois concrétisée de la participation.
Une première question sur les conséquences : pensez-vous que le
discours que vous venez de tenir, que je trouve particulièrement
arrogant, ne va pas faire reculer la société française qui
a beaucoup progressé au niveau de sa culture économique, et ne va
pas mettre en difficulté ce saut qualitatif accompli depuis quinze
à vingt ans, à la faveur des alternances
répétées ?
Deuxième question, chance de rachat ou de nuance, on peut très
bien effectivement envisager une négociation sociale, un pacte social
sans que l'Etat soit omniprésent. Après tout, en Finlande, il
prend son temps pour intervenir dans le dialogue social, mais sur cinq millions
d'habitants il y a deux millions de syndiqués.
Sans ironie, est-ce un peu cette société que vous appelez de vos
voeux, dans laquelle enfin le syndicalisme français se donnerait les
moyens, notamment avec le patronat, dans un dialogue permanent et parfaitement
représentatif, d'aborder tous les problèmes de la vie
sociale ? Cela me semble une solution, mais j'ai cru comprendre que ce
n'était pas la vôtre, que vous étiez plutôt sur un
modèle libéral très combatif.
Autre question. Vous avez parlé de l'arbitrage entre salaires et emploi.
Je pense que la volonté politique est à l'origine de ce
résultat qu'on approuve ou pas, que les Français acceptent ou
pas, significatif dans les pays industriels : la part des salaires dans la
valeur ajoutée a reculé de 10 % au cours des quinze
dernières années, formidable discipline collective, là
aussi sur fond d'alternance répétée.
Cela vous semble-t-il vraiment encore insuffisant, et souhaitez-vous, dans la
stratégie d'accumulation, que la part des salaires dans la valeur
ajoutée, dans les richesses produites, recule ? La crise est une crise
de l'offre, d'après vous, et non pas de la demande. Cela réclame
vérification et véritable débat, car je ne pense pas que
tous les experts soient d'accord avec vous.
Autre question. Êtes-vous tout à fait sûr de vous pour
affirmer que le système par alternance en France -je pense aux
lycées professionnels, à la formation professionnelle qui a vu
cette révolution de l'Education Nationale et cette évolution
profonde du monde patronal et de celui de l'entreprise- est totalement
inadapté et détient la responsabilité du chômage ?
Personnellement, pour avoir suivi de très près, par exemple, le
schéma des formations de la région Nord-Pas-de-Calais qui,
exception française, compte 36 % de lycéens professionnels, je
nuancerai fortement votre condamnation.
M. Franck SERUSCLAT - J'ai le sentiment que l'intervenant sait qu'il n'est pas
sincère et qu'il utilise des contrevérités, notamment
celle de la faute du système éducatif alors que depuis plus de
quinze ans on y apporte des modifications à la demande des entreprises.
La deuxième contrevérité est de dire qu'il faut laisser
à l'entreprise la possibilité de faire ce qui est bon. Au moment
du débat sur la suppression de l'autorisation administrative, j'avais
cru entendre que l'entreprise allait créer 300.000 emplois nouveaux.
Cette critique systématique du politique qui ne sait rien et de
l'entreprise qui sait tout est aussi une autre contrevérité.
Je ne vais pas reprendre d'autres détails après l'intervention de
Daniel Percheron, mais j'ai cru à un moment donné que
l'entreprise allait être citoyenne. M. Gandois a été
à ce point suivi qu'il a été obligé de quitter ses
responsabilités, et ce n'est pas seulement la journée du 10
octobre qui a été à l'origine de son départ. Je
l'ai entendu, dans des réunions à la Commission des Affaires
Sociales, parler de l'entreprise citoyenne. Il y avait peut-être alors
une meilleure considération de l'individu comme nous le souhaitons, ce
que ne semble pas souhaiter l'entreprise, en tout cas pas M. Kessler.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Je voudrais faire deux ou trois remarques.
Aucune mesure proposée jusqu'à maintenant n'a valablement
fonctionné pour résorber le chômage, pas même celles
demandées par le patronat. M. Sérusclat a cité la
suppression de l'autorisation administrative de licenciement, elle n'a rien
donné, on a assisté à des effets d'aubaine, de
substitution, le reste était à la marge.
Ce gouvernement propose aujourd'hui un outil qui n'est pas la panacée,
il n'entend pas faire de la réduction du temps de travail le moyen
unique de résorber le chômage, il le propose comme un parmi
d'autres.
Monsieur le représentant du CNPF, vous avez beaucoup insisté sur
la forme, notamment celle utilisée le 10 octobre dernier. A entendre
votre réquisitoire contre toute réduction du temps de travail,
sans nuance, parfois à la limite de la caricature dans l'argumentation,
je pense maintenant, quels qu'aient pu être mes doutes à un moment
donné, que le gouvernement n'avait pas le choix, et proposer le principe
d'une loi pour réduire le temps de travail était la seule
solution qu'il lui restait. Encore une fois, votre argumentation a
été bouclée, ficelée sans nuance.
Je considère qu'en l'occurrence le législateur et le gouvernement
ne sont pas hors sujet en travaillant sur un projet de loi proposé par
le gouvernement.
M. André JOURDAIN - J'ai entendu parler d'exception française,
pour moi c'est notre taux de chômage, et je souhaite qu'elle disparaisse
le plus rapidement possible.
Je viens d'entendre qu'il n'y avait eu aucune mesure ayant permis de
créer des emplois. Tout le monde dit que les allégements de
charges, en particulier sur les bas salaires, ont permis de le faire.
Au sein de cette Commission, il y a quand même des gens qui partagent
l'analyse de M. Kessler, au moins moi.
Je reviens sur deux ou trois points qu'il a signalés.
Je m'étonne que jusqu'à présent nous n'ayons pas entendu
parler tellement de l'année 2005. Le problème va se poser d'un
manque d'effectifs, nous n'allons plus aller vers de la RTT, mais vers de
l'ATT, de l'augmentation du temps de travail. Dans les documents dont vous avez
parlé, y a-t-il des analyses sur le sujet ? En avez-vous fait sur la
durée future du temps de travail ? Ce serait important pour
connaître les conséquences de l'application de cette loi.
Vous avez évoqué le développement du temps partiel. Je
crains que ce projet de loi aille à son encontre, alors que nous
commençons à assister à l'élargissement du
multisalariat, des cadres se mettant à la disposition de petites
entreprises. Ne va-t-on pas freiner ce mouvement, par conséquent casser
la compétitivité de ces dernières et créer du
chômage ?
Enfin, une constatation évidente que je fais à chaque fois que je
visite une usine de fabrication de lunettes dans le Jura : quand je vois des
gestes répétitifs des ouvriers, je me demande s'il ne pourrait
pas y avoir d'automatisation. Le chef d'entreprise répond par
l'affirmative, précisant que cela risque de faire disparaître des
emplois. C'est un choix. Avec les 35 heures, ils vont s'orienter vers
l'automatisation, ce qui diminuera plutôt les emplois existants. Je
partage tout à fait votre analyse.
M. Roland DU LUART - J'avais l'impression de rêver tout à l'heure
en écoutant les propos, à mon avis, excessifs adressés au
Président Kessler. On se demande où sont le dogme et la
caricature.
Si dans notre pays, la situation est celle-là, c'est parce que nous
avons une culture soviétique depuis 1945, il n'y a pas eu d'autre
alternance. Nous avons toujours renforcé l'économie
administrée. C'est la raison pour laquelle, avec l'alternance, de droite
ou de gauche, jamais le pays n'a décollé économiquement en
termes d'emploi. C'est ma conviction profonde, je crois que tous les faits
à l'étranger le prouvent.
J'aimerais vous poser deux questions.
Je suis assez consterné d'apprendre qu'il n'y a pas eu de dialogue
social entre le gouvernement et vous avant 18 heures le 10 octobre. Je
souhaiterais savoir si depuis, avec les péripéties que nous avons
connues -le texte de loi est en cours d'élaboration et va bientôt
être déposé au Parlement- il y a eu une négociation
entre le CNPF et le gouvernement sur ce projet des 35 heures.
Une des solutions au problème posé est l'annualisation du temps
de travail. Je préfère cette formule à celle des 35
heures, parce qu'elle laisse une possibilité de négociation
branche par branche.
Dans les mesures préconisées par le gouvernement, qui sont des
incitations financières à aller vers un certain système,
ne va-t-on pas assister à une socialisation rampante de l'entreprise ?
Je m'explique. Si vous embauchez x % de personnes en appliquant le nouveau
texte, vous aurez des allégements de charges payés par le
contribuable à une certaine hauteur, donc des emplois financés
par la collectivité. Ceci n'aura-t-il pas un effet pervers à
terme sur l'entreprise privée ?
M. Denis KESSLER - Une remarque liminaire. Il faut considérer les
représentants du CNPF pour ce qu'ils sont, ceux des entreprises
françaises, mandatés par elles. La loi reconnaît notre
représentativité depuis 1947. Nous sommes investis de la mission
de faire en sorte que les sociétés puissent se développer,
embaucher. Il est important en France que celle civile puisse s'exprimer.
Que l'on soit d'accord ou pas avec la position des entreprises, ceci fait
partie de la vie démocratique. Mais on ne peut jamais faire de reproche
de mauvaise foi à une organisation professionnelle dûment
mandatée. Je ne suis pas de mauvaise foi. Dans nos analyses et
positions, nous avons toujours accepté, vis-à-vis des
organisations syndicales, de l'opinion, du gouvernement ou du monde
parlementaire, de dialoguer, de discuter, cela fait partie de notre mission et
de notre raison d'être.
Quand nous lisons d'ailleurs la loi sur la représentativité, dans
la démocratie sociale il faut respecter les organisations de
salariés, mais aussi celles d'employeurs.
Lorsque l'on assume des responsabilités à la tête du CNPF,
on le fait de bonne foi, tout simplement parce que depuis 1947, on
considère que l'organisation des relations sociales passe par ce
principe de représentativité. C'est vraiment au nom des
entreprises françaises que je m'exprime, sans aucune mauvaise foi.
Ce que je regrette, c'est que dès lors que l'on passe par une loi, ce
qui relève de la démocratie sociale, on politise un débat
qui ne devrait pas l'être. C'est pourquoi le début de mon
intervention était tout à fait fondamental. L'entreprise n'est
pas un lieu politique.
On voit bien dans ce débat des 35 heures comment, alors que si on
l'avait laissé de la responsabilité des partenaires sociaux en
disant " vous, syndicats de salariés et d'employeurs,
aménagez le temps de travail, réduisez-le, etc. ", le
débat concernait les parties représentatives. Dès lors que
l'on quitte la démocratie sociale et que l'on porte le débat
devant la représentation nationale, par nécessité la chose
politique s'en empare et on nous reproche de faire de la politique alors qu'on
a transposé un domaine qui aurait dû rester de la
responsabilité des partenaires sociaux dans un lieu où les
positions partisanes vont s'exprimer.
Le CNPF est une organisation apolitique, il a pris simplement position par
rapport à une loi qui concerne directement trois millions d'entreprises
françaises. Et il est de sa responsabilité de dire si cette loi
est adaptée ou pas à celles-ci, puisqu'il en a la charge.
Le CNPF écoute avec beaucoup d'intérêt la position actuelle
des organisations syndicales, dont la fonction est de discuter avec lui. Leur
raison d'être est de débattre avec les employeurs, au niveau d'une
entreprise, d'un secteur ou de l'interprofession.
Faites attention, c'est un bien très précieux. Quiconque nous
accuse de ne pas vouloir le dialogue social est assez bizarre, puisque par
vocation et définition, nous sommes nés de la
nécessité de l'organiser en France.
J'ajoute que, contrairement à ce que vous dites, nous ne sommes pas
contre, puisque nous disons qu'il doit se dérouler là où
il est efficace, c'est-à-dire l'entreprise, éventuellement
tempéré par des accords de branche ou des accords chapeaux
interprofessionnels.
Je ne connais pas encore une fois de pays industrialisés -je pèse
mes mots- dans lesquels le dialogue social au niveau interprofessionnel passe
autant par la loi qu'en France. Il doit passer, dans une démocratie
sociale, par le dialogue organisé dans l'entreprise, entre les
représentants qui essaient de trouver la solution aux problèmes.
Sur la mondialisation la réponse est très claire. Les emplois
créés aux Etats-Unis sont largement qualifiés, à
plus de 70 %, c'est dans la littérature grise qui vient de l'ambassade
de France aux Etats-Unis. Le modèle économique américain,
j'en livre une copie à votre Commission, démontrant que sur les
dix millions d'emplois créés depuis 1990, sept millions de
mémoire sont qualifiés voire même très
qualifiés.
Donc cessons de penser que ce sont uniquement des livreurs de hot dogs, ils
participent à la vague technologique extraordinaire née aux
Etats-Unis et qui produit des effets.
Autre question posée par M. Percheron. Il n'y a pas
d'ambiguïté sur la nature des relations sociales. Le dialogue
social n'est pas mauvais dans le secteur marchand. Je lisais avec beaucoup
d'intérêt la statistique sur le taux de grève
comparé entre les secteurs public et marchand. Je représente ce
dernier, celui des entreprises privées soumises à concurrence.
De mémoire, les conflits essentiels sont localisés dans le
secteur public. C'est une constatation, sans aucune appréciation. Les
statistiques qui viennent d'être livrées par le ministère
de l'Emploi attestent qu'en France, dans la plupart des secteurs appartenant au
domaine marchand il y a un dialogue social, au contraire de celui public que je
ne représente pas.
Nous sommes, je le répète, pour le dialogue social
décentralisé dans l'entreprise. Nous respectons les branches
puisqu'elles ont décidé librement des conventions collectives, et
nous sommes favorables au débat interprofessionnel, dès lors que
leur objet est précis et que nous pouvons considérer que c'est le
niveau approprié pour traiter les sujets.
J'ajoute que nous participons à la gestion paritaire de nombreux
organismes sociaux, et que nous avons toujours assumé nos
responsabilités dans ce domaine jusque-là. Il est important de le
rappeler, de le souligner.
Vous avez parlé d'un pacte social, la réponse est oui. Le
gouvernement hollandais, par exemple, a fait confiance aux partenaires sociaux,
il n'a pas pris de loi. Il a demandé aux organisations de
salariés et d'employeurs de trouver les moyens de résoudre les
problèmes que leur pays affronte.
Donc, en ce qui nous concerne, encore une fois il n'y a pas
d'ambiguïté. Mais le recours à la loi modifie
profondément le type de dialogue qu'il est possible d'avoir avec les
partenaires sociaux.
J'ajoute que les représentants des entreprises du secteur privé,
dont je fais partie et je l'assume, voient avec une certaine malice dans la
lettre du gouvernement qui présente les 35 heures, un encadré
indiquant que s'agissant du secteur public -je cite de mémoire- compte
tenu de la difficulté d'application des 35 heures une étude
préalable est nécessaire.
Pour le représentant de deux millions d'entreprises privées de
tout secteur, exposé à des difficultés de toute taille,
dire que c'est facile pour elles, et compliqué lorsqu'il y a un
employeur unique, il nous semblerait qu'un dialogue plus affûté
devrait avoir lieu lorsqu'il s'agit du secteur privé.
La question sur le salaire-emploi et la valeur ajoutée est fondamentale.
Une bonne partie des statistiques est liée à l'évolution
du chômage. La baisse de la part des salaires dans la valeur
ajoutée depuis dix ans est un fait, elle s'explique en partie par le
développement du chômage.
Les entreprises françaises ne sont pas en compétition avec celles
remontant à quinze ou vingt ans, mais hollandaises, anglaises,
américaines, japonaises d'aujourd'hui. Il s'agit de savoir si leur
degré de profitabilité est cohérent avec celui des
entreprises avec lesquelles elles sont en concurrence au niveau mondial.
Force est de constater qu'à l'heure actuelle, il est relativement
limité. Toutes les comparaisons internationales concluent qu'elles ont
une profitabilité inférieure à celle constatée dans
la plupart des pays concurrents. D'ailleurs, leur prise de participation dans
le capital des entreprises françaises démontre cet état de
fait.
Donc s'appuyer sur une comparaison historique ne doit pas aboutir à
l'idée selon laquelle le niveau de profitabilité des entreprises
françaises est suffisant pour affronter la concurrence internationale.
Est-ce un problème de demande ou d'offre en France ? C'est une
excellente question de M. Percheron. Selon le CNPF, c'est un problème
d'offre. L'appareil industriel français ne correspond pas
complètement à l'état du développement de la
technologie. C'est la raison pour laquelle nous sommes très soucieux
d'un retour à l'investissement. Je rappelle que le taux d'investissement
national a baissé en 1996 pour la première fois depuis plus de
quarante ans, que l'investissement des entreprises est inférieur
actuellement à celui de 1989. Par rapport à la plupart de nos
grands concurrents, notre taux en la matière est insuffisant et ne
redémarre pas.
Comment sortir de la crise et retrouver le plein emploi ? Il faudra passer par
un effort d'accumulation important, donc un retour à l'investissement,
et tout doit être mis en oeuvre pour cela.
Je me suis peut-être mal exprimé sur la formation. Nous avons
aussi une part de responsabilité, nous, entreprises, dans ce domaine.
Nous considérons que nous avons sans doute développé trop
tard les formations en alternance, en apprentissage. Nous avons fait des
propositions pour élargir les stages des étudiants en entreprise.
Le grand retour à l'alternance et à l'apprentissage remonte
à la fin des années 80, c'était trop tardif. Or ce sont
des voies très positives pour restaurer l'employabilité de
certaines personnes jeunes.
Si nous devions tout mettre en oeuvre pour réduire le chômage, il
me semble que le développement de ses formes, éventuellement
d'autres à inventer, alternance, apprentissage, serait nécessaire.
Vous avez évoqué l'évolution du débat sur les 35
heures. Au début on nous a dit que c'était la solution contre le
chômage, après une des solutions, et après encore que cela
permettra d'améliorer le temps libre et qu'il faut de toute façon
l'essayer.
Nous considérons qu'il n'est pas possible de prendre le risque de mettre
en oeuvre une loi dont les effets sont éventuellement
indéterminés. Si effectivement il y a un débat sur la
portée de cette mesure, pour savoir si c'est la panacée ou pas,
si elle doit être accompagnée ou pas, pourquoi pas, mais
l'appliquer brutalement présente, selon nous, un risque. Qui va
l'assumer ? Les entreprises.
Lorsqu'une entreprise décide de réduire le temps de travail, par
exemple à 32 heures, très bien, elle est pleinement
responsable de son compte d'exploitation et de son résultat. Si elle
considère que c'est possible, soit. Si elle se trompe, elle en subira
les conséquences en perdant des parts de marché ou de la
compétitivité ou de la rentabilité. Mais elle prend une
décision, elle en assume les conséquences, selon le principe de
la responsabilité.
Prendre une loi qui va s'appliquer à toutes les entreprises, et les
mettre éventuellement en difficulté, en faillite,
rachetées par l'étranger parce que moins efficaces, cela me
semble loin du principe de responsabilité. La loi est mise en oeuvre et
elles en supportent les conséquences.
S'il y a une incertitude, je demande qu'on dise " c'est à
l'entreprise de réduire le temps de travail et d'en supporter les
conséquences éventuellement négatives ". C'est la
raison pour laquelle le CNPF n'est pas contre l'aménagement du temps de
travail, dans la mesure où le principe de responsabilité est
assumé de part et d'autre des représentations syndicales ou
d'employeurs, les deux signant l'accord, car il faut supporter les
conséquences de ses actes.
Pour répondre à M. André Jourdain, oui, nous avons un vrai
problème avec la durée du temps de travail et la population
active à partir de 2005. Je tiens à signaler que la plupart des
autres pays, l'Allemagne par exemple, le Danemark, les Etats-Unis, l'Italie
récemment, ont pris des décisions de relèvement de
l'âge de la retraite pour faire face à cette anticipation d'un
choc négatif de population, la contraction de la population active. Donc
je ne dis pas que c'est la bonne voie, mais certaines permettraient d'y faire
face.
Oui, les 35 heures risquent d'entraîner une substitution du capital au
travail. Je veux citer le cas d'une grande entreprise qui a fait
connaître ses projets aujourd'hui. Malheureusement une réponse qui
serait négative à cette contrainte imposée par la loi aux
entreprises serait une accélération de ladite substitution.
Enfin, vous avez raison pour le temps partiel. Nous considérons que la
réduction du temps de travail à 35 heures va limiter le recours
à cette potentialité alors que c'est une solution positive pour
lutter contre le chômage. Nous aurions préféré de
loin des dispositions qui favorisent le temps partiel, d'ailleurs elles sont
revues plutôt dans un sens négatif actuellement. Or, par exemple
aux Pays-Bas, c'est une des voies choisies.
M. Roland du Luart a posé trois questions.
Y a-t-il eu un dialogue après le 10 octobre ? Entre le 10 octobre et le
conseil des ministres du 10 décembre, je peux témoigner qu'il n'y
en a pas eu entre le gouvernement le CNPF, depuis l'élection du nouveau
président non plus, donc pas avant, pas après, et pas beaucoup
pendant.
L'annualisation du temps de travail, nous y sommes favorables puisqu'elle
permet toutes les possibilités de son organisation. L'économie
française va être immergée dans celle européenne,
avec un euro qui va banaliser les relations entre les entreprises, elles vont
travailler avec la même monnaie.
Comment faire l'euro le matin et faire des lois sociales purement
françaises l'après-midi ? C'est une question de cohérence.
Le CNPF est favorable à l'euro, il soutient ce projet et demande
à ses troupes de s'y adapter. Une des conséquences du passage
à la monnaie unique est de veiller à ce que toutes les
dispositions prises permettent une réussite de ce passage, sinon seront
rouverts des débats épouvantables sur la réalité
européenne.
Je serais inquiet d'une situation qui reviendrait en cause sur le passage
à l'euro, du fait de l'effet pervers de dispositions négatives.
C'est la raison pour laquelle le CNPF demande avec force actuellement ceci : si
le passage aux 35 heures est un objectif, et si on fait confiance aux
partenaires sociaux dans un esprit de partenariat et non pas de tutelle, je
pense que les entreprises responsables essaieront de trouver des moyens avec
les organisations syndicales, de façon à contribuer, par l'emploi
des jeunes, l'aménagement, la réorganisation du temps de travail,
à la réduction du chômage.
Mais si on maintient le texte actuel dans sa forme, dans sa
généralisation et dans son incertitude dans les deux prochaines
années, on considère que ce sera mauvais pour les entreprises,
mais surtout pour l'ensemble des salariés et les chômeurs. C'est
la raison pour laquelle ce n'est pas par idéologie que nous souhaitons
cette modification d'une loi obligatoire et généralisée en
un cadre permettant au dialogue de se développer.
Il faudrait renoncer à des dispositions contraignantes, risquant
d'affecter gravement la confiance nécessaire entre le monde des
entreprises et les pouvoirs publics.
M. Marc MASSION - M. Denis Kessler a beaucoup parlé de dialogue social
et a dit qu'il représentait trois millions d'entreprises. Sait-il dans
combien d'entre elles il a lieu ?
Dans mon canton les entreprises sont nombreuses, le dialogue social se
déroule dans un minimum d'entre elles, d'où la
nécessité de l'intervention de l'Etat.
Hier soir, dans la ville où je suis élu, il y avait la
réception des voeux des acteurs économiques, donc des chefs
d'entreprise. J'ai abordé avec quelques-uns d'entre eux le
problème des 35 heures. Ils n'ont pas tenu le discours de rejet que vous
avez prononcé ce soir, mais ils s'y préparent.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - J'exprime un souhait. Mme Marie-Madeleine
Dieulangard, en des termes à peine nuancés, vous a, Monsieur le
Président Denis Kessler, interpellé, considérant que vous
n'aviez pas donné de gage à la négociation.
Or, en votre qualité de président de la Fédération
française des sociétés d'assurances, vous avez conduit une
longue négociation pour modifier la convention collective.
Pourrez-vous nous transmettre une petite note sur les applications faites dans
les sociétés d'assurances, notamment eu égard à
l'annualisation du temps de travail, et les craintes que vous exprimez du
télescopage entre ce qui s'applique aujourd'hui du fait de la
convention, et ce qui pourrait arriver demain du fait de la loi ?
Je reviens sur une question de M. du Luart. Vous dites que vous n'avez pas
d'échange avec le gouvernement. Je ne sais pas pourquoi, il y a comme
une rumeur qui accréditerait l'idée qu'en dépit de ce
discours très tranché que vous avez tenu devant nous, vous seriez
à la recherche d'accommodements. Qu'en est-il ?
M. Denis KESSLER - M. Massion parle d'un discours excessif. Il a
été entériné et adopté par
l'assemblée générale du CNPF et son président,
à l'unanimité de l'ensemble des fédérations. On
peut le contester bien sûr.
Ce n'est pas un mouvement d'humeur, mais de fond. Les entreprises
françaises considèrent que ce projet n'est pas adapté
à leur situation actuelle, c'est leur droit. Il faut les écouter
dans un esprit de partenariat.
Bien sûr la loi est la loi. Si elle est votée nous l'appliquerons,
nous sommes légitimistes. Si des effets pervers se manifestent, nous en
supporterons les conséquences.
Dans le débat parlementaire je pense que nombreux seront ceux qui
essaieront de faire en sorte que les éventuels effets pervers que j'ai
pu indiquer soient minimisés, afin que ce projet ne contribue pas au
chômage alors qu'il a un objectif inverse.
Mais encore une fois, c'est à la représentation nationale de se
prononcer. Nous sommes légitimes quand nous discutons en pleine
responsabilité avec les partenaires sociaux, mais quand le débat
est porté au niveau des parlementaires, c'est à eux de l'avoir.
Croire que le dialogue social n'existe pas est une grave erreur, selon moi. Il
existe dans de nombreuses entreprises et de nombreux secteurs, et bien souvent
il a permis de trouver des solutions. Dans le cadre de l'assurance que j'ai
représentée pendant longtemps, nous avons transformé la
convention collective avec les partenaires, trois organisations syndicales,
arrivant à une réduction de la durée du travail, avec des
formes originales, afin que le monde de l'assurance ne connaisse pas de
variations négatives.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie de votre propos, de votre
sincérité, Monsieur le Président.
F. AUDITION DE MM. JEAN-RENÉ MASSON, SECRÉTAIRE NATIONAL, GILBERT FOURNIER, SECRÉTAIRE CONFÉDÉRAL, MME CHRISTINE REFFET, SECRÉTAIRE CONFÉDÉRAL (CFDT)
M. Alain GOURNAC, président, rappelle le protocole
de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait
prêter serment à M. Jean-René Masson et à ses
collègues M. Gilbert Fournier et Mme Christine Reffet.
M. Jean-René MASSON - Trois remarques préalables, afin de
préciser la conception que la CFDT défend depuis des
années sur la réduction du temps de travail en faveur de l'emploi.
La première réflexion est au coeur des préoccupations
actuelles autour du chômage et de l'exclusion. La CFDT récuse
l'idée selon laquelle le chômage serait une donnée
immuable. Ce fatalisme conduit souvent à ne traiter que les
conséquences sociales, ce qui est nécessaire, mais insuffisant.
Des réponses durables doivent être apportées sur le fond
par le développement de l'emploi et une meilleure répartition de
celui-ci.
La seconde concerne une évidence aujourd'hui largement partagée.
Si la croissance est nécessaire, elle ne sera pas suffisante à
elle seule pour réduire de manière significative le volume du
chômage et de l'exclusion.
La troisième porte sur la diversité des moyens à utiliser,
sans rejet
a priori
de l'un ou de l'autre. Il faut au contraire employer
tous les angles d'attaques possibles :
- favoriser la création et le développement d'activités,
avec une attention particulière aux emplois de proximité et de
service à la personne ;
- élargir le dispositif de l'allocation de remplacement pour l'emploi
(ARPE) ;
- rendre plus efficaces ceux d'insertion des jeunes et des chômeurs de
longue durée.
Et bien sûr, dans ces angles d'attaques, nous mettons la durée du
travail. C'est pour la CFDT un levier important, insuffisamment utilisé
à ce jour.
Ce parti pris de la CFDT en faveur de la réduction du temps de travail
pour l'emploi s'appuie sur une conception portée depuis des
années, sur une pratique et des résultats.
La CFDT a toujours défendu une conception d'une réduction et
d'une organisation du travail qui favorise l'emploi, contribue au
développement de l'entreprise, et renforce la croissance.
Qui favorise l'emploi car tel doit être l'objectif principal face au
chômage et à l'exclusion, tout en améliorant les conditions
de travail et de vie des salariés, mais qui contribue également
au développement de l'entreprise par une autre organisation du temps de
travail, permettant de dégager des gains de productivité et ainsi
de renforcer sa compétitivité.
Enfin, qui renforce la croissance. La création d'emplois et
l'intégration dans l'entreprise des jeunes demandeurs d'emploi et des
chômeurs participent à la relance de la consommation, donc de la
croissance.
Mais cette affirmation s'appuie également sur une pratique et des
résultats.
C'est dans cet esprit que la CFDT a négocié et signé
l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995, avec des attendus liant
réduction et réorganisation du temps de travail au
bénéfice de l'emploi. A partir dudit accord,
127 négociations de branches se sont ouvertes, 60 accords de
branches professionnelles ont été conclus dont 30 signés
par la CFDT.
C'est toujours dans cette même logique que la CFDT a signé 70 %
des accords utilisant la loi du 11 juin 1996 dite de Robien. Le chiffre de
1.500 est près d'être atteint en la matière.
C'est une expérimentation grandeur nature, qui doit d'ailleurs permettre
de dépasser les approches dogmatiques d'où qu'elles viennent,
pour mieux apprécier, preuves à l'appui, les conditions
conduisant, par ce moyen, à créer des emplois.
Quelques chiffres. 300.000 salariés ont réduit en 1997 leur temps
de travail à 35 heures ou au-delà, permettant ainsi de
créer 20.000 emplois et d'en sauver 15.000.
Cette réduction s'est accompagnée d'une réorganisation
profonde du travail, notamment par un calcul annuel de sa durée, dans la
très grande majorité des entreprises ayant signé ces
accords.
La compensation salariale a fait l'objet de négociations. 44 % des
accords prévoient une compensation intégrale, et 56 % une
participation des salariés au coût de la réduction de la
durée du travail.
Derniers chiffres, 35 % des entreprises concernées ont moins de
20 salariés, et 50 % de celles ayant signé les accords
en ont moins de 50.
C'est donc à partir de la conception qu'elle défend et des
résultats de la négociation dans 1.500 entreprises, que la CFDT
porte une appréciation positive sur le projet de loi du gouvernement.
Pour la CFDT, au-delà des débats focalisés sur l'article
premier modifiant la durée légale, ce qui est essentiel, c'est
l'ampleur de la dynamique de négociations qui va s'engager d'ici au
1er janvier 2000. C'est cette dernière et elle seule qui permettra
d'obtenir des résultats positifs pour l'emploi.
Ceci m'amène à formuler trois observations.
La première est relative à la nécessité d'agir sur
la durée réelle avec pour objectif la création d'emplois.
La CFDT apprécie que le projet de loi conserve la double incitation
d'une réduction de 10 et de 15 %, c'est-à-dire la
possibilité de mettre en oeuvre des réductions à 35 voire
32 heures.
Celles-ci impliquent une réorganisation du temps de travail plus
favorable à l'emploi, permettant aux entreprises de mieux prendre en
compte leurs impératifs de production ou de service, tout en diminuant
le recours aux formes de travail précaires (CDD, intérim,
saisonniers), et l'utilisation abusive des heures supplémentaires.
Les deux années à venir seront donc décisives. Pour sa
part, la CFDT, dans la continuité de son action sur le dispositif
précédent, s'investira à tous les niveaux dans les
branches et les entreprises pour démultiplier la dynamique de
négociations.
Nous ne souhaitons pas que le 1er janvier 2000 soit une illusion pour les
salariés, celle d'une réduction de la durée légale
à 35 heures, sans effets réels sur la durée effective,
avec un accroissement des heures supplémentaires et de la
précarité, et au final, sans aucun changement de la situation de
l'emploi.
La deuxième observation porte sur la nécessité d'un
financement collectif qui permet de formuler des exigences en termes de
création ou de maintien de l'emploi.
Le dispositif d'incitation prévu par le projet de loi répond
à cet objectif. Il est d'ailleurs plus contraignant sur le niveau du
maintien de l'emploi dans le cadre du volet défensif que le dispositif
de Robien. Il l'est moins sur celui offensif, pariant sur une
attractivité plus importante pour les entreprises et sur une
généralisation.
Par contre, je voudrais indiquer un désaccord, non pas sur les articles
du projet de loi, mais sur une phrase de l'exposé des motifs.
La loi prévoit que l'aide financière de l'Etat se fait sous forme
de déduction sur les cotisations sociales. L'exposé des motifs
suggère, lui, une compensation partielle à partir de 1999. Pour
la CFDT, elle doit être totale, conformément à la loi de
1994 relative aux exonérations de charges.
La troisième observation concerne la portée du dispositif. Aucun
salarié, quels que soient son secteur d'activité, la taille de
son entreprise ou sa catégorie professionnelle, ne doit être
a
priori
exclu du bénéfice de la réduction du temps de
travail.
Pour conclure, je voudrais insister sur deux enseignements
complémentaires issus de l'analyse des 1.500 accords signés en
1997.
Le premier, la réduction du temps de travail, accompagnée d'une
réflexion sur l'organisation du travail, permet à tous les
acteurs d'en tirer bénéfice, d'abord le retour à la vie
active pour des personnes exclues du marché du travail, ensuite un
meilleur équilibre de vie pour les salariés, une
compétitivité accrue et une modernisation de l'outil de travail
pour l'entreprise, et à la clé, un meilleur dialogue social.
Le deuxième enseignement, et non des moindres, la réduction du
temps de travail dans les conditions précitées est le dispositif
d'aide à l'emploi le moins cher et le plus efficace, comme l'ont
montré les études de l'OFCE et de BIPE conseil, concernant la loi
de Robien.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Monsieur le secrétaire national, je
voudrais vous remercier pour votre propos et pour les précisions que
vous avez bien voulu nous apporter.
Ma première question concerne la possibilité de donner corps
rapidement à des conventions abaissant la durée du temps de
travail. Vous avez fait référence à l'OFCE. Les
économistes assortissent la réussite de cette démarche de
quelques contraintes, notamment la modération salariale. Ils
considèrent que pour atteindre l'objectif de l'OFCE -400.000 emplois au
terme de quelques années- il faut sans doute le gel des salaires, et
peut-être même une réduction tenant compte de l'abaissement
de la durée du temps de travail, pour éviter un accroissement
trop significatif de son coût.
Si celui-ci devient excessif, il y aura perte de compétitivité,
risque de délocalisations, et dans certains cas, pour les petites
sociétés, les marchés de proximité, une
substitution du travail clandestin à celui des entreprises.
Donc pensez-vous être prêts à signer des conventions qui
gèleraient les salaires ou qui pourraient abaisser le niveau de certains
d'entre eux ?
Deuxième interrogation : êtes-vous prêts à signer des
accords prévoyant une contrepartie à la réduction du temps
de travail en termes de flexibilité, d'annualisation ? Le cas
échéant, seriez-vous favorables à l'inscription de cette
contrepartie dans le texte de loi qui viendra prochainement devant le Parlement
?
Troisième question : ne redoutez-vous pas que la baisse du temps de
travail vienne fragiliser les assiettes des cotisations de solidarité,
notamment de retraite, et mette en difficulté l'équilibre de ces
institutions à échéance rapprochée ?
Enfin, considérez-vous qu'il y a ou non une probabilité
d'extension de ces dispositions au secteur public ? Votre
Confédération a-t-elle déjà arrêté ses
positions sur cette éventualité ?
M. Jean-René MASSON - Nous n'avons jamais caché, à la
CFDT, qu'une réduction de la durée du temps de travail mettait
obligatoirement sur la table de la négociation les
rémunérations. Nous sommes prêts à affronter le
sujet de face. D'ailleurs, dans les 1.500 accords, plus de 55 %
prévoient soit un gel des salaires, soit une participation des
salariés. Mais celle-ci peut être multiple, je m'appuie sur ce qui
existe, elle peut être l'occasion de faire un toilettage important de
certains accords d'entreprise, des primes, des avantages annexes, etc.
Un exemple. Dans beaucoup d'entreprises de taille moyenne, il existe des
congés d'ancienneté. En passant à 35 ou 32 heures, soit 22
ou 40 jours de congés supplémentaires sur une année, la
plupart des accords ont supprimé ceux d'ancienneté, du fait de
l'avantage obtenu à travers la réduction du temps de travail.
Donc, nous n'avons pas un
a priori
, ni dans un sens ni dans l'autre.
Nous pensons que c'est un objet de la négociation.
D'ailleurs, nous préconisons la consultation des salariés. Or,
dans les accords que j'ai cités, à une ou deux exceptions
près, à chaque fois qu'ils ont été
consultés, leur participation a été très
importante, et ceux qui se sont prononcés en faveur de l'accord
atteignaient 70 voire 80 ou 90 %.
Ils tiennent compte de deux critères.
Le premier est essentiel, il s'agit des emplois créés. J'ai eu
l'occasion de visiter de nombreuses entreprises ces derniers mois, en
particulier en zone rurale, si la réduction du temps de travail peut
permettre de créer 100 emplois, cela se voit et se sait.
Le deuxième gain qu'en retirent les salariés, c'est un meilleur
équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie au travail. Ils ont
le vendredi après-midi ou des jours de congés
supplémentaires leur permettant de s'occuper de leurs enfants,
d'où une réduction d'autres dépenses. Les salariés
savent faire les choix nécessaires.
Nous sommes prêts à en parler dans les discussions et les
négociations, c'est une des conditions de la réussite de la
réduction du temps de travail.
Vous dites que les estimations concernent 200 à 300.000 personnes. J'ai
regardé le rapport du BIPE commandé par la Commission des
Finances de l'Assemblée. L'OFCE a cité 600 à 700.000, et
son prochain rapport, en fonction d'un scénario idéal, avec une
réduction de la durée du travail par la négociation, la
création d'emplois, les aides de l'Etat, la participation
financière des salariés, la réorganisation du temps de
travail, évalue les emplois nouveaux à 600 ou 700.000.
Nous avons un échantillon de 1.500 entreprises et de 300.000
salariés. Nous estimons qu'il s'agit de 5 % du nombre de personnes
concernées par la circulaire d'application de la loi de Robien.
Je ne veux pas faire une simple règle de trois, sinon j'arriverais
à 600 ou 700.000 créations d'emplois pour 13 millions de
salariés dans le secteur privé. Mais personne ne peut le prouver.
Toutes les réflexions macro-économiques aujourd'hui sont sujettes
à caution en la matière.
Vous avez posé la question de la flexibilité. Pour les
salariés, la pire des flexibilités est la possibilité pour
un employeur de demander des heures supplémentaires sans qu'ils puissent
les refuser. Dans la loi n'est inscrit aucun délai de prévenance.
C'est aussi du chômage partiel en partie payé par la
collectivité nationale dans des périodes de baisse de production.
C'est la disposition utilisée dans l'automobile, par exemple.
Je préfère une négociation permettant de concilier deux
éléments qui ne sont pas toujours conciliables,
l'intérêt de l'entreprise, son adaptation aux conditions de la
production, et celui des salariés en disposant de temps
supplémentaire. Il faut trouver un équilibre entre les deux.
Par exemple, dans les accords signés, dans le tourisme en particulier,
du fait de son caractère saisonnier, il a été possible de
mieux adapter le temps de travail dans les périodes hautes, avec des
horaires restant dans le cadre de la durée légale maximum, et
dans les périodes basses, et d'intégrer des saisonniers en CDI,
grâce à la réorganisation du temps de travail.
Je pourrais citer aussi des entreprises de la métallurgie qui ont
exactement les mêmes problèmes, avec des périodes hautes et
d'autres basses. La négociation est sans doute la meilleure formule pour
trouver le bon équilibre entre la demande de l'entreprise et les
attentes des salariés. C'est pour nous un sujet de négociation
sans tabou.
Un exemple. Un accord a été signé entre les partenaires
sociaux, pratiquement tous d'ailleurs, concernant la production agricole. Il ne
sera jamais étendu, car il est en dehors de toutes les règles du
code du travail. Dans un champ, au moment de la moisson, si un orage est
prévu, il faut travailler 16 ou 17 heures durant la journée. Mais
en contrepartie, les salariés doivent avoir des garanties, y compris sur
la façon de récupérer ce temps supplémentaire, et
sur la façon de bénéficier de congés correspondants.
Il n'y a pas de tabou en la matière dès lors que les acteurs
concernés en discutent.
Votre troisième interrogation concerne la protection sociale. Pour nous,
il est hors de question d'accepter, que la sécurité sociale
finance la réduction du temps de travail. La loi de 1994 prévoit
que toute exonération de charges doit être compensée par
l'Etat, c'est la loi Veil, nous souhaitons qu'elle soit appliquée.
Peut-être que dans dix ans, si la réduction du temps de travail
crée vraiment de l'emploi, la situation des comptes sociaux
s'améliorera.
A propos de la retraite, quel est le problème aujourd'hui ? On entre
dans le monde du travail de plus en plus tard, les jeunes suivent un parcours
du combattant, y compris quand ils sont diplômés, avant de
s'intégrer dans l'entreprise. Et parallèlement, à 50 ans,
on met de plus en plus de salariés à la retraite, alors qu'on
explique à l'ensemble de la collectivité qu'elle devra cotiser
plus longtemps pour assurer l'avenir des régimes de retraite.
Cette situation dans laquelle 20 ou 30 % des salariés du secteur
privé partent à la retraite à 50 ou 55 ans est
inacceptable, ceux du GIAT Industries ou des Arsenaux le feront à 52 ou
53 ans. Je préfère une répartition et une réduction
du temps de travail sur l'ensemble de la vie et sur l'année plus
équilibrées.
M. Alain GOURNAC, président - Et pour le secteur public ?
M. Jean-René MASSON - Je ne connais pas les intentions du Gouvernement
sur l'extension à la Fonction Publique. Je pense qu'elle doit être
concernée par ce même mouvement de réduction du temps de
travail, pas forcément dans les mêmes conditions.
Nous y avons réfléchi dans nos fédérations de
fonctionnaires. Nous pensons qu'il serait utile d'accomplir un premier travail
de remise à plat des situations, et de procéder au
redéploiement entre administrations ou entre différentes
fonctions publiques. Selon nous, les créations d'emplois ne sont pas
mathématiques ni systématiques, on ne traite pas de la même
manière un hôpital ou une administration centrale. Il est sans
doute plus compliqué de prendre en compte la diversité dans la
Fonction Publique, mais il n'y a aucune raison qu'elle reste en dehors de ce
mouvement.
Il serait utile, je crois, que la loi et le décret en particulier
précisent rapidement les conditions des grandes entreprises du secteur
public, je pense à la SNCF, la RATP, aux Télécom, à
la Poste, à EDF. En effet, si celles de l'aide financière ne sont
pas de même nature, si elles dépendent du contrat de plan entre
l'entreprise et l'Etat, il est nécessaire que les salariés
concernés le sachent rapidement, pour éviter d'agir ensuite dans
la précipitation, et qu'à partir de quelques mouvements de
grève dans les transports des réponses soient apportées.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Une clarification. Vous souhaitez une remise
à plat des fonctions publiques et une observation de la diversité
des situations. Mais comment justifier que le mécanisme de
réduction du temps de travail dans le secteur marchand qui aboutit
à la création d'emplois, ne trouve pas à s'appliquer dans
les fonctions publiques ? Pourquoi ne pas créer corrélativement
des emplois si la réduction du temps de travail est pratiquée ?
M. Jean-René MASSON - Parce que les situations sont diversifiées.
Dans des fonctions publiques l'horaire de travail est de 37 ou 38 heures,
il n'y a pas systématiquement 10 ou 15 % de réduction. Il faut
essayer d'innover, avec des négociations plus
décentralisées.
Même s'il y a un accord cadre, je crois qu'il y a des gains de
productivité dans les fonctions publiques comme dans les entreprises
aujourd'hui.
Comment, profitant de cette réduction et de la création
d'emplois, améliorer le service au public ? Il ne serait pas aberrant de
s'interroger sur l'ouverture des services publics six jours sur sept au lieu de
cinq, avec des conditions permettant aux salariés d'avoir un avantage
supplémentaire. Bénéficier de 22 jours de congés
supplémentaires, c'est un privilège peu connu jusque-là,
donc des contreparties peuvent être trouvées, chacun pourrait y
trouver satisfaction.
Mais il faut faire confiance à la négociation. Il s'agit de
définir d'une manière nationale des principes qui se heurtent
à des situations totalement différentes.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous faites confiance à la
négociation, mais qu'est-ce qui justifie la loi alors ?
M. Jean-René MASSON - Je vais vous répondre par une boutade qui
n'en est pas une finalement. Souvent la question nous a été
posée de savoir si nous approuvions l'article 1 de la loi. Il a un gros
avantage. Aujourd'hui, du CNPF à l'ensemble des organisations syndicales
et politiques, on trouve très bien les articles 2, 3 et 4 de la loi,
mais sans le 1, on serait encore dans un débat très dogmatique,
je crois.
La vraie question posée par la loi de Robien était relative aux
1.500 accords signés au bout d'un an. Sans la menace d'une nouvelle loi,
le chiffre serait sans doute légèrement inférieur, 1.000
ou 1.200.
Les impacts sur l'emploi, même s'ils ne sont pas négligeables,
35.000 sur un an, n'atteignent pas l'échelle nécessaire pour
sortir de la situation actuelle, où le chômage plombe toutes les
décisions d'avenir du pays, nous l'avons constaté encore
récemment.
Si on ne recrée pas de l'espoir et de la dynamique sur une plus grande
échelle, je crains fort qu'on reste à une préservation des
situations actuelles, avec ce qu'elles ont d'inégalitaire et de
profondément choquant, et des révoltes qui coûteront sans
doute plus cher que leur prise en compte. Je veux faire référence
aux manifestations de chômeurs, mais aussi aux banlieues.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - On connaît bien la position de la CFDT
et son militantisme sur l'idée de la réduction du temps de
travail. Elle aborde avec souvent beaucoup de réalisme et de rigueur les
problèmes.
Deux questions.
L'un de vos prédécesseurs, en répondant à une
interrogation, disait que l'une des conditions pour que la réduction du
temps de travail telle qu'elle est prévue dans le cadre de la loi
réussisse et soit efficace en termes de création d'emplois,
était une réorganisation de fond de l'entreprise avec des
négociations, notamment un allongement du temps d'utilisation des
équipements.
Cependant il ajoutait que c'était certainement à envisager, mais
qu'il fallait prendre garde que celle-ci amène des gains de
productivité tels que quatre heures de réduction du temps de
travail ne suffisent pas à donner tout leur effet en termes de
création d'emplois.
Quelle est la position de la CFDT sur les 35 ou 32 heures ? Ne faut-il pas
plutôt envisager quatre jours pour faciliter le temps d'utilisation des
équipements ?
Vous avez souligné que l'un des acquis probables, souhaités en
tout cas, importants de ce texte de loi était une redynamisation du
dialogue dans l'entreprise, à propos de ces négociations sur la
réduction du temps de travail.
Toutes les organisations ouvrières n'ont pas signé l'accord
d'octobre 95, notamment la deuxième partie concernant le mandatement de
salariés pour la discussion.
Pour une négociation aussi exigeante, où il faudra bien avoir en
tête l'impératif de création d'emplois, ne pensez-vous pas
que cet accord ne le fragilisera pas un peu ? Il s'agit de donner, dans les
petites et moyennes entreprises, à des salariés dont la
compétence n'est pas forcément acquise en la matière, la
possibilité de négocier face à l'employeur. Est-ce que ce
ne sera pas difficile ?
N'envisagez-vous pas de demander au législateur d'étendre la
compétence des conseillers des salariés pour des
négociations sur le temps de travail dans l'entreprise, quand il n'y a
pas d'organisations syndicales ?
M. André JOURDAIN - Je veux d'abord féliciter M. Masson pour la
clarté de ses propos. Il dit que la CFDT, suite aux applications de la
loi de Robien et les 1.500 accords signés, a porté un
jugement favorable sur ce projet de loi.
L'application de la loi de Robien a eu lieu volontairement de la part des
entreprises, elles n'étaient pas sanctionnées dans le cas
contraire. Certes, elles ne seront pas obligées de travailler 35 heures,
mais au-delà il s'agira d'heures supplémentaires. Donc des
menaces pèsent sur elles.
Si le fonctionnement était bon sans cette épée de
Damoclès, la loi était-elle vraiment nécessaire ?
M. Marcel-Pierre CLEACH - Je voudrais joindre mes félicitations à
celles de mon collègue Jourdain à M. Masson, et lui dire combien
j'ai apprécié personnellement son esprit d'ouverture sur un point
grave et important, le maintien, le gel ou les éventuelles
réductions des salaires.
Nous avons entendu la semaine dernière M. Fitoussi. Si j'ai bien
compris, il est favorable au projet. Il a envisagé deux cas. Sans
mesures d'accompagnement particulières, il prévoyait une
création sur quatre ans de 100.000 emplois. Par contre, si la loi
s'accompagnait d'une réduction massive des charges, il indiquait que
l'OFCE prévoyait une création de 400.000 emplois. Donc il
était loin de vos estimations.
M. Louis SOUVET - Je partage l'avis de mes collègues, le propos a
été clair, mais le non-dit que j'ai cru déceler
m'inquiète un peu.
Je voudrais vous interroger sur le retour au travail des exclus et
l'équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle.
Sur le premier point, ce n'est pas un secret, nous savons tous que lorsque des
accords sont conclus, c'est que les entreprises ou les branches peuvent se le
permettre. Quand une loi est appliquée à l'ensemble des
activités, celles en difficulté ont plus de mal que d'autres
à conclure des accords. Si elles perdent de la
compétitivité et des parts de marché, avec une loi de ce
type s'appliquant à toutes les activités d'une manière
aveugle, êtes-vous sûr qu'il y aura un retour au travail des exclus
?
Sur le deuxième point, vous avez parlé des fonctions publiques,
celle hospitalière fonctionne avec des budgets globaux. Vous avez dit
que la réduction du temps de travail mettait automatiquement sur la
table les négociations salariales. Si celles-ci concluent à une
baisse, c'est-à-dire à une paupérisation du revenu des
salariés, le budget global n'explosera peut-être pas beaucoup,
mais quand même un peu.
Dans la Fonction publique territoriale, si on crée des emplois
supplémentaires on les financera par des impôts. Donc il y aura
à la fois prélèvement d'impôts ou de prix de
journée dans les hôpitaux et, sans inflation de la masse
salariale, paupérisation.
Les gens qui vivent dans les villages, quand ils ont du temps libre, ont des
occupations. Dans les grandes banlieues ou dans les grandes
agglomérations, quand ils rentrent chez eux, ils n'ont rien à
faire, ou alors des activités qui réclament de l'argent. En
résumé, plus ils ont de temps libre et plus ils ont besoin de
fonds. Or si on se dirige vers une paupérisation de la masse salariale,
on ne va pas dans le sens de l'histoire. Comment résoudre cette
difficulté ?
M. Marc MASSION - Je voudrais aussi remercier M. Masson pour son exposé
très clair, que l'on peut interpréter globalement comme un
soutien au projet de loi qui va venir en discussion.
Je voudrais lui poser deux questions.
1) On assiste depuis le 10 octobre à une opposition du CNPF très
frontale aux 35 heures. A travers les échos qu'il peut avoir de ses
sections syndicales, sait-il si les entreprises sur le terrain tiennent un
discours aussi dur que celui de la Direction du CNPF ?
2) Depuis le 10 octobre, y a-t-il eu sur le sujet en particulier des contacts
entre la CFDT et le CNPF ?
M. Alain GOURNAC, président - Ne pensez-vous pas que tout cela va amener
encore plus de travail au noir dans notre pays, puisque le temps libre sera
plus grand ? Aujourd'hui c'est un fléau pour l'emploi officiel.
Cette réduction est-elle une aspiration première des
salariés ? Je croyais qu'ils voulaient un pouvoir d'achat
supérieur.
J'ajoute que vous avez été très clair et je vous en
remercie.
M. Jean-René MASSON - Je commence par les deux questions de
Mme Dieulangard.
La première portait sur l'utilisation des équipements et la
semaine de quatre jours. Chaque fois qu'une entreprise peut développer
sa capacité et a des marchés ouverts, nous sommes favorables
à l'utilisation de la troisième, de la quatrième ou de la
cinquième équipe. Des salariés participent à de
tels roulements du fait de l'organisation du travail actuelle, mais en
contrepartie d'une réduction importante du temps de travail.
J'étais récemment en Mayenne, dans une entreprise de pompes qui
s'est lancée la première dans cette organisation, et qui a une
ancienneté de quinze ans de fonctionnement. Les équipements sont
utilisés du lundi au samedi midi, éventuellement jusqu'au samedi
soir durant certaines périodes, d'où une flexibilité
maximum. Cette organisation lui a permis d'être très
compétitive dans son domaine, mais elle n'a été possible
que parce que les salariés ont eu une vraie contrepartie en termes de
réduction du temps de travail, et l'accord remonte à 1986 ou 1987.
Donc il y a des gains de productivité, mais je ne crois pas que la
formule des quatre jours très sympathique, soit applicable dans toutes
les entreprises. 15 % des accords l'ont inclue.
Le calcul sur la durée annuelle correspond à 85 % des accords
sous deux formes, la première annualisée, avec des
périodes hautes et basses de production, la deuxième selon un
calcul annuel de la durée du travail permettant de
bénéficier de congés supplémentaires.
Il faut sortir du cadre et même du carcan de la semaine, car 30 ou
40 % des salariés de ce pays ne sont plus dans un cadre
hebdomadaire depuis longtemps. Cela est dû à l'arrivée
massive des femmes au travail, avec une liberté le mercredi, les
vacances scolaires, mais à la suite d'une négociation entre les
individus et les employeurs, donc dans la pire des situations de
dépendance. Cela a contribué en partie au développement du
temps partiel. L'intérêt de la réorganisation collective
est de mettre en place des garanties.
Nous laissons aux entreprises la possibilité d'aller au-dessous de
35 heures, c'est le cas de 25 % des 1.500 qui ont signé un accord.
L'un des acquis de la réduction du temps de travail est une
redynamisation du dialogue social dans ce pays au niveau de la branche ou de
l'entreprise. Je me souviens de la discussion que nous avons eue dans cette
salle à partir de la proposition du sénateur Marini, et j'ai
défendu ici le mandatement, c'est-à-dire le deuxième
accord du 31 octobre. Mais je ne suis plus le seul à le faire
puisque le projet de loi qui nous est soumis reprend cette formule.
30 % des accords conclus l'ont été sur la base d'un mandatement.
Pour le syndicalisme, et la CFDT en particulier qui a joué pleinement le
jeu, ce fut une occasion de contact, et sans doute de premier rapport avec les
organisations syndicales pour ces salariés-là, et dans une
démarche positive.
En général, quand nous avons des contacts avec les
employés d'une petite entreprise, c'est déjà trop tard,
ils sont en phase de licenciement, ils font appel aux prud'hommes ou aux
conseillers des salariés. Aux prud'hommes ils gagnent
systématiquement, mais ils ne sont jamais
réintégrés, ils touchent de l'argent, donc les
salariés et les employeurs jugent négativement une intervention
syndicale.
Là il s'agit d'un accord où les deux parties trouvent des
avantages, cela permettra sans doute d'installer plus durablement le
syndicalisme, y compris dans les petites sociétés.
Vous demandez s'il faut étendre la compétence des conseillers des
salariés, je n'en suis pas sûr. Nous nous sommes fixé nos
propres pratiques en la matière, nous ne mandatons jamais un
salarié sans avoir rencontré l'ensemble de ses collègues
pour qu'ils le choisissent. Nous avons nos propres contraintes dans ce domaine,
d'autant qu'il y a de la concurrence sur le marché des syndicats et que
si nous refusons, d'autres peuvent accepter de le faire.
Cette formule permettrait sans doute, si elle se développait d'une
manière plus importante, de réconcilier en partie le syndicalisme
et les entreprises.
Il existe dans la loi des délégués du personnel à
partir de 11 salariés, des délégués de site : il
n'y en a qu'un en France ; une possibilité de CHSCT interentreprises, il
y a un seul exemple, le Marché d'intérêt national de
Rungis.
Je crois qu'il y a là l'émergence d'un phénomène
nouveau, moins conflictuel sans doute que la relation habituelle, mais
peut-être plus productif. C'est intéressant, et nous appuyons la
disposition de la loi qui prévoit de transformer le mandat
jurisprudentiel ancien en un mandatement légal aujourd'hui.
La loi fonctionnera si la négociation se développe d'ici deux
ans. Nous portons un jugement positif, parce qu'elle fixe un cadre et laisse
deux ans à la négociation. Nous ferons tout pour qu'elle puisse
aboutir à un maximum d'accords.
En septembre 99 sera dressé le bilan de cette loi. Si elle ne fonctionne
pas, je crains fort que les entreprises aient fait le plus mauvais des calculs,
se retrouvant avec une mesure arbitraire de réduction de la durée
légale. Pour les salariés cela se traduira par quelques heures
supplémentaires en plus, et l'emploi aura été le grand
perdant.
Si 30 ou 40 % des entreprises entrent dans ce dispositif, je crois suffisamment
à l'intelligence des hommes et des femmes dirigeant ce pays pour tenir
compte de cette réalité et adapter ou faire évoluer la
loi. Je ne veux pas prendre ici d'engagements qui ne sont pas les miens, mais
ceux du Gouvernement et de la majorité, mais avec 20 ou 30 %, il y
aurait des possibilités d'évolution.
J'insiste beaucoup, nous avons tous intérêt à ce que cette
loi fonctionne dans les prochains mois, et que la négociation se
développe.
Je reviens sur la réduction des charges.
Dans le mode de réflexion que nous avons, il faudrait des taux de
croissance de 7 à 10 % par an et pendant cinq ans pour attaquer à
la marge le chômage dans ce pays, c'est-à-dire le réduire
de 20, 30, 40 ou 50 %. Depuis vingt ans on dit aux salariés qu'on sort
de la crise et qu'on va trouver des solutions, ou qu'on a tout essayé
sans aboutir. Cela crée des situations de révolte qui
coûtent cher à la collectivité nationale. Je crois qu'on
n'a pas le droit de ne pas tenter sur une grande échelle cette
réduction du temps de travail.
Il y a eu dans ce pays des diminutions de charges depuis plusieurs
années, par exemple sur le temps partiel. Cela a conduit à un
temps partiel contraint et non plus choisi, mais a surtout servi dans certaines
entreprises, notamment de la grande distribution, à substituer à
du temps plein des emplois à temps partiel. Je ne crois pas que
finalement l'emploi ait été gagnant.
Vous connaissez les allégements sur les bas salaires du
précédent gouvernement. Je pense que toute aide de l'Etat
aujourd'hui doit être assortie d'une obligation de résultat pour
les entreprises. C'est un vrai défi. Quelle est la sortie au bout de
cinq ans de l'aide ? La question a été posée lors du
débat sur la loi de Robien et dans le rapport parlementaire de Pierre
Méhaignerie.
On a intérêt à ce que l'opération de
réduction du temps de travail et de création d'emplois
fonctionne, car il y aura peut-être une généralisation.
Cela pourrait aboutir à une diminution permanente des charges sociales.
C'est un vrai enjeu pour le CNPF que d'entrer dans la négociation et
d'avoir à la fin ce type d'exigence en matière de permanence de
la baisse des charges.
Nous n'y avons jamais été hostiles, une résolution de
notre dernier congrès dit clairement que la CFDT est favorable à
une diminution des charges dès lors qu'elle profite à l'emploi.
Mais il faut que la contrepartie porte sur l'emploi, sinon la situation restera
difficile.
A propos du retour au travail des exclus, je vais vous faire un aveu, je ne
suis pas sûr que la proposition de réduction du temps de travail
ou les éléments des lois de Robien et Aubry vont permettre de
changer complètement la situation de l'emploi. Personne ne peut
l'affirmer, et nous pas plus que d'autres.
Je suis persuadé cependant que si on ne change pas fondamentalement la
situation de l'emploi, ce pays court des risques importants pour sa
démocratie et sa cohésion sociale.
A force de prendre des positions responsables sur tous les grands dossiers de
ce pays, à certains moments on s'interroge et la fatigue survient, mais
on risque des situations explosives et il n'y aura plus les relais de la
société pour les maîtriser. Je le crains fort.
On dit souvent qu'il y a trois évolutions possibles pour la
société :
1) la situation européenne et française où 80 % s'en
sortent plus ou moins bien selon leur place sur l'échiquier social, et
20 % en payent le prix fort, les exclus et les chômeurs.
Cela peut perdurer longtemps, car on sait dans ce pays se donner bonne
conscience. On sait comment les sentiments humanitaires peuvent prendre le pas
sur une réflexion politique, et on le vit tous les jours.
2) On nous propose un autre modèle, celui anglo-saxon, où il y a
moins de chômage, mais où une partie des gens qui travaillent sont
au-dessous des minima sociaux.
3) Le troisième scénario est celui de la fin du travail. Et de
l'ultra libéralisme à l'ultra gauche, on retrouve parfois des
positions communes. Comme il n'y aura pas de travail pour tout le monde, il
faut accepter qu'une partie des personnes perçoivent un revenu minimum.
Ce sont des choix à la fois philosophiques et politiques qui concernent
chacun. Nous pensons que l'intégration sociale d'un individu passe par
le droit et l'accès au travail, et que la mise en place de revenus
d'existence conduit à avoir deux catégories dans ce pays, ceux
qui ont un emploi et ceux qui sont en sous-développement, ce serait
aussi excluant que la situation actuelle.
Nous essayons de réfléchir à un quatrième
scénario, qui replace l'emploi de tous au centre des choix politiques.
On a su dans ce pays trouver les bons équilibres économiques,
tout le monde se félicite aujourd'hui du niveau de l'inflation et de la
place du franc dans les monnaies européennes, du redressement de la
balance des exportations. Pourra-t-on un jour se féliciter d'un bon
équilibre concernant l'emploi ?
Pourquoi avons-nous soutenu ce projet de réforme de la
sécurité sociale dit plan Juppé ? Tout simplement parce
que dans les mesures principales qu'il contenait, il y avait la prise en compte
des exclus à travers l'assurance maladie universelle dont nous
souhaitons qu'elle voie le jour, une réforme du financement de la
sécurité sociale pour que les cotisations assises sur les
salaires en 1945 soient élargies à l'ensemble des revenus, et que
celles patronales reposent sur d'autres éléments que la masse
salariale et puissent prendre en compte la plus-value dans les entreprises.
Et il y a d'autres leviers, celui de l'insertion, du développement des
emplois de proximité, et celui de la réduction du temps de
travail. Il nous semble qu'il est sans doute temps dans ce pays de refonder le
contrat social, ce n'est pas facile, car cela remet en cause des situations
passées.
J'habite la grande banlieue, j'y vais tous les soirs. C'est certainement le
plus grand défi que la société française a devant
elle. Aujourd'hui chaque explosion retentit un peu comme une sonnette d'alarme,
la situation se dégrade sans que personne ne trouve des moyens.
Je me rappelle d'une discussion remontant à quelques mois avec le
président du CNPF de l'époque sur le sujet. Nous étions
conscients qu'il faudrait peut-être un jour oser mettre en place un
véritable plan Marshall pour les banlieues, permettant d'apporter des
réponses durables et de grande ampleur en la matière.
J'ai oublié de répondre à une question sur nos rencontres
avec le CNPF. Nous n'en avons pas eues depuis le 10 octobre et la
démission du président Gandois. Le Conseil était en
campagne électorale, il était normal qu'ils discutent d'abord
entre eux, nous le rencontrerons.
Pour les patrons comme pour les syndicalistes, un principe domine toujours,
celui de réalité. Sur cette loi il en sera de même. Nous
sommes en contact dans de nombreuses entreprises et dans la phase de diagnostic
de la situation et de mise à plat de l'organisation du temps de travail.
Nous avons des contacts avec des branches professionnelles, pas
forcément les plus importantes.
Je ne crois pas que le CNPF bougera avant l'adoption de la loi, mais des
patrons regarderont d'abord l'intérêt de leur entreprise, c'est
plutôt de bon augure pour cette loi.
M. Alain GOURNAC, président - Merci de votre clarté, de ce propos
que nous avons bien entendu.
G. AUDITION DE M. JEAN-FRANÇOIS PERRAUD ET DE M. DANIEL PRADA, SECRÉTAIRES CONFÉDÉRAUX DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL (CGT)
M. Alain GOURNAC, président, rappelle le protocole
de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait
prêter serment à M. Jean-François Perraud et à
M. Daniel Prada.
M. Jean-François PERRAUD - Je vais vous donner notre position
générale en matière de réduction du temps de
travail.
Notre principale préoccupation est d'arriver à obtenir des
améliorations concrètes du sort des salariés, au travers
d'une démarche tenant compte de différentes dimensions, sociales,
économiques. Et à partir de là, nous appliquons nos
principes en termes de démarche syndicale.
La réduction du temps de travail ne doit pas être traitée
à part de l'environnement de la société et de
l'économie. Elle doit se réaliser dans un cadre de mesures visant
à soutenir la croissance, d'où un lien très important
entre réduction du temps de travail et dynamique de croissance pour
aboutir à des créations d'emplois, sinon celles-ci pourraient
très bien n'être qu'un feu de paille à court terme.
Elle doit se traduire pour cela, à notre avis, par une augmentation de
la masse salariale globalement distribuée, sous forme de
créations d'emplois et de pouvoir d'achat, et constituer un nouveau
point d'appui pour un développement économique.
Des réformes de structures, selon nous, sont nécessaires dans cet
environnement, je cite pour mémoire le financement de la
sécurité sociale, la réforme fiscale, celle des circuits
bancaires, qui doivent pouvoir renforcer cette dynamique liant emploi et
croissance.
Dans la situation actuelle, nous sommes confrontés à un
débat de société où différentes forces de
propositions confrontent leurs points de vue. Nous sommes, par rapport à
la proposition du Gouvernement, dans une logique d'amélioration
substantielle face à un projet qui, du fait de ses faiblesses, pourrait
se trouver invalidé par manque de qualité propre.
Nous voulons que la démarche annoncée gagne en qualité et
en densité, pour qu'elle soit le point d'appui d'une véritable
transformation.
Très rapidement, quelle est notre position sur les salaires, par exemple
? Du fait de notre conception du développement de l'activité
économique et de la croissance, nous considérons qu'ils ne
doivent pas être une question enfermée dans celle de la
réduction du temps de travail, elle va bien au-delà et doit
être traitée de façon générale.
On le voit avec l'expression assez radicale des personnes privées
d'emploi dans la dernière période. La question des ressources,
des minima sociaux, du SMIC, et plus largement des salaires dans le sens d'une
reconnaissance des qualifications par rapport à la participation des
salariés au développement de la croissance et de
l'activité économique, sans parler des retraités avec des
manifestations massives à l'automne, et au-delà de la
réduction du temps de travail, est la base du développement
économique et de la croissance.
On ne souhaite pas que les rémunérations, contrairement aux
autres sujets qui peuvent être rattachés plus directement au
thème de la réduction du temps de travail, y soient
enfermées.
Nous sommes attachés à la notion de non-diminution de salaire, il
s'agirait plutôt de l'inverse pour redéployer l'économie
dans le sens d'une croissance.
Nous pensons que toute diminution du champ d'application limite l'impact en
matière de création d'emplois, aussi bien avec l'effet de seuil
dans le privé qu'en matière de réduction du temps de
travail possible dans la Fonction Publique dont les modalités restent
à négocier, et alors que paradoxalement les secteurs non soumis
à la concurrence ne sont pas les premiers visés par la
réduction du temps de travail.
Un des principaux problèmes auquel nous risquons d'être
confrontés est que la réduction de la durée légale
ne correspondrait pas à une diminution effective du temps de travail
dans les entreprises. A partir de là, on pourrait douter largement d'une
création d'emplois correspondant au temps réellement
réduit.
D'un point de vue général, la multiplication des heures
supplémentaires est la marque d'un manque structurel d'effectifs, et
souvent d'un pouvoir d'achat insuffisant pour ceux qui acceptent de les faire.
Sans mesures efficaces contre les heures supplémentaires, à notre
avis, il y a des risques que l'abaissement de la durée légale
soit contourné et ne conduise pas à une réduction
réelle du temps de travail.
Des mécanismes comme, par exemple, le repos compensateur doivent
être appliqués à la demande du salarié. Or dans la
vie, celui-ci ne s'exprime pas pour différentes raisons d'environnement
de l'entreprise. Les mécanismes actuels ne fonctionnent pas dans leur
application et donc ne conduisent pas à restreindre les heures
supplémentaires concrètement.
Un des points essentiels de la réduction du temps de travail vise
à permettre aux salariés de conjuguer une amélioration de
leurs conditions de travail et de vie avec la recherche de création
d'emplois. Et ce n'est pas obligatoirement porteur de désorganisation
dans les entreprises.
Par un développement outrancier de la flexibilité, elles peuvent
chercher à gagner de la productivité avec une dégradation
des conditions de vie et de travail des salariés, c'est une
possibilité, mais pas la seule. Une réorganisation des
entreprises est possible, en particulier il faut revenir sur la formation et
l'élévation des qualifications.
Nous pensons que la flexibilité à outrance n'est pas la seule
solution pour elles, mais elles sont aujourd'hui dans un schéma dominant
où il est plus simple de continuer à organiser le travail, sans
rechercher d'autres arbitrages entre travail et investissement en machines et
organisation du travail, permettant d'aboutir à une autre
efficacité.
La CGT n'est pas hostile au principe des aides et au développement de
l'emploi, mais la question porte sur leur ciblage et leur efficacité. Le
dispositif prévu dans le projet de loi n'est pas satisfaisant
actuellement pour nous. La preuve n'est pas faite que la masse d'aides de
150 milliards versés serait efficace en matière de
création d'emplois effective.
A propos des négociations, notre préoccupation principale, dans
la perspective d'une généralisation malgré les blocages
annoncés du patronat, est de ne pas laisser négocier n'importe
quoi au nom des salariés. Pour cela il faut que la loi, mais aussi que
la démarche générale garantissent la qualité des
négociations et permettent l'expression et l'intervention des
salariés.
Quant au mandatement dans les PME, il faut arriver à dénouer la
contradiction -depuis plusieurs années les législateurs y
réfléchissent- entre la vocation exclusive des syndicats à
négocier à titre collectif et leur implantation insuffisante dans
l'ensemble du maillage des entreprises.
Comment faire en sorte qu'un mandatement accordé ne conduise pas
à n'importe quel contenu de négociation au nom des
salariés ? Cela pourrait faire l'objet de propositions.
M. Daniel PRADA - La CGT n'est pas pour le mélange des genres, nous
avons toujours défendu l'idée qu'il devait y avoir une
dissociation entre le financement de la sécurité sociale et les
aides à l'emploi.
D'ailleurs nous constatons que les politiques mises en oeuvre
d'exonération de cotisations ou de transfert de prise en charge sur le
financement par l'Etat n'ont pas réglé les problèmes de
l'emploi dans notre pays ni les difficultés de la sécurité
sociale.
Ce projet de loi soulève au moins trois problèmes.
1) L'abattement de cotisations va pouvoir se cumuler avec d'autres
exonérations, celles sur les bas salaries et sur les CIE. Ce cumul peut
conduire à ce que, pour un même emploi, un employeur ait plus
d'exonérations que de cotisations. Dans ce cas de figure, l'ACOSS
prévoit un transfert sur un autre poste. C'est un souci majeur qu'il
contribue à développer l'exonération de charges.
2) Nous pensons que cette possibilité de cumul offerte aux
employeurs peut conduire à élargir des pratiques de bas salaires,
notamment ils pourraient, partant de là, favoriser l'embauche de
salariés sous-qualifiés ou ne pas reconnaître leurs
qualifications.
Il nous semble que cette mesure induit un phénomène pernicieux,
et pour l'emploi et pour le financement de la sécurité sociale.
Alors que la réduction du temps de travail vise à
développer l'emploi, elle pourrait conduire à un effet
peut-être pas inverse, mais son efficacité pourrait être
contredite concrètement.
3) Nous sommes hostiles à un transfert du financement sur l'Etat, en
l'occurrence dans ce projet de loi la compensation évoquée est
partielle. On constate, du point de vue des exonérations et des
compensations par l'Etat que non seulement elles ne sont plus
systématiques, mais qu'elles ne sont plus intégrables, et ceci en
contradiction avec le principe fixé par la loi du 25 juillet 1994.
On craint également que ce système de compensation, intervenant
en décalage dans le temps, crée des problèmes de
trésorerie pour la sécurité sociale.
Il existe aussi un décalage entre la durée de l'aide et celle du
maintien des emplois, la première pouvant être de trois à
cinq ans, et la deuxième atteignant seulement deux ans.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie de ces précisions.
Je passe la parole à notre rapporteur.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Je voudrais à mon tour remercier
M. Perraud et M. Prada pour la clarté de leurs propos, et leur
poser quelques questions.
D'abord sur les salaires, notre préoccupation commune est l'emploi, mais
lorsque nous interrogeons les économistes, ils assortissent le
dispositif de conditions préalables, parmi lesquelles la
modération salariale.
Pensez-vous que vous puissiez vous préparer dans les prochains mois, si
la loi est votée, à signer des accords qui porteraient gel des
salaires, dans certains cas peut-être même réduction, ceci
pour permettre le maintien de la compétitivité et la
création d'emplois ?
Deuxième interrogation : estimez-vous que votre
Confédération est prête à signer des accords qui
comporteraient des contreparties à la création d'emplois, sous
forme d'annualisation par exemple ? Verriez-vous la nécessité
peut-être de prévoir des dispositions dans la loi pour que ces
contreparties soient effectives et que vos négociations aboutissent plus
facilement ?
Je reviens sur les fonctions publiques. Pensez-vous qu'il y a
nécessité de généraliser la réduction du
temps de travail aux différentes fonctions publiques ? Comment
voyez-vous la corrélation entre cette diminution et l'éventuelle
création d'emplois, et au-delà leur financement ? Serait-ce
par l'ajustement des salaires ou par supplément de charges publiques ?
M. Jean-François PERRAUD - Si on parle de la mise en oeuvre de la
réduction du temps de travail, on rejoint un débat social plus
large.
Nous souhaitons que dans la loi il n'y ait pas de point d'appui pour organiser
le blocage ou la baisse des salaires.
Dans l'exposé des motifs, la formule " sans baisse de
rémunérations ", selon nous, ne devrait pas être
limitée par une maîtrise de salaires annoncée a priori pour
des raisons de fond, ce qui fragiliserait l'ensemble des systèmes, nous
le constatons avec la crise asiatique.
La hauteur des salaires, en termes de masse ou de niveau, est extrêmement
importante pour donner raison à la dynamique de création
d'emplois. Sans conforter la croissance, ceux qui seraient créés
par une simple répartition à court terme ne pourraient pas
perdurer dans le cadre d'une croissance en restriction.
Je propose de revenir sur la compétitivité. Sur la comparaison
des coûts salariaux, nous sommes bien loin de l'Allemagne. Nous nous
rapprochons plutôt de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis.
Par ailleurs, dans le type d'économie développée en
France, la base de la compétitivité n'est pas tant le coût
de la main-d'oeuvre que le type de production et la capacité
d'innovation, donc d'intégration de nouvelles qualifications et
organisations de travail. C'est, à mon avis, un des véritables
enjeux de la réduction du temps de travail, qui vont permettre de poser
au niveau de la société des questions jusque-là
confinées dans des cabinets d'experts ou dans certaines entreprises
pilotes.
Cela exige des réponses, pas seulement en termes d'intensification du
travail, mais de façon plus intelligente, plus efficace.
Deux aspects peuvent être pris en considération : le retard en
matière d'investissement de la France depuis plusieurs années par
rapport à ses partenaires économiques, et une sous-utilisation
des qualifications disponibles dans les entreprises, du fait d'une organisation
du travail se situant au-dessous des potentialités réelles des
salariés disponibles, parce que l'objectif de rentabilité,
d'efficacité est visé à court terme pour des exigences
financières.
Le salaire est le paiement de la qualification. Aujourd'hui, du fait du
décrochage de la rémunération par rapport aux gains de
productivité, la qualification n'est pas reconnue, la stagnation du
salaire des cadres, la diminution de celui d'embauche dans de nombreuses
catégories le prouvent, sans parler du blocage du pouvoir d'achat
général des salariés.
La loi doit essayer de réunir toutes les conditions de la
réussite. La question des salaires en fait partie. Dans les
négociations, nous souhaitons que les salariés soient en
situation d'apprécier, au niveau de la branche ou de l'entreprise, le
type d'arbitrage souhaitable selon eux. Nous ne dissocions pas le contenu des
négociations du besoin de donner un droit d'information aux
salariés pendant celles-ci, ni du droit de ratifier des accords
signés en leur nom ailleurs.
Notre préoccupation principale est de laisser les questions ouvertes
pour ne pas empêcher le succès de la démarche.
Sur l'annualisation, la flexibilité exigée par le patronat va
à l'inverse de l'efficacité du travail, il y a plutôt une
dégradation des conditions de travail et de vie des salariés.
Nous proposons que la loi incite les branches et les entreprises à fixer
des maxima horaires hebdomadaires et quotidiens pour empêcher un
développement incontrôlé de la flexibilité.
Notre préoccupation n'est pas tant, comme par le passé, d'arriver
à des horaires bloqués pour tous. Mais quand les salariés
seront confrontés à une possibilité de réduction de
leur temps de travail, ils se demanderont comment réorganiser leur vie
à partir de là, d'où une véritable réflexion
collective sur les arbitrages à obtenir entre vie et travail, et sur les
équilibres à atteindre pour un mieux-être dans le travail
et la vie, et permettant de créer concrètement des emplois.
Le terme d'annualisation est générique. S'il s'agit de travailler
48 heures par semaine nous sommes contre, s'il s'agit d'ouvrir un
véritable débat sur une maîtrise réelle des horaires
de travail, nous pensons qu'il y a lieu de donner la parole aux salariés
à partir de ce qu'ils vivent. Selon nous, il n'est pas possible, y
compris pour la CGT, de répondre à toutes les questions.
Par contre, la loi doit donner des garanties que la flexibilité ne sera
pas une solution annoncée dans un développement
incontrôlé, d'ailleurs cela serait porteur de conflits à
terme. Dans la mécanique loi-négociation, on sera
confronté à une perception par les salariés des accords
où ils essaient de s'approprier leur contenu, puis sur la base du
vécu des conflits risquent de se déclencher pour revenir à
des conditions de vie et de travail plus humaines.
Si la loi et les négociations conduisent à ce type d'accord
porteur de conflits et de contradictions, socialement et économiquement
ce ne sera pas très productif. Donc il vaut mieux bien viser sur ce plan.
Sur la fonction publique, nous avançons le besoin de réduction du
temps de travail par principe, mais de façon adaptée.
La question du financement renvoie à la nécessité de
développer la croissance, donc de possibilité réelle de
retour dans les caisses de l'Etat, parce que c'est le premier problème
posé aujourd'hui. Il apparaît d'ailleurs dans les motivations des
salariés que les deux principales préoccupations sont une menace
possible sur leur pouvoir d'achat et sur la dégradation de leurs
conditions de vie et de travail.
M. André JOURDAIN - Je voudrais avoir une confirmation. La
préoccupation de la CGT, comme de chacun d'entre nous ici, est de lutter
contre le chômage et d'essayer de créer des emplois.
Ai-je bien compris votre raisonnement ? Votre souci majeur est l'accroissement
de la masse salariale distribuée, c'est-à-dire l'augmentation des
salaires de ceux qui travaillent. Et par là même, vous relancez la
consommation et vous faites créer des emplois.
Est-ce un résumé trop bref ou est-ce le fond de votre position ?
M. Jean-François PERRAUD - Il y a deux façons d'accroître
la masse salariale, en créant des emplois et en préservant ou en
augmentant le pouvoir d'achat.
M. André JOURDAIN - Mais il faut un démarrage. Par quoi commencer
?
M. Jean-François PERRAUD - Vous parlez des aides ?
M. André JOURDAIN - Non, du principe général. Faut-il
commencer par une augmentation des salaires des gens qui travaillent, qui
consomment alors davantage, pour créer ensuite des emplois ?
M. Jean-François PERRAUD - Le schéma avancé dans la loi
est une réduction au moins de 10 % du temps de travail et de 6 %
d'embauche.
M. André JOURDAIN - Vous vous placez dans le contexte du projet de loi ?
M. Jean-François PERRAUD - Bien sûr.
M. André JOURDAIN - J'avais cru que votre préoccupation
était d'abord l'augmentation des salaires.
M. Jean-François PERRAUD - Dans le débat actuel, ils sont
liés à la réduction du temps de travail. Il faut que le
débat soit plus large.
Si nous arrivions à croiser de façon suffisamment efficace les
deux dimensions, nous pourrions avoir une croissance confortée en
chiffres et en emplois. C'est notre objectif.
Mme Dinah DERYCKE - A plusieurs reprises vous avez fait état de ce que
vous souhaiteriez voir dans la loi ou pas. Vous avez parlé de la
relative faiblesse de l'implantation syndicale dans les entreprises.
Est-il possible de réduire le temps de travail sans cette loi
intermédiaire ?
En l'état actuel du dialogue social, est-il nécessaire qu'une loi
fixe un cadre minimum et engage la négociation, y compris avec des aides
? Cette loi ne permettra-t-elle pas de renouer peut-être plus activement
le dialogue social ?
Enfin, vous avez évoqué le mandatement et dit que la CGT aurait
quelques propositions à faire. J'aimerais les entendre.
M. Jean-François PERRAUD - Y compris à la CGT il est possible de
faire une très bonne loi, nous y avons même
réfléchi. Il faut que cette proposition de loi, comme amorce d'un
mouvement général, intéresse vraiment les salariés.
Nous pensons qu'une loi bien faite serait incontournable par le patronat,
même si elle ne lui plaisait pas.
Il faut tenir compte de la réalité sociale, nous traçons
un lien direct entre les personnes privées d'emploi et les perspectives
de réduction du temps de travail. Il y a une attente très forte
et une exigence de solutions. Si cette loi est capable d'incarner sous la forme
d'orientations précises des garanties minimales empêchant des
dérives antisociales, nous pensons qu'elle pourra conduire à un
déblocage et à un intéressement véritablement
collectif.
Dans la négociation il y a eu des dérives, à notre avis,
ces dernières années, il faut les corriger. Si la loi
était votée telle qu'elle est annoncée ou avec des
améliorations substantielles, comme nous le souhaitons, et si les
négociations s'engageaient malgré le patronat, il pourrait y
avoir des améliorations. Sinon les accords pourraient être
porteurs de conflits et de difficultés par la suite.
Nous ne prônons pas la paix sociale à tout prix, mais nous parions
plutôt sur la réussite. Il y a quelques règles de vie en
société à respecter, il faudrait rétablir le
principe de l'application du texte le plus favorable aux salariés, par
exemple.
Ce principe a été mis à mal par la multiplication des
dérogations ; nous pensons aussi que la signature des organisations
syndicales majoritaires dans une branche ou dans un entreprise aux
élections professionnelles devrait être requise, en particulier
pour tout accord dérogatoire.
Selon nous, intéresser aujourd'hui concrètement les
salariés, c'est prévoir des heures d'information pour eux pendant
et avant la négociation.
Nous pensons que la ratification de l'accord d'entreprise par les
salariés est souhaitable, et qu'il faut réaffirmer les
prérogatives des institutions représentatives du personnel pour
dépasser les pratiques d'exclusion des non signataires d'accords.
Si ce n'est pas une solution idéale, nous pensons qu'il faut des
garde-fous au système de mandatement, qu'il doit être
limité aux entreprises de moins de 50 salariés, que les
négociations aient lieu avec au moins 2 salariés pour être
effectives et avoir un minimum de garanties sur leur contenu.
Le terme du mandat du salarié doit être la fin de l'accord et non
sa signature. La protection du salarié doit se prolonger six mois
après la fin de l'accord.
Tant pour la négociation que pour le suivi, le salarié
mandaté doit bénéficier de crédits d'heures et
moyens matériels normalement dévolus aux
délégués syndicaux.
Préalablement à l'engagement de la négociation, les unions
départementales des organisations représentatives doivent
être informées du nom du syndicat mandant, ces dernières
consultées après la négociation de l'accord et avant
évidemment sa signature, ainsi que les salariés, sur ses termes.
Il faut donc des garde-fous pour arriver à dénouer cette
contradiction, les organisations représentatives étant seules
habilitées à négocier des accords collectifs et
n'étant pas présentes dans toutes les entreprises.
On risque d'avoir une généralisation des négociations
partout, et parallèlement certaines peuvent être bloquées
par le patronat.
Donc ces garde-fous peuvent amener à rendre incontournables les
négociations en prenant en compte l'expression des salariés.
Dans la loi, il est prévu qu'un accord de branche pour les entreprises
de moins de 50 salariés puisse s'appliquer directement. Cette
disposition est positive. Nous préférerions la
privilégier, quitte à l'adapter à la suite d'une
confrontation entre les salariés et la direction, plutôt que de
systématiquement recourir à un mandatement qui pourrait donner
lieu à des dérives et des contournements.
M. Alain GOURNAC, président - Quelle est votre approche du risque de
travail au noir dans notre pays ? Puisque vous êtes en contact avec les
salariés au travers de votre organisation, la réduction du temps
de travail est-elle pour eux une priorité ?
M. Jean-François PERRAUD - Le risque du travail au noir rejoint celui
des heures supplémentaires. Nous ne pensons pas que celui-ci soit fait
par plaisir, il vise plutôt à combler un déficit de pouvoir
d'achat. Après, il peut être perçu comme une
démarche culturelle de la part de l'individu.
Cette dérive dans le cadre d'une réduction du temps de travail
renvoie au pouvoir d'achat tel qu'il est garanti, et surtout à la
dynamique de croissance qu'on est capable de gagner au travers d'une telle
opération.
Ce n'est que par une croissance renouvelée et consolidée qu'on
arrivera à dépasser ces dérives, et pas simplement par une
prise en compte du travail et des richesses existantes.
M. Alain GOURNAC, président - Avant cette proposition gouvernementale,
la réduction du temps de travail était-elle une revendication
importante des salariés ? Nous avions l'impression qu'il s'agissait
beaucoup plus d'une amélioration du pouvoir d'achat ?
M. Jean-François PERRAUD - Il est possible de raisonner par
défaut. Sont importantes pour les salariés la question des
salaires et celle des conditions de travail.
Les exigences d'augmentation de la productivité pratiquée sous
forme d'intensification du travail, en particulier du développement du
travail répétitif, conduisent à une explosion des maladies
professionnelles, notamment périarticulaires.
Ce n'est que la partie apparente de l'iceberg, car d'autres maladies
professionnelles sont en train de se développer sous forme de stress,
dont le salarié n'arrive plus à se débarrasser, ou de
dérangements psychologiques ou psychiques directement liés
à la charge de travail qu'il doit supporter sous prétexte
d'efficacité et de compétitivité. Il s'use de plus en plus
vite du fait de l'organisation et de la masse de travail.
A partir de là, dans la dynamique de la réduction du temps de
travail au niveau des salaires avec le déblocage de la croissance, et au
niveau de l'amélioration des conditions de travail et de vie, nous
pensons que ladite réduction correspond aux besoins de la
société de s'interroger sur sa façon de fonctionner.
Aujourd'hui elle fait des arbitrages entre travail, vie professionnelle et
personnelle familiale. Ceux-ci sont dépassés, à notre
avis, ils correspondent à des modes d'organisation économique et
sociaux.
Par exemple, le fait que l'investissement dans notre pays soit en retard est
dû au travail à l'ancienne, qui perdure. Mais il est plus simple
de continuer à faire travailler les salariés pour l'entreprise
sans les écouter que d'organiser le travail à partir d'une
véritable écoute de leurs besoins, pour améliorer leurs
conditions en la matière.
De ce point de vue, la réduction du temps de travail sous forme de loi
et de négociation peut obliger à trouver une nouvelle
intelligence dans le travail.
Le patronat n'en est pas convaincu, mais la société pose cette
exigence qui nous semble aujourd'hui tout à fait incontournable.
M. Alain GOURNAC, président - Merci de vos réponses aux questions.
III. SEANCE DU MERCREDI 14 JANVIER 1998
A. AUDITION DE M. PIERRE CABANES, PRÉSIDENT DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'EMPLOI, DES REVENUS ET DES COÛTS (CSERC)
M. Alain GOURNAC, président - Chers collègues,
nous allons auditionner M. Cabanes, président du CSERC. J'ai
mentionné tout à l'heure, et je vais vous le faire distribuer, le
rapport qu'il a publié sur l'aménagement et la réduction
du temps de travail.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Pierre Cabanes.
Notre organisation est : dix minutes pour vous exprimer. Ensuite, je passerai
la parole à notre rapporteur qui m'a dit avoir des questions à
vous poser. Vous lui répondrez directement et mes collègues
poseront les questions qu'ils souhaiteront.
M. Pierre CABANES - Merci de votre accueil, Monsieur le président. Je
vais commencer par trois observations préliminaires. Tout d'abord, je ne
suis pas un spécialiste des questions de durée du travail. Ce
pays en compte peu d'ailleurs, tellement aujourd'hui ce droit est devenu
complexe.
Je ne suis pas non plus économiste, je ne suis pas
économètre. C'est dire que j'accepte d'avance de vous tous les
reproches d'incompétence. Je souhaiterais seulement qu'on ne mette pas
ma bonne foi en doute.
Deuxième observation : j'ai assumé des fonctions au
ministère du Travail pendant six ans. Depuis 16 ans, je travaille dans
un groupe qui relève complètement, en ce qui concerne le droit du
travail, du droit privé, et j'y assume notamment les
responsabilités des affaires sociales.
Comme vous avez bien voulu le faire observer tout à l'heure, je
préside le CSERC qui a récemment publié un rapport sur les
minima sociaux, qui, à la fois, n'est pas complètement en dehors
de l'actualité ni d'ailleurs complètement hors du sujet qui nous
occupe ce matin.
Troisième observation : le projet de loi sur lequel vous m'invitez
à m'exprimer.
M. Alain GOURNAC, président - Je voudrais vous arrêter une seconde
pour observer que nous discuterons prochainement du projet de loi devant la
Commission des Affaires Sociales. C'est plutôt votre réaction que
nous voulons entendre à la suite de la décision du Gouvernement
qui a voté en Conseil des ministres cette réduction du temps de
travail et des crédits, qui sont maintenant connus, pour accompagner
cette réduction du temps de travail. Si nous parlions de la loi
elle-même, nous ne serions pas dans le contexte de notre Commission
d'enquête.
M. Pierre CABANES - Merci de cette clarification. Je n'ai pas l'intention
devant vous de commenter ligne à ligne le projet de loi. Je m'en tiens
bien à l'interprétation de la question que vous me posez. Je veux
simplement indiquer que ce texte est une mesure parmi d'autres que le
présent Gouvernement prend. Et il ne viendrait à l'idée de
personne d'élever la moindre critique qu'un Gouvernement utilise tous
les moyens disponibles pour contribuer à régler, même le
moindrement, ce colossal drame qu'est le chômage dans notre pays.
D'autre part, j'ai lu ce qui est connu de ce projet de loi et le présent
Gouvernement n'affirme pas qu'il en résultera monts et merveilles. Il me
semble qu'il y a là une preuve de grande honnêteté.
J'en viens à votre question : quelles sont les conséquences
aujourd'hui de la décision d'abaisser dans deux ans la durée
légale hebdomadaire du travail, notamment sans dire ce que sera alors le
régime des heures supplémentaires ?
Question très délicate, il m'aurait fallu plus de temps et
sûrement plus de compétence pour prétendre vous apporter
quelque lumière sur ce sujet.
Ces conséquences sont, à mes yeux, triples. La première
est que l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 est, du fait de
cette décision, tenu pour mort.
Deuxième conséquence : cette décision me paraît
focaliser l'attention générale sur une question qui me
paraît secondaire, par une procédure qui me paraît
inadaptée.
Troisième conséquence : je crains que ne se trouve ainsi
différé l'examen de deux questions qui, à mes yeux,
apparaissent fondamentales.
Première conséquence, que j'appellerai une occasion perdue. Il
faudrait plusieurs séances et beaucoup d'attention de votre part pour
que je relate devant vous les occasions manquées sur la question qui
nous occupe depuis qu'est intervenue l'ordonnance de 1982 qui a
libéralisé la répartition de la durée du travail.
Comme vous ne m'avez pas invité à faire devant vous de
l'histoire, je me bornerai à un des derniers épisodes qui m'a
valu justement de faire le rapport dont vous avez parlé et j'ai le
sentiment, même si cette Commission comporte beaucoup de gens
compétents, que l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995
échappe à l'attention d'un certain nombre de personnes, et je le
regrette.
Cet accord a mis en France un terme, me semble-t-il, à trois
débats théoriques ou idéologiques qui faisaient rage
depuis 20 ans. Cet accord a été signé par tous les
partenaires sociaux, sauf un. Avec cette signature a été
enterré le débat religieux entre ceux qui disent que la solution
du problème du chômage est dans la création d'emplois et
ceux qui disent que la solution est dans le partage du travail. Les partenaires
sociaux, le 31 octobre 1995, avaient reconnu que ce débat était
devenu inactuel.
Deuxièmement : les partenaires sociaux avaient enterré un
deuxième sujet de conflit idéologique entre ceux qui
étaient partisans d'une baisse de la durée du travail à
condition qu'il y ait une compensation salariale intégrale, et ceux qui
disaient qu'il ne peut pas y avoir une telle compensation intégrale, que
cette compensation doit être limitée. Les partenaires sociaux, ce
jour-là, ont enterré ce deuxième débat
théorique.
Troisièmement : jusqu'à ce moment-là, le travail à
temps partiel était considéré dans notre pratique comme
pestiféré. C'était une forme de travail qui ne
méritait le respect de personne et qui ne pouvait intéresser que
des catégories particulières et dévalorisées de la
population. Ce jour-là, les partenaires sociaux unanimes, sauf un, ont
considéré que ce débat était devenu inactuel.
C'est ce qui les a conduits, cette fois-là en positif, après
avoir enterré ces trois débats qui avaient interdit tout
progrès dans notre pays pendant une vingtaine d'années, à
affirmer solennellement trois propositions qui me sont apparues à
l'époque comme vraiment révolutionnaires, mais je crois avoir
été un des rares à qualifier cet accord de cette
façon.
Première idée : dans notre pratique sociale, c'était la
première fois que je lisais que l'objectif commun des partenaires
sociaux est l'accroissement de la compétitivité des entreprises.
Deuxièmement : ce résultat passe, ajoutaient-ils, par une
organisation plus souple de l'entreprise. La flexibilité n'était
pas encore à l'ordre du jour, mais avouez que quand on parle de plus
souple, on n'en est pas loin, et que cette souplesse devait notamment trouver
à s'appliquer en matière de durée du travail.
Troisièmement : parmi les différents types d'organisation du
travail et parmi les multiples types de répartition d'une durée
donnée de travail, les partenaires sociaux convenaient de
privilégier ceux qui étaient les plus créateurs d'emplois.
Sagement, les partenaires sociaux, le 31 octobre 1995, ont dit : nous nous
attelons là à un travail colossal et de longue haleine. Ce
pourquoi ils étaient convenus de reprendre l'écheveau de cette
négociation au plan national tous les trois ans. Et d'autre part, marque
de grand réalisme, ils convenaient de créer un observatoire
paritaire des conséquences sur l'emploi des mesures
décidées plus haut et qui renvoyaient à des
négociations de branche.
C'était reconnaître par la pratique une chose qui aujourd'hui doit
faire à peu près l'unanimité, à savoir qu'il
n'existe pas de solution simple, qu'il n'existe que des solutions
ajustées au cas de chaque entreprise, voire de chaque partie
d'entreprise.
La première conséquence de la décision du Gouvernement me
paraît être que ce texte du 31 octobre 1995 est
écarté et considéré comme nul et non avenu.
Penchons-nous une seconde sur les raisons qui ont conduit à cela et
rappelez-vous, s'il vous plaît, que je ne prétends donner de
leçon à personne. Moins d'un an après,
31 octobre 95 - juillet 96, un sommet sur la durée du travail
est organisé. On me demande de préparer le rapport que vous
connaissez. Je crois qu'il y avait là une première erreur. Quand
on s'attaque à un sujet aussi complexe on ne peut pas, moins d'un an
après la signature, réunir les partenaires sociaux en pensant que
moins d'un an après il peut y avoir des résultats concrets.
Deuxième proposition : quelques jours avant ce sommet social sur la
durée du travail, est votée ce qu'on appelle communément
la loi " de Robien ". Je ne me hasarde pas à critiquer le
fond
de ce texte. J'attire l'attention cependant de cette Commission sur l'effet que
peut avoir sur des partenaires sociaux, qui sont convenus de se réunir
autour du 12 ou 13 juillet, un texte voté rapidement et, à ma
connaissance, sans que les partenaires sociaux aient été
invités à se prononcer, et qui interfère peut-être
d'ailleurs efficacement avec le sujet traité.
On ne doit pas être, dans ces conditions, étonné que ce
sommet social, sûrement mal préparé par le rapport dont je
suis l'auteur, ait donné peu de résultats et qu'aujourd'hui les
partenaires sociaux signataires de cet accord assistent à sa mise
à l'écart sans aucune protestation.
Deuxième conséquence, en essayant d'être mesuré dans
mes propos et en renouvelant ce que j'ai dit liminairement : je
considère à titre personnel, et je n'engage que moi, que la
décision que je commente révèle un choix de méthode
discutable. La méthode est discutable parce que son point d'application
me paraît hypothétique et que la procédure qui l'entoure me
paraît inadaptée.
Le point d'application me paraît hypothétique. Ici il faudrait
longuement parler des différentes facettes de la question de la
durée du travail.
Résumons-les : un problème considérable est celui de la
durée de vie au travail qui renvoie à des questions
fondamentales, sociologiques, d'entrée dans le monde du travail et de
sortie du travail, c'est-à-dire celle de l'âge de la retraite.
Deuxième type de question relative à la durée du travail :
la batterie des durées maximales du travail, incontestables, qu'elles
soient quotidiennes, hebdomadaires. Nous avons là des
considérations de sécurité et il est normal que sur ce
sujet il n'y ait pas de changements.
Troisième question : celle de la durée du travail effectif. Cela,
c'est un vrai sujet, mais qui ne relève pas de l'initiative du
législateur. Si bien que le point d'application est : quel effet
peut-on attendre d'une annonce aujourd'hui de ce que dans deux ans la
durée légale hebdomadaire du travail sera abaissée ? Ce
qui, pour être très précis, porte et ne porte que sur le
coût du travail. Cela revient à faire commencer les heures
supplémentaires et le repos compensateur à partir de la
36
ème
heure.
Est-ce qu'en prenant ce point d'application on tient un bon levier ? J'en doute
et je ne suis pas le seul. Car nous avons un précédent qui est
celui de l'abaissement de la même durée légale de 40
à 39 heures. A ma connaissance, aujourd'hui en 1998, les
spécialistes, au nombre desquels je ne suis pas, mais que je m'efforce
de lire, se trouvent tout à fait incapables de chiffrer les effets
emplois d'une telle mesure. Et les estimations se situent dans une fourchette
entre 70.000 et 300.000 emplois, ce qui est une fourchette considérable.
Je me pose la question de savoir si ce bras de levier était le bon.
Autre question : est-ce que la procédure annoncée se trouve
adaptée à la matière ?
Sans vouloir distribuer des bons points, je crois pouvoir me hasarder à
dire que le sommet qui a conduit à l'annonce de cette décision a
eu des résultats mitigés. Ayant, à ma connaissance, pour
objet de marquer un consensus sur une question tout à fait
considérable, j'ai le sentiment que ce premier résultat n'a pas
été atteint. Et je trouve qu'autour de cette décision
règne une atmosphère électrique qui me paraît peu
propice à une avancée du sujet.
Deuxièmement, et je veux mesurer mes propos et je prierai qu'on y mette
des guillemets : est-ce un comportement tout à fait adapté que
d'utiliser une " menace législative " ?
Troisième question de procédure : fait-on progresser le
débat en y ajoutant des subventions ?
S'il est établi que ce qu'on fait est dans la ligne de l'accroissement
de la productivité des entreprises, que va faire l'argent public
là ?
Ces trois éléments, et chacun d'entre vous notera certaines
références à des expériences passées, me
paraissent peu propices à une négociation dans l'intervalle de
temps qui séparera le vote de la loi de la date butoir qu'elle fixera.
Je ne crois pas, je le dis avec modestie, qu'on négocie sur ordre.
Troisième conséquence : je crains que ce faisant, l'attention
générale soit détournée de deux questions qui me
paraissent basiques. La première, que je me pose depuis longtemps :
comment se fait-il que dans notre pays la négociation ne soit pas le
mode normal de résolution des problèmes sociaux à tous
niveaux, le législateur se bornant à intervenir dans le cadre qui
lui est imparti par l'article 34 et, qui est limité aux principes
fondamentaux du droit du travail et du droit syndical ?
Qui, de bonne foi, peut aujourd'hui prétendre maîtriser la partie
législative du code du travail et dire que là ne figurent que des
principes fondamentaux du droit du travail ?
Pour avoir jeté et pour jeter quotidiennement quelques coups d'oeil
à ce qui se passe dans des pays voisins tels que l'Autriche, le
Danemark, les Pays-Bas, j'y constate, chacun avec sa spécificité,
des mécanismes sociaux normaux, non exclusifs de bagarres,
d'éclats, de lutte, mais ces pays me semblent avoir, mieux que le
nôtre, une pratique de la vraie négociation, c'est-à-dire
d'un débat long, difficile, appliqué à une matière
qui est en train de changer complètement. Et c'est ma deuxième
question.
Accroché au concept de durée légale hebdomadaire du
travail, je me pose la question de savoir si nos débats sociaux n'ont
pas du retard par rapport à l'évolution des choses.
Je cite un auteur qui fait observer qu'en 1990 la population active consacre
14 % de son temps éveillé au travail. Les bases de calcul
sont : un individu entrant autour de 20 ans sur le marché du travail,
travaillant en moyenne 1.500 heures par an sans discontinuer pendant
40 années, (cela représente 60.000 heures), et disposant
d'une espérance de vie de 75 ans, soit 438.000 heures de vie
éveillée. Pour être honnête, l'auteur lui-même
reconnaît que le chiffre doit être manié avec beaucoup de
précaution.
Ce que je veux dire et ce que j'expérimente dans l'entreprise où
je travaille, c'est qu'il fut un temps où le travail était le
principe de la vie en société et la quantité de travail
était la mesure de tout. C'était le temps béni où
il n'y avait pas de chômeurs, où tout le monde travaillait sur la
base d'un contrat à durée indéterminée et une
durée supérieure à 40 heures par semaine.
Je crois, je lis, que notre problème de l'heure est que nous ne sommes
plus dans cette situation alors que nos représentations sociales
continuent à être calées sur une situation
dépassée. La quantité de travail n'est plus la mesure des
choses. Je crois qu'il faut prendre en considération que nous ne
connaîtrons plus le plein emploi d'hier, et d'ailleurs cela me
préoccupe de voir ceux qui préconisent une croissance
économique : car qui dit croissance économique dit gain de
productivité, qui dit gain de productivité dit, sauf si un
élément m'échappe, diminution du nombre des heures
travaillées.
Dès lors, je crois que les événements qui font
l'actualité aujourd'hui présentent un caractère tout
à fait historique. Les manifestations des demandeurs d'emplois me
paraissent mériter une analyse très profonde car vous avez
noté que, au contraire de leurs revendications passées, celles-ci
deviennent publiques et ne sont plus exclusivement calées sur l'ambition
d'avoir un emploi. Et progressivement la question se déplace sur la
notion de revenu minimum.
Et là se trouve, à mon avis, un problème très
important et dont je crains qu'il soit différé : comment, dans un
pays qui connaît la croissance et qui depuis 1973 l'a connue année
après année, sauf une, donc dans un pays dont le PIB croît,
tandis que le nombre d'heures à travailler décroît, comment
répartir la richesse ? C'est, me semble-t-il, la question que nous
posent les mouvements d'aujourd'hui.
Je me demande donc, pour me résumer sur ce deuxième point, sur
ces deux questions : comment progresser dans la voie d'une vraie
négociation dans notre pays ? Comment rendre cohérent un PIB
en croissance et un nombre d'heures décroissant en raison d'une
activité économique toujours plus productive ? Comment combiner
ces deux éléments ?
Je crains donc que ces débats soient, dans notre pays,
différés.
M. Alain GOURNAC, président - Merci, Monsieur le président. Nous
vous avons écouté avec beaucoup d'attention et maintenant je vais
demander à notre rapporteur de poser des questions.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Merci, Monsieur le président. A mon tour,
je voudrais remercier M. Cabanes pour son témoignage et la force de
ses convictions et de ses interrogations. Je ne me méprends pas si,
d'une certaine façon, Monsieur le président, vous vous
étonnez et vous déplorez une sorte d'ingérence du
législateur dans la négociation, avec ces moments d'impatience.
Vous faites référence aux accords d'octobre 1995 et c'est une
espèce de fébrilité politique. Finalement, on voit bien
que l'alternance la révèle comme une constante et la sagesse
serait de faire confiance aux partenaires sociaux et de tenir à
l'écart ce qui met en péril les progressions quand elles sont
constatées, comme vous avez pu le faire au 31 octobre 1995. C'est bien
cela ?
M. Pierre CABANES - Monsieur le ministre, Monsieur le président, un
citoyen ne doit pas utiliser la notion d'ingérence appliquée au
législateur. Ceci étant, ma conviction profonde, en effet, est
que, et là je fais aussi parler une partie de mon expérience
puisque j'ai été fonctionnaire, le service public sait mal
inciter à la négociation collective. Et je crois effectivement
que dans notre pratique, faute de savoir comment aider à la
négociation les partenaires sociaux, exercice très
compliqué sur lequel je pourrai m'étendre dans une seconde, nous
ne savons pas le faire. Dans ces conditions, les problèmes augmentent,
s'enflent, à un point que je comprends très bien qu'un
Gouvernement sollicité d'agir sollicite lui-même le Parlement pour
essayer de trouver une voie législative.
Je crois que beaucoup est à faire. Entre-temps, j'ai vécu une
petite parenthèse d'examen d'un cas très particulier, mais
très révélateur, qui est celui des intermittents du
spectacle où le phénomène que je décris atteint
alors son paroxysme. Je crois que nous avons beaucoup de progrès
à faire dans l'investissement des services publics, dans l'aide à
la négociation collective dans ce pays.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est aussi la réforme de la vie politique
et du fonctionnement des services relevant de la puissance publique qui est en
cause. C'est l'art de gouverner en quelque sorte.
Cela étant dit, Monsieur le président, vous êtes dans un
groupe qui participe à l'économie mondiale, à la
globalisation. Dans les stratégies de votre groupe, que vous inspirent
les positionnements des autorités locales dans vos choix de
développement ? C'est ma première question.
La deuxième concerne la durée du temps de travail. S'il doit y
avoir une réduction autoritaire du temps de travail, peut-on imaginer
qu'elle s'inscrive dans une logique d'annualisation et non pas de durée
hebdomadaire ?
De votre point de vue, y aurait-il alors nécessité d'en inscrire
le principe et sans doute pas les modalités ? Sinon, l'article 34 de la
Constitution, une fois encore, serait violé.
Enfin, je voudrais vous interroger sur le positionnement des cadres. Il se dit
que les inspections du travail font preuve d'un zèle tout particulier
auprès des grands groupes, en essayant de faire entrer les cadres dans
la durée hebdomadaire du temps de travail. Comment cela est-il
vécu dans un groupe comme le vôtre, et y a-t-il une
présomption de corrélation entre ce zèle des inspections
du travail et le levier que pourra constituer demain la nouvelle loi pour
réduire le temps de travail ? Et enfin, peut-être votre propre
réflexion sur la compatibilité entre des fonctions de cadres et
le temps de travail.
M. Pierre CABANES - Je commencerai par le dernier aspect de votre question car,
Monsieur le ministre, je considère que vos trois questions sont trois
facettes d'une même question, révélant bien d'ailleurs la
difficulté du sujet.
Sur le positionnement des cadres, le groupe dans lequel je travaille a une
filiale dont le PDG s'est vu dresser 1.200 procès-verbaux pour violation
de la durée du travail des cadres.
Ceci soulève beaucoup de problèmes. Le groupe dans lequel je
travaille est en effet de plus en plus international, non pas seulement par son
chiffre d'affaires, mais par ses implantations industrielles. On peut, à
peu de choses près, bien comparer des unités
étrangères et des unités françaises et regarder
comment les choses s'y passent, et constater que dans le même temps
où à 19 heures, à 20 heures, les bureaux français
étaient encore allumés, ceux d'une filiale comparable en Hollande
étaient éteints et fermés à partir de
17 heures.
Les comparaisons de productivité sont extrêmement difficiles
à faire parce que la direction du groupe peut répartir entre ces
deux filiales telle commande, tel marché ou telle partie de
marché. Donc, on n'est pas dans une situation pure.
Il n'empêche qu'on s'en approche assez et qu'il y a d'un
côté, dans le groupe dans lequel je travaille, des cadres qui
travaillent et ne reçoivent aucune rémunération au titre
des heures supplémentaires, bien au-delà de 39 heures, sans
le revendiquer, et de l'autre des cadres qui travaillent moins de 39 heures et
le résultat final n'est pas économiquement radicalement
différent. C'est dire la difficulté de cette question. C'est sur
des considérations de ce type que j'appuyais le troisième point
traité plus haut. Nous avons à affronter des
considérations sociologiques, et la sociologie française et la
sociologie hollandaise aboutissent effectivement à ces
résultats-là.
Sauf erreur, le pourcentage du nombre de personnes travaillant à temps
partiel doit être à peu près le double en Hollande qu'en
France, car la société de ce pays et les partenaires sociaux ont
considéré qu'il y avait là un mécanisme
adapté à l'évolution des choses, bien avant la date du
31 octobre 95.
Deuxième observation : Monsieur le ministre, pour rester de bonne foi,
je ne sais pas complètement répondre à la question de
savoir comment régler ce problème. Car notre conception du cadre
n'implique pas une quantité de travail limitée. Il y a dans notre
pratique cette idée que plus on s'élève dans la
hiérarchie et plus on doit être présent sur le lieu de
travail.
Le journal Le Monde contenait hier un article tout à fait
intéressant sur ce sujet. Ces réflexions nous conduisent à
revoir assez fondamentalement les questions de rémunération. Dans
l'immédiat, ayant fait l'objet de procès-verbaux, nous avons
rétabli l'horloge pointeuse. Je ne suis pas heureux de ce
phénomène. C'est ce que je considère comme devant
être fait par le chef d'entreprise, mais vous voyez à quelle
extrémité nous sommes arrivés.
Comment rémunérer ? Allons-nous chronométrer les heures
supplémentaires de notre commerçant qui est à Bangkok ?
Nous avons en permanence 20 % de la population salariée qui voyage
dans les différents pays du monde. Allons-nous devoir leur mettre des
chronomètres en main pour savoir combien d'heures ils travaillent
réellement ?
Je suis incapable de combiner la norme légale et la pratique des choses.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - N'y a-t-il pas dans un groupe international,
à partir d'un certain stade, la tentation d'aller créer des
entités juridiques ailleurs que sur le territoire national pour y
appliquer d'autres dispositions légales ?
M. Pierre CABANES - Monsieur le ministre, notre groupe a parfois
légèrement dans le passé, et s'appuyant sur des
circonstances, tenté des délocalisations dans ce but. Notre
groupe en est revenu car la démonstration est aujourd'hui faite, du
moins chez nous, que ce pays a une main-d'oeuvre d'une qualité tout
à fait extraordinaire et que s'il est possible de délocaliser des
travaux répétitifs, cela n'est pas opportun pour nos types de
métiers qui font de plus en plus appel à l'initiative, à
l'intelligence, à la liberté. Ce pays a des richesses tout
à fait extraordinaires. Cela signifie que l'évolution de ce
groupe étant à une intellectualisation toujours plus grande de sa
production, nous ne délocaliserons plus pour des motifs sommaires du
type coût facial de la main-d'oeuvre. Nous ne sommes pas
ébranlés par la circonstance que la main-d'oeuvre, en Inde ou
ailleurs, est facialement très inférieure. Car quand on regarde
le produit fini, notre pays garde des atouts tout à fait
extraordinaires, du moins pour le groupe dans lequel je travaille.
Donc, là je n'ai pas de doute. Par contre, compte tenu du métier
du groupe auquel j'appartiens, nous sommes parfois contraints d'acheter
in
situ
des entreprises car assez légitimement, s'agissant
d'électronique professionnelle et d'électronique de
défense, les Etats souhaitent avoir sous leur contrôle des
entreprises complètes et non pas seulement des entreprises de pure
fabrication. Quand nous avons acheté à Philips son secteur
armement, une des conditions posées par le Gouvernement hollandais
était de ne pas toucher aux productions locales.
J'en reviens à la question posée par vous, Monsieur le ministre.
Il convient que nous revoyions assez fondamentalement nos pratiques de travail
et nos modes de rémunération. C'est sur ce point que le
dispositif actuel de convention collective, d'augmentation
générale, que nous avons beaucoup aménagé et
supprimé pour les cadres, mérite d'être revu dans un
dispositif de différenciation des sources de revenu des
intéressés, qui ne repose plus sur l'exclusive quantité de
travail prestée.
C'est dire qu'il faut solliciter tous les dispositifs d'intéressement,
de participation, de stock options que vous avez très justement
limitées, Monsieur le ministre, et je ne m'en plains pas. Et
peut-être plus fondamentalement encore voir dans quelle mesure, et
c'était le sens de l'article du Monde d'hier, on peut lier une partie de
la rémunération des personnels, cadres ou non-cadres, à la
vraie valeur ajoutée de l'entreprise, c'est-à-dire au rendement
du capital investi. C'est techniquement une question tout à fait
fondamentale.
La façon dont je vous livre ces difficultés est
révélatrice de l'extraordinaire complexité du sujet qui
nous réunit et vient en soutien de la thèse suivant laquelle tout
ce qui ne résultera pas d'une négociation locale va à
l'échec. Ceci étant, et ce ne sera pas pour vous une
révélation, une vraie négociation c'est un exercice
écrasant, lourd, c'est une véritable ascèse quand on
l'entreprend de bonne foi.
Dernier aspect de ma réponse : oui, sans hésiter, oui je crois
que l'annualisation du temps de travail me paraît un minimum
adapté à la nature des choses, qui vient de ce qu'aujourd'hui les
entreprises, quelle que soit leur taille et compte tenu de l'extraordinaire
fluidité de l'information, doivent être capables de
répondre à des stimuli quotidiens et s'adapter quotidiennement
à un marché mondial toujours plus en mouvement.
M. Alain GOURNAC, président - Merci, Monsieur le président.
Monsieur le rapporteur, vous n'avez pas d'autres questions. Je vais passer la
parole à nos collègues.
M. Marc MASSION - M. Cabanes, comme d'autres intervenants dans notre
commission, a parlé beaucoup de dialogue social, disant que le dialogue
social devrait suffire et que l'intervention législative devrait
être inutile pour régler un certain nombre de problèmes.
Or, dans ce pays, toutes les grandes avancées sociales ont
été obtenues par la rue, suivies de décisions
législatives, ou directement par des décisions
législatives. Même au temps où les syndicats étaient
beaucoup plus puissants que maintenant, il y a toujours eu déficit du
dialogue social.
Je voudrais demander à M. Cabanes comment il situe les
responsabilités de ce déficit.
Je reste sur la question du dialogue social, et moi j'aime bien
concrétiser ce que l'on dit.
Le dialogue social, si je prends l'exemple d'une grande surface qui est
implantée dans ma commune, où il y a plusieurs centaines
d'emplois, en particulier de femmes à temps partiel, où est le
dialogue social lorsqu'il n'est pas interdit de monter des syndicats, mais il
est fortement peu recommandé de le faire ? Où ces gens sont
corvéables à merci ? C'est du temps partiel imposé, qui
varie d'une semaine à l'autre, donc imposé et souvent à
des femmes seules en difficulté. Où est le dialogue social ? Pour
ce genre de situation, moi je souhaite fortement l'intervention
législative.
Vous avez beaucoup vanté l'accord interprofessionnel d'octobre 1995 et
vous avez dit que ce qui allait se passer maintenant allait tuer cet
accord-là. Comment expliquez-vous que les signataires de cet accord
semblent d'accord pour les 35 heures et soient d'accord pour tuer ce qu'ils ont
signé en 1995 ? A mon avis, cela prouve que c'était nettement
insuffisant.
M. André JOURDAIN - Je voudrais remercier M. Cabanes pour la vigueur et
la clarté de ses propos. J'ai beaucoup apprécié son
analyse, mais je voudrais lui demander s'il ne pourrait pas aller un peu plus
loin dans la prospective. Est-ce que votre organisme a fait des études
sur l'évolution de la durée de temps de travail vers les
années 2000-2005 ?
On constate dans le projet de loi qu'il va y avoir un durcissement à
l'égard de la pratique du temps partiel. Et d'un autre
côté, on réduit de 39 à 35 heures. Cela ne vous
paraît-il pas contradictoire ?
M. Pierre CABANES - Je partage l'analyse qui soutient vos questions, Monsieur
le sénateur. Je veux dire par là qu'il serait indécent de
ma part de prétendre qu'il n'y a pas des abus dans la pratique du droit
du travail dans notre pays et, à ce titre, les dispositions du projet de
loi tendant à policer, au bon sens du terme, le temps partiel, je ne
peux qu'y applaudir cent fois, car je n'aurais pas le front de prétendre
effectivement que le droit du travail règne à son plein dans la
population féminine de tous les supermarchés de ce pays.
Oui, Monsieur le sénateur, beaucoup d'avancées sociales de ce
pays se sont d'abord concrétisées par la rue, et loin de moi
l'idée de l'oublier. Ma question est simplement que je comprends cela
tant que les choses étaient simples. Aujourd'hui, nous sommes devant une
complexification extraordinaire des choses et une manifestation dans la rue ne
peut trouver un point d'application adapté à une
réalité toujours plus complexe. Heureusement, le droit de
manifestation existe dans notre pays et je ne prétends pas proscrire que
demain, comme hier, quand les salariés sont insatisfaits, ils aient
recours à ce moyen de pression. Ce que je déplore à titre
personnel, c'est que la négociation n'est pas sociologiquement un des
éléments de notre comportement social.
En ce qui concerne votre question malicieuse, j'ai déclaré que
l'accord du 31 octobre 1995 était mort, mais vous faites
observer que vous n'entendez pas de cris de la part des signataires de
l'époque. En cela, vous avez effectivement marqué un point. Il ne
m'appartient pas de me prononcer sur le point de savoir pourquoi ils ne crient
pas. Peut-être considèrent-ils tout simplement que cet accord est
encore vivant. On verra bien la suite des choses.
Le CSERC a mis cette question de la durée du travail à son ordre
du jour, est en train de l'étudier et publiera un rapport au mois de
mars.
Le CSERC est une toute petite structure et n'est pas une structure
d'étude. Nous faisons notre miel des différentes études de
l'INSEE, de la direction de la prévision, de la DARES et d'autres,
quitte à les impulser, et à ce jour nous n'avons sollicité
des différents services d'étude de ce pays aucune étude
prospective, tant il nous semble que le mouvement dont je parlais tout à
l'heure, qui est un mouvement d'augmentation de la productivité
générant une baisse du nombre d'heures de travail presté,
nous paraît irréversible.
S'agissant enfin de la dernière question, dès lors que la
durée légale du travail baisse, je considère que ceci
aura, par effet de choc, à diminuer la durée maximale du temps
partiel. Sur ce sujet, M. Balmary, ancien délégué
à l'Emploi, a publié dans Le Monde du mois d'octobre un article
tout à fait important, court mais impeccable. C'est un homme qui a une
très longue expérience de ces questions. Un des effets
bénéfiques du vote du projet de loi sera peut-être, en
rapprochant le temps partiel du temps normal de travail, de faire accepter
mieux le travail à temps partiel dans notre pays si le
législateur, qui là est tout à fait dans son rôle,
en évite les excès.
M. Alain GOURNAC, président - Monsieur le président, je vous
remercie de la vigueur de vos propos, de cette présentation.
B. AUDITION DE M. BERNARD BRUNHES, PRÉSIDENT DE BERNARD BRUNHES CONSULTANT
M. Alain GOURNAC, président - Nous recevons M. Brunhes,
Président de Bernard Brunhes Consultant.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Bernard
Brunhes
.
Attention, Monsieur le président, il ne s'agit pas de revenir sur les
termes de la loi, mais d'avoir votre position sur les conséquences de
cette loi.
M. Bernard BRUNHES - Je voudrais d'abord dire des choses qui sont
peut-être, pour vous, banales maintenant, mais qui doivent être
dites clairement. Si on se réfère au projet de loi tel qu'il
existe, plusieurs choses sont de nature un peu différente et sur
lesquelles on peut avoir des opinions différentes. Il y a d'une part la
proposition d'une réduction de la durée hebdomadaire
légale du travail à 35 heures. J'ai été un peu
surpris d'ailleurs de voir que votre Commission d'enquête parle de la
réduction de la durée hebdomadaire du travail alors que la loi
porte sur la durée hebdomadaire légale. La durée
réelle effective va de 24 heures pour certains agents des services
publics de transports jusqu'à 45 heures ou 48 heures pour d'autres.
Donc, première question : quel serait l'effet d'une réduction de
la durée légale du travail à 35 heures ?
Deuxième élément qui est dans ce projet de loi, c'est une
partie d'incitation, c'est-à-dire le remplacement de la loi " de
Robien " par un nouveau texte, qui en diffère d'ailleurs assez peu.
Troisièmement, l'ouverture de négociations et de discussions avec
les partenaires sociaux, qui pourraient aboutir à la préparation
d'un nouveau texte fin 1999. C'est bien de cela dont nous parlons ?
M. Alain GOURNAC, président - Tout à fait.
M. Bernard BRUNHES - Tout d'abord il y a dans notre économie deux choses
qui sont aujourd'hui nécessaires, c'est d'une part qu'il y ait une
réduction de la durée moyenne du travail et d'autre part qu'il y
ait une flexibilisation du temps de travail.
Réduction de la durée moyenne du travail : je rappelle que la
durée moyenne du travail a baissé en France depuis 1955 où
elle était à 48 heures jusqu'en 1967, elle est descendue jusqu'en
1983 et, depuis, elle est restée au même niveau de 39 heures. Il
n'y a plus de baisse du temps de travail en France depuis maintenant presque 20
ans. A un moment où nous avons à la fois de fortes et
nécessaires croissances de productivité, des taux de croissance
qui, quoi qu'on fasse, ne peuvent pas être les taux de croissance
chinois, et seront forcément modestes, (nous n'allons plus faire les
6 % des belles années) et enfin une croissance forte de la
population en âge de travailler. (elle augmente en France de 150.000
personnes par an, alors qu'elle baisse en Allemagne, qu'elle est stable en
Angleterre). Nous devons faire face à une contrainte : il y a de moins
en moins d'heures de travail par personne d'âge actif : comment peut-on
traiter cela ? soit multiplier les préretraites, retarder
l'entrée des jeunes sur le marché du travail et laisser
croître le chômage, soit réduire le temps de travail pour
que, en moyenne, chacun travaille moins.
Il me semble évident que, comme c'est d'ailleurs l'évolution
séculaire, (il y a un siècle nous travaillions deux fois plus que
maintenant par an), cette baisse de la durée du travail doit avoir lieu.
Sinon il y aura de plus en plus de chômeurs, de
préretraités ou de jeunes qui ne peuvent pas entrer sur le
marché du travail.
La vraie question, à mon sens, n'est pas de savoir s'il faut baisser la
durée du travail, mais de savoir comment faire. On cite souvent
l'exemple hollandais dans lequel on le fait par une multiplication des temps
partiels.
Comment faire pour que la durée du travail baisse ? C'est cela la vraie
question. Je crois que tous les économistes sont d'accord : il faut
qu'elle baisse. Ils sont en désaccord sur les moyens.
Deuxième élément : nous avons besoin de plus de
flexibilité. Nous avons besoin d'avoir une annualisation du temps de
travail dans beaucoup de cas d'un assouplissement dans tous les cas. Il faut
que cela soit organisé. Je ne vois pas comment les secteurs
économiques nouveaux peuvent vivre avec un système
complètement ficelé de tant d'heures par semaine avec des
horaires fixes.
Ces deux éléments -réduction et assouplissement- me
paraissent devoir être conduits de concert.
Pour dire les choses de façon simpliste : les patrons veulent de la
flexibilité, les salariés veulent de la réduction du temps
de travail. Ils ne savent pas très bien négocier ensemble.
Comment faire pour qu'ils négocient quand même ?
Le point auquel j'arrive, c'est qu'il faut qu'il se passe quelque chose puisque
la baisse de la durée du travail ne se fait plus et la
flexibilité se fait n'importe comment. C'est la base qui, pour moi, est
une quasi-évidence.
Ensuite, comment faut-il faire ?
Nous sommes un pays dans lequel le dialogue social se passe mal. C'est mon
métier d'organiser le dialogue social. J'ai été
amené, au cours des dernières semaines, à expliquer
à des investisseurs américains comment cela marchait en France et
j'ai beaucoup souffert pour leur décrire comment fonctionnaient nos
syndicats et comment s'appliquait le code du travail.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Comment réagissent-ils ?
M. Bernard BRUNHES - Ils ne comprennent pas mais ensuite ils ont quand
même envie d'investir dans le pays. Ils investissent quand même. A
propos de Toyota, la DATAR a demandé à mon cabinet d'expliquer
aux dirigeants de Toyota, juste après le 10 octobre, qu'ils pouvaient
quand même s'installer à Valenciennes et qu'il n'y avait pas trop
de risques. Contrairement à ce que la presse avait dit à la suite
de la virulente sortie du CNPF, à savoir que " tout le monde va
passer sous la toise des 35 heures, cela va être une catastrophe ",
en fait il a suffi d'expliquer la réalité aux dirigeants de
Toyota pour les rassurer.
Le dialogue social ne fonctionne pas et que, contrairement à ce qui
s'est passé dans la plupart des pays voisins au cours des
dernières années, le patronat, en tant que structure syndicale,
n'est pas actif dans ces négociations et discussions sur les
thèmes du temps de travail. Heureusement, en revanche, les entreprises,
elles, bougent.
Une partie des syndicats français de salariés sont
bloqués. Par rapport à ce qui s'est passé en Allemagne,
dans les pays du nord, en Hollande et même en Italie depuis quelques
années, on constate qu'une partie des organisations syndicales refusent
de discuter flexibilité et la plus grande partie du patronat refuse de
parler de réduction de la durée du temps de travail.
L'intervention des pouvoirs publics, du Parlement, du Gouvernement, pour
relancer cette réduction du temps de travail me paraît, de ce
fait, nécessaire.
Faut-il le faire comme le Gouvernement le propose et selon son calendrier
actuel ? La bonne solution était-elle de dire le 10 octobre que le
Gouvernement va proposer une réduction du temps de travail
légal ?
C'est un élément de discussion que je suis prêt à
aborder avec vous si vous le souhaitez. Mais il est évident qu'il faut
faciliter le dialogue social. Beaucoup de chefs d'entreprise me disent que le
Gouvernement a fait le contraire en imposant la date du 1er janvier 2000 pour
la réduction de la durée légale du travail : il aurait au
contraire bloqué la négociation. Je ne sais pas qui a
bloqué. Est-ce M. Jospin ? Est-ce M. Gandois ou
M. Seillière ? Je ne sais pas, mais en tout cas le dialogue est
bloqué et il faut que cela se débloque. Mais il faut en effet que
nous ayons simultanément une réduction de la durée du
travail et un aménagement, une flexibilisation du temps de travail.
Voilà ce que je voulais dire en introduction.
M. Alain GOURNAC, président - Merci. Nous étions d'ailleurs tout
à fait intéressés par votre vue sur la négociation
qui a eu lieu avec Toyota et la réaction de Toyota. Toyota avait
décidé d'effectuer son investissement avant que le Gouvernement
décide de réduire le temps de travail à 35 heures et
Toyota a quand même été affolé par l'approche
médiatique des choses.
M. Bernard BRUNHES - Il y a encore deux jours j'ai entendu un Parlementaire
important, responsable d'un grand parti politique, dans une émission
très populaire de radio, parler de la réduction autoritaire et
générale du temps de travail. C'est le fait de dire cela qui
inquiète les étrangers. Il ne s'agit pas d'une réduction
autoritaire et générale du temps de travail, mais d'une
modification de la durée légale.
M. Alain GOURNAC, président - Merci. Je vais passer la parole à
notre rapporteur.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Je voudrais remercier M. Brunhes pour son
propos et les indications qu'il nous a apportées.
Il est vrai que ce n'est pas une réduction autoritaire du temps de
travail, mais on ne peut pas dire à ceux qui s'interrogent sur une
implantation en France ou qui ont un projet que ce qui s'accomplit là
est indifférent sur les coûts du travail et sur les repos
compensateurs. Vous avez évoqué Toyota, mais ce qui nous
préoccupe ici ce ne sont pas seulement les industries dont le coût
de main-d'oeuvre doit représenter, chez Toyota, à peu près
10 %. Alors, quand on est à 10 % du chiffre d'affaires, on ne
se soucie pas beaucoup des contraintes qui pèsent sur le temps de
travail, pour peu que l'Etat qui accueille soit suffisamment
généreux. On arrive à trouver des accords, la
mondialisation pèse de tout son poids et la concurrence est à
l'heure.
Mais quand on a en face de soi des industries, je pense à des secteurs
traditionnels comme la confection, le chômage dans ces secteurs n'est pas
négligeable. Il est vrai qu'il vaudrait mieux avoir une France avec des
ingénieurs et de la haute technologie, mais la cohésion sociale
se fait aussi avec des emplois extrêmement modestes. Et quand vous nous
dites que la baisse du temps de travail fait moins de chômage, ne faut-il
pas aussi avoir une appréciation sur l'ensemble du monde ? Il y a
beaucoup de volatilité aujourd'hui.
Puisque vous êtes conseiller des entreprises, en matière de cadres
par exemple, que constatez-vous ? On dit beaucoup que les cadres trouvent des
arrangements maintenant pour se faire rémunérer en partie
à l'étranger. Est-ce une fiction ou est-ce que cela devient une
réalité ? Ceci tient compte des avantages comparés des
législations locales.
Vous nous avez dit que l'annualisation était un élément
très important de la négociation. Pensez-vous qu'il faudrait
prévoir les modalités de l'annualisation dans la loi, si elle
doit être votée, comme l'une des contreparties de la
réduction de la durée légale du temps de travail ?
Je voudrais vous demander si, avec l'expérience que vous avez des
partenaires sociaux, vous les sentez prêts aujourd'hui à entrer
dans des négociations qui auront des conséquences sur la
réduction légale du temps de travail, et seraient-ils prêts
à geler les salaires et dans certains cas à diminuer le niveau
des salaires ? Les économistes que nous avons consultés nous ont
mis en garde contre l'échec qu'on risquerait de subir si la
réduction de la durée légale du temps de travail
n'était pas assortie d'un gel ou d'une baisse des
rémunérations.
Dans cette hypothèse-là, il est peu probable qu'il y ait
création d'emplois.
Et puis je voudrais vous demander si vous avez le sentiment que, au-delà
des propos institutionnels du patronat et des syndicats de salariés, il
y a sur le terrain des gens qui sont prêts à négocier et
à donner corps à ces différentes orientations.
M. Bernard BRUNHES - Vous avez parlé de l'annualisation. Il est clair
que l'annualisation et les autres formes de flexibilisation sont une
nécessité à terme. Dans les nouveaux métiers qui se
créent ainsi que dans toutes les industries qui sont en pleine
concurrence, on a absolument besoin de flexibiliser. C'est une
nécessité absolue et il est dommage que tout le monde ne le
comprenne pas.
En conséquence, il me semble personnellement qu'il faudra en tout cas
que dans la loi finale, puisqu'il y a deux lois successives, le mot
annualisation soit prononcé et qu'on dise au minimum ce que le Premier
ministre a dit le 10 octobre, c'est-à-dire qu'il est nécessaire
de moduler et de flexibiliser.
Je reconnais que là-dessus, ce qui a été dit
n'était pas très clair encore.
Nous sommes devant une question complexe qui est une question de calendrier. Je
crois qu'il y a une contradiction interne dans les propositions du
Gouvernement, entre deux volontés différentes : l'une est que les
entreprises jouent le jeu et que le dialogue social commence tout de suite, et
l'autre qui est qu'on établisse la loi de façon définitive
une fois qu'on aura négocié. Aujourd'hui, toutes les entreprises
avec lesquelles mon cabinet travaille, toutes nous disent : comment voulez-vous
qu'on négocie quelque chose puisqu'on ne connaît pas les
règles du jeu ? Quelles seront-elles dans deux ans, au moins sur
l'annualisation, puis sur le jeu des heures supplémentaires, et le
niveau du SMIC ?
Les chefs d'entreprise nous disent : tant que nous ne saurons pas quelle sera
la politique du SMIC, la politique de l'annualisation, et les textes en
matière d'heures supplémentaires, nous ne savons pas comment
négocier. Ils le disent et ils n'ont pas tout à fait tort.
D'autre part, la position qui a été prise par le Gouvernement le
10 octobre consistait à dire : ce genre de chose n'est pas
décidé par l'Etat, il faut que cela remonte de la
négociation, et on ne prendra la décision qu'à la fin de
1999. Il y a là en effet une contradiction.
C'est le principal problème que nous avons. En ce qui me concerne,
j'aurais préféré qu'on dise que la durée du travail
passera à 35 heures mais que plus tard, en fixant une autre date,
j'aurais dit 2001 ou 2002, et que l'on prendrait le temps, entre la
remontée des négociations et la décision, pour permettre
au Gouvernement et au Parlement de sortir une bonne loi dans le courant de
l'année 1999 et en laissant encore le temps derrière pour
négocier concrètement.
Voilà ce que je pense personnellement. Je ne sais pas comment on va se
sortir de cette contradiction qui est très importante.
Les partenaires disent : nous ne négocierons que quand nous
connaîtrons les règles du jeu, et l'Etat répond : je ne
fixerai les règles du jeu que quand vous aurez négocié car
je ne veux pas décider tout seul.
Ceci me paraît l'élément le plus difficile.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Est-ce que l'une des difficultés n'est pas
liée au fait qu'il y a de la part du législateur et de
l'exécutif une certaine fébrilité ? On n'arrête pas
de modifier les règles et ceci met en difficulté les acteurs
sociaux dans leurs négociations. Il n'y a pas si longtemps, dans le
secteur des assurances, les conventions collectives étaient
renégociées et chaque entreprise trouvait des dispositions
réduisant le temps de travail, annualisant, des démarches assez
originales, et puis vient un texte législatif qui remet
complètement en cause le fruit des négociations. Alors comment
peut-on en France faire prévaloir un autre cadre pour que les
partenaires sociaux et le dialogue existent véritablement ?
C'est comme le chef d'entreprise qui court-circuite régulièrement
ses cadres. Les relations qu'ils peuvent avoir avec l'encadrement se passent
toujours très mal si les salariés des ateliers ont le sentiment
qu'ils pourront aller voir le PDG et régler avec lui telle disposition.
Comment peut-on faire évoluer cela ?
M. Bernard BRUNHES - Vous allez me faire entrer dans un domaine qui n'est pas
le mien, mais le vôtre en tant qu'ancien ministre. J'ai vu passer des
Gouvernements de droite et de gauche disant qu'il fallait aller vite parce
qu'ils pensaient que dans deux ans ils ne seraient plus là. Et à
chaque fois je me dis qu'il faut prendre son temps. Au moment où le
Gouvernement a fait cette conférence, je pense qu'il aurait dû
commencer par faire travailler les partenaires et les acteurs localement. De
même que j'avais pensé au temps du plan Juppé que, avant de
faire la proposition de réforme de la sécurité sociale que
je trouvais bonne sur le fond, il aurait dû faire réfléchir
l'ensemble de la nation à travers ses corps intermédiaires. Deux
Gouvernements qui finalement veulent aller trop vite.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - L'alternance démontre que dans leur
diversité les Gouvernements ont les mêmes réactions
fébriles. Ce qui est en cause, c'est l'art de gouverner et la relation
entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux. Je ne crois pas que vous
vous éleviez au-dessus de votre condition si, en tant que praticien des
négociations, vous protestez un moment pour aider le Parlement et le
Gouvernement à faire preuve d'une plus grande sagesse.
M. Bernard BRUNHES - D'autant que je crois que les partenaires sociaux sont
assez sages, sur le plan du temps. Eux, ils ont le temps. Ils ne sont pas
soumis à renouvellement à chaque élection et ils sont
manifestement moins pressés. Il est dommage qu'on n'utilise pas plus les
capacités de discussion dans le pays.
Le problème aussi est que les partenaires sociaux français sont
ce qu'ils sont. La division syndicale rend très difficile une vraie
négociation. On sait bien que dans ce qui va se passer là, la
CFDT et la CGT ont des positions différentes et que le dialogue social,
quand en face du patronat il y a cinq centrales syndicales avec des opinions
différentes, c'est un débat difficile.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Est-ce que le hiatus ne vient pas du fait que les
syndicats ont plutôt une culture de fonction publique ?
M. Bernard BRUNHES - Je ne suis pas tout à fait de cet avis. C'est vrai
pour certains, mais pas pour tous. Aujourd'hui on considère qu'entre 8
et 9 % des salariés français sont syndiqués.
Là-dessus, il est clair qu'il y en a beaucoup dans la fonction publique
et pas du tout dans les PME. En effet, en termes d'adhésion de cotisants
et de présence physique, il y a plus de fonctionnaires. Mais je ne crois
pas que dans la manière de s'exprimer et dans la manière d'agir,
les syndicats soient tellement fonction publique. Aujourd'hui, ce qu'exprime la
CFDT sur les sujets dont nous parlons aujourd'hui, ce n'est pas fonction
publique.
Pour reprendre les autres éléments dont vous avez parlé,
sur le gel des salaires, objectivement, soit en utilisant la loi " de
Robien ", soit sans loi " de Robien ", la
réduction du
temps de travail dans une entreprise, si elle est progressive, peut se faire
sans blocage des salaires mais avec un ralentissement. La vraie question est
que les macroéconomistes vous disent des choses trop globales. Il est
clair qu'il y a des situations très différentes. Une petite
entreprise de travaux publics ou une entreprise d'ingénierie, c'est tout
à fait différent et on ne peut pas fixer des règles
générales.
Il ne faut pas que cette loi aille au-delà de la durée
légale et de modifications du code du travail. Il ne faut pas qu'elle
rentre dans la situation des entreprises.
Certaines entreprises peuvent très bien abaisser la durée du
travail tout en continuant à augmenter les salaires, mais à
condition que la flexibilisation, l'annualisation et une réorganisation
du travail leur permettent de retrouver une productivité et une
capacité de réaction au marché, qu'elles n'avaient pas
avant.
Pour d'autres, au contraire, et vous citez l'industrie textile, ce sera plus
difficile. En effet, une petite entreprise textile avec du personnel de bas
niveau de qualification, et qui est bien gérée, aura du mal.
Concernant le problème des cadres, je voudrais dire ceci : nous venons
de lancer, avec plusieurs entreprises françaises, une étude sur
la durée du travail des cadres à l'étranger. Nous avons
analysé la situation aux Etats-Unis et dans certains pays
européens pour voir comment on traitait le problème de ce que
nous appelons, nous, le temps de travail de ceux qui ne le comptent pas.
Nous constatons que dans la plupart de ces grands pays industriels, les cadres
ne travaillent pas plus que les salariés. Nous avons une vision en
France dans laquelle le cadre doit rester normalement jusqu'à 20 heures
du soir sinon il est mal vu par son patron. Mais c'est vraiment une vision
latine.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est aussi le cas dans les ministères
cela, du moins pour la haute administration.
M. Bernard BRUNHES - C'est vrai dans l'entreprise aussi. J'ai travaillé
pendant un certain temps aux Etats-Unis, il y a une vingtaine d'années,
et quand je suis arrivé je me faisais gourmander par mon patron qui me
disait : mais comment se fait-il que vous soyez encore là après
17 heures ? Vous êtes vraiment mal organisé.
Nous avons vraiment une vision sur le temps de travail des cadres qui est une
vision latine et sur laquelle il faut réfléchir.
Je trouve bizarre qu'on n'arrête pas de dire que les cadres partent
à l'étranger, comme si ce n'était pas une
conséquence pure et simple du fait que l'Union européenne
favorise le mouvement. Beaucoup d'Anglais travaillent en France. Il faut faire
attention de ne pas trop généraliser. Il y a peut-être un
phénomène, mais je trouve qu'on a là-dessus
peut-être une vision un peu simpliste.
Le véritable problème du temps de travail se pose
réellement et fortement pour les petits salaires. D'autant que les
salariés à petits salaires ne veulent pas travailler moins parce
qu'ils ne veulent pas gagner moins. Je ne sais pas ce que le Gouvernement va
décider en matière de SMIC, mais c'est très
compliqué. Un SMIC mensuel ? Personnellement, je serais pour un SMIC
annuel. Dans l'industrie textile dont vous parlez, c'est très
compliqué.
Concernant les cadres, je dirais que je n'ai pas beaucoup d'inquiétudes.
M. Alain GOURNAC, président - Je vais maintenant passer la parole
à nos collègues.
M. André JOURDAIN - C'est simplement une remarque par rapport à
la grande diversité des entreprises. Vous parliez tout à l'heure
de Toyota avec une masse salariale qui représente entre 10 et 15 % du
coût de production. Je pense aux lunetiers jurassiens pour qui la masse
salariale représente entre 50 et 60 % du coût de production,
et les effets qu'ils craignent de l'application des 35 heures les conduisent
à avoir deux réactions possibles : ou délocalisation comme
ils ont tenté de le faire il y a quelques années et ils semblent
être un peu revenus sur cette idée, surtout avec ce qui se passe
en Asie ; ou de pousser à fond l'automatisation et par conséquent
ne pas créer d'emplois de remplacement, mais même
éventuellement supprimer des emplois existants. Que pensez-vous de ces
conséquences possibles sur un exemple précis ?
M. Daniel PERCHERON - Je pense que Monsieur le Rapporteur a quand même
exploré tout l'aspect d'ingénierie sociale que pose la loi des
35 heures. De M. Soubie à M. Brunhes, hormis M. Kessler,
malgré ce qu'a dit M. Jourdain, il n'y a pas de démonstration
très convaincante d'un éventuel contresens économique,
d'un danger mortel pour l'économie française du passage aux 35
heures.
Et le constat que vous venez de faire : croissance de productivité
évidente, croissance globale à 3 %, croissance
démographique spécifiquement française, et heureusement
pourrait-on dire ne serait-ce qu'en pensant au régime des retraites,
stagnation de la réduction du temps de travail, donc initiative de
l'Etat, ce constat montre qu'effectivement la décision sur les 35 heures
peut être tout à fait heureuse. J'ajoute qu'il y a deux
éléments qui reviennent sans cesse. Il y a quand même le
fait que le pays s'est prononcé sur les 35 heures à l'occasion
des législatives. Il ne faut pas surestimer le rôle des 35 heures
dans une victoire électorale de la gauche, mais le pays s'est
prononcé pour la volonté, pour le volontarisme dans
l'élection présidentielle. Ceux qui ont voulu tutoyer
apparemment, même modestement, le modèle libéral ont
été impitoyablement écartés.
Cette Commission d'enquête me paraît faire apparaître, et je
pose la question très directement, au fond l'aspect tout à fait
politique de la réduction des 35 heures.
Ce que vous nous avez dit peut amener à considérer que la France
n'étant pas un pays social démocrate, n'étant pas un pays
du nord, la méthode choisie est la plus difficile qui soit.
Décision de l'Etat, maîtrise apparente du calendrier et mise
éventuelle en dynamique des partenaires sociaux, dont vous nous avez dit
qu'ils avaient le temps, hors décision de l'Etat le cas
échéant, dont vous nous dites qu'ils veulent connaître
absolument les règles du jeu et dont tout le monde nous a dit ici que
s'ils n'étaient pas, au niveau de l'entreprise, les décideurs
définitifs, l'échec était évident. L'Etat cette
fois n'a pas les moyens comme en 1981, puisque vous avez été
concernés par cette grande flambée volontariste sociale, l'Etat
n'a pas les moyens de régler le problème.
M. Raymond SOUBIE nous a dit : 35 heures, pourquoi pas ?
Vous nous dites que 35 heures, c'est nécessaire. Mais quelle que soit la
justesse, quelle que soit la légitimité de la décision
prise, les acteurs sociaux en France sont incapables de mener la
négociation à terme, et donc M. Soubie nous a dit que cela
échouera parce que les négociateurs ne sont pas capables de la
faire réussir. Partagez-vous ce pronostic qui en quelque sorte est
très préoccupant ? Si cela est vrai, cela veut dire que le
discours de M. Kessler ou le discours protestataire ou le discours radical
à gauche au lendemain d'un échec de 35 heures auront de fortes
chances de s'imposer. Ou le modèle dérégulation absolue :
ne vous mêlez pas d'économie. Ou la quête de
l'impossible : que l'Etat réussisse dans les moindres
détails et qu'on revienne à une forme de dirigisme ou de
volontarisme politique conforme à notre histoire.
M. Bernard BRUNHES - Si en effet la loi devait aboutir à ce que de
façon obligatoire le 1er janvier 2000 l'entreprise de lunetterie de
Morez doit passer de 39 heures à 35 heures en payant 39 heures, je
crois que vous avez raison. La vraie question est : comment faire, et c'est
là que je dis qu'il faut peut-être un peu plus de temps, pour
qu'en effet cela ne se passe pas ainsi ?
Il y a plusieurs possibilités. D'abord, le fait qu'elle pourra
peut-être rester à 39 heures en payant seulement des heures
supplémentaires, d'où l'importance de la négociation
salariale et l'importance de la décision prise en matière de
SMIC. Passer de 39 à 35 heures revient à 39 heures
payées 40.
Les heures qui étaient normales deviennent des heures
supplémentaires. Donc, cela fait 0,25 par heure et cela revient à
payer une heure de plus. Ce sont donc 39 heures payées 40.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Cela fait 2,5 %. Ce sont 35 heures qui sont
payées.
M. Bernard BRUNHES - Les heures 36, 37, 38 et 39 sont payées
1,25 chacune. Cela fait, en fait, 39 heures payées 40.
La première question est : quel sera le nouveau salaire ?
La décision qui sera prise par les pouvoirs publics en matière de
SMIC est fondamentale. On ne peut pas ne pas dire très rapidement ce
qu'on fera en matière de SMIC. Cela devient compliqué car
dès qu'on touche aux salaires, on touche au coeur des contradictions
sociales, et si cela plaît à la CGT, cela ne plaira pas au CNPF,
et réciproquement. C'est là qu'on est dans le problème de
calendrier, mais il faut que le Gouvernement dise quelque chose.
Dans la plupart des entreprises il y a dans ce pays un effort
considérable à faire en matière d'organisation, et
là on peut y gagner, notamment de l'organisation en termes de
productivité ou de l'organisation en termes de réactivité.
Beaucoup d'entreprises françaises ont des difficultés à
l'international parce qu'elles ne sont pas assez réactives. Elles ne
réagissent pas assez vite au marché. La réactivité
implique de nouvelles organisations du travail. Je crois, par
expérience, que dans beaucoup d'entreprises on pourra passer sans
difficulté aux 35 heures, à condition que sur les salaires on ne
fasse pas n'importe quoi, mais qu'on fasse de la flexibilité, de la
réactivité et que l'on ait une nouvelle organisation.
Il y a des cas où il y a risque, des cas où cela sera mieux. Il y
a une énorme variété.
Je ne sais pas quelle est la situation des lunetiers, mais j'aimerais bien
aller voir l'entreprise et dire : on peut ou on ne peut pas. Je suis
allé voir les Cristalleries d'Arques, il est vrai qu'elles auront du mal
et il faut trouver des solutions spécifiques. Par contre, ailleurs il y
a beaucoup à gagner.
Pour répondre à M. Percheron je dirai qu'en effet le
problème du dialogue est d'autant plus complexe que c'est
nécessairement un dialogue local.
Je ne suis pas d'accord avec M. Soubie sur ce qu'il vous a dit. Nous nous
rencontrons souvent, nous sommes d'accord sur beaucoup de choses, mais pas
là-dessus. Je trouve que M. Soubie a une vision uniquement du
dialogue social global. Il est vrai que les prises de position des leaders des
grandes centrales syndicales rendent les choses très difficiles au
niveau central. Aujourd'hui, la CGT et la CFDT ne sont pas d'accord, sans
parler de FO, et c'est difficile. Peut-être que M. Soubie pense plus
à la situation au niveau central.
Mais en revanche, je peux témoigner que dans les entreprises ce n'est
pas pareil. Et alors que la CGT prend, au niveau national, des positions assez
fermes sur la flexibilité en la refusant, j'ai assisté et j'ai
même négocié je ne sais pas combien d'accords dans le cadre
de la loi " de Robien ", signés par la CGT au niveau local.
Ils n'en font pas trop de publicité parce qu'ils ont peur d'avoir des
problèmes avec leur confédération, mais ils en signent
beaucoup.
Autrement dit, le dialogue social risque de se bloquer à propos de ce
projet de loi, mais au niveau local il se passe beaucoup de choses. Il y a un
écart évident entre le discours public du patronat et la
volonté de beaucoup de chefs d'entreprise d'avancer, de même qu'il
y a un écart entre le discours public de la CGT et ce que font les
syndicalistes CGT à la base.
Ma différence avec M. Soubie, c'est que je ne crois pas, moi, que ce
sera nécessairement un échec, à condition qu'on
réfléchisse bien au calendrier et qu'on laisse émerger
cette espèce de négociation permanente qui a lieu à la
base.
M. Alain GOURNAC, président - Merci. J'ai plusieurs questions à
vous poser.
Pensez-vous que la notion de temps de travail hebdomadaire a encore un sens
aujourd'hui et ne devrait-on pas aller plus vers une forme de temps choisi ?
Je voudrais aussi vous demander quelle a été votre
réaction quand la loi " de Robien " est sortie. Pensez-vous
que c'était une attente de la part non pas des entreprises, mais des
salariés, et que c'était une attente prioritaire ?
Je voudrais aussi vous demander rapidement votre approche sur les effets de
seuil. Je sais que cela touche les petites entreprises, mais globalement
aujourd'hui, quand on entend les spécialistes, ils nous disent qu'il y a
des possibilités de trouver des emplois beaucoup plus dans les petites
structures que dans les grandes.
Quelle est votre approche sur cette histoire de 10 ou 20 et sur cet effet de
seuil ?
Enfin, pourquoi sommes-nous parmi les pays qui travaillent le moins ?
Pourquoi les choses n'évoluent-elles pas autour de nous ?
M. Bernard BRUNHES - Sur le temps de travail hebdomadaire et le temps choisi,
la loi " de Robien " avait introduit l'idée que le temps de
travail pouvait être apprécié sur la semaine, le mois ou
l'année. Je pense que cette formulation est bonne, c'est-à-dire
que c'est un temps de travail hebdomadaire, mais qu'on puisse apprécier
le temps de travail hebdomadaire sur l'année, cela veut dire
annualisation mais en conservant le critère de base. Je pense qu'il
faudrait reprendre l'expression temps de travail hebdomadaire qui peut
être apprécié sur des durées différentes.
Concernant le temps choisi, on est toujours dans cette situation qui est
délicate et qui résulte de la différence
considérable entre les anciennes et les nouvelles activités. Nous
sommes dans une période extrêmement vivace de l'évolution
économique. Les Etats-Unis créent des millions d'emplois chaque
année dans un domaine de nouvelles activités, mais nous avons
quand même encore des activités anciennes. Il y a encore des gens
qui fabriquent des lunettes à Morez, mais ce n'est pas cela l'avenir.
L'avenir c'est l'informatique, les services, les services aux personnes. Les
manipulateurs de symboles, comme dit Robert Reich, l'ancien ministre du travail
américain. C'est cela qui va faire l'enrichissement de notre
société.
D'un côté, les fabricants de lunettes de Morez, cela a un sens de
leur parler de durée hebdomadaire du travail, cela a un sens aussi pour
les conducteurs du métro et il faut conserver ce sens pour eux, sinon il
n'y a plus de discussions possibles et il n'y a plus de défense des
travailleurs face aux employeurs. Cela a donc un sens précis pour une
partie encore majoritaire de la population. Mais il faut faire attention parce
que les activités qui se développent sont des activités
pour lesquelles la durée hebdomadaire n'a pas de sens. La durée
du travail d'une assistante sociale, qu'est-ce que cela veut dire ? Il faut
savoir combien de familles elle voit dans la journée. La durée du
travail d'un informaticien quand il est chercheur, cela n'a pas de sens.
Ce qu'il faut imaginer, c'est respecter à la fois ce besoin d'une
durée hebdomadaire du travail stricte pour des catégories
d'ouvriers, salariés ou employés qui ont besoin de cela, sinon
ils ne sont plus protégés, et qu'on laisse se développer
une forme beaucoup plus ouverte et choisie du travail pour d'autres
catégories. Ce que je trouve toujours un peu angoissant dans nos
débats, c'est qu'on mélange à chaque fois les deux, mais
ce sont des métiers différents. Il est vrai que dans mon
métier de consultant, je vais essayer d'appliquer les 35 heures chez
moi, je vais leur donner des jours de congé, sinon je ne sais pas
très bien ce que cela veut dire. Par contre, les gardiens de l'immeuble
où je suis ont besoin d'un horaire de travail. Pour eux cela a un sens.
Et même les secrétaires qui travaillent dans mon équipe
veulent partir à 6 heures pour aller s'occuper de leurs enfants et elles
ont besoin d'un horaire.
C'est pour cela qu'il faut pouvoir négocier localement et c'est pour
cela que les grands discours un peu généraux masquent une
réalité très complexe. Mais il serait tout à fait
dommage de ne pas laisser se développer ces activités qui sont
les activités de l'avenir, et elles ne se développeront pas si on
enferme les informaticiens dans des horaires stricts.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous citez le ministre américain, mais il
dit bien qu'avec la mondialisation c'est une épreuve sans
précédent pour les états nationaux et que leurs
instruments traditionnels, la loi, la réglementation, ont de moins en
moins prise sur les comportements économiques. Vous avez des
régulations nationales et un marché qui est mondial. On veut la
sécurité sociale à la française et on veut faire
ses courses un peu partout dans le monde. Alors, pour les manipulateurs de
symboles c'est formidable, ils empochent toute la mise sans aucune
régulation. Vous venez de dire qu'il y a des cas très divers et
notre problème dans nos départements, c'est de voir celui qui
travaille dans une fabrique de lunettes ou qui fait de la confection. Les
problèmes de chômage ou de misère sont là. Ce sont
des femmes qui ont 40 ans et quand l'atelier ferme, pour elles c'est fini. Et
il n'y a pas de solution pour ces gens-là.
Les politiques devraient être modestes face à ces situations, si
demain on applique un cas unique pour tout le monde.
M. Bernard BRUNHES - Je suis tout à fait d'accord avec vous. Le fait de
dire que la durée légale est de 35 heures ne contraint pas tout
le monde dans un cadre strict.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Si les lunettes coûtent 2,5 % de plus parce
qu'il faudra tenir compte du repos compensateur...
M. Bernard BRUNHES - Pour répondre à cela il faut aller voir les
lunetiers.
M. André JOURDAIN - Vous êtes invité à venir.
M. Bernard BRUNHES - Concernant la loi " de Robien ", à la
demande de M. Mehaignerie en tant que Président de la commission
des Finances, nous avons fait une étude et nous avons répondu que
chaque fois que l'Etat met de l'argent dans une aide à l'emploi, ce
n'est en général pas très efficace. Il y a même de
vraies catastrophes.
Par rapport à tout cela, l'aide la plus efficace qu'on ait eue depuis
longtemps, c'était la loi " de Robien " en termes d'emplois
créés divisés par le nombre de francs mis là-dedans.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est très cher.
M. Bernard BRUNHES - Oui, mais beaucoup moins que le contrat initiative-emplois.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Oui, mais au bout de deux ans, l'entreprise peut
remercier ses collaborateurs et cela coûte à l'Etat pendant encore
cinq ans.
M. Bernard BRUNHES - Je suis d'accord avec vous. Nous avons fait un calcul
à partir de cas précis et après on a
généralisé. En comptant les sept ans, notre conclusion
était clairement que finalement c'était la mesure la plus
efficace en termes de coût par emploi créé.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est mieux que les préretraites.
M. Bernard BRUNHES - C'est mieux que tout ce qu'on a fait en termes d'aide de
l'Etat.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est ce qu'il y a de moins mal.
M. Bernard BRUNHES - Mais la loi " de Robien " a eu un gros
inconvénient, elle a cassé le mouvement en cours, qui avait
été lancé par M. Gandois, de négociations dans
les branches.
L'autre question était celle des effets de seuil. Je trouve qu'on prend
un risque dans certains secteurs avec le report à deux ans, à
2002, de l'application.
Je crois à l'effet psychologique des seuils mais on leur donne trop
d'importance. Pourtant, l'effet de seuil du report à 2 ans pose en effet
problème. Les entreprises de bâtiments et travaux publics ont un
problème. En effet, pendant deux ans il y aura un écart entre les
petites et les moyennes entreprises.
Ce que m'ont dit au passage les interlocuteurs de ce secteur, c'est qu'on
devrait avoir une souplesse. Au lieu que l'Etat fixe la barre à 20,
peut-on laisser à la négociation le soin de fixer une date ?
Je ne suis pas sûr que ce soit juridiquement possible, mais il y a
peut-être quelque chose à analyser en termes de possibilité
de dérogation dans l'espace entre 2000 et 2002.
Pourrait-il y avoir des possibilités d'adaptations conventionnelles avec
signature des syndicats et des fédérations de branches à
l'intérieur de la période 2000 à 2002 ?
Enfin, concernant votre dernier point, j'ai un croquis qui montre que vous
n'avez peut-être pas raison. La durée moyenne du travail, si je
prends les salariés à temps complet dans les pays de l'Europe des
15 : Grande-Bretagne : 43,9 Portugal : 41,2 Espagne : 40,7 France : 39,9
Allemagne : 39,7 Hollande : 39,5.
En termes de durée hebdomadaire, certes la Grande-Bretagne travaille
plus que nous. Le Portugal et l'Espagne (mais les statistiques dans ces
pays...) travaillent plus que nous. En revanche, l'Allemagne, la Hollande, le
Danemark et la Belgique travaillent moins.
M. Alain GOURNAC, président - Cela donne une moyenne pour l'Europe de
40,3 et nous c'est 39,9.
M. Bernard BRUNHES - Si on inclut les salariés à temps partiel,
la Grande-Bretagne descend rapidement. Portugal : 40, 4 Espagne : 39 Italie :
37,6 Grande-Bretagne : 37,5.
Ce sont ceux qui travaillent plus que nous.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Et la durée de la vie
professionnelle ?
M. Bernard BRUNHES - Nous sommes, nous, à 37 heures. Allemagne : 36,4
Belgique : 35,7 Danemark : 34,5 Hollande : 31,7.
En durée annuelle, ce n'est pas tout à fait le même ordre,
mais nous sommes au milieu. Effectivement, sur la durée de la vie, comme
nous avons d'une part retardé plus en France qu'ailleurs l'entrée
des jeunes sur le marché du travail et d'autre part avancé les
préretraites, il vaudrait mieux nous répartir, collectivement, le
travail autrement.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie beaucoup de votre propos
préliminaire et de la clarté des réponses apportées
aux questions.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Une dernière question : dans votre tableau
vous faites apparaître que nous avons une durée hebdomadaire qui
est relativement faible. Nous sommes parmi les pays qui ont le plus de
chômage. Y a-t-il une corrélation ?
M. Bernard BRUNHES - Beaucoup d'analyses très fines sont faites.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - La Grande-Bretagne est au-dessus de nous et elle
a beaucoup moins de chômage.
M. Bernard BRUNHES - Oui, mais elle a une caractéristique forte qui est
qu'il n'y a plus d'augmentation de la population active. J'ai fait l'exercice
suivant : on prend la Grande-Bretagne il y a dix ans, on lui met plus 150.000
arrivants sur le marché de l'emploi par an que nous avons, nous, en
termes d'augmentation de la population en âge de travailler et, au
boût du compte, son chômage est plus fort que le nôtre.
Un autre phénomène joue : en Grande-Bretagne, la statistique du
chômage montre que le taux de chômage des hommes est le même
qu'en France et le taux de chômage des femmes est très faible.
C'est ce qui explique la différence. Pourquoi ? Parce que les femmes ne
s'inscrivent pas. Les statistiques parlent des découragés qui
n'ont pas d'intérêt à se déclarer demandeur
d'emploi. Elles ont moins d'allocations, dans les entreprises on ne les prend
pas.
Si on prend la Hollande, c'est un pays dans lequel il y a beaucoup de temps
partiel, surtout chez les femmes : 55 %. Puis, un autre phénomène
commence à apparaître, il y a beaucoup de handicapés en
Hollande. On classe très facilement en handicapés des
chômeurs de longue durée.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est le traitement statistique du chômage.
M. Bernard BRUNHES - Je me méfie un peu de ces comparaisons. Il est vrai
que l'Angleterre marche bien actuellement. C'est un pays qui a repris un fort
développement et qui a du dynamisme. Mais la recherche des
corrélations directes demanderait des analyses plus fines.
C. AUDITION DE MME MICHÈLE BIAGGI, SECRÉTAIRE CONFÉDÉRAL DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL-FORCE OUVRIÈRE (CGT-FO), ACCOMPAGNÉE DE M. RENÉ VALLADON, SECRÉTAIRE CONFÉDÉRAL ET DE MME ISABELLE MUTEL, ASSISTANTE CONFÉDÉRALE
M. Alain GOURNAC, président, rappelle le protocole
de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait
prêter serment à
Mme Michèle Biaggi, à
M. René Valladon et à Mme Isabelle Mutel.
Mme Michèle BIAGGI - Je vous remercie. Je vais préciser la
délégation des gens qui m'accompagnent : M. René Valladon
est secrétaire confédéral, chargé du secteur
économique, et Mme Mutel est mon assistante concernant les
négociations collectives, la durée du travail et le code du
travail.
Puisque nous ne sommes pas ici devant la Commission sociale du Sénat,
tout ce que nous avons préparé sur le projet de loi nous le
réserverons à la Commission sociale du Sénat comme nous
l'avons fait à la Commission sociale de l'Assemblée nationale.
Par contre, je voudrais vous dire que cela va être difficile aujourd'hui
pour une organisation comme la nôtre, parce que nous ne pouvons pas dire
quelles vont être véritablement les conséquences qui vont
découler de la réduction du temps de travail, du projet de loi,
car son texte n'est pas définitif puisqu'il n'a pas fait l'objet de
discussions Parlementaires. On ne peut pas présager aujourd'hui des
aménagements qui vont y être apportés.
Je voudrais rappeler que dans le cadre de la lutte contre le chômage, et
j'ajouterai l'exclusion, le 10 octobre à la Conférence nationale
sur les salaires, l'emploi et la réduction du temps de travail, nous
avions réaffirmé trois points essentiels pour s'inscrire dans la
création d'emplois. Je vais vous les rappeler.
La première, c'est d'abord l'amélioration du pouvoir d'achat, des
salaires, des retraites et des minima sociaux.
M. Alain GOURNAC, président - Avant la réduction du temps de
travail ?
Mme Michèle BIAGGI - C'est la manière dont nous l'avons
présenté au Premier ministre le jour de la Conférence sur
les salaires. Donc, une revalorisation et amélioration du pouvoir
d'achat, des salaires, des retraites, des minima sociaux, de manière
à relancer la consommation et l'activité économique du
pays.
La deuxième revendication que nous avions donnée ce
jour-là est l'extension du dispositif de cessation anticipée
d'activité aux salariés qui ont commencé à
travailler à 14 et 15 ans.
M. Alain GOURNAC, président - Les fameux 40 ans.
Mme Michèle BIAGGI - L'ARPE, ce qui permet de libérer des
embauches et cela permet à des salariés qui ont commencé
à travailler très jeunes et qui sont usés, de partir un
peu plus tôt à la retraite et de permettre à des jeunes
d'être embauchés. Nous avons d'ailleurs chiffré cela
à 150.000 embauches.
M. Alain GOURNAC, président - Vous avez fait une étude pour les
150.000 embauches ?
M. René VALLADON - En fait, c'est une étude à la louche. A
la fois sur le caractère non pérenne de cette mesure puisque
seule une tranche d'âge de 14-15 ans serait concernée, cela ne
durerait pas très longtemps. Et à taux de remplacement identique
par rapport aux mesures déjà existantes, qui était de
l'ordre de 40 %, dans la mesure où 350.000 personnes seraient
concernées. Un taux de remplacement de 40 % fait à peu
près 150.000 embauches, c'est-à-dire 150.000 postes de travail
sur lesquels des salariés pourraient partir et sur lesquels il y aurait
des embauches.
Ce sont des embauches à temps plein, presque toujours, et le taux de
remplacement est exceptionnel. Sur les 85.000 postes libérés
à l'heure actuelle, on a eu 74.000 embauches à temps plein. Cela
veut dire que c'est un dispositif qui, par rapport à d'autres aides
à l'emploi, est du meilleur rapport qualité prix, si j'ose dire.
Mme Michèle BIAGGI - Pour compléter le propos, je dirais que nous
souhaitons que ce dispositif soit étendu à nos concitoyens qui
ont fait la guerre d'Algérie et qui travaillent à l'heure
actuelle. Ils seraient compris dans les 150.000.
Et donc bien sûr, la réduction de la durée du travail et,
pour nous, sans perte de salaire.
M. Alain GOURNAC, président - Donc, c'est bien dans l'ordre. C'est
maintenant que vous arrivez à la réduction du temps de travail.
Mme Michèle BIAGGI - J'ai donné dans l'ordre ce que
M. Blondel a déclaré le 10 octobre à la
Conférence sur les salaires, l'emploi et la réduction du temps de
travail. Et dans cet ordre parce que la Conférence s'intitulait : les
salaires, l'emploi et la réduction du temps de travail.
Alors je ne passerai pas sous silence trois points essentiels du projet de loi,
qui nous posent problème.
Tout d'abord, le champ d'application de ce projet de loi puisqu'il fait une
différence entre les entreprises de moins de 20 salariés et de
plus de 20 salariés. Il passe sous silence la possibilité de
faire entrer la fonction publique dans ce champ d'application. Nous sommes
opposés à une différence entre les entreprises, qui
amènerait à terme une différence entre les
salariés. Nous sommes les représentants de tous les
salariés des petites ou grandes entreprises et de la fonction publique.
Le deuxième point qui pose problème, c'est la possibilité
de mandater, dans les entreprises dépourvues de représentation
syndicale, un salarié pour négocier des accords sur le temps de
travail.
Et enfin, sur les aides, nous souhaiterions que ces aides soient
conditionnées au maintien du salaire et à la création
d'emplois.
Pour ce qui concerne l'objet même de notre audition aujourd'hui, comme je
l'ai dit au début de mon propos, il nous semble difficile de
présager ce qui va se passer dans l'avenir car on ne connaît pas
encore le texte définitif et on ne sait pas quelles seront les
répercussions au niveau des entreprises et des salariés. Mais je
voudrais attirer votre attention sur le fait que, pour nous, cela doit amener
des créations d'emplois, et cela doit amener de meilleures conditions de
travail. Si les salariés travaillent moins, il y aura moins de fatigue
et automatiquement moins d'accidents du travail, moins de difficultés et
moins d'arrêts de maladie parce que les gens seront moins
fatigués, et cela aurait aussi une répercussion sur la vie des
salariés, sur leur vie quotidienne : moins de stress, moins de temps de
travail et moins de difficultés pour regagner le domicile, et
peut-être un peu plus de vie de famille et plus de possibilités de
s'intéresser aussi aux problèmes quotidiens et à
l'éducation des enfants. C'est très important, car la
désaffection et l'éclatement de la cellule familiale viennent
aussi du fait que les salariés ont des contraintes horaires et des
contraintes de travail. Et quand on rentre le soir et qu'on est fatigué,
on n'a pas envie de s'occuper du gamin et de lui apporter un soutien moral.
Ne possédant pas à l'heure actuelle d'étude
économique sur l'impact de ce projet de loi, il faut rappeler que c'est
un des éléments dans la lutte contre le chômage, que c'est
un élément dans la lutte contre l'exclusion, et cela se fera
d'autant mieux que la négociation sera importante et constructive.
Je voudrais continuer sur les problèmes de l'exclusion.
A l'heure actuelle, tout ce qui est, à nos yeux, favorable pour
éviter l'exclusion, c'est la création d'emplois, c'est avoir un
travail, c'est être quelqu'un comme tout le monde, avoir une adresse,
pouvoir s'habiller correctement, se soigner, se loger, c'est important.
Actuellement, dans ce pays, on a évalué à près de 7
millions le nombre de personnes qui vivent en dessous du seuil de
pauvreté. J'englobe tout là-dedans : RMIstes, chômeurs,
temps partiel, allocataires au titre de travailleurs handicapés. Je dis
que tout cela n'est plus acceptable dans notre pays.
Que faut-il faire ? Il faut relancer la consommation.
M. Alain GOURNAC, président - C'est pourquoi vous avez mis en tête
d'abord les salaires et les minima sociaux.
Mme Michèle BIAGGI - Oui, et les retraités aussi. Combien n'ont
pas, dans ce pays, la possibilité de faire quelque chose parce qu'il
leur reste un loyer à payer, qu'ils ont des difficultés.
Même s'il y a prise en charge d'une aide à domicile, il reste une
partie à la charge de l'intéressé et souvent ce sont des
gens qui se retrouvent complètement exclus, du moins isolés, et
c'est difficile de réunir tout cela.
Si on veut que cela aille mieux dans ce pays, il faut tenir compte de cela. Il
faut tenir compte aussi du fait qu'une dégradation importante s'effectue
au niveau des logements et surtout des logements sociaux.
Il faut faire un maximum pour qu'il y ait création d'emplois afin que
cela donne une dynamique et qu'on retrouve autre chose dans cette
société. Nous sommes tous ici des gens qui avons un peu de vie
derrière nous et on peut constater qu'il y a une très grosse
dégradation de toutes les conditions de vie, notamment des soins et du
logement.
Les handicapés aussi, il ne faut pas les oublier, ni le travail des
handicapés. A la Confédération nous faisons un gros
travail avec l'AGEFIPH sur le reclassement professionnel des handicapés.
M. Alain GOURNAC, président - Que proposez-vous à la place du
mandatement ? Comment cela se passera-t-il dans les entreprises qui n'ont
pas de délégués syndicaux ?
M. René VALLADON - Pourquoi maintenir le seuil de désignation
pour un délégué syndical ?
Mme Michèle BIAGGI - Le code du travail ne l'impose que pour les
entreprises de plus de 50 salariés.
M. Alain GOURNAC, président - Vous voulez que cela saute et qu'il y ait
des délégués syndicaux dans toutes les entreprises ?
M. René VALLADON - Un délégué syndical est
formé, il a à rendre compte de son mandat et à partir du
moment où il est désigné par l'organisation syndicale, il
est indépendant du patron.
Je vais essayer de faire " soft ". Je ne suis pas sûr que
toute
liberté soit donnée à un salarié mandaté
quant à l'indépendance totale par rapport au patron. Il est
souvent avéré qu'un entrepreneur qui a besoin d'avoir un accord
pour bénéficier d'une aide de l'Etat choisit, lui, son
interlocuteur. Ce qui pose des problèmes à la fois
d'indépendance, de pressions souvent difficiles à supporter par
ce mandaté qui n'est pas formé et qui n'a pas de compte à
rendre à beaucoup de gens. Cela pose un véritable problème.
Fréquemment, on nous propose un mandaté et nous disons d'accord,
mais nous voulons faire précéder sa désignation d'une
assemblée générale du personnel pour savoir si ce
mandaté a la confiance de ses collègues de travail, et d'un seul
coup, on trouve beaucoup de réticences de la part du patron. Et cela se
comprend fort bien.
On a trouvé un système qui à la fois fragilise le
mandaté, ne permet pas un véritable dialogue social, qui a priori
pose la question de l'indépendance réciproque ou l'absence de
subordination des deux interlocuteurs, et qui finalement ouvre une
brèche importante. Je vois très clairement demain, moi, un patron
essayer de contourner les organisations syndicales pour choisir la voie du
mandatement.
Nous avions contesté la circulaire d'application du ministère du
Travail qui allait au-delà de la loi de novembre 96. C'est en instance
de jugement au Conseil d'Etat parce que nous considérons que même
par rapport aux engagements internationaux de la France, notamment dans le
cadre du BIT, là on est un peu juste.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Je voudrais demander à Mme Biaggi,
à M. René Valladon et à Mme Mutel, de nous
excuser, car il est déjà 13 heures et nous abusons de votre
gentillesse, mais nous avons des contraintes d'emploi du temps. Et merci
d'avoir accepté de venir témoigner devant notre Commission. Merci
de ce témoignage et de sa franchise.
D'abord, une précision à propos du déroulement de la
journée du 10 octobre. Hier, l'un des participants, membre du CNPF,
nous a dit : on a discuté toute la journée, c'était
intéressant et soudainement voilà un texte nouveau qui arrive
qu'on n'avait pas vu avant. La deuxième loi. Avez-vous eu ce sentiment
de novation absolue, quand à la fin de la journée, on vous a
présenté un texte dont on ne vous aurait pas parlé
préalablement ?
Mme Michèle BIAGGI - Le matin, à l'ouverture, le discours du
Premier ministre avait bien annoncé qu'une loi lancerait le mouvement
des 35 heures. C'est au cours de la discussion, tout au long de la
journée, que la décision a été prise de le faire en
deux temps. En fait, il y a une phase expérimentale jusqu'en 2000 et
ensuite tout ce qui sera fait.
Ce qui nous intéressait était de parler du temps partiel et des
heures supplémentaires. Il est vrai que là on nous a dit qu'une
fois la phase expérimentale terminée, on ne pourrait plus en
discuter dans un deuxième temps.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Dans un premier temps, vous aviez l'impression de
discuter par rapport au projet de loi avec son volet très incitatif qui
était un aménagement de la loi " de Robien ", mais
aviez-vous le sentiment que vous alliez le soir repartir avec un
deuxième projet de loi venant compléter le premier portant
abaissement obligatoire de la durée légale du temps de
travail ? Avez-vous eu ce sentiment dans la journée ?
M. René VALLADON - La manière dont vous posez la question
m'embarrasse. Nous avons pour notre part eu, comme vous aussi, en main le
discours introductif du Premier ministre, discours sur lequel, je pense, on
peut faire beaucoup d'analyses, ainsi que son discours conclusif. Pour notre
part, nous n'avons pas eu le sentiment du piège tel que cela a
été exprimé par le Président du CNPF à la
sortie, quand il a dit qu'il avait été berné.
Pour notre part, nous ne sommes pas comptables des discussions
bilatérales nombreuses qui ont eu lieu pendant cette journée,
aussi bien par le Président du CNPF qu'avec le Premier ministre ou les
ministres. J'ai tout à fait conscience de répondre sous serment,
mais ce sentiment-là, nous personnellement nous ne l'avons pas eu. Je ne
sais pas si le niveau de contact et d'information était absolument
identique entre M. Kessler et M. Gandois. Mais ce n'est pas nous qui pouvons
répondre à la place du CNPF. La notion de piège, nous n'y
croyons pas. Je peux comprendre que M. Kessler ait eu ce sentiment, mais moi je
n'ai pas eu le sentiment qu'il y ait eu un piège. Bien sûr, le
discours conclusif du Premier ministre allait au-delà du discours
introductif.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Et cela vous paraissait être la
conséquence de ce qui a été dit pendant la journée ?
M. René VALLADON - Oui et non, dans la mesure où le Premier
ministre a déclaré avoir pris la mesure des interrogations et des
interventions des uns et des autres. La concertation a eu lieu pendant cette
journée et ensuite le Premier ministre a pris ces décisions. La
manière dont il a pris ces décisions ressort du jugement
politique et le Sénat peut s'exprimer là-dessus, et c'est
peut-être un des objets fondamentaux de votre enquête, mais pour
autant il m'est difficile, moi, de dire que le Premier ministre a
décidé, je vais employer un mot excessif, de manipuler les
partenaires sociaux. Nous avions tous entendu le discours introductif de
politique générale du Premier ministre du 19 juin, qui pour nous
est la référence d'un premier ministre quand il prend ses
fonctions, et nous n'avons pas senti un décalage profond entre ce
discours et ce qu'il nous a annoncé le 10 octobre à la fin de la
réunion.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Mme Biaggi, vous avez dit que vous ne pouvez pas
tellement vous prononcer parce que vous n'avez pas vu l'étude
économique.
Mme Michèle BIAGGI - Nous n'avons pas à notre disposition
d'étude économique sur des prévisions.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Est-ce que le Gouvernement a mis des
études économiques à votre disposition ?
M. René VALLADON - Nous connaissons les études de l'OFCE. Nous
sommes, quant à nous, dubitatifs sur la qualité de ces
études. Pourquoi ? Parce que ces études sont toujours de niveau
macro-économique. Nous avons le sentiment qu'entre les décisions
micro-économiques au niveau de l'entreprise et les conséquences
qu'on en tire au niveau macro-économique, les interactions sont toujours
un peu hardies.
C'est M. Malinvaud qui le dit, lui qui est beaucoup plus expert que nous tous
réunis, qui est peut-être l'économiste le plus
honoré en France en matière de statistiques, et qui
s'inquiète justement du trou béant qu'il y a entre la micro et la
macro-économie. Personnellement, nous n'avons pas été
convaincus par l'étude de l'OFCE qui repose sur un certain nombre de
présupposés, d'hypothèses sur la baisse des salaires et
des compensations automatiques, auxquels nous ne croyons pas trop. Nous n'avons
pas du tout été convaincus par les différentes
études de M. Brunhes sur la loi " de Robien ". Et nous
pensons
qu'en fait, à partir du moment où on touche les choses sociales
dans la vie de l'entreprise, il est toujours un peu présomptueux de
vouloir en tirer des conséquences macro-économiques dans la
mesure où tout le monde dit que l'économie procède de la
psychologie et je ne suis pas sûr que la psychologie soit compatible avec
des règles de 3.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Mme Biaggi, vous nous avez dit que ce qui vous
préoccupait finalement, et je vois là l'imprégnation
keynésienne du secrétaire général, c'est plus de
salaire, plus de consommation ; mais n'y a-t-il pas une contradiction entre le
supplément de salaire -et donc le supplément de consommation qui
va appeler un supplément de production, certainement- et l'idée
de réduire le temps de travail ?
Mme Michèle BIAGGI - Je ne pense pas qu'il y ait contradiction
là-dedans. A partir du moment où les salariés ont un
pouvoir d'achat qui se développe, ils pourront développer de la
consommation. Et à partir du moment où on développe la
consommation, on créera de nouveaux emplois pour satisfaire cette
consommation qui se développe.
M. René VALLADON - Je voudrais compléter par deux observations.
Nous avions sollicité, nous, le CNPF depuis longtemps pour discuter des
heures supplémentaires. Les études de la DARES et de l'INSEE
donnent des chiffres très discordants puisque le total des heures
supplémentaires déclarées, et beaucoup ne sont pas
déclarées pour des raisons évidentes de bon sens ou pour
d'autres raisons, est entre 90.000 et 230.000 emplois équivalents
temps plein.
Actuellement, beaucoup de salariés font des heures
supplémentaires pour compléter le salaire, mais nous avions,
nous, le souhait que le recours à ces heures supplémentaires soit
mieux réglementé pour que cela ne devienne pas un mode de gestion
normal de l'entreprise et que cela corresponde vraiment à ce que cela
aurait dû rester : faire face à un coup de chauffe dans
l'entreprise, mais que cela ne devienne pas un mode de gestion normal.
Est-ce qu'on parle de la durée légale ou de la durée
effective du travail ? A partir de là, je crois que les choses auraient
été beaucoup plus clarifiées.
Quand on regarde la réalité, quand on regarde ce que nous disent
nos amis de la métallurgie, actuellement il y a plus de deux tiers des
salariés qui sont en dessous des 39 heures, qui sont à 36 ou 35
heures, quand on regarde la réalité du monde du travail on se
rend compte qu'il y a un grand nombre de salariés qui, eux, n'aspirent
qu'à faire des heures supplémentaires pour des raisons de
salaire, et d'autres qui aspirent à faire les 35 heures.
Nous parlions des exclus. Une étude récente DARES montre que dans
ce pays 11 % des salariés sont maintenant à moins de 3.500 F
par mois. Alors, on peut faire des discours savants sur les trappes à
chômage ou les trappes à inactivité, mais voilà 10 %
des salariés qui ne gagnent pas plus que la moitié des
chômeurs.
A partir de là, la question pour nous n'était pas
forcément de réduire le temps de travail, mais c'était :
ces salariés, eux, ont besoin de travailler plus. C'est pour cela que
quand nous évoquons le 10 octobre, au départ, les salaires, c'est
parce que non seulement cela correspond à l'ordre du jour, mais nous
avons le sentiment, à travers les rencontres quotidiennes ou
hebdomadaires que nous avons avec nos syndicats, que leurs premières
revendications sont de nature salariale avant d'être sur la durée
du travail.
J'ajouterai enfin que nous avons actuellement déjà réduit
le temps de travail à travers le chômage partiel, et une des
vraies questions qui nous reste posée est : de quoi on parle ? De la
durée légale ? De la durée conventionnelle ? De la
durée réglementaire dans les entreprises ou de la durée
effective ?
Je trouve que c'est un débat qui a été enclenché de
manière un peu idéologique au printemps dernier, sans pour autant
qu'on soit suffisamment précis sur ce qu'on voulait faire.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Dans le prolongement de cette observation, ne
faudrait-il pas essayer d'aller vers l'annualisation du temps de travail ?
Certaines activités ont un caractère hautement saisonnier et on
pourrait combiner la réduction de la durée légale et
l'annualisation du travail. Si vous y souscrivez, est-ce que cela veut dire
qu'il faut exercer une pression plus vive sur la négociation et
prévoir dans la loi des dispositions particulières ?
M. René VALLADON - Dans beaucoup d'activités par nature
saisonnières, l'annualisation existe. C'est vrai pour le tourisme,
l'agriculture.
La deuxième chose, c'est qu'il faut bien regarder la totalité des
dossiers. Je me souviens d'un rapport sénatorial sur la
flexibilité où le rapporteur avait déclaré, et je
crois qu'il avait fondamentalement raison, que finalement la flexibilité
avait pour objet essentiel d'empêcher l'embauche, et je crois que c'est
vrai. Je lis une interview récente du président de STRAFOR dans
les Echos récemment, qui dit la même chose : " pour moi,
l'aménagement du temps de travail a pour objet d'éviter
d'embaucher pour faire en sorte que ma masse salariale soit juste à
temps ".
A partir de là, nous avons bien conscience du fait qu'avec la politique
des flux tendus, des zéros stocks, les entreprises sont de moins en
moins maîtres de leur plan de charge, et personne ne peut être
opposé à une sorte de souplesse dans l'organisation du temps de
travail.
Mais deux autres problèmes se posent. Tout d'abord, les problèmes
de salaires. On sait bien que pour beaucoup d'entrepreneurs, l'annualisation du
travail pourrait entraîner une annualisation du salaire.
Immédiatement cela remet en cause toute la pratique salariale parce que
cela veut dire intégration de toutes les primes et heures
supplémentaires dans le salaire annuel. C'est un problème
incontournable. Il serait intéressant que vous puissiez avoir des
éléments de la part des responsables syndicaux du
cuir-textile-habillement qui, au-delà des problèmes de
compétitivité que vous connaissez mieux que moi, sont
probablement ceux qui ont le plus essayé, de bonne foi, de jouer cette
carte et qui maintenant en sont vraiment désespérés parce
que cela s'est traduit par des reculs importants en matière salariale.
Et puis enfin, on a un vrai problème de niveau de négociation.
Pourquoi sommes-nous attachés à la négociation de branche
? Parce que cela permet la loyauté de la concurrence, cela évite
le dumping entre entreprises sur la masse salariale. La vision que nous avions,
nous, historiquement partagée depuis la Libération, c'est que les
entreprises doivent acquérir de la compétitivité par les
investissements et les nouvelles technologies, mais pas au détriment de
la masse salariale. La négociation exclusivement ramenée à
l'entreprise va poser un problème identique à celle de la loi
" de Robien ". Je prends votre département, Monsieur le
ministre, je pourrais prendre la Corse ou les Yvelines ; je suis une entreprise
de plomberie. Il y a 20.000 heures de plomberie à faire dans
l'année dans les Yvelines. Ma collègue est aussi entrepreneur de
plomberie. Moi j'applique la loi " de Robien ". J'ai une
masse
salariale de 40 % plus faible et donc j'emporte tous les marchés
parce qu'elle ne sera pas compétitive.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Il faut donc supprimer les aides publiques.
M. René VALLADON - Nous y sommes relativement favorables, encore que,
comme c'est une drogue, il faut organiser la sortie. Nous n'avons jamais
pensé qu'une aide publique pouvait faire quelque chose.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Toute aide publique est une distorsion.
M. René VALLADON - Ce que je conteste dans le rapport Brunhes sur la loi
" de Robien ", c'est qu'il va compter les emplois que j'ai
maintenus
et créés dans mon entreprise, mais il ne va pas comptabiliser les
emplois perdus dans l'entreprise de ma collègue. C'est le rôle de
la commission des comptes de la Nation, et le directeur de la prévision
a rappelé que dans ce pays, on détruit et on crée 2
millions d'emplois. Vouloir tirer d'une étude, qui porterait sur
0,5 pour mille, de grandes décisions, me paraît peu
raisonnable quant à la qualité de l'échantillon. Personne
n'a jamais fait un calcul global de ce que la loi " de
Robien " a,
d'un côté, permis d'éviter comme licenciements, mais aussi
de ce qu'elle a entraîné comme suppressions.
Cela entraîne une distorsion de la concurrence.
M. Alain GOURNAC, président - C'est ce que dit M. Blondel.
M. René VALLADON - Tout à fait.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Dans mon département quand, dans une
entreprise de confection, se rassemblent les mères de famille qui n'ont
que cela comme revenu, leur problème est de savoir si demain elles
seront encore compétitives par rapport à ce qui se fabrique au
Maroc, en Europe centrale ou ailleurs dans le monde. Il faut quand même
qu'on mette quelques bémols dans nos revendications sociales, aussi
légitimes soient-elles, compte tenu du fait que le marché s'est
soudainement ouvert et que nous y sommes complètement immergés.
Quand les gens vont faire leurs courses, ils prennent ce qui est le moins cher.
M. René VALLADON - C'est vrai. Il y a des études sur la
mondialisation depuis un certain rapport qui a défrayé la
chronique, et elles sont plus optimistes concernant le bénéfice
emplois créés/emplois perdus, même si cela reste discutable.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Il y a beaucoup de langue de bois dans ce
monde-là. On ne veut pas voir la réalité, on ne veut
toucher à rien et on veut nous convaincre que nous serons tous
ingénieurs informaticiens.
M. René VALLADON - Tout à fait. La vraie question est la
suivante : avons-nous les moyens, ou la volonté surtout, de
défendre un modèle social européen dont nous pourrions
avoir la maîtrise dans la mesure où nous sommes autonomes à
92 %, ou est-ce que nous acceptons tous, comme le livre blanc de M. Delors en
93 sur la compétitivité, le fait que nous devons aligner notre
compétitivité, y compris sur la masse salariale, sur le reste du
monde ?
Je pense que là, il est urgent que le modèle social, mis en avant
par le Président de la République au G 7 de Lille, soit
déterminant.
Nous ne croyons pas, parce que ce serait réactionnaire et
inquiétant, que ce soit par une diminution continue des niveaux de
protection sociale ou de niveau de vie de tous les pays européens, que
nous allons nous en sortir. Force est de constater que c'est malheureusement un
chemin que nous avons pris depuis quelques années, faute d'avoir une
Europe politique, mais c'est un autre sujet.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Au G 7 social de Lille, le Président de la
République avait pris une position très volontariste, mais il
faut avouer que nos partenaires exprimaient des opinions nuancées sur la
pertinence de ce modèle.
M. René VALLADON - Je ne parlerai pas de Luxembourg.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - La difficulté est de faire partager notre
propre modèle par nos partenaires. Il faut quand même être
réaliste, cela me paraît peu vraisemblable.
Mme Michèle BIAGGI - On essaie de le faire à travers la
Fédération européenne des syndicats. Nous essayons de
faire avancer tout ce que l'on peut faire avancer.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Je pense que vous ne serez pas disposés
à signer de nombreux accords concernant le gel ou la réduction
des salaires ?
M. René VALLADON - Non. Ceux qui ont été signés
parce que les gens ont signé le revolver sur la tempe ont beaucoup de
difficultés dans leurs entreprises. Ils sont contestés par les
salariés.
Les premiers accords sur la réduction des salaires sont maintenant assez
anciens, et il serait intéressant de voir le nombre d'entreprises qui
ont survécu.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous avez dit que la fonction publique devait
pouvoir tirer profit de la réduction du temps de travail. Et comme il
n'est pas question de réduire les salaires, est-ce que cela implique une
création d'emplois dans la fonction publique ?
M. René VALLADON - On a mis 12 ans pour appliquer les 39 heures à
la fonction publique. Va-t-on mettre 12 ans pour y appliquer les 35
heures ?
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Des gains de compétitivité
pourraient être faits, qui rendraient inutile tout recrutement...
Mme Michèle BIAGGI - Il y aura des créations d'emplois dans la
fonction publique, certainement.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Comment les financez-vous ?
M. René VALLADON - Nous pensons que nous devons travailler sur le
numérateur, mais aussi le dénominateur. Quand nous discutons avec
nos amis syndicalistes étrangers, la notion de crise est une notion
européenne.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Ce n'est pas seulement une notion, c'est une
réalité.
M. René VALLADON - Et quand on voit les taux de croissance des autres
pays, on se dit très clairement que manifestement nous sommes en train
de rentrer dans un cercle vicieux dû à cette politique
d'austérité, qui fait que progressivement l'Europe est, de toutes
les régions du monde, celle qui a le taux de croissance le plus faible.
Et qui dit taux de croissance faible, dit difficultés sociales, dit
besoin pour l'Etat de pallier ces difficultés, pour l'Etat ou pour les
protections sociales, voire les mouvements caritatifs, et qu'il y a un
épouvantable effet de ciseaux entre l'absence de création de
richesse liée à la faiblesse de la croissance et les moyens de
répartition de cette richesse à travers les amortisseurs sociaux
et l'Etat. Et cet effet de ciseaux commence à produire des effets qui
nous inquiètent, comme la manifestation des chômeurs.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Le plus inquiétant, au départ, ne
serait-il pas d'avoir laissé un jour les pouvoirs publics s'abandonner
au déficit public ? Qu'est-ce qui légitime qu'on dépense
plus qu'on ne reçoit ?
M. René VALLADON - Je ne suis pas sûr...
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - La politique sociale c'est très bien, mais
est-ce bon de financer cela à crédit ?
M. René VALLADON - On ne peut pas comparer un Etat avec une entreprise
ou un ménage. On manque d'études, mais est-ce que la politique
sociale des 30 glorieuses n'a pas contribué de manière
intense à la croissance économique ? Je crois que si.
On produit des richesses et on les répartit, mais la manière dont
on gère la répartition des richesses influe aussi sur la
croissance de ces richesses.
En 92, quand a été signé le traité de Maastricht,
nous avions un déficit budgétaire de 2 %, un endettement de
33 %. C'est probablement d'autres choses qu'il faudrait regarder et
notamment l'absence de coopération économique au niveau
européen, la politique monétaire suivie par le gouverneur de la
Banque de France.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - A l'époque c'était le Gouvernement
qui fixait la politique monétaire.
M. René VALLADON - L'indépendance de la Banque de France date de
1994. Je ne suis pas sûr qu'il y ait eu beaucoup de différence
entre la politique de M. Trichet avant et après son
indépendance, ni que cette politique n'ait pas transcendé les
alternances politiques. Je constate que la politique monétaire
française soulève l'incompréhension des autorités
monétaires.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Dans un pays qui a vu son déficit passer
de près de 4 % à pratiquement l'équilibre, ils ont
créé dix millions d'emplois. Le déficit n'est pas un gage.
M. René VALLADON - Non, mais ils ont une politique différente de
la nôtre.
M. Alain GOURNAC, président - Je voulais attirer votre attention sur le
problème du travail au noir. C'est un point important et c'est grave
pour tous ceux qui sont dans l'entreprise et qui payent toutes les taxes. Tout
à l'heure vous parliez de la compétitivité à propos
de la plomberie. J'avais envie de parler d'une autre personne à
côté qui aurait fait la plomberie au noir.
Ne pensez-vous pas que la réduction du temps de travail va amplifier
cette pratique qui, pour moi, est grave, du travail au noir dans ce pays. On
s'aperçoit que certains fonctionnaires travaillent au noir. Chez moi,
dans mon département, certains pompiers travaillent au noir.
Mme Michèle BIAGGI - Ce n'est pas un bon exemple. Les pompiers sont
souvent vacataires. Ils ont besoin d'un complément de salaire.
M. Alain GOURNAC, président - Oui, mais pas par le travail au noir. Il
faudrait qu'ils aient un travail différent. Moi je parle du travail
clandestin, sans payer aucune taxe, et cela a fait un mal terrible à nos
PME-PMI et à nos artisans.
Ne pensez-vous pas que quand on va donner la liberté, on va dire : eh
bien moi j'ai du temps, et je vais essayer de mettre un peu plus de pouvoir
d'achat chez moi ?
Mme Michèle BIAGGI - Ne croyez-vous pas que du côté des
organisations patronales il faudrait qu'elles regardent dans leur propre
boutique ? Si les employeurs ne pratiquaient pas ce genre de chose, les
salariés seuls n'iraient pas le faire.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Il y a maintenant des gens qui se sont
organisés pour diriger des entreprises clandestines. Il paraît
même chez les sapeurs-pompiers. Il faudrait dissiper toutes ces rumeurs.
M. Alain GOURNAC, président - Je vois chez moi les policiers et les
pompiers, 60 à 70 % dans le département des Yvelines font du
travail au noir, peinture, jardin, bricolage.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Toute tolérance par rapport à ces
pratiques est une hypocrisie à laquelle ne survit pas une nation.
Quand on met la règle à un niveau trop élevé et des
contraintes trop fortes, ou bien on délocalise ailleurs que dans le
territoire national, ou bien on prend le maquis.
M. René VALLADON - Pour notre part, nous ne sommes pas certains que les
35 heures auront pour conséquence de faire travailler les
salariés 4 heures de moins.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Si demain, dans la confection en Mayenne, il faut
faire des heures supplémentaires avec repos compensateur, les
entreprises fermeront.
M. René VALLADON - Sur la base de 35 heures cela fait 2,6 % en plus de
masses salariales, c'est-à-dire un an ou deux de négociations
salariales. Je ne suis pas sûr que demain les salariés de ce pays
travailleront 35 heures. La durée légale du travail a
été fixée à 40 heures en 36, et aujourd'hui la
durée moyenne est encore supérieure à 40 heures. Je ne
suis pas sûr qu'on puisse traduire durée légale par
durée réelle.
M. Alain GOURNAC, président - J'ai une dernière question à
vous poser parce que je veux que nous soyons bien d'accord : pour vous, dans
les revendications des salariés qui sont au syndicat FO, vous avez bien
dit que la première priorité n'est pas la réduction du
temps de travail, mais une amélioration des salaires.
Mme Michèle BIAGGI - Du pouvoir d'achat, des salaires, des retraites et
des minima sociaux. Et notre deuxième revendication est l'extension du
système de cessation anticipée d'activité.
M. Alain GOURNAC, président - Vous ne ressentez pas chez vos
adhérents une priorité pour la réduction du temps de
travail.
M. René VALLADON - Non, et en tout état de cause nous ne sentons
pas une volonté de négociation dans la mesure où la
méthode choisie laisse un peu pantois nos délégués.
Comment négocier quelque chose si deux ans plus tard de nouvelles
règles interviennent concernant les heures supplémentaires ?
M. Alain GOURNAC, président - Nous vous remercions car il était
important d'entendre votre avis. Vos collègues des autres syndicats vont
venir parler. Nous aurons une table ronde cet après-midi à partir
de 15 heures.
Merci d'avoir apporté votre contribution à notre enquête.
D. TABLE RONDE ÉCONOMIQUE
M. Alain GOURNAC, président - J'accueille nos
invités de cet après-midi.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Claude
Seibel, directeur de la Direction de l'animation de la recherche des
études et des statistiques (DARES), M. Michel Didier,
président de Rexecode, M. Alain Gubian, chef de la mission analyse
économique à la DARES, M. Jacques Freyssinet, directeur
de l'Institut de recherche économique et sociale (IRES), M. Olivier
Favereau, professeur de sciences économiques à Paris X
Nanterre, directeur de l'unité Forum au Centre national de la recherche
scientifique (CNRS), et M. Gérard Cornilleau, directeur adjoint à
l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Nous procédons à de nombreuses auditions, et cet
après-midi nous avons souhaité avoir avec vous une table ronde.
Il est nécessaire que chacun puisse s'exprimer, en ne respectant
peut-être pas ce qui se fait dans les auditions en général,
mais se donner plus de liberté. Il sera tout à fait important
qu'au début chacun puisse donner une vue générale de son
positionnement, mais en aucun cas, vous êtes ici devant la Commission des
affaires sociales qui aura à étudier la loi quand elle viendra au
Sénat. Pour l'instant, comme l'intitulé l'indique, nous essayons
d'enquêter sur les conséquences de la décision prise par le
Gouvernement -qui est prouvée par des lignes budgétaires dans le
budget de cette année- de réduire à 35 heures la
durée hebdomadaire du travail.
Il est important de vous dire qu'en aucun cas on ne viendra analyser les
articles de la loi qui seront analysés prochainement ici. Nous voulons
échanger et essayer de donner une certaine dynamique à notre
propos.
Avant de donner la parole à M. Claude Seibel, qui s'exprimera de
façon générale, je souhaiterais que notre rapporteur
puisse intervenir.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Merci, Monsieur le président.
Messieurs, je vous remercie d'avoir accepté de prendre part à cet
échange qui doit, dans toute la mesure du possible, être
interactif. Notre préoccupation est d'éclairer la position que
devra prendre le Parlement quand le projet de loi portant réduction de
la durée hebdomadaire légale du temps de travail viendra en
discussion au Sénat, et de prendre appui sur une diversité et une
pluralité de points de vue.
Notre question fondamentale est de savoir si la réduction du temps de
travail hebdomadaire légale est de nature à créer de
l'emploi et à nous aider à aller vers plus de cohésion
sociale, plus de plein emploi, et de permettre à chaque Français
en âge de travailler de s'insérer dans le monde du travail.
Il y a -je le constate- au fil des auditions successives, des diversités
de points de vue et des appréciations contrastées. Nous voulons
comprendre et être en mesure de permettre au Sénat de
décider en pleine connaissance de cause. Il n'y a, par ailleurs,
aucun
a priori
de notre part. Nous souhaitons, comme tous les
Français, plus d'emplois.
Cette orientation, cette réduction à 35 heures de la durée
légale du temps de travail, est-elle de nature à créer des
emplois et, si tel est le cas, quelles sont les conditions qui peuvent assurer
le succès d'une telle initiative ?
M. Claude SEIBEL - Monsieur le président, Monsieur le rapporteur,
Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie d'avoir
souhaité la participation à cette table ronde que vous organisez
sur la réduction du temps de travail, du directeur de la DARES et du
ministère de l'Emploi et de la Solidarité, et du chef de la
mission analyse économique au sein de la DARES.
Je ne doute pas que les débats très riches que vous instaurez au
sein de cette commission d'enquête vous permettront de clarifier, de
préciser ce thème du temps de travail et de sa réduction
au moment où le Gouvernement s'apprête à déposer un
projet qui sera examiné en première lecture à
l'Assemblée nationale, le 27 janvier.
J'évoquerai trois points dans les 10 minutes initiales que vous
souhaitez pour chacun des membres de la table ronde.
La nécessaire clarification des concepts de durée du travail.
L'évolution de la réduction de la durée du travail de 1993
à 1998 (en espérant ne pas être trop rapide, donc
caricatural).
Le bilan statistique de la loi du 11 juin 1996 dont nous disposons depuis
quelques jours et dont je vous donnerai la primeur.
Sur le premier point, je serai bref. Nous avons mis à votre disposition
toutes les notes dont nous disposons sur ce thème, notamment les deux
chapitres du bilan économique et social élaboré
conjointement par la DP, l'INSEE et la DARES, bilan présenté aux
partenaires sociaux, le 3 octobre.
Dans ces textes, nous avons essayé de clarifier (voir, en particulier,
dans l'encadré n° 1 de la fiche n° 6) les concepts de
" durée légale ", " durée offerte "
avec leur dimension collective, " durée effective " du
travail
qui renvoie à une notion individuelle de temps effectivement
travaillé.
Je suis sûr que la Commission d'enquête parviendra à
préciser toutes ces articulations conceptuelles, et notamment le statut
de la " durée légale " qui, dans de nombreux cas, reste
éloigné de la " durée offerte " ou de la
" durée effective ", et ce, dans de nombreuses entreprises
et
pour bon nombre de salariés.
Faut-il rappeler qu'entre la fixation de la durée légale à
40 heures en 1936 et la " durée offerte " en moyenne pour
l'ensemble des salariés, il s'est écoulé 46 ans avant que
cette moyenne ne coïncide avec la durée légale.
Pour certaines entreprises, la moyenne reste structurellement supérieure
de 1 à 2 heures à 40 heures,
a fortiori
à
39 heures. Dans ces conditions, parler de 35 heures obligatoires -comme je
l'entends actuellement- c'est se croire revenu en 1936.
Concernant le deuxième point, l'évolution du thème de
1993 à 1998, j'ai observé avec beaucoup d'intérêt ce
qui s'est mis en place depuis 5 ans avec la loi quinquennale et son article 39,
la relance des négociations interprofessionnelles de 1995, à la
demande du Gouvernement, aboutissant à l'accord des partenaires sociaux
du 31 octobre 1995, puis un certain nombre de signatures d'accords de branche
dans le cadre du protocole du 31 octobre 1995, ainsi qu'un bilan fait
par le groupe Cabanes de mai à septembre 1996, tandis que
parallèlement, le Parlement votait le 11 juin 1996 la loi dite
" de Robien ". J'étais dans cette salle lorsque
M. Souvet
a présenté le rapport qu'il proposait à la Commission des
affaires sociales sur la loi dite " de Robien ".
Il est très frappant, dans la double expérimentation sociale,
qu'a constitué d'une part l'article 39 de la loi quinquennale, puis les
suites de l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995, que la
préoccupation du développement de l'emploi n'ait pas
été celle des partenaires sociaux au sein des entreprises et des
branches. Ainsi, nous savons -première étape- que l'article 39 de
la loi quinquennale a été mis en oeuvre dans 13
établissements dont 9 appartiennent à la même entreprise.
Ensuite -deuxième étape-, ceci est bien montré par les
phrases prudentes du rapport Cabanes qui analysait les conséquences et
le bilan de la mise en oeuvre de l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995.
Je vous cite ce texte :
" On ne pouvait attendre que, dans un délai bref, les partenaires
résolvent toutes les difficultés et conviennent
immédiatement de fortes réductions de la durée du travail
génératrice d'embauches nombreuses. Il est, par contre, capital
que, dans des termes renouvelés, le problème ait
été largement débattu. Il est non moins important que des
accords partiels ou modestes du point de vue des perspectives de
création d'emplois aient été conclus ".
En réalité, la modestie des accords est un qualificatif
très optimiste, et quand on analyse ce qui a été conclu
dans la quarantaine de branches qui ont signé des accords dans le
prolongement du 31 octobre 1995, on voit qu'ont été mis en oeuvre
des accords d'aménagement du temps de travail, mais avec un effet emploi
quasi nul.
Ce résultat ne doit pas étonner puisque nous connaissons par
plusieurs études les obstacles qui, au sein des entreprises, existent
pour s'engager à la fois vers une réduction collective du temps
de travail et un développement de l'emploi.
L'étude qui est distribuée actuellement sur les stratégies
des entreprises et des salariés des services face à la
réduction du temps de travail -étude que la DARES a
publiée en mai 1995- fait bien apparaître ces obstacles.
Pourtant -troisième étape-, la donne est complètement
renouvelée à mon avis à partir de la loi du 11 juin 1996.
Nous nous apercevons que, fin décembre -ceci continuera en janvier et
février- 1.700 entreprises ou établissements regroupant environ
1,2 % des salariés du privé, exactement 187.000 salariés,
se sont engagés dans un accord, puis une convention autour de la loi du
11 juin 1996, aussi bien sur son volet offensif que défensif.
Dans mon troisième point d'intervention, je commenterai donc les
principales conclusions de l'analyse que nous avons faites à la DARES
sur 2/3 de ces accords dont vous avez la primeur, car elle n'a pas encore
été diffusée à la presse.
J'insisterai sur 4 conclusions :
- La réduction du temps de travail s'est faite en majorité
relative sur la seule réduction de la durée hebdomadaire mais,
comme le montre le tableau du document qui vous est remis, en page 4 de la
première des deux notes, l'annualisation sous toutes ses formes est
présente dans la moitié des conventions défensives -51 %
des cas- et dans 40 % des conventions offensives.
- Très faible est le nombre d'entreprises qui n'ont pas mis en place en
même temps que l'accord une réorganisation du travail qui semble
dans certains cas assez profonde.
On voit que moins de 20 % des conventions ne comportent pas de
réorganisation pour ce qui concerne le volet défensif et 25 %
pour le volet offensif. Nous retrouvons une cohérence avec l'analyse de
la réduction du temps de travail, puisque 55 % des cas de
réorganisation s'appuient sur des dispositifs qui permettent de moduler
l'activité selon les fluctuations de la demande ; 50 % pour les
offensifs et 65 % pour les défensifs.
L'augmentation de l'amplitude d'ouverture est aussi une forme de modulation
pour un meilleur suivi de la demande, tandis que l'augmentation de la
durée d'utilisation des équipements aussi présente et
serait plutôt une meilleure modulation de l'offre.
- L'évolution des salaires : l'étude permet de bien
préciser le jeu conjoint qui a existé pour deux mécanismes
: l'un est celui du maintien intégral, partiel ou pas du tout des
salaires, et l'autre celui d'un gel qui serait éventuellement
appliqué sur une durée variable selon les accords
négociés par les entreprises.
Le maintien intégral dans l'immédiat des
rémunérations est plus fréquent pour le volet offensif que
dans le volet défensif mais, en revanche, le gel des
rémunérations est plus fréquent pour les conventions
offensives que défensives. C'est un chiffre que je crois tout à
fait important : au total, seuls 20 % des salariés se trouvent dans
la situation de maintien intégral des salaires sans gel
ultérieur.
- Enfin, dernier point important dans la logique de la commission
d'enquête, celui des créations nettes attendues pour l'emploi ou
du maintien de l'emploi. Là, nous avons un pourcentage de 11 % d'emplois
en moyenne par rapport à l'effectif couvert, ce chiffre étant
plus élevé pour les conventions défensives où le
maintien de l'emploi couvrirait 44 % des sureffectifs déclarés
dans la convention FNE.
Pour finir, je ferai deux remarques :
- A la différence d'autres mesures de politique d'emploi, la
réduction de la durée du travail rendue possible par la loi du 11
juin 1996 s'est accompagnée de négociations intenses, entreprise
par entreprise, avec des engagements précis en matière de
création d'emplois au niveau de l'accord, puis au niveau de la
convention. Nous avons l'intention de faire le point de la
réalité de ces créations par une étude
ad
hoc
sur un échantillon d'entreprises au cours de l'année 1996.
- Ma deuxième remarque servira de transition sur les aspects
macro-économiques de la réduction de la durée du travail.
Nous savons que l'aide de l'Etat était importante dans le cadre de la
loi du 11 juin 1996. Elle était même plus
élevée que le point d'équilibre nécessaire entre
salariés, entreprises et pouvoirs publics. Or, les décisions
micro-économiques prises établissement par établissement
valident bien les thèmes que nous jugeons essentiels au plan
macro-économique pour que la réduction de la durée du
travail s'accompagne de création d'emplois : lien avec la
réorganisation du travail, meilleure prise en compte de la demande et de
ses fluctuations, mécanisme de compensation partielle sur les salaires,
que les entreprises ont négocié avec leur personnel, d'une part
en maintenant partiellement ou totalement les rémunérations mais,
d'autre part, en freinant, voire en gelant, les hausses de salaires sur une
période variable au cas par cas.
Voilà les principaux résultats que l'on peut tirer à ce
stade d'une expérience portant sur 1.040 conventions, expérience
qui doit être méditée quand on s'engage dans la discussion
du projet de loi qui sera présenté au Parlement.
M. Alain GOURNAC, président - Merci à M. Seibel, la parole est
maintenant à M. Michel Didier.
M. Michel DIDIER - Merci, Monsieur le président.
Je me situerai au niveau de la question des conséquences
économiques des " 35 heures ", en raisonnant en
économiste, et en essayant de donner mes analyses, sinon " mes
vérités ", car on est dans un domaine où la
vérité est évidemment relative.
Il me semble que, face à la question des conséquences
économiques de la décision de réduire à 35 heures
la durée du travail, notre devoir d'économiste est double : il
convient certainement de tenter d'apporter aux responsables politiques tous les
éclairages méthodologiques dont nous pouvons disposer au travers
de nos expériences et de notre connaissance, mais également
d'être extrêmement clairs sur les limites de nos instruments.
Personne n'imagine plus, me semble-t-il, que l'ensemble des salariés
puissent travailler moins sans contreparties dans l'équilibre
macro-économique, et celles-ci doivent être examinées.
De ce point de vue, je voudrais évacuer une des idées qui a
circulé selon laquelle le coût d'une mesure de réduction de
la durée du travail -car il y en a un- pourrait être
financé par un rééquilibrage de la répartition de
la valeur ajoutée, par une sorte de prélèvement sur les
profits vers la masse salariale.
Si la part des salaires dans la valeur ajoutée est aujourd'hui plus
basse qu'au début des années 70, elle a retrouvé son
niveau du début des années 60, avant le choc salarial de mai 1968
et avant la grande vague d'inflation de 1967 à 1987, ce qui fait que la
référence du début des années 70 ne me semble pas
bonne.
Depuis presque 10 ans, la part des salaires dans la valeur ajoutée est
stabilisée. Les choses ressemblent à une sorte de retour à
la normale.
Plutôt que sur un partage macro-économique constaté
ex-post, qui ne correspond à aucun comportement, ou objectif de
comportement, des entreprises, il faut raisonner sur les vrais
paramètres d'objectif des entreprises, et notamment sur l'objectif qui
est la rentabilité ou comme disent les économistes, la
profitabilité, à savoir la rentabilité diminuée du
coût de l'argent.
Sans entrer dans un détail sur ce sujet qui est un préliminaire,
mais qui est essentiel car il peut fausser le débat sur la suite selon
le point de vue que l'on adopte, on constate que, malgré une
amélioration certaine depuis une dizaine d'années, la
profitabilité globale des entreprises françaises reste
aujourd'hui sensiblement au-dessous de son niveau d'il y a 25 ans, donc
au-dessous de celui du début des années 70.
J'ajoute que le niveau comparé de la profitabilité des
entreprises françaises et des entreprises d'autres pays concurrents,
notamment des grands pays, n'est pas favorable à nos entreprises. Nous
avons un " gap " de profitabilité. Or, il apparaît
clairement que profitabilité, investissement et emploi sont
corrélés. On le voit sur l'ensemble des cycles passés.
Reprise de l'investissement et création d'emplois ne seront acquises
qu'au travers de nos nouveaux gains de profitabilité et certainement pas
au travers d'une amputation de la profitabilité.
De sorte que des mesures qui auraient pour effet, même si ce n'est pas
leur objectif premier, de faire rechuter en France la profitabilité des
entreprises seraient à coup sûr négatives pour
l'investissement, la croissance et l'emploi.
En conclusion de ce préliminaire, si la baisse de la durée du
travail devait entraîner des redistributions -et elle en entraînera
certainement-, c'est à l'intérieur de la formation du coût
salarial qu'il faut raisonner, donc que les changements doivent être
examinés. Cela marque -nous le verrons- les limites de l'exercice.
Ces observations préliminaires étant posées, la question
est la suivante : peut-on apprécier la réaction du
système économique à une forte baisse de la durée
du travail ?
M. Claude Seibel l'a annoncé, la réponse dépend beaucoup
de la nature de la baisse dont on parle, des modalités de la baisse et
des réactions des acteurs économiques, ce qui montre l'ampleur
des scénarios possibles en réponse à une telle baisse.
J'examinerai personnellement trois situations, sachant que toute situation
intermédiaire est possible, pour typer les différentes
réactions du système économique qui me paraissent
possibles.
Premier cas, volontairement extrême et maximal, serait le cas dont on a
parlé et beaucoup de Français l'ont compris et le
comprennent encore, ainsi d'une réduction de la durée effective
du travail de 39 heures à 35 heures payées 39.
Cela représente potentiellement un choc de coûts du travail
" ex ante ", avant réaction du système, de 11,4 %, la
hausse du coût de l'heure de travail nécessaire pour compenser la
baisse de la durée du travail dans une enveloppe de production
inchangée.
Ce serait un choc tout à fait majeur, supérieur à celui du
début des années 80 qui avait cumulé, certes, une baisse
de la durée du travail d'une heure qui s'ajoutait à de fortes
hausses du SMIC, des hausses de taux de cotisations sociales et des hausses
salariales et au deuxième choc pétrolier.
Nous serions dans les mêmes ordres de grandeur. Or, ces chocs -je le
rappelle- avaient été à l'époque suivis d'une perte
de compétitivité massive de l'économie française,
d'une forte augmentation du chômage, puisque le taux de chômage
augmente de 1980 à 1986 de 4 points -presque 1 million de
chômeurs en plus- et d'un recul industriel sans précédent,
que nous avons enrayé depuis en compensant un certain nombre des mesures
prises, mais nous n'avons pas effacé les résultats. Les pertes
industrielles de l'époque sont toujours inscrites dans notre
système productif.
Aujourd'hui, les contraintes seraient bien plus grandes qu'elles ne
l'étaient à l'époque, car nous avons renoncé
à l'arme défensive de la dévaluation qu'il a fallu
utiliser deux fois à l'époque, et la concurrence
mondialisée est bien plus intense qu'il y a 10 ou 15 ans.
Pour que l'expérience des années 80 nous soit utile, il faut
faire autrement, en garder à l'esprit les conséquences et
notamment l'idée qu'un choc d'une ampleur comparable, même s'il
était étalé, aurait aujourd'hui des conséquences du
même type et se traduirait par un nouvel affaiblissement de notre
système productif, par de nombreuses disparitions d'entreprises et des
suppressions d'emplois en grand nombre.
J'ajoute, ayant dit cela, comme hypothèse maximaliste, que
l'hypothèse d'une hausse du coût du travail de 11,4 % ne prend pas
en compte les réactions des entreprises qui chercheraient à
compenser ce choc. C'est une menace extrême mais une menace tout de
même, et la question du SMIC, qui n'est pas aujourd'hui clarifiée,
montre que cette menace n'est pas totalement conjurée.
Pour tenter d'apprécier la suite, c'est-à-dire les
conséquences économiques d'une baisse de la durée du
travail, il faut spécifier plus précisément les
hypothèses retenues quant à ses modalités et aux
réactions des acteurs économiques.
C'est là que je vais donner deux autres scénarios possibles
à titre illustratif, ou deux autres hypothèses :
Le cas où la durée légale est ramenée de 39
à 35 heures, la durée effective restant inchangée, comme
dans les 46 ans mis dans le passé pour que la durée effective
rattrape la durée légale. Si c'était l'objectif, il faut
clairement l'annoncer.
Dans ce cas, puisque rien n'est changé, sur quantité de travail
produite par les salariés, les conditions physiques de la production
sont " ex ante " inchangées. On peut admettre que la
production et la quantité de travail fournies dans le pays sont les
mêmes, mais un élément nouveau est d'ordre
institutionnel ; 4 heures par semaine deviennent des heures
supplémentaires payées 25 % plus cher que les heures normales. Il
en résulte que l'on a mécaniquement une hausse des charges
salariales que l'on peut calculer à 2,6 % au titre des majorations
pour heures supplémentaires. Mais ce n'est pas tout, car on sait aussi
que les heures supplémentaires ouvrent droit dans notre
législation actuelle -qui n'est pas modifiée dans le projet de
texte, en plus de la majoration des heures du prix des heures
supplémentaires, à un repos compensateur obligatoire.
Dans les entreprises de plus de 10 salariés, le repos compensateur
obligatoire est de 50 % du temps de travail, au-delà de 42 heures.
Je passe sur le détail du système qui est dans les textes actuels
pour venir aux conséquences. Quel serait l'effet d'une baisse de la
durée légale à 35 heures ?
Prenons le cas d'une entreprise dont l'horaire habituel est aujourd'hui de
39 heures par semaine ; si la durée légale passe
à 35 heures, et si la durée effective n'est par ailleurs pas
modifiée, 4 heures par semaine deviendront des heures
supplémentaires, ce qui conduit pour une année de 47
semaines à 4 h x 47 = 188 heures supplémentaires.
Le repos compensateur obligatoire futur dépendra des seuils qui seraient
retenus au-delà de l'an 2000 mais, pour l'instant, on peut imaginer deux
types d'hypothèses :
- Les seuils actuels sont maintenus, c'est-à-dire 130 heures de
contingent annuel pour la compensation à 50 % par an, au-delà des
42 heures (devenues 41 heures dans la prochaine proposition de loi) et 39
heures pour la compensation à 100 %.
Si l'on maintient cela, il n'y aura pas de repos compensateur obligatoire et
l'on reste aux 2,6 %.
Si, en revanche, les seuils hebdomadaires sont indexés comme dans la loi
actuelle sur la durée légale en maintenant les 130 heures, mais
en abaissant les seuils hebdomadaires à 38 heures et 35 heures,
c'est-à-dire la durée légale et la durée
légale plus 3 heures, le repos serait calculé à 50 %
au-delà de 38 heures pour 47 semaines, soit 23 heures et demie, et
à 100 % pour les 58 heures au-delà du contingent annuel de
130 heures. Cela donne au total un surcoût du travail de 4,5 % qui
s'ajoute aux 2,6 % au titre des majorations d'heures complémentaires.
Je ne sais pas ce qui résultera d'une loi qui sera soumise dans 2 ans.
Selon ce qu'elle sera, il pourra en résulter un accroissement du
coût horaire de l'heure productive qui serait compris entre 2,6 % et
7,1 % par le jeu des mécanismes de majoration et de compensation.
Si l'on applique à ces chiffres une élasticité de l'emploi
par rapport au coût du travail que je fixe très forfaitairement
à - 0,5 % -augmentation du coût du travail et baisse de
l'emploi-, cela donnerait à terme pour l'économie
française des pertes d'emplois de 150.000 à 350.000 postes
de travail selon l'hypothèse retenue sur les seuils.
Voilà le résultat de cette hypothèse, à savoir
celle d'une baisse de la durée légale sans baisse de la
durée effective. Je ne pense pas que ce soit l'objectif
recherché.
Il faut passer au troisième scénario, celui de la baisse de la
durée légale avec baisse de la durée effective. Là,
les effets sont incertains, mais on peut essayer de les probabiliser. Ce cas
explore les conséquences d'une baisse de la durée légale
avec une diminution encouragée, voire plus ou moins contrainte de la
durée effective.
Les conséquences sont plus difficiles à apprécier, car se
posent des questions des effets de productivité horaire et de la
compensation salariale, en laissant de côté le problème que
l'on peut voir à part de l'impact de l'engagement des finances publiques
dans cette affaire. Je raisonne donc en termes d'économie globale,
indépendamment de l'argent public.
Du côté de la productivité, il est très probable
que, face à une baisse de la durée effective, les entreprises
s'efforceraient d'augmenter la productivité et qu'elles y arriveraient,
car il y a toujours des gains potentiels de productivité possibles.
Je nous invite à rester prudents sur ces gains pour trois raisons :
L'" effet Sauvy " jouerait pour des entreprises, à savoir le
fait qu'elles perdraient de la production. Bien que le contexte
macro-économique traduise du sous-emploi, il y a toujours, même
dans des économies de sous-emploi, des entreprises en limite de
capacité, voire en pénurie de personnel. C'est le cas d'une
grande partie de l'informatique qui, si elle était rationnée dans
ses horaires, ne pourrait que baisser son niveau de production. D'autres
secteurs, comme le bâtiment, qui ont des problèmes de fluctuations
d'activité, ne retrouveraient pas ce qu'ils ont perdu dans la baisse de
la durée légale. Ces conséquences se traduiraient
marginalement peut-être par un demi point ou un point de production en
moins lié à des rationnements quantitatifs.
Par ailleurs, la pression actuelle sur la productivité est
déjà très forte dans l'économie française.
Il ne faut jamais l'oublier. Il convient de tenir compte des prix stables,
d'une inflation 0, ou en baisse dans l'industrie, avec des hausses salariales
annuelles de l'ordre de 2,5 % par an.
Il y a un effort permanent de productivité des entreprises, et il ne
faudrait pas commettre l'erreur de considérer que les 2,5 % de
productivité par an pourraient être affectés à
compenser la baisse de la durée du travail. Il faudrait gagner encore 1,
2, 3 ou 4 points de productivité en plus.
Est-ce vraisemblable pour la totalité de l'économie ? C'est
certainement possible pour un certain nombre d'entreprises qui actuellement ont
déjà des décisions de baisse de la durée du
travail, mais la généralisation à l'ensemble de
l'économie paraît hasardeuse. La seule façon
d'éviter une augmentation du coût du travail est effectivement de
faciliter la réalisation des gains de productivité horaires les
plus élevés possible.
Tous les responsables d'entreprises interrogés répondent et
indiquent que, pour y parvenir, une souplesse est nécessaire et
indispensable dans la gestion de leur production et de leur emploi. Il faut
pouvoir répondre à une demande fluctuante, parfois
imprévisible -un marché qui arrive, un réassortiment dans
le textile par exemple- et, de ce point de vue, il me semble qu'il y a un assez
large accord pour considérer que la contrainte de la durée
hebdomadaire est beaucoup plus forte que la contrainte d'une durée
annuelle. De sorte que les gains de productivité possibles seraient plus
importants si l'on raisonnait en termes d'une durée annuelle du travail
qui pourrait baisser. Je ne comprends pas pourquoi, ce consensus étant
aujourd'hui quasiment général, on ne dit pas clairement qu'il
faut poser d'emblée dans ce débat la question de l'annualisation
des horaires pour laquelle M. Claude Seibel a rappelé que, dans beaucoup
d'accords de cette nature, c'était un élément important de
l'accord.
Je ne comprends pas qu'on ne le dise pas collectivement, car c'est un point
important qui pourrait contribuer à débloquer certaines
situations, et le flou sur ce point n'est pas utile.
J'en terminerai par la compensation salariale. L'autre inconnue importante des
résultats qui conditionne l'impact de la baisse du travail est la
compensation salariale. Le Gouvernement a suggéré la
modération. C'est une voie nécessaire. Peut-on imaginer que la
modération soit suffisante pour qu'elle permette d'absorber en quelques
années une partie du choc initial ?
C'est une voie recommandée, mais il faut reconnaître que, dans le
contexte macro-économique dans lequel nous sommes et nous serons dans
les années à venir, à savoir une inflation à 1 ou
1,5 % et d'une hausse salariale à 2,5 %, ce que l'on peut gagner par de
la modération salariale est faible chaque année. Une partie de
l'ajustement doit être absorbée par de la modération
salariale sans baisse. Alors, il faut des années. C'est une bonne voie,
mais c'est nécessairement long.
Si l'on veut aller vite, la baisse de durée du travail envisagée
ne peut avoir un effet positif sur l'emploi que s'il y a des baisses effectives
de salaire au moment du basculement, et la question que je pose -mais je n'ai
pas la réponse- est la suivante : est-ce vraiment probable à
l'échelle macro-économique ?
Il faut enfin réfléchir au cheminement -point essentiel-, quoi
qu'il arrive de la durée effective. Si la baisse de la durée
légale intervenait brutalement entre 2000 et 2002, pendant plusieurs
années la durée effective sera supérieure à la
durée légale au cours de laquelle on va se trouver dans mon cas
n° 2, avec des surcoûts horaires du travail liés à
l'écart entre la durée effective et la durée
légale. Ces surcoûts seraient négatifs pour l'emploi.
Il y a peut-être un chemin, un ensemble de conditions qui, si elles se
trouvent toutes réunies, permettraient d'arriver à combiner la
baisse de durée du travail et l'emploi, mais il y a aussi beaucoup plus
de combinaisons possibles dans lesquelles cette baisse de la durée du
travail se traduirait par des éléments défavorables
à l'emploi, c'est-à-dire par des réactions rationnelles
des agents micro-économiques, dont le jeu combiné aboutirait
à une stagnation de l'emploi, voire à un recul. Un risque de
cette affaire serait qu'elle apporte un avantage nouveau aux salariés en
place sans apporter véritablement de l'emploi. Ce ne serait pas la
réussite de l'opération.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie.
M. Daniel PERCHERON - Monsieur le président, je poserai une question
à Rexecode. Il a pris position sur 1981 -c'est une comparaison
décisive par certains aspects- en affirmant -en oubliant la
cinquième semaine de congés payés et la retraite à
60 ans- que nous n'avions pas effacé la perte de marchés
industriels de 1981.
Peut-il nous faire parvenir les chiffres exacts, car c'est un thème que
je ne connais pas et, dans le débat, peut-il préciser comment
cela s'articule-t-il avec le commerce extérieur français
d'aujourd'hui ?
M. Alain GOURNAC, président - Je passe la parole à M. Gubian.
M. Alain GUBIAN - J'aborderai la situation sous un angle économique en
insistant sur les conditions de réussite de la réduction de la
durée effective du travail et en montrant comment les paramètres
du projet de loi peuvent aller ou non dans ce sens.
La réduction du chômage -on est largement d'accord- ne viendra pas
de la simple amélioration de la conjoncture et s'il faut une croissance
la plus forte possible, si elle est souhaitable et souhaitée, elle ne
peut suffire à effacer une part importante du chômage. Cela avait
déjà été bien mis en évidence dans la
préparation des travaux du 11ème plan en 1992. Même avec
une croissance de 3,5 % pendant 5 ans, il y aurait encore beaucoup
à faire.
Le thème classique est la question de l'enrichissement de la croissance
en emplois. Il faut, par point de croissance, avoir plus d'emplois. Une
méthode discutée elle-même dans cette préparation du
11ème plan a été largement mise en oeuvre. C'est la
question de la politique d'allégement du coût du travail par la
partie non salariale et la baisse des charges sur les bas salaires. Les effets
-on le sait- peuvent être importants, mais on sait également
qu'ils sont lents et que le coût est relativement élevé
à court terme même si à moyen/long terme ces mesures sont
relativement efficaces et moins coûteuses. L'analyse de la DARES fait
apparaître que les effets sont de l'ordre de 60.000 emplois pour 10 GF
non financés par le déficit budgétaire.
L'enrichissement de la croissance en emplois peut aussi être obtenu par
la réduction du temps de travail individuelle ou collective, et ces
mêmes travaux du plan montraient en 1992 la possibilité de jouer
sur le temps partiel, qui s'est depuis développé fortement,
et l'impact du temps partiel dans l'évolution de l'emploi des 4 à
5 dernières années est clairement démontré.
Cela explique une partie importante de l'emploi de ces dernières
années, au-delà de ce que la croissance explique, mais on sait
que cela s'accompagne d'un développement important des
inégalités salariales.
Dans les mêmes travaux du Commissariat général du Plan, il
était montré qu'une réduction collective de la
durée du travail pouvait avoir des effets potentiels importants sans les
mêmes inconvénients en termes d'inégalité salariale,
mais qu'il fallait afficher des conditions strictes pour qu'elle puisse
être mise en oeuvre.
Ces travaux ont été complétés par des travaux de
l'OFCE, de Messieurs Cette et Taddéi et la DARES a souhaité,
dans le cadre de la réflexion sur le projet de loi, disposer de travaux
nouveaux qu'elle a commandés à la Banque de France et à
l'OFCE pour remettre ses calculs d'actualité et voir quelles
étaient les conditions d'équilibre. Ils seront disponibles dans
quelque temps quand ils seront terminés.
Les conditions sont bien connues, et je voudrais les rappeler. Il s'agit que
l'évolution des salaires horaires, au moment de la réduction de
la durée du travail, soit largement proportionnée aux gains de
productivité associés à la réduction de la
durée du travail -cette productivité supplémentaire par
rapport aux gains tendanciels dont parlait M. Michel Didier-, l'emploi
étant fonction de ces mêmes gains de productivité.
Il y a plus de possibilités salariales s'il y a plus de gains de
productivité et moins d'emplois. Une petite marge pour
l'évolution des salaires tient aux aides financières
accordées par les pouvoirs publics.
En tout état de cause, cette première condition signifie que les
coûts salariaux doivent être maintenus. C'est la position que l'on
a retracée dans les travaux de la DARES et dans ceux associés au
rapport Cabanes l'an dernier. Les coûts unitaires de production
inchangés doivent être la référence de travail.
Deuxième condition : la baisse de la durée du travail
entraîne une baisse de la durée d'utilisation des
équipements. Il faut qu'alors soient mises en oeuvre des
réorganisations pour qu'il n'y ait pas cette réduction de la
durée d'utilisation des équipements, sinon on a une baisse de la
production ou une augmentation du coût du capital pour cette même
production.
Ils mettent également en évidence qu'au niveau
macro-économique il existe un niveau d'aide qui est l'aide
d'équilibre. Une fois que la durée du travail est réduite
et s'est diffusée complètement, il faut que la dépense
budgétaire soit financée par les effets induits sur les budgets
sociaux, c'est-à-dire la réduction des dépenses
d'assurance chômage et les suppléments en termes de cotisations.
Il y aura une dépense affichée au compte de l'Etat, mais des
ressources supplémentaires dans les comptes des organismes sociaux et
d'assurance chômage. L'aide peut être calculée sur un
certain nombre de paramètres ; une réduction de l'ordre d'un
point des cotisations par heure, sous certaines hypothèses de gains de
productivité de l'ordre d'1/3. Une fois que cette aide est
définie, une certaine hausse des salaires horaires est possible pour que
les choses se passent à coût salarial inchangé, mais cette
compensation salariale ne peut être totale.
Les économistes partagent largement ces réflexions. Ils ne
s'accordent pas sur les paramètres à mettre en avant, et souvent
les économistes théoriciens sont plus sévères, car
ils pensent que les exigences salariales à long terme ne seront pas
tenues, mais il s'agit là d'un fait empirique lié à une
situation sociale donnée.
Cette hausse des salaires horaires qui ne doit compenser qu'en partie, l'effet
sur le salaire mensuel de la réduction de la durée du travail
doit être perçue dans une logique dynamique et pas
forcément instantanément, mais la manière dont l'aide est
conçue peut le faciliter.
Une fois que ces conditions sont respectées, il y a
schématiquement une situation d'économie française plus
riche en emplois, sans tension inflationniste supplémentaire. Ce n'est
pas quelque chose que l'on sait forcément faire, mais que l'on peut
mettre comme référence pour la discussion. On peut ensuite mettre
en oeuvre des mesures pour tendre vers cette référence. Il faut
expliquer ce que l'on veut ; c'est ce cadre à stabilité
macro-économique donnée. C'est ce qui a été fait
dans le cadre du rapport Cabanes mais aussi pour évaluer, pendant la
mise en place de cette mesure, les effets de la loi " de
Robien " en
1996, à la DARES par exemple.
Peut-on penser que les hypothèses qui sont dans le projet de loi
présenté par le Gouvernement répondent à ces
conditions mises en avant ?
Quand on parle de l'effet sur l'emploi de la réduction de la
durée du travail, il faut savoir quelle sera cette réduction
effective. J'insisterai sur le fait que la durée légale n'a
aucune conséquence directe sur la durée effective du travail et
qu'il y aura une orientation.
Compte tenu qu'il y aura surcoût pour les heures supplémentaires,
il est probable qu'un certain nombre d'entreprises souhaiteront abaisser leur
durée du travail -elles ont un certain temps, 2 ou 4 ans selon les types
d'entreprises- et, dans le temps précédent, elles
bénéficieront d'une aide financière relativement
importante qui leur permet de faire ce choix mais, de fait, il restera en 2000
à 2002 des entreprises à 39 heures qui
préféreront payer des heures supplémentaires,
générer peut-être des gains de productivité pour que
les coûts ne soient pas trop importants. Et il y aura des salariés
à temps partiel qui réaugmenteront leur durée du travail,
car ils sont à durée faible et qu'ils la subissent. La
durée moyenne sur l'ensemble des salariés sera inférieure
à la baisse de la durée légale, pour cette raison
notamment.
Va-t-on baisser la durée du travail effectivement sur un champ
important ? La question est durablement ouverte. Il faut une
crédibilité forte dans la baisse de la durée légale
et que les aides soient largement mobilisées dans la période
transitoire.
J'insiste sur le fait que les conditions économiques de croissance
favoriseront la diffusion d'une réduction de la durée du travail.
C'est dans ces moments-là que peuvent se faire facilement des
réorganisations, et avoir une croissance relativement soutenue pendant
les 2, 3 et 4 ans qui viennent ou une stagnation de l'activité,
changeront la donne.
La réduction de la durée du travail pourrait être un
élément favorable ou défavorable à la croissance
selon la manière dont le scénario s'enchaînera.
Concernant le calibrage de l'aide telle qu'elle est aujourd'hui, si l'on
retient des gains de productivité dans la moyenne d'une fourchette large
25 %/50 %, des gains de productivité de l'ordre d'1/3, liés
à la réduction de la durée du travail, les effets sur
l'emploi direct sont de l'ordre de 7 % pour une baisse de 10 % effective.
Aussi, on peut dire que l'aide d'équilibre est de l'ordre d'un point par
heure, et si on la ramène en francs, il s'agit de 5.000 F par
salarié.
C'est le chiffre retenu dans le projet dans la version la plus standard de
baisse à 10 % et, à titre de comparaison, l'aide de la loi
" de Robien " était, dès la deuxième
année, de l'ordre de 9 points de cotisation, puisque c'était
30 % des cotisations patronales. On est donc à plus du double de ce
point d'équilibre, sans que la sortie du dispositif soit
explicitée, puisqu'il y avait 7 années de réduction
de cotisation.
S'il y avait généralisation très forte de la baisse de la
durée du travail via le système actuel, le coût
budgétaire important serait à financer par des recettes
supplémentaires. En orientant au niveau structurel vers le point
d'équilibre, on signifie qu'
a priori
, au niveau de l'ensemble des
finances publiques -ce qui est pertinent du point de vue des critères de
Maastricht-, on n'a pas ce problème financier à terme, à
condition que les hypothèses soient valables, mais on pourra en reparler.
Le profil de l'aide est intéressant ; il est dégressif. On
passe de 9.000 F à 5.000 F en 5 ans et,
a priori
, il y
a une stabilité à 5.000 F. Cela signifie un surcoût dans un
premier temps, mais, à l'inverse, une facilité pour les
entreprises, à gérer dans la négociation, puisque c'est le
mode proposé pour réduire concrètement la durée du
travail, les problèmes salariaux en lissant la compensation puisque
l'aide de l'Etat est de moins en moins forte. A court terme, il y a
possibilité que la compensation salariale nécessaire à
terme soit plus favorable. Ce système dégressif va dans ce sens
et atténue le surcoût salarial qui aurait lieu s'il n'y avait pas
ce système plus fort à court terme.
Je reviendrai dans la discussion sur ces points.
Le point important dans cette affaire vient du fait que la réduction de
cotisation est en francs et non pas en pourcentage. Il est intéressant
de voir que le total de l'aide est un pourcentage plus grand quand le salaire
est plus faible et que, d'une manière ou d'une autre, cela favorise les
emplois peu rémunérés et/ou peu qualifiés, soit
parce que cela facilite la compensation salariale, soit parce que cela va dans
le même sens qu'une aide générale au travail peu
qualifié.
L'aide est dégressive dans le temps. Elle est de moins en moins
importante au fur et à mesure que l'on s'approche de la baisse de la
durée légale, de sorte que cela va dans le sens d'une incitation
à la réduction rapide avant la baisse de la durée
légale.
J'interprète cela comme un élément qui devrait conduire
à ce qu'un maximum d'entreprises soient déjà à 35
heures au moment où la nouvelle durée légale s'appliquera,
de sorte que le surcoût lié aux heures supplémentaires sera
moindre.
Je terminerai par le calibrage des créations d'emplois. Dans la loi
" de Robien ", une fourchette, symboliquement, pouvait
paraître
séduisante -moins 10 %/plus 10 %, ou moins 15 %/plus 15 %-,
avec l'idée que, du fait que l'on était sur des chiffres
comparables, il n'y avait pas de gains de productivité. On avait le
maximum d'effet sur l'emploi.
Ceci est complètement faux puisque les entreprises sont libres
d'utiliser ou non la loi " de Robien " ou la future loi. Ce
ne sont
pas toutes les entreprises qui choisissent ces aides et cette méthode de
réduction de la durée du travail, mais celles pour lesquelles il
y a un intérêt particulier. Beaucoup augmentent leur emploi et
d'autres le réduisent. Il est probable que beaucoup d'entreprises ont
utilisé la loi " de Robien " -on n'a pas les moyens de le
mettre en évidence- dans la version offensive, quand elles
étaient sur une tendance de leurs effectifs relativement croissante, de
sorte que quand on fait moins 10 %/plus 10 %, quand déjà on doit
faire plus 5 %, cela engendre des gains de productivité et, à
l'inverse, si l'on devait faire 0, cela apporte peu de gains de
productivité. Si vous avez moins 4 % d'effectifs à
réaliser cette année et que vous faites moins 10 %/plus 6 %, vous
êtes dans la même condition que si vous faites moins 10 %/plus
10 % par rapport à 0 d'effectif.
Le moins 10 %/plus 6 % est en fait une manière d'ouvrir le champ
à un plus grand nombre d'entreprises dans le volet offensif, comme dans
le volet défensif, de sorte qu'il est pertinent de garder pour l'analyse
de la loi " de Robien ", comme pour l'analyse du projet de
loi
bientôt en discussion, des gains de productivité relativement
comparables. On ne sait pas combien concrètement, mais 1/3 peut
paraître pertinent pour la réflexion.
A partir de là, il en résulte que le coût net, une fois
pris en compte les retours financiers dans les comptes publics, s'avère
relativement inférieur dans ce projet à celui de la loi " de
Robien ", mais la contrepartie réside dans le fait qu'il implique
une modération salariale plus forte puisque l'aide donnée aux
entreprises étant moindre, la gestion dans la négociation des
évolutions de rémunération doit être plus
précise, sachant que, pour la loi " de Robien ", -cela a
joué pour les grandes entreprises qui ne l'ont pas tellement
utilisée- il aurait fallu en sortir au bout de 7 ans. Pour les
entreprises qui ont un horizon d'analyse long, et qui font de grands
investissements, cette rupture n'est pas facile à gérer.
M. Jacques FREYSSINET - Je propose de réfléchir devant vous sur
deux questions.
Première question : s'agissant de la décision de
réduire à 35 heures la durée hebdomadaire du travail, elle
ne constitue pas une décision autonome. Elle est prise dans un
" paquet ", un projet de loi, où ses effets seront
combinés avec d'autres. Il est difficile de réfléchir sur
ses conséquences si l'on n'introduit pas des éléments
d'analyse sur les aspects de complémentarité ou de contradiction
entre les différents éléments du dispositif.
Deuxième question : Si l'on se donne comme objectif de réduire la
durée du travail pour créer des emplois -il s'agit de la
durée effective-, la réduction de la durée légale
est-elle un instrument utile et nécessaire pour réduire la
durée effective ?
Concernant le premier point, l'insertion d'une disposition spécifique
" réduction de la durée légale dans un projet de
loi ", il faut se rappeler que, depuis 1982, l'ordonnance du
16 janvier dite " 39 heures cinquième semaine "
était plus complexe et avait introduit cette nouvelle orientation. Les
pouvoirs publics interviennent sur la durée du travail en combinant
trois techniques : la modification des normes légales, le transfert du
pouvoir normatif à la négociation et la procédure du
conventionnement avec les entreprises. Il est important de bien noter que les
mécanismes d'action sont assez profondément différents, et
notamment le type de dynamique que cela introduit avec les acteurs
économiques et sociaux.
Cela a été dit -je le mentionne elliptiquement-, la durée
légale du travail n'exerce aucun effet homogénéisateur et
contraignant sur les durées effectives. Seuls les maxima ou les
enveloppes maximales d'heures supplémentaires engendrent des
contraintes.
La durée légale, outre l'effet indirect qu'elle exerce en
positionnant les enveloppes d'heures complémentaires, engendre un effet
coût d'une part en provoquant les phénomènes de
déplacement du seuil des heures supplémentaires, et des repos
compensateurs de remplacement, le cas échéant et, par ailleurs,
d'une façon plus compliquée, en déplaçant
éventuellement le seuil du temps partiel fixé à 80 % de la
durée légale, et donc des tranches dans lesquelles on peut
bénéficier des exonérations temps partiel.
Il y a ces deux effets possibles par les coûts. Sur ce point-là,
le projet adopte des solutions prudentes. Pour les heures
supplémentaires, il y a cet engagement curieux à ce qu'au
maximum, dans la deuxième loi, elles soient fixées à un
taux de 25 %. Il n'y aura pas alourdissement des taux, mais déplacement
de l'espace dans lequel se situeront ces heures.
Concernant le temps partiel, la fourchette 32-28 qui risquait de tomber par
application du 80 % au nouveau seuil de 35 heures, est préservée
au moins dans la première loi, puisqu'il est indiqué que les
exonérations temps partiel seront maintenues pour cette tranche. Il n'y
aura pas d'impact négatif sur la possibilité de
bénéficier des exonérations pour les gens qui,
jusqu'à la loi, étaient à temps partiel et qui,
désormais, ne le seront plus au sens juridique du terme.
En plus, le projet de loi contient de légères restrictions sur le
type de temps partiel qui est porteur d'exonérations concernant la
période de référence qui ne pourra plus être
l'année, et le plancher qui est porté de 16 à 18 heures.
Au total, sur ce premier point, techniquement, il y a un
phénomène de renchérissement du coût relatif du
travail sur deux plages horaires 16 /18 qui perdent les exonérations
temps partiel, et 35 /39 qui déclencheront des heures
supplémentaires.
En revanche, pas de modification directe des contraintes maximales.
Deuxième composante : le transfert du pouvoir normatif à la
négociation collective. C'est un mécanisme beaucoup
utilisé depuis 1982, avec les accords dits dérogatoires, que
permettait l'ordonnance du 16 janvier, et ensuite avec la loi Seguin,
modulation de type 1 et 2, puis avec l'annualisation de la loi quinquennale.
Cette gamme de dispositions signifie que le législateur
délègue certains pouvoirs normatifs aux acteurs sociaux, à
condition qu'ils se mettent d'accord.
C'est un instrument important si l'on veut agir sur la durée
réelle. Dans ce domaine, la loi ne bouge pas beaucoup. Elle ne parle pas
d'annualisation mais dit explicitement que l'ensemble des dispositifs actuels
de flexibilité -les deux modulations, l'annualisation et le repos
compensateur facultatif de remplacement- sont maintenus. Il y a deux
adjonctions non négligeables : le fait que la réduction de
la durée du travail pourra être réalisée en tout ou
partie par des jours de congé ou en compte épargne-temps. C'est
un nouveau type de modulation et, concernant les libertés d'action pour
négocier, par suite de l'absence d'efficacité de l'accord du
31 octobre 1995 et de la loi de 1996 sur la possibilité, en
l'absence de délégués syndicaux, de désigner des
représentants à travers des systèmes de négociation
de branches, la loi valide la jurisprudence de la Cour de cassation sur la
possibilité de désignations directes.
Des organisations pourront désigner directement, en l'absence de tout
accord de branches, des signataires possibles de ces accords. Cela ouvre des
marges considérables que l'on peut apprécier positivement ou
négativement, mais qui changent sérieusement le panorama.
Troisième mécanisme d'intervention : le mécanisme
contractuel. L'Etat contracte avec une entreprise et lui offre des avantages
financiers pour autant que cette entreprise s'inscrit dans certaines normes
définies par la politique de l'emploi.
Nous connaissons cela depuis les contrats de solidarité -
réduction de la durée du travail de 1982. Des modifications ont
été apportées successivement, dont l'amendement Chamard et
la loi " de Robien ".
Je signale un point important. Ce mécanisme crée deux
mondes : le monde des entreprises qui appartiennent au champ, sont
candidates ou sont agréées, et vont avoir un système de
coût salarial particulier, et les entreprises qui sont, soit hors champ,
soit non candidates, soit non agréées, puisqu'il faut que
l'accord collectif soit suivi d'une convention avec l'Etat, et qui
fonctionneront avec un système de coût salarial différent.
Il y a une logique de la collectivité publique qui, considérant
que ce type d'accord a des effets externes positifs, ristourne à
l'entreprise une partie des effets positifs qu'elle engendre pour la
collectivité et dont on peut calculer le point d'équilibre.
Sur ce premier point, la loi n'apporte pas d'innovations majeures, mais une
combinatoire différente associée à une réduction
forte de la durée légale. Il faut remonter à 1936 pour
avoir une variation aussi forte mais, en 1936, cela avait été
initialement obligatoire sur le plan des durées effectives. Là,
c'est clairement du domaine de la durée légale, donc une
indication de volonté politique et une pression directe sur les
coûts relatifs qui, accompagnée du système d'incitation
contractuelle, entend infléchir de manière non contraignante les
choix des acteurs car leur système de prix et de référence
sera modifié.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous mettez en évidence une
problématique. Vous nous dites que des entreprises
bénéficiant d'aides publiques pourront pratiquer des prix sur des
marchés à des niveaux plus intéressants que ceux des
entreprises qui n'auront pas bénéficié de ces avantages.
N'y a-t-il pas avec ces mécanismes d'aides publiques des risques de
discrimination et de manquement aux règles élémentaires de
la concurrence ? En tant qu'expert, estimez-vous que les emplois que l'on
va créer dans le système aidé peuvent être au plan
global réduits par les pertes d'emplois qu'auraient à subir les
entreprises qui ne bénéficieront pas de ces aides ?
On voit le résultat : plus 12 % de chômage.
M. Jacques FREYSSINET - Ce n'est pas propre à notre pays, l'Etat adopte
de plus en plus souvent des rapports de type contractuel des entreprises. Ce
principe même crée des libertés de choix des entreprises,
la question étant de savoir quels sont les éléments du
choix de l'entreprise. Elle est libre d'être candidate ou pas. Elle fera
un calcul de rentabilité qui l'aidera pour mesurer les termes de son
avantage ou de son inconvénient ; elle choisit librement. Il y
aurait problème si, au niveau de la réponse de l'Etat il y avait
discrimination et si, face à des propositions différentes ou
à des accords de même nature, tantôt l'Etat acceptait la
convention ou tantôt ne l'acceptait pas.
Sous réserve de vérifier s'il y a bien une jurisprudence
homogène au sein des services extérieurs du Travail et de
l'Emploi concernant les signatures de conventions, sur le fait de laisser un
choix aux entreprises, à savoir qu'elles adoptent un comportement qui
leur posera des problèmes de réorganisation qui va engendrer des
coûts mais qui, ayant des effets supposés bénéfiques
pour la collectivité, va entraîner une ristourne qui peut
être fixée à l'équivalent approximatif des
économies sur les coûts des administrations de protection sociale,
personnellement je n'ai pas de problème.
J'aurais des problèmes s'il y avait des jurisprudences manifestement
inégales de la part de l'Etat concernant l'acceptation ou le refus des
conventions qu'on lui soumet.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Les jurisprudences sont souvent de la
médecine légale car, s'agissant de phénomènes
d'entreprises, ils vont très vite.
M. Claude SEIBEL - Il existe dans le cadre de l'application de la loi
" de
Robien " un nombre non négligeable d'entreprises qui ont
passé des accords mais non des conventions, et qui n'ont pas
cherché à avoir l'aide de l'Etat. Celles qui avaient
enclenché des mécanismes article 39 avant sa modification
n'avaient pas forcément intérêt à aller
jusqu'à une convention avec l'Etat.
M. Jacques FREYSSINET - Faut-il réduire la durée
légale ? Je me place dans l'hypothèse où les pouvoirs
publics considèrent que réduire la durée effective a un
effet positif sur l'emploi.
L'hypothèse est discutable mais je ne la traite pas ici, car nous
n'avons pas le temps et elle a déjà été
abordée par d'autres intervenants. Je réfléchis sur le
thème : " d'accord pour une réduction de la durée
effective à condition qu'elle soit librement négociée et
qu'il n'y ait pas de contraintes de l'Etat ".
Cet argument est-il pertinent ? De mon point de vue, si la
réduction de la durée effective était portée par la
négociation, ce serait évidemment la solution souhaitable et
efficace. La question qui se pose est celle de traditions de notre pays qui
font qu'aussi bien en longue période qu'en courte période nous
avons accumulé des échecs en ce domaine.
En longue période, nous voyons toute une série d'interventions de
l'Etat sur la durée légale ou maximale -travail des enfants, des
femmes, travail posté, de nuit- voire 48, 40, 39 ou 35 heures. Sauf une
exception : il n'y a pas depuis un siècle de négociations
collectives qui aient engendré une réduction sensible de la
durée effective du travail, l'exception étant les
négociations de branches qui ont suivi le protocole d'accord de Grenelle
de 1968 et qui ont en quelques années ramené approximativement la
durée effective au niveau de la durée légale. Ce sont ces
fameux gaps que signalait M. Claude Seibel.
Dans le courant des années 70, la durée effective tangente la
durée légale sous l'impact de la négociation de branches
déclenchée par le protocole d'accord de Grenelle.
C'est le seul exemple historique que nous ayons. Si on se rapproche de
l'actualité, depuis l'ordonnance de 1982, la loi Delebarre
mort-née, la loi Seguin, la loi quinquennale, toute une série de
dispositions élargissaient les conditions, le contenu de la
négociation dans l'objectif d'associer aménagement,
flexibilité du temps de travail et réduction du temps de travail.
La négociation d'entreprise s'est développée dans ce
domaine. Le nombre des accords sur le temps de travail a dépassé
pour la première fois 2.000 en 1986, 3.000 en 1993 et 4.000 en 1996.
Cependant, de 1983 à nos jours, la durée hebdomadaire
déclarée par les entreprises des travailleurs à temps
plein n'a varié autour de 39 heures que par des décimales. Nous
avons aujourd'hui pratiquement la même durée du travail à
temps plein affichée qu'en 1983.
Si l'on regarde les déclarations des ménages -une enquête
de 1994 fournit les chiffres les plus récents-, mis à part les
enseignants pour lesquels la durée du travail est un problème
complexe sur lequel je ne me permettrais pas d'ironiser étant
concerné, la durée de travail des salariés à temps
plein est de 41 heures en 1994.
Cela signifie qu'un effort constant d'élargissement des
possibilités de négociations collectives dans ce domaine depuis
l'ordonnance de 1982, et les étapes successives depuis plus de quinze
ans, n'ont eu aucun effet statistique perceptible sur la durée du
travail.
Nous avons quinze ans d'échec toutes tendances confondues sur le
mécanisme par lequel l'encouragement de la négociation pourrait
apporter la réduction effective de la durée du travail. Cela a
apporté de la diversification, de la flexibilité et de la
réorganisation, mais pas de réduction, sauf dans des cas
exemplaires intéressants et expérimentaux, dont il faut analyser
les mécanismes, mais que les statistiques ne permettent pas de
repérer car, comme vous le savez, la réduction de la durée
moyenne, tous salariés confondus, provient du temps partiel qui n'est
pas soumis à négociation collective. C'est un mécanisme
unilatéral sauf pour l'accroissement de l'enveloppe des heures
complémentaires.
Il est possible de dire de façon objective que, sauf transformation
assez profonde des conditions de la négociation collective dans notre
pays, il est aujourd'hui impossible d'imaginer que de façon autonome la
négociation collective apporte le résultat qu'elle a
été incapable d'apporter depuis quinze ans.
De ce point de vue, on peut penser que l'intervention normative qui n'a aucun
caractère contraignant et uniformisant, relève de la panoplie
d'influences indirectes que l'Etat peut mobiliser avec les autres instruments
que j'ai indiqués pour faire avancer un processus de négociation
collective qui demeure l'instrument nécessaire, le point de passage
obligé, mais qui depuis 15 ans est inopérant en ce domaine.
M. Olivier FAVEREAU - Je voudrais circonscrire le domaine de
légitimité de mon propos. Je suis économiste,
universitaire (plutôt théoricien) et je n'ai pas de
responsabilité officielle, sinon la direction d'une équipe de
recherche associée au CNRS qui comporte 40 chercheurs et 40
doctorants.
Ce que je vais dire va donc s'appuyer sur la théorie économique,
or ce n'est pas un corpus unifié. On peut, entre économistes,
diverger d'abord sur les hypothèses à formuler à
l'intérieur même d'un schéma d'analyse que l'on
partagerait, et l'on peut diverger ensuite sur les schémas d'analyse.
C'est la deuxième divergence, la plus grave, qui va m'intéresser
dans mon intervention. Cela dit, je ne voudrais pas donner l'impression que les
économistes professionnels sont divisés sur tout.
Sur la question de la réduction de la durée du travail et son
effet sur l'emploi, il faut bien distinguer le volet micro-économique et
le volet macro-économique. Le premier volet concerne les
réactions des acteurs concernés et au premier chef les
entreprises.
Le volet macro-économique, c'est l'addition de toutes ces
réactions micro-économiques et leur effet sur le volume de
l'emploi et du chômage.
J'ai le sentiment -ce que nous avons déjà entendu me conforte
dans ce sentiment- qu'il y a un relatif consensus entre les économistes
professionnels sur le volet macro-économique au niveau de tous les
mécanismes de passage, des réactions micro aux effets macro, de
la liste des canaux de transmission, par lesquels la réduction de la
durée du travail exerce des effets sur le niveau global
d'activité : le canal finances publiques, le canal comptes sociaux,
le canal demande de consommation, le canal demande d'investissements, le canal
effet sur les salaires et les prix et même le canal effet sur la
productivité.
S'il y a un relatif consensus sur la liste de ces canaux de transmission, il
restera des différences sur les hypothèses précises que
nous allons faire les uns et les autres. Néanmoins, même à
ce niveau, j'ai l'impression que les divergences sont relativement
limitées et les discussions qui ont déjà eu lieu vont
plutôt dans ce sens.
Je crois pouvoir dire qu'aujourd'hui entre tous les économistes
professionnels, les modélisations et les simulations
macro-économiques convergent vers un optimisme très
modéré quant aux effets des 35 heures sur le chômage.
Il devrait y avoir une réduction du chômage selon des jeux
d'hypothèses plausibles, une réduction sensible et non pas
massive. C'est un résultat qui est décevant pour les partisans de
la réduction de la durée du travail et pour ses adversaires, en
ce sens que cette mesure ne mériterait ni l'excès d'honneur, ni
l'excès d'indignité dont on a tendance à l'investir.
Il me semble donc que le jugement majoritaire chez les économistes
professionnels est mi-figue mi-raisin.
Le point de vue sur lequel je voudrais attirer l'attention de la commission est
très différent car, dans ce que je viens de dire, j'ai
laissé de côté le volet micro-économique. Or,
à ce niveau, il n'y a pas de consensus sur les schémas d'analyses
disponibles, ou plus exactement il y a de très réelles
différences entre les schémas d'analyses disponibles dans la
théorie économique contemporaine, et la non-prise en compte de
ces différences est pour beaucoup dans ce scénario mi-figue
mi-raisin qui ressort des simulations macro-économiques dont j'ai fait
état.
Il existe d'autres schémas d'analyse qui ne sont pas encore
mobilisés dans les modélisations macro-économiques
usuelles et qui sont de nature à élargir considérablement
l'éventail des résultats possibles.
La réduction de la durée du travail pourrait avoir soit des
effets beaucoup plus positifs qu'on ne le pense (c'est vraiment ce qu'il
fallait faire dans la situation actuelle), soit des effets beaucoup plus
négatifs (elle pourrait devenir une erreur de politique
économique d'anthologie). Sur quoi repose la divergence entre les
schémas d'analyse micro-économiques ?
Je vais me concentrer sur l'analyse de l'entreprise qui est l'agent essentiel.
Ce qu'est une entreprise est abusivement simplifié dans des
modélisations économiques ordinaires sur lesquelles tout le monde
s'appuie, y compris moi dans l'enseignement, quand il faut passer de la micro
à la macro-économie. La représentation de l'entreprise est
caricaturée de deux façons.
Premier élément : nous fonctionnons avec des firmes
représentatives pour l'économie ou éventuellement une par
secteur, alors que nous savons tous que les deux ou trois millions
d'établissements que l'on peut recenser se distribuent sur
l'échelle des tailles des plus petites -0 salarié, les plus
nombreuses- aux plus grandes -plusieurs dizaines de milliers de
salariés.
Il faudrait distinguer les entreprises de taille moyenne, les entreprises de
grande taille, et les entreprises de très grande taille où la
réduction de la durée du travail posera des problèmes
différents.
Il serait en vérité très difficile de modéliser le
passage de la micro à la macro en utilisant une multiplicité de
catégories d'entreprises, ou toute la distribution par taille des
entreprises, mais il faudrait le faire car, selon que la mesure de la
durée du travail sera ajustée à la variété
des entreprises ou pas, on se doute que le scénario positif sera encore
renforcé ou, au contraire, le scénario négatif sera encore
assombri ; cela dit, ce n'est pas le point essentiel.
Deuxième élément : l'entreprise est
représentée dans les modélisations usuelles, et pas
simplement en France, comme un agent individuel qui, dans ses choix techniques,
ses choix de production, ses choix d'emplois, d'investissements, doit respecter
une fonction de production, une fonction qui relie la quantité de
capital et de travail en intégrant les horaires et le nombre
d'équipes.
Cette représentation est battue en brèche par de nouveaux
schémas d'analyse en économie depuis le début des
années 70, et ces nouveaux schémas affectent très
directement le cadre dans lequel on peut réfléchir
scientifiquement sur l'effet micro-économique de la réduction de
la durée du travail.
Pour les amateurs, s'il faut un label sur ce déplacement, on pourrait
dire que cela fait partie de la mouvance institutionnaliste au sens le plus
large du terme. Cela recouvre aussi bien des choses très
mathématiques autour des contrats, des incitations, de la théorie
des jeux, des modes de coordination, que des travaux beaucoup plus qualitatifs
qui empruntent très souvent à la sociologie des organisations ou
la recherche en gestion.
De ce faisceau de travaux, il ressort deux très grandes idées.
Premièrement, ce qui fait tenir debout une entreprise -que l'on va
souvent appeler la culture d'entreprise-, c'est une sorte de contrat social, de
convention constitutive qui stipule implicitement le type d'équilibre
entre ce que l'entreprise attend du salarié et inversement.
Evidemment, cette dimension collective est écrasée par
l'idée d'agent individuel.
Deuxième grande idée : la compétence collective, ce que
l'on appelle parfois le métier de l'entreprise -tout ce qui
relève de l'organisation du travail, de l'articulation entre les postes
de travail, ou entre les postes et les équipements, et ainsi que de
l'architecture organisationnelle de l'entreprise- n'est pas bien
représentée par cette fonction de production qui a deux
très gros défauts : d'abord, dans notre jargon, nous disons que
la fonction de production est la frontière efficace de l'ensemble des
possibilités de production. C'est dire que les problèmes de
gestion au sens le plus large et noble du terme sont évacués de
cet outil de modélisation.
Par ailleurs, la fonction de production représente un état
statique dans lequel il sera difficile de faire entrer l'innovation, le
changement, les gains de productivité, sauf de façon
exogène.
Le métier d'une entreprise est beaucoup mieux représenté
par sa capacité d'adaptation ou, comme le dirait aujourd'hui, Michel
Crozier en France, Chris Argyris aux Etats-Unis, sa capacité
d'apprentissage organisationnel, à savoir la façon dont le
collectif de travail à tous les niveaux résoud les
problèmes internes et externes, petits et grands, qui sont son lot
quotidien. Cette nouvelle conception de l'entreprise à deux faces permet
de faire apparaître deux dimensions nouvelles dans l'impact des 35 heures.
En premier lieu, la dimension du pacte social, l'attitude des firmes
françaises aujourd'hui par rapport aux 35 heures proposées ou
imposées pour lutter contre le chômage est évidemment
à mettre en rapport avec le pacte social sur lequel repose toute
entreprise digne de ce nom.
Un accord sur les 35 heures ne serait pas un accord trivial, un accord
ordinaire, il obligerait la firme à se redéfinir par rapport
à ses salariés et par rapport à la société
tout entière. Oui ou non, l'entreprise se sent-elle pour partie au moins
responsable du destin de la collectivité nationale à laquelle
elle appartient ? Inversement, un refus d'accord militant sur les 35 heures ne
serait pas un refus d'accord ordinaire.
Les extrêmes vont s'étirer par rapport aux scénarios moyens
sur lesquels convergent tous les macro-économistes.
Si l'on est idéaliste, ce qui serait une erreur, toutes les entreprises
à leur façon, selon leurs possibilités, joueraient le jeu.
L'effet serait considérable sur le plan quantitatif et encore plus sur
un plan symbolique, en resserrant le lien entre salariés et entreprises,
lien qui est rongé à toute allure par la rouille du
désenchantement, de l'égoïsme à courte vue et du
mépris réciproque.
Si l'on est cynique, ce qui serait également une erreur, toutes les
entreprises refuseraient de jouer le jeu en signifiant par là qu'elles
ne se reconnaissent aucune responsabilité d'aucune sorte dans le
fonctionnement de la société française, effet
catastrophique sur le plan quantitatif et symbolique. Les extrêmes
s'étirent. C'était la dimension pacte social.
Maintenant, la dimension de l'apprentissage organisationnel - De toutes les
études de cas, notamment autour de la loi " de Robien "
émerge un diagnostic récurrent, presque
général : la réduction de la durée du travail
a été l'occasion de remettre à plat l'organisation du
travail dans l'entreprise, de reprendre le contrôle par tous les gens
concernés d'une situation de fait où les pratiques
s'étaient sédimentées, année après
année, sans aucune réflexion sur l'efficience du processus
d'ensemble.
Cet effet est complètement dissimulé par l'outil habituel des
économistes : la notion de fonction de production, et ne va
apparaître que de façon latérale à travers les
estimations de gains de productivité associés à la
diminution des horaires.
La bonne question à poser est alors la suivante : quel est le type de
réorganisation, d'apprentissage organisationnel associé aux 35
heures le plus susceptible d'exercer un effet positif sur l'emploi ?
Sachant que plus les réorganisations suscitent des gains de
productivité, plus les adversaires de cette mesure ont tort mais aussi
moins ses partisans ont raison dans la mesure où les gains de
productivité signifient moins de créations d'emplois.
La seule issue à ce dilemme est que l'embauche des salariés
supplémentaires aille de pair avec des réorganisations du travail
collectif renforçant la qualité des produits à volume et
prix constants.
Techniquement, comme nos indicateurs sont assez défectueux, on sait que
la productivité du travail va donner dans ce cas l'apparence d'une
diminution sans que pour autant la compétitivité de l'entreprise
diminue, puisque la qualité augmente à prix constant, ce qui
devrait d'ailleurs augmenter les ventes.
Cet effet de ciseaux démultiplierait l'effet positif sur l'emploi. Dans
notre jargon, le passage aux 35 heures pourrait être l'occasion d'un
accroissement de la coordination en qualité sur laquelle reposent les
entreprises. Telle est la version optimiste.
La version pessimiste : nous la voyons à l'oeuvre tous les jours. Il est
beaucoup trop coûteux de réfléchir sur l'organisation du
travail. Il est bien plus économique pour préserver la
compétitivité de diminuer les effectifs, même si les
profits sont corrects, et d'augmenter mécaniquement la charge de travail
des gens qui restent. Cela génère automatiquement des gains de
productivité à court terme.
J'ai suggéré en tant qu'économiste que la position de
notre profession en moyenne était légèrement favorable
d'un point de vue macro-économique, mais que cette sorte de
neutralité légèrement favorable venait d'une
représentation de l'entreprise, défectueuse, et qu'une
représentation plus correcte de la réalité de l'entreprise
ouvrirait l'éventail des effets possibles des 35 heures sur l'emploi,
ouverture qui, dans la situation présente, ne peut que rehausser la
responsabilité des politiques.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - De vos modèles économiques, vous
avez bien voulu nous dire qu'ils étaient perfectibles. Arrivez-vous
à appréhender distinctement celles des entreprises dont les frais
de personnels sont marginaux par rapport au chiffre d'affaires -je pense
à Toyota, de l'ordre de 10 %- et les entreprises comme les polisseurs de
lunettes dont le chiffre d'affaires couvre à peine deux fois les frais
de personnel ? Toute variation du coût du travail peut avoir des
conséquences désastreuses.
En tant qu'économiste, parvenez-vous à appréhender le
travail clandestin ?
M. Olivier FAVEREAU - Votre première question souligne la
variété des entreprises. Il faut la prendre en compte, car il est
évident que l'adaptation de chacun de ces types d'entreprises à
la mesure " réduction de la durée du travail " sera
différente.
Quant à la deuxième question sur le travail clandestin, s'il est
vraiment clandestin, il échappe à toute évaluation, et si
nous sommes capables de l'évaluer, il n'est pas tout à fait
clandestin.
M. Gérard CORNILLEAU - Monsieur le président, je reviendrai sur
les raisons qui ont conduit à cette proposition de passer à 35
heures, étudiée par les économistes depuis pas mal
d'années maintenant.
Si l'on souhaite réduire le chômage en France en 5 ans, pour le
ramener de son niveau actuel jusqu'au niveau de 7 %, soit une baisse de l'ordre
de 5 points, il nous faut, compte tenu de notre situation démographique,
de la croissance habituelle de la productivité du travail, une
croissance économique de 4 % par an en moyenne. Cela signifie des
pointes à 5 % et, pour passer le cap des mauvaises années qui ne
devront pas descendre au-dessous de 3 %, il faudra des pointes à 6 %.
Cette perspective est tout à fait exclue. M. Didier ne me contredira
pas, l'économie française ne connaîtra pas une croissance
de 4 % en moyenne pendant 5 ans au cours des années à venir.
Je n'ai pas le temps en 5 minutes de développer les raisons qui font que
ce taux de croissance n'est pas crédible. Dans une telle situation, il
ne nous reste qu'une chose à faire, si l'on souhaite une baisse du
chômage significative : partager le travail et les revenus.
Il y a, selon moi, trois solutions à cette question du partage du
travail et des revenus du travail.
La première consiste à laisser le marché partager le
travail. Si on le laisse fonctionner le plus librement possible, si l'on
supprime l'ensemble des entraves à l'embauche, au licenciement, et les
réglementations qui concernent les revenus minima, le SMIC par exemple,
vraisemblablement le marché du travail, tout seul, en faisant baisser
les salaires, puisqu'il y a excès d'offre de travail, fera diminuer le
chômage. Mais cela ne s'accompagnera pas d'une croissance des richesses
disponibles.
Des changements structurels feront que des types d'activités qui ne se
développent pas aujourd'hui vont apparaître. Ce seront des
activités à faible valeur et à productivité basse,
et l'on évoluera dans la direction du modèle américain
où la croissance de la productivité est très faible sans
que la croissance du produit soit plus élevée que chez nous. Nous
aurons laissé le marché partager le travail et les revenus du
travail.
La deuxième solution consiste à jouer sur la redistribution
indirecte au travers des mécanismes de fiscalité. Nous avons la
" chance " d'avoir un prélèvement élevé
sur les revenus du travail.
Je dis la " chance " car cela nous permet d'envisager de
réduire le coût du travail sans réduire les revenus de ceux
sur lesquels sont prélevées ces cotisations.
On pourrait, par ce biais, essayer d'avoir le beurre et l'argent du beurre,
c'est-à-dire une baisse du coût du travail sans baisse de revenu,
notamment des gens qui ont des bas salaires, car on pense que c'est pour eux
que le prix du travail est plus important. C'est possible dans les limites des
charges qui existent, mais cela doit se payer d'une augmentation des
prélèvements sur les revenus des ménages. Il faudrait
augmenter les taux de prélèvement sur les revenus des
ménages. C'est également une solution de partage.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Il peut y voir un effort pour abaisser la
dépense publique.
M. Gérard CORNILLEAU - Si l'on abaisse la dépense publique, on
modifie le partage entre les richesses créées par le secteur
public et celles créées par le secteur privé sans modifier
le total de la dépense nationale, dont je suppose que la croissance est
bornée autour de 3 % par an.
On peut jouer sur les structures, partager différemment
l'activité, entre secteurs privé et public, et l'on peut changer
le statut des secteurs d'activité et par exemple privatiser plus la
médecine ou, au contraire, la rendre plus publique mais, pour autant,
les gens continueront à se soigner. Cela ne changera pas le volume total
de la richesse.
M. Daniel PERCHERON - M. Fitoussi a évoqué l'hypothèse
heureuse d'une baisse sur les prélèvements obligatoires sur le
travail égale à 2 % du PIB qui, à son avis, permettrait de
réduire le chômage à 7 % sur 5 ans.
M. Gérard CORNILLEAU - Si ceci est financé par une hausse des
autres prélèvements, en respectant la contrainte
budgétaire, cela ne permet que d'entamer marginalement le chômage.
Cela va dans le bon sens, mais ce n'est pas à la hauteur du passage d'un
taux de chômage de 12,5 % à 7 %.
Si cette politique est menée par la France seule, je ne crois pas
qu'elle produise de résultat important. Nous faisons partie d'un
ensemble qui mène une certaine politique que nous pouvons changer, car
nous sommes partie prenante de cet ensemble, mais nous pesons d'un poids
limité. Manifestement, un des éléments qui
détermine nos faibles performances européennes en matière
de croissance est les choix de politique économique qui ont
été faits par la communauté des gouvernements
européens depuis 5 ou 10 ans. On est sorti de la phase où la
politique économique moyenne menée en Europe pèse sur la
croissance. On est dans une phase d'assouplissement. Mais il est peu
vraisemblable que, par exemple, un vaste plan de relance communautaire puisse
être envisagé dans les mois ou les années qui viennent. Ce
schéma a une crédibilité politique relativement faible.
La troisième solution de partage est le partage direct au niveau des
entreprises par la baisse de la durée du travail.
Ces trois solutions de partage du travail ont un coût.
Profondément, il n'y a pas de solution au problème du
chômage qui n'ait pas un coût.
Le coût de la solution " libérale " est un coût en
termes d'inégalités qu'il faut accepter si l'on est partisan de
cette solution.
Le coût de la solution qui joue sur la fiscalité est un coût
en termes de prélèvement sur les ménages. On n'est pas
crédible si l'on n'accepte pas ce coût.
Le coût du partage du travail par la réduction du temps de travail
est une compensation salariale nécessairement limitée, qui ne
peut pas être intégrale pour les salariés. Il faut que les
salariés acceptent de payer le coût du partage du travail et du
revenu.
On a le choix entre les solutions. C'est un choix politique, et ce n'est pas
l'économie qui dicte ce choix. L'économie peut dire les
conditions, une fois que l'on a fait un choix ou un autre, pour que cela
fonctionne, mais ce ne sont pas les économistes qui peuvent faire le
choix entre ces trois solutions, mais bien les politiques. Elles sont
crédibles d'une certaine manière toutes les trois, mais ont des
conséquences et des coûts différents.
Pour conclure, je dirais que je ne crois pas qu'il existe une solution au
problème du chômage qui n'ait pas un coût.
Si j'en viens au sujet qui nous intéresse aujourd'hui, le projet de loi
sur les 35 heures, il y a eu beaucoup de simulation sur la
réduction du temps de travail avec des hypothèses variables qui
conduisent à des résultats différents.
Il faut comprendre qu'en aucun cas ces simulations ne peuvent être
assimilées à des prédictions. Le résultat que l'on
obtient dépend du jeu d'hypothèses que l'on retient et,
s'agissant de la réduction du temps de travail, il y a quatre variables
fondamentales : le montant moyen de la compensation salariale accordée
aux salariés ; les gains de productivité qui peuvent être
réalisés dans les entreprises au moment de la réduction du
temps de travail et qui viennent moduler l'impact sur l'emploi de la
réduction du temps de travail ; avec les réorganisations,
les gains d'efficacité des entreprises qui peuvent survenir, soit du
fait d'une plus grande souplesse de l'utilisation de la main-d'oeuvre au cours
de l'année, du mois, de la semaine, etc., soit d'un allongement de la
durée d'utilisation des équipements qui permet de réduire
le besoin en capital pour réaliser la production ; la contribution de la
collectivité publique. J'insiste sur le fait que cette contribution est
un droit pour les salariés et les entreprises, une fois que le choix a
été fait de réduire le chômage par le partage du
travail et la réduction du temps de travail. S'il n'y avait pas de
contribution de la collectivité publique, cela signifierait que l'on
profite de l'effort fait par les salariés et les entreprises pour
réduire le déficit public. Du fait de la baisse du chômage,
on réalise des économies sur l'indemnisation du chômage. Il
n'y avait pas d'aide de l'Etat. On observerait une baisse de la demande
égale au montant des indemnisations du chômage qui ne seraient
plus versées aux chômeurs qui auraient retrouvé un emploi.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est la fatalité du déficit.
M. Gérard CORNILLEAU - Non, on peut mener une politique de lutte contre
le déficit, mais celle-ci doit être conçue
indépendamment de la politique du temps de travail.
Si on souhaite une baisse du déficit, on peut mettre en place une
politique d'économies budgétaires. Mais il n'y a aucune raison de
le faire dans le cadre de la politique de réduction du temps de travail.
Dans l'état actuel de ce que l'on sait du projet du Gouvernement, la
contribution de la collectivité publique est de l'ordre d'un point de
cotisation sociale par heure de baisse de la durée du travail, ce qui
est le point mort pour les finances publiques. Cela correspond aux 5.000 F
d'aide de la phase finale du dispositif. Il serait important que le
Gouvernement dise que ces 5.000 F seront acquis au-delà de l'an 2000 et
qu'ils seront indexés sur les salaires.
Les trois autres paramètres sont, d'une certaine manière,
à la discrétion des entreprises et des salariés. Ces
paramètres ne sont pas fixés par la loi. On entre dans un domaine
où l'économiste a bien du mal à imaginer ce qui va se
passer. On peut construire un jeu de paramètres sur la base d'une
hypothèse générale : bonne volonté partagée
des entreprises et des salariés.
Dans ces conditions, si l'on ajoute l'hypothèse de champ, la limitation
aux entreprises du secteur privé qui ont plus de 20 salariés,
l'impact potentiel du passage aux 35 heures est de l'ordre de 500.000 emplois.
D'autres jeux d'hypothèses conduisent à d'autres
résultats. Je suis très content de ce que vient de dire M.
Favereau. Par anticipation, nous avons essayé de regarder ce qui pouvait
se passer si, par exemple, on n'était pas dans cette hypothèse de
bonne volonté partagée, mais dans une hypothèse de refus
de collaboration des entreprises ou des salariés.
Le refus de la collaboration pour les salariés voudrait dire qu'une
compensation salariale serait intégrale et immédiate, sans
financement par un gel des salaires. Cela se traduirait par des pertes
d'emplois relativement importantes et à long terme, la réduction
du temps de travail n'aurait plus aucun effet sur l'emploi.
De manière symétrique, si les entreprises refusaient
complètement de jouer le jeu, on aurait un scénario noir et on
aurait des pertes absolues d'emplois probablement immédiatement.
Par conséquent, le résultat final est entre les mains des
partenaires sociaux.
Le Gouvernement a fait un choix entre les différentes modalités
du partage du travail et des revenus. C'était de sa
responsabilité politique. Il est entre les mains des partenaires sociaux
de faire que ce choix se transforme en un résultat positif pour
l'emploi, mais ils ont la capacité de faire que cela se finisse mal,
soit du fait d'une compensation salariale exagérée, soit du fait
d'un refus de rentrer dans ce type de schéma du partage de travail et
des revenus.
M. Alain GOURNAC, président - Je propose que Monsieur le rapporteur
lance le débat.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Avant de vous proposer de répartir en cinq
modules nos questions, ayant entendu vos collègues, Messieurs les
experts, approuvez-vous ce qui a été dit ou, sur certains points,
tenez-vous à introduire des précisions ou à marquer un
désaccord ?
M. Daniel PERCHERON - C'était exceptionnellement complet,
complémentaire et remarquable.
M. Claude SEIBEL - Je suis passionné par ce qu'a dit M. Favereau. C'est
un élément qu'il faudrait que nous essayons de mieux comprendre,
de mieux intérioriser par les messages qui sont à discuter avec
les partenaires sociaux, puisque je valide ce qu'a dit M. Cornilleau. Ce sont
bien les partenaires sociaux qui auront la charge dans une période de
transition, de préparation et de mise en oeuvre positive.
A ce stade -je l'espère-, la commission d'enquête contribuera
à crever un certain nombre de baudruches et, parmi les baudruches que je
répète avec beaucoup de force, les 35 heures sont des heures
légales et non pas des heures effectives. C'est un point tout à
fait fondamental.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est clair, Monsieur le directeur.
Une question à M. Cornilleau qui nous a dit que dans des conditions
optimales le solde pouvait être de plus 500.000 emplois. Sous quel
délai ?
M. Gérard CORNILLEAU - Tout dépend du jeu d'hypothèses que
l'on retient. On est dans un cas de figure où l'on ne peut pas s'appuyer
sur un grand nombre d'expériences historiques. On peut le faire en 3
ans. Nous avons construit un scénario dans lequel, compte tenu du
dispositif d'aide mis en place par la loi, les petites entreprises à bas
salaires ont intérêt à le faire le plus vite possible, car
elles bénéficieront d'une aide plus importante
immédiatement. Par contre, les entreprises à hauts salaires ont
intérêt à attendre. On peut faire l'hypothèse, qui
n'est pas fondée sur des observations, qu'1/3 des entreprises passent
dès 1998, 1/3 en 1999 et 1/3 en 2000.
M. Michel DIDIER - Je réagirai sur un point qui est la conclusion
-à laquelle j'adhère- d'autres intervenants sur le fait que les
choses sont très largement dans la main des partenaires sociaux. Elles
l'ont toujours été. La baisse de la durée du travail est
un phénomène séculaire, car les entreprises et les
salariés ont toujours trouvé des moyens quand on les laisse
négocier dans l'entreprise, pour faire à la fois des gains de
compétitivité permettant de financer des baisses de durée
du travail et de rester compétitif. C'est un phénomène que
nous avons toujours connu en France, et c'est un phénomène que
tous les pays du monde connaissent. En France, cela a été
bloqué pendant la période récente par une mauvaise
intervention de l'Etat. La réduction autoritaire de 1982 a bloqué
les choses pendant longtemps.
On est maintenant à peu près arrivé au moment où
nous pourrions reprendre (car on avait pris plutôt de l'avance) une
tendance normale de baisse de la durée du travail. Elle est un peu
entamée. Elle s'est faite en partie par le temps partiel qui est une des
formes de la durée du travail. La question est : les modalités
mises en oeuvre vont-elles permettre ou non la création d'emplois ?
De ce point de vue, le débat est extrêmement ouvert. Il y a des
annonces de plus de 500.000 mais aussi des chiffres négatifs.
M. Jacques FREYSSINET - Je suis obligé de réagir à
l'intervention de M. Didier. Je n'avais pas de désaccord sur son
analyse au sens où si l'on accepte les hypothèses sur lesquelles
il raisonne, les conclusions qu'il en tire me paraissent correctes.
En revanche, j'ai un désaccord fort sur son interprétation
historique, et je pense qu'elle a une grande importance pour les choix que l'on
doit faire. A mes yeux -j'ai travaillé sur l'histoire de ces questions
en France-, ce qui caractérise notre pays plus que d'autres, c'est une
hostilité systématique et permanente des entreprises et de leurs
organisations au niveau global.
A l'échelle des entreprises, les choses sont diversifiées mais,
au niveau global, en France, sauf l'exception que j'ai indiquée, les
réductions ont été imposées par des mesures
publiques qui passent dans la pratique plus ou moins bien, avec plus ou moins
de délai. C'est vraiment notre tradition, et 1982 est intéressant
-y retourner n'est pas un exercice gratuit. Que s'est-il passé à
cette époque-là ? J'ai vraiment regardé la question
dans le détail avec des acteurs aux premières loges. En mai/juin,
le Gouvernement dit aux acteurs sociaux : " Négociez, je fixe
un objectif de 35 heures en 1985 ".
La négociation démarre très vite car, dès le
début juillet un protocole national professionnel est signé par
toutes les organisations, sauf la CGPME et la CGT. Sur cette base se
déclenchent des négociations de branches. C'était le
scénario prévu par la majorité de l'époque. Or, ce
scénario s'enlise et, fin décembre, peu de négociations
ont abouti, les autres sont bloquées, et le Gouvernement à contre
coeur, car il abandonne sa stratégie, car la négociation est
enlisée, sort par ordonnance le contenu de l'accord interprofessionnel
de juillet ; les 39 heures, la cinquième semaine et les dispositifs
de flexibilité sont dans cet accord interprofessionnel.
Nous avons un exemple qui est très lié aux conditions historiques
de l'époque, aux stratégies complexes des différents
acteurs où l'Etat a très fortement impulsé la voie de la
négociation avec un objectif de réduction à l'horizon 1985
et où la négociation a bien démarré au niveau
interprofessionnel, s'est enlisée au niveau des branches et où,
renonçant à sa stratégie parce qu'elle n'arrivait plus
à fonctionner, l'Etat s'est résigné à intervenir
par ordonnance qui validait l'essentiel du contenu de l'accord
interprofessionnel.
C'est un point central sur lequel il peut y avoir des divergences
d'interprétation mais cela donne un éclairage différent
à l'expérience de 1982.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Je vous propose le premier module qui est le
prolongement de ce que vous venez d'évoquer.
La négociation en France ne subit-elle pas l'omniprésence du
politique, de l'Etat par voie législative notamment ? Du fait de la
montée du chômage et de la fébrilité qui en
résulte au plan politique, la tentation n'est-elle pas trop forte de
modifier fréquemment les règles du jeu et de perturber ce qui
devrait contribuer à une culture de négociation ?
Sur les conditions de la réussite -plusieurs parmi vous l'ont
évoquée-, il faut que la France se situe en harmonie avec son
environnement.
On ne cesse pas de dire que le passage à l'euro doit s'accompagner d'une
harmonisation au plan fiscal et social. Estimez-vous que ce soit une heureuse
circonstance qui introduit tout à la fois l'euro et une disposition
réglementaire autoritaire tendant à réduire la
durée légale du temps de travail ?
Est-ce bien compatible, et la démarche ne devrait-elle pas trouver une
amorce d'harmonisation européenne ?
Troisième élément : la méthode ; ce
dispositif vient en deux temps.
Une première loi sera soumise au Parlement dans quelques semaines et,
fin 1999, d'autres questions seront réglées. Cette
deuxième loi n'est-elle pas une hypothèque aux
négociations qui pourraient s'engager dès le lendemain du vote de
la première loi ? L'idée de procéder de façon
autonome par rapport à nos partenaires est-elle bonne ?
Quatrième question : les aides publiques. Vous nous avez dit qu'elles
avaient leur place comme incitation, mais n'y a-t-il pas là un
problème de discrimination ? Les entreprises qui ne créent
pas d'emplois ne sont pas des entreprises méprisables. Dès lors
qu'elles assurent la pérennité de quelques emplois, elles
contribuent aussi à la lutte contre le chômage.
Or, elles ne bénéficient de rien et sont soumises à une
épreuve du fait du poids des charges sociales et du coût du
travail. Sur les aides publiques, ne risquent-elles pas d'entraîner des
perturbations et des conséquences négatives sur les entreprises
qui n'en bénéficieront pas ?
Ce dispositif tel qu'il est connu aujourd'hui va-t-il créer des emplois,
oui ou non ?
J'ai noté l'humilité des économistes par rapport aux
modèles dont ils disposent et les conclusions qu'ils peuvent tirer de
leurs études.
Le politique ne vient-il pas perturber le bon déroulement des
négociations et l'avènement d'une culture de
négociation ?
M. Gérard CORNILLEAU - Il me semble qu'à propos des 35 heures
nous sommes dans un cas où l'intervention publique paraît
nécessaire. Aujourd'hui, la durée du travail est relativement
courte, l'âge de la retraite assez bas et les vacances sont longues. On
ne travaille pas tellement. Si l'on envisage aujourd'hui de réduire le
temps de travail ce n'est pas tellement pour améliorer les conditions de
vie des salariés. Il n'y a d'ailleurs pas de fortes revendications sur
cette question.
Les sondages montrent que très majoritairement aujourd'hui les
salariés préféreraient des augmentations de salaire
à des diminutions du temps de travail, sauf les cadres.
Si l'on envisage de réduire le temps de travail, ce n'est que pour une
seule raison : le chômage. Or, la baisse du chômage est une
externalité comme disent les économistes, aussi bien pour les
salariés que pour les entreprises.
Dans les calculs micro-économiques des entreprises et des
salariés, le chômage n'intervient que de façon marginale
sous la forme, pour le salarié d'une probabilité d'être au
chômage et, pour l'entreprise, parce que son environnement n'est pas
très stable.
Dans une situation comme celle-là, où les agents
économiques n'intègrent pas directement dans leurs calculs le
coût de la variable visée par la politique, il faut une
intervention publique, et une volonté collective qui s'exprime
au-delà des aspirations individuelles. On est typiquement dans le cas
où l'intervention économique de l'Etat est justifiée.
M. Claude SEIBEL - Vous avez demandé si la négociation en France
ne subissait pas la main mise de l'Etat et s'il n'y avait pas une perturbation
de la culture de négociation.
L'année 1996 me semble intéressante à analyser. Il y a au
niveau interprofessionnel une réelle volonté d'enclencher des
négociations de branches qui créent de l'emploi, et il est
certain que les ministres du travail de l'époque étaient
très intéressés par ces négociations, mais il n'y a
pas eu d'intervention au niveau des branches.
Cela s'est développé avec quelque chose d'assez " mou "
puisqu'au mois de juin 1996 une vingtaine de branches avaient enclenché
cette négociation, mais elle n'était en rien tournée vers
la création d'emplois. C'est un point que vous ne pouvez pas imaginer.
Il m'est arrivé de discuter avec des présidents de Syndicats
patronaux importants et de leur dire : " Je ne comprends pas, vous
avez
créé un accord qui augmente le nombre de jours de congés
avec une petite réduction d'une demi-heure qui, au total, sera
néant pour l'emploi ". Ces personnes m'ont répondu que ce
n'était pas leur problème.
De ce point de vue, tant que la société française ne
répercute pas sur les partenaires sociaux, ceux qui ont le pouvoir de
décision, l'externalité du coût du chômage, nous
aurons la poursuite de la suppression d'effectifs nombreux.
Heureusement, les drames des préretraites à l'échelle
gigantesque sont un peu derrière nous, mais il faut voir que nous ne
sommes pas collectivement capables d'insérer dans le vécu de
notre société les grands problèmes démographiques
qui s'y posent et, parmi ceux-là, il y a celui de l'allongement de la
vie active, quitte à ce que la durée hebdomadaire soit plus
courte et que le partage se fasse sur un nombre plus important.
Nous avions calculé que le coût de la loi " de Robien "
d'emplois créés était en brut à peu près
l'équivalent de la préretraite, donc un coût
élevé, mais je considère préférable d'avoir
une négociation d'entreprise qui permet de maintenir ou de
développer l'emploi et non pas les préretraites. C'est tout
à fait fondamental pour la société française.
M. Daniel PERCHERON - Les exposés de nos interlocuteurs complets et
complémentaires, à mon avis, permettent à la commission
d'enquête de légitimer son nom car, depuis 3 jours,
l'enquête est menée, mais leurs témoignages approchent une
certaine part de vérité -en tout cas la mienne- et m'ont permis
dans ce débat si difficile, au-delà de mes convictions qui
viennent de loin, de me faire enfin une idée précise de la loi
sur les 35 heures, hors affectivité. Tout ce que vous m'avez dit,
ajouté à tout ce qui s'est fait depuis 2 jours, m'amène
à raisonner en quatre points, beaucoup plus qu'à réagir.
Est-ce une grande première ? Indiscutablement. Cela a
été rappelé par M. Freyssinet, cela ne s'est jamais
véritablement fait, et c'est notamment une grande première dans
le siècle de l'histoire sociale et économique et une grande
première puisque la préoccupation de l'emploi est nouvelle et non
naturelle.
En même temps, est-ce une aventure pour la société
française ?
Tous ceux qui se sont exprimés, y compris M. Brunhes ce matin, avec
toutes les prudences, mais parfois avec toutes les intelligences
nécessaires, nous ont expliqué que c'était une aventure et
qu'effectivement cette réduction de la durée du travail sur fond
de volonté de l'Etat trop contraignante disent certains, indispensable,
semble conclure l'enquête, peut nous apporter le meilleur et le pire. Le
meilleur : plus 400.000, ou le pire : perte de
compétitivité, et éventuellement, stagnation
économique et, si j'ose dire, impasse concernant ce que j'appellerai le
modèle français dans sa lutte contre le chômage.
Nous sommes en partie départagés, gauche et droite, grâce
à la droite française, car tous les jugements portés sur
la loi " de Robien " de 1996 sont positifs, malgré vos
réserves, Monsieur le ministre. On nous explique que la loi " de
Robien " est intelligente dans l'ensemble et semble avoir suscité
l'intelligence et la responsabilité à la base, pour un coût
compatible avec les finances publiques de la France d'aujourd'hui et les
contraintes européennes de la France d'aujourd'hui et de demain.
Enfin, dans l'intervention du patronat -cela concerne les sénateurs de
l'ordre, du parti de la conservation sociale, la droite française, que
je juge peu adaptée à la société française
d'aujourd'hui-, il y a en quelque sorte tacitement présente et presque
omniprésente la stratégie de l'échec des 35 heures au
service de l'emploi. L'intervention de M. Kessler n'était pas digne
d'une commission d'enquête du Sénat. C'est ma part de
vérité.
M. Alain GOURNAC, président - Ils sont venus apporter leurs
positionnements.
M. Daniel PERCHERON - Ce qu'a dit M. Favereau nous ramène à un
débat essentiel et vous interroge, vous la droite française, sur
un débat essentiel. Si comme il le dit et comme je le pense, allant dans
les pas de Michel Albert, l'entreprise ne peut être uniquement
définie par les analyses macro-économiques, mais par sa fonction
de production, en fait en grande partie par le pacte social, si nous
échouons dans cette politique volontariste de réduction du
chômage, l'autre voie souhaitée et proposée sera la
libéralisation du marché du travail et, par conséquent, la
voie du modèle américain.
Je dis à la droite française et aux sénateurs, notamment
au sénateur Arthuis, que si vous vous battez contre les 35 heures -c'est
parfaitement votre droit-, l'alternative sera de proposer la
dérégulation absolue et le modèle américain aux
citoyens français. Le débat aura lieu sur ces thèmes le
mois prochain et dès les échéances prochaines.
La société française veut-elle du modèle
américain ? Peut-elle supporter le modèle
américain ? L'exceptionnalité française reprendra son
actualité et nous parlerons entre gauche et droite de ce qui est mauvais
et bon très clairement pour notre pays.
Je n'avais pas pressenti ce débat des 35 heures aussi décisif
pour vous. Vous vous alignerez sur le patronat, ou la politique
française restera ce qu'elle était : un camp social
démocrate et un camp social libéral.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Nous sommes en phase d'audition ; nous
recueillons l'avis d'experts extérieurs. Nous aurons demain et
après-demain une réflexion commune tirant la substantifique
moelle de ce que nous aurons entendu. Notre combat commun, Monsieur Percheron,
est de créer des emplois et de contribuer à la cohésion
sociale.
M. André JOURDAIN - Par rapport à ce qui a été dit,
je crois que nous sommes tous soucieux de lutter contre le chômage pour
la création d'emplois. J'ai retenu que, dans les dispositions
antérieures, l'allégement sur les bas salaires avait
été générateur de maintien et de création
d'emplois. Il ne faut pas dire que les uns ont tout fait et que les autres
n'ont rien fait.
M. Daniel PERCHERON - Cela n'a même pas été
évoqué.
M. André JOURDAIN - Je reste sur ma faim concernant l'avenir. Nous
travaillons dans cette salle en commission des affaires sociales et,
très souvent, nous nous interrogeons sur la façon dont les
Caisses seront alimentées en 2000 et en 2005 du fait que les inactifs
seront très nombreux par rapport aux actifs.
Cette durée du temps de travail va-t-elle continuer à diminuer
d'une manière inexorable ou, du fait de la démographie, ne
faudra-t-il pas revenir à une démarche inverse pour aller vers
une augmentation du temps de travail ?
Ma question est-elle tout à fait superflue, obsolète ou est-ce un
vrai problème ?
M. Yann GAILLARD - J'ai été très intéressé
par tout ce que j'ai entendu, ainsi que par les propos tenus à la fin
des auditions par M. Favereau et M. Cornilleau, et notamment l'analyse
micro-économique, ainsi que cette remarque sur le chômage
considéré comme une externalité. On a la preuve que le
chômage en est une, puisque nous discutons des 35 heures, alors que la
réalité du mouvement des chômeurs interpelle le
Gouvernement sur bien d'autres sujets.
Y a-t-il un moyen et des procédés qui pourraient internaliser le
chômage et notamment dans la phase de négociation, entre la
première et la deuxième loi ?
M. Claude SEIBEL - Quelques chefs d'entreprises commencent à
intégrer dans leur réflexion de management stratégique le
coût complet des restructurations qu'ils mettent en oeuvre, notamment
dans le cas de Francis Mer à USINOR.
Il y a un essai, au moins au niveau du calcul économique de
l'entreprise, de reprendre l'ensemble des coûts de l'entreprise qui
seront d'une manière ou d'une autre projetés sur le marché
du travail, c'est-à-dire le chômage.
Je ne crois pas que l'on puisse en compter plus que les doigts de la main.
M. Michel DIDIER - J'essaierai de répondre à différentes
questions.
La négociation n'est-elle pas gênée par les modifications
législatives ? Oui et non.
L'instabilité des réglementations et de la législation est
un véritable problème dans notre pays. C'est vrai pour la
fiscalité et d'autres domaines. Nous aurions intérêt
à donner un cadre du jeu, de bien y réfléchir puis
à laisser les acteurs jouer dans ce cadre.
Le changeant sans arrêt, on perturbe leurs calculs économiques et,
de ce point de vue, la méthode -c'est la troisième question- en
deux lois avec, à l'intérieur de la première loi, des
changements tous les 6 mois pose un problème. Il faut voir
l'enchaînement dans les trimestres à venir, une loi qui sera
prête au printemps, mais qui va définir des seuils et des aides
qui elles-mêmes vont changer une première fois le 1er janvier
1999, et une deuxième fois le 1er juillet 1999. Cela donne une cadence
qui ne permet pas aux acteurs économiques de se mettre d'accord.
Les négociations sont longues. Si l'on arrive à conclure la
veille du changement, c'est très bien, mais si l'on négocie le
lendemain, tout est remis en cause. Cela va trop vite ; le principe n'est
pas mauvais, mais ce n'est pas une cadence qui me paraît compatible avec
des décisions relativement sereines et bonnes sur le plan du calcul
économique.
Sur le reste, je ne m'étendrai pas sur les conditions de la
réussite et les problèmes par rapport à l'Europe. Beaucoup
de choses arrivent en même temps, y compris le passage à l'an
2000. Entre 1999 et l'an 2000, une accumulation de décisions est de
nature à perturber les entreprises un peu plus qu'en année
normale.
Un point me paraît important par rapport à votre question :
l'euro change la donne. Je faisais la comparaison avec le début des
années 80, et je vous dois quelques éléments de
réponse. Il me semble que nous avons dans le contexte nouveau des
contraintes beaucoup plus fortes. Si l'on se trompe, ou que les acteurs ne
réagissent pas comme on le voudrait. Que se passera-t-il ? Nous n'avons
pas droit à l'erreur, car cela signifie que si, finalement, cela se
traduisait par une forte hausse du coût du travail, que personne n'aurait
voulue individuellement -mais auquel aboutirait néanmoins le jeu
collectif-, l'issue sera une perte d'emplois et de substance de
l'économie française au profit de nos voisins.
Il y a un pari important, car nous ne pourrons pas corriger nos erreurs
éventuelles en 2001 ou 2002 par des dévaluations.
Sur les aides publiques, point tout à fait essentiel, le chômage
est fondamentalement un déséquilibre économique, qui peut
peut-être se déplacer un peu par des aides publiques, mais faut-il
encore en mesurer les conséquences et l'efficacité effective.
Je suis frappé personnellement par la loi " de Robien ".
Elle
a sans doute donné des idées mais cela à coût
d'argent public et si l'on avait continué on l'aurait
arrêtée, car on aurait vu les milliards s'ajouter aux milliards.
On a payé pour voir. Les entreprises réagissent avec de
l'imagination... , soit, mais beaucoup en avaient avant. N'oublions
pas que la réorganisation du travail n'a pas été
découverte en 1996.
Je suis frappé du peu d'effet sur un an et demi : 17.000 emplois
affichés. Compte tenu des effets d'aubaine, c'est de l'ordre de la
moitié. C'est très peu à l'échelle de
l'économie française sur 14 millions de salariés. Ce
système d'aide n'est pas très efficace. Ce n'est pas le vrai
problème, et le véritable enjeu n'est pas là.
En revanche, elle pose un certain nombre de problèmes qui sont les
suivants.
Quelles sont ces aides ? On tourne toujours autour d'un allégement
du coût du travail. Tout le monde se rejoint sur un point
important ; en définitive, l'allégement du coût du
travail est une incitation à l'emploi.
Une question au débat est celle des modalités de cet
allégement du coût du travail. Faut-il un allégement
conditionnel, c'est-à-dire une sorte de " donnant donnant "
traduit par un accord où l'administration viendrait s'interposer, ou des
allégements différenciés mais assez
généraux ?
Personnellement, je penche pour les allégements
généraux, car je pense que les allégements
conditionnels sont extraordinairement conservateurs et de nature à
introduire des distorsions dont on ne sait plus comment sortir.
Pourquoi les allégements sont-ils conservateurs ? Par
définition, ils s'appliquent aux entreprises qui existent, celles qu'ils
peuvent passer de 39 heures à 35 heures, et les entreprises
qui ne sont pas là, qui sont les vraies génératrices
d'emplois pour demain, sont en dehors du dispositif. En réalité,
elles ne sont pas hors du dispositif. Elles vont payer pour les entreprises qui
existaient, sans aucune assurance que les entreprises que l'on aide soient, en
dehors de l'aspect redistribution de l'emploi, les plus efficaces et les plus
utiles pour le commerce extérieur et l'économie française.
On introduit aussi une distorsion sectorielle par catégorie
d'entreprises entre les entreprises existantes et les entreprises à
créer. Une partie importante de notre avenir est dans les
créations d'entreprises. Celles-là sont pénalisées
par ce genre de dispositif d'aide.
Dernière question : cela créera-t-il ou pas des emplois ?
On a vu qu'il existait beaucoup d'hypothèses possibles. Je pense que le
chemin est extrêmement étroit et suppose énormément
de coopérations dans un temps extraordinairement limité. Avec
plus de temps et plus de choses au niveau de cette loi incitative, notamment
une direction claire vers l'annualisation du temps de travail, on pourrait
amorcer quelque chose qui irait dans la bonne direction mais étant
donné le contexte dans lequel les choses se présentent
actuellement, il me semble que le plus probable c'est qu'elle
bénéficie aux salariés en place qui auront des salaires
peu amputés (ce qui est une condition unanime de nous tous et si elle ne
se produit pas, on ne sera pas dans la bonne voie), mais travailleront moins,
et elle créera relativement peu d'emplois ou même peut-être
pas. De plus, je crains qu'elle n'affaiblisse une fois encore notre
système productif, et notamment la partie exposée,
c'est-à-dire l'industrie -pas les grandes entreprises-, mais le tissu
moyen des petites et moyennes entreprises qui sont celles qui réagissent
aujourd'hui le plus vigoureusement.
Je dis cela en espérant me tromper et en indiquant qu'il y a, à
mon sens, d'autres voies. Ce n'est pas cela ou rien. Je pense que, dans le
débat et l'enquête même, il ne faut pas se limiter à
cette voie, mais la comparer à d'autres voies possibles.
La voie de l'allégement des charges compensées par des
économies de dépenses publiques, (et non pas en prenant plus
d'argent à d'autres), est une voie plus lente, je suis sur ce point
d'accord avec M. Cornilleau, mais infiniment plus assurée.
En termes politiques, la question est la suivante : veut-on essayer de viser
plus d'emplois avec le risque de se retrouver avec moins d'emploi ?
Veut-on viser un taux de chômage de 10 % ou de 8 %, avec le risque de se
retrouver à 14 % ? Ou vaut-il mieux une voie dans laquelle on va
moins vite mais de manière certaine ? C'est un choix politique et
non pas d'économiste.
M. Jacques FREYSSINET - La France souffre d'un enchaînement
vicieux : l'incapacité de création d'acteurs sociaux ayant
une vision sociétale ou nationale de leur responsabilité, donc
des techniques de recours à l'Etat par ces acteurs sociaux
fragmentés, voire d'interventions unilatérales de l'Etat.
Après un siècle d'enchaînement de ce genre, la sortie n'est
pas facile, surtout si l'on a des urgences à court ou moyen terme dans
d'autres domaines.
On peut rêver d'une reconstruction progressive de la négociation
collective mais, manifestement, cela prendra du temps et, face à une
stratégie prioritaire dans ce domaine, l'Etat ne peut manifestement pas
attendre que les acteurs sociaux se soient transformés.
Il y a une sorte de contrainte d'intervention publique qui risque de reproduire
cette situation, l'alternative étant l'inaction. De ce point de vue, la
comparaison internationale est intéressante au simple niveau
européen, car nous voyons dans d'autres pays -Allemagne, pays
scandinaves, Pays-Bas, mais aussi d'une certaine façon en Italie- des
acteurs sociaux capables de prendre ensemble des responsabilités
sociétales, et de trouver, sous des formes diverses, des compromis
globaux pour gérer simultanément l'emploi, la
compétitivité et le partage du revenu.
En France, ce n'est pas possible et, dans cette situation, on voit bien les
facteurs qui poussent irrésistiblement un gouvernement nouvellement
élu sur un programme de transformation, quel que soit le sens, car nous
sommes habitués au changement, à vouloir intervenir activement
pour ne pas être dépendant d'acteurs sociaux qui sont très
mal armés.
Les études faites montrent que les choses se passent mieux au niveau
européen en matière de réduction du travail si les
politiques sont harmonisées, mais il n'existe pas de mécanismes
d'harmonisation et, dans ces conditions, chacun fait ses choix. Quelque chose
est curieux dans le débat français. D'une part, nous passons
notre temps de façon instable à porter au pinacle des
modèles étrangers pour leur exceptionnalité mais, en
revanche, l'argument de l'exceptionnalité française est
décisif pour délégitimer une expérience que
d'autres pays ne font pas. Les Hollandais ont réussi quelque chose
d'original et d'intéressant que personne d'autre n'a.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Ce n'est pas l'Etat qui l'a fait.
M. Daniel PERCHERON - Il n'y a pas eu de loi.
M. Jacques FREYSSINET - C'est un tripartisme soigneusement rôdé
depuis un demi-siècle où l'acteur central, l'Etat, menace
d'intervenir législativement si les acteurs sociaux ne se mettent pas
d'accord.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Il n'est jamais intervenu.
M. Jacques FREYSSINET - Parce que les acteurs sociaux se sont accordés.
Tout en essayant d'explorer toutes les perspectives d'harmonisation il faut,
dans le contexte actuel où il n'y a pas de politique sociale
harmonisée, que chaque pays fasse ses choix en matière sociale.
La comparaison internationale au sein de l'union européenne montre qu'il
existe des stratégies différentes, mais notre pays peut adopter
une stratégie originale.
Sur les aides publiques, je suis d'accord avec M. Didier sur le choix central
qui existe entre mesures générales à guichet ouvert, les
mesures qui visent à modifier des systèmes de prix relatifs, et
mesures contractuelles où l'Etat finance les unités qui rentrent
dans des dispositifs publics.
Dans tous les cas, nous avons forcément des phénomènes de
discrimination ou de non-neutralité. Prenons le cas des
différentes exonérations. Rappelons que ce sont des ordres de
grandeur différents. Sur " de Robien " on est autour du
milliard et, sur " Aubry ", cela dépendra de la vitesse de
mise en oeuvre, mais cela se comptera en milliards.
Les exonérations bas salaires se comptent en dizaines de milliards.
Leurs effets sont certains au sens où les simulations donnent des
résultats convergents, mais nous n'avons aucune vérification
ex-post de la réalité de ces effets. Il faudra attendre. Leurs
effets sont non neutres.
L'argent public est massivement orienté en faveur du recours à
une certaine catégorie de salariés. On peut juger cet objectif
souhaitable et considérer qu'il faut privilégier l'emploi
à bas salaire supposé équivalent au bas niveau de
qualification compte tenu du contexte social. Je ne discute pas, mais
c'est un choix politique ciblé qui avantage les branches, les
entreprises, les catégories de travailleurs dans la zone bas salaire, de
façon discriminante par rapport aux autres. Nous n'échappons pas
à ce problème. Il est traité de façon
différente mais, dans tous les cas, un choix politique se traduit par
une non-neutralité, pour ne pas dire discrimination. Il y a des choix et
donc un impact différent sur les agents économiques.
Le débat est fondamental, nous ne pouvons pas l'épuiser ; ce
n'est pas un débat neutralité/non-neutralité, mais sur des
techniques différentes où l'Etat utilise les ressources publiques
pour orienter les comportements des agents dans telle ou telle direction, et
c'est toujours non neutre.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Si l'on réduit le temps de travail, on
risque d'abaisser le niveau d'activité. Cela ne peut-il pas avoir des
conséquences sur la croissance et sur l'emploi ?
M. Gérard CORNILLEAU - Sur le fait qu'il s'agisse d'une
expérience isolée et sur la capacité à mener une
politique de ce genre tout seul, sans nos partenaires, il a été
démontré que l'on est dans le cadre de politiques qui restent
sous la maîtrise des autorités nationales, alors qu'effectivement
on a perdu dans les faits le contrôle de la politique économique
générale, et maintenant pratiquement la politique
budgétaire, puisque c'est un traité qui fixe le maximum de
déficit annuel possible ainsi que le maximum d'endettement. On a
largement perdu l'autonomie dans ces domaines.
En revanche, toutes les politiques de partage restent sous le contrôle
des autorités nationales. Dans le cadre de la réduction du temps
de travail, la réorganisation peut procurer des avantages de
compétitivité tels, que je connais au moins une entreprise ou un
chef d'entreprise tremblant à l'idée que l'on pourrait l'imiter
en Asie du Sud-Est. Auquel cas, l'avantage de compétitivité qu'il
a obtenu en réduisant le temps de travail, serait perdu à
nouveau. On est dans le champ des politiques dont la maîtrise reste
nationale et qui peuvent être menées indépendamment des
autres. Dans les cas limites, on aurait intérêt à ce que
les autres ne le fassent pas.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - On est dans des domaines de souveraineté
nationale. Vous pouvez augmenter les impôts sur l'épargne, mais
votre souveraineté deviendra peut-être rapidement une
vanité parce que l'épargne est parfaitement mobile. Nous avons
à tirer les conséquences de ce marché unique et de
l'ouverture de notre économie sur le monde.
En matière fiscale, par exemple, les marges de souveraineté se
sont singulièrement altérées et, en matière
sociale, nous serons confrontés au même problème, pas
immédiatement, mais nous devons avoir à l'esprit un
phénomène dont l'évolution est de nature à
éroder notre situation sociale.
M. Gérard CORNILLEAU - Le marché unique et l'euro vont nous
imposer une contrainte sur notre productivité, notre efficacité
et nos prix de revient. Or, les expériences et les travaux
micro-économiques montrent que l'on peut trouver un schéma de
réduction du temps de travail qui n'altère en rien nos
capacités compétitives, voire qui les améliore.
Par conséquent, nous respectons les contraintes du marché unique
et de l'euro si nous savons trouver les arrangements qui permettent de
réduire le temps de travail, de créer des emplois, sans
détériorer notre compétitivité, voire en
l'améliorant. C'est ce qui nous permet de rester autonomes dans ce
domaine.
Si l'on fait n'importe quoi, on peut avoir des résultats très
négatifs sur la compétitivité avec des effets fort
désagréables sur la croissance et les revenus. Mais rien ne nous
oblige à choisir les voies les plus inefficaces de la réduction
du temps de travail.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Nous avons reçu des organisations
syndicales, et certaines d'entre elles ont manifesté les plus expresses
réserves sur l'idée de réduire les salaires ou de les
geler. Nous avons compris que ces organisations-là n'étaient pas
prêtes à répondre aux conditions préalables que vous
avez fixées pour que cette démarche soit un succès en
termes de création d'emplois.
M. Gérard CORNILLEAU - Le résultat final est entre les mains des
partenaires sociaux.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Ils doivent savoir que c'est assorti d'un gel ou
d'une baisse des salaires.
M. Alain GUBIAN - Sur les aides, l'externalité du chômage est
très importante.
On ne peut pas d'abord dire que la loi " de Robien " n'est
pas
efficace au sens où elle aurait seulement créé 17.000
emplois, et comparer à la situation envisagée dans le projet de
loi. La loi " de Robien " a ses effets sur le champ qui la
concerne,
mais elle ne s'est pas développée car il n'y avait pas
d'orientation claire sur l'avenir de la durée du travail. Le contexte
est différent si c'est la réduction de la durée du travail
qui est souhaitée à terme, ou bien une loi dans un contexte
où il n'y a pas d'orientation. Toutefois, cette loi a bien montré
des enjeux de négociation possible autour de cette question du temps de
travail.
Revenons à la question de l'aide et des externalités. S'il y a
une réduction forte du chômage qui vient d'une origine inconnue ou
de la réduction de la durée du travail, il y aura des
résultats favorables sur les comptes publics, en particulier sur
l'UNEDIC, dont les partenaires sociaux sont habilités à
gérer l'amélioration de leur solde. Ils peuvent baisser les taux
de cotisations et ristourner l'effet de la réduction du chômage.
C'est classique et souhaitable.
Dans une logique où l'on pense que la réduction de la
durée du travail est efficace en termes de réduction du
chômage, et si elle est l'origine de cette amélioration des
comptes publics du point de vue de l'UNEDIC, il serait dommageable que la
ristourne de cotisations à venir soit renvoyée à
l'ensemble de l'économie. Il est plus pertinent
a priori
de
donner
ex-ante
ce montant à celles qui sont à l'origine de
la réduction du chômage.
L'incitation est justifiée quand elle concentre sur les entreprises
à l'origine d'une réduction forte du chômage, ce qui sera
le résultat sur les comptes publics de cette réduction du
chômage, sinon on a toutes les chances que le processus favorable de
diffusion de la réduction de la durée du travail ne soit pas
très fort.
Quels seront les effets sur l'emploi ?
Je ne sais pas, car je ne connais pas la diffusion qu'aura le dispositif
incitatif, s'il y aura une crédibilité très faible sur la
possibilité d'arriver à 35 heures ou une
crédibilité forte. On aura donc un processus d'enchaînement
au cours des années 1998 et 1999 plus ou moins favorable.
La deuxième loi permet une souplesse pour gérer le fait que fin
1999 on aura un niveau élevé ou non d'entreprises à
durée plus faible. La dynamique de réduction de la durée
du travail n'est pas gagnée d'avance, et il existe une incertitude sur
cette diffusion. Je rejoins là les propos de M. Favereau. L'aide
est justifiée parce qu'elle contribue à ce que cela se passe au
mieux.
Sur le plan de l'Europe, si le scénario visé est bien le
scénario à coût inchangé en termes de coût du
travail, il y a bien une autonomie d'un point de vue purement économique
de la France dans le monde puisque l'on respecte la contrainte de coût.
Si on ne la respecte pas, il ne faut pas faire cela, mais c'est
également vrai pour toutes les autres politiques. C'est alors une
politique possible nationalement. Sur l'effet emploi, il y a à
comprendre au mieux comment la dynamique peut s'enchaîner.
Dans la deuxième loi, il y a possibilité de " corriger le
tir " en fonction de ce qui se passera. Si l'on a en tête une aide
en fonction de la durée du travail, des cotisations plus faibles quand
la durée du travail est plus faible, il doit s'agir d'une aide
structurelle. Les entreprises à 35 heures doivent durablement savoir
qu'elles ont des cotisations moindres et que l'on ne peut pas risquer une
incertitude là-dessus ; probablement que l'affichage en termes
d'aide à terme est important et il serait dommageable que l'on puisse
penser que, comme avec la loi " de Robien ", un aléa non
négligeable existe sur l'aide structurelle.
M. Alain GOURNAC, président - Je vais passer la présidence au
vice-président, car je dois m'absenter.
Je vous remercie de votre participation.
M. Claude SEIBEL - Sur le plan européen, il est vrai que c'est une
politique dans le cadre de la subsidiarité, mais j'observe de
manière très objective que dans la mise au point des lignes
directrices sur l'emploi, qui ont été adoptées au sommet
de Luxembourg, le thème " réduction de la durée du
travail " est prévu pour la mise en commun des expériences.
Il y a actuellement un pays pour lequel le problème ne se pose plus,
l'Allemagne, qui est aux 35 heures depuis 1995. Concernant les Pays-Bas,
40 % des branches ont des accords entre partenaires qui sont
arrivés à 36 heures entre 1996 et 1998.
Les Belges réfléchissent à la transposition de ce que l'on
prépare en France et, comme on le sait, des accords sont en cours
-peut-être un peu fragiles- en Italie. Nous nous trouvons dans un
mouvement qui peu à peu peut être négocié, car les
lignes directrices pour l'emploi seront revues tous les ans. Qui nous dit que
dans 2 ans nous n'aurons pas un objectif européen, alors qu'actuellement
c'est un objectif national ?
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - En Allemagne, la durée du temps de travail
résultant des conventions est-elle légale ou effective ?
M. Claude SEIBEL - C'est une durée légale dans laquelle il y a
des durées effectives. C'est le même mécanisme que le
nôtre, mais c'est fixé au niveau d'un croisement
Länder/branches. C'est une négociation plus
décentralisée.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Le Land fixe la durée légale.
M. Jacques FREYSSINET - C'est la négociation. La durée
légale est vraiment une durée balai pour les branches non
couvertes par la négociation. La plupart des grandes branches ont une
durée conventionnelle plus faible que la durée légale et,
formellement, elle se négocie au niveau des Länder mais, en
général, un Land fait une négociation pilote qui se
reproduit dans tous les Länder de la même branche. Dans les faits,
c'est une durée conventionnelle de branche.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Quelle est la durée légale ?
M. Claude SEIBEL - 35 heures.
Un certain nombre de branches ont commencé à
réfléchir à 32 heures, mais cela ne s'est pas fait.
En particulier, Volkswagen a joué un rôle très important en
1993 pour les 35 heures. Ils ne sont pas allés vers 32 heures,
mais vers une généralisation des programmes de préretraite
progressive.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est un système de durée
légale maximale à l'intérieur de laquelle les partenaires,
par voie de convention, arrêtent les dispositions les plus
appropriées.
M. Olivier FAVEREAU - Rien ne coûtera jamais aussi cher à
l'économie et à la société françaises que 13
% de chômage, et peut-être sommes-nous dans une situation où
le plus grand risque serait de n'en prendre absolument aucun.
M. Daniel PERCHERON - Je demande à titre personnel à chacun des
experts s'ils acceptent de répondre à la question -pronostic
personnel- : cela peut-il réussir, ou cela va-t-il échouer,
et pour quelle raison fondamentale, à son avis, cela peut réussir
ou échouer ?
M. Claude SEIBEL - Je ne suis pas un historien du temps présent, mais je
pense que la loi " de Robien " sera vécue
ultérieurement comme un déclencheur du succès qui a permis
d'aller plus loin.
Mon point de vue est assez optimiste : c'est oui. Les gens sont assez
stupéfaits qu'il y ait eu annualisation, compensation salariale
partielle, réorganisation du travail. Vous pouvez me dire que 1.700
entreprises ne représentent pas les 80.000, mais c'est peut-être
possible à mettre en oeuvre.
M. Marcel-Pierre CLEACH - Nous avons remarqué les ouvertures sur
l'annualisation dans le texte.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Cela ne peut marcher que si les salaires sont
tenus ?
M. Claude SEIBEL - Oui.
M. Michel DIDIER - Je crains que ce ne soit un nouvel affaiblissement des
entreprises parce que cela va trop vite. Il existe un problème de
cadence et les modalités mises en place vont trop vite. Or, les
entreprises doivent s'organiser dès maintenant malgré un
système à double détente.
D'ores et déjà, les choses se mettent en place. Un certain nombre
d'entreprises s'organisent pour aborder le moment fatidique en meilleure
posture.
Il y a des réactions d'entreprises très différentes, et
une bonne idée peut devenir une très mauvaise idée si elle
est imposée de manière uniforme pour l'ensemble des entreprises
et si le contexte futur n'est pas connu. La seule issue pour chacune des
entreprises est d'agir rationnellement, la rationalité étant
d'être le plus prudent possible pour éviter de se trouver
piégé dans une loi venant après un accord, et qui
contredirait celui-ci.
Il peut y avoir des cas dans lesquels les entreprises se trouveraient
" piégées " par une deuxième loi qu'elles ne
connaissent pas aujourd'hui. Elles ne sont pas en état d'organiser les
choses correctement et vont donc jouer le maximum de prudence.
Elles vont jouer la sécurité par rapport au risque de choc, et
ceci ne peut conduire -comme on l'a beaucoup expérimenté par le
passé- à de nouveaux efforts de productivité, donc par
moins d'emplois.
M. Jacques FREYSSINET - Si l'on examine objectivement et froidement ce qui
s'est passé depuis une vingtaine d'années, le pronostic ne peut
être que pessimiste si les acteurs sociaux ne sont pas en état de
passer des compromis complexes et de moyen terme qu'exige la réussite de
cette stratégie et si l'Etat n'a pas de crédibilité sur sa
volonté de poursuivre à moyen terme sur des objectifs stables.
Les innombrables fluctuations passées l'ont
décrédibilisé sur ce point. Symétriquement, on
pourrait avoir un pronostic optimiste si deux conditions étaient
réunies simultanément : le Gouvernement ou la
majorité actuelle est en état de crédibiliser sa
volonté à moyen terme et de mettre en oeuvre ce projet, ce qui
n'est pas simple.
Des acteurs peuvent se dire : malheureusement piégée par un
programme qui n'était pas prévu pour affronter
l'électorat, la majorité s'en sortira comme elle le pourra. De ce
fait, elle n'est pas crédible à moyen terme, donc jouons la
minimisation du risque face à un avenir incertain.
Il faut mesurer en quoi la dégradation du tissu social jusqu'au
phénomène que nous avons vécu ces derniers jours va
pénétrer dans la fonction de décision des acteurs sociaux,
patronat et syndicats.
Ils resteront encore principalement le reflet démocratique des
préférences de leurs adhérents, mais leur conception de la
représentativité, sera-t-elle seulement le reflet des
préférences micro-économiques de leurs adhérents ou
y a-t-il un moment où ils considéreront qu'il est de leur devoir
d'introduire dans leur comportement, un objectif qui ne résulte pas des
préférences de leurs adhérents, mais de la conscience
qu'ils ont, des compromis sociaux nécessaires pour éviter les
coûts catastrophiques et irréversibles évoqués par
M. Favereau ?
Tout dépend à mes yeux des réponses qui seront
données dans ces deux domaines : crédibilité du
projet gouvernemental et capacité des organisations patronales et
syndicales à prendre le risque de compromis. Il est facile
d'apparaître comme le représentant vigoureux des
intérêts directs de ses adhérents. C'est une
stratégie qui donne des résultats efficaces. Les directions des
organisations seront-elles capables de prendre le risque d'injecter de
l'intérêt collectif dans leur stratégie au risque
d'être mal comprises de leurs adhérents ?
M. Gérard CORNILLEAU - Je serai plus optimiste. La loi " de
Robien " a cassé quelques crispations idéologiques,
même si l'on voit, du côté du patronat, revenir des
attitudes extrêmement brutales et peu compatibles avec une analyse
critique et objective de la situation.
Ce recul de l'idéologie dans l'affaire du temps de travail peut
être porteur de quelque chose qui réussirait mieux.
Quand on regarde les sondages d'opinion, les Français ne sont pas
vraiment demandeurs d'une réduction du temps de travail et
préféreraient des augmentations de salaires mais, en même
temps, les réponses favorables à l'idée d'un partage,
c'est-à-dire une réduction du temps de travail non
compensée intégralement, mais avec création d'emplois,
augmentent et sont aujourd'hui majoritaires.
L'idée que c'est une solution possible au problème du
chômage est une opinion majoritaire dans l'opinion publique. Le
scepticisme résulte de ce qui vient d'être dit sur les
problèmes de crédibilité à moyen terme et sur la
capacité de la société française à faire
passer ce qui est un souhait majoritaire au travers des débats
politiques et idéologiques. Il n'est pas certain que les Français
auront satisfaction, mais je pense qu'ils le souhaitent vraiment.
M. Olivier FAVEREAU - Je serai plutôt confiant pour deux raisons : dans
le type de démocratie qui est celui de la démocratie
française, les gens sont plus raisonnables dans leur comportement que
dans leur discours. La société française dans sa culture
et sa tradition historique est toujours séduite par l'opportunité
de faire preuve de créativité collective et institutionnelle.
M. Alain GUBIAN - Je serai dans les optimistes. Il serait très grave
d'échouer sur le sujet, car cela voudrait dire qu'il n'y a plus d'outils
de politique pour l'emploi. La loi " de Robien " a montré
que,
dans les accords concrets, il se passait autre chose que ce qui était
dit sur la place publique. Un bon baromètre pour voir si le projet va
être concluant est de savoir s'il va s'enclencher dans les 2 ans qui
viennent dans le cadre d'accords ; il me semble que la dynamique sera
engagée.
Si on devait constater fin 1998 et encore plus mi-1999 très peu
d'entrées dans ce processus, la baisse de la durée légale
apparaîtrait comme négative en termes d'effets sur l'emploi, mais
si cette mécanique peut s'enclencher favorablement -on a de bonnes
raisons de le penser-, il y a là un point favorable.
M. Marcel-Pierre CLEACH - Je me réjouis que cette commission ait
réalisé un travail qui vous intéresse. J'espère
qu'elle contribuera à éclairer le débat de la Commission
des affaires sociales, puis du Sénat, d'une manière plus globale.
Vous avez souligné que des impacts psychologiques importants
étaient à éclaircir.
Je vous remercie tous d'avoir passé tant de temps avec nous et de nous
avoir apporté vos avis précieux.
Merci Messieurs.
IV. SÉANCE DU JEUDI 15 JANVIER 1998
A. AUDITION DE M. MICHEL FREYCHE, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION FRANÇAISE DES BANQUES (AFB), DE M. PATRICE CAHART, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL, ET DE M. OLIVIER ROBERT DE MASSY, DIRECTEUR DES AFFAIRES SOCIALES
M. Marcel-Pierre CLEACH, président
- Chers
collègues, nous allons tout d'abord entendre M. Michel Freyche,
président de l'Association française des banques (AFB),
accompagné de M. Patrice Cahart, délégué
général et de M. Olivier Robert de Massy, directeur des
Affaires sociales.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Michel
Freyche, président de l'Association française des banques (AFB),
M. Patrice Cahart, délégué général et M.
Olivier Robert de Massy, directeur des Affaires sociales.
M. Michel FREYCHE
-
Monsieur le président, cette audition fait
suite à de nombreuses autres auxquelles vous avez procédé
au cours de la semaine écoulée. Aussi ai-je cru bon de limiter
mon propos à ce qui est spécifique à notre profession. Je
n'aborderai pas la discussion de principe sur les 35 heures mais je
voudrais attirer votre attention sur des points qui nous sont propres et qui
nous paraissent très importants.
La banque constitue l'une des principales professions de main-d'oeuvre en
France. Les banques AFB ne représentent qu'une partie du secteur
financier, l'AFB ne comprenant pas les banques mutualistes, la Caisse
d'Epargne, le Crédit Agricole et les Banques Populaires. Les banques AFB
comptent environ 210.000 personnes, chiffre important. Les coûts de la
main-d'oeuvre y représentent une part très importante des charges
globales d'exploitation, atteignant plus de 50 % 60 % dans certains
cas pour l'ensemble des établissements.
Autre particularité, notre profession est engagée dans un effort
extrêmement important pour maintenir son indépendance, sa
pérennité et assurer sa survie, tout au moins au niveau des
centres des contrôles nationaux. Pour des raisons historiques, cette
profession longtemps sous-capitalisée est aujourd'hui menacée en
raison de ses résultats d'exploitation infiniment moindres que ceux de
tous ses concurrents étrangers. Avec l'ouverture des frontières,
elle est exposée à des opérations de rachat par des
entreprises beaucoup plus riches dont les centres de décisions sont
situés à l'étranger.
C'est pourquoi la profession est extrêmement vigilante depuis plusieurs
années dans tout ce qui pèse sur ses coûts d'exploitation,
dont la main-d'oeuvre. C'est pourquoi nous avons été
amenés à suivre de près le projet de loi sur les
35 heures et à diverses reprises d'exprimer notre sentiment sur
telle ou telle disposition.
D'autres particularités de la profession doivent également
être soulignées. Au-delà de la loi, la profession a conclu
une convention collective et des accords d'entreprise sur la durée du
travail proprement dite. Dans le contrat de travail individuel, la durée
légale du travail porte sur 39 heures hebdomadaires.
Au-delà, la convention collective prévoit des avantages
supplémentaires aux avantages légaux ramenant, si l'on retient le
calcul de la durée effective du travail sur une base annuelle, à
une durée du travail de l'ordre de 37,5 heures. En effet, il y a
deux jours de congé supplémentaires
généralisés et quatre jours flottants qui font partie de
vieilles traditions dans la profession. Le tout sans tenir compte de la
durée légale des congés.
Ramené à une durée hebdomadaire, cela ramène
à 37,5 heures la durée moyenne de travail hebdomadaire effectif
sur l'année. Ce calcul pourrait encore être modifié si l'on
tenait compte de l'absentéisme pour rester réalistes et proches
du terrain. Pour des raisons diverses, en particulier l'importance de la
main-d'oeuvre féminine, notre profession connaît un
absentéisme relativement plus élevé que dans d'autres
professions ou activités de services, et que l'on peut chiffrer à
2 heures par semaine et par employé.
La durée effective du travail est donc en fait très proche des
35 heures que vise le projet de loi tel qu'il est actuellement soumis au
Parlement. Voilà quelque considération préliminaires.
D'autres considérations touchent à l'organisation même de
notre travail. Contrairement à ce que beaucoup pensent, nous sommes une
juxtaposition de petites et moyennes entreprises. L'unité de travail de
base dans la banque est petite : c'est l'agence de quartier, l'agence de
bourg, l'agence de campagne. Or, 75 % de ces agences comptent moins de
dix personnes, et 90 % d'entre elles, comportent moins de vingt
personnes.
Les travaux préparatoires à la loi et l'exposé des motifs
signalent les problèmes particuliers qui se posent dans des
unités de petite taille. Nous avons été informés de
ce que le seuil de vingt personnes pour l'application différée de
la loi était actuellement envisagé pour tenir compte des
problèmes d'adaptation particulière que cela pose. Je ne sais si
ce seuil sera retenu pour la profession, ces unités de travail
effectives n'ayant pas de " personnalité " administrative.
Enfin, si la durée du travail est réduite à
35 heures, il s'agira de savoir ce que nous ferons dans ces agences qui
comptent six ou sept personnes et dont l'activité sera partiellement
compromise par la réduction de la durée du travail. Il est hors
de question de recruter du personnel supplémentaire. De toute
façon, même si nous envisagions de le faire, nous ne saurions pas
qui ou quoi recruter : un caissier ? un juriste ? un
chargé de clientèle ? Il faudrait qu'il soit totalement
polyvalent. Cela ne peut pas se passer ainsi.
Je ne peux pas préjuger de ce qui sera fait dans ces agences, mais je
peux dire qu'il n'y aura pas de recrutement supplémentaire. La
probabilité sera, contrairement à ce que nous souhaitions, que
les horaires de l'agence, au lieu d'être augmentés pour
répondre aux besoins de la clientèle notamment après
l'adoption du décret 1997 sur l'organisation du travail seront
diminués, ou bien plus grave et plus probable qu'une partie des ces
agences seront fermées.
Un certain nombre de ces agences sont à la limite de la
rentabilité et la question se posait dès aujourd'hui de savoir
s'il était économique et judicieux, même en tenant compte
des impératifs politiques ou de clientèle, d'assumer un
surcoût, quel qu'il soit, même limité à 2,5 ou 2,6 ou
5 % selon les chiffres avancés dans certaines hypothèses de
calcul en fonction des dispositions qui seront contenues dans la loi.
Près de dix à quinze pour-cent des ces agences tomberaient
en-dessous du seuil de rentabilité et les directions
générales envisageraient très sérieusement de les
fermer.
La densité d'agences bancaires, notamment en ville, pourrait
probablement être réduite sans que cela porte atteinte au fonds de
commerce lui-même. La probabilité serait que nombre de ces petites
agences pourraient être fermées, posant ainsi le problème
de l'affectation de leurs personnels et accentuant la pression pour une
réduction plus rapide des effectifs.
En effet, autre caractéristique de la profession : le texte dont nous
débattons intervient à un moment où la profession est
manifestement en sureffectif important. Cette situation, constatée
depuis une dizaine d'années, résulte d'une politique de
recrutement quelque peu aventureuse remontant à la fin des années
60 - début des années 70. A l'époque, on voyait fleurir
des agences bancaires à tous les rez-de-chaussée bien
situés.
Depuis, les révolutions technologiques ont fait qu'un bon nombre du
personnel recruté a dû être reconverti, est apparu
excédentaire ou difficilement utilisable dans d'autres fonctions. Depuis
une quinzaine d'années, tous les établissements mènent une
politique raisonnable, responsable. Politique qui, dans d'autres pays aurait
été menée beaucoup plus rapidement et brutalement,
notamment à l'occasion du rapprochement de réseaux ou de
plusieurs établissements.
En France, pour des raisons diverses liées à la
responsabilité citoyenne des chefs d'entreprises mais aussi aux
obstacles et aux difficultés que créée une
législation sociale protectrice des intérêts des
travailleurs, cela n'est intervenu que progressivement. Pour les dix
dernières années, les effectifs de nos banques ont diminué
en moyenne de 2 % par an pour atteindre un chiffre proche de 3 %
depuis deux ou trois ans.
Si, à la suite des fermeture d'agences, il apparaissait que le personnel
excédentaire sans possibilité de reclassement était encore
plus nombreux, ce rythme pourrait s'accélérer.
Pour les banques françaises, il s'agit d'une opération de survie
sachant qu'elles ne peuvent agir qu'au niveau de leurs frais
généraux avec quelques difficultés. Par contre, leurs
moyens d'action sur leurs recettes sont très limités du fait que
la plupart de leurs revendications visant à obtenir la suppression des
distorsions de concurrence qui les pénalisent vis-à-vis d'autres
réseaux n'ont pas été satisfaites à ce jour, ou du
fait des lois et pratiques fiscales discriminatoires et pénalisantes au
niveau de l'emploi.
En matière fiscale, nous sommes le seul pays au monde où existe
une taxe spécifique sur les salaires. En outre, une taxe sur les frais
généraux des banques a été instituée il y a
une vingtaine d'années en compensation d'un avantage fiscal donné
à des épargnants, Contribution des banques et des institutions
financières ; taxe supplémentaire qui porte sur les frais
généraux mais en réalité à 80 % sur les
salaires. Cela uniquement pour des raisons d'échanges de bons
procédés et d'équilibre d'un budget
déterminé. C'était l'époque des 5.000 francs
Monory, compensés budgétairement par cette taxe
supplémentaire qui n'a d'autre justification que d'assurer
l'équilibre d'un budget d'une année déterminée, et
qui depuis perdure dans notre secteur.
Nous sommes ainsi le seul secteur en France à être
pénalisé sur le poste de l'emploi que l'on cherche à
défendre. Nous l'avons signalé depuis de longues années
à nos autorités, sans succès, tout comme dans la
rectification des situations créées par les privilèges
accordés à certains réseaux.
Dès lors que l'on n'a pas la maîtrise de ses ressources, on essaie
d'avoir celle de ses dépenses. Bien évidemment, une grande
vigilance sera de mise quant à l'évolution de ses dépenses
et aux conséquences d'une nouvelle législation qui pourrait
encore accroître ses dépenses et qui, loin de conduire, comme
l'espèrent leurs auteurs, à des recrutements
supplémentaires, inévitablement je prends mes
responsabilités et inéluctablement conduiront dans notre
profession à des suppressions d'emplois supplémentaires ou plus
rapides que celles qui seraient intervenues. Voilà ce que je voulais
dire pour introduire le débat. Mes collègues et moi-même
sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Je vous remercie,
c'était tout à fait lumineux. Nous connaissons les
spécificités de la profession, notamment des banques qui sont
membres de l'AFB.
La parole est à M. Jean Arthuis, rapporteur.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
A mon tour, je voudrais remercier le
président Freyche et la délégation de l'AFB qui
l'accompagne pour cette audition. Monsieur le président, vous avez dit
qu'il y a aujourd'hui près de 210.000 agents dans les différents
réseaux des banques AFB. Un rapport sénatorial qui fait
autorité aujourd'hui avait constaté que les banques
françaises avaient amorcé le reflux des effectifs avec un
décalage par rapport à la concurrence étrangère.
On a constaté aussi que la renégociation de la convention
collective a été freinée, alors que dans des secteurs
proches du vôtre, le pas a été franchi. Quels ont
été les facteurs d'inertie qui ont pesé et qui,
aujourd'hui, peuvent mettre les banques en difficulté, au moment
où l'on s'apprête à passer à l'euro, au moment
où la crise en Asie suscite des interrogations ?
Pourriez-vous nous dire sur l'euro ce qu'il en coûte pour
s'adapter ? Quelles sont vos craintes par rapport à la crise en
Asie, la sensibilité et la réactivité de vos
établissements par rapport à un texte qui rendrait obligatoire le
passage de la durée légale du travail à 35 heures par
semaine ?
Quand vous évoquez 210.000 agents aujourd'hui et un reflux de 3 %
par an, jusqu'où avez-vous prévu d'aller ? Si vous deviez
mettre en place des établissements aujourd'hui, quel serait l'effectif
dont vous estimez avoir besoin ?
J'ai bien noté votre crainte de voir s'accélérer le
processus de reflux du fait des 35 heures dans la mesure où
75 % de vos établissements comptent moins de dix personnes, et
90 % comptent moins de vingt personnes. Que représentent les
75 % par rapport à l'effectif global des banques.
M. Michel FREYCHE - Environ 70 % des effectifs globaux travaillent dans
des unités de taille inférieure à vingt personnes,
75 % de nos agences se composent d'unités de moins de dix
personnes, et 90 % des unités comptent vingt personnes. Cela par
rapport au nombre d'agences et aux effectifs concernés.
M. Patrice CAHART - 60 % des unités comptent moins de vingt
personnes ; 40 % des unités comptent moins de dix personnes.
M. Michel FREYCHE - Cela concerne donc bien les effectifs des réseaux.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Un mot sur l'encadrement. Il y a
aujourd'hui de la part des inspections du travail une attitude
extrêmement déterminée pour traquer des heures
supplémentaires indues effectuées par des cadres. Avez-vous pu
constater cela dans vos propres établissements ? Autre observation
sur la notion de temps de travail : le temps de travail a-t-il encore une
signification, notamment quand il s'agit des cadres ?
Enfin, seriez-vous disposés à signer des accords et à
quelles conditions ? Cela implique-t-il le gel, voire la réduction
des salaires ? Pensez-vous que les représentants des
salariés sont prêts à entrer dans de telles
conventions ? Vous avez commencé la négociation d'une
nouvelle convention collective. Les 35 heures figurent-elles au coeur du
débat ?
Dans cette perspective de réduction du temps de travail, pensez-vous que
l'annualisation peut être la contrepartie de la réduction du temps
de travail ? Dans cette hypothèse, estimeriez-vous judicieux de
prévoir des dispositions dans le projet de loi si celui-ci devait
être voté ?
Ne craignez-vous pas que la réduction du temps de travail vienne
resserrer les assiettes des cotisations de retraite et mettre en
difficulté les caisses de retraite ? Pourriez-vous également
nous préciser si les banques sont à jour dans la concertation de
leurs dates de retraite à l'égard de leurs cadres
salariés ?
M. Michel FREYCHE - Vos questions sont particulièrement nombreuses,
monsieur le ministre. Je vous demanderai de me les rappeler si je n'avais pas
répondu à l'une ou l'autre d'entre elles au terme de ma
réponse.
En effet, j'aurais dû mentionner le problème des cadres comme
condition d'exercice tout à fait particulier à la profession. A
l'intérieur des professions de service, la nôtre compte
près de 30 % de cadres. Dans certaines unités, voire
certaines banques d'affaires, d'investissements de trésorerie ou autres,
ce pourcentage peut atteindre 60 à 70 % soutenus par quelques
personnels d'exécution.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Puisque nous sommes sur le registre des
cadres, y a-t-il chez vous des phénomènes de
délocalisation ? Certaines fonctions du secteur bancaire sont-elle
délocalisées à Londres et dans quelles proportions ?
M. Michel FREYCHE - Bien sûr. C'est variable selon le type
d'activité et selon les établissements. L'une des très
grandes banques d'affaires françaises a actuellement davantage de
salariés à Londres qu'à Paris. Je ne voudrais pas la citer
pour ne pas la trahir, mais vous pourrez l'identifier aisément. Cela
résulte d'un mouvement qui s'est déroulé sur les
années récentes et non pas de l'organisation initiale de la
banque.
Tous les établissements français ont été
amenés à renforcer considérablement leurs effectifs
expatriés pour des raisons de coût et d'efficacité. Il est
trois fois moins cher d'utiliser un cadre supérieur à Londres
qu'à Paris tout bien considéré si l'on veut servir la
même rémunération nette après impôts auxdits
cadres. Par conséquent, oui, ce mouvement est important. Il se poursuit
et se poursuivra tant que nous n'aurons pas rapproché les conditions
d'exercice de nos professions et notre législation fiscale de celles qui
sont applicables dans les pays les plus favorables à nos
activités.
Cela a également touché d'autres délocalisations, comme
l'étude, la mise au point ou les contrôles des logiciels. Comme
les traitements de masse qui se font dans certains établissements
à distance, que ce soit en Irlande ou en Extrême-orient. Les
progrès des communications permettent aujourd'hui des
délocalisations rapides et fiables, entraînant des gains
importants pour tous les établissements qui les utilisent.
La réponse est donc affirmative. Nous n'avons pas de chiffres
précis à citer mais le mouvement est indéniable. On
constate d'ailleurs une forte demande d'expatriation des jeunes cadres, alors
qu'il y a quelques années, il était quelquefois difficile
d'envoyer des cadres à l'étranger.
Notre proportion de cadres est très importante, beaucoup plus que dans
la plupart des autres activités, y compris les services. Dans certains
établissements, elle est même écrasante. Ces cadres sont en
quelque sorte en exagérant à peine en autogestion. L'horaire
n'est pas imposé aux cadres par la direction, il est
déterminé par les cadres eux-mêmes dans des limites
compatibles avec leurs activités. Ces horaires, dans l'immense
majorité des cas, sont supérieurs aux 39 heures ; non
pas que la direction le demande, mais la conscience professionnelle et les
nécessités d'atteindre un résultat des unités de
service font que ces cadres travaillent plus de 39 heures, comme dans
d'autres entreprises d'ailleurs.
A titre d'anecdote, dirigeant un établissement bancaire à une
époque où les marchés étaient chahutés,
j'étais venu un 11 novembre récupérer un papier au bureau.
La salle des marchés était éclairée. Les personnels
présents m'ont expliqué qu'en raison des circonstances, ils
voulaient être présents. Personne ne leur avait rien
demandé ; ils avaient organisé le tout entre eux, sans en
référer à la direction générale. Ils
veillaient au grain pour préserver les intérêts de leur
maison. C'est toujours le cas aujourd'hui : lors des crises sur les
marchés financiers, pour les banques qui n'ont pas forcément un
système de veille de leurs positions sur l'ensemble des places
financières, certains viennent très tôt dans la nuit pour
surveiller les marchés financiers de Tokyo ou Singapour et restent
très tard le soir pour surveiller les marchés à la
clôture de New-York ; le tout sans compter la moindre heure
supplémentaire... C'est une longue tradition française. J'y
faisais allusion lors du dîner annuel.
C'est vrai pour les banques mais aussi pour d'autres services. Lorsque
j'étais à la direction des relations économiques
extérieures dans l'administration, plusieurs de nos cadres voyageaient
sans cesse à l'étranger, notamment dans les pays arabes où
ils étaient convoqués fréquemment le samedi ou le
dimanche. Ils estimaient normal d'aller à Ryad ou à Alger le
week-end pour une négociation et arrivaient peut-être un peu plus
tard le lundi matin après leur retour. Personne n'a jamais trouvé
cela contestable ; cela faisait partie du contrat moral qui liait le haut
fonctionnaire en l'occurrence, qui n'était nullement
intéressé au résultat de la négociation. Il
accompagnait l'industriel ou le banquier. C'est ce qui fait la noblesse du
travail des cadres auquel ils sont attachés. Ils prendraient très
mal qu'on les oblige à pointer. Des tentatives ont été
faites quand certains établissements ont voulu généraliser
les horaires variables. Cela n'a pas duré parce que les cadres s'y sont
opposés pour des raisons de principe. Cela fait partie des
caractéristiques de l'économie libérale.
A l'inverse, dans les kolkhozes ukrainiens où j'ai eu l'occasion de
passer quelques jours à une époque, les horaires de travail
étaient fixés de 7 h 30 à 17 h 30. A
une époque où la récolte était mûre et que la
pluie était annoncée, les moissonneuses-batteuses rentraient
invariablement au hangar à 17 h 30. C'était la
règle, la conception de leur réglementation, de
l'égalité etc.
Il faut donc savoir si l'on vit dans un système collectiviste ou
différent. J'ose à peine parler de système libéral
puisque le libéralisme n'a pas bonne presse aujourd'hui. Même
parmi les tenants du libéralisme, certains n'osent pas l'avouer. On l'a
vu récemment lorsque certains engagements pris par un gouvernement de
droite sont passés aux oubliettes après la victoire de
l'opposition précédente, notamment concernant notre secteur. Non
seulement concernant les impôts mais aussi sur l'organisation. Je pense
à l'incident avec l'un de vos collègues concernant la Caisse des
Dépôts lors d'un déjeuner où l'on demandait si M.
Balladur avait l'intention de respecter l'engagement qu'il avait pris sur la
Caisse des Dépôts durant sa campagne électorale. Cela a
été considéré comme une atteinte personnelle et
l'un de nos grands présidents de banque a été mis à
l'index pendant quelque temps pour avoir posé la question. C'est quand
même une approche très différente de la situation.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Il avait modifié la
réglementation de 1937.A petits pas ! Bercy n'est pas resté
insensible !
M. Michel FREYCHE - Tout cela pour dire que nous vivons actuellement dans monde
en pleine effervescence. Le ministre vient de le rappeler en faisant allusion
aux nombreuses crises, dont la crise asiatique, que nous avons
traversées. Si nous voulons apporter un réponse étatique
et collectiviste à ce type de crise, nous irons droit dans le mur !
A un moment où précisément nous rejoignons un ensemble
qui, qu'on le veuille ou non, est d'inspiration libérale.
Le marché unique en Europe est une organisation d'inspiration
libérale qui appelle des réponses libérales. Les
35 heures pour tous décidées par la loi, et applicables
à une date déterminée sans contrepartie définie,
n'existent nulle part au monde ! Je suis prêt à discuter avec
des contradicteurs des expériences étrangères, notamment
hollandaises, danoises ou autres qui n'ont rien à voir avec la
caricature de ces expériences que l'on nous présente le plus
souvent. Ceux qui s'en sont sortis sont ceux qui, dans tous les domaines de
l'activité économique, ont introduit les souplesses
nécessaires pour s'adapter au monde qui nous entoure.
Je me souviens d'une discussion avec le gouverneur de la Banque de France en
1993 lorsque je lui faisais valoir que ce n'était pas une politique du
franc fort qu'il suivait mais purement et simplement une politique de
parité fixe avec le mark allemand, avec toutes les conséquences
dramatiques que cela a pu avoir pour l'économie française.
Prenant la Grande-Bretagne comme contre-exemple, il prédisait les pires
catastrophes pour ce pays, notamment au niveau monétaire et des
parités. Je constate que la livre britannique est plus forte que le
franc français ; elle est revenue à un niveau
supérieur à celui qui était le sien en 1993. De
même, même si on querelle les Anglais sur leurs méthodes
statistiques, le chômage est trois fois moindre en Grande-Bretagne qu'en
France, même si l'on veut ajuster quelques centaines de milliers par ci
par là.
Cela montre à l'évidence que les rigidités, les dogmes
conduisent des nos jours à des catastrophes.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Vous avez dit qu'il y avait aujourd'hui
une forte demande d'expatriation des cadres. Pourriez-vous nous en dire
plus ? S'agit-il d'expatriations pour exercer le métier ailleurs
parce que le marché est ailleurs ou s'agit-il de démarches
personnelles qui viseraient à optimiser la situation fiscale et sociale,
et qui seraient l'expression d'un souhait des cadres qui, pour continuer
à exercer leur métier avec le champ d'activité qu'ils
pouvaient avoir préfèrent aller voir ailleurs ?
M. Michel FREYCHE - Il y a les deux. Il y a ceux qui estiment qu'il est
indispensable aujourd'hui d'avoir l'expérience de l'exercice d'un
métier, quel qu'il soit, dans des pays autres que le pays d'origine et
qui pensent que c'est un nouveau type de " compagnonnage ".
Passer
quelques années en Afrique, en Asie, aux Etats-Unis ou en
Grande-Bretagne comme expatrié est indispensable à leur cursus.
C'est une révolution très forte. Tous les jeunes
considèrent qu'il est impensable d'entrer dans une entreprise et d'y
faire carrière. A leurs yeux, c'est contreproductif, non seulement pour
eux mais aussi pour l'entreprise. Le bon CV n'est pas celui qui montre une
instabilité accentuée mais celui qui prouve que le jeune a assez
de dynamisme pour accepter, à échéances
régulières et raisonnables, des changements d'employeur ou de
situation. Cela est très différent de ce qui prévalait il
y a quelques années.
Il y a aussi chez les cadres plus âgés, le désir
d'échapper à la rigueur extrême de la fiscalité
française, et d'avoir un revenu net après impôt plus
important que celui qui est le leur actuellement, sans que cela coûte
davantage à l'entreprise et même avec un moindre coût pour
l'entreprise. Les deux types de situations existent.
En France, parmi les cadres et salariés des entreprises, la plupart ne
souhaite pas utiliser des procédures de dissimulation. Il y a encore des
réactions de bon citoyen qui cherchent comment, lorsqu'une loi plus
favorable peut leur être appliquée, ils peuvent en
bénéficier.
Cela étant dit, les cadres ne sont absolument pas demandeurs de
réduction du temps de travail. Je ne crois pas qu'on impose au cadre des
heures supplémentaires, il se les impose spontanément. Pour nos
salariés en général, cette revendication de
réduction du temps de travail vient très loin dans leurs
priorités. Nous essayons d'être à l'écoute de ce que
souhaitent nos gens. La première de leurs priorités est la
stabilité de l'emploi ; la seconde priorité est de pouvoir
disposer de plus de liberté, soit de manière globale avec un ou
deux jours de congé supplémentaire, soit en application
d'horaires souples ou de jours de congés pris en fonction de
nécessités familiales. Encore une fois, travailler moins n'est
pas leur premier souci.
Si vous dites à quelqu'un qui travaille 39 heures qu'il en prestera
dorénavant 35 et sera payé 39, qui dira non ? Mais cela n'a
pas été assumé en tant que revendication. Ce slogan de
35 heures payées 39 a fait beaucoup de tort. Il paraît que
cela ne correspond plus tout à fait à la volonté du
Gouvernement. Sa volonté serait 35 heures sans perte de
salaire ; j'aimerais que l'on m'explique comment.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Dans votre négociation avec
les syndicats, vous tentiez de revenir sur un aspect de la convention
collective portant sur l'ouverture le samedi matin pour certains
établissements. Pouvez-vous dire où vous en êtes sur le
sujet et si la perspective des 35 heures ne contrarie pas cette
démarche ?
M. Michel FREYCHE -
Cela a été résolu par les
dispositions contenues dans le décret de 1997. Nous n'avions pas la
possibilité de travailler par roulement ni par équipe, ce qui
conjugué aux deux jours de congé consécutifs obligatoires
nous bloquait dans nos horaires. Une certaine liberté nous a
été rendue par le décret de 1997 en contrepartie de
laquelle nous avions fait déjà quelques concessions sur la
durée du travail. En matière d'amplitude, les salariés qui
travaillent avant 8 h 30 et après 20 heures
bénéficient d'un décompte du temps de travail d'environ
20 % et par là même bénéficient d'une
réduction de la durée du travail.
Cela constitue donc un progrès significatif que nous attendions depuis
quelque temps. Nous en sommes reconnaissants à ceux qui l'ont permis,
notamment au ministre. Mais cela sera gêné par la réduction
de la durée du temps de travail à 35 heures. La souplesse
que nous avions retrouvée dans ce domaine se trouvera compromise par
l'application des 35 heures telle que nous la concevons actuellement.
Je peux ajouter que dans nos contacts avec nos syndicats et notre personnel,
nous avons la conviction que toute réduction salariale est
extrêmement difficile pour ne pas dire impossible. Nous n'avons pas
trouvé d'interlocuteur qui soit prêt, même en contrepartie
d'une réduction du temps de travail, à accepter une
réduction de salaire. Le maintien des salaires était,
après le maintien de l'emploi une préoccupation prioritaire de
notre personnel. Je pense qu'il y a peu de chance, sauf cas isolé et
précis, d'obtenir quoi que ce soit dans ce domaine. Même le
blocage des salaires qui était érigé en système
pourrait poser quelques problèmes.
Par contre, le fait de différencier fortement les salaires entre
entreprises bien portantes et entreprises qui se portent mal est, sinon
accepté, du moins bien compris des salariés. Ils comprennent de
mieux en mieux qu'il n'est pas toujours possible dans un régime
collectiviste d'avoir le même salaire pour tout le monde. Ils comprennent
que les efforts et les résultats individuels puissent être pris en
considération. Ils comprennent aussi que cela peut dépendre de la
bonne santé et des résultats de l'entreprise elle même.
M. Olivier Robert de MASSY - Deux précisions sur l'expatriation dont
personne n'a le chiffre. On peut dire que rien qu'à Londres, plusieurs
milliers de cadres français travaillent actuellement dans le secteur de
la banque.
La seconde précision répond à une autre question de M. le
rapporteur...
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Cela veut-il dire que plusieurs milliers
de collaborateurs de banques françaises vont travailler à Londres
pour accomplir le travail qu'ils effectuaient hier pour les banques
françaises ?
M. Olivier Robert de MASSY - Non, je ne pourrais pas être aussi
précis. On peut dire en tout cas que plusieurs milliers de cadres de
nationalité française, venus de France, travaillent aujourd'hui
dans la
City
londonienne. Certains n'ont peut-être jamais
travaillé dans une banque française à Paris. Nous ne
pouvons pas entrer dans cette finesse, mais l'effectif est aujourd'hui de
plusieurs milliers.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Cela ne répond pas à ma question.
Les banques françaises ont-elles cessé de créer des
emplois à Paris pour en créer à Londres ?
M. Olivier Robert de MASSY - C'est certainement vrai pour certaines d'entre
elles, notamment dans le secteur des salles des marchés.
Monsieur le rapporteur, vous demandiez pourquoi les banques françaises
avaient entamé leurs réductions d'effectifs plus tard que dans
d'autres pays. En fait, les trois grands réseaux français ont
commencé à réduire leurs effectifs plus tôt. Ils ont
senti venir la crise et ont commencé il y a plus de vingt ans. Ces trois
réseaux ont diminué chaque année d'environ 1 % leurs
effectifs. Cela ne s'est pas ressenti dans les statistiques globales du fait
que ces réductions ont été compensées
c'étaient les années " faciles " et prospères
par la création de nombreuses banques de marchés et de filiales
ou succursales de banques étrangères à Paris.
Statistiquement, l'un a compensé l'autre. Quand on examine les chiffres
des effectifs employés, on a une illusion de stabilité AFB
pendant un certain temps.
Puis sont arrivées les années de vaches maigres ; les grands
réseaux ont continué à diminuer leurs effectifs et
finalement la compensation a cessé de jouer. Les banques de
marché ont cessé de se créer, les banques
étrangères ont cessé de venir s'installer et ont
même parfois replié bagage. C'est là que le
phénomène de diminution est apparu dans les statistiques. On a
donc l'illusion d'un réflexe tardif. En réalité, il est
ancien et les grandes banques françaises ont commencé bien avant
les banques britanniques ou allemandes qui ne bougeaient pas. Les banques
britanniques se sont réveillées il y a seulement quatre ou cinq
ans, mais avec une brutalité totalement inconcevable en France.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Quelles sont les perspectives à
cinq ans pour les effectifs des banques AFB, qui sont actuellement de 210.000 ?
M. Patrice CAHART - On avait pensé à une réduction
des effectifs de l'ordre de 30.000 à l'horizon des cinq ans.
M. Michel FREYCHE - Ce qui correspond à l'ordre de 3 % par an.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Du côté des rapports
de conjoncture que vous pouvez avoir avec les banques adhérentes, et au
plan de la délocalisation des entreprises, avez-vous des informations
des entreprises clientes ? Ce mouvement qui a été
amorcé se poursuit-il de manière importante et
significative ? Avez-vous été éveillé à
ce propos ?
M. Michel FREYCHE - Ce mouvement est engagé depuis longtemps et il se
poursuit. Je ne pense pas qu'il se soit accéléré
récemment. Nous n'avons pas eu d'exemple de gens qui aient
déclaré partir (..?).
Il est clair néanmoins qu'il
y a une tendance à des délocalisations supplémentaires. La
délocalisation a été amorcée par les plus grandes
entreprises françaises. Nous sommes quelque peu
" amusés " quand on rencontre tel ou tel patron de grande
entreprise disant : " les 35 heures, pourquoi
pas ? ",
alors même que plus de la moitié de ses effectifs est
délocalisée à l'étranger !
En revanche, dans une entreprise industrielle, la flexibilité
apportée par l'utilisation maximale des machines vingt-quatre heures sur
vingt-quatre ou la flexibilité qui pourrait résulter ou portant
sur les pointes d'activités dans les industries saisonnières
constituent des contreparties réelles de l'abaissement éventuel
de la durée du travail. Certaines économies se fondent sur ces
situations. Dans des entreprises de services comme les nôtres où
au niveau de l'aménagement du temps de travail au fil de l'année,
nous n'avons pas grande contrepartie à espérer.
Pour répondre à la question sur la réaction de nos
partenaires sociaux et l'état de nos négociations, l'une des
critiques au projet gouvernemental est qu'il met pratiquement fin aux
négociations que nous avions ouvertes depuis dix-huit mois dans notre
profession avec les partenaires sociaux sur le thème de
l'aménagement et de la réduction du temps de travail. Il faut
savoir que ce n'est pas la réduction du temps de travail en soi qui nous
effraie. Ce n'est pas un tabou. Depuis 1996, nous avions engagé avec nos
syndicats une négociation qui a été rendue plus difficile
au fil des mois en raison de la perspective et puis de la certitude de cette
loi sur les 35 heures. Lorsqu'on annonce aux partenaires sociaux qu'ils
auront les 35 heures quoi qu'il arrive, au 1er janvier 2000, comment
voulez-vous être bien placés pour négocier quelque
contrepartie que ce soit ? C'est malheureusement la situation dans
laquelle nous nous trouvons actuellement.
Nous leur avions proposé des textes qui leur apportent vraiment quelque
chose, non seulement à l'entreprise mais au salarié, et qui
collent très exactement au fond même de leurs revendications. Nous
avions proposé un projet d'accord sur l'organisation du temps partiel,
un projet sur la préretraite progressive, un projet d'accord sur le
compte épargne-temps, un projet d'accord rédigé sur
l'annualisation - réduction temps de travail, et un projet d'accord sur
les conditions d'application de la loi de Robien à notre secteur
d'activité.
Tout cela apportait des réponses réelles positives à des
problèmes réels que se posaient nos salariés. Tout cela a
été mis sous le boisseau ; pour les contreparties, on
verra. Pour l'instant, les contreparties, c'est zéro ! Pourquoi
voulez-vous négocier quelque chose que l'on vous a donné ?
M. André JOURDAIN - Le président Freyche nous a fait part des
problèmes spécifiques à la profession en tant que
représentant des banques de son association de l'AFB. Je suppose que les
problèmes sont les mêmes dans les autres banques. Est-ce dans les
mêmes proportions ? Je pense aux sureffectifs.
Deuxième question : j'ai été très sensible quand
vous avez dit que l'application des 35 heures vous conduirait certainement
à réduire les heures d'ouverture ou à fermer des agences.
Représentant d'un département rural, sensible à
l'aménagement du territoire, je crains que les agences soient
fermées en commençant par les endroits les plus reculés.
Tout le monde comprend ce que cela signifie.
M. Michel FREYCHE - S'agissant des autres réseaux, je suis mal
placé pour vous exposer leurs situations. Je suppose qu'ils ont des
problèmes proches des nôtres, encore que certains qui
bénéficiaient d'avantages concurrentiels importants, aient pu
passer des accords favorables avec leurs salariés, y compris dans ce
domaine. Je ne connais pas le temps de travail à la Caisse
d'épargne, mais si on en juge par l'ancien régime de retraite, il
doit être plus favorable que ce qu'il est chez nous. J'en ai eu un autre
exemple récemment. Il y a eu la fusion entre la BFCE et le Crédit
national. Comme la BFCE est mon ancien établissement, j'ai
demandé comment cela se passait pour le temps de travail. On m'a
répondu qu'il y avait un petit problème parce que le
Crédit national, avec la prospérité que l'on sait, avait
un horaire officiel de 36 heures. La BFCE devait donc passer à
l'horaire des 36 heures appliqué au Crédit national. Passer
de 36 à 35 heures n'est pas dramatique. Pourquoi ? Parce que
le Crédit national, le Crédit Foncier comme toutes ces
institutions financières spécialisées, comme la BFCE
à un certain moment d'ailleurs, bénéficiaient de
privilèges tels qu'ils pouvaient faire n'importe quoi. C'était le
contribuable qui payait. C'est la même chose dans les mairies. Je vois
des maires de grandes villes qui disent qu'ils passent aux 35 heures. Je
ne citerai pas de nom. Combien cela coûte-t-il ? 20 millions. Qui
paie ? Le contribuable. C'est facile. Certains le font.
M. Yann GAILLARD -
Je voulais revenir sur cette affaire des
cadres expatriés. A-t-on fait une enquête précise sur les
motivations ? Existe-t-il des sondages ? Ce serait assez facile de le
faire. Il faudrait faire la part des choses entre la force que
représente la place financière de Londres où beaucoup de
choses ne peuvent se passer que là, les expatriations individuelles pour
raisons de salaire et les expatriations décidées par la banque
française pour diminuer ses coûts. Ce serait très
intéressant, voire même très troublant. Il faut avancer sur
ce terrain. La profession pourrait-elle envisager une enquête de ce genre
?
M. Michel FREYCHE - Non, je ne crois pas qu'elle ait été faite,
mais nous pourrions l'envisager. Mon témoignage est que cet état
d'esprit, malheureusement, se retrouve chez les jeunes les plus dynamiques. Je
suis président d'une société de
capital-développement (Sofinindex) et d'une société de
capital-risque de hautes technologies (Galiléo) qui toutes deux
obtiennent de bons résultats et qui me permettent d'être en
contact avec de jeunes entrepreneurs ou créateurs d'entreprises.
Dans la " high tech ", nous avons le plus grand mal à
retenir
ces créateurs d'entreprise en France et à faire en sorte qu'ils y
établissent leur siège social. Tous ne rêvent que de
Jersey, de Londres ou du Kent, des Etats-Unis. Tous ne rêvent que du
NASDAQ (National association of securities dealers by automated quotations) ou
de DISNAQ et non pas du nouveau marché en France. Nous avons
réussi à en conserver certains, parce qu'ils sont
français, qu'ils viennent trouver des capitalistes français pour
les aider à démarrer. Nous les persuadons que dans ce domaine, il
existe une législation plus favorable en France mais la tendance
spontanée est de s'expatrier soit à Londres, soit dans les
îles anglo-normandes, soit aux Etats-Unis pour échapper aux
contraintes administratives et sociales insupportables qu'ils estiment devoir
supporter et pour bénéficier de régimes fiscaux plus
avantageux. Au moment de la création d'entreprise, chez ces jeunes gens
pointus, dynamiques, " high tech " le fait d'avoir des
dizaines
d'imprimés déclaratifs à remplir est quelque chose
d'épouvantable.
Etant retraité, j'ai créé une société de
conseil me permettant de recevoir en toute légalité quelque
rémunération ici ou là. J'ai fait l'expérience de
ce que c'était. C'est épouvantable. Je me perds dans les
documents des URSSAF, et autres caisses de ceci pour la formation etc...et je
n'ai pas de salarié ! Nous avons suggéré des
simplifications administratives efficaces pour retenir ces jeunes gens
dynamiques en France, mais pas du type de celles qui ont été
récemment présentées.
Elles représentent un progrès, largement insuffisant, de
simplification dans le domaine social. Par exemple, le chèque-emploi
était une remarquable idée qui a été très
positivement reçue. S'il était possible, nous l'avons dit au
ministre en exercice, d'utiliser le chèque-emploi pour les nouveaux
recrutés dans des entreprises de moins de dix ou vingt salariés,
cela apaiserait les craintes de nombreux employeurs. Les procédures de
séparation d'un salarié posant des problèmes dramatiques
qui empêchent de dormir ceux qui envisagent de s'étendre, s'il
était possible de faire dans le secteur privé ce que le
Gouvernement fait dans le secteur public, c'est-à-dire des contrats
à durée déterminée de cinq ans pour les
emplois-jeunes, on proposerait à nos chefs d'entreprise des contrats
à durée déterminée de cinq ans, sachant
qu'après, il n'y a aucune procédure à suivre. S'ils sont
satisfaits, il peuvent renouveler le contrat et peut-être le transformer
en contrat à durée indéterminée. En revanche, s'ils
ne sont pas satisfaits, le contrat s'éteint. Cela débloquerait
des centaines de milliers d'emplois.
Pour beaucoup, la conjoncture n'est pas mauvaise. Il auraient besoin d'un
emploi supplémentaire mais s'ils recrutent quelqu'un et que cela ne va
pas comme ils l'espèrent, ils vont l'avoir " sur le dos " et
ne pourront pas le mettre à la porte. Il faut des idées simples
comme l'extension du chèque emploi-service au secteur privé,
notamment aux PME, de la procédure pour une ou deux personnes. Il ne
s'agit pas de recruter des centaines de personnes sur cette technique, mais
l'extension au secteur privé de la possibilité pour les artisans
et PME d'envisager des CDD de l'ordre de cinq ans aurait une action effective
sur l'emploi. Cela répond aux craintes et aux besoins.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - J'abonde dans ce que vous
indiquez à propos de la loi sur les 35 heures ; nous en
attendons un second volet pour le privé. Mais les contrats à
durée déterminée comportent des pièges. Sauf faute
grave, il est très difficile dans le privé de se séparer
d'un collaborateur insuffisant embauché en CDD. La jurisprudence
contraint l'employeur à payer le traitement jusqu'à la fin du
contrat sauf faute grave. Il y a donc là aussi quelque chose à
revoir.
Enfin, je voudrais apporter un bémol à ce vous disiez tout
à l'heure sur l'expérience personnelle de créateur
d'entreprises : il y aussi un phénomène de frilosité
des banques pour les jeunes créateurs.
M. Michel FREYCHE - C'est un autre sujet dont je vous reparlerai en tête
à tête. En deux mots, les banques ne sont pas faites pour financer
les créations d'entreprises. Nulle part au monde, ni aux Etats-Unis, ni
en Grande-Bretagne, ni ailleurs, les banques ne financent la création
d'entreprise. Cela n'existe pas. Ce sont des fonds, des annexes de banques de
type Banexi mais ce ne sont pas les banques.
Le déchet est tel dans la création d'entreprise qu'il faudrait
appliquer des taux d'intérêt de 250 % par an aux sommes
prêtées pour avoir un espoir de retrouver les sommes investies.
C'est un métier totalement différent mais ce n'est pas celui des
banques.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Je parlais des
institutions financières en général.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Sur les formalités administratives,
je partage votre point de vue. Mais avez-vous eu un jour en main une
déclaration d'impôts sur le revenu américain. Je vous
encourage à le faire. Vous constaterez que c'est pire qu'en France. Il
faut sur ces questions des simplification absolues, mettre un bémol.
Dans la plupart des formalités que les employeurs doivent assumer, elles
le sont par des décisions paritaires. Le patronat et les syndicats ont
créé des institutions, des formalités. Vous avez dit que
l'Etat faisait trop. Mais, à un certain moment, les partenaires sociaux
n'ont-ils pas une dérive étatique de leur
côté ? La révolution culturelle doit affecter tous les
acteurs.
M. Michel FREYCHE - Certainement !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
C'est ce que je crois profondément.
M. Olivier Robert de MASSY -
Votre commission étant
particulièrement attentive aux questions de délocalisation, je
ferai quelques brèves remarques sur les localisations, car cela
fonctionne dans les deux sens. En tant que responsable des ressources humaines,
j'ai vu des entreprises étrangères s'interroger sur leur
localisation de l'emploi en France. Une grande banque américaine a
cherché où placer en Europe son back-office titres euro de 1.000
personnes. Elle était très intéressée par la
France, pays accueillant, sympathique et la place de Paris est tout à
fait valable techniquement. Elle y a finalement renoncé. D'autres
entreprises étrangères ont indiqué que le décret
de1997 allait dans le bon sens et que cela jouait positivement en faveur de
leur examen de la localisation de leurs emplois futurs. On a donc les deux
aspects.
Deuxième remarque : c'est un sujet dont l'importance va
s'accroître avec la technologie mais aussi avec l'euro qui sera la
matière première tangible d'une vaste zone. Les groupes bancaires
seront de plus en plus européens. Ils localiseront ici ou là
telle ou telle activité. Cela ne se limitera pas aux seules
activités de marchés dont on a beaucoup parlé et à
Londres. Il pourra y avoir des services administratifs en Irlande ou en
Belgique.
Troisième remarque : on sous-estime les effets de ces
phénomènes sur l'emploi. Or, il y a à la fois des effets
indirects et induits. Indirects, les emplois qui sont directement liés
au fait que l'emploi est ici ou là. Une étude de la London
Business School a montré que pour les 300.000 employés du secteur
financier au sens large de la place de Londres, 600.000 emplois étaient
concernés (avocats, experts-comptables, commissaires aux comptes,
sociétés de conseil, personnel de ces sociétés).
Voilà pour le premier cercle d'emplois indirects.
Le deuxième cercle : les emplois induits. Si ces gens ne sont pas
ailleurs, c'est à l'endroit où ils résident qu'ils
consomment, qu'ils se logent. Les effets de levier peuvent être
très importants. Pour un cadre de haut niveau chez Microsoft, l'effet de
levier est de 1 à 7. Il serait de 1 à 3 ou 4 en permanence pour
un cadre moyen, que cela ne m'étonnerait pas. Cela mérite
réflexion et beaucoup d'attention dans les années qui viennent.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Comment expliquez-vous que la banque n'a pas
entrepris plus tôt la renégociation de la convention
collective ?
M. Michel FREYCHE - A l'époque où le problème a
été sérieusement posé, la quasi-totalité des
établissements étaient encore sous le contrôle de l'Etat.
Plus précisément, sur instruction du ministre de
l'économie et des finances de l'époque, lors de la réunion
décisive, un chef d'établissement a dit que ce n'était pas
possible, qu'il s'y opposait. Il a fait savoir que les plus hautes
autorités politiques s'y opposaient.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
C'était le président du
Lyonnais.
M. Michel FREYCHE - C'était à l'époque, le
président du Lyonnais. Il y a eu peut-être un certain manque de
courage de la profession, mais nous négocions depuis 96. Nous
n'avançons pas et nous négocions de manière très
précise sur les principaux aspects de la rénovation de cette
convention. Cette négociation est complètement pervertie par le
fait que nos interlocuteurs défendent leurs responsabilités au
niveau de la France alors que nous décentralisons au maximum.
En second lieu, nos interlocuteurs espèrent tout de l'Etat, y compris
les 35 heures payées 39. Nous sommes pessimistes. Pour des raisons
psychologiques, et comme le souhaitait le Gouvernement, nous avions voulu ne
pas dénoncer formellement la convention collective pour ne pas donner
l'impression à nos interlocuteurs de les contraindre à
négocier avec le couteau sous la gorge. Nous allons, probablement assez
vite, devoir franchir ce pas de la dénonciation effective pour
être pris au sérieux et avoir, pour eux, l'obligation de
négocier.
Une période de dix-huit mois qui s'ouvre. Si dans ce délai, nous
n'avons pas réussi à nous mettre d'accord, nous appliquerons le
code du travail, purement et simplement. Celui-ci est nettement moins favorable
que notre convention collective. Ce serait un puissant moyen pour les amener
à négocier sérieusement et je crains fort que nous soyons
contraints, dans les semaines qui viennent, à l'utiliser pour permettre
une véritable négociation équilibrée.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Je retire deux enseignements. La banque
est une industrie de main-d'oeuvre. C'est sans doute un des secteurs les plus
sensibles au dispositif à l'étude actuellement. Une alerte vive
met en cause, comme disait M. Jourdain, l'aménagement du territoire.
S'il est vrai que les banques sont dans l'obligation de revoir leurs effectifs,
il peut y avoir un facteur d'accélération tendant à
supprimer un certain nombre d'agences sur le territoire national.
M. Michel FREYCHE - Ce que nous souhaitons, ce n'est pas du tout qu'il n'y ait
aucun espoir de réduction de la durée du travail. Pourquoi pas
35 heures ? Nous demandons de nous laisser négocier
établissement par établissement. C'est là que les choses
doivent se passer et à l'intérieur des établissements
bancaires, site par site, l'éventuelle application de dispositions
réduisant la durée du travail. Nous avons déjà,
dans certaines banques et établissements, réduit la durée
du travail à 35 heures. C'est ce qu'on ne manquera pas de vous
dire, mais pour obtenir en contrepartie des avantages tels que les
équilibres soient satisfaisants, que la banque s'y retrouve et que le
salarié ait une contrepartie qui l'intéresse également.
La Société Générale qui n'a pas la
réputation d'être à la pointe du progrès social -
à tort peut-être - est à 35 heures dans certains
établissements. Ce n'est pas tant les 35 heures que le fait de nous
imposer à tous, à une date prédéterminée et
sans contrepartie, les 35 heures, et même de nous empêcher
d'avoir des contreparties puisque plus rien n'est négociable.
Laissez-nous faire comme cela s'est fait dans tous les autres pays où
partiellement, certains sont à 35 heures. Ne croyez pas qu'en
Hollande par exemple, tout le monde est à 35 heures. Une
majorité des personnels dans les banques travaillent plus de
35 heures, sans heure supplémentaire d'ailleurs. Par avancement,
par accord au niveau de chacun des établissements. A l'intérieur
même des établissements, certains services, comme à l'AMRO
Bank, la banque avec qui j'en ai discuté, sont à 35 heures,
d'autres sont à 37, d'autres à 38,5 heures.
C'est cela que nous souhaitons : un minimum de liberté et la
restauration de véritables négociations sous la
responsabilité de ceux qui ont en charge le compte d'exploitation,
c'est-à-dire les entreprises.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président -
Vous avez vu
l'intérêt que soulevait votre audition. Je tiens à vous
remercier ainsi que MM. de Massy et Cahart.
B. AUDITION DE MM. CLAUDE COCHONNEAU, ADMINISTRATEUR DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES SYNDICATS D'EXPLOITANTS AGRICOLES (FNSEA) ET DE M. ARNOLD BRUM, CHEF DU SERVICE DES AFFAIRES SOCIALES
MM. Claude Cochonneau, Arnold Brum et Mme Nadine Normand
sont introduits dans la salle
Le président lit la note sur le protocole de publicité des
travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à
MM. Claude Cochonneau, administrateur de la Fédération nationale
des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), Arnold Brum, chef de service, et
Mme Nadine Normand.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président -
L'organisation du travail
que nous vous proposons est la suivante. Nous disposons d'une heure. Vous
introduisez le débat par votre exposé. Ensuite, je passerai la
parole à M. Arthuis rapporteur et à tous les
collègues qui souhaiteront vous poser des questions.
M. Claude COCHONNEAU - Monsieur le président, messieurs les
sénateurs, je vous remercie, même si nous sommes convoqués,
de nous donner l'occasion de nous exprimer sur le problème particulier
des 35 heures. L'agriculture n'est pas un secteur très connu pour
l'emploi qu'il génère. Malgré tout, près de un
million de personnes travaillent dans l'agriculture dont près de 300.000
équivalents temps plein, qui comprennent les permanents et les
saisonniers. C'est un emploi qui n'est pas inexistant et qui plus est, a
l'avantage particulier d'être réparti de manière assez
harmonieuse sur le territoire, ce qui n'est pas nuisible à
l'aménagement du territoire.
Sans entrer dans le détail des aspects techniques, je polariserai mon
intervention sur les particularités que nous y voyons, dans
l'application de la loi au niveau de l'agriculture. Première remarque,
une bonne partie de nos produits sont confrontés à des
marchés assez ouverts, notamment le secteur fruits et légumes qui
n'est pas contingenté. Le secteur fruits et légumes est
confronté à d'autres bassins de production dans le monde,
notamment dans l'hémisphère sud qui n'ont pas les mêmes
contraintes en matière de main-d'oeuvre. En matière de
compétitivité, nous sommes très sensibles à
l'augmentation des charges de travail dans ce domaine.
Dans le prix de revient d'un kilo de fruits ou de légumes, il y a 50
à 60 % de main-d'oeuvre. Toute évolution de cette charge a un
effet important sur la compétitivité des entreprises. Ce qui se
passe en matière de délocalisation est très significatif
de cette réalité. Les légumiers qui font les
légumes au Maroc, ce n'est pas uniquement pour le plaisir de faire
travailler les Marocains.
Seconde remarque sur les incitations dans le cadre de cette loi d'orientation
et sur l'accord offensif où un exploitant est obligé de
réduire la durée de travail et d'embaucher pour
l'équivalent. C'est très délicat pour des entreprises
où il n'y a que quelques salariés. Quand vous n'avez que deux
salariés, il est difficile de réduire la durée du travail
de 10 % et d'embaucher 6 % d'équivalents temps plein. C'est un
problème qui nous paraît techniquement difficile à
résoudre sauf, peut-être, dans le cadre des groupements
d'employeurs. Là, c'est un système idéal dont on
rêve, qui est de pouvoir compenser cette réduction du temps de
travail par l'embauche d'un morceau de salarié dans le cadre d'un emploi
partagé. C'est une solution qui n'est pas encore
développée à grande échelle.
Autre remarque sur les niveaux de salaires : dans le texte de loi et dans
les propos du ministre, on a remarqué certaines incohérences, un
certain flou artistique ou involontaire, notamment sur l'avenir du SMIC et son
évolution.
Aujourd'hui, on appréhende les choses différemment selon que l'on
évoque les 35 heures payées 35 ou les 35 heures
payées 39. 11 % au lieu de 4 % d'augmentation ne nous
réjouissent pas pour les raisons que nous avons évoquées
plus haut. Les branches agricoles des syndicats de salariés n'ont pas
plus d'explications que nous. Nous avons rencontré les conseillers de
Mme Aubry à ce sujet ; leur réponse est que la loi ne
prévoit rien et que l'on compte sur la négociation pour
résoudre le problème. A priori, on partirait sur 35 heures
payées 35, et c'est la négociation qui ferait qu'il n'y aurait
pas de réduction des salaires pour les salariés. Cela fait quand
même une augmentation importante. Le fait de ne pas avoir
d'éléments plus clairs sur le SMIC nous inquiète. On a le
souvenir de ce qui s'est passé en 1982 avec une hausse brutale du SMIC.
Cela avait traumatisé les gens que nous représentons.
Autre point sur le SMIC : le fait d'aboutir à un double SMIC nous
paraît très difficile à appliquer. C'est une forme de
ségrégation par rapport à la date d'embauche et nous
voyons très mal comment dire aux anciens qu'ils ont un SMIC et aux
nouveaux embauchés un autre SMIC. On voit assez mal comment faire
travailler les gens dans ces conditions dans la mesure où beaucoup de
travaux se font en équipe et où les gens ont pris l'habitude de
communiquer dans le cadre de leur travail.
Quatrième remarque sur les heures supplémentaires, là non
plus, nous n'avons pas de solution. Un surcoût serait induit avec la
36
ème
heure comptée comme heure supplémentaire.
On estime le surcoût à 5 % ou 6 %, uniquement sur ce
problème d'heures supplémentaires, même si le
problème du plafond ne nous concerne que modérément.
Pour conclure, le fait que l'on émette des réserves sur les
35 heures ne veut pas dire que nous nesoyons pas sensibles au
problème du chômage et surtout au chômage des jeunes. Il
touche aussi les familles des agriculteurs ou le milieu rural. On a d'ailleurs
faisant allusion à ce que l'on a fait dans la profession et en
matière de répartition des droits à produire et des
structures dans les années 60 et des droits à produire maintenant
une forme de partage du travail. Quand on décide aujourd'hui de
plafonner des redistributions de quotas laitiers, c'est la possibilité
donnée à d'autres personnes d'accéder au métier
d'agriculteur et par conséquent, à un emploi.
On ne peut pas nous taxer de ne pas être favorables au dialogue social.
En agriculture, on a l'habitude du fonctionnement paritaire. On a des
structures locales paritaires au sein desquelles on discute des
problèmes de salaires mais aussi du développement de l'emploi,
des aspects de formation. On ne peut pas nous taxer de ne pas être
favorables à ce type de fonctionnement.
Enfin, on a même une expérience en matière de
réduction du temps de travail, puisque l'agriculture est l'un des
premiers secteurs à avoir passé un accord de réduction par
l'annualisation. En échange de l'annualisation et d'une certaine
flexibilité, on avait accepté l'accord des 37,5 heures
payées 39. Cet accord est signé.
Or, on voit arriver une loi qui remet en cause l'accord que nous avions
réussi à passer malgré tout. C'est bien dans cet esprit
là qu'on a signé le communiqué du CLIDE que vous avez
dû voir et qui a peut-être paru quelque peu radical ou
réactionnaire à certains d'entre vous. L'esprit de ce
communiqué signé avec les partenaires employeurs était
bien de resituer le problème des 35 heures dans le contexte
économique général.
On ne peut pas demander à l'agriculture de rentrer dans une
économie libérale la tendance de la Communauté
européenne est de réduire les aides et de rapprocher les
coûts des prix du marché mondial et nous imposer des contraintes
supplémentaires que n'auraient pas les autres pays avec lesquels on nous
met en concurrence. Notre réaction va dans ce sens. Je tenais à
le préciser. Car nous ne sommes pas contre les 35 heures par
principe et de manière systématique.
Si l'on est contre la réduction du temps de travail telle qu'elle nous
est proposée, c'est qu'elle nous paraît difficilement applicable
aux entreprises agricoles et dans le contexte économique actuel. Cela
nous paraît difficile à supporter surtout pour les secteurs
très gourmands en main-d'oeuvre que sont les fruits et légumes,
qui sont les plus confrontés à l'ouverture des marchés.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Compte tenu de ce que vous
venez de nous indiquer, seriez-vous prêts à encourager des accords
vous l'avez déjà fait pratiquement dans la mesure où des
engagements seraient pris en contrepartie de gel ou de modération des
salaires.
M. Claude COCHONNEAU - Il est vrai qu'au moment de l'accord d'annualisation, on
s'était posé les mêmes questions. Nous avions pris le
risque en passant cet accord de ne pas bloquer l'augmentation du SMIC. C'est un
accord de branche. On n'avait pas le pouvoir de négocier l'augmentation
du SMIC. Cela étant, on a pris le risque mais en échange de
l'annualisation, on a eu la souplesse.
Pour l'agriculture, du fait des productions liées aux saisons, la
souplesse nous a permis d'inciter nos mandants à regarder de plus
près cet accord sur l'annualisation. Aujourd'hui, si on avait des
engagements fermes sur la non-évolution ou sur une évolution
raisonnée du SMIC, on appréhenderait les choses de manière
différente, notre objectif étant de ne pas laisser filer la masse
salariale. A présent un producteur de fruits doit faire appel à
200 ou à 100 personnes pour cueillir ses pommes, cela ne change pas
grand chose. Par contre, pour moi qui ai un porcher, si je dois réduire
son temps de travail de 10 %, j'aurai du mal à trouver par annonce
6 % d'un porcher. Déjà 100 % d'un porcher, ce n'est pas
facile à trouver, alors 6 % !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Je remercie M. Cochonneau pour la
clarté de son propos. Votre confédération est-elle
prête à signer des accords je pense que c'est le cas puisque vous
en avez fait la démonstration portant annualisation du temps de
travail ? Est-ce une voie qu'une loi pourrait explorer à condition
de prévoir des modalités de cette annualisation ? C'est une
orientation qui est à valider. Dans le cadre des GE (groupements
d'employeurs) y a-t-il une réponse possible au fractionnement du temps
de travail ?
M. Claude COCHONNEAU - Sur l'annualisation, nous y sommes favorables. Pour
l'agriculture, cela permet de coller mieux aux réalités de la
production. Sur les groupements d'employeurs nous avons une
fédération des groupements d'employeurs et nous incitons le
développement de ces groupements cette formule a un intérêt
majeur qui est d'adapter, de faire coller l'emploi aux besoins en
main-d'oeuvre. On a très peu d'employés dans nos entreprises. On
n'a pas besoin d'un salarié supplémentaire. Parfois, certains ont
besoin d'un demi ou quart de salarié pour des tâches bien
précises.
Le groupement d'employeurs a cet intérêt de permettre à des
agriculteurs d'un même secteur d'embaucher à plusieurs et d'avoir,
sur un quart temps ou un tiers temps, une personne qui a les mêmes
compétences qu'un temps plein parce qu'elle fait le même travail
par ailleurs. Mais ce n'est pas la solution miracle. On a maintenant
développé la formule. Tout le monde a regardé cela de
très près. Nous conseillons même les gens dans ce domaine.
Dans un certain nombre de cas, nous sommes amenés à conseiller
aux agriculteurs de ne pas faire un groupement d'employeurs mais d'engager une
personne. On n'encourage pas forcément à faire des groupements
d'employeurs si c'est seulement pour bénéficier d'aides pendant
deux ans. Pour ces aides, cela ne présente pas d'intérêt
à moyen terme.
Par contre, dans un certain nombre d'autres cas, on conseille aux agriculteurs
de le faire car cela permet de faire coller la main-d'oeuvre aux besoins de
l'entreprise et d'éviter de faire grossir leur entreprise. Ce sont deux
choses complètement différentes. J'insiste sur ce point car il
faut savoir que l'on est sur une multitude d'entreprises comptant très
peu de salariés. Ce n'est pas comme Renault qui embauche 50 personnes
d'un coup quand ils ont un problème de salariés. On est sur un
même problème, mais pas sur la même échelle.
M. Arnold BRUM -
Je voudrais compléter la réponse. Vos
deux questions concernent deux catégories d'employeurs agricoles. D'une
part, il y a les productions spécialisées végétales
fruits et légumes, horticulture, viticulture qui subissent fortement la
contrainte des travaux saisonniers. Pour ceux-là, l'annualisation est
une solution. Il y a un an, nous avons signé un avenant à un
accord national qui permet l'annualisation sur la base des 38 heures
payées 39 heures ou 37,5 heures payées 39 heures.
Il y a des solutions alternatives.
L'originalité de l'accord est qu'il précise que l'employeur
décide unilatéralement de la mise en oeuvre de l'une des formules
d'annualisation prévues, étant donné que la conclusion
d'accords d'entreprises est illusoire en agriculture où il n'y a
pratiquement pas de délégués syndicaux pour des
entreprises de dix ou quinze salariés, et encore moins de un ou deux
salariés.
Ces accords précisent que si l'employeur décide telle formule, il
doit respecter telles règles. Cela existe donc déjà. Par
exemple, quand on fait 37,5 heures de moyenne dans l'année, on a
droit à un maximum de 250 heures en plus des 37,5 heures
à certaines périodes de l'année, compensées par un
maximum de 250 heures en moins, et le salarié est payé toute
l'année sur la base de 39 heures. La majoration des heures
supplémentaires qui aurait été due pour les prestations
d'heures supplémentaires n'est pas payée mais est
compensée par le fait que le salarié est payé
39 heures pour 37,5 heures en moyenne. Voilà pour la
première formule.
L'autre formule des groupements d'employeurs concerne plutôt les
entreprises qui auraient deux salariés, ou a priori pas de
salarié du tout. Le développement des groupements d'employeurs
est fondé sur le fait que deux ou trois exploitants agricoles, notamment
dans l'élevage, qui ont des charges importantes de travail toute
l'année et pas seulement saisonnières, mais pas assez cependant
pour embaucher un salarié, se mettent ensemble pour embaucher un
salarié. Il faut savoir que ces professions nécessitent des
salariés qualifiés.
Or, trouver un travailleur qualifié pour un mi-temps ou un quart temps
n'est pas possible. Un travailleur qualifié veut se voir offrir un plein
temps. Il faut donc lui offrir ce plein temps sous forme des groupements
d'employeurs. On peut donc imaginer que celui qui a déjà un
salarié, qui doit réduire sa durée hebdomadaire du travail
à 35 heures, s'il veut bénéficier des incitations
financières, doit embaucher 6 % de personnel en plus. Ce n'est pas
possible.
Comment imaginer qu'un groupement d'employeurs puisse le faire ? A ce
moment-là, ce ne sont plus deux ou trois exploitants mais sept ou huit
qui doivent s'unir pour l'embauche. Or, le gros problème pour
l'employeur, c'est l'entente entre les membres du groupement
d'employeurs ; ce sont plus des problèmes de relations entre
agriculteurs que des problèmes d'ordre juridique. Cela peut être
une solution, mais elle serait alors une solution d'élite.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Sur 300.000 emplois, quelle est la
proportion de salariés dans des organisations professionnelles ?
M. Arnold BRUM -
On n'a parlé là que des exploitations. En
production : 180 à 190.000 permanents.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Combien de salariés y a-t-il dans les
organisations professionnelles agricoles ?
M. Arnold BRUM - 30.000 dans la mutualité, 70.000 au Crédit
Agricole et 130.000 dans la coopération et quelques milliers dans les
syndicats, associations etc.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Dans ces secteurs des organisations
professionnelles, comment voit-on le projet ?
M. Claude COCHONNEAU - La coopération a tendance à regarder de
très près ces accords. Ils avaient été sensibles
à la loi de Robien. Cela signifie que le problème est
évoqué et qu'ils sont engagés dans ce processus. Cela dit,
ce n'est pas sans poser de questions. J'ai posé la question en interne
à la FNSEA en commission employeurs en leur disant de se méfier.
On regarde et on explique pourquoi on est plutôt contre du fait que cela
nous paraît difficilement applicable. Or, c'est en train de se passer
dans certaines entreprises. Essayons d'avoir une certaine cohérence.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Il y a quand même un risque de
contradiction à ce niveau-là. La coopération est de toute
façon la formule la plus achevée. Dans ce cas-là, les
coopérateurs assument-ils vraiment la problématique du passage
à 35 heures ? Je me suis parfois demandé si la
transparence était un principe quotidien.
M. Claude COCHONNEAU - Monsieur le sénateur, vous posez la question et
vous donnez la réponse.
Il est vrai que l'on se pose ce genre d'interrogation, mais le débat est
la question posée aujourd'hui. Cela dit, entre le statut de la
coopération, et ce que l'on fait au niveau de la coopération et
du mutualisme par rapport à l'idée généreuse de
base, il y a un certain déphasage. Ce qui n'est pas sans nous poser
quelques problèmes.
La coopération a un comportement parce que les adhérents le lui
demandent d'entreprise privée parfois. Ce n'est pas le cas de toutes les
coopératives, mais cette espèce de fuite en avant, de
grossissement des coopératives on a des outils coopératifs quel
que soit le milieu dans le domaine céréalier finissent par
devenir des groupements monstrueux. C'est vrai que pour les professionnels qui
y sont se pose le problème de la gestion d'outils de cette taille. Ce
n'est pas sans nous préoccuper.
Sur les 35 heures, les coopératives sont intéressées.
Pour une coopérative, c'est comme pour une entreprise, c'est plus facile
à mettre en oeuvre que pour une exploitation. Avec les aides actuelles,
ce n'est pas forcément un mauvais choix en termes de gestion
d'entreprise pour une coopérative que d'avoir fait appliquer la loi de
Robien ou d'essayer d'appliquer la loi des 35 heures et de
bénéficier des aides.
On ne peut pas reprocher aux gens qui ont la gestion économique des
coopératives de faire ce choix s'il est jugé rentable au moment
où ils le font.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Dernière question :
pensez-vous que ce projet de loi portant la durée légale
hebdomadaire de travail à 35 heures est de nature à
créer des emplois dans le secteur dont vous avez la charge ?
M. Claude COCHONNEAU -
Nous pensons que, non seulement, cela ne sera pas
de nature à développer des emplois, mais nous y voyons un autre
risque contre lequel on essaie de lutter péniblement,
c'est-à-dire le développement du travail au noir, pour les
raisons qu'on a évoquées plus haut. L'agriculteur devra
réduire de 4 heures son temps de travail. De par la nature des
produits et des tractations, l'agriculture est déjà un milieu
" à risque " pour ce genre de pratique. Même si on les
dénonce, on sait qu'on n'est pas complètement clairs sur le
sujet. C'est vrai qu'il y a là un risque majeur.
Quant à développer des emplois, l'agriculture est
également confrontée aux gains de productivité liés
à la mécanisation et à l'automatisation.
L'évolution de la robotique dans notre métier n'est pas non plus
de nature à créer des emplois. On peut donc s'inquiéter,
même si sur le fond, philosophiquement, par rapport à ce que l'on
voit dans les rues aujourd'hui et les mouvements des chômeurs, on ne peut
rester indifférents par rapport à l'emploi.
On sait bien que, sauf une croissance exponentielle, ce qui n'est pas vraiment
ce qui nous est annoncé, surtout ces derniers temps, si on veut
résorber le chômage, il y a bien un problème de partage,
non seulement de l'emploi mais aussi de la richesse, qui va avec l'emploi.
C'est un problème qui dépasse largement l'agriculture. Mais dans
l'agriculture, une majorité des salariés saisonniers a un revenu
assez proche du SMIC. Aujourd'hui, annoncer au saisonnier qu'on va
réduire son travail mais aussi son salaire nous paraît difficile.
Ce n'est sans doute pas une réponse très tranchée.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Avez-vous ressenti une attente des
salarié quant à la réduction du temps de travail dans les
secteurs agricoles ?
M. Arnold BRUM - Le temps de travail est assez secondaire, monsieur le
président. On n'a pas de déplacements. Les heures
supplémentaires, cela veut dire rentrer le soir à 18 heures
au lieu de 17 heures.
M. André JOURDAIN - M. Cochonneau a évoqué les groupements
d'employeurs, mais aussi le multisalariat. Pense-t-il qu'il y a des
développements possibles dans d'autres secteurs d'activités pour
le multisalariat dans le sens d'une personne travaillant quelques heures chez
l'un, quelques heures chez l'autre etc. Est-il possible de développer
cela ? Y-a-t-il des choses à faire pour créer des emplois
par cette opportunité du multisalariat.
M. Claude COCHONNEAU - C'est vrai que le développement des groupements
d'employeurs est bien fondé sur cette approche, sous certaines
réserves. On a mis en place une charte de qualité pour les
groupements d'employeurs.
Les groupements d'employeurs qui respectent cette charte de qualité qui
prévoit de plafonner le nombre d'employeurs devraient être
aidés. Car il ne faut pas non plus tomber dans l'agence
d'intérim. On considère que dans la mesure où il y a peu
de distance et de frais de déplacements d'un poste à l'autre, un
salarié peut avoir deux à trois employeurs. Ce n'est pas
irréaliste. Si l'on va au-delà, on tombe dans la
société de service, ce qui est complètement
différent. Dans certaines régions se développent
même certaines complémentarités entre secteurs. En
Poitou-Charentes, il y a par exemple un groupement d'employeurs entre
agriculteurs-artisans, agriculteurs-commerçants. Dans certaines zones de
montagne, on trouve le développement du groupement d'employeurs entre
agriculteurs et collectivités locales. C'est dans le même esprit.
Cela permet à la collectivité ou à l'agriculteur d'avoir
le " morceau " de salariat qui lui manque pour le bon
fonctionnement
de l'entreprise. Idem pour certaines communes qui n'ont pas toujours besoin
d'un permanent pour entretenir la voirie.
Cela relève plus de solutions locales. On peut difficilement songer
à un développement massif de ce genre de fonctionnement.
M. André JOURDAIN - Faut il obligatoirement passer par les groupements
d'employeurs ?
M. Claude COCHONNEAU - Non. On peut penser qu'un salarié ait deux
employeurs sans passer par le groupement d'employeurs. Un groupement
d'employeurs permet de faire tampon entre la personne qui cherche à
avoir un salarié et le salarié lui-même. Mais il a les
mêmes responsabilités que dans un groupement d'employeurs.
M. Arnold BRUM - On peut imaginer que le salarié a deux ou trois
contrats à temps partiel avec deux ou trois employeurs. Encore faut-il
que chaque employeur ait son horaire bien prédéterminé
etc. D'autre part, si un employeur licencie, l'autre n'est pas obligé de
le faire etc. C'est relativement difficile à organiser, et il n'y a pas
de garantie pour le salarié.
En outre, comme il faut des salariés qualifiés que l'on ne trouve
pas ou peu, dès que l'on en trouve un, il faut donc lui offrir un
contrat solide. Par conséquent, on ne peut pas lui demander de prendre
deux ou trois contrats à temps partiel. C'est la raison pour laquelle la
solution du groupement d'employeurs est intéressante.
M. Daniel PERCHERON - Monsieur Cochonneau, à mon avis, vous avez
mieux terminé que vous n'aviez commencé votre remarquable
exposé. Vous avez notamment dit " qu'il ne faudrait pas que l'on
croie... ". Si, monsieur Cochonneau, on croit qu'en rejoignant la
croisade
de ceux qui sont contre les 35 heures, vous avez fait votre pas politique
de la radicalisation contre cette mesure.
C'est sur le fond que je voudrais vous poser la question car vous l'avez
évoqué à la fin de votre exposé. Ne craignez-vous
pas que si la démarche volontariste des 35 heures vous avez
parlé du chômage en milieu rural échoue ; si la
société française se bloque, l'autre solution s'impose
finalement de toute évidence. C'est-à-dire le modèle
totalement libéral, et que le capitalisme social renonce finalement en
France à s'affirmer à travers un certain type d'économie
mixte.
Or, puisque vous avez la chance, à la FNSEA formidable lobby agricole
d'être le fleuron de l'économie mixte, puisque vous avez la chance
de ne pas être sur le marché mondial, de voir toute la classe
politique courageuse ou prudente se féliciter de vous faire
échapper au marché mondial et adjurer Renault de conquérir
des parts extérieures sans un sou de subvention, voter sans discuter les
budgets qui vous permettront de toucher les subventions à l'exportation
pour vos produits ce dont je me réjouis n'avez-vous pas peur que, dans
cette croisade que vous menez au bénéfice du modèle
libéral, la PAC (politique agricole commune) soit un jour
emportée ?
Vous avez fait allusion à la réforme de la PAC. La main invisible
du marché peut un jour se sentir suffisamment forte pour que
l'agriculture européenne et notamment l'agriculture française,
dépende totalement d'elle. Voilà ce que je voulais vous dire et
ce que je pense sincèrement.
Car les 150 milliards francs lourds directement ou indirectement, au travers du
budget européen ou du budget français c'est-à-dire
l'effort des contribuables français de plus en plus conscients en faveur
de leur agriculture se justifient par le fait que vous aménagez et que
vous nourrissez l'un des plus beaux, sinon le plus beau pays du monde, et que
vous remplissez un rôle irremplaçable pour notre pays.
Sur les 35 heures, je vous invite, même si vous êtes
croisé, à plus de nuance et à plus de prudence, au nom de
mon amour de l'agriculture française et de ses agriculteurs !
M. Claude COCHONNEAU - S'il n'y avait eu que des croisés comme nous, je
crois que l'histoire n'aurait sans doute pas été la même.
Je considère qu'on n'est pas en croisade sur ce sujet, d'autant que pour
les raisons évoquées plus haut, on fait preuve en agriculture
d'un dialogue social que certains secteurs nous envient et peuvent nous envier
à juste titre d'ailleurs.
Sur vos remarques concernant le marché mondial et le risque de
radicalisation, je vous signale que les secteurs les plus employeurs de
main-d'oeuvre sont confrontés au marché mondial. Aujourd'hui, les
fruits et légumes, avec les pommes qui viennent du Chili, ne sont pas du
tout concernés par la PAC. Ce qui est paradoxal car les secteurs
où se développe l'emploi sont justement les secteurs non
encadrés.
Je ne milite pas pour autant pour un libéralisme à tout crin. Il
y a des à coups dans ce secteur qui font que quand le prix du porc
diminue de moitié, passant de 12 à 6 ou 7 francs pour 1998,
il est très difficile de gérer les entreprises dans un tel
contexte.
Aujourd'hui, vous avez évoqué le problème des
contribuables et de la PAC, il faut savoir que la PAC est en train
d'évoluer. C'est pourquoi je disais d'entrée de jeu que l'on nous
engage vers une économie plus libérale.
M. Daniel PERCHERON -
C'est certain !
M. Claude COCHONNEAU - Mais je n'ai pas cru comprendre que le Gouvernement
français, actuel ou précédent d'ailleurs, ait vraiment
freiné la commission européenne sur ce sujet. Nous
considérons en tout cas que les gouvernements successifs n'ont pas
freiné la Commission (européenne)
M. Daniel PERCHERON - Ils ont freiné des quatre fers ! Ils n'ont
fait que freiner. Vous pouvez les remercier les uns et les autres.
M. Claude COCHONNEAU - Vous nous entraînez sur un terrain glissant. C'est
vrai que certaines évolutions n'ont pas abouti à ce que
souhaitait la Commission (européenne).
Cela dit, le problème de la relation de la France avec l'Europe et la
PAC est que la France est le seul pays concerné par un territoire aussi
important. Les autres pays ont des analyses différentes en raison des
choix qu'ils ont faits pour leur agriculture, et surtout des choix
différents d'aménagement du territoire. La France aujourd'hui a
un territoire encore à peu près équilibré,
même si on a déploré ici ou là certains
problèmes, que l'on connaît bien pour être sur le terrain.
Malgré tout, cela pourrait être pire.
Néanmoins, je ne suis pas persuadé que les 35 heures
permettent de résoudre ce problème spécifique.
Aujourd'hui, on vous apporte quelques éléments mais ce n'est pas
l'agriculture qui bloquerait une évolution quelconque sur cette question
des 35 heures. De toute façon, on sera beaucoup plus favorable
à une politique incitative sur le sujet qu'à une loi
contraignante. C'est-à-dire que l'on envisagerait plus facilement que
ceux qui passent aux 35 heures bénéficient d'une aide
particulière, mais que celui qui reste à 39 heures pour des
raisons de choix ou d'entreprise, n'ait pas des contraintes
supplémentaires.
A cet égard, je vous rassure, on n'est pas bloqués. A la
commission employeur de la FNSEA, même s'il y a des gens de secteurs
très divers, la synthèse que l'on en fait est justement de ne pas
avoir de position radicale, de ne pas être figé par rapport
à ce problème. Néanmoins, il y a des
réalités économiques que l'on ne peut pas nier.
M. Daniel PERCHERON - Pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté
concernant la PAC, la décision prise par le général de
Gaulle d'exiger la PAC au moment où l'Europe se mettait place est l'une
de ces décisions qui façonne un pays et qui a été
une décision extraordinairement positive pour la France. A tous points
de vue : économique, aménagement du territoire, et j'ajouterai
même pour l'âme du pays.
Mesurez quand même bien que l'évolution européenne est
aujourd'hui à la croisée des chemins. Cette commission qui
travaille avec un commissaire social-démocrate, M. Karel Van Miert,
ancien député et ancien député européen, qui
surveille la France comme le lait sur le feu à propos des subventions
d'Etat, qui va loin dans la contrainte vis-à-vis d'une compagnie comme
Air France, est susceptible, un jour, d'avoir une majorité
qualifiée dans une Europe plus politique ; majorité
susceptible de sacrifier un jour l'essentiel de la PAC, alors que
paradoxalement, un pays ultralibéral comme les Etats-Unis fait les
efforts financiers nécessaires pour son agriculture.
Voilà ce que je voulais vous dire à partir du communiqué
signé par la FNSEA, que personnellement, en tant que patron de la FNSEA
si je l'avais jamais été un jour, je n'aurais jamais signé.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Nous avons bien compris que
vous avez transmis le message à l'occasion de cette commission à
la FNSEA.
M. Daniel PERCHERON - Le dialogue est intéressant. Je sais que vous ne
prendrez pas les préfectures d'assaut sur les 35 heures ?
(
non
) C'est l'essentiel.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
On ne va pas ouvrir un débat avec
M. Percheron, mais j'ai compris que les secteurs qui sont soumis à
la logique de marché ne sont pas ceux qui sont les moins actifs...
M. Daniel PERCHERON -
Au contraire !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - ...que les agriculteurs français sont
devenus des professionnels du plus haut niveau, qu'ils affrontent une
concurrence internationale et que ce sont les secteurs où l'on
crée le plus d'emplois. Dans certaines régions de l'ouest de la
France, qu'il s'agisse du porc ou de la volaille, la valeur ajoutée est
considérable. Il ne faut pas non plus imaginer que la logique de
marché est nécessairement destructrice d'aménagement du
territoire et de cohésion sociale.
M. Daniel PERCHERON - Il a dit le contraire. Il a bien dit que c'était
le secteur qui recrutait.
M. Claude COCHONNEAU -
C'est une région dynamique mais on compte
aussi, du fait du non-encadrement, des entreprises fragiles, même avec
des chiffrages considérables. Elles sont d'autant plus fragiles qu'elles
sont soumises aux fluctuations qui peuvent ne pas être gênantes,
mais qui sont parfois insupportables.
Elles sont d'autant plus dynamiques que dans le secteur du maraîchage,
comme l'horticulture par exemple entreprise qui demande des investissements
colossaux quand on compare le niveau d'investissement au revenu moyen
dégagé par ces gens, même lissé, en
écrêtant les bonnes et mauvaises années, on peut dire que
les gens sont entreprenants et aiment leur métier pour investir autant
d'argent et être soumis à des pressions aussi fortes. Cela
correspond aussi en partie à des secteurs où la demande mondiale
est en croissance.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - J'ai bien noté qu'il y avait un double
risque de délocalisation du fait de contraintes plus fortes sur le
coût du travail. C'est ce qui résulterait de la loi sur les
35 heures. D'autres part, ces deux motifs de délocalisations
pourraient être aussi bien les placements des légumiers au Maroc
ou ailleurs, ou encore le passage dans la clandestinité.
Avez-vous une opinion dans ce domaine sur ce que pourrait représenter,
si cela existait, le travail au noir dans l'agriculture.
M. Arnold BRUM - A ce propos, le développement du travail clandestin se
fait aussi bien avec des travailleurs français ou présents sur le
territoire qu'avec des travailleurs venant de l'étranger. Le
phénomène se développe avec les Polonais notamment.
L'office des migrations internationales a introduit officiellement 3.000
saisonniers polonais. Il y en a plus que dix fois plus. Personne ne
pénalise, il n'y a pas de procès-verbal, ils ne sont pas
payés au SMIC. On ne respecte ni les 35 heures ni les
39 heures, parce qu'il s'agit soi-disant d'une oeuvre humanitaire !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est de l'esclavagisme ! Est-ce une valeur
de gauche ?
M. Daniel PERCHERON - Non, c'est un constat.
M. Arnold BRUM - Deuxièmement, il y a la prestation de service
officielle au niveau européen. Une directive sur le détachement
des travailleurs permet de détacher des travailleurs d'entreprises
européennes au sein de l'Union européenne en les gardant au
régime de sécurité sociale de leur pays d'origine. Le
résultat est que certaines entreprises anglaises et portugaises sont
organisées par les maraîchers - horticulteurs - producteurs de
fruits français qui embauchent là-bas un directeur pour une
société qui embauche des Anglais et des Portugais pour les
envoyer en France faire les vendanges, les récoltes de pommes.
En Angleterre, il n'y a pas de cotisations sociales et donc pas de cotisations
patronales. Au Portugal, les cotisations sont très faibles. Tout cela
est légal et se développe à la vitesse
" V " !
Notre commentaire est de dire qu'il faudrait changer, notamment le
règlement sur la sécurité sociale. Mais dès lors
que l'on accroît les contraintes des employeurs français la loi
sur les 35 heures en est un exemple cela ne peut que développer ce
genre de recours à ces formules puisque ces gens ne sont
contrôlés par personne, ne reçoivent pas de P.V., ni rien
du tout. Le danger est donc dans le développement du travail au noir
légal ...
M. Daniel PERCHERON - ...communautaire.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - C'est très sensible
aussi dans le secteur du tourisme où les tours-opérateurs,
notamment britanniques, embauchent des jeunes Français et Hollandais
pour les envoyer dans les entreprises françaises. C'est un secteur que
je connais bien. L'Inspection du travail a tenté de réagir
très fortement. Mais contre ces différences économiques,
trop d'impôts et trop de charges, on crée des appels d'air.
Y-a-t-il d'autres questions ? (
non)
Messieurs, je vous remercie
infiniment. Nous étions très fortement représentés
pour l'ouest.
M. Daniel PERCHERON - C'est pourquoi je disais que les gouvernements avaient
freiné des quatre fers. Je suis du Pas-de-Calais où les
céréaliers ont obtenu les meilleurs rendements mondiaux en 1996.
Il n'y a pas que les corons dans le Pas-de-Calais, il y a une formidable
agriculture !
M. Marcel-Pierre CLEACH, président
-
Je vous remercie messieurs.
C. AUDITION DE M. JEAN CATHERINE, REPRÉSENTANT DE L'ASSOCIATION NATIONALE DES DIRECTEURS ET CADRES DE LA FONCTION PERSONNEL (ANDCP)
M. Jean Catherine est introduit dans la salle
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la
commission d'enquête et fait prêter serment à M. Jean
Catherine, représentant de l'Association nationale des directeurs et
cadres de la fonction personnel (ANDCP).
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Je vous donne la parole. La
procédure retenue est que vous introduisiez le débat par un
exposé et qu'ensuite, M. Arthuis, rapporteur, vous pose des questions.
Les collègues présents vous poseront également des
questions auxquelles vous répondrez lors d'un échange très
libre.
La parole est à M. Catherine.
M. Jean CATHERINE -
Monsieur le président, l'ANDCP (Association
nationale des directeurs et cadres de la fonction personnel) est une
association qui vient de fêter son cinquantenaire et regroupe 4.000 DRH
(directeurs des relations humaines), personnes qui assurent la fonction des
ressources humaines dans l'entreprise dans l'ensemble de la France. Je vous ai
apporté une documentation sur l'association elle-même,
réalisée à l'occasion de notre cinquantenaire, et deux
publications qui portent justement sur l'aménagement et la
réduction du temps de travail, datant de décembre 1997.
Je n'ai ni révélations à faire ni ne détiens la
vérité, mais nous avons un certain nombre d'informations en
provenance de tous nos collègues qui pourront peut-être vous
être utiles. Notre association est apolitique. Je me bornerai donc
à des questions factuelles.
Je crois savoir que vous souhaitez aborder trois sujets : les
conséquences financières, économiques et sociales. Sur les
conséquences financières, un calcul simpliste consiste à
dire qu'on va passer de 39 heures à 35 heures sans
réduction de salaire, ce qui représente une augmentation du
coût salarial de 11,4 %.
Ce calcul est simpliste car, en réalité, le projet de loi
prévoit pour le moment une réduction de la durée
légale du travail. La durée légale n'est pas la
durée réelle. L'incidence que l'on peut en calculer est que
4 heures seront majorées de 25 %, c'est-à-dire que l'on
abaisse le niveau au-delà duquel intervient une majoration pour heures
supplémentaires. Dès lors, si l'on procède au petit calcul
suivant : [(35 x 100) + (4 x 125)]/39, le
coût est de 2,6 % si l'entreprise reste à 39 heures.
Bien entendu, elle peut également changer son horaire. Le coût
peut alors être soit supérieur soit inférieur.
Pourquoi peut-il être différent ? Parce qu'il peut y avoir
des aménagements ou des compensations. Tout d'abord, il peut y avoir
gel, voire réduction des salaires. Il n'y a pas dans les entreprises un
calendrier prédéterminé qui précise qu'à
telle date les salaires seront augmentés de X % etc. Il est donc
très difficile de savoir si cela coûtera 2,6 % aux
entreprises parce qu'on ne sait pas ce qu'elles auraient fait dans un autre
contexte. Elles auraient peut-être augmenté les salaires, ou
peut-être pas.
En tout cas, il est certain qu'à partir du moment où l'on change
les données de la gestion d'une entreprise, on met tout sur la table et
on aura tendance à retarder les augmentations de salaires, ce qui
viendra compenser en partie le coût des majorations pour heures
supplémentaires. Il peut même y avoir des cas où les
salariés ou leurs représentants acceptent une
légère baisse des salaires. Ceci est une des dispositions qui
peut figurer dans la négociation.
Qu'est-ce qui peut diminuer le coûts pour les entreprises ? C'est
l'aide de l'Etat, soit des abattements sur les charges sociales, soit des
subventions. Les entreprises sont assez friandes je dirai même
exagérément friandes de ces aides de l'Etat. Beaucoup
d'entreprises ont des besoins de recrutement, et les aides de l'Etat sont
quelquefois une aubaine. Elles auraient recruté quand même, mais
comme on peut avoir une petite subvention ou bénéficier d'un
petit abattement des charges au passage, on en profite. On ne saura jamais ce
qui se serait passé car il n'y a pas d'effectif idéal, pas
d'horaire de travail idéal, pas de barème de salaires
idéal. Mais cela entre dans la négociation.
Autre compensation possible : la réorganisation de l'entreprise.
Nous avons fait des études dans de petites et grandes entreprises et
avons essayé, non pas de faire des statistiques rapides, mais d'aller
voir sur place et d'analyser les problèmes tels qu'ils ont
été traités dans les entreprises. Nous avons
constaté malheureusement que de nombreuses entreprises étaient
sensibles à l'effet de mode qui consiste à faire des cercles de
qualité, des fonds des pensions, la réduction du temps de
travail ; on fait donc comme tout le monde et on prend des mesures, mais
sans remettre en cause la gestion de l'entreprise.
Or, avec un problème comme la durée du travail, c'est toute la
vie de l'entreprise qui est en cause. La durée du travail touche les
clients, les fournisseurs, le personnel bien sûr, les rapports avec le
monde entier du fait des fuseaux horaires etc. Bref, de nombreux
éléments sont liés à la durée du travail.
Cette durée n'est pas un élément linéaire, mais un
élément variable. Les possibilités d'aménagement du
temps de travail sont donc diverses et il convient de profiter de l'occasion
pour essayer de jouer une partie où tout le monde gagne.
J'en arrive au problème économique, car ce n'est pas seulement un
problème financier ou un problème social. Il est de bon ton de
dire qu'il faut s'inspirer de ce que font certains pays ou certaines
entreprises pour faire du "
benchmarking
", du
"
reengeneering
" ; soit pour parler français,
essayer d'optimiser l'organisation des résultats de l'entreprise en
travaillant le mieux possible.
L'une des solutions consiste à améliorer la flexibilité.
Le code du travail contient déjà de nombreuses
flexibilités quoi qu'on en dise, mais les entreprises n'ont pas une trop
grande propension à les utiliser. C'est souvent un alibi de dire que
c'est compliqué, qu'il y a trop de lois, que c'est trop rigide. En
réalité, les possibilités sont nombreuses mais peu
utilisées.
Quand on remet à plat l'activité de l'entreprise concernant tous
les secteurs d'activités, y compris le personnel, il serait bon de
revoir par exemple le temps partiel, le travail en équipe posté.
En effet, l'un des moyens de gagner en compétitivité peut
consister à augmenter la durée d'utilisation des
équipements. Il est simple d'avoir un équipement avec une
personne devant. Il y a donc une égalité de temps de travail de
l'équipement et de temps de travail du personnel.
On peut par exemple faire travailler deux personnes sur le même
équipement, ce qui améliore la compétitivité. On
peut aussi en mettre trois, quatre ou cinq par roulement. Ce que je vous
explique peut se faire, et se fait dans certaines branches, pas dans toutes.
Il y a aussi à tenir compte des évolutions culturelles et des
comportements. On ne travaille pas aujourd'hui comme il y a cinquante ans,
pendant le week-end, le soir ou la nuit, en continu ou pas. Dans les banques
par exemple, il n'est pas nécessaire d'ouvrir les guichets tout le temps
pour retirer de l'argent ; il y a des distributeurs automatiques. Il y a des
périodes de pointe où la clientèle est plus importante,
mais le code du travail interdit les équipes chevauchantes. Or, on
pourrait très bien voir un caissier de plus à la banque quand les
gens font la queue pour faire leurs opérations à l'heure du
déjeuner.
Il faut tenir compte de plusieurs éléments. On peut
aménager les polyvalences, les astreintes. Il y a aussi ce
phénomène extraordinaire des portables. Pour les gens, l'heure de
travail ne signifie plus grand chose car on peut les joindre, non seulement
à leur bureau, mais aussi au domicile, en vacances ou ailleurs. Il y a
aussi les variations du marché, la saisonnalité. Il est donc
très difficile de travailler toujours de la même façon.
Avec le projet de loi sur les 35 heures apparaît une
opportunité de remettre en place une réorganisation et d'essayer,
non pas de travailler plus ou de travailler moins -encore faut-il savoir que
l'on peut travailler plus globalement et que chacun travaille moins mais
surtout de travailler mieux et plus efficacement.
Comme je vous le disais, les entreprises n'ont pas toujours saisi les
opportunités. On peut même dire qu'elles n'ont même pas
respecté la loi dans la mesure où, depuis près de vingt
ans, elles sont obligées de négocier chaque année la
durée du travail. Il faut bien dire qu'elles ne mettent pas un
enthousiasme délirant à le faire.
Cette loi nous paraît donc une loi incitative, dynamique, qui peut
contribuer, non seulement à changer certaines règles et certains
coûts, mais aussi à une réduction réelle des
horaires au bénéfice de tout le monde. Il n'y a qu'à voir
comment beaucoup d'entreprises se sont précipitées sur la loi de
Robien. C'est sur le terrain, au niveau de l'entreprise qu'on peut trouver les
problèmes à résoudre et les solutions à y apporter.
Troisième point : sur le plan social, on pratique actuellement des
horaires et des heures supplémentaires excessifs, et ce, de plus en
plus. Cela concerne l'ensemble du personnel, y compris les cadres. Les cadres
s'en plaignent amèrement, quelquefois avec un humour un peu noir, disant
que les 35 heures leur plaisent tellement qu'ils en font le double et en
profitent ainsi deux fois ! En effet, des horaires de 70 heures ne
sont pas rares ; 50 et 60 heures sont même très
fréquentes. Cela amène beaucoup de contrôles.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Comment calcule-t-on le temps de travail des
cadres ?
M. Jean CATHERINE - C'est très difficile. Thomson vient de restaurer le
pointage des cadres. Dans la plupart des entreprises, on ne calcule pas le
temps de travail des cadres ; eux le sentent, le savent. Ils voient fort
bien à quelle heure ils arrivent le matin et partent le soir, même
s'ils ne pointent pas, qu'on les appelle le samedi ou le dimanche. Il est en
tout cas admis que ces horaires sont réels bien qu'ils ne soient pas
constatés mathématiquement à l'horloge. On constate aussi
que les cadres s'en plaignent.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous représentez les directeurs des
ressources humaines qui sont là pour faire en sorte que les ressources
soient bien gérées. Avez-vous le sentiment que c'est bien
géré ?
M. Jean CATHERINE - Non, j'ai le sentiment que c'est mal géré
parce que les cadres ont perdu une grande partie de leurs
spécificités. On considérait encore ces dernières
années que les cadres avaient une mission à remplir, une
responsabilité qui excluait toute idée d'horaire de travail. J'ai
suffisamment pratiqué pour pouvoir affirmer qu'à la limite, il
n'y a pas de dimanche, pas de nuit ; si quelque chose est important, on
paie de sa personne. Cela se traduisait par la notion de forfait, en
particulier pour la paie. On avait tant par mois. Mais tout est question de
mesure et de conscience. Ces dernières années, on a
exagéré. Il a été décrété que
si les cadres étaient payés au forfait, ils étaient
taillables et corvéables à merci. On en a profité.
La situation sociale s'étant gravement détériorée,
les salaires des cadres -salaire brut mais aussi salaire net du fait de
l'augmentation des charges ont baissé, et continuent encore de baisser
d'ailleurs.
Enfin, le problème hallucinant du chômage fait que les cadres, qui
s'estimaient comme faisant partie des meubles de l'entreprise, qui
représentaient l'entreprise, qui se sentaient responsables, se sont vus
traiter comme le reste du personnel et licencier comme tout le monde,
après un préavis un peu plus long. Par conséquent, les
cadres qui étaient très attachés à leur entreprise
commencent à se détacher. Depuis vingt-cinq ans environ, il y
avait eu un nouveau mariage d'amour entre le personnel et les entreprises
où les salariés reconnaissaient qu'ils étaient assis sur
une branche qu'il ne fallait pas casser et qu'il n'y avait pas vraiment de
lutte entre salariés et employeurs mais un intérêt commun.
Aujourd'hui, nous assistons à un divorce de plus en plus net
d'année en année.
Nous avons réalisé une enquête avec la SOFRES qui a
été publiée en décembre 1997, notamment dans Les
Echos - L'Expansion. On a interrogé les salariés dans les pays
européens (Angleterre - Espagne - France) et les Etats-Unis. Quels en
sont les résultats ? Malheureusement, nous sommes toujours
pratiquement les derniers. La plus grande honte de tout Français.
Les résultats sont les suivants : 66 % des Français estiment
que leur entreprise n'attache pas d'importance à leur devenir ;
- le désengagement : "
le personnel ne veut plus sacrifier
sa vie personnelle pour sa carrière "
. Il se désengage.
Ce n'est pas la même chose en Allemagne ou en Espagne.
" Les
salariés se considèrent délaissés par leur
entreprise "
"
Un travail intéressant mais trop
prenant "
. "
Le chômage fait peur "
.
La hantise du chômage fait que l'on accepte des horaires
exagérés, car on sait que beaucoup de gens sont à la porte
et que si on ne plaît plus, on peut aller se faire
" pendre "
ailleurs. Mon propos n'est pas de stigmatiser les entreprises, les DRH doivent
être loyaux vis-à-vis de l'entreprise, mais je me dois
d'être loyal aussi vis-à-vis de vous et vous faire part de ce que
nous sentons et de ce que nous ne pouvons pas toujours dire.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Cela ne traduit-il pas un autre problème,
à savoir qu'il n'y a pas de culture d'entreprise, pas de
transparence ?
M. Jean CATHERINE -
Non !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Mais vous, en tant que DRH, le dites-vous
aux entreprises ?
M. Jean CATHERINE - Oui, bien sûr !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
-
Comment cela se passe-t-il.
M. Jean CATHERINE -
On le dit avec diplomatie.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous êtes trop diplomates alors !
M. Jean CATHERINE - Non, parce que si on ne l'est pas assez, on se retrouve
avec les collègues qui ont été licenciés la semaine
précédente. Il faut savoir que le
turnover
chez les DRH
est très important, avec près de 30 % par an. Ils sont comme
les autres et il est normal que dans une entreprise, le chef d'entreprise ait
des pouvoirs.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous êtes vous-même DRH ?
M. Jean CATHERINE - Je l'ai été trente ans. Je suis au
comité directeur de l'ANDCP, mais étant à la retraite
depuis peu, je jouis donc d'une plus grande liberté. En tout cas, je ne
traduis pas ici mes idées personnelles. Je suis particulièrement
les études qui se font à l'ANDCP et j'ai procédé
à un certain nombre de sondages dans ce domaine.
Les DRH sont dans une position très délicate vis-à-vis de
leur entreprise. Certes, ce tableau est un peu noir mais il ne faut pas
généraliser. Beaucoup d'entreprises comprennent les choses et
essaient même d'être citoyennes, encore que beaucoup d'autres
viennent dire que la citoyenneté n'est pas leur problème. Leur
problème est de faire du
business.
A mon sens l'un
n'empêche pas l'autre.
Cela dit, on constate un développement du stress, confirmé
d'ailleurs par les médecins du travail qui constatent que beaucoup de
maladies découlent de cette hantise du chômage, de ces heures
supplémentaires, de cette insécurité. Même chez les
cadres, il y a également une évolution culturelle, et un besoin
de liberté. Le divorce dont je parlais n'est pas complètement
négatif pour la nation car on sent un besoin de se désengager
tout en étant loyal vis-à-vis de l'entreprise, de travailler dans
des limites normales et même souples. Besoin de liberté pour
s'occuper de la cité, de la famille, pour participer aux
activités locales, aux associations etc. Ce besoin va dans le sens de la
réduction du temps de travail. On me citait l'autre jour le cas d'une
femme cadre qui emmenait sa petite fille au supermarché pour faire ses
courses et qui lui confiait le portable parce qu'on pouvait l'appeler le samedi
après-midi de son entreprise. Le portable vient là encore
apporter des sujétions particulières alors que les gens cherchent
un peu plus de liberté.
Si ce besoin de liberté, de se détacher quelque peu de son
entreprise tout en lui restant loyal, se traduit par une amélioration
des conditions de vie et de travail, cela pourrait entraîner une
amélioration de la motivation du personnel. Il ne faut pas trop
exagérer les horaires etc.
Si donc cette loi change le calcul des heures supplémentaires, cela n'en
modifiera peut-être pas le nombre, mais on peut espérer que cela
se traduira par une réduction de la durée réelle du
travail, qui pourrait donc ne pas coûter cher si on négocie bien
les modalités d'application, si l'entreprise y trouve son compte, comme
le personnel, comme la clientèle et comme la cité en
général. Cela pourrait améliorer la vie des
salariés, et peut-être même leur productivité. C'est
donc probablement une opportunité à saisir.
Le mouvement est en marche. La loi de Robien a connu un très grand
succès. Actuellement, beaucoup de gens s'intéressent à la
loi. J'ai procédé personnellement à un sondage à
l'occasion de l'une des nos réunions.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est très rentable ?
M. Jean CATHERINE - Oui. J'y ai posé les questions suivantes pour
lesquelles j'ai également les réponses, le tout n'étant
pas publié : il s'agit d'un sondage pour l'ensemble de la France.
- " Vos effectifs vont-ils augmenter ? " Un tiers
répond
" oui " ;
- " Vos effectifs vont-ils rester stables ? " Un tiers
répond " oui " ;
- " Vos effectifs vont-ils diminuer ? " Un tiers répond
" oui ".
On peut dire qu'il y a un équilibre, mais avec du mouvement.
- " Avez-vous des difficultés à recruter ? " Un
quart répond " Oui ". C'est assez extraordinaire de
constater
que le commissariat au plan donne le chiffre de 7 millions de personnes
concernées par le chômage. Or, chaque année, c'est la
même chose : un quart des personnes interrogées affirment qu'elles
n'arrivent pas à recruter. Il y a donc là un problème de
communication ou de formation.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Le chômage est aussi en partie lié
au fait qu'on ne trouve pas les collaborations, les motivations en termes de
compétences.
M. Jean CATHERINE - Il y a plusieurs problèmes en réalité.
Tout d'abord, les chômeurs sont dans une situation épouvantable.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Avez-vous le sentiment qu'il n'y a pas
suffisamment d'écart entre ce que perçoit une personne qui n'a
pas d'emploi et ce qu'il percevrait...ce que l'on a appelé au G7 de
Lille les " pièges à chômage " ? On le voit
bien sur le terrain. Les personnes font leurs comptes et constatent que si
elles travaillaient, leur revenu net serait inférieur.
M. Jean CATHERINE - Tout à fait. D'un autre côté, il est
difficile de dire que les minima sont trop élevés. Cela dit, le
problème de cet écart réduit existe.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous l'avez constaté. Les DRH que vous
représentez vous ont-ils signalé que s'il n'y avait pas cette
particularité, ils auraient peut-être plus de facilité
à recruter ?
M. Jean CATHERINE - Oui, on se rend compte du problème, pour une partie.
Mais ce n'est pas valable pour l'ensemble de l'économie.
Je reviens aux résultats du sondage :
- " Vos heures supplémentaires ont-elles augmenté depuis un
an ? " Oui, pour un dixième.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Vous qui avez été DRH,
n'avez-vous pas le sentiment que les contraintes qui pèsent sur les
modalités de licenciements peuvent être un facteur de
rigidité ?
M. Jean CATHERINE - Non. Les employeurs licencient très facilement. Il y
a un problème dans la mesure où certaines lois ne sont pas
très claires en matière de licenciement économique pour
consulter le comité d'entreprise, les expertises etc. Tout cela se
mélange. Il y aurait certainement beaucoup à faire pour
simplifier. Le principe est normal, il faut consulter les représentants
du personnel avant de faire une opération de réorganisation, et
à plus forte raison, de réduction des effectifs.
Cela dit, quand on voit toutes les réunions qui se succèdent, qui
se renvoient la balle, que plusieurs lois se mélangent et ne sont pas
claires, tout cela crée une difficulté. Pour les gens
recrutés à durée déterminée, cela ne pose
pas de problème. Les CDI (contrats à durée
indéterminée) prévoient un préavis qui ne
présente pas vraiment de difficultés. Les procédures sont
longues, mais c'est très différent..
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
N'est-ce pas le cas de
sociétés importantes qui, à un moment de leur existence se
sont trouvées en sureffectif et qui compte tenu de leur situation ont
été empêchées de procéder aux licenciements
parce les services administratifs considéraient qu'elles avaient assez
d'argent pour faire face.
L'enseignement qu'elles en ont tiré j'en connais plusieurs pour ne plus
être confrontées à de telles situations, a
été de recourir à l'intérim. Je suis quand
même frappé par l'importance du travail intérimaire.
M. Jean CATHERINE - Oui, on a trop tendance à utiliser les
intérimaires et les contrats à durée
déterminée, bref le travail précaire. Il n'y a plus
d'autorisation administrative de licenciement, mais il peut y avoir des
procès, ce qui n'est pas forcément mieux. Le dossier de La
Samaritaine est là pour en attester. Il y a là un problème
juridique aussi très important à régler.
Cela dit, les entreprises n'ont pas vraiment ce problème.
A la question suivante : " Envisagez-vous de réduire la
durée du travail ? ", un quart répond
" oui ", mais 50 % sont intéressés. Un quart a
l'intention de la réduire et un quart a l'intention de commencer
maintenant la négociation pour aboutir à la réduction.
C'est pourquoi je disais que le train est en marche.
" Subissez-vous des contraintes de contrôle des heures
supplémentaires par l'Inspection du travail, en particulier pour les
cadres ? ". Un tiers répond " oui ".
- " Le temps partiel se développe-t-il pour les
hommes ? ". Réponse : " Oui, faiblement ".
Pour les
femmes ? Même chose.
- " Y a-t-il des revendications salariales ? " Réponse
:
" Oui ". Un quart : " en progression "
- " Avez-vous l'intention de créer un plan d'épargne
retraite ? ". Un dixième a l'intention de créer un plan
d'épargne à long terme.
J'ai profité de réunir un certain nombre de collègues pour
leur poser ce genre de questions.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Peut-on avoir copie de ce sondage ?
M. Jean CATHERINE - Certainement. Je n'ai ici que quelques notes manuscrites
que j'ai transmises à mon secrétariat pour intégrer ce
sondage au procès-verbal de notre conseil, mais je peux vous en faire
envoyer un exemplaire. Il s'agit là de sondages approximatifs qui
donnent néanmoins les tendances.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Vous préciserez
l'échantillon.
M. Jean CATHERINE - L'échantillon porte sur toute la France. Nous
réunissons des présidents des 80 groupes de notre association.
Une cinquantaine étaient présents, ce qui est
représentatif pour la tendance mais je ne chipoterai pas sur les
chiffres.
Voilà donc quelques indications issues de raisonnements, de calculs,
d'autres informations. C'est la matière première que nous
recueillons quotidiennement, malheureusement toujours dans le même sens,
la tendance actuelle n'étant pas à l'optimisme.
Cela étant dit, à notre avis, il y a une opportunité
à saisir où tout le monde peut être gagnant. Sera-ce une
contribution pour régler le problème du chômage ?
Modeste peut-être mais ce n'est pas la seule solution. On peut
certainement satisfaire des besoins sociaux, humains ; on peut
améliorer la compétitivité de l'entreprise, et ceci
à faible coût, voire à coût nul.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - On peut retenir de ce que vous
dites, argumenté par les sondages et votre connaissance du terrain,
qu'il y a une forte aspiration chez les cadres à une réduction
du temps de travail.
M. Jean CATHERINE -
Et du reste du personnel aussi.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Je suis assez surpris pour les
cadres.
M. Jean CATHERINE - Oui, cela paraît étonnant de prime abord.
D'ailleurs, Le Monde écrivait hier : " Les cadres se
rebiffent ".
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Il est clair que la presse s'en
fait l'écho depuis quelque temps. C'est même la première
indication. Seconde indication : vous considérez, à la
lumière des contacts que vous avez en permanence, qu'il faut profiter de
ce projet de loi pour aller dans ce sens, avec des compensations.
M. Jean CATHERINE - En négociant et en essayant de tirer le meilleur
parti. Si on a une machine et que l'on peut mettre deux personnes pour
travailler sur cette machine, on peut peut-être recruter une personne ou
une demi-personne.
D'autre part, pour les cadres, il y a toujours eu un problème de saisie
de leur durée du travail. Elle était déjà difficile
à 40 ou à 39 heures, elle reste difficile quel que soit
l'horaire, les cadres étant amenés à se déplacer et
à travailler de façon différente. Cela dit, ce n'est pas
une difficulté qui interdit de bouger. Elle existe et perdurera.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Je vous remercie pour votre communication et
votre témoignage. J'aurai deux questions à poser. On sent qu'il y
a une aspiration aux changements, aux réformes, à la
compétitivité et qu'il faut une place équilibrée
entre l'engagement professionnel et la vie personnelle.
Qu'est-ce qui empêche aujourd'hui d'y parvenir ? Comment se fait-il
que la participation à l'intéressement ne soit pas plus
développée ? Qu'est-ce qui bloque ? Qu'est-ce qui fait
que les négociations ne peuvent pas se dérouler en
entreprise ?
Vous représentiez les catalyseurs du dialogue au sein de l'entreprise,
et vous dites qu'il est difficile de négocier. Il vous faudrait
pratiquement une loi, dites-vous. Mais justement, la loi n'est-elle pas en
train de tuer l'espérance de dialogue ? Cette espèce
d'ingérence permanente de l'Etat dans la relation entre les
salariés et l'entreprise n'est-elle pas un facteur destructeur du
dialogue social qui vous place dans des situations difficiles dans la mesure
où vous présenterez une proposition à votre entreprise,
mais sur une base juridique très instable.
Vous pouvez conduire une négociation extrêmement délicate
et être rattrapé le lendemain par la loi qui met en péril
vos initiatives. Cette espèce de cogestion entre le politique et les
partenaires sociaux du droit social n'est-elle pas une rude épreuve pour
les responsables des relations humaines dans les entreprises ?
Dernière question : la loi nous permet-elle d'espérer de
l'emploi. Vous dites que quand il y a des machines, il serait
intéressant de les faire travailler vingt quatre heures sur vingt
quatre, sept jours sur sept. Mais on s'aperçoit que ce sont souvent des
entreprises où le facteur travail représente 10 ou 15 %
du chiffre d'affaires. Si vous étiez DRH dans un atelier de confection
dans la Mayenne, la perspective d'avoir à appliquer ce texte vous
amènerait peut-être à dire à votre hiérarchie
que c'est l'entreprise qui est en péril. Dans ces conditions, la loi
laisse-t-elle espérer des créations d'emplois ou pas ? Car
c'est la grande question qui nous est posée.
M. Jean CATHERINE - Sur le premier point, j'ai personnellement beaucoup
négocié et même conclu de nombreux accords. Je crois donc
qu'il faut négocier, poursuivre l'évolution et trouver les
meilleures adaptations possibles.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous étiez dans un groupe important.
M. Jean CATHERINE - Oui, chez Rhône-Poulenc ainsi qu'à la Caisse
des Dépôts et dans l'édition. J'ai fait presque toute ma
carrière comme DRH.
Pourquoi n'y arrive-t-on pas ? La première difficulté est
que les cadres et le niveau au-dessous sont un frein considérable. Tout
d'abord parce qu'ils sont stressés et qu'on leur demande beaucoup. Ils
ont déjà du mal à étaler leur activité.
Quand on leur demande maintenant de changer, d'étudier ou de modifier,
ils ne savent plus, ne sont pas d'accord. Ensuite, ils le disent ou non mais
ils freinent. Le frein le plus considérable au changement est
l'encadrement, dans ce domaine comme dans les autres.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est très intéressant et
surprenant à la fois. Cette notion de cadre a-t-elle encore un sens,
hors le fait de définir les catégories sociales pour puiser les
ressources pour l'équilibre des régimes particuliers ?
M. Jean CATHERINE - De moins en moins. On arrivait à caractériser
les cadres par le fait qu'ils étaient affiliés à des
caisses de retraite spécifiques. On est en train de fusionner les
caisses et de rapprocher les régimes. Il y avait deux catégories
de cadres : les cadres de commandement et les experts qui apportaient un
savoir, en matière fiscale, personnel et autres. De plus en plus, on
évolue vers une organisation de la société à
l'italienne, à l'allemande, ou à l'anglaise ; à
savoir qu'il y a le grand management, c'est-à-dire les
propriétaires de l'entreprise et les autres...
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - ...et les propriétaires des stocks
options...
M. Jean CATHERINE - ...et puis les autres qui sont de plus en plus des
employés supérieurs payés comme les autres. Ils ont des
problèmes sur les horaires parce qu'ils ont des conditions de travail
différentes. Ils sont payés un peu plus cher, mais la loi du
marché jouant là aussi, on les paie de moins en moins cher.
En outre, ce qui a fait chavirer les choses est ce problème de l'emploi,
des licenciements, des plans sociaux. Il y a une quinzaine d'années, les
cadres considéraient qu'ils faisaient partie de l'entreprise ; le
licenciement, c'était pour les autres, pas pour eux. Comme ils
représentaient l'entreprise, il n'était pas question qu'on leur
applique des règles de ce genre.
Plus avant encore, il faut se souvenir que les ouvriers étaient
payés à l'heure. Il a fallu attendre M. Pompidou pour
généraliser la mensualisation. Le fait d'être payé
à l'heure représentait la précarité, et le fait de
pouvoir être licencié est aussi de la précarité.
Néanmoins, cela ne s'appliquait pas aux cadres. Aujourd'hui, cela
s'applique aussi aux cadres. On se demande donc si les cadres existent encore.
Une revue parlait la semaine dernière de " feu la CGC " en
évoquant la disparition de la CGC, le syndicat des cadres. Il y a donc
un problème extrêmement grave.
Les cadres sont donc un frein. Je le dis en toute indépendance et sans
mérite car les entreprises n'ont pas mis d'enthousiasme à
gérer le changement. On sent que les entreprises évoluent vers un
mode de gestion anglo-saxon, avec une sorte de "
corporate
government "
où l'actionnaire a largement pris le pas sur le
personnel.
Le DRH a connu de beaux moment après 1968, mais petit à petit,
c'est le contrôleur de gestion et le directeur financier qui ont pris le
commandement. Par ailleurs, on gère à six mois avec obligation de
résultats et pas d'écart avec les objectifs sinon des mesures
désagréables sont prises.
Ce n'est pas la loi qui gène les entreprises. De nombreuses entreprises
sont d'ailleurs déjà à 35 heures, voire moins. La loi
ne va pas les gêner. La loi de Robien est venue les aider. Dans de
nombreux cas, elle leur a apporté ce que l'on appelle " l'effet
d'aubaine ", mais pas toujours. Il y a des cas où cela favorisait
les embauches.
La loi ne me paraît pas du tout un frein à des initiatives. Elle
me paraît plutôt incitative car elle a le mérite de lancer
un mouvement. Maintenant, dans la tête des gens, il est certain qu'on va
diminuer la durée du travail.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous êtes DRH en entreprise, une loi est
votée maintenant qui vous précise que si vous réduisez la
durée du travail dans telles proportions, et que vous recrutez des
collaborateurs dans les mêmes proportions, vous recevrez en contrepartie
des avantages financiers. Vous irez convaincre vos directeurs financier et de
gestion. Puisque cela n'affecte pas le compte de résultat, et qu'au
surplus cela améliore la productivité, on y va.
Mais une deuxième loi est annoncée dont vous ne savez pas ce
qu'elle contiendra. Elle arrivera à la fin de l'année 1999 pour
être applicable au 1er janvier 2000. Elle peut remettre en cause certains
aspects de votre négociation. Le directeur financier vous en fait la
remarque. En tant que DRH, cela ne vous déstabilise-t-il pas quelque
peu ?
M. Jean CATHERINE - Non. C'est comme les lois fiscales. On ne sait pas combien
on paiera d'impôt sur les sociétés ; ce qui n'empêche
pas de vivre quand même.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - La différence est que, par
définition, on ne paie l'impôt sur les sociétés que
s'il y a bénéfices.
M. Jean CATHERINE - Techniquement, si on votait une loi qui ferait que les
entreprises seraient en déficit, cela n'arrangerait pas le
problème de l'emploi. J'ai toujours espéré que les lois
étaient, sont et seront sages. Même pour la prochaine que nous ne
connaissons pas, nous comptons sur vous pour que vous fassiez de bonnes lois.
Cela dit, il faut avoir du bon sens. Si on suit les traditions de la
République, la loi a essentiellement à traiter du problème
de la durée légale et de la majoration pour heures
supplémentaires, de repos compensateur etc. Il me semblerait absurde que
l'on puisse traiter au niveau national et légal l'horaire réel de
travail. Nous sommes convaincus que c'est sur le terrain, à
l'échelon de l'entreprise, de l'usine, de l'atelier que l'on peut
traiter ces problèmes. Car si l'on peut faire tous ces ajustements, ces
compensations et ces réorganisations, il est impossible que cela se
fasse à l'échelle nationale. Même si on le voulait, on ne
le pourrait pas.
M. Daniel PERCHERON - Je remercie M. Catherine de ses déclarations
à la fois précises et spontanées.
M. Jean CATHERINE - Excusez ma franchise.
M. Daniel PERCHERON - Au contraire, c'est très bien. Je résumerai
brièvement ce que vous avez dit. Premièrement, depuis quelques
années, le rapport de force est plutôt
déséquilibré, au détriment des cadres et du
personnel. Cela explique, d'après vous, la lenteur parfois l'absence de
négociations et paradoxalement à cause du personnel d'encadrement
qui se sent sur la défensive, si j'ai bien compris. (
assentiment de
M. Catherine)
Deuxièmement, vous semblez considérer que ce rendez-vous social
et économique initié par la loi, est au fond une chance pour les
entreprises s'il aboutit à des accords équilibrés.
(assentiment de M. Catherine).
Vous êtes donc favorable à
la démarche qui permet à la loi de plonger des entreprises dans
une négociation qui n'a pas de précédent.
M. Jean CATHERINE - Faute de mieux, puisqu'il n'y a pas de
précédent.
M. Daniel PERCHERON - Je veux dire aussi complexe, aussi
décentralisée, aussi incertaine, globale et particulière
et aussi longue ; il n'y a pas de précédent.
(assentiment de
M. Catherine)
Votre pronostic : plutôt optimiste ou plutôt
pessimiste ?
M. Jean CATHERINE - Optimiste dans un sens en pensant que le mouvement est en
marche, que la loi est peu contraignante et incitative, qu'il va se passer des
choses et que les entreprises, comme elles l'ont fait avec la loi de Robien,
passeront un certain nombre d'accords. Mais sur le plan du chômage, je
suis plus qu'inquiet.
M. Daniel PERCHERON - En tant que DRH, disant de cette loi qu'elle sera peu
contraignante, par rapport à vos contacts, à votre
expérience, comment expliquez-vous ce blocage absolu, cette thèse
du patronat français, au moins en son syndicat, qui considère que
c'est un monument de contraintes ?
M. Jean CATHERINE - Je pense beaucoup de choses, mais c'est délicat
à dire.
M. Daniel PERCHERON - Pourquoi le patronat français, au niveau de ses
instances, considère-t-il qu'il y a là une agression
vis-à-vis des entreprises qu'il possède ou qu'il dirige ?
Rarement dans notre vie sociale depuis 1936, l'attitude du patronat,
essentielle pour la société française, n'a
été aussi catégorique. Elle est catégorique.
(assentiment de M. Catherine)
Prenons Rhône-Poulenc par exemple. Pensez-vous que le patronat de cette
entreprise puisse partager cette analyse ? Par rapport à ce que
vous avez connu, aux négociations, par rapport à la politique
sociale de Rhône-Poulenc qui est installé dans mon
département ? Politique sociale qui est loin d'être
médiocre, qui paraît même séduisante par certains
côtés.
M. Jean CATHERINE - Je vous remercie dans la mesure où j'en suis en
partie responsable. C'est un problème assez délicat car le
syndicalisme est en crise, non seulement dans le syndicalisme salarial, mais
aussi dans le syndicalisme patronal. On l'a vu récemment avec les remous
à la tête du CNPF. L'analyse est beaucoup plus complexe que celle
qui en a été donnée par les médias. Il y
quantité de mouvements violents et contradictoires au sein des syndicats
patronaux, ce qui explique un certain nombre de choses.
Traditionnellement, les employeurs ont voulu un CNPF faible. C'est une
volonté délibérée ; le CNPF n'est pas un syndicat
mais une association loi 1901 ce n'est pas par hasard et ce sont les grandes
fédérations qui portent le message patronal.
M. Daniel PERCHERON - L'UIMM notamment.
M. Jean CATHERINE - Exactement ! C'est donc déjà assez
complexe. Suivant les périodes, des négociations ont
été menées, des initiatives ont été prises
qui ont pu être bonnes. Par exemple, la création du régime
de chômage et des régimes de retraite complémentaire, la
mensualisation ; beaucoup de choses.
Actuellement, un élément paraît séduire certains :
cette gestion des entreprises qui nous vient du monde anglo-saxon, qui me
paraît excessive et qui risque de nous conduire à de graves
difficultés sociales. On le voit avec les associations de
chômeurs. C'est donc une question de conviction.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Quel est le lien entre les associations de
chômeurs et la gestion anglo-saxonne ?
M. Jean CATHERINE - La gestion anglo-saxonne, c'est en quelque sorte le
"
corporate government "
qui se traduit par la
recherche d'un
résultat rapide et profitable aux actionnaires, toutes autres
considérations mises à part.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Ce n'est pas seulement cela, le
" corporate government ",
c'est aussi une plus grande
transparence dans la procédure de prise de décision, ne serait-ce
que d'indiquer les rémunérations des dirigeants..
M. Jean CATHERINE - Cela a bien vingt-cinq ans !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Et, quand on peut les prendre en
stock option,
le client en est le bénéficiaire. C'est aussi un cabinet
d'audit pour éviter des opérations cosmétiques. Car vous
pouvez avoir toutes les ambitions sociales en tant que DRH, si vous n'avez pas
de résultats, tout cela restera vain. (
assentiment de M.Catherine)
Par conséquent, je ne suis pas sûr que le milieu anglo-saxon
souffre particulièrement en termes de chômage aujourd'hui.
M. Jean CATHERINE
-
Les Britanniques ont une façon de
comptabiliser les chômeurs de manière originale : on ne prend
pas en compte les gens qui ne bénéficient plus de subventions.
Les exclus ne figurent donc pas dans les statistiques. Nous aussi, on pourrait
avoir des chiffres meilleurs.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Sur les tendances, on pourrait constater que cela
marche mieux aux Etats-Unis qu'en Europe.
M. Jean CATHERINE - Probablement oui. Là, je suis assez d'accord. J'ai
toujours considéré, pour en avoir connu plusieurs, que le chef
d'entreprise a un rôle noble et extrêmement important à
jouer plus encore qu'on ne le croit. L'idée qu'il se fait des choses
donne une tournure complètement différente aux entreprises.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Avec une irradiation sur les
hommes.
M. Jean CATHERINE
-
Exactement. Pour ma part, j'ai vu des hommes prendre
des entreprises dans des états lamentables, réussir à
souder toutes les équipes, à les mobiliser et à
réussir très vite, par un ascendant personnel et par des mesures
pas tellement coûteuses mais plutôt généreuses et
intelligentes. D'autres à l'inverse se braquent.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Ce n'est donc pas la loi.
M. Jean CATHERINE
-
Non, ce sont les hommes.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Il faut peut-être plus de transparence,
plus d'indicateurs pour évaluer les choses. Sur le chômage, on ne
peut sans doute pas laisser dire que la situation est la même en
Grande-Bretagne et en France. Je sais qu'il y a une autojustification pour
expliquer que c'est bien pire que chez nous. Pour ma part, je constate que de
mois en mois, la situation a tendance à s'arranger.
Il y a quand même des choses à modifier chez nous. Et il y a des
moments où l'on peut se demander si ce n'est pas une
hyper-administration avec un interventionnisme de l'Etat à tous les
niveaux. Par exemple, ce qu'ont coûté les crédits
alloués au FNE, quand on a envoyé en retraite des populations
très nombreuses à la retraite, c'est l'exemple même de
l'incapacité à s'adapter aux situations. C'est un gâchis
humain incroyable.
M. Jean CATHERINE
-
Sur ce point particulier de la retraite à
60 ans, une personne sur deux seulement part à la retraite. Car
nous sommes le pays où les gens travaillent le moins de 55 à 65
ans. Une fois sur deux, ils partent en licenciement. Il y a quelques
années, ils partaient dans de bonnes conditions, avec de grosses
indemnités de licenciement du fait des conventions collectives, que les
entreprises majoraient. Je peux vous dire que Rhône Poulenc l'a beaucoup
pratiqué.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'était un étrange
"
corporate government
" entre nous soit dit
puisque
cela consistait à faire payer l'Etat. La morosité était
forte entre le haut encadrement de ces groupes et l'Etat et on trouvait donc
des solutions pour faire payer l'Etat. Je n'ai pas de nostalgie de ces
pratiques.
M. Jean CATHERINE
-
En échange, on attendait une certaine paix
sociale. Maintenant, cela déborde.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - On la paie encore maintenant et très cher.
M. Jean CATHERINE - Il y a un problème. L'Etat a commencé
à intervenir dans la sidérurgie, ensuite dans la chimie, le
textile etc. Au début, les gens ont mal pris la chose. Quand ils ont
fait leurs comptes, ils ont trouvé que ce n'était pas si mal.
Cela a bien marché et on a eu la paix sociale.
Aujourd'hui, c'est différent. Si on regarde les responsabilités
respectives de l'Etat, de l'administration et des chefs d'entreprises, pourquoi
en arrive-t-on à une curée des inspecteurs du travail pour
constater les dépassements d'heures des cadres en particulier ?
Parce que les employeurs ont exagéré.
Je ne défends pas les employeurs, je défends une fonction dans
l'entreprise. Il n'est pas normal que les gens fassent en permanence 70 heures
par semaine. Finalement, l'Etat est intervenu pour mettre fin à des
abus.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Si vous avez des cadres à 70 heures,
j'aimerais en avoir connaissance. Les indications que j'ai reçues sur
les contrôles exercés par l'Inspection du travail signalent que
c'est à la demande de certains syndicats de cadres. J'aimerais que l'on
prenne les cadres un par un. J'aimerais voir cela de plus près. Quand on
travaille trop, c'est effectivement qu'on est mal organisé.
M. Jean CATHERINE - Mal organisé ou que l'on tire un peu trop sur la
ficelle. A la longue, on est fatigué, on n'a pas le même
rendement. Quand on fait 70 heures, il est faux de croire qu'on est aussi
efficace et que l'on fait le même travail qu'en deux fois 35 heures.
On n'a donc pas le même rendement. Il faut admettre qu'il y a des abus.
Je me mets à la place de ces pauvres gens qui courbent la tête. Si
à 55 ans, vous dites que vous êtes fatigué, que vous
n'en pouvez plus, on vous montre la sortie.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Pourquoi en France les cadres ne
créent-ils pas plus souvent leur propre entreprise ?
M. Daniel PERCHERON - Parce qu'ils sont français, monsieur
Arthuis !
M. Jean CATHERINE - Il faut savoir que dans les deux ans, la moitié est
en faillite. Quand la situation et le climat général ne sont
déjà pas très sûrs, d'une part, et que l'on a
atteint la cinquantaine il est rare qu'à 30 ans on ait suffisamment
d'expérience pour créer une entreprise ...
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Pourquoi pas ?
M. Daniel PERCHERON - Parce qu'ils sont français !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - La France paie cher de grands
établissements pour former une élite qui n'aurait de tropisme que
pour la sécurité et l'Etat probablement !
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Elle est trop intelligente.
M. Jean CATHERINE
-
On trouve la même chose en Allemagne et dans
les autres pays européens.
A l'époque des Trente glorieuses, quand il y avait un
développement général et une situation favorable, les gens
pouvaient espérer avoir de bonnes chances de réussir, mais quand
la situation n'est plus favorable, on prend tous les risques. Qui peut vous
rattraper ensuite si vous échouez ? En tout cas aujourd'hui, une
entreprise sur deux disparaît dans les deux ans.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Il y disparition des jeunes
entrepreneurs ou de moins jeunes créateurs d'entreprises. Je crois aussi
pouvoir dire que dans les très grandes entreprises, nous n'avons plus de
grands patrons qui soient de vrais entrepreneurs.
M. Daniel PERCHERON - Je suis toujours profondément surpris et
intéressé d'écouter notre rapporteur. Il y a des
éléments globaux qui sont rarement repris dans les questions
très incisives que vous posez dans cette quête de
l'efficacité économique et de l'adaptation de la France au monde
actuel.
Premièrement, ce pays, dans le cadre de la Nation et de l'Etat-nation,
à partir de 1976 l'arrivée de Raymond Barre puis à partir
de 1981, a accepté le défi du grand large, et le capitalisme
français à accepté de se moderniser, au point
d'être, dans les années 1991, le principal investisseur aux
Etats-Unis par exemple, avec 130 milliards de francs aux Etats-Unis. Une
vraie révolution des mentalités françaises, aussi bien
étatique, que salariale ou entrepreneuriale. Voilà pour le
premier point. Nous ne devons jamais l'ignorer.
Deuxièmement, à la faveur des alternances successives, les
salariés français ont fait preuve d'une discipline que vous
sous-estimez. Je suis du seul département de France où toutes les
contraintes, toutes les disciplines, toutes les mutations on été
à l'ordre du jour, depuis les quotas laitiers -quatrième
département laitier de France- jusqu'au charbon, la sidérurgie,
le textile, l'Europe bleue et la pêche.
Vous parliez FNE tout à l'heure ; les salariés français
ont fait preuve d'une discipline extraordinaire dans mon département
pour changer de monde et dans des souffrances considérables. Je
rappelais que la part des salaires dans la valeur ajoutée a
diminué de 10 points sous la gauche et sous la droite. C'est
considérable.
Aujourd'hui, toujours dans le cadre de l'Etat-nation, les salariés
français, dans leurs forces vives, et l'ensemble de la Nation souhaitent
garder un Etat-providence qui soit compatible avec la compétition
internationale, sachant que dans des régions d'activités
traditionnelles, l'activité ne renaît pratiquement jamais à
l'identique, et parfois même ne renaît pas.
La main invisible du marché est incapable, dans ma région, sur
dix ans, de recréer les emplois de service quand le monde de l'industrie
du XIX
ème
a disparu.
La société française doit accompagner, notamment à
travers l'Etat et la négociation, cette mutation que, personnellement,
je ne pensais pas possible. En tant que professeur d'histoire, je ne pensais
pas que le capitalisme français pourrait se redéployer, s'adapter
aussi remarquablement sur le marché mondial.
L'enjeu actuel est que si nous ne transposons pas le cadre de
sécurité de l'Etat-nation qui, sur cinquante ans, s'est
bâti à coups de suffrage universel conflictuel mais finalement
cohérent, au niveau d'une Europe providence adaptée, qui
donnerait la même possibilité à nos citoyens de choisir le
modèle de société qui est à peu près le
nôtre aujourd'hui, en l'infléchissant soit vers plus de protection
sociale, soit vers plus de (libéralisme?), nous aurons alors une
société française qui se décomposera sous nos yeux.
Vous parliez FNE. Si vous n'avez pas ces filets de sécurité fort
coûteux au milieu de ce que j'appellerai la culture ouvrière la
classe ouvrière existe toujours, ne l'oubliez pas. La mémoire
ouvrière est à 40 % celle de notre population alors vous
aurez une progression du vote protestataire et irresponsable vers le Front
national que vous ne pourrez absolument pas endiguer. C'est pourquoi, le
modèle anglo-saxon est à manier avec d'infinies
précautions dans le plus vieil Etat-nation du monde.
Nous ne sommes pas les héritiers de la conquête vers l'Ouest.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - L'appui que nous prenons sur l'Etat-providence ne
devient-il pas ce que j'appellerai une opacité, un état
illusoire. Si nous voulons que l'ensemble de nos compatriotes comprennent
l'exigence et l'urgence de la transformation, encore faut-il que nous les
respections suffisamment pour leur dire la vérité.
(assentiment de M. Percheron)
Il m'arrive de penser que notre Etat est
mensonger. C'est contre ces illusions qu'il faut se prémunir.
M. Daniel PERCHERON - M. Juppé a dit la vérité au pays.
Voyez le prix qu'il en a payé. Je ne parle pas des injustices qu'il
commet lui-même personnellement !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - D'autres ont dit qu'il fallait rendre la
vérité aimable.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Je remercie M. Catherine
d'être venu nous éclairer.
V. SÉANCE DU MARDI 20 JANVIER 1998
A. AUDITION DE M. BERNARD GEYMOND, DIRECTEUR DES RESSOURCES HUMAINES, DIRECTEUR DES RELATIONS ADMINISTRATIVES DU GROUPE VALEO
M. Alain GOURNAC, président - Nous avons avec nous cet
après-midi M. Bernard Geymond, directeur des ressources humaines et
directeur des relations administratives du Groupe Valeo.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Bernard
Geymond.
M. Alain GOURNAC, président - Monsieur Bernard Geymond, je vous propose
de vous donner la parole pendant dix minutes pour nous expliquer votre
positionnement et celui de votre Groupe concernant les 35 heures.
J'insiste pour vous dire qu'en aucun cas vous ne vous trouvez aujourd'hui
devant la commission des affaires sociales qui travaillera dans trois
semaines/un mois sur ce texte de loi et qui étudiera les articles 1, 2
et 3.
Nous voulons davantage connaître votre réaction et celle de votre
Groupe sur la décision du Gouvernement en conseil des ministres, dont la
preuve formelle est que des lignes de crédit visent les 35 heures dans
le budget de cette année.
Quand vous aurez pu vous exprimer librement, notre rapporteur vous posera
quelques questions et, ensuite, nos collègues vous poseront des
questions.
M. Bernard GEYMOND - J'essaierai, en une dizaine de minutes, de
présenter l'entreprise en tant que de besoin, à savoir sur le
sujet qui nous occupe aujourd'hui, et le secteur industriel dans lequel on
intervient.
Valeo, groupe industriel de droit français, la société
mère est une société française, est
entièrement focalisé sur l'équipement automobile et poids
lourds. C'est un Groupe indépendant des constructeurs au plan
capitalistique. Sur le plan commercial, nous sommes totalement
dépendants des constructeurs automobiles.
Cette indépendance nous distingue de Groupes comme Delphi, qui est
adossé à Général Motors, de Magneti Marelli
adossé à Fiat, de Denso adossé à Toyota, etc.
C'est incontestablement une force pour nous ouvrir les portes de tous les
constructeurs automobiles mondiaux. Nous pouvons aussi ajouter
qu'historiquement Valeo a été le pôle
fédérateur de l'équipement automobile en France puisque,
dans les années 1970 à 1980, il s'est constitué autour de
ce qu'était à l'époque la société anonyme
française Ferodo, société mère. Nous avons
changé de nom en 1980, mais Ferodo est la " mère "
juridique du Groupe Valeo aujourd'hui.
Nous avons, durant cette période, pris le contrôle successivement
de Sofica dans le domaine du thermique, de Sev Marcal, de Cibié, de
Paris-Rhône, de Ducelier, de Chausson Thermique, de Neiman, plus
récemment -l'année dernière- une partie française
d'Ymes (verrous Vachette pour les serrures automobiles).
Cela explique que l'on ait un outil industriel, notamment en France,
très surdimensionné malgré les rationalisations
industrielles que nous avons opérées. Cette constitution par
prise de contrôles successifs nous conduit aujourd'hui à avoir
encore un outil industriel français surdimensionné alors -on le
verra- que la compétition s'organise au niveau au moins continental,
sinon mondial.
Les chiffres clés de Valeo :
En 1997 -nous avons été une des premières
françaises à publier-, le chiffre d'affaires frôle les 34
milliards de francs -33,970 milliards de francs-, à savoir
+ 17 % par rapport à 1996.
Si je répartis cette croissance entre la France et le hors France, en
France, la croissance a été de 9,2 % et, hors France, de 21,5 %,
donc un pas de croissance très différent selon que l'on regarde
les activités françaises ou pas.
L'effectif au 31 décembre s'élève à 35.500
personnes qui se répartissent en France à un peu plus de 17.060,
et hors France à 18.440.
En France, nous avons accru les effectifs en 1997 par rapport à 1996 de
1.360 personnes -nous continuons à augmenter l'emploi en France-
et, hors France, les effectifs se sont accrus de 2.950 personnes.
Nous sommes une organisation très décentralisée.
Nous avons dix branches d'activité, neuf branches industrielles et une
branche qui intervient sur le marché du remplacement des circuits
indépendants.
Nous avons une centaine de divisions. C'est vraiment le coeur de l'organisation
de Valeo, le premier niveau de centre de profit. C'est une petite entreprise
qui a toutes les fonctions et tous les moyens pour fonctionner.
Nous sommes implantés industriellement dans 19 pays ; 128 sites
à fin décembre 1997, dont 42 en France, mais ceux-ci -si on prend
une logique purement géographique- sont sur une trentaine de
localisations différentes.
Pour donner un exemple concret, nous avons à Amiens trois unités
opérationnelles : une division embrayage voitures de tourisme et
une division embrayage poids lourds et fonderie, mais tout cela sur la
même emprise foncière et industrielle, ce qui constitue aux yeux
de l'administration et de l'environnement socio-économique un seul
établissement.
La stratégie de l'entreprise est de renforcer et de maîtriser la
croissance, à savoir une croissance rentable et non pas une fuite en
avant. Nous sommes dans une industrie de volume, de grande série, et
nous verrons que nous y sommes très sensibles.
Renforcer et maîtriser la croissance par la qualité totale, par la
technologie avancée, par des coûts compétitifs, par la
présence mondiale et les moyens de cette stratégie et nous avons
aussi un système manégérial sur lequel je ne m'attarderai
pas. Ce sont des ressources mises en oeuvre : le développement humain.
On fonde énormément la compétition de l'entreprise sur la
qualité du potentiel humain.
Nous avons un accroissement des qualifications. En dix ans, nous sommes
passés d'un taux d'ingénieurs diplômés
bac + 4, qui représentaient il y a une dizaine d'années
5 % de l'effectif total, à 16 % aujourd'hui. Il y a
également une énorme intensification des techniciens
supérieurs, les bacs + 2, si je raisonne en logique
française, et nous n'avons, sur les agents de production, pratiquement
plus d'ouvriers spécialisés, mais des agents qualifiés ou
hautement qualifiés.
Les dépenses de formation représentent plus de 5 % de la
masse salariale. Nous avons au service de cette stratégie
" renforcer et maîtriser la croissance " réalisé
des investissements industriels très importants. Au niveau du Groupe,
c'est près de 3 milliards de francs -8,6 % du chiffre
d'affaires-, et une très forte intensité en recherche et
développement puisque nous dépensons plus de 2 milliards de
francs, 6 % du chiffre d'affaires.
Les ratios que je viens de citer, en formation, en investissements et en
R & D nous situent parmi les tous premiers du secteur de
l'équipement automobile. Certains -c'est de moins en moins vrai-
faisaient le reproche à Valeo d'être peut-être une
entreprise " court-termiste ". Si nous cherchions les
résultats court terme à tout crin, nous pourrions peut-être
diminuer d'un ou deux points les ratios dont je vous ai parlé, cela ne
se verrait pas immédiatement, mais cela pénaliserait très
lourdement la préparation de l'avenir.
Toujours dans cette sorte d'entonnoir, que représente la France dans
l'ensemble du Groupe ?
Je vais essayer de vous donner quelques chiffres qui vont situer sur chacun des
items ce qu'est la France en pourcentage du total.
· Le chiffre d'affaires vendu en France représente 29 % du
chiffre d'affaires total.
· Le chiffre d'affaires produit en France représente 46 % du
total.
· Les investissements industriels en France, supérieurs à
1,3 milliard de francs, représentent 45 % des investissements
totaux du Groupe.
· Les dépenses de R & D, supérieures à
1,2 milliard de francs, représentent 60 % des dépenses
de R & D total du Groupe.
· Les achats extérieurs à 10,5 milliards de francs en
France représentent 44 % de la totalité des achats
extérieurs du Groupe.
· Les effectifs, les 17.060 personnes, représentent 48 % des
effectifs du Groupe.
· Les dépenses de personnel à 4,385 milliards de francs
représentent 54 % des dépenses de personnel du Groupe.
Si je mets ces pourcentages en exergue, c'est pour bien montrer que la France
est sur-représentée sur un plan industriel, emploi, R & D et
investissements par rapport à ce qui est vendu en France. C'est le
produit d'une volonté acharnée que nous avons de moderniser notre
outil industriel et d'engager toutes les dépenses et les
démarches de rationalisation et de modernisation.
Je vous avoue que l'on est parfois un peu démunis par l'absence de
compréhension, de soutien ou d'accompagnement de ce qui ne nous
appartient pas directement. Il n'y a pas toujours de la part de l'environnement
juridico-socio-économique français un accompagnement à la
hauteur des efforts que nous-mêmes engageons pour maintenir et moderniser
l'outil industriel en France, gage de l'activité et donc des emplois en
France.
Bien que je ne sois pas de ceux qui considèrent que la
compétitivité se mesure seulement à comparaison de salaire
horaire France et hors France, je vais vous donner quelques chiffres sur le
sujet, car cela éclairera notre débat.
Si je prends le salaire horaire chargé d'un agent de production moyen au
30 juin 1997 -c'est une enquête que nous faisons au 30 juin de
chaque année-, il représente en France 111 F, et si le
l'affecte de l'indice 100, des pays sont plus chers, la Suède -132-,
l'Allemagne -130-, l'Italie est au même niveau que nous à 103.
Après, nous avons une longue liste de pays sur lesquels l'indice sera
inférieur à 100 : les USA à 95, l'Espagne à
76, le Royaume-Uni à 66 après le renchérissement de la
livre -l'année précédente c'était dans des
proportions plus défavorables pour la France-, le Brésil à
36, la Turquie à 21, la République tchèque à 15, la
Pologne à 14, le Mexique à 13 et la Chine à 4.
Les horaires en France : le travail effectif en France se situe dans une
fourchette de 38,5 heures maximum et de 34 heures minimum, en négligeant
les équipes de fin de semaine car nous avons une centaine de personnes
pour qui l'horaire moyen est de 23 heures.
· La moyenne pondérée sur l'effectif total est de 37
heures et la moyenne sur l'effectif de production est de 36 heures.
On peut noter qu'à travers les chiffres que je vous donne, l'entreprise
n'est pas restée de manière cristallisée et figée
sur l'obligation légale à 40 heures, puis 39 heures.
Nous avons, au fil des années, dans des négociations avec les
partenaires sociaux, été amenés à échanger
parfois des souplesses, de la flexibilité, contre de la réduction
du temps de travail.
Cela s'est passé sur une quinzaine d'années d'une part et,
d'autre part, dans un cadre réglementaire et législatif
très souple, puisque la seule obligation est une obligation de moyens de
négocier chaque année sur l'aménagement et la durée
du temps de travail, sans obligation de résultat, en laissant aux
partenaires sociaux, sans encadrement contraignant, la possibilité de
trouver les bonnes solutions sur ce point.
Quelle est la problématique des 35 heures chez Valeo ?
Je dirai quelques mots des caractéristiques du secteur.
Le secteur de l'industrie automobile au sens large, aussi bien les
constructeurs automobiles que les équipementiers, se
caractérise par une surcapacité installée importante.
L'outil industriel pourrait produire, sans 1 F d'investissement de plus,
22 millions de véhicules supplémentaires par an.
Vous le constatez tous les jours, la bataille est d'une âpreté
sans égale entre constructeurs pour défendre et gagner des parts
de marché, et celle-ci passe essentiellement aujourd'hui par les prix.
L'autre caractéristique du secteur est la suivante : nous sommes
dans une logique plus avancée et plus accentuée que d'autres
secteurs, une logique de mondialisation. Tout le monde s'installe chez tout le
monde. Ce n'est pas tout à fait le sujet, mais il faudrait parler des
avantages du nouvel arrivant. Si l'on compare la façon dont est
accueilli un nouvel arrivant par rapport à l'environnement
juridico-socio-administratif-économique qui accueille les
rationalisations -cette idée qui nous est chère de Greenfield sur
place (essayer de moderniser et de rationaliser un outil industriel quand vous
êtes déjà dans la zone géographique
concernée)-, il est vrai que cette différence existe dans
beaucoup de pays. Ce n'est pas seulement un phénomène
français mais, pour avoir des comparaisons, c'est en France que la
différence entre l'accueil du nouvel arrivant et les contraintes, les
difficultés et les obstacles donnés à celui qui est
installé pour rationaliser son outil industriel sont les plus grands.
Cette mondialisation prend aussi la forme de plates-formes mondiales.
Aujourd'hui, les constructeurs étudient une plate-forme et la font
réaliser continent par continent en Europe, en Amérique du Nord
et du Sud, voire en Asie. On est dans une logique de mondialisation. La
troisième concrétisation de celle-ci c'est l'approvisionnement
mondial, ce que dans le jargon de l'industrie automobile on appelle le global
sourcing qui fait qu'aujourd'hui un constructeur automobile a l'ensemble des
fournisseurs du monde entier comme possibles, et pas seulement ses fournisseurs
nationaux.
Tout cela met une pression importante sur des entreprises comme Valeo qui sont
des équipementiers automobiles, pression qui se concrétise par
toujours plus d'exigences sur les performances industrielles, plus de
fiabilité, de qualité, d'innovation, de service et des prix
toujours plus bas.
Il y a deux façons de réviser les prix dans la construction
automobile : pour les modèles en cours, la réduction
demandée chaque année se situe entre moins 5 et moins 8 %
pour les modèles lancés et, quand vous êtes dans une
logique de renouvellement, que vous voulez vous succéder à
vous-même -fournir l'embrayage du nouveau véhicule ou le
projecteur-, vous avez 25, 30, voire 40 % de moins de prix par rapport au
véhicule que vous remplacez.
Il faut voir que vous avez deux ans -car, aujourd'hui, le temps de
développement d'un véhicule, selon les produits, se situe entre
deux ou trois ans- pour écraser les coûts de 30/35 %. On a
une productivité pré-vendue, car si l'on était
amené à livrer aujourd'hui au prix où l'on prend les
affaires, c'est immédiatement la ruine de l'entreprise. Le temps de
développement compris entre deux et trois ans pour des modifications
nécessaires sur le plan du dessin, de l'organisation industrielle, des
installations, afin d'aboutir à cet écrasement des coûts de
l'ordre de 30 %.
Si, à côté de cela, l'environnement
juridico-socio-économique, loin d'accompagner ce
phénomène, vient apporter des lourdeurs, cela pénalisera
l'entreprise et la localisation de ses emplois. Là, je crois que l'on
entre dans le coeur du débat.
On n'a pas de vision d'école sur le sujet ; ce je vous dis
aujourd'hui est vraiment tiré de la constatation du métier, du
travail, de notre relation en profondeur avec les constructeurs, et l'on n'est
pas là sur des querelles de chapelles.
Pour nous, la croissance est le seul véritable moteur du maintien et du
développement de l'emploi. Tout ce qui détériore la
compétitivité par l'alourdissement des coûts et
l'accroissement des rigidités vient obérer la croissance et
menacer l'emploi.
Nous croyons, malheureusement, en l'état actuel du projet qui n'est pas
encore opérant car il a à passer devant le Parlement, qu'il y a
des risques sérieux d'une dégradation structurelle de la
compétitivité et d'une crispation sur les deux ans qui viennent
du dialogue social.
Comment Valeo va-t-il essayer de jouer cette législation ?
Il conviendra tout d'abord de connaître le droit positif,
d'étudier son impact avant de commencer les négociations
opérationnelles. Il faudra respecter la loi, mais aussi répondre
aux attentes des clients et, en définitive, c'est le client, le
constructeur automobile qui choisit l'établissement auquel il confie ses
commandes. Il peut choisir d'être servi à partir de tel
établissement pour des raisons de proximité, d'homologation, de
logique de balance devises et, indirectement, pour des logiques de coût.
Aujourd'hui, les constructeurs raisonnent en termes de prix mondial, et
ça leur est, toutes choses égales par ailleurs,
complètement indifférent que vous les livriez à partir de
la France, de la Turquie, de l'Espagne ou de la Grande-Bretagne.
Il faut comprendre qu'à 90 % une activité existe par la
compétitivité, mais à 90 % la localisation de celle-ci est
faite par le client lui-même.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie de cette approche.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Je remercie M. Bernard Geymond de son
témoignage en sa qualité de responsable des Relations humaines
chez Valeo.
Il a bien souligné l'importance du Groupe Valeo sur le territoire
national, en termes de valeur ajoutée, de chiffre d'affaires et
d'effectifs. Monsieur Geymond, avez-vous appliqué la loi de Robien dans
tel ou tel des établissements de votre Groupe ?
M. Bernard GEYMOND - Nous avons un établissement en
" de Robien " défensif à Athis-de-L'Orne, petit
établissement situé près de Flers qui a, compte tenu de
ses perspectives de commandes futures, traversé une période de
basses eaux sur le plan de l'activité. Il nous a paru tout à fait
intéressant d'essayer de maintenir l'expertise et le potentiel humain
dans l'entreprise et, pour se faire, nous avons utilisé du " de
Robien " défensif.
Nous cherchons -vous l'avez compris- dans toute la mesure du possible à
maintenir et à développer l'emploi, et nous avons réussi
sur l'année et sur le long terme en France.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous nous avez indiqué que vous
étiez en symbiose avec les constructeurs et que lorsque vous lancez une
production vous devez programmer les gains de compétitivité pour
atteindre les objectifs extrêmement contraignants en termes de prix.
Des contrats sont en cours d'exécution. Avez-vous pu mesurer ce que
serait l'impact de la réduction de la durée légale de
travail par semaine sur vos prix de revient, et est-ce de nature à
affecter le bon déroulement de ces contrats à moyen terme ?
M. Bernard GEYMOND - On comprend que le dispositif est en gestation, mais l'on
pense qu'un certain nombre de choses seront renvoyées au rapport de
forces dans l'entreprise. Par rapport à la productivité que l'on
a prévendue par la baisse de prix, rentrer dans une réduction du
temps de travail va nous confronter au moins à une triple demande :
compensation en matière salariale de la réduction du temps de
travail, maintien d'une politique salariale, non pas de gel, mais de
progression du pouvoir d'achat, dont la simple compensation ne suffira pas. On
a vu qu'à l'occasion des premières discussions informelles,
à tort ou à raison -c'est une réalité tout au moins
dans notre entreprise-, le personnel en place a beaucoup de mal à se
placer dans une logique d'" échanges " actifs/chômeurs.
Le personnel est demandeur, non seulement du maintien de son niveau de
rémunération, mais de la progression de son pouvoir d'achat, et
on peut dire qu'il serait plutôt prêt à augmenter son
pouvoir d'achat et son revenu par plus de travail qu'à le diminuer ou
à le geler par une réduction du temps de travail.
Compensation du temps de travail et amélioration du pouvoir d'achat et,
si l'on est dans une logique d'une réduction du temps de travail pour
l'emploi, il faut passer aux embauches correspondantes à due proportion
ou avec un coefficient de réfaction, et l'on ne peut pas d'une part,
donner de la productivité et écraser les coûts de 15 % par
an, à travers la baisse de prix et, d'autre part, financer la triple
demande que je viens d'évoquer.
C'est ce à quoi je faisais allusion quand j'évoquais la
crispation du climat social qui s'instaurera dans les entreprises dans les deux
ans qui viennent. On est avec des salariés dont les attentes
sociologiquement -on peut le déplorer- ne rencontrent pas tout à
fait ce qui peut être la motivation de ce dispositif.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Si la loi vient à être votée
et qu'elle ramène à 35 heures la durée légale
hebdomadaire du travail, peut-on imaginer que la contrepartie de cette
réduction soit une annualisation de la durée du temps de travail
et, si tel est le cas, estimez-vous que cette disposition doit relever de la
convention ou d'une disposition inscrite dans la loi ?
M. Bernard GEYMOND - Il est certain, puisque j'ai situé le débat
sur le terrain de la compétitivité, que tout ce qui tourne autour
d'une réduction du temps de travail améliorant la
compétitivité par la flexibilité ira dans le bon sens. Il
ne faut quand même pas croire qu'aujourd'hui on soit démuni. On a
un dispositif qui pourrait fonctionner remarquablement : les modulations
et, à la suite d'un accord interprofessionnel signé dans la
métallurgie en 1996, l'annualisation du temps de travail avec des jours
de congé en échange, mais enfermée dans certaines limites,
car elle n'est pas là pour dire que c'est horaire 0 ou 60 heures
par semaine.
Le nouveau projet accompagnera une réduction de 39 à 35 heures,
avec tous les effets induits, ce qui viendra alourdir la
compétitivité des entreprises par rapport à la recherche
d'un fonctionnement flexible dans le cadre du dispositif existant.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Si la durée du temps de travail est ainsi
abaissée par la loi, de votre point de vue, dans un Groupe comme le
vôtre qui emploie 17.000 personnes en France, est-ce une loi de
nature à créer de l'emploi ?
M. Bernard GEYMOND - Non, je crois vous avoir dit que notre analyse
aujourd'hui, dans la connaissance du dispositif, va plutôt dans l'autre
sens. On ne voit pas comment elle n'obérera pas de fait -pas
forcément la loi mais le côté pernicieux de celle-ci-, par
ses effets induits sur la toile de fond qu'elle tisse sur les
négociations à engager, la compétitivité et, pour
nous, toucher à la compétitivité n'est certainement pas
servir l'emploi en France, mais plutôt le desservir.
M. Alain GOURNAC, président - Merci d'avoir répondu à
notre rapporteur. Je vais passer la parole à nos collègues.
M. Louis SOUVET - Consultez-vous les Japonais et vous consultent-ils sur des
projets équipementiers ? Avez-vous parfois des consultations ?
Comment expliquez-vous que les prix de vente des Japonais puissent être
inférieurs aux vôtres ?
Imaginons que la loi soit votée sans diminution des revenus, quelle est
la réaction de l'entreprise ? On continue ? Si oui,
travaille-t-on à perte ou, si non, a-t-on encore suffisamment de
possibilités de gains de productivité pour pallier cette
difficulté ?
Deuxième réaction : on délocalise, on emmène
l'entreprise ailleurs et on va travailler dans des pays étrangers. Il
n'en manque pas : la Pologne, la Turquie, la Chine, les pays de l'Est.
On fait construire ailleurs, on est un bureau d'études et l'on travaille
avec les fabricants français. Quelle pourrait être la
réaction prévisible de Valeo ?
M. André JOURDAIN - Quel est le pourcentage de masse salariale dans les
produits finis et le coût de la main-d'oeuvre par rapport à la
production ?
Par rapport à ce que vous avez dit, bien souvent, quand on défend
devant nous ce projet de loi, on nous dit que les entreprises, pour ne pas
perdre en compétitivité, devront revoir leur organisation de
travail. Or, d'après ce que vous nous avez indiqué, cette
organisation de travail est prévue deux ans à l'avance pour
être compétitif, compte tenu des prix que vos clients vont vous
imposer ; autrement dit, y a-t-il encore une réorganisation
possible de votre production qui serait la conséquence de cette loi des
35 heures ? Pensez-vous possible de faire encore mieux au niveau de
l'organisation du travail ?
M. Denis BADRE - Vous nous avez dit qu'il vous semblait que, dans votre
entreprise, les agents préféraient une augmentation de la
durée du travail pour avoir une rémunération
améliorée.
Dans les visites que nous avons faites récemment, nous avons
constaté que les avis étaient partagés. Certains sont-ils
prêts à accepter une pause, voire un tassement de leur
rémunération pour partager l'emploi ? On s'est aperçu
que les réactions, selon qu'il s'agissait de la Direction
générale, des syndicats, de la direction des ressources humaines
ou des salariés eux-mêmes, étaient différentes. Sur
quoi vous fondez-vous pour dire ce que vous venez d'affirmer ? De qui
émane l'avis dans l'entreprise et comment peut-on aller plus loin pour
approfondir ce point ?
Vous avez utilisé comme référence la durée
hebdomadaire, comme le fait le projet de loi qui a été retenu par
le Gouvernement. Cette référence vous paraît-elle devoir,
dans la durée, rester la seule possible ou vous paraît-elle
obsolète ?
M. Alain GOURNAC, président - Vous nous avez dit, dans votre propos, que
la réduction du travail n'était pas une première
priorité. Cela a-t-il été mesuré dans le Groupe
Valeo ? Avez-vous, dans les revendications des employés de votre
Groupe, un pourcentage important favorable à une augmentation de salaire
et, en quelle place, si vous l'avez mesurée, les employés du
Groupe Valeo ont mis la réduction du temps de travail ?
Vous nous avez dit qu'il y avait un risque pour le climat social dans les
négociations. Pourriez-vous nous en dire plus concernant votre
Groupe ? Que redoutez-vous si l'on vous impose les 35 heures ?
J'aimerais que vous puissiez dire ce que vous pensez du temps hebdomadaire.
Faut-il parler beaucoup plus du temps choisi aujourd'hui ? Quelle est la
position d'un grand Groupe comme le vôtre ?
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Y a-t-il dans votre Groupe des heures
supplémentaires ?
M. Michel BECOT - Le plan de recherche et développement est-il sur la
France uniquement, car c'est un effort important ; l'effort de formation
de 5 % se fait-il sur l'ensemble du Groupe, et comment est envisagée la
formation dans le cadre des 35 heures ?
M. Bernard GEYMOND - Oui, nous démarchons les Japonais et nous sommes
consultés. Il existe deux réalités assez
différentes : les Japonais hors Japon et les Japonais au Japon. Il
est plus facile d'espérer être, quand on n'est pas Japonais, un
fournisseur d'un constructeur japonais en dehors de son territoire national,
plutôt qu'au Japon, et nous avons des contrats avec Toyota et Nissan en
Grande-Bretagne et en Espagne, ainsi que des contrats avec ces constructeurs
dans leur implantation nord-américaine. Nous sommes parmi le tout petit
nombre d'équipementiers non japonais qui a livré des usines
situées au Japon, sur les projecteurs en particulier, mais dans des
proportions qui n'ont rien à voir.
Ce sont des clients très exigeants, mais nous aimons beaucoup les
clients exigeants car c'est avec eux que nous progressons.
Concernant les prix de vente d'équipements inférieurs aux
Japonais, il y a tout d'abord aujourd'hui dans l'industrie automobile,
constructeurs ou équipementiers, le modèle, le benchmark -pour
employer un terme à la mode- en efficacité industrielle :
l'industrie automobile japonaise, aussi bien dans l'organisation industrielle,
dans l'organisation des flux, dans tous les systèmes modernes de
production, le développement et l'ingénierie simultanés...
M. Louis SOUVET - ... Dans leur législation...
M. Bernard GEYMOND - ...Après leur efficacité propre en tant
qu'entreprise, il y a l'environnement économique dans lequel ils se
meuvent.
Avec beaucoup de modestie, nous pensons que nous nous rapprochons des meilleurs
standards mondiaux en matière d'efficacité industrielle. En
revanche, nous n'avons pas l'impression d'être accompagnés par
l'environnement juridico-socio-économique qui est une autre partie
très importante dans la compétitivité de l'entreprise.
La loi est votée : va-t-on travailler à perte ? Si on
le faisait, cela ne durerait pas longtemps. Je ne pense pas que vous vous
attendiez à ce que je vous réponde que l'on va travailler
à perte.
Allez-vous délocaliser ? A 90 %, la localisation d'une commande
émane beaucoup plus du client constructeur que de
l'équipementier, soit par le choix direct que fait le constructeur pour
des raisons que j'ai évoquées, soit parce qu'en termes de prix
mondial, à un moment on estime que l'on ne peut pas prendre le risque de
répondre à ce prix à partir d'une implantation en France.
M. Louis SOUVET - Vous travaillez pour des constructeurs français.
M. Bernard GEYMOND - Aujourd'hui, ils nous font sentir très fort, quand
ils ne nous le disent pas -il y a encore historiquement une
préférence nationale, peut-être moins forte en France qu'en
Allemagne ou au Japon- que la préférence nationale ne s'exerce
plus contre vents et marées. Les constructeurs aussi ont à lutter
contre leur propre compétition et les autres compétiteurs.
Regardez ce qui se passe dans la rationalisation et les réorganisations
de PSA.
Même les constructeurs français aujourd'hui ne sont pas sur une
préférence nationale, et quand ils recherchent
l'écrasement des prix et des coûts qui va les mettre en bonne
position vis-à-vis de la compétition, ce qui nécessite que
leur équipementier soit localisé ailleurs qu'en France, ça
ne les gêne pas de nous dire :
" Livrez-moi à partir
d'Espagne ou de Grande-Bretagne
".
M. Louis SOUVET - Vous livrez en fonction des prix de revient.
M. Bernard GEYMOND - Le rapport de force -vous l'avez connu de l'autre
côté entre un constructeur et un équipementier- est tout
à la faveur du constructeur. Il y a des choses qui sont pensées
fortement ou dites à demi-mot mais qu'un équipementier doit
comprendre. Quand quelqu'un vous parle de sa balance devise en lires ou en
sterling, vous voyez ce que cela signifie.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Toute proportion gardée, les constructeurs
deviennent les centrales d'achat de la distribution de consommation courante.
Quand vous dites que vous devez accompagner les constructeurs, dans ce que vous
percevez des migrations et des délocalisations, quelque chose
tendrait-il à s'accélérer pour aller chercher les facteurs
de production là où ils sont les plus avantageux par rapport au
marché ?
M. Bernard GEYMOND - Il y a en France ou en Allemagne des constructeurs qui
produisent en Espagne pour des produits vendus en France ou en Allemagne. Il
existe des modèles. Dans cette recherche de volume et de massification,
des usines progressivement sont dédiées à des
modèles ou des plates-formes. C'est l'évolution que PSA veut
produire après que d'autres constructeurs les introduisent mais, en
général, quand on est dans des migrations continentales, ce
serait mentir de dire aujourd'hui que les constructeurs s'implantent en
Amérique du Sud pour servir l'Europe à partir de
L'Amérique. Ils considèrent que c'est un pays émergent qui
a un marché intéressant sur lequel tout le monde se
précipite.
Pour l'Asie, c'était pareil. Cela va-t-il se calmer ? On est
plutôt dans une logique préventive de vouloir se placer sur le
marché émergent que dans une logique de délocalisation
pour servir à partir de L'Amérique du Sud ou de l'Asie le
marché européen.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est à l'intérieur de la
région européenne.
M. Bernard GEYMOND - Les véritables échanges de
délocalisation ont une logique continentale. Les logiques
intercontinentales sont plus sur des logiques marchés de pays
émergents que sur la logique "
Je vais servir ma 106
française à partir d'une usine en Chine
". Ce n'est pas
la réalité.
Que représentent les dépenses de personnel en proportion du
chiffre d'affaires ? Au niveau consolidé, les frais de personnel
représentent 24 % du chiffre d'affaires, et je vous ai dit que les
frais de personnel en France représentaient 54 % de 4,385 milliards
de francs en chiffres ronds en 1997, donc 54 % de la masse salariale,
alors que l'on est à 48 % des effectifs. 48 % des effectifs est
beaucoup plus intense que le chiffre vendu en France, qui est de 29 %, et
également plus fort que le chiffre que l'on produit en France,
46 %, et plus intensif, 54 %, que les effectifs que nous avons en
France. Il y a donc un surcoût salaire chargé.
M. André JOURDAIN - Vous n'avez pas le ratio uniquement pour la France.
M. Bernard GEYMOND - Nous n'avons pas sorti les chiffres 1997 et notre
première logique est une logique de branche avant d'être une
logique pays.
Si vous regardez à travers les deux chiffres, les 24 % au niveau
consolidé, plus le surcroît d'intensité en France, car on a
54 % de la masse salariale, cela doit être de l'ordre de 27 %.
M. Jourdain parlait de l'organisation du travail et de réorganisation de
la productivité. Tout le sujet qui tourne autour des 35 heures est le
suivant : à côté de la productivité que nous
prévendons dans la baisse de prix, existe-t-il des gisements de
productivité qui pourraient absorber les surcoûts, qu'à
tort ou à raison je vois venir dans cette future législation sur
les 35 heures ?
Quand on écrase les coûts de 15 % par an, il faut
déjà faire des efforts colossaux dans tous les domaines et
particulièrement dans la réponse installation industrielle et le
dessin du produit. Dans l'organisation, on n'arrive pas toujours à
obtenir au moins 15 % de productivité, ce qui met en perspective ce que
je disais, à savoir que, quand on n'y arrive pas et que les
constructeurs disent : "
Si vous ne pouvez pas nous servir
à partir de France, ce n'est pas un problème...
", on
est dans des logiques de délocalisation sous peine de perdre le
marché. C'est Valeo France contre Valeo Turquie. Personne d'autre en
France ne prendra le marché au prix mondial auquel on n'est pas
préparé à pouvoir répondre.
Il y a trois façons de mourir pour un équipementier
aujourd'hui :
· Ne prendre aucun risque de vouloir monter dans aucun train sous
prétexte qu'il perd de l'argent au prix instantané auquel il
prend le futur marché dans deux ans. Dans cette logique, on gagne de
l'argent sur le dernier produit que l'on vend et l'on disparaît.
· L'autre façon de mourir est de monter dans tous les trains qui
conduisent nulle part, sauf dans le mur.
· Monter dans les bons trains et d'être incapable de faire cet
écrasement des coûts de 15 % par an demandé par le
pari que l'on a pris.
Quand on me demande si, au-dessus de tout cela, nous avons la
possibilité d'en rajouter, je réponds " non ".
15 %, c'est déjà extrêmement difficile. Si l'on nous
rajoute 4, 5 ou 7 %, on n'y arrivera pas, et ce n'est pas de la mauvaise
volonté.
J'ai évoqué dans mon intervention qu'à la limite le
personnel préférerait avoir plus de revenu, quitte à
travailler plus. Si on lui dit qu'il gagne autant ou plus en travaillant plus,
il est partant.
Comment le personnel réagit-il à la réduction du travail
hebdomadaire à 35 heures ? Cela n'a de sens que si on lui dit
dans quelle condition va se passer la compensation salariale et,
au-delà, le gel total ou partiel de la politique salariale.
Je vous mentirais en disant que l'on a des sondages extrêmement
précis et scientifiques. Je vous ai fait remonter des
éléments à la fois de gens qui me l'ont dit, du
réseau R.H. et de certains syndicats. Certains, dans un bureau, en
tête à tête, nous disent de manière
lucide : "
On comprend les difficultés, mais il faudrait
trouver des réponses intelligentes ".
Ils envoient des signaux
et sont prêts à regarder des réponses intelligentes de
compensation partielle, et d'autres jouent la politique de l'extrême,
à savoir 35 heures payées sur la durée actuelle et la
politique salariale habituelle en plus.
On sait très bien qu'un nombre important -la majorité du
personnel- n'est pas prêt à accepter une réduction des
revenus, même si elle n'est pas totalement proportionnelle à la
réduction du travail, car ils se situent plus dans une logique du
maintien et de développement du pouvoir d'achat. Ce que je vous ai dit
sur le sujet n'est fondé sur aucun sondage scientifiquement
organisé, mais la remontée d'un ressenti du réseau.
La référence hebdomadaire reste-t-elle possible ? Il est
certain que la référence hebdomadaire est complètement
dépassée aujourd'hui, surtout dans un secteur où l'on est
soumis à des aléas. On " adore " tous nos clients, mais
certains constructeurs ont confondu pendant longtemps, même s'ils
évoluent maintenant, juste à temps et n'importe quelle variation
de la demande.
Dans une logique qui concerne la livraison juste à temps, les Japonais,
qui sont des maîtres de l'efficacité, savent très bien
qu'il y a les vertus d'un lissage de la production, et que les zones
d'ajustement, par rapport à une tendance, pour conserver
l'efficacité d'une entreprise dans sa logistique d'approvisionnement,
nécessitent de rester dans des normes. On a vu des constructeurs qui,
avec une semaine de prévenance, faisaient varier en plus ou en moins de
40 % les commandes de la semaine précédente. Nous sommes
incapables d'y arriver.
Les heures supplémentaires : elles font partie dans ces cas-là
des ajustements possibles aux réponses débridées. Quand
vous avez d'une semaine sur l'autre 30 ou 40 % d'activité en plus,
il est évident que vous êtes obligé de mobiliser toute la
modulation, les heures supplémentaires et tout ce que vous pouvez
trouver pour répondre à la demande.
Recherche et développement : je vous ai dit que 60 % des
dépenses de recherche et développement sont localisées en
France. Des centres techniques pour chacune de nos branches dans la recherche
fondamentale sont localisés en France.
En revanche, tout ce qui est partie recherche application se situe dans les
divisions et donc dans les différentes zones géographiques
d'implantation de ces divisions. Pour tenir une place importante sur le
continent nord américain, il faut quasiment doubler nos centres de
recherche et développement. Nous avons à La Verrière un
superbe centre technique sur le thermique, et nous sommes en train de le
doubler, pour répondre au marché nord américain et aux
demandes de Général Motors, Ford et Chrysler, dans la
région de Detroit.
Quant à la formation, elle est peut-être plus intense en France
que dans le reste du Groupe.
Je vous avoue que l'on n'a pas réussi à normaliser sur l'ensemble
du Groupe la façon de compter la formation en France depuis l'accord de
1970 et la loi de 1971 sur la formation professionnelle. On est dans une
mécanique bien " huilée ", et on sait exactement ce qui
rentre.
Une partie du maintien de la rémunération pendant le temps de
formation vient sur les pourcentages que l'on évoque, ce que d'autres
pays ne conçoivent pas. La France est là aussi
représentée d'une manière plus intense car le pourcentage
sur la masse salariale doit se situer entre 5,5 % et 6 %, là ou le
Groupe consolidé est à 5 %.
Après, dans l'organisation du temps, pourrait-on trouver des
réponses intelligentes pour dire que tout ou partie du temps de
formation serait au-delà -ne parlons plus des 35 heures, mais c'est le
dispositif que l'on étudie- du temps hebdomadaire ou annualisé,
et pourrait-on espérer trouver une réglementation
" combinaison " entre ce qui émanerait de textes au niveau
national et ce qui renverrait à la négociation pour que la
formation soit imputée en tout ou en partie en dehors du temps de
travail ? Cela fait partie des réponses intelligentes.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie de votre propos.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous avez dit que les techniciens de haut niveau
sont de plus en plus nombreux. Par rapport aux cadres, quelle est votre
réflexion sur leur temps de travail et votre société
fait-elle l'objet de contrôles renforcés par les inspecteurs du
travail, car c'est un phénomène qui tend à se multiplier
selon certains témoignages ?
M. Bernard GEYMOND - C'est une toile de fond existante. Des contrôles
sont plus systématiques et sourcilleux. La difficulté pour le
temps de travail des cadres correspond à la grande souplesse qu'ils ont
pour organiser leur propre temps de travail.
On invoque des législations qui obligent à décompter. Je
prendrai l'exemple d'un centre très technique à vocation mondiale
localisé en France. Il a des relations avec une antenne technique au
Japon, au Brésil ou en Argentine. Vous avez une adaptation individuelle
à la mission qui est confiée et une absence de contrôle qui
est vécue par l'encadrement comme étant une preuve de confiance
de la part de la Direction, et quand, devant les démarches de
l'inspection du travail, vous êtes amené à remettre un
contrôle pointilleux et tatillon, la majorité des
ingénieurs et cadres considèrent que c'est anormal.
En outre, que des horaires parfois individuellement ou sous la pression soient
trop élevés, c'est sans doute une vérité, mais j'ai
envie de demander à certains et à certaines combien de temps ils
travaillent par semaine. Cela m'étonnerait qu'ils travaillent 35
heures !
M. Alain GOURNAC, président - Merci de votre avant-propos et d'avoir
répondu aux questions de monsieur le rapporteur et de mes
collègues.
B. AUDITION D'UNE DÉLÉGATION DE L'UNION DES FÉDÉRATIONS DE TRANSPORT (UFT) COMPOSÉE DE MM. PHILIPPE CHOUTET, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DE L'UFT, JEAN DE CHAUVERON, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DE LA CHAMBRE DES LOUEURS ET TRANSPORTEURS INDUSTRIELS (CLTI), RÉGIS DE FOUCAULD, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA CHAMBRE SYNDICALE DU DÉMÉNAGEMENT ET DENIS LESAGE, CONSEIL CENTRAL DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES TRANSPORTEURS DE VOYAGEURS (FNTV)
M. Alain GOURNAC, président - Nous allons
procéder à l'audition d'une délégation de l'Union
des Fédérations de transport.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM.
Philippe Choutet, Jean de Chauveron, Régis de Foucauld et Denis
Lesage.
M. Alain GOURNAC, président -
Je vous propose dix minutes pour
présenter votre positionnement.
Il ne s'agit pas de l'étude de la loi. Ici, vous êtes devant une
commission d'enquête qui se base uniquement sur une décision du
conseil des ministres sur la réduction du travail à 35 heures.
Nous retrouvons dans le budget de cette année des lignes
budgétaires pour accompagner cette décision de réduire la
durée hebdomadaire à 35 heures. On n'abordera donc pas
l'étude de la loi, articles 1, 2 et 3.
Monsieur le rapporteur vous posera des questions. Je vous demande
également de noter les questions de mes collègues et d'y
répondre.
M. Philippe CHOUTET - Je vous remercie de nous accueillir et de nous donner la
possibilité de nous exprimer sur le projet de réduction de la
durée hebdomadaire du travail à 35 heures.
Nous représentons l'Union des Fédérations de Transport,
association qui regroupe un certain nombre de Fédérations du
secteur d'activité du transport routier (voyageurs, marchandises,
déménagement, location, transports et industriels, les
activités d'ambulanciers, de transports de fonds et les organisateurs
commissionnaires de transports) qui regroupent 450.000 salariés dans des
entreprises de tailles diverses, essentiellement des entreprises de petites
dimensions, comme c'est le cas général de la structure des
entreprises de notre pays.
Concernant la question de l'évaluation des conséquences de la
réduction à 35 heures de la durée du travail par
semaine, nous souhaitons avoir une approche par rapport à la
réalité et aux spécificités de nos secteurs
d'activité.
Cette question nous paraît préoccupante, aussi bien concernant le
principe même de la réduction de la durée légale -le
passage de 39 à 35 heures-, et, le temps partiel, dispositif
envisagé, qui a des répercussions particulièrement
importantes en activité de transport scolaire.
Notre préoccupation sera présentée en deux temps : un
premier point lié plus particulièrement à l'environnement
dans lequel s'exerce le transport routier -marchandises ou voyageurs-, un
environnement européen, et un deuxième élément
ciblé davantage sur des points ou des dispositifs particuliers purement
internes, suite à un certain nombre d'accords que nous avons
passés avec nos partenaires sociaux dans les périodes les plus
récentes.
Sur un plan général, la réduction à 35 heures de la
durée légale dans nos secteurs d'activité nous pose un
problème majeur dans la mesure où nous nous inscrivons en termes
d'activités professionnelles dans un environnement communautaire
européen qui lui donne la possibilité en durée de conduite
seule d'exercer l'activité pendant 45 heures par semaine en permanence.
La réduction à 35 heures, pour les activités de
conducteurs, certes, des heures de conduite, mais également un certain
nombre d'autres heures d'activité (chargement, déchargement ou
temps d'attente), et la comparaison entre ce qui est autorisé dans le
dispositif européen en termes de temps de conduite -45 heures en
permanence par semaine-, et ce que donnerait la possibilité en interne
-35 heures toutes activités confondues-, entraînerait pour nos
entreprises une situation de concurrence difficilement supportable par rapport
aux autres entreprises des pays de l'Union européenne, et ce d'autant
plus qu'à compter du 1er juillet 1998, avec la libéralisation du
cabotage, les entreprises des autres pays de l'Union européenne
pourront venir exercer sur notre territoire des activités de transport
identiques à celles qui pourraient être exercées par nos
propres entreprises.
Sur ce point particulier, nous considérons que la répercussion
serait particulièrement pénalisante.
Un autre aspect est lié au premier point, le fait que cette situation
risque d'avoir une conséquence directe sur la
compétitivité de nos entreprises, mais également en termes
de marchés de nos entreprises, donc des risques de perte de
marchés, d'où une baisse d'activité et un risque de
répercussion sur la situation de l'emploi dans nos secteurs
d'activité qui, -je le disais- représentent un nombre de
salariés particulièrement important.
Le troisième point vient du fait que, dans les secteurs
d'activité du transport, les gains de productivité pour des
personnels de conduite sont difficiles à réaliser du fait que
l'on aura toujours besoin, pour tenir le volant d'un véhicule poids
lourd de transport de marchandises, transport de voyageurs ou
déménagement, d'un conducteur, et les dispositifs de mise en
place de plusieurs conducteurs pour un même véhicule ne sont pas
faciles à réaliser, surtout quand le véhicule est à
350, 400 ou 500 kilomètres de son point d'attache.
C'est le dispositif d'organisation de relais qui ne peut pas se faire dans
l'intégralité et dans la totalité de ces situations.
Nous avons mis en avant le risque de distorsions en termes de concurrence, et
nous demandons depuis longtemps une harmonisation des dispositifs sociaux
à Bruxelles. Un certain nombre de travaux sont en cours, notamment un
mémorandum français qui a été déposé
à Bruxelles et qui vise à une meilleure harmonisation de ces
règles. Ces travaux sont en cours et, pour l'instant, l'ensemble de
ces orientations ne sont pas arrivées à leur conclusion.
Deuxième partie : la conséquence de la réduction à
35 heures de la durée légale par rapport à des
dispositions nationales françaises.
Le processus de réduction des temps du travail ou de service dans nos
secteurs d'activité a été entamé il y a
déjà plusieurs années, puisque nous avons signé fin
novembre 1994 un accord important sur la réduction de ce que nous
appelons les temps de service. La notion de temps de service est
différente de la notion de temps de travail effectif du fait des
spécificités de nos secteurs d'activité, puisque nous
avons des temps de conduite, des temps de travail effectif autres et une
série de temps d'attente.
Cet accord nous a amenés à limiter la durée du temps de
service à compter d'octobre 1995 à 240 heures par mois,
lesquelles correspondaient à 55 heures en moyenne de temps de
service, et nous avons procédé à une seconde étape
de réduction à compter du 1er janvier 1997 pour la ramener
à 230 heures mensuelles, ce qui correspond aujourd'hui à 53
heures hebdomadaires, sachant que ces heures ne sont pas toutes des heures de
conduite. Nous avons un dispositif européen qui fixe des normes de temps
de conduite et qui est essentiellement un dispositif de sécurité.
Nous sommes, en termes de durée de conduite, dans le respect de ses
normes puisqu'il s'agit de règles de sécurité.
L'une de nos orientations est d'aller dans le sens de la réduction. Nous
n'y sommes pas opposés. Nous l'avons initiée prenant conscience
de certaines durées particulièrement excessives dans certaines
situations, mais il nous paraît difficile de passer de 53 à 35
heures prévues dans le projet. Il est évident que c'est une
étape particulièrement difficile à envisager ou un
différentiel difficile à absorber. Sur le plan du principe,
dès lors que l'on peut tenir compte de nos spécificités et
de certaines adaptations, il est évident qu'il n'y a pas d'opposition de
principe.
Nous attirons votre attention sur un second élément. Fin 1997
-comme vous l'avez su et subi-, il y a eu un conflit dans les transports
routiers, lequel conflit a abouti à la signature d'un protocole
début novembre 1997 avec la programmation d'une revalorisation de nos
rémunérations sur plusieurs années, puisque nous allons
jusqu'au mois de juillet de l'an 2000.
Cette programmation s'inscrit dans un dispositif de durée de travail ou
de service tel qu'il était au moment où nous avons signé
notre protocole. Il est certain que nous n'avons pas connaissance ou nous ne
pouvons pas connaître aujourd'hui les répercussions de la
réduction de la durée du travail en termes de niveau de
rémunération.
Un certain nombre d'informations sont données. On ne sait pas exactement
quelles seront les orientations finales, notamment par rapport aux niveaux de
rémunération les plus faibles, et l'on risque, par cette
réduction, d'avoir dans nos secteurs d'activité, puisque nous
avons programmé jusqu'à l'an 2000, un surcoût
supplémentaire par rapport à ce qui est envisagé.
Nous avons dans notre protocole du 7 novembre 1997 des revalorisations
programmées qui représentent dans certains cas plus de 20 % en
termes de niveau de rémunération sur les différentes
années en question.
Troisième point, qui n'est pas spécifique à nos secteurs :
le fait que le projet a deux étapes en fonction de la taille des
entreprises.
Un effet de seuil dans certains secteurs n'a pas de répercussions mais,
dans nos secteurs, cela peut en avoir une car, quelle que soit la taille des
entreprises, les métiers exercés sont les mêmes.
Que vous ayez une entreprise avec huit véhicules ou vingt-cinq
véhicules, si vous êtes sur un créneau d'activité,
vous exercerez dans ce créneau d'activité dans les mêmes
conditions. Nous aurons une distorsion en termes de fonctionnement de nos
entreprises du fait des différentes échéances.
Un autre point nous paraît important : si le dispositif de
réduction de la durée légale du travail ne permet pas aux
entreprises de fonctionner dans des conditions normales avec des personnels
salariés, il y a deux risques majeurs : le
développement de la sous-traitance au détriment de l'emploi
salarié et, compte tenu que nous sommes dans un secteur où il y a
sous-traitance, on en connaît certains effets.
Un deuxième risque est plus grave encore : du fait que nous sommes dans
des activités de service aux particuliers -et nous le sommes tous autour
de la table- il peut y avoir un développement du travail clandestin,
travail illégal ou dissimulé.
En conclusion, avant de céder la parole à M. Lesage qui apportera
des précisions complémentaires sur les spécificités
du projet par rapport au transport de voyageurs, il nous paraît
nécessaire de prévoir des dispositions particulières pour
certains secteurs d'activité qui, comme le transport routier
marchandises, voyageurs ou autres, disposent déjà de mesures
spécifiques et notamment au niveau supranational.
Deux exemples nous paraissent illustrer de façon correcte cette
orientation : en premier lieu, le transport a déjà
été écarté de la directive 93-104 de Bruxelles sur
l'aménagement du temps de travail, du fait que nous disposons par
ailleurs de tout un dispositif sur les durées de conduite et de repos
dans nos secteurs d'activité. C'est le règlement communautaire
3820-85, avec son complément en termes de dispositifs de contrôle
(règlement 3821/85).
En 1993, à Bruxelles, on a déjà considéré
que le secteur des transports avait un régime particulier et qu'en
conséquence la directive sur l'aménagement du temps de travail ne
pouvait pas s'appliquer à ce secteur d'activité qui connaissait
des dispositions particulières.
Un deuxième élément est interne : nous avons, en tant que
secteur d'activité des transports, pour le transport routier de
marchandises dans une de nos catégories d'activité, un dispositif
spécifique en matière d'allégement de charges lié
aux bas salaires, dispositif venant d'être modifié, tout en
étant pérennisé par la loi de finances.
Cette spécificité transport avait été reconnue
l'année dernière, et doit passer aujourd'hui devant le conseil
d'Etat le projet de décret qui pérennise pour nos secteurs, tout
en reconnaissant leurs particularités avec une norme spécifique
que sont les 230 heures de temps de service. Il nous paraît essentiel de
pouvoir conserver à nos secteurs toute leur spécificité,
et notamment au service de l'emploi.
M. Denis LESAGE - La Fédération du transport voyageurs
représente 2.300 entreprises, 52.000 salariés, dont 45.000
conducteurs et 15.000 conducteurs à temps partiel.
Les activités sont du transport public à 70 ou 80 %,
à savoir les lignes régulières, départementales et
régionales, le transport scolaire et le tourisme en activité
complémentaire.
Sur les 35 heures, je serai bref, les gains de productivité en
matière de transport de voyageurs sont très faibles, puisque
50 % du prix de revient sont constitués de main d'oeuvre, et tout
surcoût lié à une réduction du temps de travail
serait par ailleurs supporté par les collectivités locales
puisqu'elles sont autorités organisatrices des transports.
La réduction du temps de travail aurait deux incidentes : une
concurrence probablement faussée, franco française, en raison des
problèmes de seuil, notamment dans une profession très
atomisée, puisque près de 50 % des salariés sont dans
des P.M.E. de moins de 50 salariés.
Par ailleurs, elle risque de favoriser une concurrence sur le plan
international, puisque dans les départements frontaliers nous serons,
faute d'une harmonisation sociale européenne, confrontés à
une concurrence de nos partenaires étrangers, notamment en
matière de tourisme qui est déjà libéré
depuis 1997 et, en 1999, le cabotage et la libéralisation du transport
de ville à ville serait effectif et nous pourrions avoir une concurrence
faussée.
Concernant la partie de la loi sur les temps partiels, celle-ci prévoit
que les temps partiels ne pourraient désormais travailler que sur deux
vacations séparées par une coupure maximale de deux heures. Or,
bien évidemment, en matière de transport public, nous
travaillons avant et après les autres, puisque nous emmenons à
leur travail les salariés et les scolaires, et nous les ramenons le
soir. Nous travaillons en heures de pointe matin et soir et peu dans la
journée, encore que, dans un certain nombre de sites ruraux, nous ayons
des services de cantine scolaire ou des services parfois courts en zone
périurbaine qui engendrent une troisième vacation.
Il apparaît en première lecture que cette loi serait difficilement
applicable pour notre profession puisqu'entre 8 et 9 heures et 16 et 17 heures,
la coupure est de 8 ou 10 heures entre deux vacations. Nous pouvons
considérer que cette loi serait parfaitement inapplicable dans notre
profession, compte tenu que les horaires sont publics et contraints et ne sont
pas stockables.
Sur les solutions que nous pourrions trouver si, malgré tout, cette
disposition était maintenue, deux sont possibles :
rémunérer les temps d'inactivité qui
représenteraient des surcoûts de l'ordre de 25 à 30 % et
qui seraient forcément répercutés sur les
collectivités locales.
Par ailleurs, nous aurions la solution de parcelliser le temps de travail des
temps partiels en embauchant deux conducteurs, un le matin et un le soir, mais
là nous assisterions à une détérioration de la
situation sociale de nos salariés qui, pour ceux qui sont
déjà en temps subi et non choisi, ont des
rémunérations de temps partiel divisées par deux, et dont
le niveau atteindrait des niveaux inférieurs aux aides sociales.
Par ailleurs, les difficultés techniques apparaîtraient au niveau
de l'embauche de conducteurs dans un certain nombre de zones rurales.
Je précise que le transport public interurbain dépend de la loi
commune dont nous parlons, alors que la SNCF, la RATP et le transport urbain
dépendent de la loi de 1940 et sont exclus du champ d'application de
cette loi commune. Nous pourrions, en effet, penser qu'au même titre que
les trois catégories des services dont nous venons de parler, il serait
possible, pour les motifs que je viens d'exposer, d'exclure le transport public
interurbain, comme le transport urbain du champ d'application de cette loi
mais, en tout état de cause, notre problème le plus important est
celui de l'utilisation des temps partiels en deux vacations avec une coupure
minimum, mais la parcellisation à laquelle nous arriverions
entraînerait un développement certain du travail clandestin.
M. Alain GOURNAC, président - Merci de cette présentation
très complète.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
-
Monsieur le Président, je remercie
monsieur Choutet et monsieur Lesage pour les précisions qu'ils ont
bien voulu nous apporter.
A partir du 1er juillet 1998, sera libéralisé au plan
européen le cabotage. Voulez-vous nous préciser ce que cela
implique et représente, et l'évaluation des conséquences
que vous en faites ?
La loi de Robien a été mise en oeuvre depuis plus d'un an. Dans
le compte rendu qui est fait des accords signés jusqu'à ce jour,
le transport représente une faible proportion. Il y a eu quelques
applications. Comment ont-elles été gérées ?
Est-ce défensif ou offensif pour créer de l'emploi ?
Imaginez-vous que l'on puisse prévoir des négociations au plan de
votre Union des Fédérations de Transport et, dans cette
hypothèse, est-il imaginable que les partenaires, les salariés
acceptent des accords de gel, voire de réduction des
rémunérations en contrepartie de la baisse du temps de
travail ?
De votre point de vue, ce dispositif est de nature à créer des
emplois dans le secteur que vous représentez et, plus globalement,
compte tenu de la réglementation professionnelle qui s'appliquera,
imaginez-vous des créations de postes dans votre secteur, la
réduction du temps de travail est-elle de nature à créer
de l'emploi, et vos craintes au plan européen sont telles que vous
pensez à d'éventuelles délocalisations d'entreprises pour
tirer profit de salaires moins élevés dans des pays voisins de la
France.
M. Philippe CHOUTET - Sur le premier point, la conséquence principale de
la libéralisation du cabotage et ses conséquences à
compter du 1er juillet 1998, c'est donner la possibilité à
une entreprise de transport d'un Etat de l'Union européenne autre que la
France de venir exercer sur le territoire français une activité
de transport dans les mêmes conditions que ce que peut faire l'entreprise
de transport en France, c'est-à-dire assurer un transport complet sur le
territoire français départ/arrivée, avec les normes qui
sont celles du pays d'origine de l'entreprise.
Une entreprise allemande assurera un transport sur le territoire
français entre deux points de France, une entreprise française
pourra assurer, aussi par hypothèse, la même prestation de
transport, mais l'entreprise française le fera dans un contexte de 35
heures hebdomadaires et l'entreprise allemande avec des normes tout à
fait différentes et supérieures, un certain nombre de pays de
l'Union européenne ne disposant pas de l'ensemble des règles que
nous avons. Certaines règles se retrouvent dans d'autres pays d'Europe
et chez nous, mais nous avons un cumul de règles que l'on ne retrouve
pas dans l'ensemble des autres pays.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Il ne peut pas y avoir les deux
extrémités du parcours sur le territoire national.
Les Européens peuvent venir en France quand ils acheminent un produit
hors de France, et peuvent prendre des produits en France quand il s'agit de
les transporter hors du territoire. Demain, si la législation espagnole
est plus favorable que la législation française, un transporteur
espagnol peut-il organiser des points de prise en charge et de livraison en
France pour concurrencer des entreprises françaises ?
M. Philippe CHOUTET - Oui, ce seront des situations réelles.
M. Jean de CHAUVERON - C'est déjà le cas. Le cabotage existe,
mais il est contingenté. Les deux cas importants qui peuvent se
révéler sont ceux tournant autour d'opérations de type
chantier. Pour un chantier d'autoroute, on peut faire venir des camions de
Belgique, de Hollande ou d'ailleurs, avec des conditions de travail qui
sont celles de ces pays.
Deuxième exemple : une entreprise exerçant une activité de
commissionnaire de transport pourra, sur certaines opérations, choisir
de préférence un transporteur d'un autre pays que la France,
parce que les conditions de travail sont différentes. Cela ne peut que
se développer.
M. Denis LESAGE - Je dirai deux mots de la concurrence aux frontières.
Les entreprises de transport de voyageurs qui se situent le long des
frontières belges et allemandes sont soumises à une très
forte concurrence des transporteurs belges et allemands, et nous risquons de
voir s'agrandir un fossé, et notamment disparaître une grand part
du tourisme réceptif au profit des grandes capitales qui accueilleraient
les charters en provenance des Etats-Unis ou d'autres pays d'Asie. Il y a un
marché qui déjà nous échappe en partie, et le
" gap " s'agrandirait encore.
M. Philippe CHOUTET - Sur la question concernant la loi de Robien, nos secteurs
d'activité n'ont pas été très utilisateurs du
dispositif proposé par M. de Robien, essentiellement pour une
raison qui est liée aux durées d'activité
constatées dans nos secteurs, puisque nous sommes sur des temps de
service aujourd'hui largement supérieurs à la durée
légale prévue par le code du travail.
En tout état de cause, on est dans un secteur d'activité
où, dans la période la plus récente, on n'a pas fait le
constat d'un nombre très important de licenciements pour motif
économique. On serait plutôt sur la partie aspect offensif, mais
je crois que l'élément majeur est une très faible
utilisation car le dispositif est non adapté à nos
spécificités. Nous avions engagé un certain nombre de
démarches pour essayer d'avoir des dispositions particulières
pour amener nos entreprises à s'inscrire dans le dispositif de la loi de
Robien, mais ce dossier n'a pas abouti. C'est la raison principale des
éléments que vous avez dans les statistiques officielles.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Quelle est la part des coûts de frais de
personnel dans le coût du transport ?
M. Jean de CHAUVERON - Elle varie beaucoup selon le type de véhicules et
d'activités en zone urbaine ou en grand routier. En grand routier, on se
situe entre 30 et 35 %. Dans la zone urbaine, on peut atteindre
45/50 %.
M. Régis de FOUCAULD - Dans les cas particuliers d'activités de
service aux particuliers, aux familles qui déménagent, la part
transport est relativement minoritaire. A contrario, on estime d'une
manière très mathématique que le coût salaire et
charges sur salaire se situe entre 55 et 60 %.
Il s'agit de services à des particuliers dans lesquels le coût de
la main-d'oeuvre a une part importante. Les déménageurs sont
transporteurs et les tendances sont inversées par rapport à une
entreprise qui fait du transport public de marchandises à longue
distance presque exclusivement.
M. Denis LESAGE - Concernant le transport de voyageurs, la loi de Robien
n'a pas eu d'application, car les rares entreprises qui l'ont demandée
n'ont pas eu l'autorisation de l'appliquer par extension d'une disposition
prévue pour les transports urbains, alors qu'elle a été
étendue aux transports interurbains.
Pour répondre à la seconde question concernant les frais de
personnel, les frais de conduite représentent 35 % environ du prix
de revient, et l'ensemble des frais de personnel entre 45 et 50 % suivant
les entreprises.
M. Philippe CHOUTET - Sur la possibilité de négociation, la
réponse est oui. La possibilité d'aboutir est déjà
plus délicate. On a eu l'occasion à l'automne, ou même
peut-être courant de l'été 1997, dans le cadre de
négociations avec nos partenaires sociaux au cours desquels on a
parlé des problèmes de durée du travail ou de service, de
leur poser la question, car ils nous parlent assez souvent de réduction
du temps, surtout quand on est sur certains chiffres. On a pris des engagements
que l'on a respectés et l'on a constaté que l'accord de 1994
avait bien fait entrer dans les esprits l'idée de réduction de
nos temps de service.
Quant à la perspective d'une réduction des salaires en face,
aujourd'hui, je ne l'envisage pas. Ce n'est pas pour dire non mais, compte tenu
des plus récents accords que l'on a passés -novembre 1997 avec
une perspective de revalorisation de nos barèmes de
rémunération, modification de nos classifications-, je ne vois
pas comment nous pourrions nous orienter demain vers une négociation de
la réduction du temps, accompagnée d'une réduction des
salaires.
Nous aurions -mais nous ne serions pas les seuls- certainement nos partenaires
" sur le dos " et nous prendrions des risques majeurs sur
un plan
plus large peut-être que ce nous avons connu en 1997 et 1996, car c'est
un sujet très sensible dans le cadre de nos négociations.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Cette question peut paraître insolite
à nos interlocuteurs, mais je la pose, car les économistes que
nous avons consultés nous disent que la réduction du temps de
travail peut créer de l'emploi à condition que les salaires
soient gelés ou réduits.
Y a-t-il des possibilités de créer des emplois dans le
secteur ?
M. Philippe CHOUTET - Nous sommes dans un secteur où, jusqu'à
maintenant, nous n'avons pas de difficulté d'emploi. Si vous regardez
statistiquement, la situation de l'emploi est relativement saine, même si
nous avons une certaine pratique du CDD, ou dans certains secteurs
d'activité, une part importante de temps partiel liée à
la réalité de l'activité. Le temps partiel n'est pas pour
nous un travail précaire, mais un type d'activité qui correspond
à certains métiers, comme M. Lesage le rappelait.
Je pense que dans notre secteur, comme dans d'autres, la réduction d'un
certain nombre d'heures chaque semaine de la durée du travail,
indépendamment de la difficulté que l'on a soulevée par
rapport à la réalité de nos organisations aujourd'hui,
doit s'accompagner de possibilités de réorganisation.
Autrement dit, s'il n'y a pas une démarche préalable de
réorganisation d'entreprises ou d'exploitations, la réduction du
temps en tant que telle ne permet pas de s'inscrire dans une logique de
création d'emplois.
La réorganisation ou l'aménagement du temps, dans le dispositif
légal d'aujourd'hui, ne peut s'exercer que dans un certain contexte de
négociations, d'accords de branches, d'entreprises ou
d'établissements.
Or, compte tenu de la structure de nos entreprises, 5 % de nos
établissements ont plus de 50 salariés. Les 450.000
salariés sont répartis sur environ 33.000 établissements,
et ont très peu de délégués du personnel, entre
11 et 50, faisant fonction de délégués syndicaux.
Nous avons déjà fait part à nos partenaires sociaux de
notre souhait de pouvoir passer un accord de branche en application de l'accord
interprofessionnel du 31 octobre 1995, qui s'est traduit dans la loi de
novembre 1996 sur l'évolution de la politique contractuelle ou le
nouveau dispositif visé dans le projet de loi. Nos partenaires sociaux
ont tous quitté la séance quand on leur a parlé la
première fois, à l'exclusion de la CFDT et de la CGC. Les autres
organisations nous ont dit qu'étant donné que nous avions
prévu une négociation sur ce point, ils partaient. C'était
en décembre. Nous avons été amenés à nous
revoir et le climat fut différent.
Certes, on est loin de la question directe mais tout s'enchaîne.
Création d'emplois oui, dès lors que l'on peut s'inscrire dans un
dispositif de réorganisation, et à condition qu'on puisse le
négocier.
M. Louis SOUVET - Les 35 heures sont-elles pour vous un argument social, de
productivité, de création d'emplois ou, au contraire, un boulet
qui mettra en difficulté les entreprises que vous
représentez ? J'ai cru comprendre que c'était plus sur la
deuxième hypothèse que sur la première que vous pouviez
répondre favorablement.
Les gains de productivité sont évidemment difficiles dans vos
entreprises. Les entreprises industrielles qui sont dans un contexte de
concurrence mondiale peuvent tenir leurs prix et avoir constamment des gains de
productivité sur les machines, avec des gens travaillant tout le temps
sur des gains de productivité. C'est évidemment plus difficile et
circonscrit en ce qui vous concerne, sauf sur les temps de chargement et de
déchargement qui dépendent du lieu où l'on est accueilli.
Ou l'on fait attention à vous tout de suite et l'on décharge
immédiatement ou, au contraire, le temps d'attente est très long.
Vous aurez donc encore plus de mal à supporter une baisse du temps de
travail que les entreprises industrielles.
Cependant, votre branche d'activité a été citée
nommément, à savoir que la loi s'appliquera dans les entreprises
industrielles de transport. Vous avez été cités
intentionnellement.
N'avez-vous pas l'impression que l'on veuille favoriser certains autres modes
de transport, comme le fer, à votre détriment ?
M. André JOURDAIN - Je crois qu'il n'a pas été
répondu à une question du rapporteur qui avait demandé si
vous ne craigniez pas des délocalisations d'entreprises de transport.
Au sujet du travail à temps partiel, je sais, monsieur le
président, que nous ne discutons pas de la loi, mais comme le sujet a
été évoqué, il est prévu dans l'article 7 la
possibilité que des accords de branche permettent d'évacuer les
difficultés que vous souligniez. Quelle est votre réaction
à cette possibilité ?
M. Alain GOURNAC, président - Dans votre propos liminaire, le travail
" illégal " touche-t-il votre profession ?
M. Jean de CHAUVERON - Je ne pense pas du tout qu'il y ait une volonté,
derrière l'abaissement de la durée du travail, de
rééquilibrer les modes de transport. Cette volonté existe
autre part et ailleurs, y compris dans la commission de Bruxelles, et je ne
pense pas que l'on soit directement visé.
Quelle que soit l'application de la loi, la répartition entre les modes
tient à des facteurs tellement divers et complexes que l'incidence ne
sera pas du tout évidente. Si l'on voulait volontairement favoriser tel
ou tel autre mode de transport on n'y arriverait pas facilement.
Concernant la délocalisation, qui est un problème sérieux
qu'il ne faut pas aggraver ni minimiser, on ne mesure pas ce facteur. Des
entreprises ont délocalisé pour des raisons d'abaissement des
coûts. Quand vous avez une activité dans deux pays, vous
choisissez le pays d'implantation le plus favorable, mais ce n'est pas vraiment
une délocalisation.
Il faut savoir que l'addition d'un certain nombre de facteurs favorables ne va
pas conduire à des décisions d'implantation, peut-être pas
forcément pour les activités physiques, mais pour les
activités sédentaires des entreprises et les activités
informatiques. Nous assisterons à des transferts dans certains modes de
transport comme le transport aérien ou le système de
réservations dans d'autres pays. Nous n'en sommes pas là.
On se transforme profondément dans le transport routier et, un jour ou
l'autre, ces activités seraient plus facilement
transférées que des activités purement physiques, comme la
réparation d'un véhicule.
M. Régis de FOUCAULD - On appelle maintenant le travail clandestin le
travail dissimulé. La Chambre syndicale du déménagement a
signé en mars 1995 un accord de partenariat avec le ministère du
travail et des transports car, s'agissant d'opérations de
déménagement au bénéfice des particuliers et des
familles -ce n'est pas le cas dans les déménagements
d'entreprises-, beaucoup de Français ont tendance à
déménager leur mobilier avec des entreprises qui n'en ont que le
nom ou qui n'en sont pas. Le travail " au noir " risque de
se
développer du fait que la fourniture du travail par l'employeur à
ces salariés risque d'être limitée à 35 heures.
Un autre phénomène et une réponse indirecte sur une
incidence ou une conséquence : le problème de la
délocalisation, dans l'activité de déménagement
-déménagement d'entreprises, de particuliers, de bureaux,
d'unités de production ; nous voyons mal les possibilités de
délocalisation, sauf les quelques remarques qui ont été
faites.
Il s'agit de services de proximité avec une présence physique
d'entreprises. Je n'ose pas dire que dans chaque chef-lieu de canton en France
il y a un déménageur, mais c'est un peu l'idée, et nous
avons une activité cyclique saisonnière très forte.
Je réponds indirectement à une autre question. Au mois de
janvier, les Français ne déménagent pas, mais plutôt
pendant l'été pour des phénomènes scolaires et de
mutations professionnelles. En janvier, les salariés des entreprises ont
travaillé 120 ou 130 heures. Malgré tout, le bulletin de paie
sera au minimum basé sur 169 heures normales. A partir du moment
où dans des récents accords signés le 7 novembre dernier,
à la suite du conflit, la partie patronale, et l'UFT en particulier, a
accordé une des revendications fortes des organisations syndicales
ouvrières qui était la fixation d'un taux horaire -cela a
été fait, contrairement à ce que l'on pouvait imaginer, on
a une véritable révolution -même les syndicats ouvriers
estiment que c'est un acquis extraordinaire-, le jour où au mois de
janvier 2003 ou 2004 quelqu'un aura travaillé 120 heures, on ne le
paiera plus comme aujourd'hui 169 heures, mais 151 heures 2/3, ce qui est
dramatique pour le revenu du salarié.
Je ne dis pas que cela se passera ainsi, mais le taux horaire risque de
générer un calcul rigoureux et il faudra être de plus en
plus transparent, cette transparence risquant d'être un paiement à
l'heure en fonction des heures réellement effectuées.
M. Denis LESAGE - Concernant le problème des délocalisations,
nous n'avons pas aujourd'hui de moyens de répondre clairement à
une telle question. Cela resterait en tout état de cause marginal en
transport de voyageurs.
Concernant la question posée sur les temps partiels et la
possibilité de déroger à cette disposition de deux
vacations avec la coupure maximale de deux heures par accord de branche,
on peut passer un accord de branche, mais le problème réside dans
les contreparties qui pourraient être relativement très
importantes. Il faut, comme je l'ai dit, savoir que ces contreparties seraient
soit en temps, soit en francs, et pas tellement en organisation du travail. Le
temps de travail lui-même est faible, matin et soir, et en plus
intermittent tout au long de l'année. Les contreparties seraient
répercutées automatiquement aux collectivités locales, et
il faudrait presque une réunion tripartite car, dans un accord de
branche, les aspects ne seraient que sociaux et guère
économiques, et les contreparties pèseraient. Sur le principe,
tout est toujours possible.
Concernant le travail dissimulé, il est évident que la
parcellisation du temps de travail et, concernant le transport de voyageurs, la
dispersion géographique, voire l'atomisation au niveau des coins les
plus reculés de nos provinces, facilitent le travail dissimulé
qui est en augmentation dans le transport interurbain de voyageurs et
difficilement contrôlable à cause de cette dispersion
géographique par les autorités de tutelle chargées de le
faire.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Sur la base de ce que vous disent vos
correspondants, avez-vous une estimation ?
M. Denis LESAGE - Non, je ne me permettrais pas une estimation, mais nous
avons, dans un certain nombre de départements, par le biais des
inspecteurs du travail, notamment par une mission dont vous avez eu
connaissance, la mission Morelon, qui a travaillé sur ces questions sous
la Direction de l'inspection du travail des transports et qui a
repéré indiscutablement une aggravation, certes encore
modeste, heureusement -mais ceci nous inquiète pour l'avenir- du travail
dissimulé en raison de cette dispersion.
Je ne veux pas dire qu'il y a une augmentation exponentielle mais, petit
à petit, s'installent ici ou là des poches de travail
dissimulé qui ne sont pas sans inquiéter la profession.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie tout
particulièrement pour la franchise de vos réponses et pour le
propos que vous avez bien voulu nous donner au début de cette audition
sur la position de nos transporteurs, puisque vous représentez
l'ensemble des transporteurs. Il y a des spécificités aussi
à l'intérieur de vous-mêmes, et l'on ne peut pas donner de
réponse globale pour la profession quand je vois le transport que vous
avez annoncé ou les déménagements avec les mois de janvier
et février où l'on ne déménage pas, et le transport
en général. Vous avez enrichi la commission d'enquête et je
vous en remercie.
C. AUDITION DE M. RENÉ CHABOD, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DES RESSOURCES HUMAINES DE L'AÉROSPATIALE
M. Alain GOURNAC, président - Mes chers
collègues, nous allons auditionner M. René Chabod,
délégué général des ressources humaines de
l'Aérospatiale, grande entreprise, qui s'exprimera devant la commission
d'enquête.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
René Chabod.
M. Alain GOURNAC, président - Nous vous proposons de vous exprimer une
dizaine de minutes. Je passerai la parole à notre rapporteur auquel vous
répondrez immédiatement et, pour terminer, nous passerons la
parole à nos collègues auxquels vous répondrez globalement
aux questions posées.
M. René CHABOD - J'ai rédigé et remis une fiche dans
laquelle, Mesdames et Messieurs, je rappelle ce qu'est Aérospatiale.
C'est un groupe de 37.000 personnes dont la spécialité est la
fabrication et la maintenance de produits de haute technologie. Son chiffre
d'affaires 1997 sera de 50 milliards de francs et ses prises de commandes
de 80 milliards de francs, à comparer si on le peut, à la
SNCF avec 160.000 personnes, qui réalise un chiffre d'affaires un peu
inférieur au nôtre. Le ratio de chiffre d'affaires/effectif montre
que la valeur ajoutée est très élevée.
Les effectifs du groupe ont légèrement diminué dans les
années antérieures par suite de deux phénomènes :
le phénomène de crise du transport aérien entre 1991 et
1995 et la réduction des budgets militaires depuis de nombreuses
années à la suite de la chute du mur de Berlin.
Notre population bénéficie d'un régime salarial un peu
au-dessus de la moyenne, puisque la rémunération mensuelle d'un
cadre est de 20.830 F, celle d'un technicien de 14.900 F, alors que celle d'un
ouvrier s'élève à 13.500 F.
Voilà le paysage effectif et chiffre d'affaires.
Pour bien apprécier les conséquences de la réduction du
temps hebdomadaire de travail, comme vous le souhaitez, il faut savoir quelle
expérience nous avons déjà, d'où l'on vient en
matière de réduction du temps de travail, et savoir si l'effort
qui nous est demandé est franchissable, possible, etc.
Il faut se resituer en amont et se rappeler que, depuis 1970, date de
création d'Aérospatiale -cela ne fait que 27 ans-, nous
étions à 43 ou 45 heures, que nous sommes passés
à 40 heures en 1982, à 39 heures entre 1983 et 1986, et
qu'actuellement le régime est un régime dit d'horaire
affiché de 37 heures par rapport à un régime légal
de 39 heures.
Si un dispositif législatif nous amène à passer à
35 heures, il est évident que, pour nous, l'effort est
déjà moins important que pour les entreprises qui sont à
39 heures.
Pourquoi somme-nous à 37 heures ? L'industrie aéronautique
et d'armement a vécu dans les années antérieures des
crises et des difficultés qui ont conduit à des solutions, soit
de réduction d'effectif, soit de réduction d'horaire. Ces
37 heures, même si cela vous paraît déjà une
entorse par rapport au régime légal, ont subi encore d'autres
réductions car c'est la solution que nous avons retenue dans une
entreprise de haute technologie dans laquelle nous souhaitons garder nos
personnels.
Nous évoquions en aparté les différences de solutions qui
existent entre ce que peut faire Aérospatiale et Boeing. On en trouve
une dans la gestion des crises. Du côté de Boeing, quand il y a
des difficultés d'emploi, on licencie par " charrettes "
entières : 5.000 ou 10.000 personnes.
Quand la reprise arrive, il faut remonter en cadence, et Boeing n'y arrive pas
actuellement et, pire, il livre des produits dont la qualité -tout le
monde le reconnaît, les commissions d'enquête, et notamment des
organismes américains de sécurité, est douteuse car des
avions ont été livrés avec des malfaçons et des
rivets manquants. Un accident récent l'a montré.
Aérospatiale garde son personnel mais, en contrepartie, réduit
les horaires. Nous avons beaucoup d'exceptions aux 37 heures. Du
côté des hélicoptères de Marignane, ils font 36
heures. Nous avons négocié avec les partenaires sociaux un
passage à 36 heures compensé seulement à 40 %. Le
personnel a accepté, pour sauver des emplois, de travailler une heure de
moins et de voir cette heure compensée seulement à 40 % par
l'entreprise, ce qui est, pour les bas salaires, non négligeable.
Du côté de la division missiles touchée par la
réduction des crédits militaires, nous sommes déjà
à 35 heures.
Pour les établissements de Chatillon et Bourges, population qui
représente près de 4.000 personnes, nous sommes à un
horaire de 35 heures. Ce n'est pas 35 heures hebdomadaires. Nous
travaillons en annuel. Une heure = 6 jours. Quand on fait 36 heures
à Marignane, nous octroyons 6 jours de congé de plus. Quand nous
faisons 35 heures à Chatillon et à Bourges, nous octroyons
12 jours de congé de plus, l'entreprise décidant des jours
de fermeture, et non pas l'intéressé qui s'absenterait comme il
le voudrait, en fonction des commandes et des possibilités qu'elle a,
notamment parce que ses fermetures collectives conduisent à des gains de
fonctionnement.
Je pense que, du côté des établissements touchés par
la réduction des crédits militaires -vous le savez au
Sénat puisque vous avez vécu ces problèmes lors de la loi
de finances 1998-, nous serons amenés pour les établissements des
Mureaux et de l'Aquitaine, à prendre des solutions semblables. Nous
sommes en négociation avec les partenaires sociaux et les
autorités administratives pour passer à 35 heures dans un
dispositif de réduction des salaires.
Par ailleurs dans les établissements qui pratiquent l'horaire en
équipe, à savoir les 3 x 8 ou les 2 x 9, compte tenu des
incitations qu'il faut donner à ces personnels pour travailler à
un rythme de vie qui n'est pas un rythme de vie normal, nous sommes
déjà à 35 heures, voire au-dessous. Quand les usines
tournent comme c'est le cas actuellement 24 heures sur 24, 365 jours par
an, avec les personnels qui contribuent à ce fonctionnement permettant
l'utilisation maximum de l'outil de production, nous avons déjà
un régime à 35 heures avec des mécanismes de
compensation.
M. Denis BADRE - C'est compensé.
M. René CHABOD - Ils ont leur salaire mensuel et, au lieu d'être
payé 14.000 F pour 37 heures, ils sont payés 14.000 F pour
35 heures. Ils sont en horaire d'équipes.
Il y a également le VSD, à savoir que nous faisons appel à
des équipes de renfort les vendredi, samedi et dimanche qui sont
payées pas tout à fait 37 heures.
Nous avons une entreprise avec un horaire dit de 37 heures qui devrait
être l'horaire de référence, car une grande partie du
personnel pratique cet horaire : le Siège, les centres de
recherche, etc., mais nous avons des exceptions motivées, non pas par le
désir de faire plaisir au personnel, mais en raison des contraintes que
nous avons rencontrées, soit parce que la conjoncture du transport
aérien conduisait à une réduction des commandes d'avions,
soit parce que les commandes militaires n'arrivaient plus, et que nous avons
voulu pratiquer des solutions sociales préparant la reprise.
Actuellement, nous aurons à faire face -peut-être pas dans les
secteurs qui se consacrent au militaire mais ceux qui se consacrent au civil-
à la gestion de ces problèmes. Demain, mesdames et messieurs les
députés et sénateurs, nous allons voter une loi qui nous
amène à 35 heures hebdomadaires. Que fait-on ? Attend-on,
commence-t-on à négocier, et que va-t-on négocier ?
M. Denis BADRE - Avec les 35 heures, créerez-vous des emplois ?
M. René CHABOD - Dans les secteurs que je vous ai indiqués, on
n'a pas créé d'emplois. Nous créerons des emplois
là où le besoin s'en fera sentir. Nous sommes confrontés
à des problèmes de rentabilité et de productivité.
Nos 80 milliards de francs de prises de commandes sont pour 78 %
à l'exportation. Je ne sais pas si beaucoup sont dans un secteur
concurrentiel d'un tel niveau. Avec un taux de 78 % d'exportation, il faut
continuer à être productif et rentable, d'autant plus que
l'organisation de la production des avions Airbus nous amène à
comparer nos prix avec ceux de nos partenaires.
On ne livre pas des avions à Airbus ; les partenaires livrent des
morceaux d'avions et des tronçons à Airbus et celui-ci en fait
l'assemblage. Il ne faudrait pas que nous augmentions nos prix. Il conviendra
de s'organiser pour continuer à être compétitifs, car on
sait qu'il existe une guerre des prix avec Boeing sur d'autres produits. Cela
peut être Hughes sur les satellites ou Raytheon dans
l'électronique.
Il y a un mouvement inexorable de baisse des prix ; de même que vous
savez qu'en France le prix des voitures baisse, le prix des avions
baisse : 30 % depuis quatre ou cinq ans en francs ou en dollars
constants. Il faudra continuer à être compétitif par
rapport à nos trois autres partenaires qui sont DASA, CASA (l'espagnol)
et British Aérospace.
Si demain il faut diminuer la durée du travail, il faudra faire un
effort supplémentaire de gains de productivité quand on pourra le
faire.
Techniquement, avant de voir le coût financier, peut-on passer à
35 heures ? Il y a des secteurs où cela ne pose pas de
problème. Pour la production, il y a les machines, le travail est
simple. Que les gens travaillent huit ou cinq heures sur une machine, il suffit
que la machine soit là, le travail est sécable et fongible.
C'est un peu différent pour les bureaux d'études où les
compétences sont telles qu'elles ne sont pas fongibles ni
sécables. Si je prends l'exemple d'Ariane V, vous avez
500 personnes, mais peut-être 175 métiers et
775 compétences.
C'est donc à des problèmes d'organisation que l'on se consacre
actuellement pour savoir comment on va faire une réduction du temps de
travail, tout en maintenant des compétences ou en introduisant de la
polyvalence, sachant que l'on ne recrutera pas des dixièmes de
compétences. On les cherchera chez des ingénieurs en leur
demandant d'en faire plus dans des domaines qu'ils ne pratiquaient pas
jusqu'à présent. En matière de production, on peut
réduire le temps de travail du jour au lendemain. On met plus de monde.
C'est alors un problème de coût car, combien va-t-on payer ceux
que l'on embauche ? Dans les bureaux d'études, c'est avant tout un
problème d'adaptation. Il faudra, dans les deux ans que nous avons
devant nous, s'organiser pour faire en sorte que nous ne perdions pas nos
compétences, que nous en rajoutions par la polyvalence, en donnant
à des ingénieurs d'autres spécialités afin de ne
pas désorganiser.
Nous avons commencé à regarder en interne comment, tant dans le
secteur études que dans le secteur production, nous pouvions organiser
le travail pour faire mieux, à la rigueur aussi bien, avec moins de
temps.
Sur quoi peut-on gagner ? Les temps de réunions, les
déplacements, la documentation, l'informatique... Pour cette population
cadre, nous avions de toute façon, quelle que soit la loi, la
nécessité de revoir les horaires des cadres car, comme vous le
savez, dans toutes les entreprises nous sommes un peu à la marge en
matière d'horaires des cadres.
Il convient de mettre un peu de souplesse dans le travail des cadres. Nous
avons ce problème à régler, 35 heures ou pas.
Actuellement, six études devraient nous conduire dans les semaines et
mois qui viennent à essayer d'améliorer notre fonctionnement pour
au minimum garder notre productivité s'il faut réduire le temps
de travail, voire l'améliorer.
Demain, la loi est votée ; qu'allons nous faire ? Je pense que
nous allons négocier avec les partenaires sociaux. C'est toujours la
méthode que nous avons choisie à Aérospatiale. La
politique contractuelle est très active. Dans mes douze à
treize ans de patron des ressources humaines d'Aérospatiale, nous
n'avons pas signé d'accord salarial seulement à deux reprises.
Cela arrive.
Sur le temps de travail, c'est la même chose. On part avec l'idée
que la loi va arriver, on va l'étudier, car je pense que les amendements
divers vont l'aménager d'une façon telle que l'on aura,
derrière, à en prendre connaissance et à négocier
avec les partenaires sociaux.
Nous étions enclins, comme d'habitude, à engager une politique
salariale en 1998. Nous n'allons pas renoncer à celle-ci, mais nous la
couplerons, peut-être pas formellement en parallèle mais, quand
nous négocierons le salaire, nous penserons temps de travail et quand
nous penserons temps de travail, nous penserons salaire.
Passer de 37 h à 35 heures représente + 5,4 %.
L'année dernière, la masse salariale d'Aérospatiale a
crû de 3,2 %. J'envisage certaines compensations mais pas totales.
On l'a peut-être fait dans le passé pour certains cas, mais je
pars avec l'idée -les négociations le diront- de ne pas compenser
totalement. On a quelques références. Je vous ai dit que nous
avions l'hélicoptère à 40 %, certains à
50 %. 50 % est-elle la bonne règle ? Je ne sais pas.
Va-t-on commencer à dire que, s'il faut arriver à 35 heures au
1
er
janvier de l'an 2000, on ne bougera pas et que l'on attendra
tranquillement l'an 2000, ou ne serait-il pas plus simple, si la loi m'y incite
ou m'y oblige à diminuer d'une demi-heure au 1
er
juillet
1998, ou une demi-heure au 1er janvier, et de profiter de ces petits coups de
pouce pour pratiquer une politique salariale possible ?
Je devrais être capable de faire un peu de réduction du temps de
travail, un peu de salaire pour maintenir une certaine dynamique, et maintenir
les deux en même temps, sachant que nous souhaiterions que le projet de
loi laisse de la souplesse à un système que l'on pratique
déjà : la flexibilité et l'annualisation. Par jour de
congé entier on est à l'annualisation. On n'envisage pas que ce
soit douze minutes de moins par jour.
Nous souhaitons maintenir un cadre annuel, que les heures
supplémentaires soient encore possibles avec un quota suffisant -150
h/180 heures me paraîtraient un bon taux-, et laisser un horaire un peu
supérieur aux cadres. Le forfait actuellement chez nous est de
39 heures 30. Faut-il le ramener à 38 heures ? Nous
désirerions un dispositif spécifique pour les cadres.
Par ailleurs, du point de vue fiscal, le compte épargne temps nous pose
problème car les provisions nécessaires à la constitution
d'un compte épargne temps ne sont, me semble-t-il, pas juridiquement
très fondées.
Je dis au financier de la maison que je vais approvisionner un compte
épargne temps qui va se traduire par une dette à
échéance de 30 ans parce que celui qui a un compte
épargne-temps va l'utiliser longtemps. Je donne un exemple que je cite
toujours aux syndicats : deux ans = 104 semaines. Si on voulait que
quelqu'un parte à la retraite à 58 ans au lieu de 60 ans, il
faudrait qu'il économise 4 semaines pendant 25 ans, ce qui est beaucoup.
Il pourrait partir deux ans plus tôt car il aurait 104 semaines. Cela
vous montre l'importance de l'investissement.
Nous souhaiterions qu'à l'occasion de cette loi, les parlementaires
puissent donner la facilité aux entreprises de provisionner le compte
épargne-temps, car on apporterait une solution à un
problème. Si la réduction du temps de travail se
concrétisait uniquement par un déplacement des jours sur la fin
de carrière, cela permettrait de régler un autre problème
qui est celui des départs anticipés, sachant que les
collectivités pourront supporter les coûts des départs
anticipées du FNE.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - M. René Chabod a été
particulièrement intéressant et est allé au devant d'un
certain nombre de nos interrogations.
Je rebondis sur l'épargne-temps. C'est un bon dispositif mais, dans ce
pays, le fisc a tendance à penser que lorsqu'un agent économique
constate une charge, un autre, simultanément, doit constater un revenu.
Il faudra qu'un jour le fisc s'aligne sur l'expression de la
réalité économique.
Pour l'immédiat, il serait prudent pour les entreprises qui pratiquent
l'épargne-temps de constituer des provisions pour faire face le moment
venu aux charges qui en résulteront, et j'espère que l'on pourra
trouver avec des marges budgétaires plus substantielles les bonnes
réponses pour permettre la déductibilité au moment
où l'entreprise constitue sa provision, et ne pas sanctionner le
bénéficiaire qui percevra un revenu plus tard qui, à ce
moment-là, s'exposera à l'impôt sur le revenu.
Techniquement, on doit pouvoir y arriver. Il reste encore des arbitrages
budgétaires difficiles.
Vous contribuez à la production d'Airbus, et vous êtes mieux
placé que quiconque pour vivre les contraintes et les exigences d'une
harmonisation européenne. Comment cela se passe-t-il avec les autres
partenaires -DASA, British Aérospace, CASA- quand vous comparez vos
droits du travail, la part que représentent les frais de personnel dans
votre valeur ajoutée respective ?
Sur ce point particulier, pouvez-vous nous apporter des précisions,
puisque vous devez avoir des éléments de comparaison ?
Par rapport à Boeing, que représentent les coûts de
main-d'oeuvre chez vous quand on fabrique un Airbus ?
En matière de délocalisation, il s'est dit à un moment que
certains contrats d'exportation comportaient des exigences de la part des
clients qui tendaient à requérir de votre part une sous-traitance
locale. Est-ce un processus qui se développe, et le passage à
35 heures, s'il s'apparentait à une mesure très
contraignante, serait-il un facteur de délocalisation plus fort ?
On dit que l'on fabrique des portes et des pièces d'Airbus à
l'étranger. Où en sommes-nous sur ce plan particulier ?
De votre point de vue, cet abaissement par la loi vous facilite-t-il la
tâche, vous qui avez une culture et une pratique régulière
de négociation ?
Enfin, globalement, si cet instrument est mis en oeuvre, est-il de nature
à créer des emplois et, à défaut d'en créer,
d'éviter d'en supprimer ?
M. René CHABOD - Merci, monsieur le ministre, sur ce que vous avez dit
sur l'épargne-temps. Je vois que le dossier progresse.
Par exemple, Eurocopter est une entreprise intégrée par
excellence. Autant Airbus est la juxtaposition de quatre entreprises, autant
Eurocopter a un état-major commun. Nous avons mis en place des contrats
de droit français pour tous les personnels qui sont en France, et les
personnels français qui vont en Allemagne ont des contrats de droit
allemand avec le choix entre la sécurité sociale française
et les régimes locaux.
Sur le temps de travail, plutôt que de raisonner en hebdomadaire, il faut
raisonner en annuel. On peut dire que les Allemands et nous avoisinons les
1.600 heures en annuel. Les Anglais seraient plutôt du
côté de Boeing qui est à 1.800 heures annuelles, mais
il faut faire intervenir le coût de main d'oeuvre, plus les
problèmes de change.
Avec les Allemands, nous avons à peu près les mêmes
coûts salariaux, car ils sont avec un même système de
couverture sociale comparable, encore que les régimes obligatoires sont
moins importants, mais on se rend compte que, dans les entreprises les
régimes facultatifs existent et font que, lorsqu'on compare, il n'y a
pas beaucoup de différence. Les impôts directs sont plus
élevés en Allemagne et, quand on part du salaire brut, auquel on
enlève les charges sociales et les impôts, le Français ne
se situe pas trop mal quant à ce qui lui reste. Les Anglais travaillent
beaucoup, ont des coûts salariaux et des charges sociales
inférieurs aux nôtres.
Quant à British Aérospace, les méchantes langues
d'Aérospatiale disent que la productivité chez les Anglais n'est
pas extraordinaire. Toutes les visites de techniciens qui ont pu être
engagées chez les Anglais montrent que la productivité serait
inférieure à la nôtre. On l'a vu avec les grèves
d'il y a quelques années où British Aérospace était
paralysé par les grèves qui ont compromis pendant quelques mois
les livraisons d'avions.
Boeing aurait plus d'heures que nous avec des coûts salariaux
inférieurs aux nôtres. Les gens s'interrogent sur la
productivité -j'ai fait allusion à leur mécanisme de
gestion du personnel- du fait qu'ils se privent de beaucoup de
compétences par des licenciements massifs. Les courbes d'apprentissage
sont aussi très longues.
Sur les délocalisations, je vais vous raconter une anecdote que je
connais depuis peu de temps et qui a trait aux portes d'Airbus qui sont
très compliquées. Il faut qu'elles soient étanches,
qu'elles ferment bien...
Dans les contacts que nous avions eus avec les amis chinois, ils avaient
demandé à fabriquer des portes d'Airbus. Nous leur en avons
donné deux par mois à fabriquer, à 1.000 dollars la porte,
par exemple. Il y a quelque temps, le président Michot est
retourné en Chine, et le patron de l'entreprise qui réalisait les
portes voulait reparler de ce sujet. "
Monsieur le Président,
nous souhaiterions ramener la production mensuelle des portes d'Airbus de deux
à une, car nous y arrivons tout juste, et nous souhaiterions
également que vous augmentiez les prix car nous ne nous en sortons
pas
".
On a quelques exemples qui montrent que la délocalisation n'est pas
forcément la bonne solution. Il est parfois nécessaire, quand on
vend du matériel, de concéder des fabrications en local, mais ce
n'est pas dans un but de dire "
c'est trop cher en France on va
faire
là-bas
", mais parce que si l'on ne concède pas de la
sous-traitance au Canada qui nous a acheté des Airbus à une
époque ou aux Philippines, on ne vendra pas. Les syndicats le savent, si
l'on veut vendre, il faut donner du travail, et tous les échos montrent
que n'est pas la qualité que l'on a en France.
Des sous-traitances ont été rapatriées et l'on arrive
maintenant à être moins chers qu'eux.
Pour conserver de la productivité, il faudra mieux s'organiser encore
et, pour cela, on fera appel à la créativité du personnel.
Il y a des progrès à faire dans les structures. On est trop lourd
et pas assez flexible. On va réagir.
Loi ou politique contractuelle ? Jusqu'à présent, on a
pratiqué la politique contractuelle et, quand il était
nécessaire, on a su passer à 35 heures.
Avec la loi, on va perdre la liberté. Si elle est trop contraignante,
les partenaires sociaux vont peut-être penser que ce n'est pas la peine
de négocier, qu'il faut attendre la loi, et la voiture balai les
ramassera. Le mécanisme présenté devra être
managé avec soin. On souhaitait à Aérospatiale
négocier étape par étape. La loi le
permettra-t-elle ? On ne le sait pas.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Allez-vous créer des emplois du fait de la
loi ?
M. René CHABOD - On créera des emplois parce qu'heureusement
l'activité Airbus est cyclique et, dans la phase actuelle, nous allons
embaucher.
M. Alain GOURNAC, président - Pensez-vous, en tant que
délégué général des ressources humaines, que
la loi va être créatrice d'emplois ?
M. René CHABOD - Peut-être en production ; je ne sais pas
faire autrement, sauf si l'on se réorganise. Il y aura peut-être
des créations d'emplois, peut-être pas proportionnelles, mais
elles viendront de l'augmentation de l'activité. Supposons que
l'année prochaine 1.000 recrutements soient à effectuer sur les
secteurs avions de la maison, je n'ai pas prévu jusqu'à
présent d'y rajouter quelque chose en termes de réduction du
temps de travail. On verra après.
M. André JOURDAIN - Pour les personnes qui travaillent en VSD, qui ont
un horaire actuel de 30 heures par semaine, si la loi sur les 35 heures
s'applique, leur horaire passera-t-il à 26 ou 28 heures ?
Une deuxième question émane d'un chef d'entreprise de
mécanique de précision. Il a une quarantaine d'employés,
son coût de main-d'oeuvre est de l'ordre de 60 % par rapport à ses
produits finis. Il me disait que, s'il appliquait les 35 heures avec
compensation salariale, il allait vers une augmentation du coût de ses
produits. Par exemple, un de ses clients, l'Aérospatiale,
acceptera-t-elle cette augmentation de prix ?
Si elle n'accepte pas, il sera obligé de s'automatiser beaucoup plus
qu'il ne l'est actuellement et ne créer aucun emploi.
L'Aérospatiale acceptera-t-elle des augmentations de prix de ses
fournisseurs ?
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Je ferai une remarque : j'espère,
monsieur le directeur, que la remarque que vous avez faite à l'instant
concernant les Chinois et leurs hésitations, pour ne pas dire leur refus
vis-à-vis de la construction aéronautique, s'appliquera de
longues années pour la construction navale, car ils vont devenir
très concurrentiels de la construction navale française, pour
Saint-Nazaire par exemple.
Cela fait plusieurs jours que fonctionne cette commission
d'enquête ; cela change un peu de tonalité. Votre audition
nous montre que des employeurs, des responsables d'entreprises abordent cette
loi devant réduire la durée légale du temps de travail
autrement que par des a priori et des refus, dans le cadre d'un examen
sérieux, et qu'une partie des employeurs envisage des
négociations salariales, ainsi que l'examen minutieux de cette loi, ce
qui est favorable en termes d'honnêteté et
d'intégrité.
Vous avez dit, concernant la création d'emplois
" Je serai
prudent
". On vous comprend. 10 % de réduction du temps de
travail -5 % pour vous- ne doivent pas être appliqués
mathématiquement aux créations d'emplois. Vous avez dit que l'on
créera de l'emploi sous certaines conditions, et l'une de celles-ci est
d'augmenter le volume d'activité et d'améliorer le taux de
compétitivité horaire.
A combien estimez-vous le taux de gain de productivité horaire possible
dans votre entreprise ? De ces gains de productivité
dépendront les créations d'emplois à venir. Ce sera
variable selon les entreprises mais, pour un groupe comme le vôtre, avec
plusieurs sites, avez-vous commencé à travailler sur des
simulations et estimations concernant les gains de productivité
horaires ?
Les sous-traitants craignent que l'Aérospatiale les contraigne davantage
en serrant les prix, en leur demandant d'améliorer les coûts, et
que ce soit eux qui portent les conséquences de cette réduction
du temps de travail.
M. René CHABOD - Les formes de travail qui sont déjà, soit
à 35 heures, soit à 32 heures, le resteront. Le
problème se posera en termes de compensations financières. Il
faudra même pour ceux-là faire un geste, sinon
l'équité serait compromise.
Le coût de la main d'oeuvre ? 60 % dans certaines parties de
l'entreprise. Il est vrai que nous ne sommes pas une entreprise de
main-d'oeuvre. Pour 50 milliards de francs de chiffre d'affaires, les
frais de personnel, c'est-à-dire les salaires eux-mêmes, les
charges et tout ce que l'on peut rajouter représentent 10 milliards
de francs. Vous voyez le coût du salaire dans une entreprise de haute
technologie... Le produit et les équipements sont assez chers.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Par rapport à Boeing ?
M. René CHABOD - C'est la même.
J'ai dit que l'on allait essayer, face à cette obligation de
réduire le temps de travail, d'améliorer notre
productivité. La première voie à creuser est la
suivante : ne peut-on pas diminuer le coût de nos
approvisionnements ? C'est ce que l'on a fait. On achète en plus
grand nombre, on diminue les coûts et on fait l'analyse de la valeur.
Je ne suis pas acheteur dans la maison, mais on aura tendance à dire, en
tant que donneur d'ordre, que l'on ne veut pas savoir si les produits
augmentent. La productivité passe par les approvisionnements.
Egoïstement, j'aurais tendance à renvoyer vers les plus
dépensiers que moi dans l'entreprise, les responsables achats par
exemple, avant " de taper " sur les salaires.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Sur ce point particulier, vous vous comportez
comme les centrales de distribution. Pour prendre des parts de marché,
vous expliquez à vos fournisseurs et vos sous-traitants qu'ils sont les
variables d'ajustements.
M. René CHABOD - On essaie de les mettre dans des accompagnements
technologiques et de partenariat car, si nos sous-traitants nous lâchent,
on ne vendra plus. On leur demande la qualité et la
sécurité dans les approvisionnements. Je pense qu'on les traite
mieux que des fournisseurs d'épicerie. On a besoin de nos fournisseurs.
Il y a des noms prestigieux. On sait que ce sont des grandes familles
aéronautiques que l'on ne traite pas " par-dessus la
jambe ",
mais on leur demande des efforts.
Tous les gains de productivité que nous avons réalisés ont
profité aux clients. Demain, si Renault ou Citroën veulent vendre
moins cher, il faudra que les gains de productivité aillent aux clients.
Il conviendra de partager entre les clients et les salariés. La
politique salariale n'est pas si mal et, quand ils se plaignent, je leur
demande d'aller consulter la convention collective départementale, que
l'on applique demain s'ils le veulent ! En dépit des
difficultés, la politique salariale est correcte. Le prix des avions a
baissé de 30 % en cinq ans. On a dû faire 6 % de gains
de productivité par an.
Il faudra faire un peu plus, d'où les études lancées sur
comment mieux étudier, les bureaux d'études travaillent-ils bien
et ne peut-on pas faire moins cher, ont-ils la bonne documentation ? Ne
refont-ils pas des études qui ont été faites ailleurs,
sont-ils bien documentés, ne peuvent-ils pas travailler chez eux ?
Si demain, on les fait travailler chez eux, je n'aurai pas à compter le
temps de travail nous disent certains. Les gains de productivité oui,
mais pour qui ? Jusqu'à aujourd'hui, c'était pour le client.
Demain, il faudra en laisser pour la réduction du temps de travail. A
combien se chiffrent-ils ? Je ne sais pas.
M. Alain GOURNAC, président - Pensez-vous que, dans votre entreprise, il
y a encore une réserve de gains de productivité ?
M. René CHABOD - Il faut faire confiance au personnel.
Dans des entreprises comme Saint-Nazaire, le personnel lui-même a
décidé en réfléchissant. Aussi, on a cassé
les chaînes hiérarchiques et réalisé des gains de
productivité. Je ne sais pas si c'est terminé. L'imagination n'a
pas de limite.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - On dit que le comité d'entreprise
d'Aérospatiale est bien doté. Qu'en est-il et quelle est la
proportion par rapport à la masse salariale ?
M. Alain GOURNAC, président - Les comités d'entreprise
d'Aérospatiale sont bien dotés.
M. René CHABOD - Par une disposition qui date de 1947, M. Tillon,
alors ministre, a décidé qu'au lendemain de la guerre il fallait
reconstruire l'industrie aéronautique qui était un fer de lance.
Il a pensé qu'il fallait nourrir substantiellement les travailleurs qui
se dévouaient à la reconstruction aéronautique et a
décidé que l'on accorderait 5 % de la masse salariale aux
comités d'entreprise.
A l'époque, c'était essentiellement pour la restauration. Ce
texte est resté et les entreprises aéronautiques qui existaient
à l'époque , notamment Dassault, cotisent toujours ces
5 %. Mon collègue de chez Dassault est allé devant les
tribunaux pour dénoncer ces 5 %, ce qui fut impossible. C'est un
acquis intangible. De temps en temps, on critique le 1 % d'EDF. Je me tais
sur les 5 % d'Aérospatiale, car cela contribue à
créer une collectivité.
M. Alain GOURNAC, président - Dassault voulait passer de 5 à
3 %, mais en vain.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Les frais de personnel représentent
10 milliards de francs ?
M. René CHABOD - 10 milliards de francs chargés.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur- Cela fait 7 milliards de francs, y compris
les 5 %.
Cela fait à peu près 6 milliards de francs de salaire, donc
c'est une dotation de 300 MF.
M. René CHABOD - Un peu plus.
M. Alain GOURNAC, président - Nous remercions monsieur le directeur et
M. René Chabod de ses déclarations et de ses réponses
aux questions. Vous avez enrichi la commission d'enquête qui va continuer
son travail demain toute la journée.
M. René CHABOD - J'ai été peut-être un peu optimiste.
VI. SÉANCE DU MERCREDI 21 JANVIER 1998
A. AUDITION DE M. BERND HOF, ÉCONOMISTE À L'INSTITUT DER DEUTSCHEN WIRTSCHAFT (ALLEMAGNE)
M. Alain GOURNAC, président - Chers collègues,
comme prévu dans notre programme, nous accueillons le Docteur Hof qui
vient d'Allemagne et qui va parler de la réduction du temps de travail
dans ce pays. C'est une expérience pour nous de savoir de quelle
manière nos amis allemands envisagent la réduction du temps de
travail.
Depuis les années 1980, des expériences sont en cours en
Allemagne. Aujourd'hui, il est difficile d'analyser la situation uniquement
à l'intérieur de nos frontières. En effet, pour construire
l'Europe, il est important de voir ce qui se passe dans les autres pays
d'Europe et particulièrement chez nos amis allemands, les liens entre
l'Allemagne et la France étant puissants, il serait dommage qu'il y ait
des législations trop différentes entre nos deux pays.
Docteur, je vous propose de vous exprimer pendant une dizaine de minutes pour
nous faire part de votre expérience et, sans entrer dans les affaires de
la France, si vous avez eu une réaction quand notre Gouvernement a
envisagé les 35 heures, vous êtes libre, devant cette Commission
d'enquête, de nous en faire part.
Ensuite, Monsieur le Rapporteur vous posera des questions auxquelles vous
pourrez répondre directement ainsi que nos collègues dans la
salle.
L'audition de ce matin est ouverte à la presse, les journalistes qui se
présenteront auront accès à la salle, d'ailleurs nous
attendons TF 1.
Mes collègues et moi-même aimerions mieux connaître votre
Institut.
Docteur, nous allons vous écouter avec beaucoup d'attention.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à Docteur
Bernd Hof.
Docteur Bernd HOF - Merci, Monsieur le Président, pour votre invitation.
L'Institut de l'Economie d'Allemagne a été constitué par
plusieurs entreprises. Près 70 chercheurs travaillent sur des
thèmes tels que la société, l'économie, la
réduction du temps de travail, l'avenir de l'Europe et de l'Allemagne
naturellement.
1/ INTRODUCTION
Quelques mots, sur le thème de la réduction du temps de travail
en Allemagne.
Depuis les années 1980, l'objectif des syndicats allemands est d'arriver
aux 35 heures hebdomadaires. En 1995, dans la Métallurgie
3 millions de salariés ont atteint cet objectif, toutes branches
confondues. Le temps de travail hebdomadaire est en moyenne de 37,6 heures.
Nous ne connaissons pas encore les conséquences économiques et
sur l'emploi, pour les entreprises et pour l'ensemble de l'économie
nationale qui découleront de la réduction progressive du temps de
travail au cours de ces dix dernières années.
Les représentants du patronat disent qu'il n'y a pas de retombées
positives et que le nombre des salariés a très
légèrement augmenté. Selon les syndicats, le nombre
d'emplois aurait augmenté de 500.000 au cours de la deuxième
moitié des années 1980 et, ce, grâce à la
réduction du temps de travail.
éduction du temps de travail a lieu. La question de savoir si cette
ré
1 Audition du 7 janvier 1998.
2
Audition du 7 janvier 1998.
3
UNIOPSS (audition du 28 janvier 1998).
4
L'écart est quasi nul aux Etats-Unis et au Japon.
5
Le taux d'activité de la population active
s'élevait à 68,4 % en 1980. Les autres pays de l'OCDE dans
lesquels le taux d'activité est aujourd'hui plus faible qu'en 1980 sont
l'Autriche, la Finlande, l'Italie, le Portugal, la Suède et le
Royaume-Uni, le taux d'activité observé dans les pays scandinaves
et au Royaume-Uni demeurant toutefois significativement supérieur
à la moyenne de l'OCDE.
6
Direction de l'animation de la recherche des études et
des statistiques du ministère de l'emploi et de la solidarité.
7
Audition du 7 janvier 1998.
8
Audition du 7 janvier 1998.
9
Cf. discours de réception à l'Académie
des sciences morales et politiques, le 2 octobre 1992.
10
- 2,5 % du fait de l'abaissement de 40 à
39 heures de la durée hebdomadaire légale et - 2 % du
fait de la 5ème semaine de congés payés.
11
Economiste à l'Institut der Deutschen Wirtschaft (audition
du 21 janvier 1998).
12
Direction de l'animation de la recherche des études
et des statistiques du ministère de l'emploi et de la solidarité.
13
Dans le cadre de l'ARPE, dispositif dans lequel le
départ en préretraite d'un salarié doit être
compensé par une embauche, il y avait eu, entre le
1er octobre 1995 et le 30 septembre 1997, 74.387 embauches
pour 85.103 départs, soit une déperdition de 13 %.
14
M. Vincent Bronze (audition du 21 janvier 1998).
15 L'Observatoire français des conjonctures économiques.
16
Propos souligné par le rapporteur.
17
Audition du 7 janvier 1998.
18
M. Gilbert Cette, ancien chef du service des études
macro-économiques sur la France de la Banque de France et actuel
conseiller scientifique auprès du Conseil d'analyse économique
rattaché au Premier ministre (audition du 29 janvier 1998).
19
Rapport n° 96 (1997-1998), 20 novembre 1997. Les
rapports du Sénat : " 2002 : Perspectives
macro-économiques ", M. Bernard Barbier.
20
La célèbre courbe de Phillips retrace un
" arbitrage " entre l'inflation et le chômage. Dans sa
version
moderne, l'effet Phillips décrit la hausse des salaires donc des
coûts salariaux et des tensions inflationnistes qu'accompagne la
réduction du chômage. Les estimations du niveau de chômage
où se déclenche cette poussée inflationniste varient selon
les auteurs. Mais, il semble que l'économie française soit fort
réactive en termes d'inflation à la décrue du
chômage, si l'on en croit les dernières données empiriques
disponibles qui remontent à la fin des années 80.
21
La capacité de financement des agents
économiques représente le solde de l'ensemble de leurs ressources
et emplois (dépenses).
22
On ne peut en outre exclure que " l'effet
Philips " (voir supra) soit minoré dans certains modèles.
23
Dont on doit noter qu'elle n'est pas suffisante pour
préserver le taux de marge des entreprises qui se
détériore de 0,4 point en fin de projection.
24
Alors même que le scénario est construit sur un
régime d'aide publique a priori équilibré.
25
Les calculs nécessaires à certifier que cet
objectif soit bien respecté atteignent un niveau de complexité
telle qu'une erreur est toujours possible. Un exemple suffit à le
démontrer : le montant des prestations de chômage
évitées suppose de faire des hypothèses sur
l'identité des chômeurs évités au regard du niveau
de l'indemnisation versée à eux.
26
Denis Clerc in " la Réduction du temps de travail :
que faut-il croire ? " Alternatives économiques, éd. Syros.
p. 84.
27
M. Gérard Cornilleau, OFCE (audition du 14 janvier
1998).
28
M. Pierre Cabanes, CSERC (audition du 14 janvier 1998).
29
M. Philippe Levaux, FNTP (audition du 28 janvier 1998).
30
M. René Chabod, Aérospatiale (audition du 20
janvier 1998).
31
MM. Pierre Deschamps et Pierre Dellis, Syntec Informatique
(audition du 28 janvier 1998).
32
Voir en annexe la synthèse des enquêtes
réalisées auprès des organismes consulaires.
33
M. Bernard Geymond, Valéo (audition du 20 janvier
1998).
34
M. Daniel Giron, UPA (audition du 13 janvier 1998).
35
M. Philippe Choutet, UFT (audition du 20 janvier 1998).
36
M. René Lenoir et alii, UNIOPSS (audition du 28
janvier 1998).
37
MM. Jacques Renaud et Jean-Claude Cardon, MBK
Industries (audition du 21 janvier 1998) ; M. Raymond Soubie, Altédia
(audition du 7 janvier 1998).
38
M. Jacques Freyssinet, IRES (audition du 14 janvier 1998).
39
MM. Raymond Soubie, Altédia (audition du 7
janvier 1998), Jacques Freyssinet, IRES (audition du 14 janvier 1998).
40
M. Pierre Cabanes, CSERC (audition du 14 janvier 1998).
41
Mme Michèle Biaggi, M. René Valladon,
CGT-FO (audition du 14 janvier 1998).
42
M. Raymond Soubie, Altédia (audition du 7 janvier
1998).
43
Audition du 29 janvier 1998.
44
M. Denis Kessler, CNPF (audition du 13 janvier 1998) -
M. Pierre Gilson, CG-PME (audition du 13 janvier 1998).
45
M. Daniel Giron, UPA (audition du 13 janvier 1998).
46
Néanmoins, le questionnaire comportait une demande de
renseignements précis sur l'entreprise qui pourrait permettre de
s'assurer qu'il s'agit bien d'une entreprise. On remarque, ce qui se comprend
aisément, une sur-représentation des petites entreprises du
secteur tertiaire (informatique, cabinets d'audit...), avec quelques
entreprises du textile et de l'ameublement. Quant au faible nombre de
réponses (42 lors de la synthèse, plus depuis), il peut
s'expliquer, d'une part, par le faible nombre de connexions d'entreprises
à Internet, d'autre part, par le fait que l'ordinateur connecté
n'est pas celui de la personne qui aurait pu trouver un intérêt
à répondre. Le multimédia n'est pas encore entré
dans les moeurs.
47
Audition du 13 janvier 1998.
48
Audition du 14 janvier 1998.
49
Audition du 7 janvier 1998.
50
Audition du 13 janvier 1998.
51
Audition du 13 janvier 1998.
52
Audition du 13 janvier 1998.
53
C'est la raison pour laquelle la commission d'enquête
n'a pas jugé utile de procéder à une enquête
Internet qui, de toute façon, n'aurait pas eu de caractère
scientifique. Néanmoins, les personnes qui souhaitaient s'exprimer ne
s'en sont pas privé et ont profité de l'enquête
réalisée en direction des entreprises.
54
Audition du 7 janvier 1998.
55
M. Pierre Cabanes, CSERC (audition du 14 janvier 1998).
56
M. Claude Companie, CFE-CGC (audition du 13 janvier
1998), M. Michel Freyche, AFB (audition du 15 janvier 1998), qui a
évoqué l'expatriation des cadres, trop contraints en France,
M. Jean Catherine, ANDCP (audition du 15 janvier 1998).
57
M. Jean-Paul Probst, CFTC (audition du 13 janvier 1998).
58
M. Pierre Cabanes, CSERC (audition du 14 janvier 1998).
59
Mlle Laurence Matthys, CFE-CGC (audition du 13 janvier 1998).
60
M. René Valladon, CGT-FO (audition du 14 janvier
1998).
61
2,1 millions de francs sont inscrits en 1998 pour l'aide
à la négociation, en diminution de 30% par rapport à 1997
(chap. 44-73 du budget emploi).
62
M. Bernard Brunhes, Bernard Brunhes consultant (audition du
14 janvier 1998).
63
M. Paul Fabra (Les Echos, daté du 30/31 janvier 1998) met
en évidence l'inégalité entre deux " smicards "
générée par ce double SMIC : l'un, qui passerait à
35 heures, verrait son salaire horaire augmenter de 11,4 % (44,13 F),
l'autre, contraint de travailler 39 heures, soit quatre heures
supplémentaires, ne bénéficierait pas du SMIC mensuel et
ne verrait son salaire brut qu'augmenté de 2,5 % correspondant au
surcoût des quatre heures supplémentaires.
64
Sous-titre de l'article " Les 35 heures
créeront-elles des emplois ? " publié à la une du
journal " Le Monde " du 22 janvier 1998.
65
Audition du 7 janvier 1998.
66
Audition du 14 janvier 1998.
67
Propos qui auraient été tenus par M. le Premier
ministre à Feuquières le 29 janvier 1998, selon le Quotidien
"
Les Échos"
dans son édition datée du 30 janvier
1998.
68
Audition du 14 janvier 1998.
69 Rapport Sénat n° 159 (1997-1998).
70
On rappelle que le Gouvernement a inscrit 3
milliards de francs sur le budget du ministère de l'emploi et de la
solidarité pour 1998, au titre de la mise en oeuvre de la mesure.
71
Voir l'audition de M. Jean-Philippe Cotis, directeur de la
prévision au ministère de l'économie et des finances, pour
une définition plus précise de ce terme (audition du 7 janvier
1998).
72
Et non les documents internes aux cabinets ministériels,
comme cela a été écrit dans le Journal " Le
Monde " en date du 9 janvier 1998, qui n'ont jamais été
demandés.
73
Hugues Bertrand in " Réduire la durée du
travail pour créer des emplois, risques et coûts aujourd'hui,
résultats et emplois demain " dans " la réduction du
temps de travail : que faut-il croire ? ", Alternatives
économiques, éditions Syros, p.95.
74
Audition du 14 janvier 1998.
75
Audition du 13 janvier 1998.
76
L'Expansion n° 562 du 4 au 17 décembre 1997.
77
Audition du 13 janvier 1998.
78
Audition du 21 janvier 1998.
79
Audition du 28 janvier 1998.
80
Audition du 7 janvier 1998.
81
Audition du 29 janvier 1998.
82
Audition du 21 janvier 1998.
83
Auditions du 29 janvier 1998.
84
M. Gilbert Cette, Conseil d'analyse économique
(audition du 29 janvier 1998).
85
Audition du 7 janvier 1998.
86
Audition du 29 janvier 1998.
87
Audition du 21 janvier 1998.
88
Système dégressif (1ère année :
9.000 F ; 2ème : 8.000 F ; 3ème : 7.000 F :
4ème : 6.000 F ; 5ème : 5.000 F ; 6ème :
0).
89
Audition du 13 janvier 1998.
90
Audition du 13 janvier 1998.
91
Audition du 7 janvier 1998.
92
Audition du 7 janvier 1998.
93
L'échantillon va de 62 % à 98 %.