RAPPORT n° 150 - PROJET DE LOI RELATIF AU REGLEMENT DEFINITIF DES CREANCES RECIPROQUES ENTRE LA FRANCE ET LA RUSSIE
M. Claude ESTIER, Sénateur
COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES DE LA DEFENSE ET DE DES FORCES ARMEES - Rapport n° 150 - 1997-1998
Table des matières
- I. LE POINT SUR LES ACCORDS DU 26 NOVEMBRE 1996 ET DU 27 MAI 1997
- II. LES EMPRUNTS RUSSES : UN ARRIÈRE-PLAN HISTORIQUE DÉTERMINANT
- CONCLUSION
- EXAMEN EN COMMISSION
- PROJET DE LOI
N° 150
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 3 décembre 1997.
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif au règlement définitif des créances réciproques entre la France et la Russie antérieures au 9 mai 1945 sous forme de mémorandum d'accord et de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie sur le règlement définitif des créances réciproques financières et réelles apparues antérieurement au 9 mai 1945,
Par M. Claude ESTIER,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Xavier de Villepin,
président
; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean
Clouet, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques
Genton,
vice-présidents
; Michel Alloncle, Jean-Luc
Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë,
secrétaires
; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet,
Jean-Luc Bécart, Jacques Bellanger, Daniel Bernardet, Pierre
Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette
Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre
Croze, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André
Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure,
Philippe de Gaulle, Daniel Goulet
,
Jacques Habert, Marcel Henry,
Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune,
Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry,
MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait,
Régis Ploton, André Rouvière, André Vallet.
Voir les numéros
:
Assemblée nationale
(
11
ème lésgisl.) :
229
,
433
et T.A.
38
.
Sénat
:
104
(1997-1998).
Traités et conventions.
Mesdames, Messieurs,
Le présent projet de loi tend à autoriser l'approbation de deux
accords conclus entre la France et la Russie en vue du
règlement
définitif des créances réciproques antérieures au
9 mai 1945
. Il s'agit là de l'aboutissement d'un long
contentieux bilatéral, dû à la répudiation, en
janvier 1918, par Lénine, des dettes du gouvernement impérial.
L'oukaze alors pris par les autorités soviétiques annulait, sans
indemnité, tous les emprunts souscrits par des porteurs étrangers
pour participer au financement du développement russe. Cette
décision valait aussi pour ceux qui possédaient des biens en
Russie. Il en fut de même pour nos compatriotes
dépossédés par les annexions effectuées par l'URSS
en Europe centrale et orientale entre 1939 et 1945.
La spoliation des quelque un million et demi de ménages français
concernés par l'oukaze de janvier 1918 a
profondément
affecté les relations franco-soviétiques
, et a en outre
sensiblement
altéré l'image de la Russie -et de l'Union
soviétique
- dans notre mémoire collective. Il n'est, en
effet, pas exclu que la pusillanimité, voire la méfiance, de nos
investisseurs sur le marché russe, déplorée par les
autorités russes elles-mêmes, soit imputable au souvenir de la
spoliation des porteurs d'emprunts russes et de la dépossession des
détenteurs d'actifs en Russie.
S'il n'est pas établi que ces deux accords suffiront à encourager
nos investisseurs à miser sur un marché où ils occupaient
la première place en 1914, il est clair, en revanche, que ces accords
contribueront à conforter les relations entre la France et la Russie, en
asseyant celles-ci sur des relations plus confiantes.
Après le commentaire de ces deux accords, votre rapporteur rappellera
l'histoire des longues négociations dont ils ont constitué
l'aboutissement, puis livrera en conclusion quelques réflexions sur les
modalités, encore à déterminer, de la répartition
de l'indemnité versée par la Russie entre les différents
ayants-droits français.
I. LE POINT SUR LES ACCORDS DU 26 NOVEMBRE 1996 ET DU 27 MAI 1997
A. LE MÉMORANDUM FRANCO-RUSSE DU 26 NOVEMBRE 1996
Le
mémorandum franco-russe du 26 novembre 1996
a
constitué le préalable à l'adoption de l'accord sur le
règlement définitif des créances réciproques,
signé le 27 mai 1997.
- Il définit les grands principes sur lesquels s'appuiera le versement,
par la Russie, des 400 millions de dollars destinés à apurer un
contentieux vieux de quatre-vingts ans.
Il engage la Russie à effectuer huit versements de 50 millions de
dollars chacun, répartis sur quatre années (1997, 1998, 1999 et
2000). Les deux premiers versements ont été effectués en
juin et en août 1997. 291 millions de francs et 315 millions de francs
ont ainsi été successivement déposés sur un compte
d'attente de l'Agence centrale des comptables du Trésor. Le prochain
versement devrait intervenir en février 1998.
L'article 38 du projet de loi de finances pour 1998 fait état d'un
compte d'affectation spéciale pour l'indemnisation au titre des
créances françaises sur la Russie, évalué à
1 212 millions de francs, dont le montant correspond aux versements
effectués en 1997 et prévus pour 1998, et qui sera ouvert
à compter du 1er janvier 1998. Cette formule du compte d'affectation
spéciale permettra de garantir que les versements de la
Fédération de Russie seront effectivement destinés
à l'indemnisation des épargnants lésés.
- En conséquence de la décision de procéder au
règlement définitif des créances réciproques, les
Parties s'engagent à ne présenter aucune autre créance
financière ou réelle. Aucun des deux Etats n'apportera donc son
soutien aux recours susceptibles d'être intentés par leurs
ressortissants, personnes physiques ou morales.
- Notons, par ailleurs, en ce qui concerne le champ d'application de ces
accords, la
diversité assez étonnante des créances
visées par les termes "créances financières ou
réelles, quelles qu'elles soient, apparues antérieurement au 9
mai 1945". Sont, en effet, concernés non seulement les porteurs
d'emprunts russes spoliés en 1918, mais aussi les détenteurs
d'actifs réels depossédés par les nationalisations
décrétées en 1918, ou victimes des annexions
soviétiques de 1939-1945. Or, seuls, les porteurs d'emprunts n'ont,
à ce jour, fait l'objet d'aucune indemnisation. En revanche, les
Français dépossédés par la nationalisation des
biens des étrangers ont bénéficié d'une
indemnisation partielle en 1928. La Pologne a procédé au
remboursement de la moitié de la demande d'indemnisation
présentée par les propriétaires des biens
nationalisés du fait de l'occupation soviétique.
Rappelons que les emprunts russes atteignaient, en 1914, quelque
11 milliards de francs, soit la
moitié de la rente
française
, et que les investissements directs français en
Russie représentaient à la même date 2,24 milliards de
francs. Ces divers avoirs auraient été
évalués,
en francs d'aujourd'hui, à 235 milliards de francs
. La valeur
unitaire de ces titres n'a cependant pas fait l'objet d'estimation. Elle
pourrait être proche de 30 000 francs ; selon d'autres
évaluations, elle pourrait être comprise entre 22 000 francs
et 45 000 francs. Quelle que soit la valeur actualisée de ces
biens, elle serait probablement trop considérable pour que les 400
millions de dollars versés par la Russie constituent plus qu'une
indemnisation. On ne saurait donc considérer ces versements comme le
remboursement des créances de nos compatriotes. Tel n'est d'ailleurs pas
l'objet des accords de novembre 1996 et de mai 1997.
B. L'ACCORD DU 27 MAI 1997
L'accord du 27 mai 1997 complète le mémorandum
de novembre 1996, en précisant par ailleurs certaines de ses
implications.
-
L'article 3
rappelle les modalités du règlement des
créances par la Russie, telles que le mémorandum les a
définies : 400 millions de dollars américains, versés en
huit versements semestriels de 50 millions de dollars chacun, entre 1997 et
2000 ;
-
L'article 6
invite chaque Partie à lever toutes les
restrictions à l'accès de l'autre Partie, ainsi que des
ressortissants de celle-ci, à ses marchés financiers. En effet,
le placement de toute nouvelle émission d'actions ou d'obligations par
le successeur de l'État russe -URSS puis Fédération de
Russie-, était interdit en France depuis 1918. Le règlement du
contentieux des emprunts russes permet donc de mettre fin à la fermeture
des marchés financiers français aux titres originaires d'URSS,
puis de Fédéréation de Russie. Ainsi le placement en
France d'une fraction d'une émission obligataire de l'Etat russe a-t-il
été autorisé, en juin 1997, au lendemain du premier
versement effectué par la Russie en application du memorandum de mai
1996.
- Diverses stipulations visent à assurer le
caractère
définitif du règlement des créances réciproques
antérieures au 9 mai 1945.
.
Ainsi l'
article 5
exclut-il, comme le prévoyait
déjà le memorandum de mai 1996, que soient
présentées d'autres créances que celles auxquelles renvoie
l'accord du 27 mai 1997. Tous les recours deviennent donc sans objet à
compter de l'entrée en vigueur de cet accord.
Dans le même esprit, il est stipulé par le dernier paragraphe de
l'article 3 que l'Etat français assume la "responsabilité
exclusive du règlement des créances financières et
réelles qu'(il) a renoncé à soutenir "dans le cadre de
l'accord du 27 mai 1997. Dès l'entrée en vigueur de celui-ci, les
créances n'entrant pas dans le champ d'application de cet accord ne
peuvent donc plus être produites à l'égard de la Russie.
.
Les
créances exclues du champ d'application de l'accord du
27 mai 1997
sont définies par l'article ler pour la Partie
française, et par l'
article 2
pour la
Partie russe
.
Cette dernière renonce ainsi à présenter les
créances suivantes :
- Revendications relatives aux
dommages imputables à l'intervention
française de 1918-1922 contre la Russie soviétique
: ces
dommages ont été évalués par une commission
d'experts sovétiques réunie pendant les années 1920,
à 15 milliards de roubles-or, soit 40 milliards de francs-or de
l'époque. A l'intervention française étaient
imputés 50 % des dommages constatés dans le sud et 25 % des
dommages survenus en Extrême-Orient. La totalité des dommages
causés par les interventions étrangères avait alors
été estimée à 60 milliards de roubles-or (environ
160 milliards de francs-or). La répartition entre les différents
Etats présumés responsables avait été
effectuée en fonction des régions où ceux-ci
étaient intervenus, et des effectifs engagés ;
- Revendications relatives à
l'or remis par la Russie à
l'Allemagne
en vertu de l'accord complémentaire au Traité de
Brest-Litovsk, puis remis par l'Allemagne à la France en application du
Traité de Versailles. L'Union soviétique a, en effet,
régulièrement réclamé à la France une part
des 93 tonnes d'or remises à l'Allemagne en 1918, en application du
traité de Brest-Litovsk, dont 47 tonnes avaient ensuite
été attribuées à la France en vertu du
traité de Versailles
, ce dont l'URSS avait été
informée dès 1925. L'or de Brest-Litovsk avait toujours
été considéré par la France comme un aspect des
réparations allemandes
, sans référence à son
origine russe. Contrairement aux revendications exprimées par certaines
associations de porteurs d'emprunts russes, ce or n'avait pas été
reçu par la France en vue de l'indemnisation des porteurs d'emprunts
russes, mais au titre des réparations exigées de l'Allemagne
après la guerre de 1914-1918 ;
- Revendications relatives aux dettes contractées, à
l'égard de la Russie ou de ses successeurs, par le gouvernement
français, ou par toute personne qui exerçait une activité
professionnelle en territoire français : selon les sources russes,
jamais validées par la France, les dommages dûs à
l'interruption des activités bancaires et commerciales se seraient
élevés, pour la Partie russe, à 490 millions de francs-or.
D'autres créances seraient liées à des livraisons de
blé et d'alcool à la Partie française (91 millions de
francs-or).
- Revendications relatives à
l'or remis à la France
-selon
la Partie russe-
par l'amiral Koltchak
: une part du "trésor de
guerre" de l'amiral Koltchak avait, en effet, été achetée
par la France pour aider l'amiral Koltchak à équiper ses troupes,
en vertu d'une transaction dont on sait aujourd'hui qu'elle a été
effectuée en toute régularité par la succursale de la
Banque d'Indochine à Vladivostok.
La France ne reconnaît pas la validité de ces créances, sur
le montant desquelles elle n'a jamais été en mesure de se
prononcer.
L'article 7 de l'accord du 27 mai 1997 est, sur ce point, très explicite
:
"Le versement de la somme mentionnée à l'article 3 du
présent Accord n'est pas réputé valoir reconnaissance par
l'une ou l'autre Partie de l'existence d'une responsabilité lui
incombant au titre de quelque créance que ce soit réglée
par le présent Accord, ni valoir confirmation de la
réalité juridique de l'une quelconque desdites
créances."
En d'autres termes, comme le souligne très
justement le rapporteur de l'Assemblée nationale : "la Russie renonce
à présenter des créances dont la France ne reconnaît
pas la réalité juridique"
1(
*
)
.
Les
créances que la France renonce à présenter
sont
énumérées
par
l'article ler.
Il s'agit :
- des
emprunts
et obligations émis ou garantis avant la
Révolution d'Octobre (7 novembre 1917) par le Gouvernement
impérial russe, et appartenant à des personnes physiques ou
morales françaises ou au gouvernement français : la
référence à la nationalité des porteurs ne saurait
être susceptible d'exclure du champ d'application de l'accord du 27 mai
1997 les personnes qui n'avaient pas la nationalité française
à l'époque de la spoliation (comme, par exemple, les habitants
des provinces perdues). La nationalité française s'entend au
moment de l'indemnisation. Le fait que celle-ci soit réservée aux
Français permet toutefois d'éviter des mouvements
spéculatifs inopportuns ;
- les
intérêts et actifs
situés sur le territoire de
l'Empire russe et de ses successeurs, et dont les propriétaires ont
été dépossédés par des mesures de
nationalisation, en 1918 et entre 1939-1945 ;
- les dettes à l'égard du gouvernement français ou de
ressortissants français contractées par le gouvernement de
l'Empire de Russie, par ses successeurs ou par toute personne qui
exerçait une activité sur un territoire administré par
l'Empire russe ou par l'URSS.
On constate donc un certain déséquilibre entre les articles ler
et 2 de l'accord du 27 mai 1997, la Russie s'engageant à ne plus
produire de revendications dont le fondement n'avait jamais été
reconnu par la France, alors que la France renonce, une fois acquittés
les versements prévus par le memorandum de mai 1996, à faire
état à l'avenir de véritables créances dont le
bien-fondé a toujours pu s'établir sur des bases objectives,
comme la valeur des titres au moment de la spoliation.
.
La
date d'entrée en vigueur
de l'accord du 27 mai 1997
appelle un commentaire particulier. L'article 8 se réfère, en
effet, à l'entrée en vigueur de cet accord
dès sa
signature
, avant l'achèvement des procédures internesde
ratification. Intégrée à l'accord à la demande de
la Partie russe, cette stipulation relativement inhabituelle vise à
éviter que la Douma puisse, dans un contexte politique
régulièrement tendu entre l'exécutif et la Chambre basse,
rejeter ou remettre en cause l'accord du 27 mai 1997. Compte tenu de l'ampleur
des difficultés économiques et budgétaires auxquelles se
heurte la Russie actuellement, un rejet de cet accord par le Parlement russe
n'aurait d'ailleurs rien d'étonnant, ni même de
particulièrement choquant. Cette modalité d'entrée en
vigueur a permis de garantir le caractère définitif de l'accord.
Elle a permis à la Partie russe de procéder de manière
très ponctuelle au paiement de la première
échéance, prévue dans les quinze jours qui ont suivi la
signature de l'accord du 27 mai 1997. On ne peut que se féliciter de
cette rapidité, très éclairante du souci sincère et
réel de la Russie de mettre fin à un trop vieux contentieux.
Si les porteurs français n'ont, à ce jour, pas ressenti les
effets de l'entrée en vigueur immédiate de cet accord, on ne peut
qu'invoquer des
raisons strictement nationales
. En effet, bien des
aspects des modalités de l'indemnisation des ayants-droits demeurent,
à ce jour, pendants : modalités de recensement des porteurs de
titres russes, et méthodes d'évaluation et d'indemnisation. Un
travail de réflexion est en cours actuellement, au sein de la commission
de suivi du mémorandum d'accord instituée le 12 février
1997.
C. SPÉCIFICITÉ DU RÈGLEMENT DES CRÉANCES RÉCIPROQUES ENTRE LA FRANCE ET LA RUSSIE PAR RAPPORT AUX ACCORDS CONCLUS AVEC D'AUTRES PARTENAIRES OCCIDENTAUX
Des règlements de créances sont intervenus
dès les années 1940 avec d'autres créanciers de l'URSS.
Ainsi, un accord conclu entre la
Suède
et l'URSS en 1941 a-t-il
permis le versement par l'Union soviétique d'une indemnité de 20
millions de couronnes suédoises.
L'URSS est convenue en 1944 de verser au
Canada
une somme forfaitaire de
20 millions de dollars, qui fut versée en 1953.
La
Norvège
a, en 1959, reçu 500 000 couronnes
norvégiennes.
L'URSS a accepté de reverser au
Danemark
une indemnité de
2,6 millions de couronnes danoises en 1964, à l'occasion de la
conclusion d'un accord commercial.
Les porteurs
néerlandais
ont été indemnisés
en 1967.
L'accord soviéto-britannique de juillet 1986 sur le dédommagement
des porteurs d'emprunts russes a réactivé le
mécontentement des porteurs français, même si le
règlement du contentieux soviéto-britannique s'est appuyé
sur une méthode très différente de celle qui pouvait
être retenue par la France. Le règlement du
contentieux
soviéto-britannique
est intervenu en deux étapes.
Un premier accord, conclu en janvier 1968, a concerné les
créances nées après le ler janvier 1939, et originaires
pour la plupart des Etats baltes. L'or des Etats baltes, en dépôt
à la Bank of England, a permis de couvrir ces créances et d'en
assurer le règlement. Le gouvernement du Royaume-Uni a, en 1991,
restitué aux trois Etats baltes ayant récemment
accédé à l'indépendance une quantité d'or
équivalente à celle qui avait été utilisée
pour indemniser les porteurs britanniques d'emprunts russes.
L'accord soviéto-britannique du 15 juillet 1986
a permis le
dédommagement des
porteurs britanniques d'emprunts russes (seconds
souscripteurs de ces titres après les Français
) et des
propriétaires spoliés avant le ler janvier 1939.
Chaque Partie renonçait à ses créances : les Britanniques,
aux revendications portant sur des intérêts privés (400
millions de livres à l'origine) et les Soviétiques, aux
revendications relatives aux dommages imputés au corps
expéditionnaire britannique pendant la guerre civile (dommages
évalués à 2 milliards de livres). Le règlement
des créances britanniques a été permis par la
découverte de 45 millions de livres d'avoirs impériaux russes
bloqués sur les comptes de la banque Barings. Les porteurs britanniques
ont pu être indemnisés pour 50 % de la valeur faciale des titres,
soit 1,6 % de leur valeur actualisée.
Le règlement du contentieux soviéto-britannique a donc
été accéléré par l'utilisation d'avoirs
bloqués en Grande-Bretagne ; il a, de ce fait, été
effectué
à coût nul pour l'URSS
. Il ne pouvait
dès lors constituer un précédent susceptible d'inspirer
les négociateurs français, puisqu'il n'existait aucun
dépôt russe dans les banques françaises.
II. LES EMPRUNTS RUSSES : UN ARRIÈRE-PLAN HISTORIQUE DÉTERMINANT
Les accords de 1996 et 1997 visent à mettre fin
à un contentieux dans lequel le contexte historique a joué un
rôle déterminant. Les emprunts russes ayant pendant quelque
quatre-vingts ans constitué un abcès dans les relations
franco-soviétiques, puis franco-russes, jusqu'à affecter la
représentation de l'URSS et de la Russie dans l'inconscient collectif
français, il importe de rechercher pour quelles raisons la France a pu,
au XIXe siècle, jouer un rôle si important parmi les bailleurs de
fonds de la Russie.
De même convient-il de s'interroger sur l'histoire des
négociations qui, régulièrement évoquées
à chaque rapprochement entre la France et l'URSS, puis la Russie, n'ont
abouti que presque huit décennies après la spoliation de 1918.
A. POURQUOI UN TEL SUCCÈS DES EMPRUNTS RUSSES EN FRANCE ?
En 1914, la valeur globale des titres d'emprunt de l'Etat russe détenus par 1 500 000 porteurs français s'élevait à 11,5 milliards de francs-or. Le succès des emprunts russes auprès des investisseurs français depuis l'origine des émissions, c'est-à-dire depuis 1888, s'inscrit dans un contexte spécifique, qu'il importe d'éclairer.
1. La rencontre de deux intérêts
Le but poursuivi par la Russie consistait à assainir
les finances de l'Empire. La dette extérieure russe était, en
effet, en 1886, dispersée entre plus de cent contrats d'emprunts
différents. Le service de la dette accaparait 28 % des revenus de
l'Etat. L'objectif était donc de souscrire de nouveaux emprunts en vue
de la
conversion de la dette russe
.
L'économie russe, fondée sur une production agricole d'un type
quasi féodal et sur l'exploitation de quelques ressources naturelles, ne
laissait qu'une place très marginale à l'épargne. La
recherche de capitaux allait tout naturellement inciter la Russie à se
tourner vers la France, pays à l'épargne très abondante
à l'époque, et dont les rentiers cherchaient des placements
sûrs. Or à la fin des années 1880, les occasions
d'investissements de capitaux dans les rentes françaises étaient
rares et limitées. L'emprunt lancé en décembre 1887
reçut plus de 100 000 souscriptions. En 1891, un million
d'obligations à 500 francs furent lancées sur le marché. A
partir de 1893, le lancement d'emprunts russes reprit à une
échelle de plus en plus importante, jusqu'à atteindre un total de
5,5 milliards de francs en 1904, dont 2,5 milliards émis par
l'intermédiaire du Crédit Lyonnais. Les émissions
reprirent avec les besoins de financement suscités en Russie par la
guerre russo-japonaise. La dernière grande opération
financière franco-russe eut lieu en 1913, à la veille de la
première guerre mondiale.
Auprès des épargnants français, l'une des raisons du
succès des emprunts russes était leur
indiscutable
rentabilité
, supérieure à celle des rentes
françaises. Ainsi, le premier emprunt de décembre 1888,
lancé au prix d'émission de 85,08 %, se trouvait-il coté
à 95,5 % dès avril 1889. Les emprunts russes étaient
présentés par Henri Germain, fondateur du Crédit Lyonnais,
très impliqué dans les relations financières
franco-russes, comme des
placements "sûrs, de tout repos".
Quant à la Russie, elle avait réussi, grâce à
l'appui de ces capitaux, à
tripler sa production
de fonte
entre 1886 et 1896, progrès qui aurait exigé vingt à
trente ans dans les pays d'Europe occidentale. A Bakou, la banque Rothschild
avait apporté à
l'industrie pétrolière
d'importants progrès en matière de transport, et avait ouvert la
production de pétrole aux marchés de Londres et du Proche-Orient.
2. L'importance du facteur politique
Plus encore que par la recherche de "placements de
pères de famille", ce qu'ont légitimement paru être les
emprunts russes, c'est par le facteur politique que s'explique, pour une
très large part, leur succès. Ainsi le succès de l'emprunt
de 1891 s'est-il inscrit dans le contexte de
l'accueil triomphal
réservé à l'escale française à Cronstadt
par la population russe, et de la signature de l'alliance franco-russe, le 27
août 1891. Dans la même logique, on remarque une
coïncidence très éclairante entre la signature de
l'alliance militaire et la reprise, à partir de 1893, des
émissions de titres
sur le marché français. C'est
l'époque où la France fait un accueil enthousiaste au couple
impérial, venu en visite en octobre 1896, et où la mode
française est caractérisée par une certaine "russomanie".
Rappelons que la France et la Russie avaient été poussées
à s'allier face à la Triple alliance (Allemagne-Autriche-Italie),
et à une diplomatie allemande devenue agressive. Les motivations des
épargnants français n'étaient pas exclusivement
liées à la rentabilité incontestable des emprunts russes,
mais aussi à des
préoccupations patriotiques
: contribuer
au financement du développement de l'économie russe,
c'était aussi contribuer au
renforcement indispensable de notre
allié face à l'Allemagne
. Ainsi le Quai d'Orsay a-t-il
toujours été favorable aux émissions russes sur le
marché français, même quand l'afflux
incontrôlé des emprunts russes inquiétait les ministres des
finances.
De manière générale, le soutien financier apporté
par la République française à l'Empire russe était
considéré comme un moyen privilégié de renforcer
l'alliance franco-russe, élaborée dans la perspective de la
revanche
.
Le placement des emprunts russes était, dans cet esprit, lié
à la
sécurité des frontières
. Ainsi l'aide
financière française visait-elle à obtenir
l'exécution des
construction ferroviaires jugées
indispensables par l'état-major français.
Parmi les lignes
mises en chantier à la demande de la France figurent celles qui
étaient destinées à assurer le transport des troupes
stationnées à l'est et au sud-ouest de l'Empire vers la Pologne.
Les emprunts russes ne relevaient donc pas des seuls intérêts
privés, ils étaient devenus une affaire d'Etat.
3. La question des responsabilités françaises
Compte tenu du soutien apporté par les plus haues
autorités françaises au placement des emprunts russes, s'est
trouvée posée, après l'annulation des emprunts par le
pouvoir bolchevique, la question des responsabilités françaises
dans ce désastre. Pendant les années où les
émissions russes remportaient les succès qui devaient, par la
suite, ruiner ou fragiliser leurs porteurs, la bonne foi des emprunteurs russes
et des bailleurs de fonds français ne saurait être mise en doute.
Certes, selon l'ambassadeur Bompard, le comte Witte "puisait dans
l'épargne française comme dans sa propre caisse". Le ministre des
finances Cochery avait, dès juillet 1897, attiré l'attention de
son collègue des affaires étrangères sur les excès
auxquels conduisait l'émission continue de titres russes : "Il importe
de ne pas laisser s'accréditer l'opinion que ce marché est
ouvert, en permanence, à toutes les tentatives d'emprunt que la Russie
jugera à propos de faire sans nous donner d'explications. Nous avons
besoin d'être renseignés, de savoir où l'on va et où
l'on compte s'arrêter".
Les impératifs politiques et stratégiques n'ont pas permis
à ces inquiétudes et à ces avertissements d'être
suivis d'effets. Il convient néanmoins de rappeler, à cet
égard, que rien n'avait laissé prévoir depuis la France
les événements de 1917. Parmi les causes de cet aveuglement
figure le caractère étonnamment superficiel de l'information
diffusée en France, à la fin du XIXe siècle et au
début du XXe, sur la Russie : ainsi les événements
révolutionnaires de 1905, s'étonne un témoin de
l'époque, n'ont-ils été relatés par les quotidiens
français qu'en quatrième page, sous forme de brefs
télégrammes, là où la presse allemande avait
annoncé "la révolution en Russie" sur cinq colonnes à la
une.
2(
*
)
Selon le
Rapport sur le livre jaune relatif à l'Alliance
franco-russe
, établi par M. Michel Margaine, député,
en 1919
3(
*
)
, la presse aurait obéi "aux
suggestions qui l'incitèrent à ne rien révéler de
l'état réel de la Russie", en raison de l'importance acquise par
les
intérêts commerciaux
dans les organes de presse,
parfois subventionnés par les autorités russes pour assurer la
publicité des émissions de titres auprès des
épargnants français. Il est également probable que, face
à l'ennemi prussien, un "journaliste qui se serait mis en tête de
publier des révélations sur le grand Empire du Nord se serait
fait des ennemis influents et se serait fait traiter de Prussien par des
patriotes"
4(
*
)
.
Il n'en demeure pas moins que
l'attitude négative des
révolutionnaires russes à l'égard des investisseurs
étrangers était connue dès 1905
. Les rapports des
agents consulaires de France à Moscou, Odessa, Varsovie, Kharkov et
Bakou signalaient dès les événements de 1905 à
quels dangers étaient exposés les commerçants et
industriels français en Russie. Le 11 décembre 1906,
l'écrivain Maxime Gorki annonçait dans
L'Humanité
que "Lorsque le pouvoir sera dans les
mains du peuple, on lui rappellera les banquiers de France qui ont aidé
les Romanov à lutter contre la liberté, le droit, la
vérité et à maintenir ainsi leur autorité barbare."
B. DE FRÉQUENTES TENTATIVES DE RÈGLEMENTS DU CONTENTIEUX ENTRE 1919 ET 1996
Le contentieux lié à la spoliation des porteurs d'emprunts russes a fait l'objet de fréquentes tentatives de règlement depuis 1919, surtout pendant les périodes de rapprochement bilatéral.
1. L'impasse : 1918-1992
Dès février 1919, en effet, le gouvernement
français avait envoyé un émissaire auprès de
Lénine pour proposer à la Russie soviétique -sans
succès- de payer les intérêts des emprunts, et de
rembourser en nature (pétrole et céréales)
l'équivalent du capital.
La reconnaissance française du gouvernement soviétique, le
28 octobre 1924, réservait " expressément les droits
que les citoyens français tiennent des obligations contractées
par la Russie ou ses ressortissants sous les régimes
antérieurs ", et invitait le gouvernement soviétique
à ouvrir avec la France des négociations d'ordre
économique.
Dans cette perspective, une conférence franco-soviétique s'ouvrit
le 25 février 1926. La première proposition formulée par
la France, en mars 1926, portait sur un versement annuel de 125 millions de
francs-or, et sur une réduction de 70 % sur l'annuité
d'intérêt qui aurait dû être acquittée. La
contre-proposition soviétique se référait au versement,
pendant soixante-deux ans, d'une annuité forfaitaire de 40 millions de
francs-or destinée à indemniser les porteurs, et
subordonnée à l'attribution par la France d'importants
crédits.
Ces pourparlers ont échoué en raison d'un différend sur le
montant de l'indemnité, la France exigeant 82 millions de francs-or par
an, les Soviétiques n'acceptant pas de verser plus qu'un forfait annuel
de 55 millions.
Le retour de Poincaré, en juillet 1926, mit fin aux tentatives de
conciliation de part et d'autre.
Ce n'est qu'en 1956, lors d'une visite à Moscou du président du
Conseil Guy Mollet, que la question de l'indemnisation des porteurs d'emprunts
russes fut à nouveau évoquée entre la France et l'Union
soviétique, l'affaire de Suez devant rapidement empêcher la
reprise des pourparlers.
2. Vers le règlement du contentieux : 1992-1997
L'effondrement de l'URSS et l'avènement
d'un Etat
russe soucieux de se rapprocher de l'Europe occidentale
et de souligner,
à certains égards, une certaine filiation entre l'ancien
régime et le nouvel Etat russe, ont permis d'accélérer le
processus de négociations relatives à l'indemnisation des
Français spoliés et dépossédés. Ces
négociations ont été relancées en 1992 par la
France, à la faveur du souhait exprimé par les autorités
russes d'intégrer leur pays à la communauté
financière internationale. Ainsi
le traité d'amitié
franco-russe du 7 février 1992
stipule-t-il, en son article 22, que
" la République française et la Fédération
de Russie s'engagent à s'entendre, si possible dans des délais
rapides, sur le règlement des contentieux soulevés par chaque
Partie relatifs aux aspects financiers et matériels des biens et
intérêts des personnes physiques et morales des deux
pays ".
Les négociations se sont intensifiées à partir de janvier
1995. Huit sessions de pourparlers ont dû être tenues avant la
conclusion de l'accord de novembre 1996. Compte tenu des difficultés
économiques et financières auxquelles se heurte actuellement la
Russie, la signature des accords de 1996 et 1997 constitue un
résultat remarquable, très éclairant du prix
attaché par les autorités russes à l'excellence des
relations entre Paris et Moscou et à l'accès de la Russie au
marché financier français
.
Mais une question demeure posée : le règlement de ce contentieux
vieux de quatre-vingts ans suffira-t-il à conjurer le souvenir de la
spoliation dans l'inconscient collectif français, et à instaurer
une véritable confiance à l'égard de notre partenaire
russe ?
CONCLUSION
Le présent projet de loi n'épuise pas toutes les
questions posées par l'indemnisation des porteurs d'emprunts et des
sinistrés français. La " commission de suivi ",
instituée en février 1997 et présidée par M.
Jean-Claude Paye, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
présentera au gouvernement des propositions en vue de déterminer
les
modalités de recensement, d'évaluation et d'indemnisation
des créances.
Ces décisions sont, en effet, cruciales pour
les porteurs d'emprunts russes, dont le sort ne relève pas, en pratique,
des deux accords dont le présent projet de loi tend à autoriser
l'approbation.
Le rapport remis le 6 novembre au Premier ministre par la commission de suivi
concerne les modalités de recensement des porteurs. Cette question
tranchée, devra être retenue une solution relative aux
modalités d'indemnisation. Celle-ci ne devrait pas intervenir avant
1998, et pourrait être répartie sur plusieurs années.
Ces délais expliquent la déception et
l'inquiétude des
associations représentant les porteurs d'emprunts russes et les
Français dépossédés en 1918
. Notons que les
modalités de détermination des catégories susceptibles
d'être indemnisées font encore débat. Convient-il de
retenir le critère d'
héritage
, qui tire les
conséquences du fait que les versements russes tendent à
indemniser les porteurs, et non à les rembourser ? Ou bien vaut-il mieux
indemniser
tous
les porteurs
en vertu du principe
" en matière mobilière, possession vaut titre " ?
Cette dernière solution présenterait l'intérêt
d'éviter les complications liées à la reconstitution de la
provenance de titres réputés depuis si longtemps sans valeur, et
transmis de ce fait en dehors des successions.
Enfin, il importera de retenir un
barème d'indemnisation
, en se
fondant soit sur un taux unique, soit sur des taux différents en
fonction des créances (titres indexés sur l'or, titres d'Etat,
actions et autres créances).
Les difficultés posées par le règlement des
créances de l'empire russe relèvent désormais de
décisions purement nationales
(modalités de recensement,
d'évaluation des biens, d'indemnisation, calendrier des versements). La
Partie russe a, pour sa part, montré sa bonne foi en s'acquittant de son
premier versement dans les quinze jours qui ont suivi la signature de l'accord
de mai 1996.
Les accords de novembre 1996 et de mai 1997 ne posent donc pas, en
eux-mêmes, de problème. Le sort des porteurs d'emprunts russes et
des Français dépossédés sera
déterminé par le texte -loi ou décret- qui tirera les
conséquences des engagements souscrits par les deux Parties en vertu des
deux accords qui nous sont soumis.
Au moment où la Russie subit des difficultés économiques
et budgétaires importantes, contrecoup de courageuses réformes,
il convient de
saluer le geste accompli par nos partenaires pour apurer un
contentieux vieux de quatre-vingts ans, et pour faire la preuve de sa
volonté de retrouver la confiance des investisseurs français.
Votre rapporteur ne saurait donc que conclure favorablement à l'adoption
du présent projet de loi.
EXAMEN EN COMMISSION
Votre commission des Affaires étrangères, de la
Défense et des Forces armées a examiné le présent
rapport lors de sa séance du mercredi 3 décembre 1997.
A l'issue de l'exposé du rapporteur, M. Xavier de Villepin,
président, est revenu sur la poursuite difficilement
compréhensible de la souscription d'emprunts russes après la
révolution de 1905, alors que les industriels et propriétaires
étrangers en Russie étaient confrontés à
l'hostilité des révolutionnaires russes.
M. Jean Clouet a relevé que le champ d'application des accords de 1996
et 1997 concernait, non seulement les emprunts russes, mais aussi les actifs
réels et, parmi ceux-ci, les biens industriels dont les
propriétaires avaient été dépossédés
en 1918 et pendant la deuxième guerre mondiale. Il s'est donc
interrogé sur la part qui reviendrait aux porteurs d'emprunts sur les
400 millions de dollars qui devraient être versés par la
Fédération de Russie entre 1997 et 2000. M. Jean Clouet a
également fait observer que l'entrée en vigueur immédiate
des accords de novembre 1996 et mai 1997 avait conduit à des
procédures différentes en France et en Russie, le Parlement
français étant seul appelé à se prononcer sur
l'approbation de ces accords.
M. Jacques Habert est alors revenu, avec le rapporteur, sur l'importance du
facteur patriotique dans le succès des emprunts russes en France. Il a
rappelé avec quel enthousiasme la France, isolée diplomatiquement
à la fin du XIXe siècle, avait accueilli l'alliance franco-russe,
cette ferveur pouvant expliquer l'indifférence relative de l'opinion
publique française à l'égard des événements
révolutionnaires en Russie. A cet égard, M. Claude Estier a
estimé que les insuffisances de l'information relative à la
Russie pouvaient être en partie imputées au souci de la presse
écrite française de l'époque d'assurer la publicité
des emprunts russes.
M. Jacques Habert s'est alors interrogé sur les critères qui
présideraient à la détermination des porteurs d'emprunts
ayant vocation à être indemnisés. M. Claude Estier a
remarqué que les décisions relatives à la
répartition des sommes versées par la Russie ne relevaient pas
directement des accords de 1996 et 1997.
M. André Boyer a évoqué le mécontentement et
l'impatience des associations représentant les porteurs d'emprunts
russes, s'interrogeant sur les délais qui caractériseraient
l'indemnisation de ceux-ci. Il a rappelé que, parmi les souscripteurs
français, figuraient de nombreux épargnants modestes dont la
situation économique avait été profondément
altérée par la répudiation des dettes du gouvernement
impérial par le gouvernement soviétique.
M. Christian de La Malène s'est alors interrogé sur les
conditions de la négociation qui avait conduit à la conclusion
des accords de 1996 et 1997, et sur la portée des avantages susceptibles
de résulter, pour chaque partie, du règlement de cet ancien
contentieux. Il a rappelé l'importance des efforts d'investissement mis
en oeuvre par les Occidentaux en Russie depuis la fin du XIXe siècle.
M. Claude Estier a souligné l'intérêt évident de la
Russie à clore un contentieux qui expliquait, dans une certaine mesure,
les réticences des investisseurs français sur le marché
russe, et qui était à l'origine de la fermeture des
marchés financiers français aux émissions de titres
soviétiques, puis russes, depuis 1918. Il a estimé que les sommes
qui seraient effectivement perçues par les porteurs français
d'emprunts russes ne pourraient être à la hauteur des espoirs
suscités par l'aboutissement des négociations bilatérales.
M. Xavier de Villepin, président, a estimé l'indemnisation
globale versée par la Fédération de Russie à 1 %
environ de la valeur des biens concernés par les accords de 1996 et
1997. Il a toutefois considéré que le règlement du
contentieux relatif aux créances françaises devait être
apprécié dans le contexte général de
l'amélioration des relations bilatérales franco-russes. Il a
évoqué les difficultés financières auxquelles
était confrontée la Russie, et espéré que celle-ci
pourrait mener à bien les versements prévus par le memorandum
d'accord de novembre 1996.
M. Maurice Lombard a alors rappelé que l'armée russe
s'était, en aidant la France à gagner la bataille de la Marne en
1914, acquittée d'une part importante des obligations souscrites par le
gouvernement impérial de Russie à l'égard des
souscripteurs français.
M. Xavier de Villepin, président, a enfin évoqué avec le
rapporteur une possible exonération fiscale des indemnisations qui
seront perçues par les Français lésés ou
dépossédés. la commission a alors, suivant l'avis de son
rapporteur, approuvé le présent projet de loi.
PROJET DE LOI
(Texte adopté par l'Assemblée nationale)
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif au règlement définitif des créances réciproques entre la France et la Russie antérieures au 9 mai 1945 sous forme de mémorandum d'accord, signé à Paris le 26 novembre 1996 et de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie sur le règlement définitif des créances réciproques financières et réelles apparues antérieurement au 9 mai 1945, signé à Paris le 27 mai 1997, dont les textes sont annexés à la présente loi 5( * ) .
1
Rapport présenté par M.
Georges Sarre au nom de la commission des Affaires étrangères de
l'Assemblée nationale (n° 433, XIe législature).
2
.Constantin de Grünwald,
Les alliances franco-russes
,
Paris, Plon, 1965.
3
Assemblée Nationale, session de 1919, n° 6036.
4
.L. Naudeau,
Les dessous du chaos russe
, Paris, s.d.
5
Voir le texte annexé au document Assemblée Nationale
n° 229 (XIe législature).