C. LE PÉTROLE
1. Les résultats du secteur pétrolier : la poursuite de l'embellie
Accroissement des marges de raffinage, hausse des
résultats dans la distribution et
forte croissance des
résultats affichés par les sociétés
pétrolières européennes
: le marché en 1996 et
1997 semble contredire les prévisions les plus pessimistes sur
l'évolution de l'aval pétrolier européen.
Dans le même temps, le dollar s'est apprécié d'environ
10 % par rapport à la plupart des devises européennes,
à l'exception de la livre sterling. On peut considérer que cette
évolution était, elle aussi, assez prévisible : elle
était attendue depuis longtemps par les analystes, même s'il
était néanmoins difficile d'en préciser la date. Or, une
grande partie des coûts des raffineurs européens étant
établis en monnaies nationales, toute hausse du dollar représente
un avantage significatif. Pour un opérateur basé en France, la
croissance moyenne de la marge de raffinage a donc été de
30 % en francs français entre le premier semestre 1996 et le
premier semestre 1997. Au niveau de la distribution, l'évolution
des marges a également été positive. La hausse moyenne,
tous produits confondus, a été de 9 % dans les pays de
l'Union européenne avec des écarts très significatifs d'un
pays et d'un produit à l'autre.
Dans ce contexte, les résultats affichés par les compagnies
pétrolières françaises sont positifs.
C'est ainsi que le chiffre d'affaires consolidé du groupe
Total
pour les trois premiers trimestres de 1997 s'établit à
143,3 milliards de francs, en croissance de
14,3 %
par rapport
aux trois premiers trimestres de 1996.
Dans les secteurs du pétrole et du gaz (amont et aval), cette croissance
s'explique :
- pour 70 % environ par l'effet combiné de la variation des
taux de change et des prix des hydrocarbures et des produits
raffinés ;
- pour 25 % environ par la progression de la production
d'hydrocarbures et l'augmentation des ventes de produits raffinés ;
- pour le solde, par la progression du chiffre d'affaires de
l'activité " trading ".
Sur la même période, le chiffre d'affaires du groupe
Elf
Aquitaine
enregistre une croissance de 14 %, pour s'établir
à 190,9 milliards de francs.
2. La situation structurelle du raffinage reste cependant préoccupante
a) Le raffinage doit rétablir sa compétitivité propre
Depuis 15 ans, en dehors de quelques années
exceptionnelles (contre choc pétrolier en 1986, guerre du Golfe en
1990...), les résultats économiques nets du secteur
raffinage-distribution ont été nuls ou négatifs du fait de
marges de raffinage très insuffisantes.
En 1995 et 1996, elles se sont avérées bien inférieures
aux seuils nécessaires pour couvrir les coûts d'exploitation et
plus encore pour financer les investissements à long terme. L'embellie
très conjoncturelle du quatrième trimestre 1996 ne
s'est pas maintenue au premier trimestre 1997.
Aussi observe-t-on une
réduction notable des budgets d'investissement
du secteur raffinage
: 3 milliards de francs en 1993 ;
2,3 milliards en 1995 ; 2,2 milliards en 1996 ; 1,2 milliard
prévu en 1999. Pourtant, l'adaptation aux évolutions de la
demande (moins d'essences et de fiouls lourds, plus de gazole) et aux futures
spécifications sur les carburants (moindres teneurs en aromatiques et en
soufre notamment) vont requérir des investissements qui se chiffreront
à plusieurs milliards de francs pour chacune des raffineries,
nécessitant leur conversion profonde.
Or, du fait du développement du marché spot du brut et dans le
souci d'améliorer leur gestion, les grands groupes pétroliers ont
séparé leurs activités d'exploration/production, de
transport, de raffinage/distribution et de pétrochimie et les ont
constituées en centres de profits autonomes, chaque segment devant faire
preuve de sa propre rentabilité.
b) Un problème européen...
L'industrie européenne de raffinage traverse
actuellement une période difficile, principalement due à des
surcapacités de l'ordre de 10 %.
Il en résulte des excédents de production,
particulièrement d'essences, qui tendent à maintenir
structurellement les marges de raffinage à un niveau faible. Ce
phénomène est encore aggravé par des
déséquilibres régionaux : les taux d'utilisation des
raffineries sont voisins de 70 % dans le bassin
méditerranéen alors qu'ils sont en moyenne de 90 % en Europe
du Nord-Ouest.
La situation va en s'aggravant car les accroissements de capacité
entraînés par la modernisation des installations sont plus rapides
que la croissance du marché. Pour y remédier, trois raffineries
ont été fermées en 1995 (deux en Allemagne, une aux
Pays-Bas), suivies aujourd'hui par une raffinerie au Danemark et une autre en
Angleterre. Ces cinq fermetures représentent une capacité globale
d'environ 20 Mt/an.
Il reste
toutefois encore une soixantaine de Mt/an à supprimer
dans les prochaines années
(à titre de comparaison, la
capacité française est de 92 Mt/an).
c) ... aggravé en France par des difficultés spécifiques
Ces difficultés sont les suivantes :
-
L'avantage fiscal donné au gazole déséquilibre
le marché français des carburants routiers
. Le gazole
représente ainsi 61 % des carburants routiers, alors qu'il
n'atteint que 48 % dans l'Union européenne. Il en résulte
une inadéquation de la production des raffineries françaises,
dont les unités mises en place dans les années 1980 avaient
été conçues pour une production maximale d'essence.
-
Le programme nucléaire a réduit la demande de fioul
lourd
à un niveau inférieur de 1,3 Mt en 1996 à
la production des raffineries. Ce produit sera de plus en plus difficile
à écouler compte tenu de la réduction des teneurs en
soufre autorisées.
-
La concurrence des grandes surfaces, qui distribuent désormais
plus de 50 % des carburants, ne permet pas à la distribution de
pallier les difficultés du raffinage
. Les prix hors taxes des
carburants et les marges de transport et de distribution sont les plus faibles
d'Europe, à l'exception du Royaume-Uni où les compagnies
pétrolières ont lancé à l'automne 1995 une
vive guerre des prix contre les grandes surfaces.
d) Quelles solutions ?
Le maintien d'une industrie française du
raffinage
étant indispensable à la sécurité de
nos approvisionnements en produits raffinés,
il doit constituer un
objectif prioritaire.
Il importe que la France ne prenne pas plus que sa part dans
l'inévitable réduction de la capacité européenne.
Dans cet esprit, les sociétés pétrolières
réalisent des études pour concevoir la meilleure adaptation des
schémas de raffinage, de façon à suivre les
évolutions prévisibles des marchés en France dans les dix
années à venir et à définir les mesures à
prendre en vue de rétablir la compétitivité du raffinage
français dans un contexte européen très concurrentiel.
Pour ce qui concerne les difficultés spécifiquement
françaises, les plus lourdes de conséquences sont l'écart
de fiscalité entre le super et le gazole et le niveau anormalement bas
des marges de distribution. Dans ces domaines, un premier pas a
été fait en 1996 avec la stabilisation en francs courants du
différentiel de taxe intérieure sur les produits
pétroliers (TIPP) entre le super et le gazole et avec un ensemble de
mesures législatives portant sur la distribution.
Le projet de loi de finances pour 1998
prévoit, quant à
lui,
un relèvement uniforme de la TIPP de 8 centimes par
litre
, en maintenant l'écart en valeur absolue entre les taxes sur
les différents carburants. En valeur relative, la hausse est cependant
plus forte pour le gazole (+ 3,4 %) que pour l'essence sans plomb
(+ 2,1 %). Ceci apparaît insuffisant.
Comme l'année dernière, votre commission souhaite que le
Gouvernement ait le courage politique de réduire cet écart.
Parallèlement, des solutions devront être trouvées pour que
la compétitivité du secteur des transports routiers et du secteur
automobile n'en souffre pas
.
3. Le problème du maintien des petites stations-services
Le nombre des stations-service est en décroissance
constante depuis 1975 où l'on en comptait 42.500 et
votre commission
s'inquiète de cette évolution très néfaste pour
l'aménagement du territoire
. Aujourd'hui, il n'en subsiste plus que
18.400, parmi lesquelles 11.000 sont à la marque des raffineurs,
3.900 appartiennent à la grande distribution et 3.500 sont libres.
Le maintien de ce réseau de distribution est important en raison du
service de proximité qu'il permet. Mais il l'est tout autant pour des
raisons de sécurité d'approvisionnement, comme l'a encore
démontré la crise de novembre 1996 (blocage des grands
dépôts par les camionneurs), ainsi que la grève
récente de ces derniers.
Aussi, le gouvernement a-t-il crée, en 1991, le Comité
professionnel de la distribution des carburants dont les missions principales
sont le soutien aux détaillants par des aides appropriées et
l'étude d'actions visant à adapter le réseau aux
conditions du marché européen.
Rappelons, par ailleurs, que le Parlement a adopté, en 1996, des
dispositions législatives concernant la distribution de carburants :
- la loi du 1er juillet 1996 relative à la loyauté et
à l'équilibre des prix et de la concurrence a abrogé
l'interdiction de refus de vente et durcit les sanctions applicables à
la revente à perte. Toutefois, elle n'a pas prohibé les offres ou
pratiques de prix abusivement bas appliquées aux carburants ;
- la loi du 5 juillet 1996 relative au développement et
à la promotion du commerce et de l'artisanat a renforcé ce
dispositif et soumis à autorisation la création ou l'extension de
toute installation de distribution au détail de carburant annexée
à un magasin de moyenne ou grande surface ;
- enfin, la loi de finances pour 1997 a élargi l'assiette de la taxe
d'aide au commerce et à l'artisanat. Le complément de ressources,
estimé à 60 millions de francs par an, devait permettre de
financer de nouvelles aides pour le maintien d'un réseau suffisant de
stations-service sur l'ensemble du territoire, notamment dans les
régions rurales.
Cependant
,
le Fonds destiné à
recueillir ces sommes n'a toujours pas été doté. Votre
commission souhaite que le ministre en précise les raisons et expose la
politique que le Gouvernement entend mener en faveur des petites
stations-service.
4. Le problème de la suppression de l'avantage fiscal lié à la provision pour fluctuation des cours
L'article 6 du projet de loi de finances pour 1998
prévoit la suppression de l'avantage fiscal lié à la
provision pour fluctuation des cours, les provisions constituées devant
être réintégrées par parts égales sur une
période de trois ans. Cette provision permet aux industries
transformatrices de matières premières -dont les compagnies
pétrolières- d'atténuer les incidences des variations des
cours internationaux des matières premières.
Or, cette mesure aurait pour inconvénient de frapper des
résultats indisponibles et non réalisés. Elle
entraînerait une ponction de plus de 3 milliards de francs
d'impôt qui, même étalée sur plusieurs années,
aggraverait encore la situation de l'industrie française du raffinage
alors même que sa situation est, on l'a vu, très
dégradée.
Au cours de la première lecture du projet de loi de finances,
l'Assemblée nationale a cependant adopté un amendement qui tend
à limiter les conséquences financières de cet article,
dans des conditions que votre commission estime cependant insuffisantes.