II. LE DISCERNEMENT ET LE COURAGE POLITIQUE AU CœUR D'UNE DÉMARCHE CONSTRUCTIVE POUR L'OUTRE-MER
L'année 1998 sera marquée, pour l'outre-mer, par trois grands dossiers : l'un est en cours de discussion et concerne le régime d'aide fiscale à l'investissement outre-mer, l'autre est un rendez-vous avec l'histoire et concerne la Nouvelle-Calédonie, le dernier est de réagir pendant qu'il en est encore temps à la dégradation de la situation en Guyane.
A. LA "LOI PONS" : UN DANGEREUX PROCÈS EN SORCELLERIE
1. Les grandes règles du régime d'aide fiscale à l'outre-mer
Le mécanisme institué par la loi Pons
prévoit un régime d'aide fiscale en faveur des investissements
productifs réalisé dans les départements et les
territoires d'outre-mer. Ce dispositif a été institué par
la loi de finances rectificative du 11 juillet 1986. Il a depuis lors,
été modifié à plusieurs reprises par les textes
suivants :
la loi de finances pour 1992 du 30 décembre 1991 qui a notamment
instauré la procédure d'agrément dans certains secteurs
économiques ;
la loi de finances rectificative pour 1993 du 22 juin 1993
la loi de finances pour 1994 du 30 décembre 1993
la loi de finances pour 1996 du 30 décembre 1995
Comme on le voit, ce dispositif qui a pour objet d'accorder une aide fiscale
aux investissements réalisés dans des secteurs
considérés comme prioritaires pour le développement
économique et social de l'outre-mer a donc été
régulièrement modifié afin d'adapter ce dispositif
à ces objectifs.
Ce régime fiscal comporte
deux aspects selon que l'investissement est
effectué par une entreprise ou par une personne physique
.
Le principe pour
les entreprises est une déductibilité de
leurs résultats imposables du montant des investissements qu'elle
réalisent
de façon directe ou par voie d'apports au capital
de sociétés soumises à l'impôt sur les
sociétés et qui exercent une activité dans les secteurs
éligibles à l'aide.
Les
personnes physiques
bénéficient quant à elle
d'une
réduction d'impôt
pour les souscriptions au capital
de sociétés qui réalisent des investissements dans ces
mêmes secteurs. Dès l'origine, ce dispositif prévoyait que
cette réduction d'impôt était égale à 50 % du
montant de l'investissement effectué pour les années 1986
à 1989, Cette réduction revenant
à 25 % pour les
revenus des années 1990 à 2005
.
Le montant de cette
économie d'impôt s'imputant par cinquième sur l'impôt
dû au titre de l'année de réalisation de l'investissement
et les quatre années suivantes
(article 199 undecies du
code général des impôts). A cet ensemble,
s'ajoute la
possibilité de déduire les déficits industriels et
commerciaux non professionnels du revenu global
. La combinaison de ces deux
avantages constitue un puissant "levier fiscal" d'incitation à
l'investissement outre-mer.
2. Un " levier fiscal " déterminant pour attirer les investissements outre-mer
La
décision d'investir en outre-mer
ne
relève pas, en général, d'une véritable
rationalité économique, dans la mesure où il s'agit en
général d'un contexte très risqué pour
l'investissement. Investir en outre-mer, du point de vue de l'investisseur,
relève en effet fondamentalement d'une
logique de capital-risque
.
Les " marchés " que constituent ces territoires comporte en
effet des caractéristiques difficiles dues, en particulier, à
leur faible dimension et à l'environnement très concurrentiel
dans lequel il se trouvent.
C'est pourquoi les Gouvernements successifs ont voulu tenter de
remédier au très faible flux d'investissement productif
qui caractérisait ces territoires avant l'institution de ce
régime d'aide fiscale.
Votre rapporteur tient ici à citer une partie des conclusions du rapport
d'information de M. Alain Richard alors rapporteur général de la
commission des finances de l'Assemblée nationale sur la fiscalité
dans les départements d'outre-mer (n° 2215 du 11 juillet
1991). Les conclusions de ce rapport sont d'autant plus marquantes qu'elles ont
été rédigées par une personnalité qu'on ne
peut guère suspecter de complaisance et à une époque
où le système d'incitation fiscale n'avait pas encore
été redéfini.
"
Ces critiques ne sont pas infondées, mais doivent être
maniées avec précaution. Somme toute, elles s'appliquent à
l'ensemble des aides fiscales et de plus elles restent difficiles à
évaluer concrètement, surtout si l'on admet que
l'abaissement
du seuil de rentabilité est la condition sine qua non de la
réalisation effective de l'investissement
." (p. 32)
"Des jugements contradictoires peuvent être portés sur ces
pratiques qui conduisent à conférer à des particuliers des
avantages très importants. On peut les condamner par principe ou les
admettre dans la mesure où
l'investissement réalisé est
utile à l'économie domienne
." (p. 34)
"Sur un plan général, la défiscalisation est certes une
aide publique et entre dans la panoplie des transferts de l'Etat vers ces
départements. Mais même dans cette optique, la
défiscalisation a tout de même
un mérite inestimable
comparée à la subvention. Elle ne correspond pas à une
logique d'assistance mais, au contraire, stimule l'initiative et favorise les
adaptations
. S'il s'agit d'une aide dispendieuse, et personne ne peut le
contester, il n'en reste pas moins qu'elle soutient un développement
économique plus sain que celui qui résulte des simples transferts
sociaux." (p. 36)
"Quoiqu'il en soit, le légitime souci d'éviter quelques
dérapages réels ne doit pas conduire à remettre en cause
un dispositif qui, globalement, fonctionne correctement." (p. 36)
Or, depuis cette date, un système d'agrément a été
mis en place pour contrôler la mise en œuvre de l'aide fiscale
à l'investissement outre-mer. Le tableau ci-dessous présente
l'économie de ce dispositif :
3. Un enjeu essentiel : l'équilibre économique et social de l'outre-mer
Quel que soit le jugement que l'on puisse porter sur la
"puissance" de l'incitation fiscale, force est de constater que
celui-ci est
à l'origine d'un flux d'investissements qui a atteint en 1996 5,6
milliards de francs, soit un montant supérieur à celui du budget
de l'outre-mer lui-même, dont le montant ne s'élève
qu'à 5,2 milliards de francs en 1998.
Le tableau suivant, extrait du dernier rapport annuel de la direction
générale des impôts sur la mise en oeuvre de
l'agrément prévu en faveur des investissement dans certains
secteurs économiques outre-mer, met en évidence la
répartition sectorielle et géographique de ces investissements.
Au regard de ces données, votre rapporteur considère qu'il serait
politiquement irresponsable de prendre le risque d'une forte diminution de ce
flux d'investissement sans avoir mesuré, au préalable et avec
précision l'impact de ce dispositif et, surtout, les modalités de
"sortie du système". En effet, il serait inadmissible d'envisager une
diminution de ce flux d'investissement sans avoir défini auparavant les
éléments d'un mécanisme de remplacement.