IV. PRESENTATION DE L'ARTICLE 67 RATTACHE AU PROJET DE LA LOI DE FINANCES
Cet article tend à revaloriser le montant de
l'unité de valeur servant à déterminer la dotation
affectée au barreau au titre de l'aide juridique.
Conformément à la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991
modifiée à l'aide juridique, l'Etat affecte chaque année,
à chacun des barreaux, une dotation représentant sa part
contributive à la rétribution des avocats accomplissant des
missions d'aide juridictionnelle, calculée en fonction d'une
unité de valeur de référence.
L'article 67 du projet de loi de finances pour 1998 propose de revaloriser
l'unité de valeur de 1,54 % en faisant passer son montant de 130
à 132 francs.
V. PRINCIPALES OBSERVATIONS
1. Un effort budgétaire réel mais qui ne sera efficace que dans la durée
Le projet de budget 1998 constitue un effort budgétaire
réel en faveur du ministère de la justice. Ce dernier voit ses
crédits augmenter de 4,03 % par rapport à l'année
dernière et atteindre 23,9 milliards de francs. Toutefois, votre
rapporteur voudrait replacer cette hausse dans son contexte. En 1995, une loi
de programme relative à la justice a été adoptée,
qui fixait des objectifs précis à réaliser sur cinq ans en
matière d'emplois et de crédits. Le projet de loi de finances
pour 1998 ne fait que s'y conformer, même s'il comble également
partiellement le retard pris l'année dernière.
En outre, ce budget ne se révélera à la hauteur des
compliments qu'il suscite que si aucun gel de crédit n'intervient durant
l'année 1998. Certes, la levée de tous les gels intervenus en
1997 par le nouveau gouvernement constitue un signe fort. Votre rapporteur
restera cependant attentif aux modalités d'exécution de ce budget.
Par ailleurs, cette hausse des crédits ne sera efficace que si elle
s'inscrit dans la durée. Votre rapporteur estime que le service public
de la justice ne pourra fonctionner correctement que s'il dispose d'un budget
d'environ 35 milliards de francs, ce qui nécessiterait,
au-delà de la loi de programme, une augmentation annuelle de
2 milliards du budget de la justice pendant 5 ans.
2. L'urgence de la réforme de la carte judiciaire
Votre rapporteur tient à rappeler que même si des
moyens supplémentaires sont indispensables pour assurer un
fonctionnement normal de la Justice, cette dernière ne répondra
aux défis auxquels elle est confrontée que par la mise en oeuvre
de réformes structurelles. La réforme de la carte judiciaire
constitue peut-être la plus urgente et la plus importante.
En effet, depuis 1958, la carte judiciaire n'a été
modifiée qu'à la marge, par la création des cours d'appel
de Metz, de Reims et de Versailles ou encore par la construction de tribunaux
autour de Paris à Créteil, Bobigny, et Nanterre. Or, la carte
judiciaire n'est plus adaptées aux évolutions économiques,
sociales et contentieuses et doit en conséquence être
réformée impérativement.
En outre, depuis de nombreuses années, votre rapporteur plaide pour que
le réseau des juridictions soit calqué sur celui des
administrations. Dans cette optique, le cadre naturel de la cour d'appel serait
la région et celui du tribunal de grande instance le département.
Cette réforme permettrait de prendre en compte l'attachement
légitime des contribuables à la notion de proximité de la
Justice tout en garantissant la mise en place d'un échelon
départemental fort. Les cours d'appel et les tribunaux de grande
instance actuels ne seraient pas pour autant supprimés mais
transformés en chambres détachées.
3. Pour une plus grande indépendance de la Justice
Le 29 octobre, Mme Elisabeth Guigou a
présenté en conseil des ministres un projet de réforme de
la Justice qui vise, notamment, à renforcer l'indépendance du
Parquet vis-à-vis du garde des Sceaux. Désormais, le Parquet ne
pourra plus recevoir d'instruction du minstre de la justice dans les affaires
individuelles et dans les conditions actuelles. Ce dernier continuera cependant
de fixer la politique pénale à travers des directives
générales adressées aux parquets, qui seront plus
précises et plus fréquentes que dans le passé. En outre,
il disposera, au nom de l'Etat, d'un droit d'action quand il souhaitera engager
des poursuites ou exercer des voies de recours.
Votre rapporteur est favorable à cette réforme, sous
réserve d'en connaître les modalités exactes. Toutefois, il
tient à rappeler que la subordination du Parquet au garde des Sceaux ne
constitue qu'un aspect du débat sur l'indépendance de la justice.
D'autres atteintes existent, certes moins connues du public mais tout aussi
inquiétantes.
La première consiste dans l'interférence du ministère de
l'intérieur et du ministère de la défense dans les
rapports entre le corps judiciaire et les services de police ou de gendarmerie
habilités à exercer des fonctions de police judiciaire. Certes,
la loi confie aux magistrats la direction, la surveillance et le contrôle
de la police judiciaire. Mais dans la mesure où les fonctionnaires de
police sont soumis à la hiérarchie administrative du
ministère de l'intérieur (et du ministère de la
défense pour les gendarmes), ce sont ces deux ministères qui
assurent en fait la direction de la police judiciaire. C'est pourquoi votre
rapporteur attend avec intérêt la réforme annoncée
par le garde des Sceaux, qui vise à redonner aux magistrats le
contrôle du travail de la police judiciaires par la signature de
protocoles d'accord entre le Parquet d'une part et les ministères de
l'intérieur et de la défense d'autre part, qui
préciseraient le nombre et la qualité des officiers et des agents
de police judiciaire affectés à une enquête.
Par ailleurs, il faudrait s'interroger sur l'indépendance des magistrats
vis-à-vis de la presse, vis-à-vis des organisations
professionnelles qui structurent cette profession, voire vis-à-vis
d'eux-mêmes, de leur milieu social, de leurs préjugés. Or,
votre rapporteur redoute que les dérives constatées portent
atteinte à la crédibilité de l'ensemble du corps
judiciaire. C'est pourquoi il estime indispensable que la plus grande
indépendance accordée aux magistrats s'accompagne d'une
responsabilité effective de ces derniers.
4. Les réformes "en panne"
Votre rapporteur voudrait évoquer un certain nombre de réformes "en panne" alors même qu'elles sont indispensables. Il s'agit par exemple de la réforme des tribunaux de commerce, des tribunaux de prud'hommes ou encore des cours d'assise. Certes, votre rapporteur défend le principe qu'aucune réforme ne doit être engagée si elle ne dispose pas des moyens financiers, matériels et humains pour sa mise en oeuvre. Toutefois, cet argument ne doit pas servir de prétexte à l'immobilisme. En outre, votre rapporteur tient une nouvelle fois à rappeler que ces réformes ne pourront aboutir qu'à condition de mettre fin aux surenchères sur la justice et de dépolitiser les débats.
5. La croissance inquiétante des frais de justice
Après avoir connu une forte croissance jusqu'en 1993, le rythme de progression des frais de justice s'est infléchi pendant trois ans. Toutefois, leur hausse semble de nouveau s'accélérer depuis 1996, avec un taux annuel supérieur à 10 %. Ainsi, le montant des frais de justice a doublé au cours des cinq dernières années, passant de 800 à 1.600 millions de francs. Certes, la complexité et la technicité croissante des affaires dont est saisie la justice nécessite un recours accru aux expertises. Toutefois, votre rapporteur a eu écho de gaspillages, reconnus par ailleurs par les magistrats, c'est pourquoi il tient à souligner la nécessité de développer un contrôle plus strict des dpenses relatives aux frais de justice. En effet, il serait fâcheux que la progression des crédits du ministère de la justice soit abosrbée par une croissance incontrôlée et excessive des frais de justice.
6. La distinction entre accès au droit et accès à la justice
Enfin, votre rapporteur souhaite réaffirmer avec
solennité qu'aucune réforme de l'institution judiciaire de pourra
échapper à la question fondamentale de la redéfinition des
missions de la Justice. En effet, la juridiciarisation croissante des questions
de société conduit la Justice à élargir à
l'infini le champ de ses interventions. Or, non seulement le manque de moyens
l'empêche de faire face à cet afflux de contentieux, mais son
image est brouillée, la Justice se transformant en réceptacle de
tous les dysfonctionnements sociaux. Cette tendance est également
favorisée par la multiplication des textes législatifs assortis
de dispositions pénales.
C'est pourquoi votre rapporteur estime urgent de rappeler que l'accès au
droit ne signifie pas l'accès à la justice. Au contraire, le
recours au juge dans certaines affaires doit être subsidiaire, lorsque
toutes les autres voies de médiation et de conciliation ont
été épuisées et doit servir uniquement à
trancher un conflit en disant le droit. Parallèlement, il faut mieux
informer nos concitoyens de leurs droits et de leurs devoirs et permettre aux
plus défavorisés d'avoir accès au droit.
En outre, il faut encourager le développement des modes alternatifs de
résolution des conflits. A cet égard, votre rapporteur,
même s'il défend l'aide juridirique dans son principe, regrette
que l'aide juridictionnelle absorbe la quasi-totalité des crédits
mis à sa disposition au détriment de l'aide à
l'accès au droit qui devrait être encouragée danvantage.
Il faut également poser le problème de la gratuité de la
justice et de la responsabilité des auxiliaires de justice dans la
juridiciarisation de la société.