b) Le mode de recrutement des jurés
L'élargissement de la population des personnes juridiquement aptes à remplir les fonctions de jurés ne suffit pas en soi à conférer au jury un caractère démocratique. Encore faut-il que le recrutement s'effectue hors de toute ingérence du pouvoir central. Ainsi, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 28 juillet 1978, intervenue le 1er janvier 1980, le recrutement des jurés s'effectuait largement au choix, en dépit des substantielles améliorations apportées aux XIXè et XXè siècles.
Dans le dispositif initial du code d'instruction criminelle, les jurés étaient tirés au sort sur une liste de trente-six noms choisis par le préfet.
La loi du 7 août 1848 transfère aux maires l'essentiel du pouvoir de décision : il leur appartient de dresser une liste générale parmi les électeurs remplissant les conditions légales d'aptitude ; une commission cantonale composée de maires et de conseillers municipaux et généraux opère une sélection sur cette liste ; les noms des jurés composant le jury de session sont ensuite tirés au sort.
Le Second Empire revient dans une large mesure sur ce dispositif. La loi du 10 juin 1953 confie le recrutement à des agents nommés par le pouvoir central : une commission cantonale, composée de maires nommés par l'administration et présidée par un juge de paix (qui ne jouit pas de l'inamovibilité) soumet à un commission d'arrondissement, présidée par le préfet, une liste comprenant un nombre de noms triple du nombre de jurés de la liste de session.
La loi du 21 novembre 1972 modifie la composition de ces deux commissions en supprimant notamment l'intervention du préfet :
- la commission cantonale comprend toujours un juge de paix, les maires de toutes les communes du canton et deux conseillers municipaux. Mais, depuis 1871, les maires des communes de moins de 20 000 habitants ne sont plus nommés par le Gouvernement ;
- la commission d'arrondissement est composée du président du tribunal civil, des juges de paix et des conseillers généraux de l'arrondissement.
En 1941, les élus sont écartés de ces commissions, ce qui renforce la mainmise du corps judiciaire sur le recrutement des jurés. Mais l'ordonnance du 17 novembre 1944 rétablit le dispositif de 1872.
Le code de procédure pénale de 1958 adapte ce système à la nouvelle organisation judiciaire : la commission cantonale est remplacée par une commission au siège du tribunal d'instance, comprenant le juge d'instance, les conseillers généraux et le maire de la commune où siège le tribunal ; la commission d'arrondissement est remplacée par une commission départementale présidée par le premier président de la cour d'appel et comprenant un juge de chaque tribunal d'instance, des conseillers généraux et le maire de la commune où siège la cour d'assises. Le président de la cour d'assises tire la liste de session à partir des noms retenus par cette seconde commission.
La loi du 28 juillet 1978 marque la fin de cette évolution en inversant le système appliqué jusqu'alors : désormais, les jurés ne sont plus tirés au sort parmi des personnes préalablement et discrétionnairement sélectionnées ; l'organe compétent se limite à vérifier que des personnes préalablement tirées au sort remplissent les conditions légales d'aptitude.
Le tirage au sort se retrouve à chaque étape de la formation du jury, qu'il s'agisse de la procédure préalable à l'audience ou de la formation du jury de jugement.
1.- La procédure préparatoire
Elle conduit à l'établissement d'une liste de session à l'issue d'un processus marqué par trois étapes :
· L'établissement d'une liste préparatoire de la liste annuelle
Pour chaque cour d'assises, et donc pour chaque département, la liste annuelle du jury criminel doit comporter un juré pour mille trois cents habitants, sans que le nombre total puisse être inférieur à deux cents. A Paris, cette liste comprend mille huit cents jurés.
Il appartient au préfet de répartir, en fonction de leur population, le nombre de jurés que les communes (éventuellement regroupées) doivent fournir.
Le maire tire alors au sort, publiquement, un nombre de noms triple de celui prévu pour la commune, et ce à partir de la liste électorale. Les personnes qui n'auront pas atteint vingt-trois ans au cours de l'année civile qui suit ne sont pas retenues.
La liste préparatoire ainsi établie, il appartient au maire :
- d'avertir les personnes tirées au sort, en leur demandant de lui préciser leur profession, et de leur rappeler leur faculté de demander une dispense si elles ont plus de soixante-dix ans ou pour motif grave ;
- d'informer le greffier en chef de la juridiction siège de la cour d'assises des inaptitudes légales qui, à sa connaissance, frapperaient les personnes portées sur la liste préparatoire.
· L'établissement de la liste annuelle
La liste annuelle est dressée par une commission présidée par le premier président (ou son délégué), lorsque la cour d'assises siège à la cour d'appel, ou par le président du TGI (ou son délégué). Elle comprend en outre :
- trois magistrats du siège désignés chaque année par l'assemblée générale de la juridiction, siège de la cour d'assises ;
- selon le cas, soit le procureur général, soit le procureur de la République (ou leur délégué) ;
- le bâtonnier de l'ordre des avocats de la juridiction, siège de la cour d'assises (ou son représentant) ;
- cinq conseillers généraux désignés chaque année par le conseil général.
Cette commission, qui se réunit au mois de septembre, exclut les personnes qui ne remplissent pas les conditions d'aptitude légales et celles qui ont rempli les fonctions de juré dans le département depuis moins de cinq ans.
La liste annuelle est établie par tirage au sort parmi les noms qui n'ont pas été exclus.
Cette commission dresse également une liste spéciale de jurés suppléants, lesquels doivent résider dans la ville siège de la cour d'assises. Le nombre de jurés figurant sur cette liste varie entre cinquante et cinq cent cinquante.
· L'établissement de la liste de session
Il résulte d'un tirage au sort effectué sur la liste annuelle, trente jours au moins avant l'ouverture des assises, par le premier président de la cour d'appel ou le président du TGI siège de la cour d'assises (ou par leur délégué).
La liste de session comprend trente cinq noms.
Sont également tirés au sort les noms de dix jurés suppléants sur la liste spéciale.