2. Le système retenu
a) La détention d'une créance par la SNCF sur RFN
Le montage financier retenu pour la reprise de la dette de la SNCF est original.
Il n'est pas exactement fidèle au concept de structure de cantonnement qui avait été évoqué dans le courant de l'année 1995 et qui, dès la discussion du projet de loi de finances initiale pour 1996, avait trouvé des partisans. En effet, les actifs attribués à RFN n'ont pas pour vocation a priori d'être cédés.
D'une certaine façon, le système retenu apparaît plus ingénieux : la détention de créances par la SNCF sur R.F.N. L'article 6 du projet de loi précise ainsi qu'une dette est inscrite au passif du nouvel établissement public.
Dans son principe, une telle mesure recueille l'assentiment d'une majorité des membres de votre commission. Elle est, il faut le souligner, conforme aux suggestions émises par cette dernière dès l'automne de 1995 [7] .
Pour autant, le montage proposé appelle une observation : il ne met pas fin, sur un plan strictement comptable, à l'endettement de la SNCF qui reste apparemment entier. Le système est celui d'une compensation et non celui d'un effacement ou d'une extinction.
La SNCF devra donc s'attacher à poursuivre l'effacement de son endettement. Les remboursements qu'elle recevra de RFN l'aideront à rembourser sa dette propre.
Votre commission tient, à ce moment du raisonnement, à marquer combien il est souhaitable que les modalités de la dette inscrite au passif de R.F.N. (durée, échéances, taux, conditions de remboursement) ne soient pas plus sévères que les conditions moyennes globales de la dette de la SNCF.
Il ne serait, en effet, pas convenable qu'un établissement public de l'État puisse, avec la sanction de la loi, " s'engraisser " aux dépens d'un autre.
Elle émet le regret que ces conditions n'aient pas pu, faute de l'achèvement d'un audit sur ce sujet, être transmises de façon intégrale à la commission lors de l'élaboration du présent rapport.
b) Pouvait-on aller au-delà du seuil de 125 milliards de francs ?
Bien entendu, les commentateurs n'ont pas manqué d'observer que le chiffre de 125 milliards de francs ne correspond pas à l'intégralité de la dette accumulée par la SNCF.
Des observations méritent d'être faites à cet égard.
* Le chiffre de 125 milliards de francs est apparu relativement tôt au cours de l'année 1996, puisqu'il a été avancé par les ministres au cours des débats d'orientation devant les assemblées parlementaires au mois de juin.
On ne manquera pas d'observer que la grève de la fin de l'année 1995 aura fait substantiellement mûrir la position du Gouvernement sur ce sujet précis. En effet, votre commission des affaires économiques observait, dès novembre 1995 :
" L'État doit, à cet égard, prendre ses responsabilités. Dans le passé, la mise en place du service annexe de la dette avait constitué une réponse. Le moment est sans doute venu de procéder à la prise en charge par l'État d'une partie -à déterminer- de l'endettement accumulé par la SNCF. Le chiffre de 100 milliards de francs à prendre en charge a été avancé par le président de la SNCF en juillet 1995. " [8] .
La position du Gouvernement restait, alors, en deçà.
Lors de son audition par la commission des Affaires économiques, le 8 novembre 1995, M. le Ministre de l'Equipement, du Logement, des Transports et du Tourisme indiquait en effet :
" Dès 1995, la dette de la SNCF sera allégée de 37 milliards de francs, soit plus de 20 % de la dette de l'entreprise, par le transfert dans le service d'amortissement de la dette : 25 milliards au 1er janvier 1996 et 12 milliards au 31 décembre 1996.
" A compter des résultats de l'exercice 1997, un mécanisme d'allègement de la dette sera mis en place. Toute amélioration de un franc du résultat d'exploitation, hors concours publics, sera accompagné d'un allégement de la dette du même montant ; toute cession d'actifs visant à recentrer la SNCF sur son activité sera accompagnée d'un allégement de dette supplémentaire. L'État accompagnera ainsi le redressement de l'entreprise, mesuré à partir de l'ensemble des paramètres qui sont directement et uniquement de la responsabilité de l'entreprise. Selon l'ampleur du redressement, le montant de désendettement sur cinq ans pourra s'élever à plus de 100 milliards de francs ".
* Le chiffre de 125 milliards de francs était supposé correspondre à ce que représentait l'infrastructure dans la dette accumulée au 31 décembre 1995.
* Le chiffre de 125 milliards de francs a été calculé sur la base de l'exercice 1995. Il ne prend pas en compte l'endettement nouveau créé en 1996. On observera, en toute logique, qu'il est difficile d'évaluer précisément ce dernier chiffre dès lors que l'exercice 1996 n'est pas clos. Le chiffre de 16 à 20 milliards de francs a toutefois été avancé.
* Pour l'exacte évaluation de la mesure proposée, il importe de rappeler que le montant de dette subsistant au services annexe de la dette institué en 1990, soit quelque 30,7 milliards de francs reste pris en charge directement par l'État et, quoique figurant dans les comptes de la SNCF, ne pèse pas sur ceux-ci.
Ainsi, le chiffre précis de la dette à la charge de la SNCF était-il donc, pour 1995, de 208,5 - 30,7 = 177,8 milliards de francs.
C'est en déduction de ce dernier chiffre que vient s'imputer en déduction la créance que la SNCF va détenir sur RFN. La solde de dette restant à la charge de la SNCF représente donc, en fait, 52,8 milliards de francs, en 1995, auxquels il faut ajouter la dette nouvellement accumulée en 1996 actuellement évaluée à 16 ou 20 milliards de francs.
Au total, votre commission observe :
- que la somme de 125 milliards de francs ne représente effectivement pas une compensation intégrale de la dette accumulée ;
- que cette somme constituait une avancée considérable compte tenu de l'étroitesse des marges d'action actuelles en matière de finances publiques ;
- que le Gouvernement, à la demande de votre rapporteur, a fait connaître, le 8 janvier 1997, son intention de déposer un amendement portant de 125 à 134,2 milliards de francs le montant de la dette ainsi compensée, ce qui constitue un nouvel et très considérable effort.
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S'il paraît excessif de parler de révolution des esprits, depuis quelques mois, parallèlement au débat national qui se déroulait sur l'avenir de la SNCF, on a pu assister à une mise en cause, sinon à une disparition, de ce que certains n'hésitent pas à appeler le " triomphalisme " de l'établissement. Incontestablement, le corps de doctrine évolue au sommet, parmi les dirigeants de l'établissement.
Le souci accru, et clairement manifesté, du client, la renonciation progressive aux excès du perfectionnisme technique, la remotivation des ingénieurs, de la maîtrise et des agents dans leur masse est en cours : autant de signes encourageants.
Au-delà de ses aspects essentiellement juridiques et parfois peu compréhensibles du grand public, le projet de loi qui nous est soumis constitue une chance pour l'établissement, une chance presque historique , avec l'allégement de la dette, l'ouverture de financements régionaux et la clarification des responsabilités qu'il suppose.
Cette chance doit être saisie par la SNCF et par ses personnels. Tel est le sentiment fort et dominant de votre commission et de votre rapporteur.
Toute réforme touchant à la SNCF ne peut en aucun cas se confondre ou se comparer à d'autres situations et à d'autres réformes d'apparences similaires.
La SNCF, en effet, appartient à l'histoire technologique, économique, humaine et au patrimoine de la France et des Français. De ce simple constat, toute réforme qui la touche prend la dimension d'une quasi-révolution.
Au nom de l'on ne sait quel profond appel, s'y entrecroisent, souvent, dans les opérations, les attentes de modernité des uns, la consternation des déçus du rail, l'autodéfense spontanée et illégitimement soupçonneuse d'acquis sociaux que personne n'entend remettre en cause.
Au-delà des controverses profondes ou habiles, techniques ou financières, il faut aller à l'essentiel : donner au rail français toute sa place dans le transport du XXIe siècle.