Rapport 174
M. Paul MASSON, Sénateur
Commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale - Rapport 174 - 1996 / 1997
Table des matières
- INTRODUCTION
- EXAMEN DES ARTICLES
-
ANNEXE
AMENDEMENTS PRÉSENTÉS
PAR VOTRE COMMISSION DES LOIS
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relatif au renforcement de la lutte contre le travail illégal ,
Par M. Paul MASSON,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, Charles Jolibois, Robert Pagès, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud , Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Bernard Piras, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich.
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 10 ème législ.) : 3046 , 3190 , 3216 et T.A. 622 .
Sénat : 152 et 157 (1996-1997).
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le projet de loi relatif au renforcement de la lutte contre le travail illégal traite d'un sujet qui a donné lieu à de nombreux commentaires au cours des derniers mois.
Avant même son adoption par le conseil des ministres, MM. Charles de Courson et Gérard Léonard, parlementaires en mission, avaient remis au Premier ministre un rapport sur les fraudes et les pratiques abusives dans lequel de larges développements étaient consacrés au travail illégal.
Le projet de loi soumis à notre approbation a déjà fait l'objet à l'Assemblée nationale d'un rapport de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales ainsi que d'un avis de la commission des Lois.
Dans la perspective de son examen par le Sénat, notre excellent collègue Louis Souvet a rédigé, au nom de la commission des Affaires sociales, un rapport fort complet (Sénat ; 1996-1997, n°157).
Aussi, votre rapporteur pour avis ne croit-il pas utile de rappeler une nouvelle fois les inconvénients, le coût et l'évolution du travail illégal, ni de se livrer à une présentation détaillée dudit projet de loi. L'appréciation sur le fond relève d'ailleurs de la compétence de la commission des Affaires sociales.
Pour sa part, votre commission des Lois s'est livrée à une analyse juridique du dispositif adopté par nos collègues députés.
Elle a notamment veillé à ce que celui-ci respecte les principes fondamentaux du droit pénal et de la procédure, tant pénale que civile.
Dans cette optique, elle a émis un avis sur les articles premier A, premier, 2, 3 bis, 4, 6 terdecies, 7 ter et 8, ci-après commentés.
Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu'elle vous soumet, votre commission des Lois a émis un avis favorable à l'adoption du présent projet de loi .
EXAMEN DES ARTICLES
Article premier A
Sanction pour défaut de déclaration préalable à l'embaucheCet article a pour objet de modifier l'article L. 320 du code du travail lequel subordonne l'embauche d'un salarié à une déclaration effectuée par l'employeur auprès des organismes de protection sociale.
Le défaut de déclaration préalable est actuellement sanctionné de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, soit 10 000 F au maximum (art. R. 362-1 du code du travail).
Rapporteur pour avis au nom de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, M. Gérard Léonard a constaté que cette sanction n'était " que très peu ou trop tardivement appliquée pour être véritablement dissuasive ". Il a même ajouté qu'elle n'était " pratiquement jamais appliquée ".
Pour remédier à cette situation, il a proposé d'insérer le présent article premier A afin de substituer à l'actuelle contravention -qui devrait pour cela être abrogée par décret- une sanction administrative d'un montant égal à cinq cents fois le taux horaire du SMIC (soit environ 9 000 F).
Cette solution ne va pas sans soulever certaines difficultés aux regard des principes fondamentaux applicables en matière pénale, lesquels, selon le Conseil constitutionnel, " s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire " (décision n°88-248 DC du 17 janvier 1989). Deux situations doivent à cet égard être distinguées selon que le défaut de déclaration aura ou n'aura pas été intentionnel.
1. Première hypothèse : le défaut de déclaration volontaire
Cette hypothèse constitue un cas de travail dissimulé en vertu de l'article L.324-10 du code du travail tel qu'il résulte de l'article 2 du présent projet de loi. Celui-ci vise en effet expressément le fait de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 320.
Le défaut intentionnel de déclaration préalable à l'embauche est donc passible de deux ans d'emprisonnement et 200 000 F d'amende, peines prévues par l'article L. 362-3 du code du travail.
Dans ces conditions, l'article premier A apparaît sur ce point comme contraire au principe du non-cumul des peines puisque la même infraction -en l'occurrence le défaut de déclaration- pourrait donner lieu à une sanction pénale et à une sanction administrative. Certes, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel " cette règle n'a que valeur législative " et " il peut donc toujours y être dérogé par une loi " (décision n° 82-143 DC du 30 juillet 1982). Mais encore faut-il que cette dérogation soit nécessaire puisque, aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, " la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ".
Or, dans la mesure où le défaut intentionnel de déclaration préalable est déjà passible des peines, bien plus lourdes, prévues pour le travail dissimulé, une sanction administrative de 9 000 F ne semble pas " évidemment nécessaire ".
2. Seconde hypothèse : le défaut de déclaration involontaire
Dans cette hypothèse, l'article premier A, qui conduirait au prononcé automatique d'une sanction de 9 000 F par manquement, encourt un double grief :
- au regard du principe de l'individualisation des peines . Certes, comme l'a affirmé le Conseil constitutionnel, l'individualisation des peines n'a pas " le caractère d'un principe unique et absolu prévalant de façon nécessaire et dans tous les cas sur les autres fondements de la répression pénale " (décision n° 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981). Mais, quoique n'étant ni unique, ni absolu, ni supérieur aux autres, ce principe est expressément reconnu comme fondement de la répression pénale. Au demeurant, dans sa décision n° 93-325 DC en date du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel a jugé contraire aux exigences de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme une disposition entraînant " automatiquement une sanction - en l'occurrence l'interdiction du territoire pour une durée d'un an - sans égard à la gravité du comportement (...), sans possibilité d'en dispenser l'intéressé ni même d'en faire varier la durée " ;
- ensuite, au regard du principe de proportionnalité des peines . Par son caractère automatique et cumulatif (car la contribution de 9 000 F serait exigée pour chaque défaut de déclaration), la sanction prévue par l'article premier A pourrait, dans certaines circonstances, se révéler manifestement disproportionnée au manquement commis : pour prendre un exemple parlant, une personne qui créerait sa propre entreprise -et qui pourrait donc ignorer l'exigence de la déclaration préalable à l'embauche- et recruterait cinq salariés serait automatiquement sanctionnée de 45 000 F d'amende si elle procédait à la déclaration avec quelques heures de retard. Il va sans dire qu'une telle pénalité hypothéquerait sérieusement les chances de succès d'une initiative créatrice d'emplois.
A l'appui de l'article premier A, M. Gérard Léonard a évoqué à l'Assemblée nationale d'autres domaines dans lesquels le défaut de déclaration, même non intentionnel, entraîne déjà une sanction automatique. Il a notamment mis l'accent sur la matière fiscale. Mais c'est oublier que l'article L. 247 du livre des procédures fiscales permet à l'administration d'accorder des remises totales ou partielles d'amendes fiscales ou de majorations d'impôt. Il n'y a donc pas, contrairement au cas présent, d'automaticité absolue.
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Pour toutes ces raisons, il paraît juridiquement difficile de conserver en l'état l'article premier A.
Votre commission des Lois ne vous propose pas pour autant sa suppression pure et simple.
Il est en effet incontestable, comme l'a souligné M. Léonard, que la contravention prévue pour défaut de déclaration n'est qu'exceptionnellement appliquée ou ne l'est que trop tardivement pour être dissuasive. Selon les informations fournies à votre rapporteur pour avis, seulement 449 contraventions ont été prononcées en 1994.
Cela tient dans une large mesure à la nécessité de traduire le contrevenant devant le tribunal de police : dès lors que des circonstances laissent présumer que la sanction sera symbolique, la mise en oeuvre de la procédure contraventionnelle ordinaire apparaît trop lourde.
C'est pourquoi, pour les manquements les moins graves -et notamment pour les déclarations omises par un créateur d'entreprise ou pour celles effectuées avec un léger retard- la procédure plus souple de l'ordonnance pénale pourrait être envisagée.
Prévue par les articles 524 et suivants du code de procédure pénale, elle a vocation à s'appliquer aux contraventions de police.
C'est au ministère public qu'il appartient de choisir cette procédure. Le juge statue alors sans débat préalable par une ordonnance pénale portant soit relaxe, soit condamnation à une amende. Le ministère public peut faire opposition dans les dix jours de l'ordonnance. A défaut, celle-ci est notifiée au prévenu qui dispose de trente jours pour faire opposition.
En cas d'opposition du ministère public ou du prévenu, l'affaire est portée à l'audience du tribunal dans les formes de la procédure ordinaire.
A défaut d'opposition, l'amende est exigible.
Cette solution présenterait l'avantage de la souplesse non seulement quant à la procédure mais aussi quant au montant de l'amende, que le juge pourrait moduler en fonction des circonstances.
Elle serait particulièrement bien adaptée au défaut de déclaration préalable, manquement qui peut être bénin mais pour lequel un rappel à la loi est nécessaire.
En l'état actuel du droit -et sous réserve du cas particulier des mineurs- toutes les contraventions de police peuvent donner lieu à ordonnance pénale, à l'exception de celles prévues par le code du travail. Une telle exception s'explique par le souci du législateur de tenir compte de la particularité de la procédure pénale applicable en cas d'infraction au code du travail. Dans ce cas, en effet, la poursuite doit généralement être précédée d'une mise en demeure de se conformer à la réglementation, ce qui est apparu difficilement conciliable avec l'ordonnance pénale. Mais cette mise en demeure n'est pas exigée en cas de défaut de déclaration préalable à l'embauche.
Il est donc tout à fait concevable de modifier l'article 524 du code de procédure pénale afin de prévoir que l'ordonnance pénale demeurera exclue en cas d'infraction du code du travail sauf pour défaut de déclaration préalable à l'embauche.
Votre commission des Lois vous propose un amendement à cette fin.
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Article premier
Redéfinition du délit de travail clandestinCet article a pour objet de modifier l'article L. 324-9 du code du travail qui définit le travail clandestin (devenu travail dissimulé).
A l'origine, il visait simplement à distinguer plus clairement que ne le fait le droit actuel entre le travail clandestin par dissimulation d'activité et le travail clandestin par dissimulation de l'emploi de salarié.
L'Assemblée nationale l'a modifié afin de tenir compte de la nouvelle appellation du travail clandestin, devenu travail dissimulé.
Elle a également ajouté un paragraphe concernant le recours aux services de celui qui exerce une activité de travail clandestin.
En l'état actuel du droit, il est interdit de recourir " sciemment , directement ou par personne interposée ", à ces services.
L'Assemblée nationale a supprimé le terme " sciemment " pour supprimer le caractère intentionnel de cette infraction et rendre ainsi " plus aisée l'incrimination des donneurs d'ordre peu scrupuleux qui sont les véritables bénéficiaires du travail clandestin ".
Cette suppression pose à la fois un problème de fond et de technique juridique.
Sur le plan de la technique juridique, le problème, quelle que soit la solution retenue sur le fond, tient à la nécessité de coordonner les dispositions particulières du code du travail avec le principe général posé par l'article 121-3 du code pénal, selon lequel " il n'y a point crime ou délit sans intention de le commettre ". Dès lors :
- soit l'on estime que le recours involontaire à une entreprise se livrant au travail dissimulé doit être réprimé et il convient, pour éviter toute ambiguïté, non pas seulement de supprimer la référence au caractère intentionnel mais de déroger expressément au principe de l'article 121-3 précité en précisant que l'infraction est constituée en l'absence de tout élément intentionnel ;
- soit l'on estime que l'infraction doit conserver son caractère intentionnel. Mais alors, est-on sûr que le principe général de l'article 121-3 s'appliquera en l'espèce dès lors que nous serons dans le cadre d'une loi spéciale, postérieure au nouveau code pénal et que la lecture des débats de l'Assemblée nationale révélera que les députés ont entendu supprimer l'élément intentionnel ?
En d'autres termes, quelle que soit la solution retenue sur le fond, l'ambiguïté demeurera si la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale reste inchangée. Pour lever cette incertitude, il convient soit de réintégrer le terme " sciemment ", soit de préciser que l'infraction sera constituée en l'absence de toute intention délictueuse.
Sur le fond, la seconde branche de l'alternative paraît difficile à justifier : peut-on admettre que soit déclaré coupable de travail dissimulé (passible, rappelons-le, de deux ans d'emprisonnement) la personne, y compris le simple particulier qui, à son corps défendant, aurait eu recours, " par personne interposée ", à une entreprise se livrant à une activité de travail dissimulé ? En d'autres termes, peut-on exiger de chacun qu'il s'assure que son cocontractant respecte pour tous ses salariés toutes les obligations du code du travail ?
Dans ces conditions, la solution la plus satisfaisante -et qu'a d'ailleurs retenu la commission des Affaires sociales- serait de conserver le terme " sciemment " et donc de supprimer le III de l'article premier.
Tel est l'objet d'un amendement que vous soumet votre commission des Lois.
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Cet article a pour objet de réécrire l'article L. 324-10 du code du travail relatif au champ d'application du travail dissimulé.
Il apporte trois séries de modifications au droit actuel :
- il incrimine toute dissimulation intentionnelle de l'emploi de salarié sans exiger, comme c'est le cas aujourd'hui, que cette dissimulation soit liée à une activité exercée à but lucratif ;
- il répute travail dissimulé la méconnaissance de l'obligation de remettre un bulletin de paie ou d'effectuer une déclaration préalable à l'embauche. On rappellera que, en l'état actuel du droit, est réprimée la méconnaissance de deux formalités parmi, outre la remise d'un bulletin de paie, la tenue d'un livre de paie et celle d'un registre du personnel ;
- il répute coupable de travail dissimulé l'employeur qui remet un bulletin de paie mentionnant une rémunération qui ne correspond pas à la totalité des heures de travail effectuées.
L'appréciation de l'opportunité de ces modifications relève de la compétence de la commission des Affaires sociales.
L'examen du présent article 2 par votre commission des Lois s'est limité à la question suivante : faut-il, comme le prévoit cet article 2, conférer expressément un caractère intentionnel au délit de travail dissimulé ?
On pourrait en effet penser que, compte tenu du principe général de l'article 121-3 du code pénal, la preuve de l'intentionnalité devra être rapportée, même dans le silence de la loi.
Toutefois, le texte actuel du code du travail exigeant expressément ce caractère intentionnel, la suppression de la référence à celui-ci, a fortiori dans un code particulier et par une loi postérieure au nouveau code pénal, pourrait se révéler source d'ambiguïté. Votre commission des Lois a en conséquence estimé opportun de conserver cette référence dans le présent article 2.
Elle observe que le travail dissimulé est une infraction qui ne peut être commise que par l'employeur.
Ce champ d'application se justifie par le fait que la personne illégalement employée est bien souvent, plus victime que coupable.
On ne saurait cependant oublier que toutes les personnes illégalement employées ne sont pas à la limite de l'indigence. Certaines, notamment dans le secteur public, disposent d'un emploi fixe et occupent une partie de leur temps libre à se livrer à de menus travaux rémunérés.
C'est pourquoi, votre commission des Lois a demandé à votre rapporteur pour avis d'interroger en séance publique le Gouvernement sur les solutions qui pourraient être envisagées pour assurer le respect effectif du principe du non-cumul d'emplois.
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Article 3 bis
Responsabilité solidaire en cas d'emploi d'étrangers
sans titre de travailCet article a pour objet d'insérer au sein du code du travail un article L 341-6-4 prévoyant que les personnes qui ne se seraient pas assurées que leur cocontractant n'emploie pas d'étranger sans titre de travail seront tenues solidairement responsables au paiement de la contribution spéciale versée à l'OMI (dont le montant ne saurait être inférieur à 500 fois le taux horaire du SMIC soit à environ 9 000 F).
Cette responsabilité solidaire ne jouerait cependant que pour les contrats dont l'objet porte sur une obligation d'un montant au moins égal à 20 000 F. Ce contrat pourrait être conclu en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce.
Ce dispositif s'inspire directement de celui prévu par l'article L 324-14 du code du travail. Cette disposition impose de s'assurer que le cocontractant s'acquitte de l'ensemble des formalités requises par l'article L 324-10 sous peine d'être réputé recourir au travail clandestin. Toutefois, le particulier qui conclut un contrat pour son usage personnel, celui de son conjoint ou de ses ascendants ou descendants ne doit s'assurer que du respect par son cocontractant de l'une au moins de ces formalités.
La personne qui ne s'est pas ainsi assurée du respect par son cocontractant desdites obligations est tenue solidairement avec celui-ci au paiement de certaines sommes et notamment à celui des impôts, taxes et cotisations obligatoires dus par le travailleur clandestin au Trésor ou aux organismes de protection sociale.
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Bien qu'adopté par l'Assemblée nationale sur la proposition de sa commission saisie au fond et avec l'avis favorable du Gouvernement, le présent article 3 bis ne va pas sans soulever de difficultés, notamment pour ce qui concerne les contrats conclus par des particuliers.
Peut-on raisonnablement exiger d'un particulier qu'il s'assure que tous les salariés étrangers de son cocontractant sont titulaires d'un titre de travail ? Cela paraît d'autant plus difficile que le cocontractant emploiera parfois un nombre considérable de salariés (plusieurs dizaines de milliers pour une entreprise de construction d'automobiles).
Au demeurant, l'article 3 bis ne contient-il pas en germe un risque de distorsion de concurrence au préjudice des petites entreprises ? En effet, dans la mesure où, en cas de pluralité de cocontractants, la responsabilité solidaire sera partagée, ne sera-t-il pas préférable de s'adresser à une grande entreprise, dont les cocontractants se comptent par milliers, plutôt qu'à l'artisan ou au commerçant de quartier, qui ne passent qu'exceptionnellement des contrats supérieurs à 20 000 F -même si on peut supposer que, en pratique, le montant de la contribution exigée sera d'autant plus élevé que l'entreprise sera importante- ?
Pour tenir compte de ces objections, votre commission des Lois vous propose un amendement tendant à exclure du champ d'application du présent article 3 bis la personne physique qui conclut un contrat pour son usage personnel ou professionnel, celui de son conjoint ou de ses ascendants ou descendants.
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Article 4
Compétences des agents de contrôle
et procédure de contrôleCet article a pour objet de modifier l'article L. 314-12 du code du travail, relatif à la procédure applicable en matière de constatation des infractions à la législation sur le travail clandestin.
Il prévoit quatre séries de modifications.
· En premier lieu, le champ d'application dudit article L. 314-12 serait étendu : il ne concernerait plus seulement la constatation mais aussi la recherche des infractions en matière de travail dissimulé.
La limitation à la seule constatation s'est en effet révélée problématique pour certains agents de contrôle, en particulier pour ceux de la Direction générale des impôts (DGI) : alors que pour d'autres agents, tels les inspecteurs du travail, la recherche de ces infractions s'inscrit naturellement dans l'exercice de leur mission sans qu'il soit nécessaire de le préciser, les agents de la DGI ont pour vocation de veiller au contrôle du respect de la législation fiscale. Ce n'est qu'incidemment qu'ils peuvent avoir à connaître -à constater- une infraction de travail clandestin. Dans le silence de la loi, ils ne peuvent donc rechercher activement une telle infraction. Le présent article 4 reviendrait sur cette situation.
· La deuxième modification consiste à étendre la liste des personnes habilitées à constater -et désormais également à rechercher- les infractions de travail dissimulé.
En l'état actuel du droit, ces personnes sont :
- les officiers et agents de police judiciaire ;
- les agents de la DGI et de la direction générale des douanes ;
- les agents agréés à cet effet et assermentés des organismes de sécurité sociale et des caisses de mutualité sociale agricole ;
- les inspecteurs et les contrôleurs du travail ;
- les officiers et les agents assermentés des affaires maritimes.
Le présent article 4 ajoute tout d'abord à cette liste les contrôleurs et les adjoints de contrôle des transports terrestres -soit environ 370 personnes-.
Sur la proposition de loi de M. Charles de Courson, l'Assemblée nationale y a ajouté les magistrats de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes, à l'occasion de leurs contrôles, afin de lutter contre le travail dissimulé dans le secteur public.
· La troisième modification de l'article 4 consiste à préciser que les procès-verbaux des personnes habilitées à constater les infractions de travail dissimulé font foi jusqu'à preuve du contraire.
En l'état actuel du droit, cette force probante n'est conférée qu'aux procès-verbaux des agents de l'inspection du travail (article L. 611-10 du code du travail), de l'URSSAF (article L. 243-7 du code de la sécurité sociale) et de la DGI (article L. 238 du livre des procédures fiscales).
Ainsi, s'agissant des procès-verbaux des agents et officiers de police judiciaire, l'article 430 du code de procédure pénale considère qu'ils " ne valent qu'à titre de simples renseignements ". Toutefois, l'article 431 prévoit que " la preuve contraire ne peut être rapportée que par écrit ou par témoins ".
L'article 4 du présent projet de loi opère donc une harmonisation en conférant une force probante à tous les procès-verbaux qui constatent les infractions de travail dissimulé.
· La quatrième série de modifications prévue par le présent article 4 consiste à étendre les pouvoirs des agents de contrôle, notamment en les autorisant à se faire présenter :
- les documents justifiant qu'ont été effectuées les formalités requises sous peine d'être réputé coupable de travail dissimulé ;
- les document justifiant que l'entreprise s'est assurée que son ou ses cocontractants ont effectué lesdites formalités ;
- les documents relatifs aux prestations effectuées en violation de la législation sur le travail dissimulé.
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Outre un amendement purement rédactionnel, votre commission des Lois vous propose un amendement tendant à supprimer l'adjonction décidée par l'Assemblée nationale selon laquelle les magistrats de la cour des comptes et des chambres régionales des comptes peuvent rechercher et constater des infractions relatives au travail dissimulé.
Les règles applicables aux agents de l'Etat et des collectivités locales -qui ne relèvent qu'exceptionnellement du code du travail et donc des dispositions sur le travail dissimulé- ainsi que celles de la comptabilité publique -contrôle de légalité et séparation des ordonnateurs et des comptables avec tenue d'une comptabilité par le receveur municipal- sont de nature à prévenir le recours au travail dissimulé dans le secteur public.
Au demeurant, si, à l'occasion de leurs contrôles, les magistrats de la cour des comptes et des chambres régionales des comptes découvrent une infraction de travail dissimulé, il leur appartient d'ores et déjà -comme à toute autorité constituée et à tout fonctionnaire- d'en saisir sans délai le procureur de la République (article 40, alinéa 2, du code de procédure pénale).
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Cet article a pour objet de compléter l'article L. 516-2 du code du travail afin de permettre aux conseillers rapporteurs des conseils de prud'hommes d'obtenir sur demande écrite tous renseignements et tous documents nécessaires à l'accomplissement de la mission dont ils sont chargés par cette juridiction.
Comme l'ont fait observer à l'Assemblée nationale MM. Rudy Salles, rapporteur, et Jean-Yves Le Déaut, il s'agit de donner à ces conseillers les moyens d'investigation nécessaires en évitant qu'ils se voient opposer le secret professionnel dans l'accomplissement de leur mission.
En l'état actuel du droit, tel qu'il résulte de l'article R. 516-23 du code du travail, " le conseiller rapporteur peut entendre les parties.
" Il peut les inviter à fournir les explications qu'il estime nécessaires à la solution du litige et les mettre en demeure de produire dans le délai qu'il détermine tous documents ou justifications propres à éclairer le conseil de prud'hommes, faute de quoi il peut passer outre et renvoyer l'affaire devant le bureau de jugement qui tirera toute conséquence de l'abstention de la partie ou de son refus.
" Il peut entendre toute personne dont l'audition paraît utile à la manifestation de la vérité, ainsi que procéder lui-même ou faire procéder à toutes mesures d'instruction . "
Selon la chambre sociale de la Cour de cassation, il résulte de cette disposition que, " s'il est autorisé à mettre les parties en demeure de produire dans le délai qu'il détermine tous documents propres à éclairer le conseil de prud'hommes, le conseiller rapporteur n'a pas reçu pouvoir de se faire remettre ces documents contre le gré de leur détenteur " (17 octobre 1990).
L'article 6 terdecies reviendrait donc sur cette jurisprudence.
A l'Assemblée nationale, M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, a émis des réserves sur la nécessité d'un texte législatif, estimant que le problème pourrait être réglé par voie réglementaire.
Cependant, dans la mesure où il s'agit de déroger à la loi pénale sur le secret professionnel, une décision réglementaire serait vraisemblablement, conformément à la jurisprudence du Conseil d'Etat, entachée d'excès de pouvoir.
Toutefois, si, par son objet, l'article 6 terdecies entre bien dans la compétence du législateur, sa rédaction soulève plusieurs interrogations :
- son champ d'application, qui ne concerne pas le travail dissimulé mais l'ensemble des questions susceptibles d'être soumises aux conseillers rapporteurs, n'est-il pas trop large ?
- les pièces détenues par une partie ou par un tiers pouvant déjà être obtenues, en application des articles 138 à 142 du nouveau code de procédure civile, sur requête du président du Tribunal de grande instance, est-il nécessaire d'aller plus loin en conférant aux conseillers rapporteurs un pouvoir direct ?
- cet article ne tend-il pas à rapprocher les conseillers rapporteurs de ce que l'on pourrait appeler des " juges d'instruction en matière prud'homale " ? Dans l'affirmative, les conseillers rapporteurs pouvant faire partie de la formation de jugement, il y aurait sinon atteinte du moins une brèche au principe de la séparation des juridictions d'instruction et de jugement.
Compte tenu de ces interrogations, votre commission des Lois souhaite limiter le champ de l'article 6 terdecies au strict nécessaire c'est-à-dire à ce qui fut l'objectif de nos collègues députés. Cet objectif étant de permettre au conseiller-rapporteur de surmonter l'obstacle du secret professionnel, l'article 6 terdecies pourrait se limiter à imposer aux agents chargés du contrôle en matière de travail dissimulé à communiquer au conseiller rapporteur, sur sa demande, les documents qu'ils détiennent en ce domaine sans pouvoir opposer le secret professionnel.
Cette rédaction s'inspire de celle prévue par l'article L. 83 du livre des procédures fiscales en matière de contrôle fiscal.
Votre commission des Lois vous soumet un amendement à cette fin.
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Cet article a pour objet d'insérer au sein du code du travail un article L. 341-7-3 afin de prévoir que l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger ne disposant pas d'un titre de travail pourra être tenu de prendre en charge les frais afférents à la procédure d'éloignement susceptible d'être engagée à l'encontre de ce travailleur étranger.
Cette disposition pose un problème de technique législative en ce qu'elle concerne davantage la lutte contre l'immigration clandestine que la lutte contre le travail dissimulé. En effet, le fait d'employer un étranger sans titre de travail ne constitue pas un cas de travail dissimulé. L'adoption de l'article 7 ter pourrait à cet égard créer un amalgame -que l'Assemblée nationale s'est pourtant efforcée de prévenir-.
C'est pourquoi, sans se prononcer sur le fond, votre commission des Lois vous propose un amendement tendant à supprimer cet article.
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Article 8
Peine complémentaire d'interdiction
des droits civiques, civils et de familleCet article a pour objet de modifier l'article L. 362-4 du code du travail, relatif aux peines complémentaires encourues par les personnes physiques condamnées pour travail dissimulé, afin d'y ajouter l'interdiction des droits civiques et civils.
Selon l'article 131-26 du code pénal, il s'agit :
- du droit de vote ;
- de l'éligibilité ;
- du droit d'exercer une fonction juridictionnelle ;
- du droit de témoigner en justice autrement que pour y faire de simples déclarations.
Le projet de loi initial prévoyait également la possibilité pour le juge de prononcer la peine complémentaire d'interdiction des droits de famille, c'est-à-dire le droit d'être tuteur ou curateur. Cette faculté a été supprimée par l'Assemblée nationale au motif que le recours au travail clandestin n'avait aucun rapport avec la famille.
On peut adresser à cette augmentation une triple objection :
- tout d'abord, le recours au travail clandestin n'a pas davantage de rapport avec par exemple l'exercice du droit de vote, dont l'Assemblée nationale a pourtant permis de prononcer l'interdiction ;
- en deuxième lieu, la tutelle et la curatelle correspondent à un mandat de justice. Il n'y a rien de choquant à se demander -et non à exiger car le prononcé de la peine complémentaire est laissée à l'appréciation du juge- si une personne condamnée pour travail clandestin demeure digne de la confiance que le juge a placée en lui ;
- enfin, on ne saurait oublier qu'un tuteur doit être un modèle pour la personne dont il a la charge. Il peut y avoir des hypothèses dans lesquelles, par son comportement, le contrevenant représente, contrairement à ce qu'il devrait être, un véritable contre-exemple.
Pour toutes ces raisons, et dans la mesure où le juge appréciera en fonction des circonstances, la privation des droits de famille pourrait également être prévue à titre de peine complémentaire.
Votre commission des Lois vous propose un amendement à cette fin.
ANNEXE
AMENDEMENTS PRÉSENTÉS
PAR VOTRE COMMISSION DES LOIS
Article premier A
Rédiger comme suit cet article :
Au troisième alinéa (1°) de l'article 524 du code de procédure pénale, après les mots : " prévue par le code du travail ", sont ajoutés les mots : " à l'exception de celle prévue à l'article L. 320 dudit code ".
Article premier
Supprimer le paragraphe III de cet article.
Article 3 bis
Après le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 341-6-4 du code du travail, insérer un alinéa ainsi rédigé :
Les dispositions de l'alinéa précédent ne sont pas applicables à la personne physique qui conclut un contrat pour son usage personnel ou professionnel, celui de son conjoint, de ses ascendants ou descendants.
Article 4
Dans le quatrième alinéa (b) du 5° de cet article, remplacer le mot :
contractants
par le mot :
cocontractants
Article 4
Supprimer le dernier alinéa de cet article.
Article 6 terdecies
Rédiger comme suit cet article :
L'article L. 516-2 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
" Les agents de contrôle mentionnés à l'article L. 324-12 doivent communiquer aux conseillers rapporteurs, sur la demande de ceux-ci et sans pouvoir opposer le secret professionnel, les renseignements et documents relatifs au travail dissimulé dont ils disposent ".
Article 7 ter
Supprimer cet article.
Article 8
Rédiger comme suit cet article :
I.- L'article L. 362-4 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
" 5° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article L. 131-26 du code pénal, des droits civiques, civils et de famille ".
II.- Ce même alinéa est inséré après le cinquième alinéa (4°) de l'article L. 364-8