N° 93
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997
Annexe au procès-verbal de la séance du 21 novembre 1996.
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur la proposition de résolution de Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mme Danielle BIDARD-REYDET, M. Claude BILLARD, Mmes Nicole BORVO, Michelle DEMESSINE, M. Guy FISCHER, Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS, MM. Félix LEYZOUR, Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Louis MINETTI, Robert PAGÈS, Jack RALITE et Ivan RENAR, tendant à créer une commission d'enquête sur la situation du Crédit foncier de France,
Par M. Alain LAMBERT,
Sénateur,
Rapporteur général.
1 Cette commission est composée de : MM. Christian Poncelet, président ; Jean Cluzel, Henri Collard, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Philippe Marini, vice-présidents ; Emmanuel Hamel, René Régnault, Alain Richard, François Trucy, secrétaires ; Alain Lambert, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Bernard Barbier, Jacques Baudot, Claude Belot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Guy Cabanel, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Yvon Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Marc Massion, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Maurice Schumann, Michel Sergent, Henri Torre, René Trégouët.
Voir le numéro : Sénat :
508 (1995-1996).
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Une proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur la situation du Crédit foncier de France a été déposée le 20 septembre 1996 et renvoyée à votre commission des finances. Elle est signée par nos collègues Marie-Claude Beaudeau, Paul Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Cette proposition assigne notamment à la commission d'enquête, constituée de vingt-et-un membres, les deux missions suivantes :
- établir les responsabilités ayant conduit à la situation présente ;
- envisager les solutions économiques permettant le maintien et le développement des activités de l'établissement.
La possibilité de créer une commission d'enquête étant soumise à des conditions légales, votre rapporteur se doit d'abord d'examiner cette proposition au regard de ces conditions avant le cas échéant d'en étudier l'opportunité.
*
* *
La création d'une commission d'enquête parlementaire doit respecter l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ; ainsi que l'article 11 du règlement du Sénat.
L'article 6 de l'ordonnance de 1958 dispose notamment :
"Article 6 - I. - Outre les commissions mentionnées à l'article 43 de la Constitution, seules peuvent être éventuellement créées au sein de chaque assemblée parlementaire des commissions d'enquête ; les dispositions ci-dessous leur sont applicables.
Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées.
Il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter..."
L'article 11 (paragraphe 1) du règlement du Sénat le complète, notamment sur les conditions de procédure :
"Article 11 - 1. La création d'une commission d'enquête par le Sénat résulte du vote d'une proposition de résolution, déposée, renvoyée à la commission permanente compétente, examinée et discutée dans les conditions fixées par le présent Règlement. Cette proposition doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête doit examiner la gestion. Lorsqu'elle n'est pas saisie au fond d'une proposition tendant à la création d'une commission d'enquête, la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale est appelée à émettre un avis sur la conformité de cette proposition avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, modifiée, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. La proposition de résolution fixe le nombre des membres de la commission d'enquête, qui ne peut comporter plus de vingt et un membres..."
Les conditions de fond sont au nombre de deux. Elles déterminent quel peut être l'objet de la commission d'enquête, d'une part. Elles définissent les situations dans lesquelles celle-ci ne pourrait être créée, quand bien même cet objet serait de nature à autoriser la création d'une commission d'enquête, d'autre part.
S'agissant de la première série de conditions, votre rapporteur considère que la présente proposition porte bien sur des faits déterminés avec précision. Il s'agit en effet de la situation du Crédit foncier de France et de la crise que traverse actuellement cet établissement de crédit. Ce type de fait peut donner lieu à commission d'enquête. En 1993, votre commission avait ainsi accueilli une proposition de résolution tendant notamment à examiner la situation financière de la SNCF 1 ( * ) .
La question de savoir si cette proposition porte bien sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales serait plus problématique. Votre rapporteur l'examine ici pour mémoire, cette condition étant alternative à la précédente.
En effet, le Crédit foncier de France, entreprise privée, n'est pas une entreprise nationale. Ce n'est pas un service public, mais on pourrait admettre qu'il gère un service public dans la mesure où il est considéré comme un auxiliaire des pouvoirs publics dans le financement du logement aidé par l'Etat depuis la loi du 21 juillet 1950, notamment au travers de la distribution des prêts aidés à l'accession à la propriété (depuis 1977), dont il détenait un monopole jusqu'au 1er octobre 1995, conjointement avec les Sociétés anonymes de crédit immobilier et le Comptoir des entrepreneurs.
Votre rapporteur considère que la seconde série de conditions est également remplie. En effet, il ne lui apparaît pas que les procédures juridictionnelles en cours, certes liées à la situation actuelle du Crédit foncier, soient des poursuites judiciaires portant sur les faits dont la commission d'enquête aurait à connaître.
Trois procédures juridictionnelles concernant le Crédit foncier sont actuellement en cours, dont deux ont déjà donné lieu à un premier jugement.
La première est un recours formé par l'association des actionnaires minoritaires du Crédit foncier (ADAM) en annulation des deux premières résolutions adoptées par l'Assemblée générale du 28 juin 1996. L'ADAM faisait état d'irrégularités dans le vote de ces résolutions, et contestait la validité des comptes 1995. Le tribunal de commerce de Paris l'a déboutée de cette requête le 6 novembre. Bien que liés à la situation actuelle du Crédit foncier, les faits en cause n'ont pas donné lieu à information judiciaire, et ne correspondent pas à la demande de nos collègues de rechercher les responsabilités dans la situation actuelle du Crédit foncier.
La deuxième procédure est un recours formé par la même association contre le visa donné par la commission des opérations de Bourse à la note d'information que la Caisse des dépôts et consignations avait publiée en vue de lancer une offre publique d'achat sur les actions du Crédit foncier. La Cour d'appel de Paris a rejeté ce recours le 13 novembre. Votre rapporteur considère qu'un raisonnement identique peut s'y appliquer.
La troisième procédure est pendante devant la juridiction administrative. Il s'agit d'un recours pour excès de pouvoir, formé le 22 février 1995 par M. Alain Géniteau devant le Conseil d'Etat, et tendant à annuler le décret du Président de la République du 29 décembre 1994 nommant M. Jean-Pascal Beaufret sous-gouverneur du Crédit foncier. De la même façon, cette procédure ne constitue en rien une poursuite judiciaire, l'acte administratif en cause ne faisant nullement l'objet de la proposition de nos collègues.
En outre, votre rapporteur doit mentionner que le Parquet de Paris, saisi par le Gouverneur du Crédit foncier, a ouvert en mai 1996 une enquête préliminaire portant sur diverses opérations immobilières éventuellement délictueuses concernant une filiale du Crédit foncier. Cette procédure n'a pas à ce jour donné lieu à mise en examen. Si des poursuites devaient en résulter, l'appréciation sur les conditions de création d'une commission d'enquête pourrait être modifiée.
Toutefois, à l'instant précis de la rédaction du présent rapport, et sous réserve de l'avis que pourrait être amenée à émettre notre commission des lois, votre rapporteur considère qu'aucun obstacle de procédure ne s'oppose à la création d'une commission d'enquête.
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Une proposition de résolution analogue a été déposée à l'Assemblée nationale le 2 juillet 1996 par notre collègue député M. Jean-Jacques Guillet 2 ( * ) , et cosignée par 86 de ses collègues. Dans son exposé des motifs, M. Guillet fustige la responsabilité de l'Etat dans les difficultés du Crédit foncier. Il focalise son attention sur la compréhension des problèmes que connaît aujourd'hui l'établissement, et assigne deux objectifs à la commission d'enquête qu'il voudrait voir créer :
"- déterminer les conditions dans lesquelles s'est exercé sur le Crédit foncier de France la tutelle de l'Etat et les responsabilités de celui-ci dans la situation de cet établissement ;
- analyser les causes exactes des pertes subies par le Crédit foncier de France."
Il rejoint en cela les préoccupations de nos collègues, qui évoquent également la responsabilité de l'Etat. Ils rappellent notamment que le conseil d'administration du Crédit foncier comprend deux commissaires du gouvernement. Le député Guillet ajoute en outre que l'Etat nomme le gouverneur et les deux sous-gouverneurs, que la direction de l'établissement entretient des "liens étroits avec la direction du Trésor" et que des dirigeants de grandes entreprises publiques ainsi que le directeur du Trésor siègent au Conseil d'administration.
En revanche, contrairement à la proposition de nos collègues, celle du député Guillet n'a pas pour objet de s'intéresser à l'avenir de l'établissement. Au moment du dépôt de sa proposition, le gouverneur du Crédit foncier était en phase active de recherche d'un repreneur, qu'il devait trouver avant le 31 juillet 1996, dans le cadre du premier plan gouvernemental. En outre, si l'avenir du Crédit foncier paraissait à l'époque semé d'embûches, du moins son existence ne paraissait elle pas en cause puisque le point 5 du plan publié le lundi 23 avril 1996 contenait la disposition suivante 3 ( * ) :
"5. En toute hypothèse, le Gouvernement, attaché à la spécificité de l'institution et à la compétence de ses personnels, prendra toute disposition nécessaire pour que, après cette date et compte tenu de l'adoption et de l'engagement du projet de plan de restructuration, le Crédit Foncier puisse continuer à exercer ses métiers dans les meilleures conditions, notamment en respectant les règles prudentielles en vigueur."
Le Gouvernement n'aurait pu apporter de meilleure garantie, et c'est à juste titre que notre collègue député, bien que choqué de la situation du Crédit foncier, ne s'inquiétait pas de sa survie.
A ce jour, cette proposition de résolution, renvoyée devant la Commission des finances de l'Assemblée nationale, n'a pas fait l'objet d'un rapport.
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Afin d'examiner l'opportunité de la création d'une commission d'enquête sur le Crédit foncier, votre rapporteur se propose de répondre à deux questions. Une commission d'enquête est-elle nécessaire pour approfondir la connaissance de la situation du Crédit foncier ? Les deux objectifs de cette commission proposée par nos collègues sont-ils pertinents et dans l'affirmative, une commission d'enquête serait-elle un bon moyen de les atteindre ?
S'agissant de la première question, votre rapporteur considère que depuis la nomination de M. Jérôme Meyssonier à la tête de l'établissement, le 5 février 1996, la lumière a été faite autant que possible sur la situation réelle de celui-ci.
A la suite d'un examen approfondi des comptes et du patrimoine du Crédit foncier, le résultat net de la maison-mère est passé de +544 millions de francs en 1994 à - 10.363 millions de francs en 1995, celui de l'ensemble du groupe, de +274 millions de francs à - 10.751 millions de francs. En conséquence, les capitaux propres consolidés sont passés de 8,3 milliards de francs à - 2,4 milliards de francs. Le ratio européen de solvabilité 4 ( * ) est passé de 10,6 % au 30 juin 1995 à 0,5 % au 31 décembre.
Les causes de l'apparition brutale de ce très mauvais résultat sont aujourd'hui connues.
Pour une faible part, la perte a été liée à une chute du produit net bancaire (PNB) de plus d'un milliard de francs (de 5.788 à 4.768 milliards de francs) et du résultat brut d'exploitation (- 39 %) passé de 3,2 milliards de francs à 2,0 milliards de francs. La baisse du PNB était liée aux deux tiers à des éléments non récurrents.
Pour la plus grande part, cette perte provenait de provisions importantes passées au titre du patrimoine immobilier du groupe (- 4,7 milliards de francs) et au titre des activités de promotion immobilière en fonds propres et en crédit (- 6,3 milliards de francs). L'essentiel de ces activités, périphériques à l'activité principale de prêteur pour l'habitat des ménages, est logé dans des filiales. Au total, la charge de risque du Crédit foncier est établie à 13,6 milliards de francs en 1995, grâce à un audit mené par le Cabinet KPMG Peat-Marwick. En outre, une provision d'un milliard de francs a été passée pour faire face aux coûts de restructuration de l'établissement.
Cette opération-vérité a été d'autant plus sévère que le Crédit foncier avait continué de réaliser des opérations immobilières jusqu'à la fin de 1994, et que malgré des provisions déjà élevées en 1993 (2,2 milliards de francs) et 1994 (3,5 milliards de francs), il était loin des normes de provisionnement des risques immobiliers observées habituellement sur la place de Paris. L'institution financière se situe aujourd'hui dans la moyenne. A cet égard, l'accusation d'avoir noirci la situation, dont les dirigeants du Crédit foncier ont pu faire l'objet, doit être relativisée. Ils ont, au contraire, souhaité redonner sa crédibilité à l'établissement, notamment en vue de lui trouver un repreneur. Le tribunal de commerce de Paris, dans son jugement du 6 novembre, n'a pas décelé d'irrégularités dans l'établissement de ces comptes.
Malgré cette situation difficile, le gouverneur du Crédit foncier s'est toujours montré optimiste, considérant que la compétence et la capacité de production de l'établissement en matière de crédits au logement des particuliers lui permettraient de renouer avec les bénéfices. En juin dernier, M. Meyssonier espérait un résultat positif de 170 millions de francs en 1997 et 460 millions de francs en 1998.
Cet espoir s'est concrétisé plus rapidement que prévu puisque le premier semestre 1996 s'est soldé par un résultat positif de 402 millions de francs (contre 12 millions de francs pour la même période de 1995) pour l'ensemble du groupe et 1.020 millions de francs pour le Crédit foncier maison-mère. La production de crédits est certes en forte baisse : 9,9 milliards de francs en 1996 contre 19,3 milliards de francs en 1995. Cette chute est liée pour l'essentiel à la quasi-disparition de la production de PAP (1,6 milliard de francs contre 9,1 milliards de francs ; ces PAP ayant été autorisés avant le 1er octobre 1995 et mis en force 5 ( * ) après le 1er janvier 1996).
Selon le gouverneur du Crédit foncier, les trois quarts du résultat du groupe sont composés d'éléments récurrents ; une plus-value de 100 millions de francs ayant par ailleurs été dégagée grâce à la cession d'un encours de 6,9 milliards de francs de créances sur des collectivités locales au mois d'août. Les éléments récurrents du résultat sont liés à part égale à la baisse des taux d'intérêt et à une diminution sensible des charges d'exploitation (150 millions de francs chacun). La perception d'indemnités de remboursement anticipé de PAP (25 millions de francs) au cours du semestre a joué un rôle mineur dans ce résultat, d'autant qu'un montant égal à ces indemnités est immédiatement provisionné pour faire face aux coûts de restructuration de la dette qui résultent des remboursements anticipés.
L'AGEFI du 16 septembre commente ainsi ces résultats : "L'analyse comptable du résultat consolidé renforce [pourtant] l'idée que l'établissement, promis par les pouvoirs publics à une disparition programmée, apparaît viable économiquement sur ses métiers de base ".
Le gouverneur du Crédit foncier a confirmé cette analyse à votre rapporteur, et lui a fait notamment observer que la marge d'intermédiation moyenne obtenue par l'établissement serait de 1,25 %.
Toutefois, cette viabilité reste conditionnée à la reconstitution de fonds propres suffisants, et donc à la reprise du Crédit foncier par un établissement susceptible de l'adosser.
Votre rapporteur considère qu'il n'y a pas lieu de mettre en doute la parole et la sincérité des dirigeants actuels du Crédit foncier, aussi bien dans l'établissement des comptes de 1995, que dans leur analyse des résultats du premier semestre 1996. A cet égard, une commission d'enquête n'apporterait guère d'éléments nouveaux, tant la volonté de clarifier la situation paraît au coeur des préoccupations de l'actuel gouverneur.
S'il est probable qu'une commission d'enquête n'apporterait guère d'informations nouvelles sur la connaissance de la situation du Crédit foncier, il est en revanche, peu contestable qu'elle aurait une utilité dans la poursuite des deux objectifs que lui assignent nos collègues : l'établissement des responsabilités dans la situation ; la recherche d'une solution pour assurer l'avenir de l'établissement. La première recherche n'a pas encore été faite ; la seconde est actuellement controversée.
S'agissant de la question des responsabilités, votre rapporteur tient d'abord à rappeler que la crise immobilière que la France a connue à partir de 1990 est une crise mondiale qui a frappé sévèrement tous les pays industriels. Cette crise a été plus forte dans les pays scandinaves, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et au Japon qu'en France. Elle a été consécutive à l'éclatement d'une bulle spéculative qui avait pris partout une ampleur considérable. Ainsi, à Londres, l'indice des prix fonciers est passé de 300 en 1985 à 1.000 en 1988 pour chuter à 400 en 1992. Au Japon, alors que la part des crédits immobiliers dans les crédits bancaires était restée stable autour de 7 % pendant vingt ans, elle a brutalement progressé à partir de 1984 pour atteindre 17 % en 1990. Faut-il également rappeler que la faillite des Caisses d'épargne américaines (Savings and loans) a représenté un sinistre de 180 milliards de dollars (1.080 milliards de francs), que les créances douteuses des huit compagnies immobilières japonaises (Jusen) représentaient, en juin 1995, 2.340 milliards de francs, ou que les pertes sur crédit immobilier des banques ont représenté 15 % du PIB en Finlande ?
Tous les établissements financiers exposés sur le marché immobilier ont été touchés de plein fouet. Le Crédit foncier, qui est au coeur de ce secteur, pouvait difficilement y échapper. Il convient de remettre ses difficultés dans la perspective de ce problème mondial.
Ce constat étant posé, il n'en reste pas moins vrai qu'un domaine du financement immobilier a été moins touché que les autres : celui du crédit au logement des particuliers. L'exemple le plus manifeste de cet îlot de prospérité est donné par les sociétés anonymes de crédit immobilier (le groupe Crédit immobilier de France) qui parvient, depuis 1993, à réaliser un résultat net régulièrement supérieur à 800 millions de francs en prêtant à une clientèle modeste (les ménages touchant moins de 3 SMIC) que le reste du système bancaire juge en général insuffisamment solvable. Or, comme le Crédit foncier, les SACI participaient au monopole des prêts aidés à l'accession à la propriété (PAP), et se refinancaient auprès de lui. Le ratio de solvabilité des SACI avoisine aujourd'hui 20 %. Il peut être légitime de s'interroger sur cette différence de situation.
Cette interrogation peut porter sur deux aspects des responsabilités : celle des hommes ; celle d'un système de décision au coeur duquel se trouve l'Etat.
Pour votre rapporteur, la recherche de la responsabilité des hommes a un intérêt limité, sous réserve d'éventuelles infractions pénales. D'une part, on ne peut pas reprocher à des hommes de faire leur métier, surtout lorsque celui-ci traverse une crise grave et mondiale, qui dépasse largement leur action personnelle. D'autre part, et surtout, cette recherche n'aurait véritablement d'efficacité que si on pouvait établir que les pertes du Crédit foncier sont imputables à des personnes déterminées, et que ces personnes soient assez solvables pour lui rembourser ce qu'elles lui ont fait perdre. Il s'agirait en quelque sorte d'une mise en oeuvre de leur responsabilité civile. Compte tenu de l'ampleur des sommes en cause, une telle mise en oeuvre est impossible. La recherche de la responsabilité de personnes physiques paraît donc au mieux inutile.
La recherche des dysfonctionnements au sein du système de décision fait clairement apparaître la responsabilité de l'Etat. Votre commission s'est penchée à trois reprises dans la période récente sur ces dysfonctionnements, à l'occasion de missions d'information sur l'Etat-actionnaire, les sociétés de développement régional ou sur le système bancaire. L'Etat-banquier est mauvais actionnaire et mauvais tuteur, cette réalité est désormais bien établie. L'actuel ministre de l'économie et des finances est aujourd'hui aux prises avec les conséquences de cette situation qu'il avait diagnostiquée et qu'il a héritée.
S'agissant du cas particulier du Crédit foncier, la responsabilité de l'Etat est à la fois formelle et matérielle.
Sur le plan formel, l'Etat exerce de multiples influences sur l'établissement.
Celui-ci est certes entièrement privé, mais le Crédit foncier est un cas d'école de "gouvernement d'entreprise" : les actionnaires n'y ont aucun pouvoir, l'Etat les détient tous. En effet, les actionnaires du Crédit foncier ont toujours été dispersés. Ainsi, les deux tiers du capital sont aux mains de petits porteurs. Au 31 décembre 1994, l'actionnaire le plus important, l'Union de Assurances de Paris, ne détenait que 5,88 % du capital. L'actionnaire suivant était la Caisse des dépôts avec 5,16 %. Au 31 décembre 1995, le fonds américain Templeton Global Investors venait en tête avec 9,75 % devant l'Union de Banques Suisses (9,74 %), dont la participation est détenue pour compte de tiers. Les actionnaires les plus importants n'ont jamais formé de "noyau dur".
Aussi était il naturel que les actionnaires, jugeant n'avoir pu influer sur la gestion du Crédit foncier, n'aient pas accepté de le recapitaliser.
En revanche, auxiliaire de l'Etat dans le financement du logement 6 ( * ) , le Crédit foncier est étroitement dépendant de la tutelle de celui-ci. Les missions accomplies pour le compte de la politique du logement sont légales et réglementaires. Le gouverneur et les deux sous-gouverneurs sont nommés en Conseil des ministres. Ils sont généralement issus de l'Inspection générale des finances. L'un des censeurs du Conseil d'administration est nommé par le ministre chargé des finances. Il s'agit en général du directeur du Trésor. Celui-ci est par ailleurs commissaire du gouvernement. La direction du Trésor, notamment son bureau B3, chargé du financement du logement, exerce la tutelle de l'Etat sur l'établissement.
Votre rapporteur ne juge pas utile de critiquer une fois encore ce système, déjà dénoncé à maintes reprises. L'Etat se révèle incapable de gérer convenablement les établissements dont il a la charge : ce n'est pas sa mission, il n'est pas entrepreneur. Les fonctionnaires formellement chargés de ces dossiers n'ont pas le temps d'exercer leurs pouvoirs, qui exigeraient le travail d'une personne -peut-être de plusieurs- à temps plein par établissement. De plus, lorsqu'ils décèlent des anomalies, l'autorité politique ne suit pas toujours leurs recommandations.
Mais, au-delà de cette responsabilité formelle, il apparaît que l'Etat a eu une responsabilité matérielle dans les difficultés du Crédit foncier.
Bien entendu, la perte du monopole des PAP le 1er octobre 1995 n'est pas la cause première des difficultés du Crédit foncier. Celles-ci proviennent du patrimoine immobilier, des opérations de promotion et des créances sur les promoteurs, constitués avant la perte de ce monopole. Cette perte a néanmoins joué un rôle. Pour comprendre comment, il faut remonter aux années 1987/1988.
En 1988, le ministre de l'économie et des finances annonce officiellement à la direction du Crédit foncier qu'il entend mettre fin aux PAP et que le Crédit foncier doit se préparer à entrer dans un univers concurrentiel.
Depuis plusieurs années déjà, le ministère de l'économie et des finances cherche à supprimer ce prêt bonifié, en application d'un principe de libéralisation du crédit qu'on croyait à l'époque être un facteur de réduction des taux d'intérêt réels 7 ( * ) . Ainsi, le nombre de PAP inscrits au budget est passé de 150.000 en 1985 à 40.000 en 1991. De plus, le ministère utilisait les moyens réglementaires à sa disposition (régulation budgétaire, plafonds de ressources...) pour empêcher que les PAP inscrits en loi de finances initiale ne fussent effectivement consommés. En 1992, le point bas de la production de ces prêts a été atteint avec 36.500 unités. Votre commission a constamment dénoncé cette attitude par la voix de ses rapporteurs spéciaux des crédits du logement, Ernest Cartigny puis Henri Collard.
Le fonds de commerce traditionnel du Crédit foncier s'amenuisant, celui-ci dut mettre sa forte capacité de production au service d'autres activités. La diversification était vivement conseillée par la tutelle.
Naturellement, le Crédit foncier s'est tourné vers les autres marchés du financement immobilier. En 1988, ces marchés étaient en pleine euphorie spéculative, commencée depuis 4 ou 5 ans, mais qui s'accentuait fortement et ne devait durer que 2 ans de plus avant l'éclatement. Il est désormais admis que tous les organismes qui entraient à cette époque sur le marché étaient condamnés à connaître les pires difficultés.
C'est ce qui arriva au Crédit foncier. Celui-ci a amplifié sa diversification vers les crédits aux promoteurs (bureaux et logements) alors en pleine activité (et qui étaient donc fortement demandeurs) et vers des acquisitions patrimoniales (bureaux, hôtels). Il a ainsi notamment acquis dans cette période pour 7 milliards de francs d'immeubles, à crédit, qui lui ont occasionné 4 milliards de francs de moins-values.
Il est par conséquent indéniable que la perte progressive du fonds de commerce traditionnel du Crédit foncier -géré de façon administrative, mais peu risquée- l'a entraîné, en pleine période spéculative, vers la diversification qui cause aujourd'hui ses problèmes.
Les difficultés liées aux activités immobilières sont apparues dès 1993 et 1994, entraînant de fortes provisions et la baisse du résultat.
Fragilisé, le Crédit foncier ne réussit à se maintenir que grâce au monopole des PAP, fortement relancés en 1994, et qui lui ont permis de maintenir sa production de crédit.
Dans ce contexte de plus grande fragilité, le remplacement du PAP par une avance à taux nul distribuée par l'ensemble des établissements de crédit fut interprété par les agences de notation Moody's et Standard and Poors -ADEF comme un facteur très négatif sur les perspectives du Crédit foncier. Celles-ci dégradèrent aussitôt ses notes. Le renchérissement mécanique des conditions d'emprunt 8 ( * ) de l'établissement sur les marchés qui en résulta, a rendu très difficile le maintien d'une production de crédits concurrentiels avec des marges satisfaisantes.
Compte tenu de cette situation nouvelle, le nouveau gouverneur a estimé que le Crédit foncier devait se placer dans la perspective d'une restructuration profonde qui impliquait une évaluation des actifs à leur valeur liquidative (ce qui a entraîné le niveau de pertes enregistré en 1995).
Le communiqué publié par l'établissement le 29 avril dernier est parfaitement explicite à cet égard (extrait) :
"Dans un marché immobilier en crise persistante, le Crédit foncier a été conduit à examiner, dans une perspective de cession de certains actifs et de réorganisation profonde de ses activités, l'ensemble des risques, latents ou avérés, affectant ses métiers de prêteur aux professionnels, de promoteur et d'investisseur patrimonial. Ce changement de perspective est lié à la suppression de son quasi-monopole de distribution des prêts d'accession à la propriété, situation qui a entraîné un mouvement de défiance envers la société qui s'est traduit par des dégradations de sa notation et l'impossibilité de lever des capitaux suffisants compte tenu du renchérissement corrélatif de ses conditions de ressources.
C'est dans ce contexte que la direction du Crédit foncier et son conseil d'administration ont estimé nécessaire qu'il soit procédé, au-delà des travaux annuels de même nature déjà réalisés, à une revue approfondie des risques immobiliers du groupe et à l'estimation de la charge du risque y afférente."
La disparition du PAP est donc au coeur des difficultés du Crédit foncier. Dans un premier temps (1988), l'annonce de cette disparition, faite sans échéancier ni contrepartie, l'a entraîné au pire moment dans une diversification aventureuse. Dans un second temps (octobre 1995), cette disparition effective a assombri les perspectives du Crédit foncier, entraînant une restructuration qui aurait pu être moins drastique si une transition avait été ménagée entre la disparition du monopole et l'entrée dans la concurrence.
L'ancien gouverneur du Crédit foncier avait attiré l'attention du gouvernement sur les dangers d'une suppression brutale du monopole pour un établissement très fragilisé par la crise immobilière.
Le ministre du logement avait annoncé que des mesures transitoires seraient prises pour permettre aux détenteurs du monopole des PAP de passer le cap. Une seule mesure significative a été prise : l'autorisation pour le Crédit foncier de s'entendre avec la Poste pour l'octroi de prêt à taux zéro, non à toute la clientèle, mais exclusivement aux postiers et aux clients de la Poste titulaires de droits à épargne-logement. A ce jour, cette mesure n'a pas permis au Crédit foncier de maintenir sur le marché du prêt à taux zéro une activité approchant, même de loin, celle qu'il avait sur les PAP 9 ( * ) .
La mesure la plus efficace aurait été, dans un premier temps au moins, d'affecter un contingent d'avances à taux nul au Crédit foncier. Mais, dès lors que cette avance n'est pas globalement contingentée, une telle mesure était impossible à mettre en oeuvre.
L'Etat n'a donc pas su gérer la disparition du PAP dans des conditions satisfaisantes pour le Crédit foncier, et ceci depuis huit ans. S'il est exact que la création du prêt à taux zéro n'est pas la cause première des difficultés de l'institution, il est néanmoins difficile de nier qu'elle a été un facteur aggravant.
Aux yeux de votre rapporteur, la responsabilité de l'Etat semble donc établie, aussi bien formellement que matériellement. Mais cette responsabilité a été assumée.
En effet, dès octobre 1995, le gouvernement avait notamment motivé le plan de redressement du Comptoir des entrepreneurs par la nécessité d'éviter le contrecoup qu'aurait pu avoir la faillite de cet établissement sur le Crédit foncier avec lequel il avait des activités communes.
Par la suite, lorsqu'en janvier 1996, il s'est révélé impossible pour le Crédit foncier de lever des fonds sur les marchés, la Caisse des dépôts a mis en place une ligne de crédit de 20 milliards de francs extensible à 25 milliards de francs.
Au moment de l'annonce des pertes de l'établissement, le 29 avril 1996, le gouvernement a décidé d'apporter la garantie de l'Etat à l'ensemble de la dette du Crédit foncier, et s'est engagé à lui permettre de continuer ses activités (v. supra).
Le 26 juillet 1996, alors que la recherche d'un adossement avant la date du 31 juillet était infructueuse, l'Etat a décidé la nationalisation du Crédit foncier, en faisant lancer par la Caisse des dépôts une OPA à un prix très supérieur à celui du marché (70 francs contre 30 francs) pour éviter que les actionnaires ne soient excessivement lésés.
La question de savoir si l'Etat a suffisamment assumé ou non ses responsabilités dans cette affaire est un autre problème. En revanche, votre rapporteur considère qu'une commission d'enquête n'apporterait pas d'éléments nouveaux sur l'établissement des responsabilités. La recherche de la responsabilité de personnes nommément désignées serait douloureuse et au mieux inutile dès lors qu'aucune infraction ne pourrait leur être reprochée. La responsabilité de l'Etat, au coeur d'un processus décisionnel maintes fois dénoncé, est clairement acceptée par l'Etat lui-même qui le manifeste par ses interventions.
D'un point de vue plus général, votre rapporteur considère qu'il convient davantage de s'intéresser à l'avenir que de contempler le passé. Il avait soutenu cette thèse lors de la présentation des travaux du groupe de travail de la commission des finances sur le système bancaire.
Plus intéressante est donc la question de l'avenir de l'institution, qui est posée par le deuxième objectif assigné à la commission d'enquête que souhaiteraient créer nos collègues.
A cet égard, votre rapporteur tient à rappeler que la santé du Crédit foncier est une préoccupation constante de votre commission des finances qui suit de près les développements de la crise de l'établissement.
Ainsi, votre rapporteur a reçu M. Jean-Claude Colli, dès le 2 octobre 1995 dans le cadre des travaux que la commission menait alors sur le plan de redressement du Comptoir des entrepreneurs, et aussi en vue d'évaluer les conséquences du remplacement des PAP par des prêts sans intérêt distribués par tous les établissements. La commission a ensuite auditionné M. Jean-Claude Colli le 23 janvier 1996.
Puis, votre rapporteur et votre commission ont été en contact régulier avec M. Jérôme Meyssonier : le 22 avril (entretien avec votre rapporteur), le 13 juin (audition en commission) et le 3 octobre dernier (entretien avec votre rapporteur).
Par ailleurs, le président de votre commission, Christian Poncelet et votre rapporteur, n'ont pas manqué d'interroger à plusieurs reprises le ministre délégué au logement, M. Pierre-André Périssol et le ministre de l'économie et des finances, M. Jean Arthuis ; lors de leurs auditions devant la commission.
Enfin le président Christian Poncelet a entendu les syndicats du Crédit foncier le 5 novembre et M. Jérôme Meyssonier le 12.
La présente proposition de résolution est une des manifestations de cette constante attention, et à cet égard, votre rapporteur la juge légitime.
Mais, s'il y a accord sur l'objectif, encore convient-il de s'interroger sur l'adéquation d'une commission d'enquête à celui-ci.
L'avenir du Crédit foncier paraît actuellement tracé par le deuxième plan du gouvernement, dont les grandes lignes ont été publiées le 26 juillet dernier.
Il s'agit d'un dispositif en deux étapes.
Dans une première étape, actuellement en cours, le gouvernement procède à la nationalisation du Crédit foncier, par le biais d'une offre publique d'achat lancée par la Caisse des dépôts et consignations pour le compte de l'Etat 10 ( * ) . Cette offre publique, lancée le 9 septembre, doit être close le 22 novembre. Elle ne sera déclarée fructueuse que si les deux tiers des titres sont apportés.
La seconde étape, qui ne pourra débuter qu'après l'OPA, comporte deux volets. Le premier volet est la création d'une Caisse nationale de Crédit foncier, dirigée par l'actuel gouverneur. Elle serait chargée du bilan du Crédit foncier, mais cesserait toute activité commerciale 11 ( * ) . Le second volet consisterait à transférer la capacité de production de crédits, la gestion de l'encours de PAP (mais pas l'encours lui-même, qui resterait au bilan de la CNCF) et 1.500 salariés (sur un effectif de 3.215 au 1er janvier 1996, avant un plan social touchant 900 personnes) aux sociétés anonymes de crédit immobilier (SACI).
Ce plan, adopté le 29 juillet, paraît contradictoire avec l'attitude antérieure du gouvernement, si ce n'est sur la sécurisation de la dette obligataire (275,2 milliards de francs au 30 juin 1996, l'un des plus gros volumes après l'Etat), qui jouit par ailleurs d'un adossement statutaire 12 ( * ) . En effet, le gouvernement s'était engagé lors du plan d'avril au maintien en activité du Crédit foncier. En outre, cette attitude marque un changement par rapport au sauvetage du Comptoir des entrepreneurs, qui était dans une situation analogue vis-à-vis de l'Etat (qui n'en était pas actionnaire). Ce sauvetage, qui coûtera entre 10 et 15 milliards de francs au contribuable, avait été partiellement motivé par la nécessité de ne pas mettre le Crédit foncier en difficulté.
Il faut cependant prendre conscience que le gouvernement ne peut plus agir discrétionnairement dans ce genre d'affaires. La Commission de l'Union européenne admet de plus en plus difficilement les sauvetages d'établissements de crédit à l'aide de fonds publics. En effet, ces sauvetages, s'agissant d'établissements peu rentables, conduisent à maintenir en vie, aux frais du contribuable, des entreprises qui font une concurrence déloyale aux autres banques.
Ainsi, dès le mois de février 1996, la direction générale IV, chargée des questions de concurrence s'est penchée sur les aides que l'Etat pouvait apporter au Crédit foncier. Elle a décidé d'examiner la ligne de crédits accordée par la Caisse des dépôts et la garantie du passif obligataire décidée par le gouvernement. Elle recherche encore si l'action de l'Etat vis-à-vis du Crédit foncier n'est pas constitutive d'infractions au regard du droit européen de la concurrence.
Selon les informations dont dispose votre rapporteur, la commission de l'Union européenne ne désapprouverait pas le deuxième plan gouvernemental. Elle admet en effet l'intervention des Etats, mais à condition que le potentiel d'activité des entreprises ainsi secourues soit substantiellement réduit. A contrario, il paraît évident que la Commission n'aurait pas accepté une nationalisation doublée d'une recapitalisation qui rétablisse la capacité de production du Crédit foncier. L'attitude du gouvernement paraît avoir été dictée par la nécessité de réussir un compromis entre la sauvegarde des intérêts du Crédit foncier, de son personnel et de ses actionnaires, et le respect du droit européen de la concurrence.
Toutefois, depuis l'établissement du nouveau plan gouvernemental, deux éléments nouveaux sont apparus.
Le premier élément est la bonne tenue du Crédit foncier au premier semestre. L'intersyndicale de l'établissement en a tiré argument pour affirmer que l'établissement est structurellement rentable, ce qu'a confirmé le gouverneur qui table sur un bénéfice substantiel dès 1996. La viabilité est, selon eux, possible lorsque le Crédit foncier se sera restructuré et se sera recentré sur ses métiers de base (en se débarrassant de ses filiales), et s'il continue à réduire ses frais généraux. Cependant, elle reste subordonnée à une recapitalisation estimée, selon le gouverneur et les syndicats, à 2,7 milliards de francs. Après cette recapitalisation, le Crédit foncier pourrait offrir une rentabilité de 10 % (530 millions de francs de résultat net pour 5,3 milliards de francs de fonds propres).
Le second élément est l'apparition d'une réticence des sociétés anonymes de crédit immobilier sur ce dossier. Le conseil syndical du Crédit immobilier de France avait approuvé le principe de la reprise proposée par les pouvoirs publics le 10 septembre. Mais, le 5 novembre, il a annoncé qu'il pourrait y renoncer le 15 décembre si le gouvernement ne prenait pas, dans le cadre de ce schéma de reprise, de décisions de nature à conforter la notation internationale des SACI.
Il apparaît à votre rapporteur que les SACI n'ont accepté le schéma initial de reprise que parce qu'il comportait également le démantèlement du Crédit foncier, leur principal concurrent. En revanche, il ne pouvait s'agir pour elles que d'un "mariage de raison". Les SACI sont des petites structures de proximité, alors que le Crédit foncier est un gros établissement centralisé. La culture d'entreprise, les statuts sociaux, le mode d'organisation, tout est différent entre les deux établissements : un gros effort d'adaptation serait requis de part et d'autre. Les SACI ne pourraient vraisemblablement l'accepter qu'à des conditions draconiennes pour l'appareil de production et les personnels issus du Crédit foncier.
Il apparaît également que les SACI n'accepteront en aucun cas de prendre le risque de voir leur notation se dégrader (AA chez Standard and Poors, la meilleure possible étant AAA). Cette excellente note est la meilleure garantie de conserver des marges d'intermédiation satisfaisantes. Les SACI l'ont acquise grâce à l'exercice très rigoureux d'un métier difficile, dans lequel elles ont atteint un niveau d'excellence. Votre rapporteur est également soucieux de leur intérêt.
Ces deux éléments nouveaux redonnent de la crédibilité à l'hypothèse d'une survie du Crédit foncier.
Mais, comme lors du premier plan du gouvernement, cette survie n'est possible que par un adossement à un établissement qui pourrait consolider ses fonds propres avec ceux du Crédit foncier 13 ( * ) .
L'Etat n'a pas vocation à conserver le Crédit foncier dans son patrimoine. Toutefois, dans un premier temps, et en attendant une meilleure visibilité de l'avenir, il pourrait jouer le rôle d'un adosseur transitoire. Le Crédit foncier pourrait alors faire la preuve, ou non, de sa viabilité.
S'il est viable, alors l'établissement pourra être privatisé.
S'il n'est pas viable, alors il faudra se résoudre au scénario initialement prévu de liquidation progressive, sécurisée par l'Etat.
En tout état de cause, les prochains mois seront décisifs si l'on veut préserver les chances de survie de l'entreprise : il faudra chercher activement un repreneur. La sauvegarde de plus de 2500 emplois et d'un remarquable instrument de la politique du logement sont en jeu.
En conséquence, la période qui s'ouvre paraît mal choisie pour la mise en oeuvre d'une commission d'enquête de six mois qui constituerait un repoussoir pour d'éventuels repreneurs, qui auront à mener des négociations confidentielles avec le Crédit foncier et le gouvernement.
C'est donc en raison de l'inopportunité d'une telle perspective que votre rapporteur vous propose de ne pas donner suite à la présente proposition de résolution.
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Suivant la proposition de son rapporteur, la commission des finances a décidé de ne pas donner suite à la proposition de résolution de Mme Marie-Claude Beaudeau et des membres du groupe communiste, républicain et citoyen, tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation du Crédit foncier de France
* 1 Sénat n° 151 - Annexe au procès-verbal de la séance du 18 décembre 1992 - Première session ordinaire de 1992-1993
* 2 Assemblée nationale n° 2947 - Enregistré à la Présidence le 2 juillet 1996
* 3 Les deux plans du gouvernement, publiés respectivement le 23 avril et le 26 juillet, figurent en annexe du présent rapport.
* 4 Ce ratio fait figurer au numérateur les fonds propres et au dénominateur les crédits, pondérés selon leur degré de risque théorique. Il doit être supérieur à 8%
* 5 La mise en force d'un crédit signifie que son premier franc a été versé
* 6 En 1994, sur 45 milliards de francs de crédits de produits, 28 milliards de francs étaient encore aidés par l'Etat.
* 7 Votre rapporteur rappelle que les taux réels n'ont jamais été plus élevés dans l'histoire que dans la période 1986-1993
* 8 L'écart de taux de rendement entre les obligations du Crédit foncier et ceux des OAT de même durée, qui s'établissait traditionnellement depuis des années autour de 0,25/0,5 point a commencé à s'élargir rapidement à partir d'octobre 1995 pour atteindre 1,75 point en janvier 1996.
* 9 Au premier semestre, la Poste a distribué 1200 prêts à taux zéro pour le compte du CFF. Celui-ci détient 13 % de parts de marché, loin derrière le Crédit agricole (33 %). Le Crédit mutuel le devance légèrement (14 %).
* 10 Cette offre doit être financée par le fonds de réserve et de garantie des Caisses d'épargne pour 1,7 milliards de francs et par le fonds de réserve et de garantie du Livret d'épargne populaire pour 1,1 milliard de francs. L'Etat désintéressera ensuite les fonds d'épargne par une dotation en capital.
* 11 Votre rapporteur observe que si le gouvernement conçoit effectivement la création de la CNCF comme une structure d'extinction du Crédit foncier, cela ne résulte pas clairement du communiqué du 26 juillet.
* 12 Les encours de crédits sont affectés par privilège au paiement des emprunts ayant servi à les financer.
* 13 L'hypothèse, parfois évoquée, d'une reprise massive de provisions parait peu crédible, du moins dans l'immédiat. Aucun frémissement sur le marché immobilier ne justifierait que les actifs du Crédit foncier soient réévalués de 2,7 milliards de francs.