CHAPITRE III : LA POLITIQUE COMMUNAUTAIRE AUDIOVISUELLE ET L'ACTION AUDIOVISUELLE EXTÉRIEURE EN 1996
I. LA POLITIQUE COMMUNAUTAIRE DE L'AUDIOVISUEL
Pour mériter l'exception culturelle, l'Europe doit, avant la renégociation de l'accord portant sur les secteurs exclus, construire une industrie forte de programmes audiovisuels. Mais il ne faut pas baisser la garde.
Au Parlement européen, au cours de la renégociation de la directive Télévision Sans Frontières, la perspective du renforcement des quotas européens semble bien s'éloigner à tout jamais...
Raison de plus pour renforcer notre industrie de programmes audiovisuels avant que cette ligne Maginot, ainsi affaiblie, ne soit contournée par les satellites...
A. LA TENTATION D'ASSIMILER LES NOUVEAUX SERVICES AUDIOVISUELS AUX ACTIVITÉS DE TÉLÉCOMMUNICA TION
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a, dans un communiqué n° 333 du 25 octobre 1996, fait part de ses préoccupations face à plusieurs projets de textes en discussion au sein des instances européennes dans le domaine des nouveaux services de la communication audiovisuelle qui se développent dans le cadre des autoroutes de l'information.
1. Le droit communautaire de l'audiovisuel est de moins en moins influencé par le droit français
Au travers des différents textes de droit positif ou en cours d'élaboration dans le secteur audiovisuel, dans le secteur des télécommunications ou en matière de propriété intellectuelle, il est frappant de constater que les deux principes fondamentaux du droit français ne se retrouvent pas en droit communautaire : la distinction entre communication audiovisuelle et télécommunications n'a nulle part été précisée et le traitement juridique des services audiovisuels est lié à l'approche technique de leur prestation. Le traitement des nouveaux services qui en découle logiquement est donc inquiétant.
La distinction entre communication audiovisuelle et télécommunications n'a été précisée ni dans la directive 89/552 du 3 octobre 1989 sur la télévision sans frontières , ni dans la directive 90/388 du 28 juin 1990 modifiée relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunications , même si son article 1-1 excepte la radiodiffusion et la télévision.
Dans le même temps, est visé comme service de télécommunications, le téléachat.
Enfin, son premier considérant explique que le programme d'action de 1992 pour l'ouverture progressive des télécommunications à la concurrence « ne concerne pas les services de communications de masse dans le sens de la radiodiffusion ou de la télévision » .
Ainsi, la directive 90/388 peut prêter à une lecture tendant à qualifier de services de télécommunications de nombreux services qualifiés aujourd'hui de communication audiovisuelle en droit français : les services basés sur l'information, ayant pour objet l'accès à des bases de données, visés par cette directive relèvent du régime de la déclaration préalable applicable aux services audiovisuels (régime de la télématique, ou la plupart des serveurs Internet par exemple).
La proposition de directive relative à un cadre commun pour les autorisations générales et les licences individuelles dans le secteur des télécommunications fait appel à des concepts encore plus surprenants. En son article 1,2, elle dispose qu'elle « n'affecte pas les réglementations spécifiques adoptées par les États membres conformément au droit communautaire qui régissent la distribution des programmes audiovisuels destinés au grand public et le contenu de ces programmes » , sans définir les services audiovisuels, le terme distribution, les programmes audiovisuels et le grand public.
Il serait donc utile, dans l'ensemble des textes où cette distinction est pertinente que la distinction de droit français entre correspondance privée et communication au public soit reprise.
Non seulement la définition des services audiovisuels, lorsqu'elle existe, se fonde sur des critères techniques que n'admet pas le droit français, mais encore ces critères sont contradictoires d'un texte à l'autre.
Dans la directive 89/552 du 3 octobre 1989 sur la télévision sans frontières, la télévision est assimilée à l'activité de radiodiffusion. La notion de radiodiffusion englobe la redistribution filaire, contrairement au règlement des radiocommunications de l'UIT aux termes duquel cette notion renvoie nécessairement à l'espace hertzien.
Pour leur part, la directive 95/47 du 24 octobre 1995 relative à l'utilisation de normes pour la transmission de signaux de télévision (abrogeant la directive 92/38 du 11 mai 1992) emploie les termes « télévision », « services de télévision » ou « récepteurs de télévision » sans les définir nullement.
De même, la directive 93/83 du 27 septembre 1993 relative à la coordination de certaines règles du droit d'auteur et des droits voisins du droit d'auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble, utilise les expressions « émissions de télévision ou de radio » pour définir la retransmission par câble.
De cette absence de précisions, la commission croit pourtant pouvoir affirmer, dans le livre vert sur les droits d'auteur et droits voisins dans la société de l'information :
« le droit communautaire vise les activités de radiodiffusion à plusieurs endroits. Il ressort des différentes directives que la radiodiffusion est constituée de toute « émission primaire, avec ou sans fil, terrestre ou par satellite, codée ou non, de programmes (télévisés) destinés au public ». Ne sont pas visés les services de communications fournis de point-à-point et sur appel individuel » .
Cette estimation est hâtive et surtout inquiétante . En effet, la commission pourrait utiliser cette analyse pour distinguer les services traditionnels, dits de radiodiffusion, et les « nouveaux services ». Les premiers seraient des services de radiodiffusion point-multipoints, les seconds des services de transmission point-à-point. Aux premiers s'appliquerait la réglementation audiovisuelle traditionnelle, aux seconds une réglementation à venir.
2. La tentation d'exclure les nouveaux services de la réglementation audiovisuelle
Cette tentation se retrouve dans plusieurs documents :
a) Le Livre vert sur les nouveaux services
La commission y définit les nouveaux services comme des services interactifs dont le mode de transmission est à la fois numérique et point-à-point, destinés à communiquer des textes, des images fixes, des images animées ou une combinaison de ces informations, qui sont destinés au public en général et reçus sur un terminal muni d'un écran.
La commission vise ici Internet, le Vidéotexte, les services en ligne et la vidéo à la demande.
Certains services peuvent ainsi ne rentrer ni dans le champ d'application de la directive TSF, ni dans celui du livre vert. Ainsi tout service fourni sur appel individuel mais qui ne répondrait pas à l'ensemble des critères techniques énumérés dans ce livre vert ne serait soumis à aucune réglementation audiovisuelle communautaire.
b) Le questionnaire sur les droits d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information
La commission considère que les services point-à-point ne sont pas des services de radiodiffusion et qu'il pourrait être utile d'inclure la transmission numérique dans la notion de radiodiffusion par un régime spécifique.
Comme on l'a vu, cette approche n'est pas celle du droit français.
c) Le Livre vert sur les services cryptés
Afin de déterminer le champ d'application d'une éventuelle harmonisation, la commission européenne présuppose que, parmi les services cryptés « rentrent ainsi les services de radiodiffusion cryptés traditionnels (par câble, par voie hertzienne ou par satellite), les nouveaux services de radiodiffusion (télévision numérique, pay-per-view, presque vidéo à la demande) et les services de la société de l'information, à savoir les services fournis à distance électroniquement à la demande individuelle d'un destinataire des services (notamment vidéo à la demande, livraison de jeux à la demande, commerce électronique, services d'information multimédia). »
La commission distingue ainsi les services de radiodiffusion traditionnels, les nouveaux services de radiodiffusion et les services de la société de l'information.
Cette distinction est triplement contestable :
- opérer une distinction entre services nouveaux et services de communication audiovisuelle traditionnels ne se fonde pas sur des critères techniques précis ou simplement cohérents : les supports de diffusion empruntés sont les mêmes dans les deux cas ; certains des nouveaux services énumérés par la commission existent depuis plus d'une dizaine d'années ;
- opposer ces services à ceux « de la société de l'information » est également critiquable : les services qualifiés de « traditionnels » font naturellement partie intégrante des services fournis dans le cadre des autoroutes de l'information. Le fait que certains utiliseront la compression numérique n'en change pas la nature, et l'opportunité d'une telle distinction n'apparaît pas ;
- induire un traitement juridique différent pour des services de même nature n'est pas conforme à l'approche française, ci-dessus évoquée, des « nouveaux services ».
Ainsi dans les textes en cours d'élaboration, la commission européenne tente d'élaborer une différence de traitement entre « nouveaux services » et « services traditionnels ».
Pour la commission en effet, mais aussi pour la plupart des États membres, l'ensemble des services fournis sur appel individuel échapperait ainsi à l'application de la réglementation audiovisuelle traditionnelle. Les conséquences de ce raisonnement peuvent être extrêmement préjudiciables au moins pour deux raisons :
- la frontière entre communication audiovisuelle et télécommunications n'étant pas précisée, de nombreux services de communication audiovisuelle pourraient de fait être assimilés à des services de télécommunications ;
- la réglementation audiovisuelle traditionnelle a, par nature, vocation à s'appliquer à l'ensemble des services de communication audiovisuelle. Ainsi, plutôt que d'élaborer une nouvelle réglementation dans le livre vert sur les nouveaux services, il serait nettement préférable de réfléchir aux aménagements nécessaires de cette réglementation pour tenir compte des particularités techniques de certains services.
Tel est d'ailleurs le choix logiquement opéré par le Gouvernement et le Parlement français dans le cadre de la loi du 10 avril 1996.
Par ailleurs, assimiler juridiquement la vidéo à la demande ou l'ensemble des services en ligne à Internet est tout à fait contestable. Les problèmes juridiques posés par Internet, qui se réduisent essentiellement à des questions d'une part, de droit de la propriété intellectuelle et de droit pénal internationale d'autre part, sont sans commune mesure avec ceux d'un service de vidéo à la demande d'oeuvres audiovisuelles ou cinématographiques.
Ces dérives pourraient avoir de graves conséquences et vider de sa substance l'exception culturelle qui protège, au sein de l'Organisation mondiale du commerce, le secteur audiovisuel, et fonde la légitimité des obligations imposées aux opérateurs en protégeant les cultures européennes et nationales.
Si, en effet, les nouveaux services entraient dans le champ de compétence des télécommunications, ils échapperaient ainsi à toute préoccupation culturelle.
Votre rapporteur s'associe donc pleinement aux préoccupations du Conseil supérieur de l'audiovisuel.