II. OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR
- trois réserves à formuler
- trois propositions de clarification
- trois bombes à désamorcer
- trois pièges à éviter
I - Trois réserves |
1 - Les perspectives de ressources publicitaires paraissaient - dans ce projet de budget - bien optimistes pour 1997
Elles semblent (délibérément ?) trop optimistes. Espérons qu'elles ne seront pas irréalistes.
Rappelons que leur progression est inscrite pour près de 290 millions de francs pour France 2 (+ 14,5 %) et pour près de 560 millions de francs pour France 3 (+ 54,6 %). Les calculs de la tutelle ont pris en compte une stabilisation (en 1997) par rapport aux prévisions (faites à mi 1996) de recettes réelles des chaînes, mais non l'évolution de la conjoncture économique générale. Au contraire, si le contexte économique de fin 1996 se poursuivait en 1997, les ressources publicitaires des chaînes seraient en baisse : les budgets de communication, les plus flexibles, sont en effet les premiers touchés. Si le premier semestre (1996) a vu une progression de 11 % (par rapport à 1995), les trois premiers mois du second semestre (août, septembre, octobre) ont connu une nette diminution de cette progression. Ainsi, France Espace a-t-il communiqué un tarif moyen d'écrans publicitaires en baisse de 15 % pour mars 1997 par rapport à octobre 1996.
Dans un tel contexte, on pourrait craindre que les annonceurs ne sacrifient, au sein de leurs « plans média », les supports qui ont le plus faible GRP 6 ( * ) , comme France 3, laquelle bénéficie d'une audience plus faible que France 2 ou TFl. En outre, France 3 subit une érosion sensible de son audience depuis l'été 1996 (- 1,5 point) tout en paraissant rétrospectivement trop chère. Elle risque donc de perdre des parts de marché publicitaire au second semestre 1996 et en 1997.
2 - La participation financière de France Télévision au sein de TPS
Votre rapporteur est convaincu que la télévision publique ne doit pas manquer la révolution du numérique. Mais encore faut-il le faire dans de bonnes conditions. La participation de France Télévision au bouquet Télévision Par Satellite (TPS) appelle deux réserves.
La première est juridique. Le secteur public peut-il accorder l'exclusivité de la diffusion, même gratuite, des chaînes publiques à l'un des opérateurs plutôt qu'à un autre ? La décision du conseil de la concurrence du 19 novembre 1991, relative au marché des programmes de télévision réservés à la diffusion sur les réseaux câblés, par laquelle le conseil a enjoint aux câblo-opérateurs de supprimer les clauses d'exclusivité figurant dans les contrats de diffusion des programmes, ne doit-elle pas s'appliquer au marché numérique ?
La seconde est financière. Le coût total du bouquet est évalué à 4 milliards de francs d'ici l'an 2000, composés comme suit : la première tranche de financement est de 1,5 milliard. Si, 18 mois après son lancement, le bouquet compte au moins 200 000 abonnés, une seconde tranche de 1 milliard de francs sera appelée. Le coût d'un tel investissement est justifié par la nécessité de mettre en oeuvre les quatre éléments suivants :
- une politique d'achat de droits de diffusion,
- un système de gestion des abonnés,
- l'exploitation d'un système d'accès conditionnel,
- l'acquisition et l'entretien d'un parc de décodeurs.
La seule acquisition du catalogue Paramount s'élève à 100 millions de francs par an pendant cinq ans. La participation de France Télévision au capital de TPS est de 8,5 %. Le financement de la première tranche repose à moitié sur l'emprunt et à moitié sur l'appel de fonds aux actionnaires. France Télévision devra donc apporter 63,75 millions de francs en 1996 et 1997. Un montant de 55 millions de francs a été provisionné en 1996 et de 40 millions en 1997 ; ce qui est donc insuffisant, car l'appel de fonds se situera entre 55 et 65 millions de francs.
Le « ticket d'entrée » de France Télévision dans TPS pourrait ainsi s'élever à 340 millions de francs d'ici l'an 2000, le pôle public ne pouvant envisager un retour sur investissements avant de longues années.
Votre rapporteur estime que cette somme pourrait être mieux utilisée par France Télévision pour financer de nouveaux programmes et pour créer des chaînes thématiques plutôt que :
- s'engager dans un rôle de multiplexeur ,
- co-gérer des bouquets de services,
- assurer leur commercialisation,
- gérer le système de contrôle d'accès,
ce qui n'entre manifestement pas dans les missions ou dans la culture d'entreprise de France Télévision.
Précisons enfin que le secteur public agit en ordre dispersé puisque Radio-France est diffusée par CanalSatellite, RFI, actuellement diffusée sur Astra IC en sous-porteuse d'une chaîne de dessins animés, envisage d'être diffusée à la fois sur TPS et sur CanalSatellite, et ARTE négocie sa reprise sur des bouquets numériques Scandinave et italien ! |
3 - Des choix contestables d'économies dans le budget de l'audiovisuel public pour 1997
Au moment où les chaînes publiques doivent opérer des choix de développement importants pour leur avenir, compte tenu de l'émergence des technologies numériques, la réduction des financements publics ne constitue-t-elle pas un lourd handicap ? Certes, le secteur audiovisuel public doit participer à l'effort de réduction des dépenses publiques. Certes, votre rapporteur a réclamé, l'an dernier, que le secteur public puisse dégager des économies pour assurer les redéploiements nécessaires. Cet appel a été entendu puisque 500 millions de francs d'économies ont été réalisés, en 1996, par le secteur public de l'audiovisuel.
Les économies proposées ne semblent pas toutes judicieuses. Pour la seule et simple raison que ces économies sont tirées d'un rapport d'audit (au demeurant excellent), mais qu'elles ne font pas partie d'un plan de gestion d'entreprise. Et l'on retrouve là une conséquence de la catastrophe nationale qu'est le système français de l'audiovisuel public : des sociétés anonymes qui n'en ont que le nom ; des conseils d'administration qui n'en ont que le nom ; et, enfin, des relations équivoques avec l'État appelé l'actionnaire unique.
• S'agissant du rapprochement entre la SEPT
- ARTE et La Cinquième,
votre rapporteur s'est
prononcé, dès décembre 1995, en faveur d'une
« structure commune ». Dès l'origine, il a
préconisé la création d'une
holding
créée avec des apports à 50/50 et
non la
fusion d'une chaîne avec l'autre, voire l'absorption de l'une par
l'autre.
Plus fondamentalement, il importe d'aligner la politique de
diffusion de la SEPT sur ARTE-Deutschland et de mettre fin à l'isolement
actuel de la chaîne vis-à-vis du secteur public comme en
témoigne son récent refus -incompréhensible- d'adopter la
signalétique des diffuseurs concernant le degré de violence dans
les émissions de télévision. En tout état de cause,
votre rapporteur a toujours souligné que ce rapprochement était
subordonné à la concertation avec notre partenaire allemand, en
prenant exemple sur les méthodes germaniques : la
SudWestFunk
et la
Süddeutsche Rundfunk
n'ont-elles pas
décidé de démarrer un processus de fusion qui
durera...
deux ans ? Mais en Allemagne, les pouvoirs publics
tiennent peut-être compte des analyses et des suggestions faites par les
élus ?
Les économies demandées ne sont donc pas toutes pertinentes, parce que la spécificité du mode de fonctionnement des deux chaînes n'a pas été suffisamment prise en compte.
Pour la SEPT - ARTE, c'est le GEIE qui a compétence pour la conception générale et la définition de la grille alimentée sur la base du principe de parité entre les deux pôles d'édition ; c'est lui qui en fin de compte choisit le programme mis à l'antenne. Pour La Cinquième, la production est intégralement sous-traitée. Pour votre rapporteur, le rapprochement entre les deux chaînes passe par l'alignement de la politique de programmation de la SEPT sur celle de La Cinquième : la SEPT devrait donc sous-traiter sa production aux autres chaînes publiques françaises, comme ARTE -Deutschland le fait en Allemagne.
S'agissant de Radio-France, votre rapporteur souhaiterait que les économies, dégagées par mesures internes de redéploiement budgétaire, viennent au secours du développement de nouveaux supports technologiques comme le DAB, digital audio broadcasting, davantage que vers la création d'une « radio jeunes » dont le secteur public pourrait faire l'économie, tant sa viabilité est incertaine sur une bande FM où la concurrence est agressive... En outre, on ne crée pas une nouvelle radio avec 15 millions de francs. De plus, les crédits nécessaires à son démarrage devront être gagés par de nouvelles économies qui alourdiront d'autant le plan d'économie interne de la radio publique.
Les décisions d'économies liées à la diffusion posent une question de principe et une question de cohérence.
Sur le plan des principes, est-il admissible, au regard de l'autonomie des entreprises publiques, que l'État s'immisce dans les relations commerciales entre les sociétés du secteur public ? L'État a décidé des économies de diffusion de façon autoritaire, sans concertation, au mépris des relations commerciales et des contrats privés (lesquels font la loi des parties) conclus entre TDF et les diffuseurs, ce qui conduit TDF à réclamer des dédits importants.
Les décisions relatives aux économies de diffusion ont, bien évidemment, des répercussions sur le chiffre d'affaires de TDF, ce qui semble avoir été oublié par la tutelle lorsque cette décision a été prise.
Sur le plan de la cohérence, rappelons que l'une des mesures nouvelles importantes du budget 1996 était l'extension de la diffusion du cinquième canal sur le satellite et sur le réseau hertzien pour un montant total, concernant les deux chaînes, de 63,4 millions de francs.
- Afin d'étendre la diffusion hertzienne du cinquième réseau, approuvée par le Parlement, des contrats ont été conclus, en juillet 1996, avec TDF portant sur une commande de 400 émetteurs, pour un montant de 10 millions de francs. Trois mois après, ces contrats, auxquels participaient de nombreuses collectivités locales, furent remis en cause.
- La diffusion en analogique à partir du premier semestre 1996 de la SEPT - ARTE sur EUTELSAT, puis, de même que la Cinquième, en numérique, à compter du deuxième semestre 1996, est également remise en cause, alors qu'il s'agissait d'une mesure nouvelle présentée par le Gouvernement dans le précédent budget et approuvée par le Parlement.
- De même, Radio-France avait demandé à TDF, au mois de juillet 1996, d'investir dans le réseau OM et de le rénover...
Les économies imposées à France Télévision ne pourront être réalisées sans dommages
Les économies proposées paraissent difficile à atteindre. Côté dépenses, les conséquences de l'accord avec l'USPA (qui porte la contribution de la chaîne à l'effort d'investissement dans la production audiovisuelle à 17 % de son chiffre d'affaires), ce qui représente un montant d'environ 50 à 60 millions de francs pour chaque chaîne, n'ont pas été prises en compte. De même l'inflation des achats de droits sportifs et de films, conséquence de la bataille que se livrent les diffuseurs sur le marché numérique, se répercute sur les droits de diffusion des chaînes en clair, ce qui n'a pas non plus été pris en compte.
Pour France 2, les 205 millions de francs d'économies imposées au budget de programmes vont dépasser nettement les seuls postes de la renégociation des contrats avec les animateurs-producteurs (dont l'économie nette attendue est estimée à 140 millions en 1997) et la meilleure gestion des stocks de programmes et de droits par l'entreprise (60 millions d'économies attendues).
Si la renégociation des contrats des animateurs-producteurs a bien permis de faire 347 millions de francs d'économies, le coût des émissions de remplacement (251 millions de francs) n'a pas été pris en compte. L'économie nette réelle ne sera donc que de 69,6 millions de francs en 1997. Les évolutions à conduire dans la politique de dépréciation de France Télévision nécessiteront plus d'un exercice budgétaire pour être mises en oeuvre. Les économies ont donc été surestimées. En outre, elles sous-entendent une stabilité des coûts et du chiffre d'affaires de France 2, sans tenir aucun compte du budget rectificatif de 1996.
Pour France 3 , ni le retournement du marché publicitaire depuis l'été 1996, ni l'effet du rallongement des écrans publicitaires de TF1 n'ont été pris en compte. Les recettes publicitaires pour 1997 ont donc été surestimées. Il peut paraître également curieux d'exiger des économies de la part de France 3 sur ce qui fait la spécificité de sa ligne éditoriale, à savoir l'activité de production régionale.
Les vraies économies ne sont-elles pas ailleurs ? Mais il y a des tabous difficiles à dénoncer publiquement. Votre rapporteur en citera néanmoins deux : |
- la diffusion sur RFI en Ondes courtes. Elle est justifiée par des motifs de défense nationale et de « missions de souveraineté » : la métropole doit pouvoir joindre à tout moment ses ressortissants et ses réseaux diplomatiques. A l'heure des transmissions téléphoniques par satellite et d'Internet, ces motifs peuvent paraître désuets, voire technologiquement dépassés. Un audit technique pourrait donc être utilement réalisé à condition qu'il soit rapide et qu'il soit rapidement suivi de décisions !
De plus, le budget consacré à la diffusion en Ondes courtes devra être réduit, pour deux raisons : d'une part, les habitudes d'écoute se modifient dans les pays développés et l'écoute de la FM ou du satellite se substitue à celle de l'Onde courte, qui a tendance à disparaître dans ces pays ; d'autre part, les dépenses de diffusion ont trop vite progressé depuis 1995 sans que le volume des heures diffusées ait progressé de manière équivalente. Il faudrait donc que RFI privilégie à nouveau le contenu sur les tuyaux. La prochaine étape devra développer la diffusion sur les satellites de réception directe.
- les budgets de certaines stations de RFO paraissent exorbitants. Est-il raisonnable que la France - au nom de la continuité du service - consacre presque 70 millions de francs pour financer une soixantaine d'emplois à la station RFO de Saint-Pierre-et-Miquelon (6 400 habitants), alors que cet archipel est situé à quelques kilomètres du plus grand marché audiovisuel du monde et du Canada francophone ? ... Les mêmes interrogations valent pour Wallis-et-Futuna (36,4 millions de francs, pour desservir 13 700 habitants), ou Mayotte (32,3 millions de francs, pour 100 000 habitants). A l'heure du numérique, cette situation paraît dérisoirement (ou délicieusement ?) anachronique.
Au delà, c'est bien le devenir de RFO qui doit être réexaminé à l'aube de la révolution numérique. Ces budgets pourraient être utilisés plus rationnellement, en louant des capacités satellitaires qui permettraient de transporter directement les programmes des diffuseurs nationaux, pour un coût certainement inférieur et en rapprochant les programmes de RFO de ceux de la métropole, ce qui devrait être un objectif prioritaire.
II - Trois propositions de clarification |
* 6 Great rating point : coût nécessaire pour diffuser un message susceptible de toucher 1 % de la cible choisie.