B. LES ORIENTATIONS BUDGÉTAIRES DE L'ITALIE

1. Une réduction des dépenses engagée dès 1993

La réduction du déficit structurel pendant la récession de 1993 s'est opéré plus rapidement que dans les autres grands pays de l'OCDE. Le budget de 1993 a constitué un tournant dans l'histoire budgétaire de l'Italie. Ayant obtenu des pouvoirs spéciaux, le Gouvernement a réduit les dépenses primaires dans quatre grands domaines : l'emploi dans le secteur public, les pensions, la santé et le financement des collectivités locales. Le déficit de l'État a ainsi pu baisser, se réduisant de 155 900 milliards de lires en 1992 à 154 400 milliards en 1993 (472 milliards de francs 17 ( * ) ), soit 9,9 % du PIB, malgré une contraction de celui-ci de 0,7 %. Ce déficit masque en réalité un solde primaire en excédent, en 1992 comme en 1993, de 4 % du PIB cette année-là, soit le meilleur résultat de l'Italie depuis plus de 20 ans. Il cache également une exécution en dérapage. En 1994, le besoin de financement de l'État devait être ramené à 144 200 milliards de lires, soit 8,7 % du PIB (496 milliards de francs 2 ). Toutefois, le déficit réel s'est élevé, après ajustement budgétaire de 38 500 milliards de lires, à 182 500 milliards, ou 10,6 % du PIB, soit 627 milliards de francs.

2. Un « programme de convergence » fondé sur une vigoureuse progression de l'excédent primaire...

L'Italie s'est donc engagée dès 1994 dans un programme de réduction des dépenses publiques, comprenant une réduction des investissements, des transferts aux collectivités locales, aux établissements publics et aux entreprises publiques, une diminution des pensions publiques, une importante réforme des marchés publics, une réduction des dépenses de santé -constituée par une diminution globale du remboursement du prix des médicaments-, et enfin des mesures de freinage des rémunérations dans le secteur public : réduction des traitements réels des fonctionnaires et gel des embauches. Au titre des nouvelles mesures fiscales on pouvait relever une augmentation du taux intermédiaire de la TVA.

Le retournement conjoncturel menaça cependant dès mars 1994 de creuser le déficit plus qu'il n'était prévu. En juillet 1994, des mesures complémentaires de rigueur budgétaire vinrent contenir le déficit à 154 000 milliards de lires, soit un dépassement de moins de 10 000 milliards de l'objectif initial -soit environ 30 milliards de francs-. Ce « programme de convergence », établi pour une période de trois ans, vise à ramener le déficit du budget de l'État à 138 600 milliards de lires en 1995 (environ 424 milliards de francs 2 ( * ) ), 120 900 milliards en 1996 et 107 milliards en 1997, où il atteindrait 5,6 % du PIB. Afin de réaliser ce programme, l'Italie devra dégager un excédent primaire considérable. Celui-ci devrait augmenter continûment de 1994 à 1996 et passer de 8 000 milliards de lires en 1994 à 37 000 milliards en 1995 et 54 400 milliards en 1996.

3. ...Que le dérapage du budget en 1995 pourrait remettre en cause

Le budget adopté pour 1995 a ramené le déficit de l'État à 139 000 milliards de lires (8 % du PIB, environ 425 milliards de francs), alors que le déficit tendanciel qui aurait été obtenu en l'absence de mesures d'économie et de modification de la législation fiscale aurait pu atteindre 189 000 milliards (578 milliards de francs). Les économies ont porté sur une nouvelle réforme des pensions publiques, avec notamment la suppression de la retraite anticipée et l'allongement de la période requise pour bénéficier des prestations à taux plein (l'Italie ayant des dispositions très généreuses, les agents publics ayant droit à des prestations de retraite après 20 ans, pour les fonctionnaires, et 25 ans, pour les agents des collectivités locales, de service), par une réduction des dépenses de santé avec, cette fois, la fermeture ou la vente des petits établissements hospitaliers, une reconduction du gel des embauches dans le secteur public. Côté ressources, le budget a prévu des relèvements d'impôts et des recettes de privatisation estimées à 10 000 milliards.

L'exécution du budget de 1995 devrait toutefois se traduire par un dépassement des objectifs prévus en matière de déficit de 13 à 17 000 milliards de lires. L'inflation sera tout d'abord plus forte que prévue (6 % contre 3,5 %). Le programme de la « condono » rencontre ensuite des difficultés d'exécution. Il s'agit d'une vaste transaction fiscale entre l'État et les particuliers, les contribuables pouvant, par un paiement forfaitaire, bénéficier d'une amnistie pour les fraudes fiscales qu'ils auraient pu commettre. Malgré la souscription -exemplaire- de la « condono » par le ministre des Finances en personne, cette transaction rencontre un succès plus que mitigé. Enfin, les dépenses courantes pourraient, comme pour les exercices budgétaires antérieurs, déraper et les salaires de la fonction publique, gelés en 1992/1993, indexés sur une inflation prévue à 6 % pour 1994/1995 mais qui a été en réalité supérieure de trois points, pourraient bénéficier d'un rattrapage. En outre, et compte tenu du niveau élevé des taux d'intérêt, le coût du service de la dette sera plus élevé que prévu.

L'OCDE table donc, pour 1996 et les années suivantes, pour un rythme d'assainissement des finances publiques plus lent que prévu. Le besoin d'emprunt des administrations publiques devrait baisser très légèrement pour s'établir à 9 % du PIB en 1995 et tomber à 7 3/4 % en 1996.

4. Malgré une gestion vertueuse de sa dette, l'Italie ne remplit toujours pas les critères de Maastricht

Malgré cet effort d'assainissement, la dette publique s'est aggravée. Elle a doublé entre 1987 et 1993, en passant de 910,5 billions de lires à 1 862,9 billions (environ 5 700 milliards de francs). Elle a atteint en 1994 2 039 billions (environ 7 014 milliards de francs). En 1993, le ratio dette/PIB a augmenté de 6 points pour s'établir à 120 %. Il devrait baisser d'un point symbolique en 1995, et être ramené de 124,27% en 1994 à 123,84 %, en 1995, mais le dérapage dans l'exécution de la loi de finances de 1995 rend cette baisse incertaine. Au demeurant, cette annonce ne serait pas sans lien avec le débat lancé par l'Allemagne, sur la capacité de l'Italie à répondre aux critères de Maastricht et à réintégrer le SME.

Pour stabiliser le niveau de la dette publique, l'excédent primaire aurait dû, dès 1993, atteindre 3,5 % du PIB -soit 66 000 milliards de lires, plus de 200 milliards de francs-, dans la mesure où le service de la dette tendrait automatiquement à lui seul à gonfler dans cette proportion la dette rapportée au PIB. Le service de la dette représentant 12 % du PIB, la situation budgétaire de l'Italie est restée ingérable, même après la réduction du déficit budgétaire. Ce dernier est, au demeurant, difficile à appréhender.

Le déficit public de l'Italie peut être appréhendé à un triple niveau : celui de l'État, celui du « settore statale », secteur d'État, qui comprend outre l'État, les administrations des Ponts et chaussées, l'office des forêts, la Caisse des dépôts et consignations, et enfin celui du secteur public.

Le déficit du budget de l'État, tel qu'on peut difficilement le relever dans un « cadre de synthèse », annexe 8, (document n° 2156 du Sénat italien, p. 119) fait apparaître les données relatives à l'exercice 1996 (« competenza 1996 ») intégrant les services votés et l'ajustement supplémentaire (« manovra »). D'après ce document, le solde net à financer s'élèvera en 1996 à 148 000 milliards de lires, soit environ 450 milliards de francs 18 ( * ) , le service de la dette étant établi à 201 000 milliards de lires, soit 615 milliards de francs. Cette hypothèse, optimiste, se fonde sur une baisse des taux d'intérêts en 1996. Or, depuis 4 ans, cette variable, volontariste, ne s'est vérifiée qu'une fois.

En revanche, si l'on prend les chiffres officiellement communiqués dans le « Document de programmation économique et financière » du 2 juin 1995, qui permet d'établir le déficit du secteur d'État, le besoin de financement programmé pour 1996 de l'État italien s'élève à 109 400 milliards de lires (environ 337 milliards de francs), soit 5,9 % du PIB, et le service de la dette à 189 400 milliards de lires (environ 580 milliards de francs).

Comment expliquer cet écart ? Selon l'usage en Italie, les chiffres publiés ne sont pas relatifs aux recettes et charges à caractère définitif de l'année 1996, mais à des prévisions de "mouvements de caisse". Les données relatives aux recettes et charges à caractère définitif de l'exercice 1996 ne seront donc connues que beaucoup plus tard et seront présentées comme secondaires par rapport aux mouvements de trésorerie. Or, seuls les résultats définitifs permettraient de juger de manière valide le redressement effectif des finances publiques italiennes.

En quelque sorte, l'Italie se comporte comme un ménage qui ne chercherait pas à prouver sa solvabilité en affichant le salaire figurant à son contrat de travail -le loyer figurant à son bail et ses frais de subsistance découlant des factures de ses fournisseurs- mais en présentant un solde de trésorerie déterminé par l'état des avances accordés par son employeur, des reports de loyer consentis par son propriétaires et des arrangements conclus avec ses autres créanciers.

Le déficit du secteur public , le plus proche des critères de Maastricht, comprend, outre celui de l'État et des administrations autonomes, les collectivités locales, les régimes sociaux et l'ENEL, entreprise publique d'électricité. Dans ce document du 2 juin 1995, le ratio de la dette publique/ PIB diminue effectivement, si l'on prend le secteur d'État (supra) ou le secteur public. Dans le premier cas, il diminuerait de 123,84, en 1995, à 122,12, en 1996, et, dans le second, de 127,5, en 1995, à 126,03, en 1996. Mais, une fois encore, les hypothèses retenues pour 1996 et l'évolution défavorable de l'exécution budgétaire en 1995 doivent conduire à appréhender cette évolution, en apparence satisfaisante, avec circonspection.

De même, on ne manquera pas de s'interroger sur les capacités de l'Italie de réaliser en 1996 un ajustement de 32.500 milliards de lires, soit-en valeur absolue- le triple de l'effort prévu par le projet de budget français, sans réforme fiscale significative ni plan d'ensemble en matière de santé et en garantissant aux fonctionnaires la compensation intégrale de l'inflation.

Le gonflement de la dette aurait cependant pu devenir encore plus important sans le vaste effort de privatisation qui a produit plus de 17.000 milliards de lires de recettes, soit 1,2 % du PIB en 11994, et sa « gestion vertueuse », 7 000 milliards ayant été affectés à la réduction de la dette publique et le solde, à des mesures de restructuration des entreprises publiques en difficulté. Le programme de privatisation a toutefois marqué une pause en 1995. Une caisse d'amortissement de la dette a été créée et est alimentée non seulement par les ventes d'actifs mais également par les dividendes des sociétés anonymes publiques et par les bénéfices d'entités publiques, comme les profits de la Banque d'Italie.

La gestion de la dette publique est essentiellement axée, depuis le début des années quatre vingt dix, sur l'allongement des échéances. Jusqu'en 1990, la moitié de la dette publique de l'Italie était à court et moyen terme, le rythme auquel elle progresse dépendait très étroitement des taux d'intérêt. Cette situation a radicalement changé en 1993 : les titres à moyen et long terme représentent désormais 90 % de la dette, et la part des bons du Trésor a chuté de 29 % en 1991 à 2,9 % en 1993.

* 17 Au taux de change moyen pour 1993 de 0.00307 lires pour 1 franc.

* 2 Au taux de change moyen pour 1994 de 0.00344 lires pour 1 franc.

* 18 Au taux de change Chancellerie du 31/10/1995 de 0,00306 lires pour 1 franc

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