Rapport n° 253 (1991-1992) de M. Jacques LARCHÉ , fait au nom de la commission des lois, déposé le 7 février 1992
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N ° 253
SÉNAT
PREMIÈRE SESSION ORDINAIRE DE 1991-1992 |
Annexe au procès-verbal de la séance du 7 février 1992 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de résolution de MM. MM. Marcel LUCOTTE, Charles PASQUA, Daniel HOEFFEL et Ernest CARTIGNY tendant à créer une commission d'enquête sur l' accueil en France, le mercredi 29 janvier 1992, du dirigeant d'une organisation terroriste,
Par M. Jacques LARCHÉ,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; Louis Virapoullé, François Giacobbi, Charles de Cuttoli vice-présidents ; Charles Lederman, Germain Authié, René-Georges Laurin, Marcel Rudloff, secrétaires; Guy Allouche, Alphonse Arzel, Gilbert Baumet, Pierre Biarnès, Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Raymond Bouvier, Camille Cabana, Jean Chamant, Raymond Courrière, Étienne Dailly, André Daugnac, Luc Dejoie, Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. Jean-Marie Girault, Paul Graziani, Hubert Haenel, Daniel Hoeffel, Charles Jolibois, Lucien Lanier, Bernard Laurent, Paul Masson, Daniel Millaud, Lucien Neuwirth, Charles Ornano, Georges Othily, Robert Pagès, Claude Pradille, Albert Ramassamy, Michel Rufin, Jacques Sourdille, Jacques Thyraud, Jean-Pierre Tizon, Georges Treille.
Voir le numéro :
Sénat : 252 (1991-1992)
Ordre public. |
Mesdames, Messieurs,
La proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur l'accueil en France, le 29 janvier 1992, du dirigeant d'une organisation terroriste, présentée par nos collègues MM. Marcel Lucotte, Charles Pasqua, Daniel Hoeffel et Ernest Cartigny, a été déposée et renvoyée à la commission des Lois lors de la séance publique du vendredi 7 février, à l'issue de la lecture de la déclaration de politique générale du Gouvernement.
Chacun de nous a pu le constater, cette déclaration ne comportait sur l'«affaire Habache» que quelques paragraphes peu significatifs, ce qui était étonnant, voire paradoxal, dans la mesure où la session extraordinaire décidée par le Président de la République à la demande du Premier ministre avait précisément pour origine la profonde émotion causée dans l'opinion publique par la venue en France du dirigeant d'une organisation responsable de plusieurs attentats meurtriers tous condamnés par la France.
Dans sa déclaration, le Premier ministre s'est en fait limité à reprendre une fois de plus la version officielle développée à l'envi depuis le jeudi 30 janvier.
Selon cette version, la décision d'admettre sur le sol français le Docteur Habache serait le fait exclusif de «hauts responsables» qui auraient commis la faute de ne pas prendre «la précaution élémentaire » d'informer les ministres compétents. Aussi bien, les hauts responsables en cause ont été contraints à résigner leurs fonctions.
Cette présentation des faits est assurément commode pour autoriser un classement sans suite de cette affaire.
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Saisie de cette proposition de résolution, votre commission des Lois a examiné, comme l'article 11 de notre Règlement l'y invite, la conformité de la proposition de résolution à l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Aux termes du deuxième alinéa de cet article, « les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées ». Par ailleurs, il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours.
La présente proposition de résolution répond sans conteste aux prescriptions de l'ordonnance.
Le texte proposé détermine avec précision les faits soumis à enquête et il est manifeste qu'ils n'ont pas donné lieu à poursuites.
C'est d'ailleurs pour cette raison que votre commission des Lois n'a pas jugé nécessaire de consulter le Garde des Sceaux.
Cette procédure de consultation n'est, au demeurant, qu'une simple pratique, non prévue par la loi et dont l'utilité apparaît seulement dans les hypothèses où un doute demeure sur l'existence éventuelle de poursuites engagées devant un tribunal judiciaire ; à l'évidence, tel n'est pas le cas en l'espèce.
Sur le fond, votre commission des Lois a considéré que la création d'une commission d'enquête se justifiait pleinement et correspondait même à l'impérieuse nécessité de faire toute la lumière sur l'ensemble des aspects troublants de cette affaire.
Comme les auteurs de la proposition de résolution l'ont relevé ajuste titre, de deux choses l'une, ou bien le Premier ministre ou les ministres « savaient » peu ou prou et il leur revenait d'assumer pleinement leur responsabilité en démissionnant eux-mêmes ou bien ils n'avaient pas été tenus informés en temps utile, et c'est encore plus grave, car une telle hypothèse révélerait un grave dysfonctionnement du pouvoir exécutif, certains hauts fonctionnaires prenant seuls des décisions essentielles, de nature purement politique, au lieu et place des membres du Gouvernement.
Les assertions officielles laissent en fait subsister des zones d'ombre importantes, trop d'incertitudes que seule une commission d'enquête parlementaire est susceptible de lever complètement.
La commission d'enquête soumise à l'approbation du Sénat a précisément pour vocation d'éclairer l'opinion publique sur les conditions dans lesquelles « on » a décidé d'accueillir en France, fût-ce pour des raisons d'ordre humanitaire, le responsable d'une organisation terroriste.
Les travaux d'une telle commission devraient ainsi contribuer à préciser le rôle exact joué par chacun des intervenants, afin d'apporter une réponse aussi claire que possible à la question essentielle de savoir si le Premier ministre ou les ministres intéressés ont été préalablement informés ou bien s'ils ont été purement et simplement tenus à l'écart d'une décision qui ressortissait pourtant à leur compétence propre.
La commission d'enquête serait également appelée à vérifier si le Gouvernement a fait une exacte application de la législation sur l'entrée des étrangers en France, car il paraît peu contestable que l'accueil de M. Habache se heurtait à de simples considérations d'ordre public.
Enfin, la commission devrait se pencher sur les mesures à prendre, le cas échéant, pour éviter le retour d'une telle situation, car de pareilles dérives tournent le dos au principe de la responsabilité politique des ministres, qui revêt un caractère essentiel dans une démocratie parlementaire.
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Pour toutes ces raisons, votre commission des Lois ne peut que vous proposer d'adopter sans modification !e texte de la proposition de résolution soumise à votre examen.
Par excellence, l'«affaire Habache» constitue un cas-type de création d'une commission d'enquête.
Les Français ont le droit de savoir et c'est le devoir du Parlement, tout particulièrement du Sénat, de les aider à connaître la vérité, conformément à sa mission de contrôle.
La commission d'enquête constitue le seul moyen de parvenir à cette fin, car, en vertu de l'ordonnance de 1958, toutes les personnes ayant concouru à cette décision, y compris les membres du Gouvernement concernés, seront tenues de déférer aux convocations de la commission d'enquête et devront déposer sous serment, les auditions étant publiques, sauf décision contraire de la commission.
Compte tenu de la gravité des faits, votre commission des Lois est amenée à estimer que cette commission d'enquête devrait être créée dans les meilleurs délais, c'est-à-dire au cours de la présente session extraordinaire, d'autant que la venue en France du Docteur Habache a été la cause première de la réunion du Parlement.
Votre commission se trouve donc en parfaite harmonie avec le Président du Sénat qui, par lettre en date du 7 février, a demandé au Premier ministre de bien vouloir proposer au Président de la République d'inscrire à l'ordre du jour de la session extraordinaire l'examen de la proposition de résolution.
Faute de quoi, le Sénat devra attendre le début de la session ordinaire de printemps pour décider de la création de cette commission d'enquête, ce qui retardera d'autant la manifestation de la vérité sur les différentes responsabilités ayant conduit à l'admission en France du dirigeant d'une organisation terroriste.
TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION
Proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur l'accueil en France, le mercredi 29 janvier 1992, du dirigeant d'une organisation terroriste
Article unique
En application de l'article 11 du Règlement du Sénat, il est créé une commission d'enquête chargée de recueillir tous les éléments d'information sur les conditions dans lesquelles il a été décidé d'admettre sur le territoire français M, Georges HABACHE, dirigeant du Front Populaire pour la Libération de la Palestine (F.P.L.P.).
A ce titre, la commission d'enquête devra notamment déterminer la part de responsabilité du Gouvernement et de chacune des personnes ayant concouru à cette décision. Elle devra également rechercher les mesures à prendre pour éviter le retour d'une telle situation.
Cette commission d'enquête comprendra vingt-et-un membres.
ANNEXE
Lettre de M. Alain POHER, Président du Sénat, à Madame Edith CRESSON, Premier ministre, en vue de l'inscription de la proposition de résolution à l'ordre du jour de la session extraordinaire.