N° 60

SÉNAT

PREMIÈRE SESSION ORDINAIRE DE 1983-1984

Annexe au procès-verbal de la séance du 17 novembre 1983.

RAPPORT

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur la proposition de résolution de MM. Philippe de Bourgoing, Adolphe Chauvin, Charles Pasqua, et Jean-Pierre Cantegrit tendant à créer une commission d'enquête chargée d'évaluer la structure et le montant de la dette extérieure de la France, ses incidences prévisibles sur l'évolution de la balance des paiements ainsi que la part prise par les entreprises publiques et les banques, dans l'évolution de la dette extérieure depuis 1981.

Par M. Jean COLIN,

Sénateur

(1) Cette Commission est composée de : MM. Michel Chauty, président; Jean Colin, Richard Pouille, Bernard Legrand, Pierre Noé, vice-présidents ; Francisque CoIIomb, Marcel Daunay, André Rouvière, Raymond Dumond, secrétaires; MM. François Abadie, Bernard Barbier, Georges Berchet, Marcel Bony, Jean-Marie Bouloux, Amédée Bouquerel, Jacques Braconnier, Raymond Brun, Jean-Paul Chambriard, William Chervy, Auguste Chupin, Marcel Costes, Roland Courteau, Lucien Delmas, Bernard Desbrière, André Diligent, Gérard Ehlers, Henri Elby, Jean Faure, Philippe François, Jean François-Poncet, Alfred Gérin, Roland Grimaldi, Paul Guillaumot, Rémi Herment, Jean Huchon, Bernard-Charles Hugo (Ardèche), Bernard-Michel Hugo (Yvelines), Maurice Janetti, Pierre Jeambrun, Pierre Lacour, Robert Laucournet, Bernard Laurent, France Léchenault, Yves Le Cozannet, Charles-Edmond Lenglet, Maurice Lombard, Marcel Lucotte, Paul Malassagne, Guy Malé, René Martin, Paul Masson, Serge Mathieu, Louis Mercier, Mine Monique Midy, MM. Louis Minetti, Georges Mouly, Jacques Moutet, Lucien Neuwirth, Henri Olivier, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Alain Pluchet, Claude Prouvoyeur, Jean Puech, Albert Ramassamy, Jean-Marie Rausch, René Regnault, Roger Rinchet, Josselin de Rohan, Jules Roujon, Michel Sordel, Michel Souplet, Pierre Tajan, Fernand Tardy, René Travert, Jacques Valade, Frédéric Wirth, Charles Zwickert.

Voir le numéro :

Sénat : 57 (1983-1984).

Dette extérieure . -- Commission d'enquête.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

La proposition de résolution qui vous est soumise expose en termes clairs et vigoureux le caractère indispensable d'une bonne connaissance statistique de notre endettement extérieur, qui aurait atteint 500 milliards de francs dans le courant de cette année.

Ce chiffre est alarmant et l'on comprend dès lors que les auteurs de la proposition de résolution, qui sont les présidents des groupes de l'opposition nationale au Sénat, jugent indispensable que notre Assemblée soit en mesure d'analyser correctement un tel phénomène et de permettre par là même d'en mesurer les conséquences et les retombées économiques; celles-ci pèseront lourdement sur l'avenir de notre pays.

S'il apparaissait, en effet, qu'un endettement démesuré doive charger lourdement le devenir de la France au détriment de notre jeunesse, de notre capacité économique et de notre maintien au rang de grande puissance, alors le Sénat, sans esprit partisan, avec la seule volonté de faire apparaître des réalités qu'on ne saurait celer à un pays majeur et démocratique, se devrait de jeter un cri d'alarme et de faire mesurer à nos concitoyens les dangers que le maintien des solutions empiriques actuelles lui fait courir, dans un climat de lumière tamisée et de demi-secret.

En effet, sur un sujet aussi essentiel, qui risque de placer la France pour des années dans un carcan de contraintes aussi pesantes qu'insurmontables, il s'est avéré, alors que les controverses vont bon train, que les paramètres retenus ne sont pas toujours les mêmes et que, finalement, l'imprécision domine, alors qu'une claire connaissance des faits répond à une nécessité vitale.

Au regard de cette exigence primordiale, de quels renseignements pouvons-nous disposer ? Les statistiques de base sont dispersées, lacunaires, d'un accès souvent difficile. Les statistiques élaborées résultent, de manière générale, d'un acte de volonté du Gouvernement. Cet acte de volonté détermine la méthodologie, la périodicité, les techniques d'évaluation sans que, jusqu'à présent, l'approche choisie n'ait fait l'objet d'un véritable débat au fond, excluant ainsi tout consensus.

Et l'on voit s'instaurer, par la voie de la presse, apparemment mieux informée que le Parlement, des exégèses(1 ( * )) qui, à partir de déclarations du Gouvernement, de sources internationales, de commentaires de milieux financiers, et à l'occasion d'une évaluation du Rapporteur général du Budget au Sénat, font apparaître des oscillations qui démontrent amplement combien il est fondamental d'avoir une connaissance précise d'un phénomène dont les effets pèseront, pendant de longues années, sur la politique financière de la France.

L'état d'imprécision actuel n'est pas sain. Il n'est plus admissible. Le flottement, à partir de données où l'à-peu-près domine, ne peut désormais être accepté.

Il paraît en outre inconvenant à votre Rapporteur que la représentation nationale et le pays tout entier, ne puissent, à la limite, trouver une information, à peu près cohérente mais pas nécessairement définitive, qu'à la lecture de documents financiers de source étrangère ou des rubriques spécialisées de périodiques divers.

Que penser de surcroît de ces « notes confidentielles » de la Banque de France ou de la Direction de la prévision, dont la presse se fait l'écho, mais dont le Parlement n'est pas informé ? L'absence de données synthétiques laisse ainsi libre cours à toutes sortes d'hypothèses infondées, intéressées, polémiques et dangereuses.

Ce manque d'information n'est plus concevable à mesure que l'endettement extérieur du pays devient l'un des enjeux primordiaux de notre politique intérieure et hypothèque la crédibilité de notre politique étrangère.

Il y va tout d'abord de notre indépendance et de notre rang sur la scène internationale. Le caractère pervers des imprécisions actuelles est maintenant perçu par d'éminents spécialistes. En particulier, le risque d'affaiblissement qui en découle a été parfaitement décrit par notre collègue Jean François-Poncet, le 7 novembre dernier à la tribune du Sénat, lors du débat sur la politique extérieure de la France. Nous rappelons quelques-uns de ses propos :

« J'ai voulu croire, d'abord, que tant de projets mort-nés, tant de propositions sans lendemain, traduisaient avant tout l'amenuisement de nos moyens et n'étaient que le reflet, à l'échelon international, de la dégradation de notre position économique et financière.

« Il est bien clair qu'un pays ne vit pas à crédit sans entamer son crédit. Un pays ne s'endette pas sans perdre de sa liberté, il ne dévalue pas sa monnaie sans se dévaluer lui-même. »

Voici une déclaration pertinente. Et si la situation se dégrade encore, une grave menace pèsera sur nous. Il s'agit du droit de regard que possède le F.M.I (Fonds monétaire international) quand la situation d'un pays semble très compromise : cette menace n'est pas illusoire.

Nos amis britanniques et italiens ont dû, il y a peu, ouvrir leurs livres de comptes aux fonctionnaires de ce Fonds dépêchés à cet effet. Le discrédit qu'entraîne une telle « visite domiciliaire » est important. Méditons donc cet exemple.

Mais c'est aussi notre politique économique qui est en jeu. La France est exposée à trois enchaînements macro-économiques redoutables :

- devoir accroître son endettement extérieur pour assurer simplement le service de la dette, en principal et en intérêts ;

- devoir limiter ses exportations, en raison du coût élevé de leur financement en devises ;

- devoir limiter sa croissance en raison des contraintes extérieures qui l'enserrent.

Décrivons brièvement ces enchaînements.

Un rapport établi dans le cadre de la préparation du IXe Plan(2 ( * )) conclut sans détours : « L'ample recours qui a été fait aux facilités de l'endettement extérieur ne peut être poursuivi durablement sans mettre en péril notre indépendance nationale et notre situation financière extérieure, ni sans risquer d'aboutir à une restriction de nos possibilités d'emprunts, du fait de la réticence probable des prêteurs à financer durablement un excès de consommation interne. »

Il indique notamment : « Un prolongement de ces estimations montre qu'à enveloppe d'emprunts constante, la charge annuelle de la dette excédera le montant des tirages entre 1984 et 1986, selon les hypothèses retenues en matière de taux de change et d'intérêt », et nous met en garde contre le risque d'une baisse de valeur de notre « signature ».

Le second enchaînement tient aux pratiques actuelles des États développés en matière de financement des exportations. Les pays acheteurs exigent de plus en plus fréquemment des crédits fournisseurs libellés en dollars et d'un montant excédant notablement la valeur des biens à livrer. De surcroît, le Trésor français oblige de fait nos exportateurs à effectuer en devises les prêts qui leur sont demandés, ce qui les contraint à emprunter sur le marché international. Résultat : plus la France exporte, plus elle s'endette en devises pour financer ces exportations.

Cette remarque ne saurait s'interpréter comme une critique et un phénomène aussi extravagant exprime l'âpreté de la compétition internationale. Il n'empêche que cette réalité ne peut être niée.

Le dernier enchaînement est simple. La consommation ne devra pratiquement pas augmenter, si l'on veut éviter de relancer les importations. Les entreprises publiques ne pourront plus continuer à s'endetter en devises pour financer leurs investissements et leurs dépenses courantes, ce qui implique un relèvement supplémentaire de leurs tarifs et une diminution de leurs dépenses. Toutes ces perspectives, qui renversent bien des données admises, méritent réflexion ; celle-ci ne peut se développer si l'information est incomplète ou contestée.

De tels enchaînements sont donc particulièrement préoccupants. Parce qu'ils menacent l'avenir économique et la paix sociale en raison des ajustements douloureux qu'ils appellent. Parce qu'ils engagent le pays sur une longue période dépassant le cadre d'une législature. Parce que le Gouvernement ne semble pas encore avoir une claire conscience de l'enjeu. Nous n'en prendrons pour preuve que la première loi de Plan, qui ne fournit pas d'analyse rigoureuse de ce fait porteur d'un avenir morose.

La création d'une commission d'enquête « chargée d'évaluer la structure et le montant de la dette extérieure de la France, ses incidences prévisibles sur l'évolution de la balance des paiements, ainsi que la part prise par les entreprises publiques et les banques dans l'évolution de la dette extérieure depuis 1981 » vient donc à point nommé.

Les commissions d'enquête, conformément à l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des Assemblées parlementaires, sont formées pour recueillir des éléments d'information sur des faits déterminés. Ainsi, la Haute Assemblée a-t-elle créé en 1980 une commission d'enquête « sur les difficultés actuelles de l'industrie textile ».

La commission des Lois constitutionnelles, de Législation, du Suffrage universel, du Règlement et d'Administration générale, saisie pour avis conformément à l'article 11 de notre Règlement, a jugé non contraire aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance susvisée la présente proposition de résolution.

À l'issue de l'exposé du Rapporteur devant votre commission des Affaires économiques et du Plan, un débat s'est instauré. M. Raymond Dumont a présenté deux amendements tendant à remplacer, dans l'intitulé et à l'article premier, la date de 1981 par celle de 1974.

Ces amendements ayant été repoussés, la Commission a adopté la proposition de résolution à la majorité, les groupes socialiste et communiste votant contre.

* *

*

En conséquence, votre commission des Affaires économiques et du Plan vous demande d'adopter sans modification la proposition de résolution qui suit.

* 1 Voir notamment le journal Le Monde du 17 novembre 1981 faisant état d'un débat à l'Assemblée et d'éléments parfaitement contradictoires en provenance d'autres services.

* 2 Rapport du groupe de travail politique monétaire. Annexes. Documentation française 1983.

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