N° 144

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2024

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2025,

Par M. Jean-François HUSSON, 

Rapporteur général,

Sénateur

TOME III

LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

(seconde partie de la loi de finances)

ANNEXE N° 30

SOLIDARITÉ, INSERTION ET ÉGALITÉ DES CHANCES

Rapporteurs spéciaux : MM. Arnaud BAZIN et Pierre BARROS

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, MM. Vincent Capo-Canellas, Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Jean-Baptiste Olivier, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean-Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 324, 459, 462, 468, 471, 472, 486, 524, 527, 540 et T.A. 8

Sénat : 143 et 144 à 150 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

La mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » porte les politiques publiques de solidarité et de cohésion sociale de l'État en faveur des personnes les plus fragiles. Elle finance notamment la prime d'activité et l'allocation aux adultes handicapés (AAH).

I. UNE MISSION ÉPARGNÉE PAR LES COUPES BUDGÉTAIRES, DONT LES CRÉDITS AUGMENTENT À PÉRIMÈTRE CONSTANT

Les crédits demandés au titre de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » pour 2025 s'élèvent à 30,4 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP). Plus des trois quarts de ce total est consacré respectivement au financement de la prime d'activité (10,3 milliards d'euros) et de l'AAH (14,4 milliards d'euros).

Le niveau des crédits de la mission semble diminuer par rapport à 2024 (- 2,3 % en CP par rapport à la LFI 2024), ce qui s'explique par une mesure de périmètre par laquelle le programme 124 (1,3 milliard d'euros en LFI pour 2024) a été transféré sur la mission « Travail et emploi ».

À périmètre constant, les moyens alloués aux politiques portées par la mission sont en augmentation (+ 2,12 %) par rapport à 2024.

Cette progression des dépenses à périmètre constant s'explique principalement par le fort dynamisme de l'AAH (+ 4,8 %). Si le coût de la déconjugalisation en 2024 a été moindre que prévu (280 millions d'euros contre 500 millions d'euros attendus), l'augmentation très importante (+ 3,81 %) des bénéficiaires de l'AAH-2 tire l'ensemble de la dépense liée à cette prestation.

Évolution des crédits de la mission entre 2018 et 2025 (CP)

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les crédits de la mission se caractérisent par une dynamique importante sur la période récente, liée à sa mobilisation face aux crises. Cette situation s'est notamment traduite, ces dernières années, par l'augmentation pérenne de la prime d'activité décidée en réponse à l'urgence sociale exprimée par le mouvement des « gilets jaunes » (+ 4,4 milliards d'euros annuels), et par le versement de plusieurs aides exceptionnelles (en 2020 lors de la crise sanitaire pour 1,9 milliard d'euros), en 2021 avec l'indemnité inflation (pour 3,2 milliards d'euros) et en 2022 avec l'aide exceptionnelle de rentrée (pour 1,2 milliard d'euros).

À rebours de cette tendance, les dépenses liées à la prime d'activité devraient diminuer en 2025, par l'effet de deux facteurs. D'abord, la généralisation prévue de la « Solidarité à la source », qui ferait diminuer les indus versés d'environ 800 millions d'euros en année pleine. Ensuite, il est prévu de procéder à une modification par décret des paramètres de la prime, probablement la « pente » de la prise en compte des revenus d'activité, ce qui pourrait générer 500 millions d'euros de moindres dépenses en année pleine.

Les économies ainsi dégagées seraient « réinvesties » dans la mission « Solidarité », par l'augmentation d'autres dépenses. Par exemple, les crédits du Pacte des solidarités en faveur de la tarification sociale des cantines scolaires (« Cantines à 1 euro ») seraient presque doublés (ils passeraient de 36,5 à 71,9 millions d'euros), afin de « sincériser » cette dépense souvent sous-estimée.

II. TROIS POINTS DE VIGILANCE POUR 2025 : LA PROTECTION DE L'ENFANCE, L'AIDE ALIMENTAIRE ET LA MISE EN oeUVRE DE L'AIDE UNIVERSELLE D'URGENCE POUR LES VICTIMES DE VIOLENCES

A. LA PROTECTION DE L'ENFANCE : UNE POLITIQUE DÉPARTEMENTALE À LA RECHERCHE DE SOLIDARITÉ NATIONALE

Alors que les dépenses de frais de séjour et d'hébergement exposées par les départements au titre de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ont fortement augmenté entre 2022 et 2023, tirées par le nombre grandissant de mineurs non accompagnés (MNA) confiés à l'ASE, les crédits dédiés par l'État avaient augmenté en 2024.

Principaux chiffres relatifs à la protection de l'enfance

 
 
 

Augmentation des frais de séjour et d'hébergement de l'ASE entre 2023 et 2024

Augmentation du nombre de MNA confiés à l'ASE entre 2023 et 2024

Diminution des crédits de l'État entre la LFI 2024 et le PLF 2025

Source : commission des finances du Sénat, d'après la Cour des comptes et les documents budgétaires

Les crédits à destination des départements prévus l'année dernière, dans le PLF pour 2024, avaient été dénoncés comme insuffisants. En réaction, le Gouvernement avait, par amendement au cours de la discussion budgétaire, réhaussé de 32 millions d'euros ces crédits, qui étaient passés de 291,7 millions d'euros à 323,7 millions d'euros.

Si les 32 millions d'euros de crédits supplémentaires sont reconduits dans le PLF pour 2025, les crédits dédiés au soutien des politiques départementales de l'enfance s'établissent à 305,3 millions d'euros en 2025, soit une diminution de 5,7 % par rapport à l'année précédente. Cette baisse résulte principalement de la réduction des crédits conventionnés avec les départements dans le cadre de la stratégie nationale de protection de l'enfance (- 14,3 %).

B. LA SANCTUARISATION DES MOYENS DÉDIÉS À L'AIDE ALIMENTAIRE DANS UN CONTEXTE DE PERSISTANCE DE LA PRÉCARITÉ

L'augmentation de l'insécurité alimentaire continue d'être documentée. D'une part, les associations remarquent un accroissement des besoins en matière d'aide alimentaire : la Fédération française des banques alimentaires (FFBA) a ainsi constaté une hausse de 20 % des demandeurs depuis 2023. Près de 2,4 millions de personnes sont concernées. Ensuite, la précarité alimentaire qualitative augmente : le taux de personnes déclarant des restrictions sur leur budget alimentaire est passé de 33 % en 2020 à 49 % en 2023.

Évolution du sentiment de restriction sur le budget alimentaire
dans la population générale

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport du Crédoc

En 2025, la hausse des crédits dédiés à l'aide alimentaire est plus satisfaisante qu'en 2024 : les refus d'apurement à FranceAgriMer ont diminué, permettant le financement de nouvelles mesures (achats de produit alimentaires infantiles pour 6,1 millions d'euros), de pérenniser la hausse de 2 millions d'euros du crédit national des épiceries solidaires (CNES) et du programme « Mieux manger pour tous » (+ 10 millions d'euros). La DGCS a toutefois signalé que, les prix s'étant stabilisés mais n'ayant pas diminué, la situation des associations d'aide alimentaire restait très précaire.

Les rapporteurs spéciaux se félicitent de l'important effort national et européen dans le cadre du FSE + annoncé en faveur de l'aide alimentaire pour la programmation 2022-2027 (647 millions d'euros sur six ans). Force est toutefois de constater que la dotation annuelle diminuerait, en termes réels, de 23 % à l'horizon 2027 du fait de l'inflation, réduisant donc d'autant les quantités de denrées pouvant être achetées.

À cet égard, ils saluent le choix audacieux de l'administration de procéder à une « sur-programmation » des crédits européens, consistant à prévoir chaque année de consommer 20 millions d'euros supplémentaires afin de compenser les refus d'apurement. Ce véritable « sur-booking budgétaire » devrait permettre de solliciter jusqu'à 80 millions d'euros de crédits européens supplémentaires sur quatre ans.

C. LES MOYENS DE LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES MARQUÉS PAR LA MISE EN oeUVRE DE L'AIDE UNIVERSELLE D'URGENCE

Les crédits du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » s'élèvent à 85,1 millions d'euros en AE et en CP, soit une augmentation de 10 % en AE et en CP par rapport à la LFI pour 2024.

Évolution des crédits du programme 137
« Égalité entre les femmes et les hommes » entre 2017 et 2025

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Comme l'année précédente, l'augmentation des crédits constatée est entièrement absorbée par la mise en oeuvre de l'aide exceptionnelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales. Les crédits consacrés à cette aide, qui étaient de 13 millions d'euros dans la LFI pour 2024, seraient de 20,4 millions d'euros pour 2025, soit une augmentation de 57 %. Les autres dispositifs de la mission demeurent financés à leur niveau de 2024.

L'augmentation des crédits dédiés à l'aide universelle d'urgence traduit l'insuffisance des moyens qui avaient été prévus lors de son instauration. En 2024, le taux de recours à l'aide a été relativement important, alors même que les mesures d'économies demandées par le précédent Gouvernement ont été appliquées sur ce nouveau dispositif. En conséquence, de nouvelles ouvertures de crédits pour 2024 seront nécessaires.

Réunie le mercredi 30 octobre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission.

Réunie à nouveau le jeudi 21 novembre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé définitivement ses votes émis sur toutes les missions, tous les budgets annexes, tous les comptes spéciaux et les articles rattachés aux missions, ainsi que les amendements qu'elle a adoptés, à l'exception des votes émis pour les missions « Culture », « Direction de l'action du Gouvernement », « Enseignement scolaire », « Médias, livre et industries culturelles », « Audiovisuel public », « Recherche et enseignement supérieur », ainsi que des comptes spéciaux qui s'y rattachent.

Au 10 octobre 2024, date limite, en application de l'article 49 de la loi organique relative aux lois de finances, pour le retour des réponses du Gouvernement aux questionnaires budgétaires concernant le présent projet de loi de finances, 41 % des réponses portant sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » étaient parvenues aux rapporteurs spéciaux.

PREMIÈRE PARTIE
LES GRANDS ENJEUX BUDGÉTAIRES
DE LA MISSION « SOLIDARITÉ, INSERTION
ET ÉGALITÉ DES CHANCES » EN 2025

I. LES CRÉDITS DEMANDÉS POUR 2025 S'ÉLÈVENT À PLUS DE 30 MILLIARDS D'EUROS, PRINCIPALEMENT AU TITRE DE LA PRIME D'ACTIVITÉ ET DE L'ALLOCATION AUX ADULTES HANDICAPÉS

A. UNE MISSION PERMETTANT LE FINANCEMENT DE DIVERSES POLITIQUES DANS LE DOMAINE DE L'INCLUSION SOCIALE, DU HANDICAP ET DE L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

La mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » porte les politiques publiques de solidarité et de cohésion sociale de l'État en faveur des personnes les plus fragiles.

Les autorisations d'engagement (AE) demandées s'élèvent à 30,4 milliards d'euros en projet de loi de finances (PLF) pour 2025 contre 31,0 milliards d'euros en loi de finances initiale (LFI) pour 2024, soit une baisse de 2,01 %.

Les crédits de paiement (CP) demandés s'élèvent également à 30,4 milliards d'euros en PLF 2025, contre 31,1 milliards d'euros en LFI 2024, soit une baisse de 2,33 %.

Pour 2025, la mission se décompose en trois programmes :

le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes » porte notamment les crédits de la prime d'activité. Il permet de financer les politiques d'aide alimentaire, les actions relatives à la qualification en travail social, les mesures de protection juridique des majeurs, des actions de protection et d'accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables, ainsi que l'aide à la vie familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine. Il concourt entre autres au financement du « Pacte des solidarités », qui fait suite à la stratégie interministérielle de prévention et de lutte contre la pauvreté. Les crédits demandés s'élèvent à 14,3 milliards d'euros en AE et en CP, soit une baisse de 0,16 % par rapport à la LFI 2024 ;

le programme 157 « Handicap et dépendance » porte notamment les crédits de l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Il assure également le financement de l'aide au poste versée aux établissements et services d'aide par le travail (ESAT) ainsi que le dispositif d'emploi accompagné. Le programme finance en outre des actions de lutte contre la maltraitance des personnes dépendantes. Les crédits demandés pour 2025 s'élèvent à 16,0 milliards d'euros en AE comme en CP, soit une hausse de 4,19 % par rapport à la LFI 2024 ;

- enfin, le programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » vise notamment à financer des actions d'accès au droit, de lutte contre les violences faites aux femmes et destinées à favoriser l'émancipation économique des femmes. Les crédits demandés pour 2025 s'élèvent à 85,1 millions d'euros en AE et en CP, soit une nette hausse de 9,96 % en AE et en CP ;

Le programme 124 « Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales », qui constituait le programme d'appui et de soutien aux politiques du ministère des solidarités et de la santé, notamment en finançant les agences régionales de santé (ARS), qui portait l'ensemble des emplois de la mission, est supprimé. La plupart des crédits de ce programme ont été budgétés pour 2025 au sein du programme 155 « Soutien des ministères sociaux » de la mission « Travail et emploi » : c'est notamment le cas des dépenses afférentes aux personnels des ministères sociaux (dans les domaines des politiques sanitaires et sociales ou encore des droits des femmes).

1. Si le transfert du programme « support » vers une autre mission laisse penser que les crédits de la mission « Solidarité » diminuent, ils connaissent en réalité une augmentation

La mission est affectée cette année d'une importante mesure de périmètre, qui consiste en la suppression du programme 124 « Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales ». Cette évolution significative de la maquette budgétaire, qui fait du directeur général de la cohésion sociale (DGCS) l'unique responsable de tous les programmes (RProg) de la mission, a été décidée à des fins de simplification de la gestion, du point de vue du secrétariat général chargé des affaires sociales (SGCAS), des fonctions supports de l'ensemble des ministères sociaux qu'il chapeaute.

Du fait de la suppression de l'un des quatre programmes de la mission, qui portait 1 257,9 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 1 354,7 millions d'euros en crédits de paiement (CP), les dépenses de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » semblent connaitre une légère diminution en 2025 (- 2,01 % en AE et - 2,33 % en CP) à périmètre courant.

Cette diminution tient toutefois du trompe l'oeil : à périmètre constant, les crédits de la mission augmentent en réalité de plus de 2,13 % en AE et 2,12 % en CP entre la LFI 2024 et le PLF 2025.

Les crédits des programmes de la mission « Solidarité, insertion
et égalité des chances » en LFI 2024 et en PLF 2025

(en millions d'euros et en pourcentage)

Programme

LFI 2024

PLF 2025

Variation 2025/2024

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes »

14 283,9

14 285,1

14 261,8

14 262,9

- 0,16 %

- 0,16 %

Programme 157 « Handicap et dépendance »

15 381,8

15 381,8

16 030,4

16 025,6

+ 4,22 %

+ 4,19 %

Programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes »

77,4

77,4

85,1

85,1

+ 9,96 %

+ 9,96 %

TOTAL (périmètre constant)

29 743,1

29 744,2

30 377,2

30 373,6

+ 2,13 %

+ 2,12 %

Programme 124 « Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales »

(programme supprimé)

1 257,9

1 354,7

0,0

0,0

- 100,00 %

- 100,00 %

TOTAL (périmètre courant)

31 001,0

31 098,9

30 377,2

30 373,6

- 2,01 %

- 2,33 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les rapporteurs spéciaux relèvent également que, et ce n'est pas un hasard, la consolidation des fonctions support s'est fait au profit de la mission « Travail et emploi », qui enregistre une forte diminution de ces crédits à périmètre constant, et non au profit de la mission « Solidarité » dont les crédits augmentent à périmètre constant, alors qu'au dire de l'administration le choix de la mission récipiendaire importait peu. La rationnalisation administrative rejoint donc le souci de l'affichage : au lieu d'afficher une mission en très forte hausse et une mission en très forte baisse, le PLF pour 2025 donne à voir des variations atténuées par rapport à la LFI pour 2024.

La comparaison des crédits proposés pour 2025 avec l'exécution pour 2024 est rendue d'autant plus complexe que, du fait des nombreuses mesures de régulation budgétaire adoptées par le Gouvernement en cours d'année, l'atterrissage de la mission à fin 2024 apparaît très incertain.

2. L'atterrissage de l'exécution 2024, perturbé par les annulations, gels et surgels de crédits, est encore incertain

En 2024, la mission a connu, selon le directeur général de la cohésion sociale, une « exécution perturbée » du fait de l'annulation par décret, dès février1(*), de la somme de 287 millions d'euros d'AE et de CP.

Cette somme, qui correspond aux seuls crédits annulés sur les trois programmes restants de la mission (à l'exclusion donc des 20 millions d'euros annulés sur le programme 124 depuis supprimé), a porté principalement sur le programme 157 « Handicap et dépendance », mais a également touché les programmes 304 et 137.

Récapitulatif de l'exécution du premier semestre 2024

(en millions d'euros)

Programme

LFI 2024 

Reports entrants de 2023

Annulations premier semestre

Crédits gelés premier semestre

Autres mouvements premier semestre

Crédits engagés au 30 juin

Crédits disponibles au 30 juin

 
 

304

AE

14 283,9

55,8

50,0

241,0

- 17,1

12 972,5

1 059,1

 

CP

14 285,1

87,2

50,0

241,0

- 17,1

7 449,8

6 614,4

 

157

AE

15 381,8

2,5

230,0

0,0

0,0

14 288,5

865,8

 

CP

15 381,8

3,0

230,0

0,0

0,0

7 606,1

7 548,7

 

137

AE

77,4

0,2

7,0

0,0

0,0

27,3

43,4

 

CP

77,4

0,9

7,0

0,0

0,0

17,0

54,3

 

Total mission

AE

29 743,1

58,6

287,0

241,0

- 17,1

27 288,3

1 968,2

 

CP

29 744,2

91,1

287,0

241,0

- 17,1

15 072,8

14 217,4

 

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

a) Le programme « Inclusion sociale et protection des personnes » (P304), peu affecté par les annulations de crédits, a subi des gels importants

Durant le premier semestre 2024, le programme 304 a subi une annulation de 50 millions d'euros. Si cette annulation, très faible en proportion des crédits très importants de ce programme en LFI pour 2024 (14,3 milliards d'euros), a porté pour l'essentiel sur les crédits de :

- la prime d'activité (PA), à hauteur de 44,4 millions d'euros, soit à 0,3 % des 12,7 milliards d'euros budgétés ;

- la protection juridique des majeurs (PJM), pour 3 millions d'euros, soit également 0,3 % des 857,6 millions d'euros alloués à ce poste de dépenses ;

- la protection de l'enfance, pour 1,2 million d'euros, soit à nouveau moins de 0,3 % des 344 millions d'euros qui y sont dédiés.

Ces montants, symboliques compte tenu de l'ampleur des moyens alloués au programme 304, sont bien moindres que les montants « gelés » c'est-à-dire mis en réserve et soustraits à l'administration compétente par le ministère des finances. Au cours du premier semestre 2024, les crédits gelés sur le programme 304 ont ainsi représenté 241 millions d'euros, répartis :

- pour l'essentiel sur la prime d'activité, à hauteur de 212,7 millions d'euros au 30 juin 2024 ;

- sur les crédits dédiés à la protection de l'enfance, à hauteur de 21,1 millions d'euros au 30 juin 2024.

b) Le programme « Handicap et dépendance » (P157) a été le principal concerné par les annulations de crédits décidées par le précédent Gouvernement

Les annulations de crédits décidées par le précédent Gouvernement ont été plus importants s'agissant du programme 157, où ils ont représenté 230 millions d'euros, soit 1,5 % des crédits du programme. La quasi-totalité de cette somme (229,7 millions d'euros) a été imputé sur l'action 12, qui finance notamment l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et l'aide au poste des travailleurs en établissements et services d'aide par le travail (ESAT).

Le programme 157 n'a toutefois fait l'objet d'aucune mesure de gel durant le premier semestre 2024.

c) Le programme « Égalité entre les femmes et les hommes » (P137) a subi une annulation importante en proportion des crédits initialement budgétés

Bien que facialement peu concerné, le programme 137 a subi les coupes budgétaires les plus importantes avec le décret d'annulation du 21 février 2024. En effet, 7 millions d'euros ont été annulés, soit 9 % des crédits du programme. Cette annulation a principalement porté sur :

l'action 24 « Accès aux droits et égalité professionnelle », pour 2 millions d'euros soit 8 % des crédits de cette action qui permet notamment le financement des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) ou encore des espaces de vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) ;

- la nouvelle aide universelle d'urgence pour les victimes de violences (AUU ou AUUVV), à hauteur de 3,3 millions d'euros, soit près d'un quart de son montant initialement budgété pour 2024 (13 millions d'euros).

Comme le programme 157, le programme 137 n'a pas connu de mesure de gel.

d) Un atterrisage incertain de la mission en 2024, faute de précisions sur les « surgels » décidés en septembre et en l'absence d'un projet de loi de finances de fin de gestion

Au second semestre 2024, de nouvelles mises en réserve (« surgels ») ont été décidées par le précédent Gouvernement, alors démissionnaire.

Récapitulatif des mises en réserve, hors titre 2, appliquées en 2024
sur les trois programmes restants de la mission

(en millions d'euros et en pourcentages)

Programme

LFI 2024 

Réserve initiale

Réserve au 8 avril 2024

Réserve au 14 août 2024

Part des crédits initialement budgétés mis en réserve

 
 

304

AE

14 283,9

71,4

244,3

539,6

3,8 %

 

CP

14 285,1

71,4

244,3

539,6

3,8 %

 

157

AE

15 381,8

76,9

0,0

149,3

1,0 %

 

CP

15 381,8

76,9

0,0

149,3

1,0 %

 

137

AE

77,4

4,2

0,0

0,0

0,0 %

 

CP

77,4

4,2

0,0

0,0

0,0 %

 

Total mission

AE

29 743,1

152,5

244,3

688,9

4,7 %

 

CP

29 744,2

152,5

244,3

688,9

4,7 %

 

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Ces surgels se sont principalement concentrés sur le programme 304, dont la mise en réserve a été portée à 539,6 millions d'euros (soit 3,8 % des crédits) et le programme 157 à hauteur de 149,3 millions d'euros (soit 1 % des crédits).

L'absence, à ce stade, de dépôt d'un projet de loi de finances rectificative (PLFR) - ou, plus probablement, d'un projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) - rend encore plus difficile la comparaison entre l'exécution 2024, encore incertaine, et les propositions budgétaires du Gouvernement pour 2025.

Un tel PLFR/PLFG sera en tout état de cause nécessaire, compte tenu du très faible niveau des crédits disponibles au 30 juin 2024 - c'est-à-dire avant l'application d'une nouvelle mise en réserve. Si l'insuffisance des crédits disponibles sur les principales prestations servies par la mission (prime d'activité, AUUVV) n'est pas préjudiciable pour les bénéficiaires dans la mesure où ces prestations sont versées non par l'État directement mais par les caisses d'allocations familiales, il n'est guère de bonne gestion d'accumuler les créances de la sphère sociale sur l'État.

L'exécution de l'aide universelle d'urgence, pour laquelle les crédits disponibles étaient déjà négatifs en AE au 30 juin 2024, doit en particulier faire l'objet d'un suivi vigilant.

La direction générale de la cohésion sociale, entendue par les rapporteurs spéciaux, a confirmé la nécessité d'ouvrir de nouveaux crédits pour 2024 compte tenu de l'évolution des dépenses de guichet, que le niveau des crédits restant disponibles ne permet pas de couvrir.

B. LES CRÉDITS DÉDIÉS À LA PRIME D'ACTIVITÉ ET L'AAH, QUI REPRÉSENTENT L'ESSENTIEL DES CRÉDITS DE LA MISSION, ÉVOLUENT EN SENS CONTRAIRES EN 2025

La prime d'activité (10,3 milliards d'euros) et l'AAH (14,4 milliards d'euros) représentent à elles seules plus des quatre cinquièmes des crédits demandés pour la mission en PLF 2024 (81,3 %).

Part de la prime d'activité et de l'AAH
dans les crédits demandés pour la mission en PLF 2025 (CP)

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat

1. La prime d'activité : une dépense dont la dynamique, très importante ces dernières années, serait ralentie en 2025
a) La prime d'activité a constitué un puissant instrument de pouvoir d'achat pour répondre à diverses urgences sociales

La prime d'activité, créée par la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, a remplacé au 1er janvier 2016 la part « activité » du revenu de solidarité active (RSA) ainsi que la prime pour l'emploi (PPE). Cette prime est versée aux personnes en activité professionnelle dont les ressources sont inférieures à un certain montant garanti. Son montant est revalorisé automatiquement au 1er avril de chaque année en application de l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale.

La prime d'activité est ouverte aux jeunes actifs dès 18 ans, ainsi qu'aux étudiants et aux apprentis ayant perçu, au cours des trois derniers mois, un salaire mensuel supérieur à 78 % du SMIC. Elle a également été ouverte à compter du 1er juillet 20162(*) aux bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) qui travaillent en établissements et services d'aide par le travail (ESAT) ou en milieu ordinaire.

Les dépenses liées à la prime d'activité ont fortement augmenté à compter de 2019, le dispositif ayant constitué l'un des principaux vecteurs utilisés par le Gouvernement pour répondre à l'urgence sociale exprimée par le mouvement des « gilets jaunes ». Par ailleurs, la communication qui a entouré la mise en oeuvre de cette réforme a conduit à augmenter le taux de recours de personnes déjà éligibles mais qui n'avaient pas sollicité la prime d'activité. Les effectifs ont connu une croissance très dynamique à partir de janvier 2019 et ce, jusqu'à mars 2020, sous l'effet de la mise en oeuvre de la revalorisation exceptionnelle de la prime d'activité en application de la loi n° 2018-1213 du 24 décembre 2018 portant mesures d'urgence économiques et sociales.

Le montant forfaitaire de la prime d'activité
et ses revalorisations entre 2018 et 2024

Le montant de la prime d'activité est calculé sur la base d'un montant forfaitaire variable en fonction de la composition du foyer (dont le nombre d'enfants à charge), auquel s'ajoutent les revenus professionnels pris en compte à hauteur de 61 % afin de favoriser l'activité. Pour mémoire, le montant forfaitaire de la prime d'activité s'élève à 622,63 euros (depuis le 1er avril 2024) pour un foyer composé d'une personne seule sans enfant.

La prime d'activité a été revalorisée afin de soutenir le pouvoir d'achat des travailleurs modestes et particulièrement ceux rémunérés au Smic :

- le montant forfaitaire de la prime d'activité a été revalorisé de 20 euros à compter du 1er août 2018 ;

- le montant maximal de la composante individuelle de la prime d'activité, le bonus, a été revalorisé de 90 euros à compter du 1er janvier 2019, passant de 70,49 euros à 160,49 euros, en application du décret n° 2018-1197 du 21 décembre 2018 relatif à la revalorisation exceptionnelle de la prime d'activité. Versé à chaque membre du foyer dont les revenus sont supérieurs à 0,5 Smic, le montant du bonus est croissant jusqu'à 1 Smic où il atteint son point maximal. Il reste stable au-delà.

Source : commission des finances du Sénat

Tableau : Impact des mesures réglementaires de revalorisation
de la prime d'activité en masses financières, tous régimes

(en millions d'euros)

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Pour 2025, le Gouvernement table sur une stabilité du nombre des bénéficiaires de la prime d'activité, autour de 4,6 millions de foyers tous régimes confondus.

b) Une budgétisation en baisse pour 2025, en prévision de mesures d'économies encore à concrétiser

À sa mise en place en 2016, la prime d'activité présentait un bilan légèrement supérieur à 5 milliards d'euros de dépenses. En 2019, la hausse du nombre d'allocataires liée aux revalorisations du montant forfaitaire de la prime d'activité a conduit à une augmentation de la dépense à près de 9,8 milliards d'euros. Depuis 2019, les dépenses de la prime d'activité ont connu un taux de croissance annuel moyen de 2,7 %. Les masses financières versées au titre de la prime d'activité atteindraient ainsi plus de 10,5 milliards d'euros en 2024.

En PLF pour 2025, 10,3 milliards d'euros en AE et CP sont prévus au titre de ce dispositif, soit une baisse de seulement 1,5 % par rapport à la LFI pour 2024.

Évolution des crédits prévus et consommés au titre de la prime d'activité (CP)

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Cette diminution des crédits budgétés au titre de la prime d'activité résulte, selon le directeur général de la cohésion sociale, de la perspective de mise en oeuvre en 2025, d'une part du dispositif encore expérimenté dans 5 départements dit de la « Solidarité à la source », et d'autre part d'une mesure paramétrique encore en arbitrage.

S'agissant de la « Solidarité à la source » le dispositif consiste en une collecte de données concernant les ressources des bénéficiaires de la prime d'activité afin de pré-remplir, en lieu et place des bénéficiaires, leurs déclarations de ressources. Si les bénéficiaires peuvent toujours contester l'appréciation de leurs ressources établie par l'administration, ce système a vocation à fiabiliser l'étape déclarative, souvent source d'incompréhension et d'erreurs, voire de fraude, afin de favoriser le versement à bon droit de la prestation et d'éviter les indus irrécouvrables. Selon l'administration, cette mesure dont la généralisation est - sauf surprise - prévue pour le 1er avril 2025 pourrait générer de moindres dépenses d'indus à hauteur de 800 millions d'euros par an en année pleine.

La DGCS a également évoqué la possibilité de prendre par décret, en 2025, une mesure visant à modifier les paramètres de la prime d'activité afin d'en diminuer le coût pour les finances publiques. Si aucune option n'est à ce stade arbitrée, une réduction de la « pente » de la dégressivité de la prime en fonction des revenus (aujourd'hui fixée à 61 %, la prise en compte des revenus d'activité pourrait être abaissée) est envisagée et pourrait « rapporter » jusqu'à 500 millions d'euros en année pleine.

2. L'AAH connaitrait en revanche une augmentation soutenue, notamment du fait de la progression de l'AAH-2
a) Une dépense structurellement dynamique

L'allocation aux adultes handicapés (AAH) est un minimum social versé, sous conditions de ressources, aux personnes handicapées de plus de vingt ans3(*). Elle est subsidiaire par rapport à d'autres prestations, comme les pensions d'invalidité, les rentes d'accident du travail ou les avantages vieillesse. Elle peut se cumuler avec des ressources personnelles, y compris des revenus d'activité4(*), dans la limite d'un plafond annuel, fixé à 12 192,6 euros pour une personne seule sans enfant depuis le 1er avril 20245(*) (soit 1 016,05 euros par mois). Son montant est revalorisé automatiquement au 1er avril de chaque année en application de l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale.

Afin de bénéficier de cette allocation, la personne handicapée doit être atteinte, soit d'un taux d'incapacité permanente d'au moins 80 % (« AAH- 1 »), soit d'un taux d'incapacité compris entre 50 % et 80 %, et présenter une restriction substantielle et durable6(*) pour l'accès à l'emploi (RSDAE) ne pouvant être compensée par des mesures d'aménagement du poste du travail (« AAH- 2 »).

Ces conditions sont appréciées par les commissions départementales des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) après instruction par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).

Les dépenses d'AAH sont structurellement orientées à la hausse. Depuis 2019, la dépense aurait ainsi connu une progression de 42 % pour s'établir à 14,4 milliards d'euros en 2025 selon les dernières estimations de la CNAF, avec un taux de croissance annuelle moyen de 6,0 % (soit + 4,8 % par rapport à 2024). Cette tendance haussière structurelle résulte principalement :

- des évolutions démographiques, avec le vieillissement de la population. Le risque de survenance d'un handicap et le taux de prévalence de l'AAH augmentent avec l'âge ;

- du faible taux de sortie du dispositif pour l'AAH ;

- de l'extension du champ et de la reconnaissance du handicap, qui a joué un rôle non négligeable dans l'augmentation des dépenses d'AAH.

Croissance de la dépense d'AAH depuis 2019

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

b) Malgré un coût de la déconjugalisation plus faible qu'attendu, une augmentation des crédits tirée par l'AAH-2

La croissance de la dépense liée à l'AAH résulte principalement d'un effet volume, lié à l'augmentation du nombre de bénéficiaires.

L'effectif de bénéficiaires de l'AAH est en effet de 1 333 422 personnes en 2024, tous régimes confondus. Cet effectif est en hausse de 2,23 % par rapport à fin 2023. Dans le détail, en 2023, 644 227 bénéficiaires l'étaient au titre de l'AAH- 1 (soit + 0,6 % en un an) et 648 097 au titres de l'AAH- 2, correspondant à une progression de 3,81 % sur une année.

Cette forte progression de l'AAH-2 est la principale cause de la hausse du coût de l'AAH pour les finances publiques.

En revanche, l'impact de la « déconjugalisation » de l'AAH sur les crédits de la mission est plus faible qu'attendu. En application de l'article 10 de la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat. Cette mesure implique d'exclure les revenus du conjoint des ressources prises en compte pour déterminer l'éligibilité et le cas échéant le montant de l'AAH.

Demandée de longue date par les associations de défense des droits des personnes en situation de handicap - mais également par le Sénat7(*), la mesure est pleinement soutenue par les rapporteurs spéciaux qui relevaient dans leur rapport relatif au PLF pour 2022 qu'elle « témoignerait de la pleine reconnaissance de la spécificité du public ciblé par l'AAH, qui, en raison de son montant et de ses conditions d'accès plus favorables, ne saurait être regardée comme un minimum social comme un autre. Elle permettrait de clarifier la nature du dispositif en faisant de l'AAH une véritable prestation de compensation de l'éloignement de l'emploi provoqué par le handicap, et d'accès à l'autonomie. En risquant d'accroître la dépendance de la personne handicapée aux revenus de son conjoint, la conjugalisation constitue en effet un frein à cette logique d'autonomie »8(*).

La déconjugalisation de l'AAH

L'AAH est une allocation individuelle, toutefois son calcul prenait en compte les éventuels revenus du conjoint du bénéficiaire, une situation que déploraient de nombreuses associations de défense des personnes handicapées.

Depuis le 1er janvier 2022, un abattement forfaitaire de 5 000 euros par an, majoré de 1 400 euros par enfant à charge, s'applique sur les revenus du conjoint du bénéficiaire de l'AAH pris en compte pour le calcul du montant de l'allocation. Cet abattement forfaitaire est venu remplacer l'abattement proportionnel de 20 % qui s'appliquait auparavant, et s'applique sur les mêmes revenus, avec un impact en année pleine de 185 millions d'euros.

Cependant, l'article 10 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat est venu modifier en profondeur ce dispositif en prévoyant une mesure de déconjugalisation de l'AAH, avec une entrée en vigueur au 1er octobre 2023. La déconjugalisation correspond à la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint et à l'application du plafond applicable aux personnes seules pour le calcul de la prestation des bénéficiaires en couple.

Toutefois, le décret n° 2022-1694 du 28 décembre 2022 prévoit un maintien du calcul conjugalisé de la prestation pour les bénéficiaires qui seraient perdants à la déconjugalisation.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La déconjugalisation a permis à 40 000 bénéficiaires en couple de voir le montant de leur allocation augmenter, pour des montants très variables et en moyenne pour un montant de 320 euros par mois. Elle permet également à 80 000 nouvelles personnes de bénéficier effectivement de l'allocation, alors qu'elles en étaient antérieurement exclues en raison du niveau de ressources trop élevé de leur conjoint, pour des montants également variables, et en moyenne pour un montant de 370 euros par mois.

La réforme est sans impact pour 210 000 bénéficiaires en couples. Le nouveau mode de calcul induirait enfin une baisse du montant de leur allocation pour 30 000 bénéficiaires. Ces personnes bénéficieront d'une mesure de maintien du mode de calcul antérieur, c'est-à-dire prenant en compte les revenus de leur conjoint, tant que le nouveau mode de calcul ne leur sera pas plus favorable financièrement.

Le coût de la mesure a été évalué par la CNAF à 83,3 millions d'euros en 2023 et 500 millions d'euros par an à partir de 2024. Toutefois, la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) a transmis le 28 mai 2024 une estimation mise à jour du coût de la déconjugalisation en 2024 à hauteur de « seulement » 280 millions d'euros pour 2024. Cette différence est notamment liée à la baisse du nombre d'entrants du fait de la mise en place de la réforme (20 500 personnes en cumulé sur les trois derniers mois de 2023, à comparer aux 80 000 prévus).

D'autres mesures ont un impact - plus marginal - sur le niveau des dépenses d'AAH :

- à la hausse, l'adoption des articles 2549(*) et 25510(*) de la loi de finances pour 2024 aurait un impact négligeable sur les dépenses, compte-tenu du faible nombre d'allocataires concernés (moins de mille personnes pour chaque mesure), soit un coût de 2 ou 3 millions d'euros ;

l'harmonisation de la temporalité de la base-ressources pour les allocataires de l'AAH travaillant en ESAT (annuelle) avec la base-ressources applicable au travail en milieu ordinaire (mensuelle), ce qui pourrait générer 20,9 millions de moindres dépenses.

II. DES ÉCONOMIES À VENIR IMMÉDIATEMENT « RECYCLÉES » POUR FINANCER DE NOUVELLES DÉPENSES

A. LES CRÉDITS DE LA MISSION ONT FORTEMENT AUGMENTÉ DEPUIS LE DÉBUT DE LA PRÉCÉDENTE MANDATURE

Les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » se caractérisent par un taux de croissance annuel moyen très élevé (11,1 % entre 2018 et 2022). Comme l'illustre le graphique ci-après, cette dynamique est largement liée à la mobilisation de la mission pour financer la réponse à des situations d'urgence économique et sociale. Entre les années 2019 et 2022, les crédits de la mission ont augmenté de 22,3 %, au rythme des crises sociales.

La hausse à 90 euros du bonus individuel de la prime d'activité avait ainsi constitué en 2019 l'un des principaux vecteurs utilisés par le Gouvernement pour répondre à l'urgence sociale exprimée par le mouvement des « gilets jaunes ». Cette mesure représente un coût annuel pérenne d'environ 4,4 milliards d'euros.

L'exercice 2020 avait ensuite été marqué par le financement d'une série de mesures d'urgence en réponse à la crise sanitaire, avec l'ouverture de 2,7 milliards d'euros en lois de finances rectificatives, au premier rang desquelles les aides exceptionnelles de solidarité (AES) en faveur des ménages modestes (1,9 milliard d'euros), ainsi qu'un plan d'urgence en faveur de l'aide alimentaire (94 millions d'euros), de l'aide sociale à l'enfance (50 millions d'euros) et de lutte contre les violences conjugales dans le contexte des confinements (4 millions d'euros).

La seconde loi de finances rectificative pour 202111(*) a d'abord prévu une indemnité inflation de 100 euros devant être versée à toute personne percevant moins de 2 000 euros de revenu net mensuel12(*). Cette indemnité exceptionnelle a concerné 38 millions de personnes et représenté un coût de 3 milliards d'euros sur le périmètre de la mission durant l'exercice 2021.

Durant l'année 2022, de nouveaux crédits ont été ouverts par la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, afin de financer une aide exceptionnelle de rentrée destinée aux ménages les plus modestes bénéficiaires des minima sociaux et de la prime d'activité, représentant un coût de 1 350 millions d'euros. Mise en oeuvre par le décret n° 2022-1234 du 14 septembre 2022, bénéficiant aux allocataires des minima sociaux13(*), celle-ci a été fixée à 100 euros, auxquels s'ajoutent 50 euros par enfant à charge effective et permanente. Elle a concerné environ 10 millions de foyers. Pour les bénéficiaires de la seule prime d'activité, le montant de l'aide s'élève à 28 euros, majoré de 14 euros par enfant à charge.

Du fait de sa sollicitation en contexte inflationniste, les crédits du programme 304 sont également amenés à augmenter, même sans mise en place de dispositifs exceptionnels. La revalorisation des minima sociaux de 4 % au 1er juillet 2022, en complément de la revalorisation légale intervenue le 1er avril 2022 (+ 1,8 %), ont ainsi amené une ouverture de crédits de 387,2 millions d'euros en 2022. De même, en raison du soutien accru apporté par l'État en matière d'aide alimentaire, 95 millions d'euros ont été ouverts cette même année, notamment pour les étudiants et les Outre-mer.

Évolution des crédits de la mission à périmètre courant et constant
entre 2018 et 2025 (CP)

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

L'année 2025 verrait ainsi l'une des rares diminution de crédits de la mission à primètre courant (- 1,5 %). Toutefois, en budgétant à nouveau les crédits du programme 124 sur la mission, le constat est celui d'une hausse de ses crédits (+ 2,9 %) à périmètre constant.

B. SI LA TRAJECTOIRE PRÉVUE PAR LA LOI DE PROGRAMMATION DES FINANCES PUBLIQUES EST RESPECTÉE, FORCE EST DE CONSTATER QUE LA MISSION « SOLIDARITÉ » CONTRIBUE PEU À LA RÉDUCTION DU DÉFICIT PUBLIC

Le budget demandé pour la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » représente un total de 31,7 milliards d'euros à périmètre constant, soit le montant du plafond des crédits alloués à cette mission pour 2025 par l'article 12 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023-2027.

Trajectoire prévue pour la mission par la loi de programmation
des finances publiques pour les années 2023 à 2027

(en milliards d'euros)

Source : commission de finances du Sénat, d'après l'article 12 du projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027

Si les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » s'établissent à environ 31,7 milliards d'euros à périmètre constant (i.e. sans tenir compte de la suppression du programme 124) conformément à la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, il est remarquable que les économies réalisées sur la mission - notamment sur la prime d'activité, ne servent pas à améliorer le solde de l'État mais sont immédiatement « recyclées » vers de nouvelles dépenses.

On constate ainsi une augmentation des crédits dédiés à presque tous les principaux dispositifs financés par la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » entre 2024 et 2025.

S'il est heureux que certaines moindres dépenses permettent à peu de frais de financer d'autres dépenses rendues nécessaires par l'urgence sociale, il est quelque peu surprenant - et chacun jugera si la surprise est bonne ou non - que la mission ne contribue pas à la réduction du déficit de l'État.

Les rapporteurs spéciaux prennent acte de l'augmentation des crédits, à périmètre constant, de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

Évolution des crédits consacrés aux principaux dispositifs portés par la mission

(en millions d'euros et en pourcentage)

 

PLF 2024

PLF 2025

Évolution 2025/2024

 

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Programme 304 - Inclusion sociale et protection des personnes

14 283,9

14 285,1

14 261,8

14 262,9

- 0,2 %

- 1,5 %

Prime d'activité

10 460,2

10 460,2

10 305,0

10 306,0

- 1,5 %

- 1,5 %

RSA recentralisé

1 558,9

1 558,9

1 706,5

1 706,5

+ 9,5 %

+ 9,5 %

Aide alimentaire

142,5

142,5

147,4

147,4

+ 3,4 %

+ 3,4 %

dont refus d'apurement FEAD, Réact, FSE+

24,5

24,5

10,6

10,6

- 56,7 %

- 56,7 %

dont achats de denrées

24,3

24,3

30,5

30,5

+ 25,5 %

+ 25,5 %

dont crédits nationaux épiceries solidaires (CNES)

9,1

9,1

11,1

11,1

+ 22,0 %

+ 22,0 %

dont "Mieux manger pour tous"

70,0

70,0

80,0

80,0

+ 14,3 %

+ 14,3 %

Protection juridique des majeurs

857,6

857,6

893,2

893,2

+ 4,2 %

+ 4,2 %

Protection de l'enfance

311,8

311,8

418,9

418,9

+ 34,3 %

+ 34,3 %

dont stratégie protection de l'enfance

140,0

140,0

120,0

120,0

- 14,3 %

- 14,3 %

dont prise en charge des mineurs non-accompagnés (MNA)

67,7

67,7

101,3

101,3

+ 49,6 %

+ 49,6 %

Pacte des solidarités

190,7

190,7

253,9

253,9

+ 33,1 %

+ 33,1 %

dont volet État

89,7

89,7

148,9

148,9

+ 66,0 %

+ 66,0 %

dont volet contractualisé avec les collectivités

101,0

101,0

105,0

105,0

+ 4,0 %

+ 4,0 %

Programme 157 - Handicap et dépendance

15 381,8

15 381,8

16 030,4

16 025,6

+ 4,2 %

+ 4,2 %

Allocation adulte handicapé

13 703,0

13 703,0

14 361,0

14 361,0

+ 4,8 %

+ 4,8 %

Financement des ESAT

1 614,0

1 614,0

1 599,0

1 599,0

- 0,9 %

- 0,9 %

Programme 137 - Égalité entre les femmes et les hommes

77,4

77,4

85,1

85,1

+ 9,9 %

+ 9,9 %

Lutte contre les violences et la prostitution

38,1

38,1

38,4

38,4

+ 0,8 %

+ 0,8 %

dont allocation financière d'insertion sociale (AFIS)

1,8

1,8

2,1

2,1

+ 16,7 %

+ 16,7 %

Aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales

13,0

13,0

20,4

20,4

+ 56,9 %

+ 56,9 %

Source : commission de finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

DEUXIÈME PARTIE
LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

I. UNE HAUSSE DES CRÉDITS CONSACRÉS AUX POLITIQUES SOCIALES DÉPARTEMENTALES

A. LE « PACTE DES SOLIDARITÉS » : UNE SINCÉRISATION DE LA BUDGÉTISATION DU VOLET NATIONAL

La Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté engagée depuis 2018 a, selon l'Association des Départements de France (ADF), impulsé une nouvelle démarche partenariale au plan national, régional et départemental. Le Pacte des solidarités qui en a pris le relai entend approfondir la dynamique d'investissement social impulsée depuis cinq ans. Selon la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), le Pacte des Solidarités « incarne une approche interministérielle de la lutte contre la pauvreté en s'inscrivant sur la durée, via l'engagement du gouvernement sur la période 2024-2027. »

Le « Pacte des solidarités »

Quatre orientations ont été affirmées dès le lancement de la concertation en 2022. Elles sont déclinées en 25 mesures, qui s'inscrivent dans les grandes réformes du quinquennat :

- Axe 1 « Prévenir la pauvreté et lutter contre les inégalités dès l'enfance » : poursuivre et amplifier la politique de prévention de la pauvreté en s'appuyant notamment sur le service public de la petite enfance et en agissant aux âges clés pour prévenir les inégalités touchant les personnes précaires et modestes ;

- Axe 2 « Amplifier la politique d'accès à l'emploi pour tous » : garantir le dernier kilomètre de France travail en touchant les personnes les plus éloignées de l'emploi et développer un choc d'offre pour lever les freins périphériques à l'emploi ;

- Axe 3 « Lutter contre la grande exclusion grâce à l'accès aux droits » : compléter le chantier de la Solidarité à la source, en déployant massivement les démarches d'aller vers et les accueils sociaux pour lutter contre le nonrecours, et du Logement d'abord pour prévenir les expulsion ;

- Axe 4 « Construire une transition écologique solidaire » : lutter contre les dépenses contraintes en matière de logement, de mobilité, d'eau et d'énergie en facilitant l'accès aux aides et permettre l'accès à une alimentation de qualité. Cet axe s'inscrit en cohérence avec la mise en place du fonds vert, le développement de MaPrimeRénov' ou encore le relèvement des obligations du Certificat d'économies d'énergie-précarité.

Source : réponses de la DGCS, entendue par les rapporteurs spéciaux

Sur le programme 304, le Pacte des solidarités représentait en 2024 190,7 millions d'euros. La contractualisation avec les conseils départementaux et les métropoles a bénéficié d'un financement à hauteur de 101 millions d'euros, soit 53,1 % des crédits dédiés au « Pacte », 90 millions d'euros étant destinés à la contractualisation avec les départements et 11 millions d'euros pour les métropoles. Le reste des crédits (89,7 millions d'euros en 2024), dédié au volet national du Pacte, a vocation a financer divers dispositifs, dont la mesure phare du volet national du Pacte : le plan pour la santé nutritionnelle des enfants, avec le programme « petits déjeuners à l'école » (17 millions d'euros) et la tarification sociale des cantines scolaires « Cantines à 1 euro » (36,5 millions d'euros).

En 2025, les crédits du Pacte des solidarités seraient portés à 253,9 millions d'euros en AE et en CP, soit une augmentation de 33,1 %. Cette hausse s'explique par une légère progression des crédits dédiés à la contractualisation avec les collectivités territoriales (105 millions d'euros en 2025, soit + 4 % par rapport à 2024), mais sutout par la très forte hausse du volet national (148,9 millions d'euros en 2025, soit + 66 % par rapport à 2024), elle-même portée par la hausse des crédits dédiés à la tarification sociale des cantines (71,9 millions d'euros en 2025, soit + 97 % par rapport à 2024).

Selon le directeur général de la cohésion sociale, le doublement des crédits des « cantines à 1 euro », permis par les économies attendues sur la prime d'activité (cf. supra) correspond à une sincérisation - les crédits consacrés à cette dépense ayant été régulièrement sous-estimés dans les précédents projets de loi de finances. En septembre 2024, le besoin de crédits supplémentaires au titre de la tarification sociale des cantines est ainsi de 29 millions d'euros pour la fin de l'année.

B. RSA RECENTRALISÉ : UNE EXPÉRIMENTATION AU MILIEU DU GUÉ

Le revenu de solidarité active (RSA), principal minimum social en France avec plus de 11 milliards d'euros de dépenses en 2021, est en principe financé par les départements. Compte-tenu des difficultés financières que cette gestion induit, il a toutefois été recentralisé, à titre expérimental, dans trois départements métropolitains. Les développements qui suivent reprennent les principales observations et recommandations formulées par les rapporteurs spéciaux dans leur récent rapport de contrôle budgétaire sur le sujet14(*).

1. Les dépenses de l'État au titre de la recentralisation expérimentale du RSA devraient être relativement stables

Le PLF 2025 prévoit 1 706,5 millions d'euros au titre du RSA recentralisé, en hausse de 9,5 % par rapport à la LFI pour 2024 (1 558,9 millions d'euros). Ces crédits recouvrent à la fois la recentralisation pérenne du RSA dans certains territoires d'Outre-mer (Guyane, Mayotte, La Réunion) et la recentralisation expérimentale du RSA dans trois départements métropolitains (Seine-Saint-Denis, Pyrénées-Orientales et Ariège), qui a fait l'objet d'un contrôle budgétaire par les rapporteurs spéciaux.

Selon les prévisions de la CNAF en 2024, transmises aux rapporteurs spéciaux par la DGCL, les dépenses de RSA exposées par l'État au titre de la recentralisation expérimentale du RSA s'élèveraient à 740 millions d'euros en 2025, en légère baisse (- 1,5 %) par rapport à 2024 (751,3 millions d'euros). Les documents budgétaires annexés au PLF pour 2025 ne distinguent pas les dépenses au titre de la recentralisation en métropole.

Évolution prévisionnelle des dépenses de RSA recentralisé
dans les trois départements expérimentateurs de métropole

(en millions d'euros)

* Données prévisionnelles

Source : commission des finances du Sénat, d'après les prévisions de la DGCL et de la CNAF (2024)

2. À mi-parcours, le bilan de l'expérimentation est plutôt positif
a) La fin de l'asphyxie budgétaire des départements, pour un coût maîtrisé pour l'État

Pour l'État, le coût de la recentralisation peut paraître important au regard des crédits inscrits en dépenses sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » : 690,2 millions d'euros en 2022 et 746,8 millions d'euros en 2023. Toutefois, en tenant compte des reprises de recettes réalisée en vertu du droit à compensation, le coût net pour l'État de la recentralisation apparaît très maîtrisé : 35 millions d'euros en 2022 et 68 millions d'euros en 2023.

Coût financier théorique de l'État au titre de la recentralisation

 

2022

2023

Dépenses

690 195 218 €

746 800 000 €

Ariège

-

40 900 000 €

Pyrénées-Orientales

150 099 447 €

158 500 000 €

Seine-Saint-Denis

540 095 771 €

547 400 000 €

Recettes

655 174 904 €

678 615 921 €

Ariège

-

38 113 828 €

Pyrénées-Orientales

136 934 363 €

136 856 744 €

Seine-Saint-Denis

518 240 541 €

503 645 349 €

Gain (+) ou perte (-) théorique pour l'État

- 35 020 314 €

- 68 184 079 €

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par la DGCL

Surtout, la recentralisation permet de protéger efficacement les départements expérimentateurs contre « l'effet ciseau » qu'implique à la fois les dépenses de RSA en continue augmentation et la volatilité des recettes de droits de mutations à titre onéreux (DMTO).

D'une part, la recentralisation a permis de protéger les finances départementales contre la progression du reste à charge des départements expérimentateurs, compte tenu de l'augmentation des dépenses de RSA (due notamment aux revalorisations du montant forfaitaire de l'allocataire face à l'inflation). En outre, selon les dernières données disponibles, le nombre de bénéficiaires du RSA serait toujours plus élevé dans les trois départements qu'avant la recentralisation.

Mais l'expérimentation a également permis de protéger les départements contre l'aléa lié à la volatilité des recettes de DMTO.

Les deux premières années de l'expérimentation ont ainsi été enregistrées des baisses très substantielles du produit des DMTO (en 2023, il a diminué de 38,6 % en Ariège, de 2,2 % dans les Pyrénées-Orientales et de 27,4 % en Seine-Saint-Denis).

Évolution des recettes et dépenses de l'État liées au RSA recentralisé

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de la DGCL

Le choix de retenir une part dynamique de DMTO a permis de diminuer l'impact de cette baisse sur les finances des départements dans la mesure où elle est partiellement supportée par l'État.

En effet, entre 2022 et 2023, les recettes de l'État liées à la recentralisation ont diminué de 2,2 % à périmètre constant, alors que ses dépenses d'allocation augmentaient de 2,3 %.

En d'autres termes, l'État subit désormais une partie de « l'effet ciseau », au profit des départements.

b) Une politique d'insertion « radicalement nouvelle » qui doit encore se concrétiser

Les départements expérimentateurs ont porté une attention accrue à l'orientation des bénéficiaires du RSA. Cette étape est en effet cruciale puisqu'elle conditionne la suite de l'accompagnement. Les résultats sont encourageants, les délais d'orientation ont diminué, permettant une entrée plus fluide dans l'accompagnement, et les réorientations (qui démontrent un souci accru des parcours et de la pertinence de l'orientation), ont également connu une hausse.

Les marges de manoeuvre financières dégagées par la recentralisation sont également réinvesties dans les politiques d'insertion. Ainsi, la Seine-Saint-Denis a pris l'engagement, tenu dans son budget primitif pour 2024, de doubler les crédits départementaux d'insertion et les effectifs de référents insertion, tandis que les Pyrénées-Orientales sont en passe de faire passer leurs crédits d'insertion de 8 à 13 millions d'euros et de tripler leurs effectifs de conseillers d'insertion.

Les partenariats territoriaux avec Pôle emploi, devenu « France Travail », ont également été renforcés, favorisant la montée en puissance d'un « accompagnement global » conduit conjointement par le département et le service public de l'emploi. Dans les Pyrénées-Orientales, la montée en charge de ce mode d'accompagnement est particulièrement ambitieuse, puisque le nombre de BRSA concerné doit passer de 700 à 2 100 personnes par an au terme de l'expérimentation.

Les solutions d'accompagnement ont également été développées, avec des stratégies variables selon les territoires. Là où l'Ariège a un écosystème de solutions d'accompagnement très varié, les Pyrénées-Orientales misent sur l'accompagnement global développé avec Pôle emploi ainsi que sur l'accompagnement vers et dans l'emploi. Quant au département de Seine-Saint-Denis, il est en passe de mettre en oeuvre une politique locale d'insertion intégrée, grâce à de nouvelles structures dédiées dénommées Agences locales d'insertion (ALI), avec pour vocation de constituer « une offre socio-professionnelle largement appuyée sur les structures d'insertion par l'activité économique » (SIAE). Cette nouvelle offre d'accompagnement, unanimement jugée prometteuse, doit encore concrétiser les attentes placées en elle.

Répartition des modalités d'accompagnement des bénéficiaires du RSA

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par les départements expérimentateurs

Les départements expérimentateurs mènent également des actions de lutte contre le non recours : le département de Seine-Saint-Denis par exemple, outre le recrutement d'agents administratifs spécialisés dans l'accès aux droits, s'est engagé dans l'expérimentation « Territoires zéro non recours ».

Enfin, la recentralisation n'a pas, à ce stade, apporté de profond changement en matière de sanctions. Toutefois, l'entrée en vigueur de la loi pour le plein emploi, qui a réformé l'échelle des sanctions ainsi que certaines modalités d'accompagnement des bénéficiaires, risque d'avoir un impact qu'il est difficile de prévoir sur les politiques départementales d'insertion des bénéficiaires du RSA.

3. L'épineuse question du terme de l'expérimentation « RSA recentralisé »
a) La « fausse expérimentation » : un écueil à éviter

Dans son étude de 2019 consacrée aux expérimentations, le Conseil d'État relevait qu'« il existe aussi de fausses expérimentations. Elles consistent à édicter un dispositif temporaire, facialement présenté comme une expérimentation, mais qui n'est pas accompagné d'un minimum de méthode ». Si les rapporteurs spéciaux ne considèrent pas que la recentralisation du RSA doive être qualifiée de « fausse expérimentation », ils relèvent tout de même que :

- d'une part, le passage par une expérimentation de l'article 37-1 de la Constitution constituait le seul moyen pour réaliser une recentralisation « à la carte » du RSA. Dès lors, il n'est pas interdit de penser que l'expérimentation constituait alors un artifice juridique expédient plutôt que l'instrument d'une démarche scientifique.

- d'autre part, la méthodologie de l'expérimentation présente plusieurs fragilités. L'existence même d'un rapport d'évaluation n'aurait pas été assurée si le Conseil d'État n'avait insisté. Aucun critère de réussite n'a été fixé en amont, aucun évaluateur indépendant n'a été désigné. Cela signifie qu'il existe un risque que l'évaluation soit réalisée par l'administration qui l'a mise en oeuvre, selon des modalités qu'il lui reviendrait de déterminer, et selon des critères de réussite qui pourraient être fixés en fonction du résultat souhaité. À l'évidence, l'expérimentation ne présente guère les garanties de « scientificité » que l'on peut légitimement attendre.

Les rapporteurs spéciaux recommandent donc que l'expérimentation soit rigoureusement évaluée, à la fois dans le cadre du suivi continu réalisé par les administrations et lors de la remise du rapport qui doit être rendu au terme de l'expérimentation, par un évaluateur indépendant. Dans ce dernier cadre, une comparaison des données du retour à l'emploi des départements expérimentateurs et du reste du pays devrait être menée.

b) La possiblité juridique d'une pérennisation de l'expérimentation dans sa forme actuelle semble compromise

Enfin, sans préjuger des enseignements qui pourront être tirés de l'expérimentation, il convient de s'interroger sur les options qui s'offriront à l'État et aux départements à l'issue de la période courant de 2022 à 2026. L'analyse des rapporteurs spéciaux les conduits en effet à considérer que la pérennisation de l'expérimentation dans les seuls départements expérimentateurs - sans que la recentralisation s'applique au reste du territoire - serait impossible au regard de la jurisprudence constitutionnelle.

Ainsi, selon les rapporteurs spéciaux, trois voies pourront être suivie à l'issue de l'expérimentation. Pour chacune, ils ont souhaité définir trois principes cardinaux qu'il conviendra de respecter quel que soit le scénario retenu :

- en cas de prolongation de l'expérimentation, il conviendra de s'assurer que cette reconduction est justifiée du point de vue de la démarche expérimentale, afin d'éviter la tendance naturelle de tout dispositif temporaire de s'installer dans la durée. En ce cas, il pourrait être envisagé d'ouvrir l'expérimentation à de nouvelles candidatures de départements éligibles ;

- le scénario d'une recentralisation généralisée du RSA serait une option possible si l'expérimentation donnait des résultats très concluants. Cette mesure de grande ampleur conduirait toutefois à un recul de la décentralisation et devrait nécessairement être concertée avec l'ensemble des départements, pour en définir les conditions acceptables par tous ;

- enfin, l'option d'une « re-décentralisation », tout à fait inédite, pourrait aboutir à une situation dans laquelle les départements expérimentateurs ne disposeraient plus des marges de manoeuvre ayant permis d'investir dans les politiques d'insertion des bénéficiaires du RSA. Ce scénario pourrait conduire à ce que le droit à compensation des départements en 2026 serait moindre que le droit à compensation de l'État en 2022/2023, ce qu'il convient de proscrire. Il s'agira dès lors de garantir aux départements expérimentateurs de recouvrer a minima l'ensemble des ressources reprises par l'État au début de l'expérimentation.

Synthèse des recommandations des rapporteurs spéciaux

Recommandation n° 1 : Poursuivre les discussions avec le département de la Guadeloupe afin de trouver une solution technique et juridique lui permettant, s'il le souhaite toujours, de bénéficier de la recentralisation du RSA sur le fondement de l'article 73 de la Constitution.

Recommandation n° 2 : Surseoir à la suppression de l'allocation de solidarité spécifique jusqu'au terme de l'expérimentation ou, à défaut, compenser aux départements l'accroissement de charges induit par le report des bénéficiaires de l'ASS vers le RSA.

Recommandation n° 3 : Mener une évaluation rigoureuse de l'expérimentation, en conjuguant notamment deux approches :

- une première approche au niveau « micro », menée en continu par les administrations compétentes de l'État et des départements et fondée sur les données relatives aux « sorties positives » des dispositifs d'insertion départementaux ;

- une seconde approche au niveau « macro », menée au terme de l'expérimentation par un évaluateur indépendant et fondée sur la comparaison de données départementales avec des données nationales sur le retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA.

Recommandation n° 4 : Quelle que soit l'issue de l'expérimentation, respecter quelques principes cardinaux :

- ne prolonger l'expérimentation que si cette prolongation est justifiée du point de vue de la démarche expérimentale, en permettant le cas échéant la participation de nouveaux départements selon les critères d'éligibilités actuels ;

- obtenir l'accord de l'assemblée générale des départements de France préalablement à tout projet de recentralisation du RSA sur tout le territoire ;

- en cas de « re-décentralisation », assurer aux départements expérimentateurs un niveau de ressources compensatrice au moins égal au niveau des ressources reprises par l'État au début de l'expérimentation.

Recommandation n° 5 : Pour prévenir les effets d'une « re-décentralisation » inédite, engager dès à présent une réflexion sur les moyens d'atténuer au mieux les difficultés des départements les plus fragiles, par exemple en réformant des dispositifs de péréquation tels que le FMDI.

Source : « RSA recentralisé : une expérimentation au milieu du gué », rapport précité

C. PROTECTION DE L'ENFANCE : UNE POLITIQUE DÉPARTEMENTALE À LA RECHERCHE DE SOLIDARITÉ NATIONALE

1. L'aide sociale à l'enfance (ASE) est à l'origine d'une forte hausse des dépenses départementales d'hébergement et de frais de séjour

En 2023, les dépenses de frais d'hébergement en établissements médico-sociaux et en famille d'accueil des départements (14,8 milliards d'euros en 2023) ont progressé de 1 milliard d'euros (soit + 7 %). Cette hausse, supérieure à celle des prix à la consommation selon la Cour des comptes15(*), concerne principalement les frais de séjour en établissements de l'aide sociale à l'enfance (ASE), qui représentent 6,3 milliards d'euros en 2023 (soit + 11,8 % par rapport à 2022).

Les dépenses de l'ASE sont en effet très dynamiques : elles ont augmenté de 12,8 % en volume entre 2016 et 2022, du fait de la hausse du nombre d'enfants confiés par l'autorité judiciaire : leur nombre a ainsi augmenté de près d'un quart entre 2016 et 2022 (23,0 %, soit + 3,5 % en moyenne annuelle), et de 3,3 % en 2023 selon l'observatoire départemental de l'action sociale (ODAS).

Cette hausse spectaculaire résulte du nombre croissant d'enfants confiés à l'ASE, soit 208 000 environ en 2022 (+ 17,4 % depuis 2017)16(*). Parmi les enfants confiés à l'ASE, c'est surtout le nombre de mineurs non accompagnés (MNA) confiés par décision judiciaire qui explique cette augmentation : leur nombre s'est établi à 19 370 fin 2023, contre 14 782 fin 2022, soit une augmentation vertigineuse de + 31 %.

Si, comme le pense la Cour des comptes, le nombre de bénéficiaires de mesures d'aide sociale à l'enfance augmente à nouveau en 2024, les dépenses de frais de séjour et d'hébergement à la charge des départements pourraient augmenter en 2024 de 1 % à 2 % au titre de ce seul facteur démographique, avant incidence des effets directs et indirects de l'inflation.

2. Les moyens dédiés à cette politique par l'État ne sont pas à la hauteur des besoins

Les crédits destinés à soutenir les départements dans la mise en oeuvre de la politique de la protection de l'enfance s'élèvent à 305,3 millions d'euros, ce qui représente 72,9 % des crédits de l'action 17 « Protection et accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables » du programme 304.

Les crédits à destination des départements connaissent une hausse significative par rapport aux crédits budgétés dans le PLF pour 2024, dont le montant s'établissait à 291,7 millions d'euros - ce qui représente une augmentation de 4,7 % entre le PLF pour 2024 et le PLF pour 2025. Toutefois, si les rapporteurs spéciaux avaient indiqué l'année dernière devant la commission « déplore[r] que le soutien de l'État aux départements pour l'accueil des mineurs non accompagnés (MNA) diminue en 2024, comme tous les ans », le Gouvernement avait ensuite déposé au Sénat un amendement majorant de 32 millions d'euros les crédits consacrés au soutien à la prise en charge des mineurs non accompagnés par les départements.

Évolution des dépenses de l'État en soutien aux politiques départementales
de l'enfance entre la LFI 2024 et le PLF 2025

(en millions d'euros et en pourcentage)

 

LFI 2024

PLF 2025

Évolution 2025/2024

Stratégie nationale de protection de l'enfance

140,0

120,0

- 14,3 %

Prise en charge des MNA

99,7

101,3

+ 1,6 %

dont mise à l'abri et évaluation de la minorité

35,8

66,2

+ 84,9 %

dont MNA confiés à l'ASE

31,9

35,1

+ 10,0 %

dont amendement gouvernemental adopté au Sénat

32,0

 

 

Actions nationales

84,0

84,0

0 %

dont plan jeunes majeurs

50,0

50,0

0 %

dont Ségur PMI

20,0

20,0

0 %

dont soulte Castex

14,0

14,0

0 %

Total

323,7

305,3

- 5,7 %

Source : commission des finances du Sénat

Si l'on prend en compte cet amendement, les crédits dédiés à la prise en charge des MNA augmentent toujours par rapport à la LFI pour 2024 (+ 1,6 %). Toutefois, les crédits dédiés à la stratégie nationale de protection de l'enfance passent de 140 à 120 millions d'euros (- 14,3 %). Si le Gouvernement mentionne que cette baisse tient simplement compte du niveau de consommation constaté, il omet de mentionné, comme l'a indiqué l'ADF aux rapporteurs spéciaux, que les financements sont décaissés à l'été ce qui ne laisse guère de temps aux départements pour les consommer. Enfin, les crédits dédiés aux actions nationales (plan visant à éviter les sorties « sèches » de l'ASE des jeunes majeurs, compensation du Ségur dans les centres de protection maternelle infnatile (PMI) et compensation des revalorisations salariales via la « soulte Castex ») n'évoluent pas. Ainsi, les crédits proposés dans le PLF pour 2025 sont inférieurs de 5,7 % aux crédits ouverts en LFI pour 2024, soit bien en deçà des besoins.

Si les rapporteurs spéciaux regrettent cette tendance, ils ne peuvent qu'en prendre acte et renvoyer, pour protéger les départements, aux mesures concernant spécifiquement les collectivités territoriales.

II. LA SANCTUARISATION DES MOYENS DÉDIÉS À L'AIDE ALIMENTAIRE DANS UN CONTEXTE DE PERSISTANCE DE LA PRÉCARITÉ

A. UNE HAUSSE DE L'INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE, QUANTITATIVE COMME QUALITATIVE, CES DERNIÈRES ANNÉES

Dans la période récente, on assiste à une forte aggravation de la précarité alimentaire en France. Avec la crise inflationniste en particulier, les associations entendues par les rapporteurs spéciaux avaient notamment indiqué, en plus de la hausse de la fréquentation de leurs dispositifs, avoir remarqué une évolution inquiétante des profils des personnes s'y présentant.

Insécurité alimentaire, lutte contre la précarité alimentaire
et aide alimentaire

L'insécurité alimentaire est une notion utilisée dans les enquêtes statistiques. Elle renvoie au manque de moyens pour acheter de la nourriture, pour faire des repas équilibrés, pour manger à sa faim, ou encore à l'obligation de sauter des repas ou de manger moins par manque d'argent. Toutes les personnes en situation d'insécurité alimentaire ne font pas systématiquement appel à l'aide alimentaire.

La lutte contre la précarité alimentaire, au sens de l'article L. 266-1 du code de l'action sociale et des familles, vise à favoriser l'accès à une alimentation sûre, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante aux personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale. Elle mobilise l'État et ses établissements publics, les collectivités territoriales, les acteurs économiques, les associations, dans le cadre de leur objet ou projet associatif, ainsi que les centres communaux et intercommunaux d'action sociale, en y associant les personnes concernées. L'aide alimentaire constitue le principal dispositif de lutte contre la précarité alimentaire.

L'aide alimentaire, au sens de l'article L. 266-2 du même code a pour objet la fourniture de denrées alimentaires aux personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale, assortie de la proposition d'un accompagnement. Elle est principalement mise en oeuvre par des associations habilitées ainsi que par les épiceries sociales. Le fonctionnement de ces structures repose sur des moyens privés (dons en nature et numéraires des particuliers et entreprises), des financements publics (aides européennes, dépenses budgétaires de l'État et des collectivités territoriales, dépenses fiscales), et l'action bénévole de leurs membres.

Source : commission des finances du Sénat

Ainsi, l'association nationale des épiceries solidaires (ANDES) a indiqué que le nombre de clients bénéficiaires fréquentant les épiceries solidaires de son réseau était passé de 170 000 personnes en 2019 à 230 000 personnes en 2023 - avec probablement une nouvelle hausse moins marquée en 2024 jusqu'à 250 000 personnes - soit une hausse de 50 % en cinq ans.

Les Restos du Coeur ont également constaté, sur l'exercice 2023-2024, un nombre de 1,3 million de personnes accueillies et 163 millions de repas servis (contre 171 mililions l'année dernière et « seulement » 142 millions il y deux ans) dans leurs réseau. Le constat est le même chez les Banques alimentaires, leur fédération (FFBA) indiquant une hausse de 20 % du recours à l'aide alimentaire depuis 2023, pour près de 2,4 millions de personnes.

Concernant le profil des bénéficiaires, il a fortement évolué entre 2021 et 2023, avec de façon inquiétante une hausse de la part des actifs, y compris de salariés en contrat à durée indéterminée (CDI). Si le profil des bénéficiaires a peu évolué en 2024, la FFBA note tout de même que certaines catégories de bénéficiaires sont particulièrement impactées, notamment les jeunes de 15 à 25 ans (qui représentent 22 % des personnes accueillies, contre 19 % en 2018) et les très jeunes enfants (157 581 enfants de 0 à 3 ans, soit 15 % d'augmentation depuis 2022.

Les associations ont également indiqué constater une hausse de la précarité alimentaire « qualitative », c'est-à-dire des personnes déclarant ne pas manger les produits qu'ils souhaiteraient faute de moyens.

Évolution du sentiment de restriction sur le budget alimentaire
dans la population générale

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport du CRÉDOC précité

Cette question, qui rejoint de nombreux enjeux de santé publique (71 % des bénéficiaires de l'aide alimentaire déclarent au moins un problème de santé lié à l'alimentation surpoids, obésité, des problèmes cardiovasculaires, diabète) est désormais de plus en plus traitée par les associations.

B. L'AIDE ALIMENTAIRE : DES CRÉDITS PRÉSERVÉS DES COUPES BUDGÉTAIRES ET MÊME EN LÉGÈRE HAUSSE

1. Abondés en urgence fin 2023 et intouchés par les coupes budgétaires de 2024, les crédits de l'aide alimentaire progresseraient légèrement en 2025
a) L'enveloppe dédiée à l'aide alimentaire, augmentée fin 2023, semble avoir été sanctuarisée en 2024

Fin 2023, l'augmentation de l'insécurité alimentaire, principalement due au renchérissement du coût de la vie durant la crise inflationniste, a placé les associations d'aide alimentaire dans une situation qu'elles qualifient parfois « d'équation insoluble »17(*).

On observait alors un accroissement considérable des besoins en matière d'aide alimentaire. L'inflation sur les dépenses alimentaires touchant davantage les ménages les plus modestes18(*), un nombre plus important d'entre eux peut basculer dans la précarité alimentaire et recourir plus fortement à l'aide alimentaire, conduisant à une augmentation de l'ordre de 25 % de la file active des associations. D'autre part, le coût des denrées avait fortement crû19(*), ce qui a particulièrement affecté les associations dont l'approvisionnement s'appuie en grande partie sur les achats, comme le Restos du Coeur, qui avait annoncé des restrictions inédites des critères d'éligibilité à leur aide alimentaire.

Ainsi, la loi de finances de fin de gestion pour 202320(*) a prévu d'abonder les crédits à destination de l'aide alimentaire de 40 millions d'euros - dont la moitié à l'initiative du Sénat. Ces crédits, ouverts en fin d'exercice 2023, ont été reportés sur l'exercice 2024 pour soutenir les associations. Conformément au souhait des associations, ces crédits ont été budgétés au sein d'une enveloppe nationale. Les Restos du Coeur ont toutefois signalé aux rapporteurs spéciaux que ces crédits exceptionnnels n'étaient pas encore entièrement décaissés.

Ils réitèrent donc les recommandations de leur rapport d'information de 202321(*) pour remédier à la tardiveté de versements dus aux associations subventionnées par la mission.

Malgré les annulations, gels et « surgels » de crédits décidées à compter de février 202422(*), les crédits dédiés à l'aide alimentaire semblent avoir été préservés. En effet, les associations d'aide alimentaire entendues par les rapporteurs spéciaux ont indiqué ne pas avoir été affectées par les restrictions budgétaires.

b) Une hausse modeste des crédits prévus pour 2025, qui permet le financement de mesures nouvelles

Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit d'ouvrir 147,4 millions d'euros de crédits sur l'action n° 14 « Aide alimentaire » du programme 304, soit une progression de 3,4 % par rapport à la LFI 2024.

Évolution des crédits nationaux en faveur de l'aide alimentaire
entre la LFI 2024 et le PLF 2025

(en millions d'euros)

 

LFI 2024

PLF 2025

Évolution

P.304 - Action 14

142,5

147,4

+ 3,4 %

dont contribution nationale au FSE +

11,7

11,7

+ 0,0 %

Prise en charge des dépenses inéligibles au titre des exercices précédents

24,5

10,6

- 56,7 %

(exercices 2021 et 2022)

(exercices
2022 et 2023)

 

dont épiceries sociales

9,1

11,1

+ 22,0 %

dont subventions aux têtes de réseau associatives nationales

5,0

11,2

+ 124,0 %

dont aide alimentaire déconcentrée

19,3

19,3

+ 0,0 %

dont subvention pour charge de service public à FranceAgriMer

2,9

3,5

+ 20,7 %

dont Fonds pour les nouvelles solidarités alimentaires et Programme "Mieux manger pour tous"

70,0

80,0

+ 14,3 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Cette hausse est bien plus modeste que la hausse proposée dans la LFI pour 2023 (+ 21,6 %). Elle dissimule toutefois des avancées notables. En effet, alors que dans le PLF pour 2024 l'augmentation des crédits était particulièrement sensible s'agissant de la participation de l'État aux refus d'apurement au titre du FEAD (+ 14,3 millions d'euros)23(*), cette dépense connait une importante diminution dans le PLF pour 2025 (- 13,9 millions d'euros).

La diminution des refus d'apurement, qui traduit la diminution des montants des remboursements demandés à l'Union européenne avec la transition du FEAD au FSE +, permet en compensation de poursuivre l'augmentation de crédits réellements affectés à la lutte contre la précarité alimentaire. Ainsi :

- les subventions nationales aux associations « tête de réseau » augmentent de 6,1 millions d'euros, traduisant la mise en place du plan « urgence premiers pas » visant à distribuer des produits alimentaires (3 millions d'euros) et des produits d'hygiène (3 millions d'euros) infantiles ;

- la hausse de 2 millions d'euros des crédits nationaux aux épiceries solidaires (CNES), décidée à l'initiative du Sénat dans le cadre du PLF pour 2024, est pérennisée ;

- le programme « Mieux manger pour tous » (MMPT) poursuit sa progression, avec une hausse de 10 millions d'euros par rapport à 2024.

c) Une fois passée l'urgence du pic inflationniste, la pertinence du programme « Mieux manger pour tous » apparaît mieux établie

Le programme « Mieux manger pour tous », qui s'inscrit dans le « Pacte des solidarités », a été doté de 70 millions d'euros en 2024 après 60 millions d'euros en 2023. Il est distribué en deux volets : un volet national visant à accroître l'offre de denrées plus saines, durables et locales par les associations « têtes de réseau », qui représentait initialement deux tiers des montants distribués, et un volet local visant à développer la couverture des zones blanches où l'offre d'aide alimentaire est limitée, initialement doté d'un tiers de ces montants.

En 2024, les crédits supplémentaires annoncés dans le Pacte des solidarités, à hauteur de 10 millions d'euros, ont permis d'accroître le volet local du programme « Mieux manger pour tous ». Or, si les associations ont uniformément jugé que le bilan du programme « Mieux manger pour tous » est, à ce stade, satisfaisant, l'attribution des subventions au titre du volet local programme « Mieux manger pour tous » par le biais d'appels à projets (AAP) a plus fait l'objet de critiques de la part des acteurs associatifs. Ils demandent ainsi que la nouvelle augmentation des crédits du programme, de 10 millions d'euros pour 2025, soit fléché vers son volet national, qui prévoit une répartition entre acteurs engagés liés par une convention pluriannuelle avec l'État, sans appel à projets et avec célérité.

Répartition des crédits du programme « Mieux manger pour tous »
entre 2023 et 2025

(en millions d'euros)

 

LFI 2023

LFI 2024

PLF 2025

dont volet national

40

40

40

dont volet local

20

30

40

Programme Mieux manger pour tous

60

70

80

Source : commission des finances du Sénat, d'après la DGCS

Comme l'avaient écrit les rapporteurs dans leur rapport sur le projet de loi de finances pour 2023, la logique d'appels à projet conduit à alourdir la charge d'ingénierie des associations alors même qu'elles exercent déjà dans un contexte très tendu. Ce sont au contraire les situations où l'attribution des fonds est réalisée de gré à gré que les associations semblent plébisciter.

Passée l'urgence liée à la crise inflationniste, les acteurs associatifs se sont montré plutôt laudateurs du programme « Mieux manger pour tous » : de l'avis général - et aux yeux des rapporteurs spéciaux - il s'agit là d'une initiative louable et positive pour transformer structurellement et sur le long-terme l'offre d'aide alimentaire, particulièrement dans un contexte de maintien de la précarité alimentaire en conjonction avec de forts besoins d'éducation à la nutrition24(*).

2. La gestion des fonds européens gagne en efficacité, bien que des difficultés demeurent
a) Une sur-programmation des crédits européens pour compenser leur érosion du fait de l'inflation

Pour la programmation 2022-2027, le fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD) a été intégré au nouveau Fonds social européen plus (FSE +). La France a ainsi reçu une dotation de 647 millions d'euros dans le cadre du nouveau FSE +, contre 587 millions d'euros pour la campagne 2014-2020 du FEAD.

Entre 2020 et 2022, le FEAD français s'est également vu allouer 132 millions d'euros de crédits financés à 100 % par l'UE, dans le cadre de l'initiative React-EU, permettant à l'opérateur FranceAgriMer (FAM), en charge de la passation des marchés d'achats publics de denrées pour le compte des associations d'aide alimentaire éligibles au FSE +, d'effectuer des achats complémentaires de denrées.

Les rapporteurs spéciaux ne peuvent que se féliciter de l'important effort national et européen annoncé en faveur de l'aide alimentaire pour la programmation 2022-2027. Toutefois, la programmation a été adoptée avant la poussée inflationniste qui a débuté fin 2021.

Programmation 2022-2027 du FSE + pour l'aide alimentaire

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

En termes réels, la dotation annuelle diminuerait donc de 23 % à l'horizon 2027 d'après les hypothèses d'inflations figurant au rapport économique, social et financier (RESF) annexé au présent projet de loi de finances, diminuant donc d'autant les quantités de denrées pouvant être achetées. Cette estimation actualisée prend en compte les données sur l'inflation à date ; on constate donc une érosion plus importante que celle estimée l'année précédente (« seulement » 12 %).

Si le programme React à permis de compenser partiellement cette érosion durant le pic de la crise inflationniste, il a depuis pris fin. De même, l'évolution du programme « Mieux manger pour tous » ne permets que d'atténuer la diminution en termes réels des crédits européens.

Enfin, l'accès aux fonds européens est encore, comme l'ont à de multiples reprise relevé les rapporteurs spéciaux25(*) trop souvent obéré par un cadre normatif excessivement contraignant. Les contrôles de conformité aux normes européennes aboutissent à ce que d'importants montants engagés par FranceAgriMer soient rendus inéligibles au financement FSE +, devant en conséquence faire l'objet d'une compensation par l'État. Ces situations, dites « d'auto-apurement », connaissent une baisse importante, puisque les montant compensés par l'État passeraient de 24,5 millions d'euros en 2024 à 10,6 millions d'euros en 2025 (- 56,7 %). Les irrégularités en cause sont généralement imputables à des erreurs d'ordre logistique.

Il est à espérer que cette diminution, mécaniquement liée à la transition entre le programme FEAD et le FSE +, se poursuive avec la mise en place d'une nouvelle autorité de certification dans ce nouveau cadre.

Pour faire face à la diminution des crédits européens liés à l'érosion monétaire, et compte tenu des sous-consommations régulières des crédits européens du fait des montants non négligeables faisant l'objet de refus d'apurement, l'administration s'est résolu à « sur-programmer » l'aide versée au titre du FSE+. Concrètement, l'administration prévoit chaque année de consommer 20 millions d'euros supplémentaires pour limiter l'impact de leur sous-consommation prévisible.

Ce véritable « sur-booking budgétaire », comme il a été malicieusement désigné par les associations auditionnées, devrait permettre de solliciter jusqu'à 80 millions d'euros de crédits européens sur quatre ans. Les rapporteurs spéciaux se montreront toutefois vigilants à la potentielle hausse des refus d'apurement qui pourrait résulter de cette sur-programmation.

b) Les mesures de résilience prises par FranceAgriMer commencent à porter leurs fruits, mais les difficultés liées à la gestion des fonds européens demeurent

Entendu par les rapporteurs spéciaux, l'opérateur FranceAgriMer a fait le point sur ses difficultés d'approvisionnement du fait des marchés infructueux - soit des marchés n'ayant fait l'objet d'aucune offre ou ayant fait l'objet de demandes de résiliation pour force majeure par les fournisseurs sélectionnés, finalement dans l'incapacité d'honorer leurs livraisons. Ce phénomène, qui avait connu son apogée en 2022 avec les tensions géopolitiques et la guerre en Ukraine, est désormais moins prévalent. Pour s'en prémunir, FranceAgriMer a en effet mis en oeuvre plusieurs leviers :

- la passation de marchés pluriannuels assortis de clauses de révision annuelles, destinés à donner de la visibilité aux fournisseurs comme à l'ensemble des réseaux associatifs - ces marchés concernent actuellement cinq types de produits ;

la dissociation entre les marchés d'achat et de logistique, qui ont permis, avec des résultats salués par l'ensemble des parties prenantes, de renforcer la sécurité juridique de ces marchés - avec l'appui d'un logisticien recruté grâce à une hausse de la subvention pour charges de service public versée à l'opérateur ;

- la réalisation de marchés multiattributaires, c'est-à-dire de marchés pour lesquels plusieurs offres sont retenues pour fournir le même type de produit et pour lesquels les fournisseurs ne doivent eux-même pas recourir au même site de fabrication.

Si aux dires de FranceAgriMer la problématique des lots infructueux s'est résorbée avec le passage du pic inflationniste, l'opérateur est désormais confronté à de nouvelles difficultés en termes budgétaires et en termes d'effectifs. En effet, la gestion du FSE+ mobilise, selon FranceAgriMer, 25 ETP, un niveau que la subvention pour charges de service public (SCSP) de l'opérateur (2,9 millions d'euros) ne permet pas de couvrir. La nécessité de constituer de nouvelles équipes, notamment pour développer le sourcing des produits, explique l'augmentation de la SCSP de FranceAgriMer, portée à 3,5 millions d'euros (+ 20,6 %) dans le PLF pour 2025.

Surtout l'opérateur est confronté à d'importantes difficultés budgétaires liées à la tardiveté des remboursements dus au titre du FSE+. Ne pouvant obtenir de paiement de l'administration, l'opérateur s'est résolu à mobiliser un financement auprès de l'Agence France Trésor, aux conditions du marché. Se sont ainsi 220 millions d'euros qui ont été empruntés par FranceAgriMer depuis le début du programme FSE+.

III. LES BESOINS DU SECTEUR MÉDICO-SOCIAL FACE AU « SÉGUR POUR TOUS » ET À LA COMPLÉMENTAIRE OBLIGATOIRE

A. L'IMPACT NON FINANCÉ DU « SÉGUR POUR TOUS » SUR LES STRUCTURES DU SECTEUR MÉDICO-SOCIAL

À la suite de l'avis favorable émis par la commission nationale d'agrément (CNA) le 20 juin 2024, l'arrêté du 25 juin 2024 a apporté son agrément à la convention collective nationale unique élargie (CCNUE) de la branche de l'action sanitaire et sociale (BASS) du 4 juin 2024. Ces accords prévoyaient notamment l'octroi de la prime « Ségur », soit une indemnité de 238 euros bruts par mois, à tous les professionnels qui n'en bénéficiaient pas encore dans le cadre de la politique salariale, à compter du 1er janvier 2024, quel que soit leur secteur d'activité.

L'application, rétroactive au 1er janvier 2024, de cette convention aux structures financées par la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » provoque un besoin de financement :

- de 38 millions d'euros sur le programme 304, dont 32 millions d'euros pour les services mandataires de la protection juridique des majeurs, qui sont des établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) agréés et tarifés par l'État ;

- de 2,2 millions d'euros sur le programme 157 ;

- de 3 millions d'euros pour les structures subventionnées par le programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes ».

Plusieurs associations ont alerté les rapporteurs spéciaux sur la charge que ferait peser cet accord, dit « Ségur pour tous », sur les finances des organismes du secteur médico-social. Ainsi, la fédération nationale des associations tutélaires (FNAT), qui représente les services mandataires du secteur de la protection juridique des majeurs, a indiqué que la hausse des moyens prévue par le PLF pour 2025 risque d'être entièrement absorbée par le Ségur, au lieu de permettre d'améliorer les conditions d'encadrement des personnes protégées.

Les départements de France ont également manifesté leur hostilité à cette mesure, en tant que financeurs et autorité de tarification de nombreuses structures du secteur médico-social. L'Assemblée des départements de France (ADF) a ainsi appelé ses membres, quitte à se mettre en délicatesse avec la législation, à ne pas mettre en oeuvre l'extension de la prime « Ségur » tant que l'État ne leur en compense pas les conséquences26(*).

Les rapporteurs spéciaux relèvent pour leur part que le caractère rétroactif, au 1er janvier 2024, de l'octroi de la prime Ségur est de nature à fragiliser particulièrement certaines structures, mais qu'une intervention dans le cadre d'un projet de loi de finances de fin de gestion serait plus pertinente que dans le cadre du présent projet de loi de finances.

B. L'INTROUVABLE FINANCEMENT DE « LA MOITIÉ DE LA MOITIÉ » DE LA COMPLÉMENTAIRE OBLIGATOIRE DANS LES ESAT

Les associations entendues par les rapporteurs spéciaux les ont également alertés sur les difficultés que rencontreront à l'avenir les établissements et services d'aide par le travail (ESAT). L'ESAT est en effet un milieu de travail particulier et protecteur : les travailleurs n'y sont pas des salariés, mais des usagers d'une structure médico-sociale ; en conséquence, ils ne bénéficient pas des droits afférents au salariat.

Le programme 157 porte, outre les crédits dédiés à l'allocation adulte handicapé (AAH), les crédits alloués à l'aide aux postes des établissements et services d'aide par le travail (ESAT) au titre de la garantie de rémunération des travailleurs handicapés (GRTH). Cette enveloppe, budgétée sur la même action que l'AAH, s'élèverait à 1 599 millions d'euros pour 2025, soit une baisse de 0,9 % par rapport à 2024.

Cette aide au poste, versée à l'ESAT, permet à ces établissements de couvrir les charges, cotisations sociales, contributions au compte personnel de formation et de la prévoyance des travailleurs en ESAT. L'autre part de la GRTH est financée par l'ESAT. Plus de 14 000 ESAT accompagnent ainsi quelque 120 000 personnes

Depuis 2021, le Gouvernement a mis en oeuvre un plan de transformation des ESAT, visant à réduire la spécificité du modèle de l'ESAT au regard du « milieu ordinaire ». Ce plan a consisté :

- s'agissant des droits fondamentaux, à ouvrir aux travailleurs en ESAT des droits individuels et collectifs des salariés : extension du droit à congé élection d'un délégué des travailleurs, etc. ;

s'agissant du rapprochement entre le milieu protégé - l'ESAT - et le milieu ordinaire, la mesure phare du « plan ESAT » consiste en la mise en oeuvre d'un parcours renforcé en emploi, visant à favoriser les « sorties » d'ESAT tout en sécurisant de potentiels « retours ». À ce titre, le travailleurs en ESAT peuvent depuis 2023 travailler à mi-temps en milieu ordinaire, et ce sans perdre le bénéfice de l'AAH.

Entendues par les rapporteurs spéciaux, l'ensemble des associations du secteur du handicap est convenu que la convergence des droits des travailleurs en ESAT avec le droit commun du travail « va dans le bon sens. » Toutefois, ces associations ont regretté que les moyens alloués dans le PLF pour 2025 ne soient pas à la hauteur des enjeux.

L'absence de participation de l'État, via l'aide au poste par exemple, au financement de la complémentaire santé, désormais obligatoire pour les travailleurs en ESAT, concentre les critiques. Cette mesure, décidée dans le cadre de la loi pour le plein emploi27(*) et pleinement approuvée par les associations et les rapporteurs spéciaux dans son principe, aura assurément un impact délétère sur les finances des ESAT. Le rapport des inspections générales des finances (IGF) et des affaires sociales (Igas) publié en février dernier28(*) indique ainsi que la part des ESAT en déficit passerait de 29 % avant la réforme à entre 41 et 43 % après la réforme.

D'après une enquête menée par l'Unapei auprès de 250 ESAT de son réseau en octobre 2023, pour 78 % d'entre eux ces difficultés financières impacteront directement l'accompagnement des travailleurs. Selon l'Unapei, le risque est important qu'une sélection à l'entrée s'effectue, afin d'assurer une plus grande productivité, au détriment des travailleurs qui auraient le plus besoin d'un accompagnement médico-social, et qui seraient du fait des retentissements de leur handicap, les plus éloignés du monde du travail. Ces difficultés pourraient également engendrer une fermeture des ateliers les moins rentables, généralement plus accessibles aux travailleurs les moins autonomes.

La DGCS a indiqué aux rapporteurs spéciaux envisager de financer à hauteur de 50 % la part « employeur » de la complémentaire santé - qui représente elle-même 50 % du total. La prise en charge de « la moitié de la moitié » de la complémentaire santé des travailleurs en ESAT aurait un coût estimé de 23 millions d'euros pour les finances publiques.

En conclusion, les rapporteurs spéciaux notent, non sans regret, que leurs observations passées quant aux « dangers » du rapprochement entre le statut de travailleurs en ESAT et le statut de salarié restent d'actualité.

IV. LES MOYENS DE LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES MARQUÉS PAR LA MISE EN oeUVRE DE L'AIDE UNIVERSELLE D'URGENCE

A. UNE AUGMENTATION EN TROMPE L'oeIL DES CRÉDITS DÉDIÉS AUX DROITS DES FEMMES ET À LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES SEXISTES ET SEXUELLES

Les politiques de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les violences faites aux femmes sont retracées, pour ce qui relève de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », sur le programme 137. Celui-ci intervient principalement par des subventions versées à des associations assurant des missions de service public ou d'intérêt collectif, qui interviennent tant en matière de lutte contre les violences sexistes que pour promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes. Depuis 2024, il porte également les crédits dédiés à l'aide universelle d'urgence pour les victimes de violences (AUUVV).

Les rapporteurs spéciaux relèvent la poursuite de l'augmentation des crédits en 2025. Les crédits demandés s'élèvent en effet à 85,1 millions d'euros en AE et en CP, soit une augmentation de 9,9 % en AE et en CP par rapport à la LFI pour 2024.

Évolution des crédits du programme 137 entre 2017 et 2025

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les crédits du programme 137 sont toujours majoritairement composés de subventions à divers organismes ou associations pour le développement de l'accès aux droit ou la lutte contre les violences, et, marginalement, de dépenses de communication ou favorisant la culture de l'égalité. Toutefois, les crédits destinés à financer les organismes et associations sont stables, la hausse des crédits entre 2024 et 2025 étant exclusivement due à la montée en charge de l'aide universelle d'urgence.

Au sein du programme 137, les financements spécifiquement alloués aux politiques de lutte contre les violences faites aux femmes s'élève en PLF 2025 à 58,8 millions d'euros en AE en CP, ce qui représente une hausse de 15 % par rapport à 2024 et une multiplication par 4,2 par rapport à 2020.

Évolution des crédits destinés spécifiquement à la lutte
contre les violences faites aux femmes

(en millions d'euros)

 

2020

2021

2022

2023

2024

2024

 

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Crédits ouverts en LFI

13,5

13,8

29,5

22,3

24,9

28

35,2

38,4

51,1

51,1

58,8

58,8

Crédits consommés

19,9

20,1

32,1

25,5

30

33,2

40,5

43,5

 

 

 

 

Source :commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires et les réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Cette progression a été particulièrement rapide lors de la mise en oeuvre de plusieurs mesures.

La première hausse sensible des crédits a eu lieu entre 2020 et 2021 (+ 115,3 % en AE et + 65,2 % en CP) et s'explique notamment par le financement de deux mesures du Grenelle de lutte contre les violences conjugales du 25 novembre 2019 :

l'ouverture de 30 centres de prise en charge psychologique et sociale des auteurs de violences conjugales (CPCA), financés à hauteur de 5,9 millions d'euros par le programme 137 en PLF 2025. En termes d'affichage, les associations entendues par les rapporteurs ont regretté que son financement soit assuré par le programme 137 - qui devrait être dédié uniquement aux victimes - et non par la mission « Justice », dans la mesure où le placement dans ces structures relève dans la majorité des cas de décisions judiciaires (92 %) ;

- le financement du passage, depuis 2021, à un fonctionnement 24h/24 et 7j/7 de la plateforme d'écoute « 39.19 - Violences femmes infos » gérée par la Fédération nationale solidarité femmes FNSF), à laquelle serait attribuée une dotation dédiée de 5,3 millions d'euros en 2025, au même niveau qu'en 2024 mais en progression par rapport à 2023 (4,7 millions d'euros). Cette extension a notamment permis de renforcer son accessibilité pour les femmes victimes outre-mer.

La seconde fois que ces crédits ont fortement augmenté correspond à la mise en place d'une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences à compter de 2024. Les crédits dédiés à la lutte contre les violences avaient ainsi augmenté de 33,7 % entre 2024 et 2023.

B. L'AIDE UNIVERSELLE D'URGENCE EN FAVEUR DES VICTIMES DE VIOLENCES : UN DISPOSITIF BIENVENU DONT LA MONTÉE EN CHARGE DOIT FAIRE L'OBJET D'UN SUIVI ATTENTIF

1. L'aide universelle d'urgence, un dispositif utile et innovant

La nouveauté du programme 137 comporte depuis la LFI pour 2024 se trouve dans une action 26, portant les crédits alloués à l'aide universelle d'urgence en faveur des victimes de violences conjugales (AUUVV). Il s'agit de l'aboutissement d'une proposition de loi déposée par la sénatrice Valérie Létard, alors vice-présidente du Sénat, et rapportée par notre collègue Jocelyne Guidez.

Cette initiative sénatoriale, que les deux rapporteurs spéciaux ont pleinement soutenue, est devenue la loi n° 2023-140 du 28 février 2023 créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales29(*).

Les associations de défense des droits des femmes, y compris lorsqu'elles se montrent critique du fonctionnement du dispositif, en saluent le principe. En effet, les plaintes pour violences conjugales suivent une tendance à la hausse : 244 000 plaintes ont été recensées en 2022, soit une augmentation de 15 % par rapport à 2021 et un doublement depuis 2016). De même, l'analyse des données issues des appels au « 39.19 - Violences Femmes Infos » montre que 59 % des victimes souhaitent quitter le domicile conjugal. L'une des raisons pour lesquelles ces victimes renoncent parfois à se protéger en quittant leur domicile est leur précarité et leur dépendance financière : 19 % des femmes déclarent subir des violences économiques dans leur appel au « 39.19 ».

L'aide universelle d'urgence est versée depuis le 28 novembre 2023 aux victimes de violences conjugales pour leur permettre de faire face aux dépenses immédiates pour quitter leur conjoint violent. Les bénéficiaires sont donc des victimes de violences commises par leur conjoint, leur concubin ou partenaire lié à elles par un pacte civil de solidarité (PACS).

Pour bénéficier de l'AUU, la personne doit attester de la situation de violences conjugales par un document de moins de 12 mois pouvant être un dépôt de plainte, une ordonnance de protection ou un signalement adressé au procureur de la République. L'aide est alors versée par la caisse d'allocations familiales de rattachement (CAF ou CMSA), dans un délai de trois à cinq jours ouvrés (selon que la personne est affiliée ou non) à compter de la réception de la demande.

Au moment où les rapporteurs spéciaux examinaient, l'année dernière, les crédits de la mission au titre du PLF pour 2024, ses modalités d'applications n'étaient pas définies. Elles ont depuis fait l'objet de précisions par décret30(*), notamment s'agissant de son barème. Concrètement, celui-ci dépend des ressources nettes mensuelles de la personne bénéficiaire, ainsi que du nombre d'enfants de moins de 21 ans qui sont à sa charge.

Barème de l'aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales du 1er avril 2024 au 31 mars 2025

(Métropole, DOM, hors Mayotte)

 

Nombre d'enfant de moins de 21 ans à charge

Ressources nettes mensuelles

Pas d'enfant

1 enfant

2 enfants

3 enfants

par enfant supplémentaire

Inférieures ou égales à 699,35€ (0,5 SMIC)

635,71 €

953,57 €

1 144,28 €

1 398,56 €

254,28 €

Entre 699,36€ et 1398,69€ (1 SMIC)

508,57 €

762,86 €

915,42 €

1 118,85 €

203,42 €

Entre 1398,7€ et 2098,04€ (1,5 SMIC)

381,43 €

572,14 €

686,50 €

839,14 €

152,57 €

Entre 2098,05€ et 3147,04€

254,28 €

381,43 €

457,71 €

559,42 €

101,71 €

Entre 3147,05 et 3776,45€

381,43 €

Entre 3776,46€ et 4615,67€

457,71 €

Supérieures ou égales à 4615,68€

559,42 €

101,71 €

Note : en bleu, les cas où l'AUU est attribuée sous forme de prêt.

Source : réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Principale innovation de l'aide universelle d'urgence : elle peut être attribuée sous forme d'aide non-remboursable ou sous forme de prêt ; dans ce second cas, elle peut être remboursée par l'auteur des violences si celui-ci a été condamné définitivement par la Justice.

2. Comme les rapporteurs spéciaux l'avait craint l'année dernière, les crédits alloués à l'aide universelle d'urgence en 2024 ont été largement insuffisants
a) Après un démarrage rapide, une stabilisation du recours à l'aide universelle d'urgence

Les documents budgétaires relatifs à l'approbation des comptes de l'État pour l'année 2023 faisaient apparaître, selon la direction générale de la cohésion sociale, une « belle dynamique » de l'aide universelle d'urgence dans ses premiers mois de mise en oeuvre. En effet, en décembre 2023, 5 723 aides avaient été versées, pour un montant total de 5 045 891 euros.

Cette montée en charge abrupte du dispositif s'explique compte tenu des modalités d'ouverture des droits à l'aide : les bénéficiaires potentiels doivent fournir un document de moins de 12 mois. Les dépenses d'aide universelle d'urgence ont pris en compte, pour la première année, un «  stock » marqué.

Le recours à cette nouvelle aide a ensuite connu une diminution progressive : le taux de recours s'est ainsi élevé à plus de 30 % en décembre 2023, mais il était de 14 % en juin et juillet 2024, pour un nombre total de bénéficiaires potentiels estimé à environ 220 000 par an31(*).

Nombre de bénéficiaires de l'aide universelle d'urgence à mi-2024

Nombre de bénéficiaires AUUVV

Décembre 2023

Janvier-Juillet 2024

Total

CNAF

5 686

20 536

26 222

dont aides non-remboursables

5 637

20 379

26 016

dont prêts

49

157

206

CCMSA

37

266

303

dont aides non-remboursables

37

266

303

dont prêts

0

0

0

Total

5 723

20 802

26 525

Source : réponses au questionnaire budgétaire

Depuis l'entrée en vigueur de l'aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales, 26 525 aides ont été versées par les CAF et les CMSA de décembre 2023 à juillet 2024. Le montant moyen des aides versées de décembre 2023 à juillet 2024 s'élève à 869 euros.

Sa mise en oeuvre n'a pas été exempte de difficultés. Par exemple, plusieurs associations ont regretté que l'aide soit payée en une seule fois, et que son montant soit relativement faible, équivalent à « quinze jours à l'hôtel », alors que le parcours psychologique des femmes quittant leur foyer pour fuir leur conjoint violent est souvent marquée par l'emprise et de nombreux retours au domicile en l'absence d'accompagnement.

En outre, l'administration a mentionné des difficultés, dans les premiers temps de la mise en oeuvre de l'aide, pour les services des CAF, liées aux documents justifiant l'ouverture des droits. En effet, la vérification de l'éligibilité des personnes demandeuses a nécessité dans certains la lecture des pièces de procédures relatives à la plainte, tache fastidieuse pour les personnels et intrusive pour les bénéficiaires. Ces difficultés ont été résolues par une coordination entre les services sociaux et les services judiciaires a permis de définir un récépissé de dépôt de plainte pouvant servir à faire valoir les droits des personnes plaignantes à l'aide universelle d'urgence.

b) Des crédits budgétés en loi de finances initiale largement insuffisants

Comme les rapporteurs spéciaux le craignaient, les dépenses au titre de l'aide universelle d'urgence ont été bien supérieures aux crédits prévus pour 2024. En effet, les dépenses supportées directement par la CNAF et la CCMSA, organismes gestionnaires pour le compte de l'État, se sont élevées à 5 millions d'euros en décembre 2023 et 18 millions d'euros pour la période de janvier à juillet 2024.

Pour 2024 en année pleine, le total des aides versées peut être estimé à ce stade à 26 millions d'euros.

Exécution des dépenses au titre de l'AUU au premier semestre 2024

(en euros)

Aide universelle d'urgence

LFI 2024 

Annulations premier semestre

Crédits gelés premier semestre

Autres mouvements premier semestre

Crédits engagés au 30 juin

Crédits disponibles au 30 juin

 
 

AE

13 028 547

3 294 092

0

- 3 000 000

8 051 777

- 1 317 322

 

CP

13 028 547

3 294 092

0

- 3 000 000

4 635 690

2 098 765

 

Source : commission des fnances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Compte tenu des mesures de régulation budgétaire prises en cours d'année par le précédent Gouvernement, qui ont sensiblementa affecté à l'aide universelle d'urgence (cf. tableau supra), les autorisations d'engagement au titre de ce dispositifs étaient déjà négatives au 30 juin 2024, ce qui traduit l'existence d'une dette de l'État à l'égard de la CNAF.

À fin août, la prévision de dépenses pour 2024 au titre de l'aide universelle d'urgence est établie à 25,9 millions d'euros. Dans le cadre du PLF pour 2025, une enveloppe de 20,4 millions d'euros est prévue, fondée sur l'hypothèse d'une évolution tendancielle à la baisse puis une stabilisation du total de bénéficiaires, conformément à l'évolution du taux de recours constatée en 2024.

c) Des prêts très minoritaires et non encore recouvrés

L'aide peut prendre la forme d'un prêt sans intérêt ou d'une aide non-remboursable, selon la situation financière et sociale de la personne, ainsi que le nombre d'enfants à sa charge. Le seuil de déclenchement du prêt est fixé à 1,5 SMIC net pour une personne sans enfant. Ce seuil correspond au point de sortie du bénéfice de la prime d'activité pour une personne seule « non isolée » et une échelle de majorations est appliquée à ce seuil selon le nombre d'enfants (cf. barème supra).

Ces prêts, fortement minoritaires (seuls 206 prêts ont été accordés, sur un total de 26 525 aides versées), n'ont pas encore fait l'objet d'un recouvrement. En effet, le remboursement de l'aide attribuée sous forme de prêt n'est exigible de son bénéficiaire que deux années après l'attribution. En outre, avant toute demande de remboursement, les CAF et caisses de la MSA doivent s'assurer au préalable qu'aucune procédure judiciaire à l'encontre de l'auteur de violences conjugales n'a pas été enclenchée. Pour ce faire, les échanges d'informations entre les CAF et CMSA et les juridictions doivent être définis, par voie de convention, pour la gestion du recouvrement des prêts, conformément aux modalités de remboursement précisées par un amendement sénatorial32(*) adopté lors de l'examen du PLF pour 2024 :

- en cas de condamnation de l'auteur à la peine complémentaire de remboursement, il revient au Trésor public de recouvrer le prêt selon les mêmes modalités que celles prévues en matière d'amendes (recouvrement forcé) ;

- en cas de composition pénale ou de classement sous condition de versement pécuniaire, le remboursement s'effectuera également auprès de l'État selon les règles du droit commun du code de procédure pénale (démarche volontaire) ;

- si l'auteur n'est pas condamné à rembourser le prêt, ce sont les caisses qui se chargeront de son recouvrement auprès de la personne bénéficiaire.

En tout état de cause, il apparaît peu probable que le recouvrement des aides accordées sous forme de prêt puisse permettre de modérer significativement le coût de l'aide pour les finances publiques.

EXAMEN PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

En première lecture, l'Assemblée nationale n'ayant pas adopté la première partie du projet de loi, celui-ci est considéré comme rejeté en application du troisième alinéa de l'article 119 du Règlement de l'Assemblée nationale.

En conséquence, sont considérés comme rejetés les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 30 octobre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

M. Claude Raynal, président. - Nous débutons notre réunion par l'examen du rapport spécial sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

Je profite de cette occasion pour saluer Éric Bocquet, qui a décidé de mettre un terme à son mandat au 1er novembre. Nous lui souhaitons le meilleur pour la suite.

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». - Les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » demandés pour 2025 s'élèvent à 30,4 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP). Facialement, il s'agit d'une légère diminution, de 2,3 %, par rapport à la loi de finances initiale (LFI) de 2024. Cette baisse résulte toutefois d'une mesure de périmètre, le programme support des ministères sociaux ayant été transféré de la mission « Solidarité » à la mission « Travail et emploi ». Les crédits alloués à chacun des trois autres programmes augmentent en réalité de 2,12 % par rapport à 2024.

Cette hausse des dépenses s'explique principalement par le fort dynamisme de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), pour 14,4 milliards d'euros, soit une augmentation de 4,8 %. Si le coût de la déconjugalisation en 2024 a été moindre que prévu - 280 millions d'euros, contre 500 millions d'euros attendus -, l'augmentation soutenue des bénéficiaires de l'AAH-2, à hauteur de 3,81 %, a tiré l'ensemble de la dépense liée à cette prestation. En revanche, à rebours de la tendance récente mobilisant la prime d'activité pour soutenir le pouvoir d'achat, les crédits alloués à la prime diminueraient en 2025, à hauteur de 1,3 milliard d'euros, soit une baisse de 1,5 %. Selon l'administration, cette diminution serait rendue possible par la mise en oeuvre de la solidarité à la source en avril 2025 : ainsi, les indus versés diminueraient de 800 millions d'euros en année pleine. En outre, les paramètres de la prime ont été modifiés par décret : la « pente » de la prise en compte des revenus d'activité représenterait 500 millions d'euros en année pleine.

Je remarque toutefois que ces économies, au lieu d'être affectées à la réduction du déficit, sont immédiatement « réinvesties » dans d'autres dépenses de la mission, comme la tarification sociale des cantines.

Malheureusement, ce budget témoigne également de la tendance de l'État à ne pas financer les dépenses qu'il impose aux autres acteurs du champ social. Ainsi, alors que les dépenses liées à l'aide sociale à l'enfance (ASE) départementale connaissent une forte augmentation sous l'effet d'une hausse très importante du nombre de mineurs non accompagnés (MNA) confiés à l'ASE, avec une hausse de 31 % entre 2022 et 2023, les crédits de l'État en soutien aux départements diminuent légèrement par rapport à la LFI 2024, avec une baisse de 5,7 %.

De même, après avoir imposé à l'ensemble de la branche de l'action sanitaire et sociale de se conformer, rétroactivement au 1er janvier 2024, aux accords du « Ségur pour tous » - cela représente indéniablement une avancée considérable pour les agents concernés, notamment dans le secteur de la protection juridique des majeurs -, l'État n'a pas fait évoluer ses financements en conséquence. Enfin, après avoir imposé aux établissements et services d'aide par le travail (Ésat), déjà en déficit, de financer une complémentaire santé obligatoire pour leurs travailleurs, l'État n'a pas augmenté l'aide au poste dans ces établissements. Ce faisant, il contribue à les fragiliser.

Il me semble néanmoins que la mission « Solidarité » n'est pas nécessairement le meilleur véhicule pour régler ces difficultés : pour le Ségur ou les Ésat, celles-ci relèvent de l'exercice 2024 ; s'agissant des départements, des mesures générales relatives aux collectivités seraient sans doute mieux adaptées.

En responsabilité et afin d'assurer le financement des prestations et des politiques sociales élémentaires, je vous propose d'adopter les crédits de cette mission.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». - Je prends aujourd'hui pour la dernière fois la parole devant notre commission. J'en profite pour vous dire mon émotion et le plaisir qui a été le mien de travailler sur cette belle mission, particulièrement humaine.

Elle porte en effet des politiques indispensables pour nos concitoyens. Je pense, par exemple, à l'aide alimentaire, qui, si elle ne représente qu'une faible part des crédits de la mission - 147 millions d'euros -, n'en constitue pas moins une action vitale en faveur de nombre de nos concitoyens en difficulté. Nous faisons, cette année encore, le constat de la persistance de la précarité alimentaire, près de la moitié de la population générale ayant indiqué se sentir contrainte dans son budget d'alimentation en raison des prix pratiqués en 2023.

À cet égard, la hausse des crédits de l'aide alimentaire dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025, avec une hausse de 3,4 % par rapport à la LFI 2024, est une bonne chose - même si on pourrait souhaiter, comme c'est mon cas, que cette hausse aille beaucoup plus loin compte tenu de l'apparition de nouveaux besoins. Les nouveaux moyens alloués en 2025 permettront de financer des actions contre la faim des très jeunes enfants, ou encore la montée en charge du programme « Mieux manger pour tous ! », qui vise à faire rimer aide alimentaire avec qualité nutritionnelle, et qui est apprécié par les associations.

La situation de la fin de l'année 2024 n'est donc pas aussi dramatique qu'il y a un an. Elle n'est pour autant pas idyllique, loin de là, et elle imposera à mon corapporteur et à mon successeur une vigilance certaine dans le futur.

Les crédits destinés à financer la politique d'égalité entre les femmes et les hommes augmenteront de 10 % en 2025. Comme l'année précédente, cette hausse est entièrement absorbée par la mise en oeuvre de l'aide exceptionnelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales ; celle-ci est versée en une fois dans un délai de trois à cinq jours aux femmes qui quittent leur foyer pour fuir leur conjoint violent. Les crédits consacrés à cette aide, qui étaient de 13 millions d'euros dans la LFI 2024, seraient de 20,4 millions d'euros pour 2025, soit une augmentation de 57 %. Les autres dispositifs de la mission demeurent financés à leur niveau de 2024.

L'année dernière, nous craignions que les moyens alloués à cette aide soient insuffisants. C'est exactement ce qui s'est produit, malheureusement. Le barème, fixé par référence au montant forfaitaire du revenu de solidarité active (RSA), varie selon les ressources de la victime et le nombre de ses enfants à charge. Les 13 millions d'euros initialement prévus auraient été suffisants uniquement en cas de fort taux de non-recours.

Au contraire, le lancement de l'aide universelle d'urgence a connu un certain succès : le taux de recours a été de 30 % en décembre 2023, le premier mois de sa mise en oeuvre, du fait d'un « effet stock ». Si cette belle dynamique a depuis quelque peu ralenti, il ne faudra à l'avenir pas moins des 20 millions d'euros prévus en 2025 pour répondre aux besoins des femmes éligibles.

Contrairement à Arnaud Bazin et selon une tradition bien établie, j'émets, pour ma part, un dernier avis de rejet des crédits de la mission, qui restent en décalage avec les enjeux, les besoins et la situation sociale du pays.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je salue l'engagement d'Éric Bocquet au sein de notre assemblée.

Trois sujets me préoccupent. Premièrement, l'explosion des budgets de l'ASE, qui inquiète les départements, sans oublier les drames humains qui se jouent derrière ces chiffres ; cela en dit long sur l'état de notre société. Cette hausse s'expliquerait par un meilleur diagnostic des services sociaux, mais j'y vois aussi les suites de la crise sanitaire ; nous devons être vigilants face aux problèmes liés à la santé mentale.

Deuxièmement, la situation de l'aide alimentaire, certes moins tendue que l'an passé. Les crédits prévus sont plus adaptés, mais il serait surtout souhaitable que les besoins diminuent.

Troisièmement, les violences intrafamiliales (VIF). L'augmentation des aides d'urgence en faveur des femmes victimes de violences est un phénomène préoccupant.

Je réitère mes remerciements à Éric Bocquet ; c'était un plaisir de travailler avec lui.

M. Marc Laménie. - Je salue moi aussi l'engagement d'Éric Bocquet.

Cette mission est l'une des plus importantes du PLF - 30 milliards d'euros. Comment s'effectue la répartition des moyens humains entre l'administration centrale et les services déconcentrés ? N'oublions pas le rôle important que jouent localement les associations et les structures telles que les Ésat.

Le programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » traite d'une question de société très importante. Chaque département compte un ou une déléguée départementale aux droits des femmes et à l'égalité (DDFE), qui dispose toutefois de peu de moyens. Les centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) jouent aussi un grand rôle dans ce domaine, sans oublier l'action des collectivités territoriales et des associations. Cela dit, ce programme demeure trop limité, malheureusement.

M. Michel Canévet. - Je salue moi aussi le travail des rapporteurs spéciaux. Nous appréciions les bons mots d'Éric Bocquet en commission des finances, je regrette son départ.

À périmètre constant, les moyens alloués à cette politique sont en hausse. Je note que les besoins en matière d'accompagnement du handicap sont importants.

Les dépenses relatives au dispositif « cantine à 1 euro » doivent-elles être sincérisées ? L'augmentation de l'enveloppe permettra-t-elle de prendre en compte les besoins, notamment dans les zones rurales ?

M. Rémi Féraud. - Cette mission rassemble des sujets très différents.

Comme le disait le rapporteur général, les besoins en matière d'aide alimentaire sont moins criants ; nous verrons si les moyens prévus sont suffisants. En revanche, les crédits alloués au programme « Égalité entre les femmes et les hommes » sont sans rapport non seulement avec les ambitions annoncées, mais aussi avec les besoins, d'autant qu'une grande partie des financements seront consacrés à la nouvelle aide universelle d'urgence. En lien avec les associations, à combien estimez-vous les besoins liés à l'hébergement d'urgence, dont le rôle est nécessaire, mais qui a été particulièrement sacrifié dans ce budget ?

Vos constats convergent, mais pas vos propositions de vote. Pour notre part, nous suivrons la position d'Éric Bocquet ; l'année dernière, nous avions d'ailleurs voté contre l'adoption de la mission, alors que les crédits augmentaient davantage.

En 2025, les financements seront-ils principalement affectés à la nouvelle aide universelle d'urgence ou à l'augmentation de l'AAH ? Quels moyens devraient être alloués à l'hébergement d'urgence au profit des femmes victimes de violences ?

M. Claude Raynal, président. - Je vous prie de m'en excuser, en raison des quelques mots prononcés en l'honneur de Éric Bocquet, j'ai omis de donner la parole au rapporteur pour avis, M. Laurent Burgoa.

M. Laurent Burgoa, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». - Vous êtes tout excusé, monsieur le président. Je remercie les rapporteurs spéciaux de la présentation de leur rapport, ainsi que de sa qualité. Je salue l'action de Éric Bocquet qui nous quitte bientôt.

Traditionnellement, la commission des affaires sociales n'est pas aussi avancée dans ses travaux relatifs au PLF, car le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) occupe grandement les esprits de ses membres. Bien qu'ayant débuté mes auditions hier, à la lecture des documents budgétaires, je partage les conclusions exposées précédemment.

Dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » fait figure d'exception et voit ses crédits augmenter de 2,1 %, soit l'ordre de grandeur de l'inflation. Cette progression s'explique, en effet, par la part des dépenses d'intervention, notamment l'AAH et la prime d'activité, qui représentent plus de 87 % des crédits de la mission et qui sont réévaluées automatiquement pour tenir compte de l'inflation.

J'attire également l'attention sur un poste de dépenses en légère augmentation qui me paraît important : la compensation de la charge financière des départements liée aux MNA, notamment lors de la prise en charge de ces mineurs par l'ASE. J'ai rencontré hier soir les représentants de Départements de France (DF) ; les départements n'entendent pas se défausser et comptent participer à l'effort de maîtrise de la dépense publique. Cependant, le vice-président de DF soulignait, à juste titre, au-delà de la croissance des dépenses liée aux flux de mineurs, l'existence de dépenses induites par les nouvelles exigences réglementaires et législatives dans l'exercice de ces compétences.

En conclusion, si nous devons faire preuve d'exigence quant à ce budget, nous devons également veiller aux conséquences financières des évolutions législatives proposées d'ici à la prochaine loi de finances.

M. Victorin Lurel. - Dans le programme 304 figure la recentralisation de la gestion du RSA à Mayotte, en Guyane et à La Réunion ; la Guadeloupe en avait également fait la demande. Où en est-on ?

L'exemple guyanais n'était pas très probant. Lorsqu'il a repris la gestion du RSA, l'État a imposé une durée minimale de présence sur le territoire d'au moins cinq ans pour en bénéficier. Cette disposition me semble d'ailleurs avoir été annulée par décision du tribunal administratif. Lorsque la gestion était assurée par le département, seulement trois mois ou une année de présence était nécessaire.

J'ignore comment cela s'est passé dans les autres territoires. Ce dossier a-t-il été réglé en respectant le principe d'égalité ?

Mme Nathalie Goulet. - Dispose-t-on d'une répartition géographique des MNA ?

M. Jean-Marie Mizzon. - Dans un rapport, il est peu commun de saluer l'audace dont a fait preuve l'administration, en l'occurrence s'agissant de la surprogrammation de crédits ou de surbooking, si je puis dire. J'ignore si cela est autorisé en matière de gestion des fonds structurels européens, car les subventions financent des opérations identifiées en général. Est-ce parce que l'administration a si peu foi en la réussite de la politique de lutte contre la précarité ?

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Sur la question des MNA, l'augmentation des besoins à l'ASE est liée à celle des flux de MNA qui ont progressé de 31 % entre 2023 et 2024. La diminution des crédits de l'État entre les deux lois de finances, de l'ordre de 5,7 %, ne répond pas aux besoins. L'accompagnement des départements est donc un sujet important, qui devrait trouver sa place davantage au sein des mesures générales destinées aux collectivités territoriales que dans cette mission.

Pour ce qui concerne l'aide alimentaire, Éric Bocquet y reviendra, la situation est moins tendue que l'année dernière. Toutefois, les Restos du Coeur ont maintenu des critères d'accès à l'aide alimentaire plus restrictifs que par le passé. Par ailleurs, le nouveau mécanisme d'aide européenne est mis en oeuvre pour la première fois. Autrefois, le Fonds européen d'aide aux plus démunis (Fead) prenait en charge 85 % des dépenses ; désormais, le Fonds social européen + (FSE +) prendra en charge 90 % des dépenses.

En 2018, dans le cadre du premier rapport de contrôle que nous avions menés avec Éric Bocquet, nous avons constaté la perte de 15 millions d'euros au cours d'un exercice budgétaire, en raison de notre incapacité à justifier l'ensemble des dépenses auprès de l'Union européenne (UE) ; le budget de l'État a donc dû prendre en charge ce manque. Cette fois-ci, la perte est réduite à 10 millions d'euros ; c'est une amélioration. FranceAgriMer s'est professionnalisé et est plus efficace. Néanmoins, des pertes de crédits sont encore à déplorer, ce qui explique le surbooking évoqué par Jean-Marie Mizzon.

En effet, la procédure de justification administrative est bien trop lourde : avec Éric Bocquet, nous avions souligné l'existence de sept niveaux de contrôles successifs, qui expliquent les refus d'apurement et le surbooking. L'aide alimentaire est peut-être davantage un sujet relevant du projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) pour 2024 que du PLF pour 2025 ; toutefois, nous devrons y être très attentifs, car la précarité existe toujours et les besoins pour y remédier restent importants.

Monsieur Laménie, nous ne disposons pas de chiffres précis sur les effectifs de l'administration centrale. Le programme 124 « Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales » comportait une forme d'appréciation de l'engagement de l'administration dans ses missions au travers des dépenses informatiques ou de gestion des immeubles, mais il a été intégré à une autre mission budgétaire. Nous ne disposons plus de la compétence sur ces crédits en tant que rapporteurs de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

À propos du soutien accordé aux communes qui s'engagent dans la contractualisation pour proposer des repas à 1 euro, nous n'avons pas d'informations indiquant que les crédits seraient insuffisants. Toutefois, les besoins sont difficiles à évaluer, car ils dépendent de l'engagement des collectivités. Pour l'instant, cela fonctionne.

Pour répondre à Rémi Féraud sur le programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes », nous n'examinons qu'une toute petite partie des crédits en la matière, car la plus grande partie des dépenses constituée par l'hébergement d'urgence ne relève pas de cette mission. Comme le soulignait Éric Bocquet, l'essentiel de l'augmentation des crédits est dû à l'aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales dont les besoins avaient été largement sous-évalués en 2024. Pour 2025, nous verrons si la progression très nette des crédits permettra d'y faire face.

Sur l'ensemble de la mission, la hausse des crédits provient de l'augmentation de l'AAH-2 ; c'est un sujet que nous devrons peut-être étudier sérieusement. Avec Éric Bocquet, nous avions déjà rédigé un rapport de contrôle sur le rôle des maisons départementales des personnes handicapées dans la gestion de l'AAH.

Sur la gestion recentralisée du RSA, le statu quo est de rigueur. Aucun nouveau département ne s'est lancé dans l'expérimentation. Actuellement, il est difficile d'apprécier où se situe la dynamique la plus importante entre les départements d'outre-mer et le département de la Seine-Saint-Denis. Ce sujet devra également être examiné, mais les données ne sont pas encore disponibles.

S'agissant de la Guadeloupe, la collectivité souhaitait se lancer dans l'expérimentation mais n'avait pas pu y participer pour deux raisons : il était difficile d'identifier les dépenses de RSA dans les comptes de la caisse d'allocations familiales (CAF) et la Guadeloupe voulait bénéficier de conditions de recentralisation du RSA plus favorables, ce qui impliquait le recours à une autre procédure. Pour ce qui concerne cette recentralisation de la gestion du RSA, Éric Bocquet et moi-même avons rédigé un rapport de contrôle intitulé RSA recentralisé : une expérimentation au milieu du gué, auquel je vous renvoie.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Sur l'aide alimentaire, les associations soulignent l'évolution de la typologie des personnes qui y ont recours : les jeunes enfants - c'est un phénomène nouveau et inquiétant - et les étudiants - les universités avec l'aide d'associations comme le Secours populaire organisent de plus en plus des distributions de denrées - sont désormais concernés.

S'agissant des cantines scolaires, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a indiqué que les crédits avaient été sous-estimés les années précédentes : ils étaient par exemple de seulement 35,6 millions en 2024, alors qu'ils sont de 71,9 millions en 2025, soit le double. Pour 2025, le budget est donc en principe sincère.

Madame Goulet, en dépit de l'absence d'éléments chiffrés précis, il semblerait que les MNA soient répartis sur l'ensemble du territoire.

Pour compléter la réponse apportée à Rémi Féraud, j'ajouterai que les associations nous ont alertés sur les moyens dédiés à l'hébergement d'urgence, surtout à l'hébergement non mixte apprécié des femmes victimes de violences, qui n'étaient ni clairs ni suffisants. En effet, dans bien des cas, l'aide d'urgence ne permet de financer un hébergement à l'hôtel que pendant dix ou quinze jours seulement. Quid ensuite ? Il faudra améliorer le dispositif à l'avenir.

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - À propos de la répartition géographique des MNA, celle-ci est réalisée sous l'autorité de l'État grâce à une cellule dédiée et selon des critères qui font d'ailleurs l'objet de critiques de la part des départements, qui suivent cette question de très près.

Je remercie, à mon tour, Éric Bocquet de l'excellent climat de travail que nous avons connu. Nombre de sujets de cette mission nous ont passionnés. J'ai été très heureux de travailler avec lui ; je regrette son départ de la commission et lui souhaite le meilleur pour la suite.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

*

* *

Réunie à nouveau le jeudi 21 novembre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé définitivement ses votes émis sur toutes les missions, tous les budgets annexes, tous les comptes spéciaux et les articles rattachés aux missions, ainsi que les amendements qu'elle a adoptés, à l'exception des votes émis pour les missions « Culture », « Direction de l'action du Gouvernement », « Enseignement scolaire », « Médias, livre et industries culturelles », « Audiovisuel public », « Recherche et enseignement supérieur », ainsi que des comptes spéciaux qui s'y rattachent.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Direction générale de la cohésion sociale (DGCS)

- Mme Jean-Benoît DUJOL, directeur général ;

- Mme Cécile VACELET, adjointe à la cheffe de bureau, pôle budget ;

- Mme Catherine MORIN, adjointe à la cheffe du service des droits des femmes et de l'égalité femmes hommes ;

- Mme Lise GRANGER, stagiaire.

Assemblée des départements de France

- M. Frédéric BIERRY, président de la collectivité d'Alsace, président de la commission des affaires sociales des départements de France ;

- Mme Laurette LE DISCOT, conseillère finances enfants et familles ;

- Mme Marylène JOUVIEN, conseillère relations avec le Parlement.

FranceAgriMer

- Mme Christine AVELIN, directrice générale ;

- Mme Julie BRAYER-MANKOR, directrice générale adjointe ;

- M. Christophe DASSIÉ, chef du service marchés, certificats et qualité ;

- M. Alexandre CENSONI, chef du service des affaires financières ;

- M. Jean-Philippe HATTAB, chef du service de la politique et des stratégies achat.

Fédération des acteurs de la solidarité (FAS)

- M. Rémi BOURA, responsable des relations parlementaires et de la recherche-action ;

- Mme Marine MALBERG, chargé de mission droits des femmes, prostitution.

Fédération nationale des associations tutélaires (FNAT)

- Mme Ange FINISTROSA, présidente ;

- M. Hadeel CHAMSON, délégué général ;

- M. Gabin CHAPELET, consultant.

Nexem

- Mme Marie ABOUSSA, directrice du pôle offre sociale et médico-sociale ;

- M. Charles RENARD, responsable des relations institutionnelles.

Table ronde avec les associations d'aide alimentaire

Les Restos du Coeur

- M. Yves MERILLON, membre bénévole du conseil d'administration ;

- M. Louis CANTUEL, responsable du pôle institutionnel et stratégique.

Fédération Française des Banques Alimentaires

- Mme Barbara MAUVILAIN, responsable du pôle des relations institutionnelles.

Secours populaire français

- M. Fabrice BELIN, membre du bureau national ;

- M. Michael POZO, directeur des solidarités en France.

Croix-Rouge française

- Mme Charlotte GUIFFARD, directrice de l'inclusion ;

- Mme Audrey BOURSICOT, responsable du programme « Lutte contre la précarité alimentaire ».

Association nationale de développement des épiceries solidaires (ANDES)

- M. Yann AUGER, directeur général.

Table ronde avec les associations de défense des droits des femmes

Fédération nationale solidarité femmes (FNSF)

- Mme Mine GÜNBAY, directrice générale.

Fondation des femmes

- Mme Anne-Cécile MAILFERT, présidente ;

- Mme Capucine BLOUET, chargée des affaires publiques et de la Force juridique.

Collectif féministe contre le viol

- Mme Emmanuelle PIET, présidente ;

- Mme Alexandra MARTEL, coordinatrice.

Une femme, un toit (FIT)

- Mme Séverine LEMIÈRE, présidente.

Table ronde avec les associations de défense des droits des personnes handicapées

APF France handicap

- Mme Carole SALERES, conseillère nationale travail, emploi, formation et ressources.

Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH)

- Mme Jean-Claude ROUANET, vice-président ;

- M. Yoan HADADI, directeur de cabinet ;

- M. Jean-Christian SOVRANO, directeur général.

Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei)

- M. Luc GATEAU président ;

- Mme Lina NATHAN, chargée de plaidoyer.

Association des accidentés de la vie - Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés

- M. Karim FÉLISSI, conseil de la FNATH

- M. Raphaël LENOIR, assistant au plaidoyer.

*

* *

- Contribution écrite -

Observatoire départemental des violences envers les femmes de la Seine-Saint-Denis

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjlf2025.html


* 1 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 2 À compter rétroactivement du 1er janvier 2016.

* 3 Ou plus de 16 ans pour un jeune qui n'est plus considéré à la charge des parents pour le bénéfice des prestations familiales.

* 4 Les modalités de cumul de l'allocation avec des revenus d'activité sont précisées par le décret n° 2010-1403 du 12 novembre 2010, et visent à encourager l'accès durable à l'emploi : pendant six mois au maximum à compter de la reprise d'un emploi, puis partiel sans limite dans le temps.

* 5 Ce plafond est multiplié par 1,81 pour un couple et majoré de 50 % par enfant à charge.

* 6 Elle est durable dès lors qu'elle est d'une durée prévisible d'au moins un an à partir du dépôt de la demande.

* 7 La proposition de déconjugalisation de l'AAH avait fait l'objet de la première pétition à recueillir plus de 100 000 signatures sur la plateforme dédiée du Sénat en février 2021. L'atteinte de ce seuil avait ainsi entraîné l'inscription à l'ordre du jour du Sénat de la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale des députés Jeanine Dubié, Charles de Courson, Yannick Favennec et plusieurs de leurs collègues, adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture. À cette occasion, le Sénat a adopté une disposition tendant à la déconjugalisation de l'AAH en première lecture le 9 mars 2021.

* 8 MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, Annexe n° 30 « Solidarité, insertion et égalité des chances » au Rapport général n° 163 (2021-2022) - 18 novembre 2021.

* 9 L'article 254 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 a permis aux allocataires de continuer à percevoir l'AAH s'il continue à travailler après 62 ans.

* 10 L'article 255 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 a permis le maintien du versement de la majoration pour la vie autonomie (MVA) et du complément de ressources (CR) pour les allocataires dont les retraites ont été revalorisées au-delà du seuil d'éligibilité de l'AAH.

* 11 Article 13 de la loi n° 2021-1549 du 1er décembre 2021 de finances rectificative pour 2021.

* 12 Conformément à l'article 13 de la loi n° 2021-1549 du 1er décembre 2021 de finances rectificative pour 2021 et au décret n° 2021-1623 du 11 décembre 2021.

* 13 Bénéficiaires d'une aide personnelle au logement (APL), de l'allocation de solidarité spécifique (ASS), de la prime forfaitaire pour reprise d'activité, de l'allocation équivalent retraite (AER), du revenu de solidarité active (RSA), du revenu de solidarité (RSO), de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) et des anciennes allocations du minimum vieillesse, de l'aide à la vie familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine (AVFS), de l'aide financière à l'insertion sociale et professionnelle (AFIS) et de l'allocation simple pour personnes âgées.

* 14 « RSA recentralisé : une expérimentation au milieu du gué », Rapport n° 771 (2023-2024) fait par MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet au nom de la commission des finances du Sénat - déposé le 24 septembre 2024.

* 15 Cour des comptes, Les finances publiques locales 2024, Fascicule n° 1, juillet 2024.

* 16 Ibid.

* 17 « Conventions entre l'État et les associations : des relations à rééquilibrer », Rapport n° 757 (2022-2023) fait par MM. Arnaud Bazin et Eric Bocquet au nom de la commission des finances du Sénat - 21 juin 2023.

* 18 Note de conjoncture INSEE : « L'alimentation - comme l'ensemble des dépenses peu compressibles - pèse davantage dans le budget des ménages les plus modestes (18 à 19 % du budget pour les 40 % des ménages les plus modestes) que dans celui des plus aisés (14 % du budget pour les 20 % des ménages les plus aisés), et ce quelles que soient leurs autres caractéristiques sociodémographiques. »

* 19 Selon l'Insee, les prix de l'alimentation avaient augmenté sur un an de 13,7 % en juin 2023, après avoir atteint + 14,3 % en mai 2022.

* 20 Loi n° 2023-1114 du 30 novembre 2023 de finances de fin de gestion pour 2023

* 21 « Conventions entre l'État et les associations : des relations à rééquilibrer », rapport cité.

* 22 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 23 Ces dépenses visent à permettre à FranceAgriMer de rembourser ses emprunts non couvert par les fonds européens, faute de certification.

* 24 CRÉDOC, BLEHAUT, Marianne, GRESSIER, Mathilde, et PAQUET, Nolwenn. « La précarité alimentaire, en hausse, est liée à moins de diversité dans l'alimentation. » Cahier de recherche N  C357, Décembre 2023

* 25 « Aide alimentaire : un dispositif vital, un financement menacé ? Un modèle associatif fondé sur le bénévolat à préserver », rapport d'information d'Arnaud Bazin et Éric Bocquet, fait au nom de la commission des finances du Sénat octobre 2018.

* 26 ADF, Communiqué de presse : « DF appelle ses membres à ne pas mettre en oeuvre l'extension de la prime « Ségur » tant que l'État ne leur en compense pas les conséquences », 13 septembre 2024.

* 27 Loi n° 2023-1196 du 18 décembre 2023 pour le plein emploi.

* 28 IGF-Igas, Convergence des droits des travailleurs handicapés en établissement et services d'aide par le travail (ESAT) vers un statut de quasi-salarié, février 2024.

* 29 Loi n° 2023-140 du 28 février 2023 créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales.

* 30 Décret n° 2023-1088 du 24 novembre 2023 relatif à l'aide universelle d'urgence pour les personnes victimes de violences conjugales.

* 31 Sur la base du nombre de dépôts de plainte pour violences conjugales, des ordonnances de protection, des signalements au parquet pour violences conjugales.

* 32 Amendement n° II-687 rect. de Mme Vérien, modifié par des sous-amendements de la commission et du Gouvernement.

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