N° 144

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2024

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2025,

Par M. Jean-François HUSSON, 

Rapporteur général,

Sénateur

TOME III

LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

(seconde partie de la loi de finances)

ANNEXE N° 28

SANTÉ

Rapporteur spécial : M. Vincent DELAHAYE

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, MM. Vincent Capo-Canellas, Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Jean-Baptiste Olivier, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean-Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 324, 459, 462, 468, 471, 472, 486, 524, 527, 540 et T.A. 8

Sénat : 143 et 144 à 150 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

I. UNE MISSION AU MONTANT RÉDUIT PAR LA QUASI EXINCTION DU VERSEMENT DES FONDS EUROPÉENS LIÉS À LA CRISE SANITAIRE

Les crédits de la mission « Santé » sont, en apparence, drastiquement réduits en projet de loi de finances pour 2025 par rapport à 2024. Ils baissent en effet de 40 %, soit une perte de 1,08 milliard d'euros en autorisation d'engagements et de 1,09 milliard d'euros en crédits de paiement.

Cette baisse est toutefois due uniquement à l'épuisement du financement du programme 379 « Compensation à la sécurité sociale », qui perd 1,15 milliard d'euros entre 2024 et 2025. Ce programme est financé par des fonds européens devant bénéficier à la France, au titre de la Facilité pour la relance et la résilience, 6 milliards d'euros destinés à soutenir l'investissement dans le secteur hospitalier, entre 2021 et 2026. Fin 2024, la France aura déjà perçu à ce titre 4,83 milliards d'euros, soit 80,5 % de la somme promise.

Évolution des crédits de la mission « Santé »

(en millions d'euros)

Note : Le programme 378, créé à l'initiative du Sénat en loi de finances rectificative pour 2022, n'a pas été reconduit lors des LFI 2023, 2024 et de l'examen du PLF 2025.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Si on compare les crédits de la mission « Santé » entre 2024 et 2025 à périmètre constant, c'est-à-dire en excluant les dépenses du programme 379, les dépenses de la mission augmentent de 4,2 %. Cette hausse est due intégralement au programme 183 « Protection maladie », qui porte essentiellement l'aide médicale d'État, et dont les dépenses progressent de 9,2 %.

II. UNE BAISSE DES CRÉDITS DU PROGRAMME 204 « PRÉVENTION, SÉCURITÉ SANITAIRE ET OFFRE DE SOINS » CONTRIBUANT À L'EFFORT BUDGÉTAIRE DE L'ÉTAT

Le programme 204 est doté de 229,5 millions d'euros en AE et de 221,7 millions d'euros en CP pour 2025, soit une baisse respective de 14,1 % et de 18,1 %. La diminution des crédits frappe essentiellement l'action 11 « Pilotage de santé publique », qui porte notamment les actions juridiques et contentieuses, et l'action 16 « veille et sécurité sanitaire », qui porte les crédits dédiés à la qualité et à la sécurité des soins.

Beaucoup d'actions financées par ce programme sont extrêmement dispersées, pour des montants généralement faibles, si bien qu'elles paraissent loin de disposer d'une « masse critique » suffisante pour prétendre produire un réel impact sur la réalisation des objectifs de santé publique poursuivis.

Évolution des crédits du programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire
et offre de soins » entre 2024 et 2025

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

A. UNE DIMINUTION DU FINANCEMENT DES ACTIONS DE SANTÉ PUBLIQUE ET DE VEILLE ET SÉCURITÉ SANITAIRE

Sur les trois fonds de concours rattachés au programme 204, seul le fonds « financements européens pour la modernisation de l'offre de soin » devrait bénéficier d'ouvertures de crédits en 2025, à hauteur de 0,5 million d'euros. Ces fonds de concours ont pourtant bénéficié en 2024 de 154 millions d'euros, provenant essentiellement de fonds européens.

À noter toutefois, que la subvention de soutien à l'Institut national du cancer (INCa) est maintenue, à hauteur de 34,5 millions d'euros. L'INCa rencontre en effet des difficultés structurelles et se trouverait en 2024 en déficit de 9,5 millions d'euros. En effet, la subvention de l'INCa en provenance de la mission « Santé » a significativement diminué depuis 2023, à hauteur de 5 millions d'euros qui devaient normalement être perçus sur 2025. La direction générale de la Santé a en particulier signalé que ce financement était considéré comme indispensable pour le lancement de l'expérimentation du cancer du poumon. Il n'est pas certain à ce stade que cette expérimentation puisse avoir lieu.

La situation financière de l'INCa constitue un point de vigilance.

S'il est normal et même souhaitable de ne pas subventionner excessivement un opérateur, il convient en revanche de permettre à chacun de mener à bien ses missions.

B. UNE STAGNATION DU MONTANT PRÉVU POUR L'INDEMNISATION DES VICTIMES DE LA DÉPAKINE

La dotation pour actions juridiques et contentieuses est constituée d'une provision destinée aux frais de justice, fixée à 8,2 millions d'euros pour 2025, soit une baisse de 1 million d'euros par rapport à 2024, ainsi que d'une dotation versée à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) qui reste également stable à 32,4 millions d'euros en 2025.

En particulier, la dotation destinée à l'indemnisation des victimes de la Dépakine demeure fixée à 24,4 millions d'euros en 2025, soit un montant identique depuis 2023. Il convient toutefois de noter qu'en 2023, 57,8 millions d'euros ont été versés par l'ONIAM et que le montant budgété pour 2024 devrait également se révéler insuffisant pour finir l'année. Toutefois, comme il est très difficile de prévoir les besoins de l'ONIAM, maintenir la dotation à ce niveau, quitte à ajuster en cours d'année si besoin, parait une solution sensée.

C. UNE HAUSSE DES DOTATIONS À L'AGENCE DE SANTÉ DE WALLIS-ET-FUTUNA

Concernant le financement de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna, une hausse de 1,7 million d'euros de la dotation de fonctionnement est prévue, pour s'établir à 53,6 millions d'euros. En effet, le déficit de l'Agence de santé de Wallis-et-Futuna s'élève à 8,5 millions d'euros en 2024.

La trajectoire financière de l'Agence de santé de Wallis-et-Futuna s'est dégradée depuis 2022, en raison de la hausse des effectifs des personnels non médicaux pendant la crise sanitaire et de l'inflation. Par ailleurs, la crise en Nouvelle-Calédonie a aggravé les déficits de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna, puisqu'elle a compliqué les évacuations sanitaires vers ce territoire.

Le plan de maitrise des dépenses doit absolument être poursuivi et consolidé, pour que l'agence de santé dispose d'une santé financière suffisamment bonne soit ainsi en mesure de faire face aux crises successives.

III. UNE HAUSSE DES DÉPENSES D'AIDE MÉDICALE D'ÉTAT, RENDANT UNE RÉFORME STRUCTURELLE NÉCESSAIRE

A. UNE AUGMENTATION DU NOMBRE DE BÉNÉFICIAIRES

La hausse des dépenses de la mission est liée à l'augmentation des crédits alloués à l'aide médicale d'État de droit commun, qui s'élèvent à 1,249 milliard d'euros dans le présent projet de loi de finances, soit une hausse de 9,2 % par rapport à 2024. Elle est complétée par une aide médicale pour soins urgents, dotée de 70 millions d'euros chaque année depuis 2022. Enfin, 1 million d'euros est consacré à l'AME humanitaire.

Évolution des dépenses de l'aide médicale d'État

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La hausse des dépenses de l'AME est liée à l'augmentation du nombre de bénéficiaires, qui a été de 8 % en 2022 et de 11 % en 2023. On comptait ainsi, fin 2023, 456 689 bénéficiaires de l'AME de droit commun, soit environ 45 000 de plus qu'un an auparavant. Une décélération de l'évolution du nombre de bénéficiaires aurait toutefois été entamée en 2024 et en 2025.

Évolution du nombre moyen de bénéficiaires des dépenses d'AME
de droit commun et des crédits alloués

(en million d'euros et en nombre de bénéficiaires)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

B. UNE RÉFORME ESSENTIELLE DE L'AIDE MÉDICALE D'ÉTAT

Face au rythme soutenu d'augmentation des dépenses et à l'effet limité des contrôles et vérifications, il est légitime de s'interroger sur l'étendue des soins pris en charge, qui est notablement plus large que celle assurée dans les autres pays européens pour les étrangers en situation irrégulière. Dans la plupart d'entre eux, seuls les soins urgents, les soins liés à la maternité, les soins aux mineurs et les dispositifs de soins préventifs dans des programmes sanitaires publics sont pris en charge gratuitement.

Une réforme structurelle est donc indispensable. Actuellement, la prise en charge des frais correspondant aux prestations définies par l'article R251-3 du code de l'action sociale et des familles est subordonné à l'accord des caisses primaires d'assurance maladie pour les bénéficiaires ayant un délai d'ancienneté de moins de neuf mois d'admission à l'AME. Suivant une recommandation du rapport Evin-Stefanini, le rapporteur spécial propose d'appliquer ce dispositif à tous les bénéficiaires d'AME, quelle que soit leur ancienneté, et d'en tirer les conséquences budgétaires via un amendement de crédit. Il recommande également au Gouvernement de revoir la définition des prestations listées à l'article précité du code de l'action sociale et des familles.

Réunie le mardi 12 novembre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission tels que modifiés par un amendement de crédits minorant de 200 millions d'euros les crédits de la mission afin de tirer les conséquences de la modification qu'elle défend du régime de l'AME. Elle a ainsi proposé l'adoption d'un article additionnel rattaché à la mission visant à étendre le régime d'accord préalable pour bénéficier de l'AME sur des prestations non urgentes.

Réunie à nouveau le jeudi 21 novembre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé définitivement ses votes émis sur toutes les missions, tous les budgets annexes, tous les comptes spéciaux et les articles rattachés aux missions, ainsi que les amendements qu'elle a adoptés, à l'exception des votes émis pour les missions « Culture », « Direction de l'action du Gouvernement », « Enseignement scolaire », « Médias, livre et industries culturelles », « Audiovisuel public », « Recherche et enseignement supérieur », ainsi que des comptes spéciaux qui s'y rattachent.

Au 10 octobre 2024, date limite fixée par la LOLF, 46 % des réponses au questionnaire budgétaire étaient parvenues au rapporteur spécial.

PREMIÈRE PARTIE
ANALYSE GÉNÉRALE DE LA MISSION

La mission « Santé » du budget général participe à la mise en oeuvre de la politique globale de santé. Celle-ci est axée autour de trois objectifs : la prévention, la sécurité sanitaire et l'organisation d'une offre de soins de qualité.

La mission est historiquement composée de deux programmes, un troisième s'y étant ajouté en 2022 :

le programme 204, relatif à la prévention, à la sécurité sanitaire et à l'offre de soins, qui a pour vocation le financement des plans et de programmes de santé pilotés au niveau national par la direction générale de la santé (DGS) et la direction générale de l'offre de soins (DGOS). Il vise ainsi à garantir la protection de la population face à des évènements sanitaires importants tout en prévenant le développement de pathologies graves ;

le programme 183, dédié à la protection maladie, qui finance principalement l'aide médicale d'État (AME), destinée aux personnes étrangères très défavorisées et en situation irrégulière en France depuis plus de trois mois, l'absence de titre de séjour empêchant leur prise en charge au titre de la couverture maladie universelle. De manière plus marginale, le programme 183 contribue depuis 2015 au financement du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) ;

le programme 379 est un programme temporaire qui permet d'une part la compensation à la Sécurité sociale des dons de vaccins à des pays tiers et d'autre part le reversement des recettes de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) de l'Union européenne dédiées au volet « investissement » du Ségur de la santé.

En outre, un programme 378 avait été créé à l'initiative du Sénat par la première loi de finances rectificative pour 20221(*) afin de financer le développement d'une carte Vitale biométrique en complément des crédits d'Assurance maladie dédiés à ce projet. Ce programme n'a cependant pas été reconduit dans la nomenclature de la mission, ni en loi de finances pour 2023, ni en loi de finances pour 2024 ni en projet de loi de finances pour 2025.

Le périmètre de la mission a été substantiellement réduit depuis 2014. En effet, le financement de la majorité des agences sanitaires qu'elle comprenait, et notamment de Santé Publique France, a été transféré à la sécurité sociale. La mission « Santé » semble donc condamnée à n'être qu'un simple vecteur budgétaire de l'Aide médicale d'État, qui représente 85,7 % de ses crédits hors programme 379.

Évolution des crédits de la mission « Santé »

(en millions d'euros)

Note : Le programme 378, créé à l'initiative du Sénat en loi de finances rectificative pour 2022, n'a pas été reconduit lors des LFI 2023, 2024 et de l'examen du PLF 2025.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

En 2025, le programme 204 représente 13,5 % des dépenses de la mission, le programme 379 correspond à 5,7 % des dépenses. C'est le programme 183 qui porte l'essentiel des dépenses de la mission, à hauteur de 80,8 %.

I. UNE MISSION AU PÉRIMÈTRE DE PLUS EN PLUS RÉDUIT CHAQUE ANNÉE

La mission « Santé » ne comporte pratiquement aucune dépense de personnel (hormis des frais de jury), les agents concourant à la mise en oeuvre des actions de la mission relevant pour l'essentiel de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

Elle finance quasi-exclusivement des dépenses de fonctionnement et des dépenses d'intervention, via l'aide médicale d'État, hors le programme 379 qui se borne à faire transiter des fonds européens et à les reverser à l'Assurance maladie.

A. DE NOMBREUX TRANSFERTS DE DÉPENSES VERS LA SÉCURITÉ SOCIALE DEPUIS 2014

De 2014 à 2020, le programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » a cessé de contribuer au financement de plusieurs organismes ou agences exerçant des missions relatives à la santé.

Ont ainsi été successivement transférés à l'Assurance maladie les concours que l'État apportait au financement de la Haute Autorité de santé (HAS), du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG), de l'Agence technique de l'information hospitalière (Atih), du Fonds d'intervention régional (FIR), de l'École des hautes études en santé publique (EHESP), de l'Agence de la biomédecine, de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et de Santé publique France.

Ainsi, les crédits de ce programme, qui s'élevaient à 690 millions d'euros dans la loi de finances initiale pour 2014, ne sont plus que de 221 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2025 (- 68 % en dix ans).

À l'inverse, sur la même période, le programme 183 « Protection maladie », quasi-exclusivement destiné à la prise en charge de l'aide médicale d'État, a vu ses crédits très fortement augmenter, passant de 605 millions d'euros dans la loi de finances initiale pour 2014 à 1,396 milliard d'euros dans la loi de finances pour 2025 (+ 131 %).

B. L'INCA EST LE SEUL OPÉRATEUR RATTACHÉ À LA MISSION

La mission « Santé » ne finance plus que deux opérateurs :

- l'Institut national du cancer (INCa) ;

- et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSèS).

Toutefois, l'ANSèS est placée sous la tutelle conjointe de cinq ministères (ceux en charge de l'agriculture, de l'environnement, de la santé, du travail, de la consommation et des finances). Sa subvention pour charges de service public, qui s'élève pour 2025 à 121,2 millions d'euros, n'est financée qu'à hauteur de 25 millions d'euros par la mission « Santé ». La part principale provient du programme « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation » de la mission « Agriculture » (77,1 millions d'euros en CP) et la gestion financière de l'agence relève du ministère en charge de l'agriculture.

Seul l'INCa demeure donc pleinement rattaché à la mission « Santé » qui seule finance sa subvention pour charges de service public (34,52 millions d'euros pour 2025).

C. UN ÉPUISEMENT DES FONDS EUROPÉENS ALLOUÉS AUX FONDS DE CONCOURS CRÉÉS PENDANT LA CRISE SANITAIRE

Alors que la mission « Santé » ne finançait plus que des actions résiduelles en matière de politique de santé publique, hors AME, la crise sanitaire a conduit à lui réaffecter en cours d'exercice un important volume de crédits, par voie de fonds de concours.

Un fonds de concours2(*) rattaché au programme 204 et alimenté par Santé publique France a en effet été créé en mars 2020, pour répondre aux besoins liés à la lutte contre la pandémie (achats de matériels, de masques, de vaccins, dépenses de transport...). Les crédits de ce fonds de concours provenaient de Santé publique France et étaient attribués à la mission « Santé ». On assistait donc à un financement par l'Assurance maladie d'actions relevant du budget de l'État.

Les dépenses au titre de ce fonds de concours ont fortement diminué depuis la fin de la crise sanitaire. Il sera d'ailleurs éteint au 31 décembre 2024. Après avoir représenté jusqu'à 622 millions d'euros en 2020, les dépenses ne correspondent plus qu'à 21,2 millions d'euros en 2023, soit une baisse de 87 % par rapport à 2022. Les fonds exécutés en 2023 ne proviennent pas de crédits budgétaires, mais de reversements opérés par Santé publique France.

Il en résulte qu'il restait un reliquat de près de 74 millions d'euros non utilisés via le fonds de concours. Deux reversements des crédits non utilisés ont été effectués vers Santé publique France, le premier de 50 millions d'euros en décembre 2023, et le deuxième de 23,84 millions d'euros en juillet 2024.

Trois autres fonds de concours ont été rattachés au programme 204 :

- Le premier, intitulé « Participation de l'Union européenne à la constitution d'un stock de produits médicaux et non médicaux en cas d'événement nucléaire, radiologique, biologique ou chimique », a été rattaché au programme 204 en 2023, et a été doté de 118,9 millions d'euros cette même année. Ces crédits ont été consommés à hauteur de 118,1 millions d'euros. Il a été doté de 150,1 millions d'euros en juillet 2024, en raison d'un appel à projet organisé au titre du mécanisme de protection civile de l'Union européenne (ResEU), que la France a, à nouveau, remporté.

- Le second, dénommé « Financements européens pour des actions innovantes dans le domaine de la santé », avait été doté de 363 000 euros en 2023 et de 3,1 millions d'euros en 2024. Il finance un projet de prévention du cancer et des maladies non transmissibles.

- Enfin, le dernier, intitulé « Financements européens pour la modernisation de l'offre de soin », a bénéficié de fonds européens, à hauteur de 0,2 million d'euros en 2023 et de 0,7 million d'euros en 2024. L'objectif en est le financement de projets de recherche et d'innovation.

II. UNE NOMENCLATURE BUDGÉTAIRE MODIFIÉE POUR RECEVOIR DES FONDS EUROPÉENS

Dans le cadre de la Facilité pour la relance et la résilience (FRR) européenne, la France devait recevoir un montant global de 6 milliards d'euros destinés à soutenir l'investissement dans le secteur hospitalier.

Un premier versement européen de 778 millions d'euros est intervenu en 2021. Il a été transféré à l'Assurance maladie sous la forme de l'affectation d'une fraction de TVA en application de l'article 1er de la seconde loi de finances rectificative pour 20213(*).

Depuis la loi de finances rectificative du 1er décembre 20224(*), ces versements transitent, avant d'être reversés à l'Assurance maladie sous forme de crédits budgétaires, par un nouveau programme 379 de la mission « Santé ».

Ce programme a également vocation à assurer la compensation à la sécurité sociale des éventuels dons de vaccins effectués à des pays tiers. En 2021, cette compensation avait également été effectuée par affectation d'une fraction de TVA, à hauteur de 600 millions d'euros, dans le cadre de la seconde loi de finances rectificative.

Les versements européens via le programme 379 se tarissent en 2025. Le présent projet de loi de finances reconduit ce programme 379 mais indique qu'il ne sera doté que de 94 millions d'euros pour 2025, soit une baisse de 92,5 % par rapport à 2024.

C'est la diminution des versements européens au programme 379 qui explique la diminution de 40 % des crédits de la mission. À périmètre constant, soit hors programme 379, les dépenses de la mission augmentent de 4,2 %, essentiellement en raison de la hausse des crédits du programme 183 « Protection maladie ».

III. UNE HAUSSE DES DÉPENSES D'AIDE MÉDICALE D'ÉTAT

Les crédits du programme 183 « Protection maladie » connaissent une hausse importante entre 2024 et 2025, à hauteur de 9,2 %. Comme les années précédentes, la dynamique de ce programme reflète celle des crédits destinés à l'aide médicale d'État (AME), qui représentent plus de 99 % des crédits du programme.

La hausse des dépenses d'AME, constante depuis quelques années, a tendance à s'accélérer entre 2022 et 2023. L'exécution des crédits s'élève à 1,145 milliards d'euros en 2023, soit 13 % de plus qu'en 2022. Les dépenses liées à l'AME n'avaient pourtant progressé que de 2 % entre 2021 et 2022.

D'ailleurs, la programmation pluriannuelle indique que les crédits du programme 183 augmenteraient de 5,2 % en 2026, puis de 6,9 % en 2027, signe que la dynamique de l'AME a vocation à se maintenir.

Évolution des crédits de la mission « Santé »
à périmètre constant et à périmètre courant

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

DEUXIÈME PARTIE
LES PRINCIPALES ÉVOLUTIONS
DE LA MISSION « SANTÉ »

Les crédits de la mission « Santé » ont une évolution différenciée selon les programmes : les programmes 204 « Prévention, politique sanitaire et offre de soins » et 379 « Compensations à la Sécurité sociale » perdent ainsi respectivement 18,1 % et 92,5 % de leurs crédits. Inversement, le programme 183 « Protection maladie » augmente de 9,2 %, porté par la hausse des dépenses d'aide médicale d'État.

Évolution des crédits des programmes de la mission « Santé » entre 2023 et 2025

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

I. DES BAISSES DE CRÉDITS SUR LE PROGRAMME « PRÉVENTION, SÉCURITÉ SANITAIRE ET OFFRE DE SOINS », CONTRIBUANT À L'EFFORT BUDGÉTAIRE EN DÉPENSE DE L'ÉTAT

Les dotations inscrites en loi de finances initiale n'ont donné qu'une vision très partielle des actions financées par le programme 204 au cours de ces trois dernières années, puisque celui-ci a bénéficié en cours d'exercice de crédits de fonds de concours très importants pour la gestion de la crise sanitaire.

En 2024 encore, les fonds de concours rattachés au programme 204 ont bénéficié d'une dotation de 154 millions d'euros, dont 150 millions d'euros pour le fonds de concours « Participation de l'Union européenne à la constitution d'un stock de produits médicaux et non médicaux en cas d'événement nucléaire, radiologique, biologique et chimique », la DGS ayant remporté un appel d'offre européen.

En 2025 toutefois, cette caractéristique devrait s'atténuer : il n'est en effet prévu que 0,5 million d'euros pour le fonds de concours « Financements européens pour la modernisation de l'offre de soins », au titre de fonds européens. Cette évolution est à saluer, le contrôle du Parlement sur les dépenses du programme 204 « prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » s'en trouvant facilité.

Le programme 204 est doté de 229,5 millions d'euros en AE et de 221,7 millions d'euros en CP pour 2025, soit une baisse respective de 14,1 % et de 18,1 %. Plus de la moitié des crédits se concentrent sur quatre actions :

- la subvention à l'Agence de santé des îles Wallis-et-Futuna (53,6 millions d'euros) ;

- les actions juridiques contentieuses (40,6 millions d'euros), incluant la subvention de l'État à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et des infections iatrogènes (Oniam) ;

- une subvention à l'Institut national du cancer (34,5 millions d'euros) ;

- une subvention à l'Agence nationale de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Ansés) (25 millions d'euros).

Selon les prévisions pluriannuelles, le programme 204 connaîtrait une forte baisse de ses crédits en 2026 (-6,2 % en AE) et en 2027 (- 3,9 % en AE).

La diminution des crédits du programme 204 est portée essentiellement par l'action 11 « Pilotage de santé publique », qui couvre notamment les actions juridiques et contentieuses, et par l'action 16 « Veille et sécurité sanitaire », qui correspond aux crédits dédiés à la qualité et à la sécurité des soins.

L'action 16, qui comprend les crédits alloués au fonds de concours « Participation de l'Union européenne à la constitution d'un stock de produits médicaux et non médicaux en cas d'événement nucléaire, radiologique, biologique ou chimique » par l'Union européenne, connait un recul de son enveloppe.

Évolution des crédits du programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire
et offre de soins » de la mission « Santé » entre 2024 et 2025

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

A. UNE DIMINUTION DU FINANCEMENT DES ACTIONS DE SANTÉ PUBLIQUE ET DE SÉCURITÉ SANITAIRE

Beaucoup d'actions financées par ce programme sont extrêmement dispersées, pour des montants généralement faibles, si bien qu'elles paraissent loin de disposer d'une « masse critique » suffisante pour prétendre produire un réel impact sur la réalisation des objectifs de santé publique poursuivis. Le projet annuel de performances énumère à ce titre de nombreuses contributions budgétaires à des plans nationaux ou feuilles de route5(*) dans des domaines qui ont été très largement délégués à des opérateurs aujourd'hui surtout financés par l'Assurance maladie.

1. L'Institut national du Cancer en difficulté pour financer ses projets

Les subventions aux opérateurs représentent à elles seules un peu plus du quart (26,8 %) des crédits du programme 204. Cette part est en hausse par rapport à 2024 (22 %).

Le projet de loi de finances prévoit en particulier une stabilité de la subvention destinée à l'Institut national du cancer (INCa), à hauteur de 34,52 millions d'euros, ainsi que du plafond d'emplois (131 ETPT). Cette subvention est principalement destinée à financer le fonctionnement de l'opérateur - ses dépenses d'intervention étant financées par une autre dotation provenant de la mission « Recherche » pour un montant de 80,9 millions d'euros en 2024.

La lecture du « jaune » budgétaire relatif aux opérateurs de l'État6(*) laisse voir que l'INCa enregistrerait un résultat net négatif en 2024, et en déficit de 9,5 millions d'euros, qui conduit à une diminution de 9,1 millions d'euros de son fonds de roulement. De plus, les charges de personnel et de fonctionnement de l'opérateur s'élèvent à 42,1 millions d'euros, un niveau supérieur à sa subvention du programme 204. Enfin, l'opérateur a engagé d'importantes dépenses d'intervention en 2024 (108,1 millions d'euros), qui seront décaissées lors d'exercices ultérieurs. Son fonds de roulement devrait être de 12,7 millions d'euros à fin décembre 2024.

La subvention de l'INCa en provenance de la mission « Santé » a significativement diminué depuis 2023, à hauteur de de 5 millions d'euros qui devaient normalement être reportés à 2025. La direction générale de la Santé a en particulier signalé que ce financement était considéré comme indispensable pour le lancement de l'expérimentation du cancer du poumon. Il n'est pas certain à ce stade que cette expérimentation puisse avoir lieu. Par ailleurs, près de 260 000 euros ont été annulés en raison du décret7(*) d'annulation du 21 février 2024.

Évolution de la subvention pour service public de l'INCa de 2021 à 2025

(en millions d'euros)

Note : à ce stade, le montant de la subvention du Ministère de la Recherche et de l'Enseignement supérieur pour 2025 n'a pas été décidé au vu des documents budgétaires.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La situation financière de l'INCa constitue donc un point de vigilance pour le rapporteur spécial : s'il est normal et même souhaitable de ne pas subventionner excessivement un opérateur qui bénéficie d'un fonds de roulement confortable, il convient également de lui permettre de mener à bien ses missions. Si à l'avenir un niveau d'excédents trop important était constaté, le rapporteur soutiendrait une diminution de sa subvention ; dans l'hypothèse inverse, il recommanderait a minima de la maintenir à un niveau inchangé.

La subvention à l'Agence nationale de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS) imputée sur la mission « Santé » est stabilisée à 25 millions d'euros en 2025, soit au même niveau qu'en 2024.

2. Des dotations de fonds de concours très réduites en 2025

Sur les trois fonds de concours rattachés au programme 204 « Participation de l'Union européenne à la constitution d'un stock de produits médicaux et non médicaux en cas d'événement nucléaire, radiologique, biologique ou chimique », « Financements européens pour des actions innovantes dans le domaine de la santé » et « financements européens pour la modernisation de l'offre de soin », seul ce dernier devrait bénéficier d'ouvertures de crédits en 2025, à hauteur de 0,5 million d'euros. Ces fonds bénéficient essentiellement de financements européens.

B. UNE STAGNATION DE L'INDEMNISATION DES VICTIMES DE LA DÉPAKINE

La dotation pour actions juridiques et contentieuses constitue une part importante des crédits du programme 204. Elle est constituée :

- d'une provision destinée aux frais de justice de la direction générale de la santé et de la direction générale de l'offre de soins, fixée à 8,2 millions d'euros pour 2025, soit une baisse de 1 million d'euros par rapport à 2024 ;

- d'une dotation versée à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) qui reste également stable à 32,38 millions d'euros en 2025.

S'agissant des frais de justice, il faut rappeler qu'une ouverture de crédits de paiement de 33,7 millions d'euros était intervenue lors de la seconde loi de finances rectificative pour 2021 en prévision d'un éventuel aboutissement de la requête du laboratoire Servier visant à obtenir le remboursement par l'État de 30 % des sommes versées dans le cadre de l'indemnisation des victimes du Médiator. Ces crédits ont été reportés sur 2022, mais à la suite de la décision favorable au laboratoire Servier rendue par le tribunal administratif de Paris le 25 mars 2022, le montant du remboursement incombant à l'État a finalement été fixé à 56,7 millions d'euros.

La direction générale de la santé a indiqué au rapporteur qu'aucun nouveau contentieux susceptible de donner lieu à la mobilisation de la provision des frais de justice n'était identifié pour 2025.

En ce qui concerne la dotation versée à l'ONIAM, elle comporte pour 2025 :

- un montant de 8 millions d'euros correspondant à l'indemnisation des accidents vaccinaux liés aux vaccinations obligatoires survenus depuis le 1er janvier 2006 ainsi que l'indemnisation des victimes des mesures sanitaires d'urgence, y compris l'indemnisation des éventuelles conséquences dommageables de la vaccination contre le Sars-Cov-2 ;

- un montant de 24,4 millions d'euros, identique au montant budgété en 2025, pour l'indemnisation des victimes de la Dépakine (valproate de sodium).

Comme l'a souligné le contrôle présenté par le précédent rapporteur spécial le 28 septembre 2022 devant la commission des finances8(*), le dispositif d'indemnisation des victimes de la Dépakine se caractérise par une sous-exécution des crédits qui témoigne d'un non recours significatif.

Ainsi, depuis sa création jusqu'au 30 juin 2022, 46,6 millions d'euros ont été engagés et 38 millions d'euros de crédits de paiement ont été consommés, dont 16,8 millions d'euros sur l'année 2021.

En conséquence, la dotation figurant à cet effet sur le programme 204, fixée à plus de 70 millions d'euros jusqu'en 2019, a constamment été abaissée depuis, jusqu'à 24,4 millions d'euros en 2023, montant maintenu depuis en 2024 et dans le PLF pour 2025.

Il demeure difficile d'établir des prévisions de dépenses résultant de ce dispositif d'indemnisation. Les indemnités varient fortement selon les types de préjudices subis. La réforme du processus d'évaluation des dossiers intervenue en 2020, notamment la mise en place d'un collège unique d'experts, constitue une avancée positive, mais, sans qu'il soit nécessaire d'entreprendre une nouvelle réforme, des améliorations doivent être apportées pour accélérer le traitement des dossiers et accroître le recours au dispositif. Le rapport précité a émis plusieurs recommandations en ce sens, notamment pour renforcer le collège d'experts et les capacités d'analyse juridique des dossiers et mieux accompagner les familles.

Le niveau de budgétisation paraît cohérent avec les dernières prévisions de consommation. En 2023, par exemple, 57,8 millions d'euros ont été versés par l'ONIAM à 1 649 personnes. En 2024, le versement de 30,7 millions d'euros, soit un montant inférieur à ce qui était initialement décidé en LFI pour 2024 en raison du décret d'annulation du 21 février 2024, devrait se révéler insuffisant pour finir l'année. Le projet de loi de fin de gestion pour 2024 propose d'ailleurs l'ouverture de 13,8 millions d'euros sur le programme 204 à ce titre, ainsi que pour compléter la dotation de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna.

Toutefois, comme il est très difficile de prévoir les besoins de l'ONIAM, maintenir la dotation à ce niveau, quitte à ajuster en cours d'année si besoin, parait une solution sensée.

C. UNE DOTATION EN HAUSSE POUR L'AGENCE DE SANTÉ DE WALLIS-ET-FUTUNA

Collectivité d'outre-mer de 11 500 habitants, les îles Wallis-et-Futuna présentent la particularité de ne pas disposer de système de sécurité sociale. Les soins y sont directement pris en charge par l'État, en application d'un principe posé par l'article 68 de la loi de finances pour 1972, et gratuitement délivrés dans les établissements hospitaliers et dispensaires qu'il administre et finance.

Ces fonctions relèvent depuis 20009(*) d'une agence de santé, établissement public national à caractère administratif. L'agence de santé dispose d'un centre hospitalier et de trois dispensaires à Wallis, ainsi que d'un établissement hospitalier, incluant un dispensaire, à Futuna. L'agence assure les examens de diagnostic, la surveillance et le traitement des patients, leur délivre les médicaments et dispositifs médicaux et procède si nécessaire à leur transfert dans un établissement hors du territoire. Elle est également chargée d'élaborer un programme de santé publique.

La situation financière de l'agence est difficile : comme l'a régulièrement souligné la Cour des comptes, l'agence de santé a longtemps connu une situation de sous-budgétisation chronique. Elle avait notamment contracté vis-à-vis du centre hospitalier de Nouméa et de la caisse de sécurité sociale pour la Nouvelle-Calédonie une dette liée aux évacuations sanitaires qui atteignait plus de 20 millions d'euros fin 2014. Celle-ci a pu être remboursée grâce à un prêt de l'Agence française de développement de 26,6 millions d'euros. La dotation intègre chaque année un montant de 1,3 million d'euros correspondant à l'annuité du remboursement de ce prêt qui s'étale sur 20 ans.

Faisant suite à un rapport de l'inspection générale des affaires sociales et du contrôle général économique et financier remis en avril 2019, le Gouvernement a souhaité rehausser sur trois ans la dotation de fonctionnement de l'agence. Celle-ci est ainsi passée de 36,8 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2020 à 49,4 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2022.

Par ailleurs, les besoins de l'agence ont été régulièrement couverts par des redéploiements internes au programme 204 en exécution budgétaire : un abondement supplémentaire a été opéré par la direction générale de la santé en 2024. De même, les dépenses supplémentaires liées à la gestion de l'épidémie de Covid-19 ont été couvertes par le fonds de concours alimenté par Santé publique France : ce sont ainsi 6,4 millions d'euros qui ont été mobilisés par ce biais pour soutenir l'Agence durant l'exercice 2022, soit une augmentation de 43 % par rapport à l'exercice 2021.

Ces ressources doivent en particulier permettre à l'Agence de faire face aux nombreux surcoûts auxquels elle est confrontée, notamment les évacuations sanitaires, et les actions de prévention et de santé publique à destination d'une population dont l'état de santé est préoccupant.

Les évacuations sanitaires représentent une part très importante des dépenses de l'agence (près de 35 %). Elles interviennent de Futuna vers Wallis, distantes de 200 kilomètres. Elles s'effectuent également vers la Nouvelle-Calédonie, et plus exceptionnellement vers la métropole, pour les soins relevant de spécialités médicales qui ne sont pas assurées sur l'archipel.

Des efforts ont été entrepris ces dernières années pour améliorer l'offre de soins sur le territoire : acquisition de nouveaux équipements, création de trois postes de médecins, développement de missions de médecins spécialistes pour assurer le suivi des patients sur le territoire, développement de la télémédecine en partenariat avec le CHU de Rennes. La réalisation d'une unité d'hémodialyse sur Futuna, plusieurs fois reportée en raison de marchés déclarés infructueux, est engagée. Ces mesures sont de nature à améliorer les réponses aux besoins de santé des populations du territoire, mais n'atténueront que modestement le recours aux évacuations sanitaires, qui demeureront nécessaires et vouées à représenter un des postes de dépenses principaux de l'agence de santé. Le Ségur de la Santé finance également un programme de modernisation de reconstruction de l'hôpital de Futuna, qui se poursuit en 2025.

L'augmentation de la dotation de fonctionnement de l'agence réalisée ces dernières années doit également lui permettre de mettre en oeuvre une véritable politique de prévention et de santé publique. En effet, les données relatives à l'état sanitaire de la population sont préoccupantes. La prévalence de l'obésité est particulièrement forte (70 % de la population adulte, 30 % des adolescents), ainsi que celle des pathologies associées (diabète, hypertension, insuffisance rénale).

Pour 2025, le projet de loi de finances prévoit une hausse de 1,7 millions d'euros de la dotation de fonctionnement, qui s'établirait à 52,3 millions d'euros en AE et à 53,6 millions d'euros en CP.

La trajectoire financière de l'Agence de santé de Wallis-et-Futuna s'est en effet dégradée depuis 2022, suite à la conjonction de plusieurs facteurs :

- les effectifs des personnels non médicaux ont fortement augmenté dans le contexte de la gestion de la crise sanitaire, à hauteur de 16 % entre 2020 et 2021, or cette situation s'est pérennisée ;

- l'inflation a eu un effet important, notamment sur les frais de transport (+ 2 millions d'euros entre 2021 et 2023) et d'évacuations sanitaires, ainsi que sur les produits pharmaceutiques (+ 0,8 million d'euros entre 2022 et 2023).

- Enfin, la crise en Nouvelle-Calédonie a aggravé les déficits de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna, puisqu'elle a compliqué les évacuations sanitaires vers ce territoire.

Avec un déficit qui s'élève à 8,5 millions d'euros en 2024, l'Agence a dû suspendre mi-octobre le paiement de ses fournisseurs. Pareille situation n'est pas acceptable et explique que la dotation de l'Agence de santé augmente.

Toutefois, le plan de maitrise des dépenses, déjà mis en oeuvre par l'Agence (déploiement de nouveaux systèmes d'information de ressources humaines ; mise en place d'un pilotage budgétaire par service ainsi que d'un service facturier etc.), doit absolument être poursuivi et consolidé.

L'Agence de santé doit disposer d'une santé financière suffisamment bonne pour être en mesure de faire face aux crises successives.

II. UNE HAUSSE DES DÉPENSES D'AIDE MÉDICALE D'ÉTAT, QU'IL IMPORTE DE MAITRISER

Le programme 183 « Protection maladie » est quasi-exclusivement constitué des crédits destinés à l'aide médicale d'État (AME), créée en 199910(*).

Les différents dispositifs d'aide médicale d'État

L'aide médicale d'État (AME) recouvre plusieurs dispositifs :

1. L'AME de droit commun est consacrée à la protection de la santé des personnes étrangères vivant en France depuis au moins trois mois consécutifs en situation irrégulière et, de ce fait, non éligibles à la protection universelle maladie (PUMa). Ces personnes ne doivent pas disposer de ressources dépassant un certain plafond annuel (10 166 euros pour une personne seule en métropole en 2024). Elle permet un accès de ce public à des soins préventifs et curatifs et doit permettre de juguler le risque d'extension d'affections contagieuses non soignées au sein de la population. Gérée par l'Assurance maladie, elle représente 1 248,6 millions d'euros dans le présent projet de loi de finances, soit 94,6 % des crédits de l'action n° 2 ;

2. L'AME pour soins urgents concerne les étrangers en situation irrégulière, sans condition de résidence, dès lors que leur pronostic vital est engagé ou qu'ils sont victimes d'une altération grave et durable de leur état de santé. Les soins sont réglés par l'Assurance maladie, qui bénéficie d'une subvention forfaitaire versée par l'État. Cette dotation a été portée à 70 millions d'euros en 2022, pour s'ajuster aux dépenses effectivement constatées, et son montant est inchangé pour 2025 ;

3. Enfin, de manière beaucoup plus limitée et pour un montant évalué à 1 million d'euros pour 2025, identique à celui de 2024, sont financées par l'AME :

- L'AME humanitaire, qui vise les prises en charge ponctuelles de soins hospitaliers de personnes françaises ou étrangères ne résidant pas sur le territoire. Cette couverture est accordée au cas par cas par le ministère chargé de l'action sociale et doit permettre, chaque année, à une centaine de personnes disposant de faibles revenus de régler une dette hospitalière ;

L'aide médicale accordée aux personnes gardées à vue qui se limite à la prise en charge des médicaments - si l'intéressé ne dispose pas des moyens nécessaires à leur acquisition - et aux actes infirmiers prescrits, ainsi que l'aide médicale fournie aux personnes placées en rétention administrative pour les soins prodigués à l'extérieur des lieux de rétention.

Ces deux dispositifs donnent lieu à des délégations de crédits aux directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités.

Source : commission des finances du Sénat

Il comporte également une dotation de 8 millions d'euros destinée au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) dont le montant, inchangé depuis 2017, ne représente qu'un très faible part des ressources du fonds (8 millions d'euros prévus en 2025), celles-ci étant majoritairement constituées d'une dotation de la branche « accidents du travail - maladies professionnelles » de la sécurité sociale. Cette dotation est versée au titre de la prise en charge, par la solidarité nationale, de l'indemnisation des victimes non professionnelles de l'amiante.

L'aide médicale d'État, pour sa part, augmente de 9,2 %, passant de 1 208,3 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2024 à 1 319 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2025.

Évolution des dépenses de l'aide médicale d'État

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

A. UNE HAUSSE CONSTANTE DU NOMBRE DE BÉNÉFICIAIRES DE L'AME

En dépit d'une progression soutenue du nombre moyen de bénéficiaires sur l'année (+ 11,6 %), les dépenses d'AME de droit commun ont reculé en 2020 (- 5,5 %). Inversement, on constate en 2021 une moindre progression du nombre moyen de bénéficiaires (+ 3,3 %) et une nette augmentation des dépenses (+ 9,8 %).

En 2023, l'augmentation du nombre moyen de bénéficiaires sur l'année s'est poursuivie à un rythme accéléré de 11 %, après une hausse de 8 % en 2022. On comptait, fin 2023, 456 689 bénéficiaires de l'AME de droit commun, soit environ 45 000 de plus qu'un an auparavant (411 364).

Une décélération de l'évolution du nombre de bénéficiaires aurait toutefois été entamée en 2024 et en 2025, une hausse de 1,1 % du nombre de bénéficiaires étant anticipée par la direction de la sécurité sociale pour 2025. En particulier, les bénéficiaires de soins de ville et de produits de santé augmenteraient de 1,2 % et 1,1 % respectivement en 2025. En revanche, la dynamique des bénéficiaires de prestations hospitalières est anticipée comme importante, avec une hausse de 5 % entre 2024 et 2025. Il y aurait un effet de rattrapage, la consommation de prestations hospitalières n'ayant pas retrouvé son niveau d'avant crise.

Évolution du nombre moyen de bénéficiaires des dépenses d'AME
de droit commun et des crédits alloués

(en million d'euros et en nombre de bénéficiaires)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

De même, après une faible augmentation entre 2021 et 2022 (+ 2 %) et une forte hausse en 2023 (+ 11 %), la progression des dépenses d'AME retrouverait en 2024 son rythme tendanciel d'avant crise, à 5,7 %. Une forte hausse des dépenses, de 9,2 %, est pourtant anticipée pour 2025 pour l'AME de droit commun, représentant 111 millions d'euros. En effet, il faut noter que la consommation anticipée pour 2024 d'AME de droit commun est de 1 209 millions d'euros, alors que seuls 1 137 millions d'euros ont été votés en LFI 2024. Une partie de la hausse des crédits anticipée en 2025 est liée à un objectif de remboursement de la dette contractée par l'État envers l'ACOSS en 2024, à hauteur de 72 millions d'euros. Le reste est lié à l'augmentation anticipée du nombre de bénéficiaires de l'AME ainsi que des dépenses pour 2025.

La dépense moyenne annuelle par bénéficiaire s'élevait à 2 480 euros en 2023. À titre de comparaison, la dépense moyenne de la population générale couverte par l'Assurance maladie obligatoire était de 2 706 euros en 2021.

Nombre de bénéficiaires de l'AME de droit commun en fin d'année

(1) Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion. L'AME ne s'applique pas à Mayotte.

(2) Les données après le premier trimestre 2024 ne sont pas disponibles à ce jour.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Le dispositif est significativement concentré sur l'Île-de-France, qui totalise plus de la moitié des bénéficiaires, et la Guyane, qui en représente près de 10 % ; il n'est pas applicable à Mayotte. Dans ce département, une participation forfaitaire est demandée aux patients en situation irrégulière, dont le nombre est difficile à évaluer11(*). L'essentiel des frais de santé correspondants est financé par l'Assurance maladie, sur les crédits du Fonds d'intervention régional12(*) (FIR).

B. L'EFFET DES MESURES PRISES DEPUIS 2020 EST LIMITÉ

Plusieurs mesures sont entrées en vigueur à partir du 1er janvier 2020 afin de mieux prévenir les risques de fraudes et de détournements abusifs du dispositif de l'AME.

Depuis le 1er janvier 2020, une condition de durée minimale de séjour irrégulier de trois mois est nécessaire pour obtenir le bénéfice de l'AME13(*), afin d'éviter un accès immédiat au dispositif dès l'expiration d'un visa touristique ; de même, une obligation de dépôt physique de la première demande d'AME14(*) a été instituée à compter du 1er janvier 2020.

Les caisses primaires d'Assurance maladie ont commencé, par l'interrogation de la base Visabio, à vérifier que les demandeurs ne disposaient pas d'un visa en cours de validité, situation devant les exclure du bénéfice de l'AME.

Depuis le 1er janvier 2021, le bénéfice de certaines prestations programmées et non urgentes est subordonné à un délai d'ancienneté de neuf mois de bénéfice de l'AME15(*). Pour les cas les plus urgents ne pouvant attendre le délai d'ancienneté, la prise en charge par l'AME est également possible après accord préalable du service du contrôle médical de la caisse primaire d'Assurance maladie. Selon le rapport16(*) Evin-Stefanini, un peu plus de 20 demandes d'accord préalable avaient été dénombrées par l'Assurance maladie en 2022.

L'effet de ces différentes mesures apparaît toutefois limité. En effet, le projet annuel de performances indique que le montant des crédits ouverts pour l'AME de droit commun intègre 25 millions d'euros de moindres dépenses en 2025 au titre des diverses mesures mises en place depuis 2020, à comparer avec le montant total de l'AME, de 1,32 milliard d'euros.

Des mesures de lutte contre la fraude, réelles
mais pouvant encore être améliorées

De mesures de lutte contre la fraude ont été mises en oeuvre. Ainsi, 15,4 % des dossiers d'AME ont fait l'objet d'un contrôle en 2023. Un objectif de 14,5 % de contrôles est proposé pour 2025. Les dossiers contrôlés font l'objet d'une double instruction vérifiant notamment l'exactitude des ressources déclarées, le respect des critères de résidence ou encore la conformité des pièces justificatives. Environ 2,4 % des dossiers contrôlés ont présenté une anomalie conduisant à un rejet de la demande d'AME. Le préjudice des fraudes détectées s'élève en 2023 à 0,8 million d'euros.

La Caisse nationale d'Assurance maladie conduit également des contrôles ciblés sur les consommations de médicaments présentant des montants élevés ou des anomalies. Un programme national de contrôle mis en oeuvre depuis 2019 permet de vérifier la stabilité de la résidence en France des assurés de l'AME, en exploitant les signalements d'organismes ou via des échanges avec les consulats.

Des contrôles supplémentaires pourraient toutefois être conduits, par exemple concernant l'attribution des numéros de sécurité sociale.

Source : commission des finances

C. UNE RÉFORME STRUCTURELLE DE L'AIDE MÉDICALE D'ÉTAT EST NÉCESSAIRE POUR LIMITER DES DÉPENSES EN CONSTANTE AUGMENTATION

L'absence d'articulation entre politique de l'immigration et prise en charge des soins délivrés aux étrangers en situation irrégulière met une nouvelle fois en cause la pertinence de l'inclusion de l'AME à la mission « Santé ».

Le rapport conjoint de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection générale des finances d'octobre 201917(*) avait relevé, dans la dépense de soins des bénéficiaires de l'AME et son évolution, des atypies qui « renforcent de façon convaincante l'hypothèse d'une migration pour soins » et considéré « comme une priorité la lutte contre la fraude et les abus, qui fragilisent l'acceptabilité politique du dispositif ».

Certaines actions ont été engagées depuis juin 2019 dans le cadre d'un programme national de contrôle, mais les fraudes détectées représentaient des montants assez modestes (0,5 million d'euros en 2020, 0,9 million d'euros en 2021). Les modifications intervenues en 2020 dans le régime de l'AME ont pour partie été en ce sens, mais d'autres recommandations n'ont semble-t-il été que peu prises en compte.

Les inspections recommandaient notamment, dans une optique de lutte contre la fraude, de sécuriser dès l'instruction des demandes l'usage des attestations d'hébergement comme preuve de résidence et de renforcer la vérification de la condition de ressources, notamment auprès des consulats lorsque le demandeur a été détenteur d'un visa. Or la pièce d'identité de l'hébergeur n'est pas exigée pour les demandes d'AME, ni d'ailleurs pour les autres prestations.

Les inspections préconisaient également, afin de détecter les suspicions de migration pour soins, de permettre aux consulats et à la police aux frontières de connaître les bénéficiaires de l'AME et les redevables d'une créance hospitalière, grâce à la constitution d'un fichier centralisé des impayés hospitaliers. Un projet de décret a été établi sur le premier point et fait l'objet d'une saisine de la Cnil. Quant au signalement des impayés hospitaliers, il suppose que les établissements de santé concernés renseignent la nationalité des patients, ce qui n'est le plus souvent pas le cas.

Face au rythme soutenu d'augmentation des dépenses et à l'effet limité des contrôles et vérifications, qu'il faut bien entendu renforcer, il est légitime de s'interroger sur l'étendue des soins pris en charge, qui est notablement plus large que celle assurée dans les autres pays européens pour les étrangers en situation irrégulière.

Dans la plupart d'entre eux, seuls les soins urgents, les soins liés à la maternité, les soins aux mineurs et les dispositifs de soins préventifs dans des programmes sanitaires publics sont pris en charge gratuitement :

- au Danemark, en Espagne et en Italie, l'assistance sanitaire pour les étrangers en situation irrégulière est limitée aux cas d'urgence, de maternité ou de soins aux mineurs. Les personnes concernées peuvent également bénéficier, en Espagne et en Italie, des programmes de santé publique, notamment en matière de vaccination ou de prévention des maladies infectieuses ;

- en Allemagne, seul l'accès gratuit aux soins urgents est garanti : traitement de maladies graves et de douleurs aigües, grossesses, vaccinations réglementaires et examens préventifs ;

- en Belgique, les soins dits « de confort », tels que déterminés dans la nomenclature locale ne sont pas remboursés aux centres publics d'action sociale qui les dispensent aux personnes en situation irrégulière dépourvues de ressources ;

- au Royaume-Uni, pour les prises en charge hospitalière, les étrangers qui ne disposent pas du statut de résident doivent s'acquitter d'avance du coût des soins, avant que l'acte ne soit réalisé, selon un tarif supérieur de 50 % à celui du NHS ; l'avance des frais n'est pas requise lorsque le praticien atteste d'une urgence médicale.

Par l'éventail des soins couverts, l'AME constitue ainsi, par rapport aux dispositions appliquées dans les principaux pays voisins, une exception difficile à justifier.

Dans cette optique, différents dispositifs ont été adoptés par le Sénat, souvent à l'initiative de sa commission des finances.

Le rapport Evin-Stefanini, publié en décembre 2023, faisait également des recommandations, dont certaines de niveau législatif. Les auteurs préconisent notamment un régime d'accord préalable permanent par les caisses primaires d'Assurance maladie pour l'accès au panier de soins défini à l'article R251-3 du code de l'action sociale et des familles, qui comprend notamment les opérations de la cataracte, la pose de prothèses de genoux et d'épaules, d'implants cochléaires ou les interventions sur le canal carpien.

Actuellement, la prise en charge des frais correspondant à ces prestations est subordonné à un délai d'ancienneté de neuf mois d'admission à l'AME, sauf lorsque l'absence de réalisation de ces prestations est susceptible d'avoir des conséquences vitales ou graves et durables sur l'état de santé de la personne. Dans ce cas, les frais peuvent être pris en charge avant le délai d'ancienneté de neuf mois, sur accord préalable des caisses primaires d'Assurance maladie.

Le rapporteur spécial propose d'appliquer ce dispositif à tous les bénéficiaires d'AME, quelle que soit leur ancienneté. Il recommande également au Gouvernement d'élargir la définition des prestations listées à l'article précité du code de l'action sociale et des familles.

Pour mémoire, le Sénat a par exemple constamment recommandé ces dernières années une révision du panier de soins pris en charge par l'AME, qui se limiterait au traitement des maladies graves et des soins urgents, aux soins liés à la grossesse et ses suites, aux vaccinations réglementaires et aux examens de médecine préventive.

Cela rejoint les recommandations du rapport Evin-Stefanini d'examiner l'élargissement de la liste d'actes donnant lieu à une demande d'accord préalable de l'Assurance maladie, en faisant référence aux actes de masso-kinésithérapie, à l'appareillage auditif et optique, à la pose de prothèses dentaires, à l'hospitalisation à domicile ou aux soins médicaux et de réadaptation.

Le rapporteur spécial propose également de tirer les conséquences budgétaires de cette recommandation, en minorant les dépenses d'AME au PLF 2025.

Rapport Evin-Stefanini

Le rapport Evin-Stefanini, publié le 4 décembre 2023, propose plusieurs recommandations de réforme de l'Aide médicale d'État, notamment :

- l'émancipation des majeurs ayants-droits pour le bénéfice de l'AME ;

- le resserrement de la vérification des conditions d'accès (présence physique du bénéficiaire à chaque dépôt de dossier et retrait de cartes, amélioration de la formation des agents des CPAM à la détection de faux papiers) ;

- l'exclusion du bénéfice de l'AME des personnes frappées d'une mesure d'éloignement du territoire pour motif d'ordre public ;

- l'extension du recours à l'accord préalable (application au-delà de 9 mois, extension à d'autres actes ou affections).

Source : commission des finances

III. DES PROGRAMMES ÉPHÉMÈRES QUI INTERROGENT QUANT AUX AMBITIONS DE LA MISSION « SANTÉ »

A. LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE SOCIALE A DISPARU DE LA MISSION « SANTÉ »

Créé à l'occasion de la loi du 16 août 2022 de finances rectificative pour 202218(*) aux fins de lutter contre la fraude aux prestations sociales par le développement d'une solution d'identification des assurés sociaux par la biométrie, le programme 378 « Carte Vitale biométrique » n'a été que faiblement exécuté avant sa disparition, le Gouvernement n'ayant pas fait prospérer le dispositif.

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, le texte initial ne comprenait plus le programme 378. Réintroduit par le Sénat contre l'avis du Gouvernement, qui s'y était opposé en indiquant qu'une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) était en cours, il n'a pas été retenu lors de l'engagement de la responsabilité du Gouvernement en lecture définitive.

Faisant suite à ces débats, un rapport conjoint de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a effectivement été remis en avril 2023. Il a été considéré que la mise en oeuvre d'une solution biométrique intégrée à la carte Vitale serait onéreuse (925 millions d'euros) et difficile à mettre en oeuvre. Deux solutions alternatives à la biométrie ont été proposées :

- l'Application carte Vitale (ApCV), en cours de développement, qui offre la possibilité de disposer d'une version dématérialisée de la carte Vitale sur un smartphone. Elle permettrait aux usagers de suivre leurs dépenses ; quant aux professionnels de santé et à l'Assurance maladie, elle leur permet de facturer plus facilement. Le dispositif devrait être étendu à tout le territoire en 2024 ;

- l'inscription du numéro de sécurité sociale sur la carte d'identité électronique (CNIe), qui est également à l'étude.

Il est regrettable que ces solutions n'aient pas prospéré depuis lors et toute initiative de renforcement de lutte contre la fraude à la carte vitale est indispensable.

B. LE PROGRAMME 379 : LA MISSION « SANTÉ » EST-ELLE DEVENUE L'OMBRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE ?

Dans le cadre de la Facilité pour la relance et la résilience (FRR) européenne, la France doit recevoir un montant global de 6 milliards d'euros destinés à soutenir l'investissement dans le secteur hospitalier.

Ces versements transitent, avant d'être reversés à l'Assurance maladie sous forme de crédits budgétaires, par un nouveau programme 379 de la mission « Santé »19(*). Cette enveloppe financée par l'État se décompose comme suit :

2,5 milliards d'euros pour le soutien aux projets d'investissements courants et d'investissements structurants dans les établissements de santé ;

1,5 milliard d'euros pour le soutien aux projets d'investissement dans les établissements médico-sociaux, en particulier les EHPAD, comportant également des aides aux « investissements du quotidien » et des investissements immobiliers ;

2 milliards d'euros pour les projets d'amélioration des outils numériques en santé. Quatre domaines sont identifiés : les infrastructures numériques de l'État (dossier médical partagé, espace numérique de santé...), l'interopérabilité et la sécurité des logiciels du parc installé, l'accompagnement de la transformation et l'incitation à l'usage par les professionnels et le rattrapage numérique du secteur médico-social.

Les fonds européens doivent être versés à la France de manière échelonnée entre 2021 et 2026.

Comme précédemment indiqué, l'État a déjà versé à la sécurité sociale en 2021 un montant de 778 millions d'euros, sous forme d'affectation d'une fraction de TVA. En 2022, le reversement des fonds européens par crédits budgétaires a été réalisé via un versement de 1 125 millions d'euros sur le programme 379. En 2023, le projet de loi de finances de fin de gestion a effectué l'ouverture de 190 millions d'euros sur le programme 379, en sus des 1 930,4 millions d'euros ouverts en loi de finances initiale, soit un montant ouvert en fin d'année de 2 020,4 millions d'euros. En 2024, le programme reçoit des crédits européens à hauteur de 906,9 millions d'euros. Ce sont ainsi 4 830,3 millions d'euros qui ont été versés à la France dans ce cadre entre 2021 et 2024.

En 2025, seuls 94 millions d'euros devraient être versés à ce titre.

Ce programme apparait comme un simple outil de compensation entre l'État et la Sécurité sociale. Le rapporteur spécial s'interroge ainsi sur la raison d'être de la mission « Santé », et regrette qu'elle soit réduite à perdurer dans l'ombre de la sécurité sociale.

EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ

ARTICLE ADDITIONNEL APRES L'ARTICLE 64 (nouveau)

Réforme de l'aide médicale d'État (AME)

Le présent article additionnel, issu d'un amendement II-37 (FINC-2), adopté par la commission des finances à l'initiative du rapporteur spécial, prévoit d'adapter le régime de prise en charge des frais relatifs à des prestations programmées non urgentes.

Il étend la nécessité d'obtenir une autorisation des caisses primaires d'assurance maladie pour accéder à un panier de soins non urgents, définis par décret, à l'ensemble des bénéficiaires de l'aide médicale d'État (AME), et non uniquement aux personnes bénéficiaires de l'AME depuis moins de neuf mois.

La commission propose d'adopter cet article.

I. LE DROIT EXISTANT : L'ACCÈS AUX SOINS NON URGENTS SOUMIS À AUTORISATION UNIQUEMENT POUR LES BÉNÉFICIAIRES DE L'AME DEPUIS MOINS DE NEUF MOIS

Le régime actuel de l'aide médicale d'État est défini à l'article L251-2 du code de l'action sociale et des familles.

Actuellement, la prise en charge des frais correspondant à ces prestations est subordonné à un délai d'ancienneté de neuf mois d'admission à l'AME, sauf lorsque l'absence de réalisation de ces prestations est susceptible d'avoir des conséquences vitales ou graves et durables sur l'état de santé de la personne. Hors ce dernier cas, les frais peuvent être pris en charge avant le délai d'ancienneté de neuf mois uniquement sur accord préalable des caisses primaires d'assurance maladie. Cette disposition a été introduite par l'article 264 de la loi20(*) de finances initiale pour 2020.

Le rapporteur spécial estime étonnant que cette obligation ne concerne que les personnes bénéficiaires de l'AME depuis moins de neuf mois et n'y voit aucune justification médicale.

Le rapport21(*) remis par Claude Evin et Patrick Stefanini à la Première Ministre Élisabeth Borne en décembre 2023 recommande également d'étendre ce régime de l'accord préalable à l'ensemble des bénéficiaires de l'AME.

La liste des prestations concernées relève d'un décret. Elle est actuellement fixée à l'article R. 251-3 du code de l'action sociale et des familles. Figurent notamment sur cette liste les opérations de la cataracte, la pose de prothèses de genoux et d'épaules, la pose d'implants cochléaires et des interventions sur le canal carpien.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ PAR LA COMMISSION DES FINANCES : UNE ADAPTATION DU RÉGIME DE PRISE EN CHARGE DES FRAIS RELATIFS À DES PRESTATIONS PROGRAMMÉES NON URGENTES

Le présent article additionnel, issu d'un amendement II-37 (FINC-2), adopté par la commission des finances à l'initiative du rapporteur spécial, modifie le huitième alinéa de l'article L. 251-2 du code de l'action sociale et des familles.

Le 1° et le 2° permettent ainsi de subordonner l'ensemble des soins non programmés et sans caractère d'urgence, qui sont définis par décret, à un accord préalable du service du contrôle médical mentionné à l'article L. 315-1 du code de la Sécurité sociale, en supprimant la condition d'ancienneté. Actuellement, seules les personnes bénéficiaires de l'AME depuis moins de neuf mois doivent obtenir une autorisation du service du contrôle médical pour avoir accès au panier de soins non urgents précité. Les 1° et 2° suppriment cette condition pour introduire un régime d'accord préalable pour l'accès à certains soins non urgents pour l'ensemble des bénéficiaires de l'AME.

Le 3° précise que le service concerné doit s'assurer que les soins prescrits auxquels il doit donner son autorisation n'ont pas un caractère vital ni de conséquences « graves et durables » sur la personne devant bénéficier des soins.

Le 4° procède à une coordination.

Le rapporteur recommande par ailleurs au Gouvernement de revoir la liste des actes fixée par l'article R. 251-3 du code de l'action sociale et des familles, correspondant aux prestations programmées ne présentant pas un caractère d'urgence.

En effet, la liste de ces actes est aujourd'hui relativement limitée en France par rapport à d'autres pays européens. Par exemple, en Allemagne, une autorisation préalable est nécessaire pour la rééducation physique, la psychothérapie, les soins à domicile, des dispositifs tels les chaises roulantes ou certains traitements dentaires.

Le Sénat a également constamment recommandé ces dernières années une révision du panier de soins pris en charge par l'AME, qui se limiterait au traitement des maladies graves et des soins urgents, aux soins liés à la grossesse et ses suites, aux vaccinations réglementaires et aux examens de médecine préventive.

Le rapport Evin-Stefanini recommande aussi d'examiner l'élargissement de cette liste d'actes nécessitant l'accord préalable des caisses primaires d'assurance maladie, en faisant référence aux actes de masso-kinésithérapie, à l'appareillage auditif et optique, à la pose de prothèses dentaires, à l'hospitalisation à domicile ou aux soins médicaux et de réadaptation.

Toutes ces pistes représentent des sources d'économies potentielles qui méritent d'être explorées par le Gouvernement.

Décision de la commission : la commission des finances propose d'adopter cet article.

EXAMEN PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

En première lecture, l'Assemblée nationale n'ayant pas adopté la première partie du projet de loi, celui-ci est considéré comme rejeté en application du troisième alinéa de l'article 119 du Règlement de l'Assemblée nationale.

En conséquence, sont considérés comme rejetés les crédits de la mission « Santé ».

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 12 novembre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial, sur la mission Santé.

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons maintenant les crédits de la mission « Santé ».

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial de la mission « Santé ». - La mission « Santé » est composée de trois programmes : l'aide médicale d'État (AME), qui représente plus de 80 % des crédits de la mission ; un programme « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » peu à peu vidé de toute substance ; et enfin un programme autorisant des compensations à la sécurité sociale, créé lors de la crise sanitaire pour les transferts de fonds européens vers la sécurité sociale. La pertinence de cette mission, qui se résume de plus en plus à l'AME, me paraît, comme chaque année, douteuse.

Les crédits de la mission « Santé » sont, en apparence, drastiquement réduits dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 : ils baissent de 40 %, soit une perte de 1,1 milliard d'euros. Cette baisse, toutefois, est due uniquement à l'épuisement du financement du programme 379 dédié aux compensations à la sécurité sociale. Créé en 2022, ce programme recueille les crédits européens du plan de facilité pour la reprise et la résilience (FRR) destinés à la France, qui soutiennent le volet investissement du Ségur de la santé.

Ce volet représente un montant total de 19 milliards d'euros, dont 6 milliards proviennent du plan de facilité pour la reprise et la résilience. Entre 2021 et 2024, plus de 4,8 milliards d'euros ont été versés à la mission « Santé » par ce biais, soit 80 % de la somme promise. Un versement très faible est prévu pour 2025, et il est étonnant de permettre un versement de 1,2 milliard d'euros pour la seule année 2026. Il s'agit d'un point d'attention, notamment pour l'année prochaine.

Par ailleurs, si ce programme améliore la traçabilité des fonds européens, il ne constitue qu'un simple canal de transmission à l'assurance maladie et ne redonne aucune substance particulière à la mission « Santé » en termes de politique publique.

De nombreuses actions financées par le programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » ont été transférées à l'assurance maladie au fil des années. Les dépenses restantes se concentrent sur quatre postes principaux : les dépenses de contentieux, la prise en charge du système de santé à Wallis-et-Futuna, les subventions pour l'Institut national du cancer (Inca) et pour l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), qui en reçoivent aussi d'autres missions.

La dotation pour l'Inca se stabilise par rapport à 2024, après une baisse de 5 millions d'euros l'année dernière. L'institut avait constitué un fonds de roulement important qui justifiait une baisse de sa dotation de fonctionnement. Il semble que le résultat de l'Inca de cette année soit négatif et ne lui permette pas de remplir toutes ses missions, notamment concernant la mise en oeuvre du plan de prévention contre le cancer du poumon. La situation financière de l'Inca constitue donc un point de vigilance.

Le financement des dépenses de contentieux demeure stable par rapport à 2024. La direction de la sécurité sociale n'a signalé aucun nouveau contentieux susceptible de grever les finances du programme 204 dans les années à venir.

La situation de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna est inquiétante. En raison des crises sanitaires et inflationnistes, ainsi que de la situation en Nouvelle-Calédonie, le déficit de l'agence serait de 8,5 millions d'euros en 2024. Celle-ci a cessé de payer ses fournisseurs à la mi-octobre. Une telle situation n'est pas acceptable et explique pourquoi la dotation à l'agence de santé augmentera de 1,7 million d'euros en 2025. Il est également important de poursuivre la mise en oeuvre d'un plan de maîtrise des dépenses efficient, afin d'améliorer la résilience de l'agence face aux crises.

Quant aux fonds de concours attachés à la mission 204, ils sont très faiblement abondés par des fonds européens cette année, à hauteur de 500 000 euros seulement.

Comme les années précédentes, le programme 204 finance également un certain nombre d'actions dispersées, pour des montants généralement faibles. Elles paraissent loin de disposer d'une masse critique suffisante pour avoir un impact sur les objectifs de santé publique poursuivis. Repenser les financements de ce programme, de manière à éviter un saupoudrage trop important, constitue une piste de réflexion à explorer.

J'en viens enfin à l'AME, qui demeure l'élément principal de la mission « Santé ».

Les dépenses représentent environ 1,32 milliard d'euros, montant en hausse de 9,2 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) de 2024. Cette évolution résulte notamment de la hausse du nombre de bénéficiaires de l'AME : de 411 000 fin 2022, ils sont passés à 456 689 fin 2023 et à plus de 459 000 à la fin du premier trimestre 2024. Le nombre de bénéficiaires a donc augmenté de 11 % entre 2022 et 2023.

Pour endiguer cette augmentation continue, des mesures de régulation ont été mises en place depuis 2020. Depuis le 1er janvier 2020, une condition de durée minimale de séjour irrégulier de trois mois est nécessaire pour bénéficier de l'AME. De même, une obligation de dépôt physique de la première demande d'AME a été instaurée à compter du 1er janvier 2020. L'impact de ces mesures de régulation, estimé à 25 millions d'euros en 2025, apparaît toutefois très limité.

Ces éléments conduisent à reposer la question, plusieurs fois abordée dans notre assemblée, de l'étendue des soins pris en charge par l'AME. À ce titre, je rappelle que, dans les pays européens dont nous avons pu récupérer les documents, seuls les soins urgents, ceux qui sont liés à la maternité et aux mineurs, ainsi que les dispositifs de soins préventifs dans le cadre de programmes sanitaires publics sont pris en charge gratuitement pour les étrangers en situation irrégulière. Par l'éventail des soins couverts, l'AME constitue une exception par rapport aux autres pays européens. Celle-ci semble difficile à justifier dans un contexte d'augmentation continue et non maîtrisée de la charge budgétaire qu'elle constitue.

La situation est dénoncée par le Sénat depuis de nombreuses années. Notre assemblée vote chaque année des mesures de réduction de l'éventail de prise en charge des soins par l'AME. Le rapport Évin-Stefanini de décembre 2023, qui devait servir de base à une réforme de niveau réglementaire du précédent gouvernement et que nous n'avons jamais vue, a effectué plusieurs recommandations en ce sens.

Les auteurs proposent notamment d'adapter le régime de prise en charge des frais relatifs à des prestations programmées non urgentes dans le cadre de l'AME. Ces prestations ne peuvent être délivrées en l'absence d'un accord des caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) à l'ensemble des assurés bénéficiant d'une AME depuis moins de neuf mois.

La condition d'ancienneté du régime actuel est étonnante. Il n'y a en effet aucune raison de considérer que la délivrance d'une prestation peut être subordonnée à une autorisation de l'assurance maladie pour certains assurés seulement. Aussi, je vous propose d'adopter un amendement adaptant le régime d'accord préalable en l'étendant à tous les assurés. Quelle que soit la durée de son affiliation à l'AME, un affilié pourrait avoir accès à une prestation incluse dans le panier de soins défini par décret comme « non urgent », sous condition d'accord des CPAM.

Je vous propose également d'adopter un amendement de crédit tirant les conséquences des dispositions de cet amendement de fond. L'objectif est d'encourager le Gouvernement à inclure davantage de prestations dans le panier de soins non urgents. Le rapport Évin-Stefanini recommandait notamment d'inclure les actes de kinésithérapie, l'appareillage auditif et optique, la pose de prothèses dentaires, l'hospitalisation à domicile ou encore les soins médicaux et de réadaptation. En additionnant les gains attendus de la restriction du panier de soins, cet amendement aboutit à une économie estimée à 200 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP). Je propose donc l'adoption des crédits de la mission, sous réserve de l'adoption de cet amendement.

Mme Florence Lassarade, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales sur la mission « Santé ». - Comme chaque année, cette mission dédiée pour une large part à l'AME nous conduit à nous interroger. Les conditions d'accès sont, pour certains, surprenantes. Je suis favorable à l'amendement de M. Delahaye, qui apporte un éclaircissement sur le panier de soins et l'accord préalable et qui sera proposé également à la commission des affaires sociales.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je soutiens l'amendement de M. Delahaye, proche de ceux qui ont déjà été adoptés par le passé, car il apporte une modification du dispositif actuel qui prend en compte des critères d'ancienneté. Il s'agit d'être clair sur le sujet : nous devons être attentifs au sort des étrangers en situation irrégulière.

Mme Isabelle Briquet. - L'AME répond à une triple logique : humanitaire, en donnant accès aux soins aux personnes fragiles ; de santé publique, en permettant d'éviter la propagation des maladies ; et économique, en aidant à prévenir les surcoûts liés à des soins retardés et pratiqués dans l'urgence. Nous sommes attachés à ce que cette aide perdure et soit même confortée. En dépit de l'augmentation des crédits alloués, cela ne suffit pas à assurer la prise en charge des bénéficiaires. Nous ne voterons donc pas les crédits de cette mission.

M. Claude Raynal, président. - Surtout, j'imagine, ainsi amendés.

Mme Isabelle Briquet. - En effet.

M. Éric Jeansannetas. - Ma question porte sur l'indemnisation des victimes de la Dépakine. Le laboratoire Sanofi, en première ligne sur le sujet, a été condamné. La dotation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam) reste stable. Il me semble que le mécanisme d'indemnisation fonctionne ainsi : l'Oniam transmet d'abord le dossier à Sanofi, puis le laboratoire fait une proposition d'indemnisation ; et si celle-ci n'est pas suffisante, l'Oniam compense et adresse ensuite des titres de recettes à Sanofi. Ce mécanisme est-il en place ? Des recettes sont-elles liées à la participation de Sanofi ?

M. Pierre Barros. - Nous nous opposerons à vos propositions pour plusieurs raisons. Je m'interroge notamment sur les médecins diplômés étrangers qui occupent environ 60 % des postes des hôpitaux en région parisienne. Que faisons-nous de ces médecins qui, parfois, se trouvent dans des situations administratives compliquées, voire sous obligation de quitter le territoire français (OQTF) ? On ne doit pas s'étonner que des étrangers viennent se faire soigner en France dans la mesure où les médecins qui devraient les soigner sont chez nous. En prenant le sujet par cet angle-là, nous serions plus proches de la réalité.

M. Jean-Baptiste Olivier. - Je remercie le rapport spécial pour ce premier pas. Mais, pour ma part, cela ne va pas assez loin et je m'abstiendrai sur les crédits de la mission.

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Madame Briquet, nous ne proposons pas de supprimer l'AME et l'amendement va moins loin que ce que nous proposons habituellement. Vous souhaitez que l'aide soit confortée et, même si cela vous semble insuffisant, les crédits augmentent de 9,2 %. Je rappelle que l'AME a été créée en 1999, ce qui signifie qu'il n'y avait rien. Nous avons créé un guichet ouvert et peu contrôlé.

La présence des médecins étrangers est liée au fait que nous manquons de médecins. Pendant des années, le numerus clausus nous a limités en matière de formation de médecins. Si ces médecins étrangers devaient quitter notre territoire, cela aggraverait les problèmes.

À ce stade, nous demandons au Gouvernement de tenir compte des pistes proposées par le rapport Évin-Stefanini afin de maîtriser la dépense. Ce que nous proposons me semble raisonnable. Faut-il aller plus loin ? Aujourd'hui, je l'ignore.

Concernant la Dépakine, aucune recette n'est prévue dans la mission. Sanofi a contesté toutes les demandes de recettes de l'ONIAM en justice. Pour l'instant, l'office prend en charge l'indemnisation.

En conclusion, je propose l'adoption des deux amendements, ainsi qu'un vote favorable sur les crédits la mission.

Article 42

L'amendement II-36 (FINC.1) est adopté.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Santé », sous réserve de l'adoption de son amendement.

Après l'article 64

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - L'amendement II-37 (FINC.2) a pour objet d'adapter le régime de prise en charge des frais relatifs à l'AME. Ainsi, l'ensemble des affiliés sera pris en charge sous réserve de l'accord préalable des CPAM.

L'amendement  II-37 (FINC.2) portant article additionnel est adopté.

*

* *

Réunie à nouveau le jeudi 21 novembre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé définitivement ses votes émis sur toutes les missions, tous les budgets annexes, tous les comptes spéciaux et les articles rattachés aux missions, ainsi que les amendements qu'elle a adoptés, à l'exception des votes émis pour les missions « Culture », « Direction de l'action du Gouvernement », « Enseignement scolaire », « Médias, livre et industries culturelles », « Audiovisuel public », « Recherche et enseignement supérieur », ainsi que des comptes spéciaux qui s'y rattachent.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Direction générale de la santé (DGS)

- Mme Sarah SAUNERON, directrice générale adjointe ;

- M. Émilien ROGER, sous-directeur de l'appui au pilotage et des ressources ;

- Mme Kadija BRAHMI, cheffe du bureau du budget et du pilotage.

Direction de la sécurité sociale

- Mme Delphine CHAMPETIER, cheffe de service, directrice adjointe de la sécurité sociale ;

- M. Antoine IMBERTI, adjoint sous-directeur de la direction des études et des prévisions financières.

Mme Nathalie GOULET, Sénateur de l'Orne.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjlf2025.html


* 1 Loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.

* 2 FDC 1-2-00640 « Participations diverses aux politiques de prévention, de sécurité sanitaire et d'offres de soins ».

* 3 Loi n° 2021-1549 du 1er décembre 2021 de finances rectificatives pour 2022.

* 4 Programme 379, « Compensation à la Sécurité sociale du coût des dons de vaccins à des pays tiers et reversement des recettes de la Facilité pour la Relance et la Résilience (FRR) européenne au titre du volet « Ségur investissement » du plan national de relance et de résilience (PNRR) ».

* 5 Nutrition et santé, santé environnement, santé mentale et psychiatrie, maladie d'Alzheimer...

* 6 Annexe au projet de loi de finances pour 2025, « Opérateurs de l'État ».

* 7 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 8 Le dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine : mieux anticiper pour mieux indemniser - Rapport d'information n° 904 (2021-2022) de M. Christian Klinger.

* 9 Ordonnance n° 2000-29 du 13 janvier 2000 portant création d'une agence de santé et extension ou adaptation de certaines dispositions du code de santé publique aux îles Wallis-et-Futuna.

* 10 Loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 concernant la couverture maladie universelle.

* 11 Selon l'Insee, en 2015, la moitié des étrangers non natifs de Mayotte se trouvait en situation administrative irrégulière (Insee analyses La Réunion Mayotte, n° 12, mars 2017), soit sans doute plus de 40 000 personnes compte tenu du nombre d'étrangers nés à l'étranger, évalué à près de 82 000 en 2017 (Insee, « À Mayotte, près d'un habitant sur deux est de nationalité étrangère », Insee Première, n° 1737, février 2019).

* 12 Voir à ce sujet le rapport d'information n° 833 (2021-2022) de la commission des affaires sociales : Mayotte : un système de soins en hypertension - juillet 2022.

* 13 Article L. 251-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 14 Article L. 251-2 du code de l'action sociale et des familles.

* 15 Articles L. 251-1 et R. 251-4 du code de l'action sociale et des familles.

* 16 Rapport sur l'aide médicale d'État, Claude Evin et Patrick Stefanini, décembre 2023.

* 17 L'aide médicale d'État : diagnostic et propositions.

* 18 Loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.

* 19 Programme 379, « Compensation à la Sécurité sociale du coût des dons de vaccins à des pays tiers et reversement des recettes de la Facilité pour la Relance et la Résilience (FRR) européenne au titre du volet `Ségur investissement' du plan national de relance et de résilience (PNRR) ».

* 20 Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 21 Rapport sur l'aide médicale d'État, Claude Evin et Patrick Stefanini, décembre 2023.

Partager cette page