B. LA QUATRIÈME ANNÉE DE MÉDECINE GÉNÉRALE
1. L'allongement du troisième cycle de médecine générale
a) La réforme du troisième cycle de médecine
· Depuis sa réforme en 2016 et 201785(*), le troisième cycle des études de médecine comprend 44 diplômes d'études spécialisées (DES).
L'étudiant obtient, après avoir soutenu avec succès une thèse de doctorat, le diplôme d'État de docteur en médecine86(*) et, après avoir validé l'ensemble de la formation, un DES permettant sa qualification et l'exercice dans la spécialité concernée87(*).
La durée du troisième cycle est comprise entre trois et six ans et fixée, pour chaque spécialité, par les maquettes de formation définies par arrêté88(*). Établies en 2017 et plusieurs fois révisées depuis89(*), les maquettes retiennent une durée de quatre ans, pour de nombreuses spécialités médicales90(*), et de six ans, pour la plupart des spécialités chirurgicales91(*).
· Depuis l'intervention de la réforme, le troisième cycle est organisé en trois phases successives :
- une phase « socle » visant l'acquisition des connaissances de base de la spécialité et des compétences transversales nécessaires à l'exercice de la profession ;
- une phase « d'approfondissement » visant l'acquisition approfondie des connaissances et des compétences nécessaires à l'exercice de la spécialité ;
- une phase « de consolidation », enfin, visant la consolidation de l'ensemble des connaissances et compétences nécessaires à l'exercice de la spécialité suivie92(*).
Sont associés à ces phases deux statuts successifs :
- le statut d'interne93(*), qui préexistait, s'applique toujours aux phases socle et d'approfondissement ;
- le « docteur junior »94(*), applicable depuis la réforme en phase de consolidation, permet aux étudiants de bénéficier d'un degré d'autonomie renforcé et d'une rémunération revalorisée.
b) L'allongement du troisième cycle de médecine générale
· Jusqu'en 2023, la médecine générale était la seule des 44 spécialités pour laquelle la durée minimale de trois ans avait été retenue.
En conséquence, le troisième cycle de médecine générale était également le seul à ne pas comprendre de phase de consolidation ni de statut de docteur junior, réservés aux spécialités dont le DES dure au moins quatre ans95(*). Son allongement avait été envisagé dès 2017, et recommandé par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas)96(*).
Une telle réforme supposait, toutefois, le recrutement de nombreux maîtres de stage universitaires (MSU) susceptibles d'accueillir les nouveaux docteurs juniors de médecine générale en ville. Selon le ministère de la santé, leur nombre a progressé ces dernières années de manière assez rapide : il serait passé de 11 805 en 2019 à 12 941 en 202197(*).
· Encouragé par l'augmentation du nombre de MSU, la nécessité de renforcer la professionnalisation des étudiants et l'opportunité de contribuer à la maîtrise des inégalités territoriales d'accès aux soins, le Sénat a adopté, en octobre 2022, une proposition de loi du président Bruno Retailleau allongeant le troisième cycle de médecine générale et dédiant la quatrième année à la réalisation de stages en ambulatoire, en autonomie supervisée et, en priorité, en zone sous-dense98(*).
Ce dispositif a été largement repris dans la LFSS pour 202399(*), qui modifie le code de l'éducation pour prévoir :
- que le DES de médecine générale dure quatre ans ;
- que la dernière année du DES est effectuée en stage, en autonomie supervisée par un ou plusieurs MSU, en pratique ambulatoire et, en priorité, dans les zones sous-denses ;
- que la rémunération des étudiants peut faire l'objet d'aménagements tenant compte des conditions spécifiques d'exercice de stage ;
- qu'à titre exceptionnel et dérogatoire, un stage peut être réalisé en milieu hospitalier ou extrahospitalier au cours de cette dernière année.
Ces dispositions sont applicables aux étudiants qui intègrent le troisième cycle à la rentrée de l'année universitaire 2023 et qui parviendront, au mieux, en quatrième année en 2026.
2. Des textes d'application tardifs, laissant les étudiants dans l'incertitude
La mise en oeuvre de la réforme se révèle difficile et la publication des textes d'application attendus, tardive. En conséquence, les étudiants soulignent devoir s'orienter, depuis la rentrée 2023, dans la spécialité sans disposer de l'ensemble des informations nécessaires à la formation de leur choix.
Si la mise à jour de la maquette du nouveau DES de médecine générale a été publiée en août 2023, la commission regrette toutefois qu'aucun des textes attendus relatifs aux modalités d'appariement entre les étudiants et les lieux de stage ou aux conditions de rémunération des étudiants n'ait encore été publié.
a) La mise à jour de la maquette et la fusion des stages de santé de la femme et de l'enfant
· La maquette de formation du nouveau DES de médecine générale n'a été rendue publique qu'en août 2023100(*). En conséquence et selon le Collège national des généralistes enseignants (CNGE), la première promotion d'étudiants concernée par la réforme s'est engagée dans la spécialité « avec un niveau d'information minimal, la seule certitude au moment des choix de poste étant la mise en oeuvre de la 4e année »101(*).
Trois principales modifications sont soulignées par les personnes auditionnées :
- la nouvelle maquette mêle, en un stage unique de six mois, les stages en santé de la femme et de l'enfant auparavant distingués en deux stages de six mois ;
- à la faveur de cette évolution, la nouvelle maquette introduit, en troisième année, un stage libre accompli de préférence dans un lieu agréé en gériatrie, pédiatrie, psychiatrie, psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, gynécologie médicale ou obstétrique ;
- enfin, l'ajout d'une quatrième année permet la réalisation d'un stage long supplémentaire en ambulatoire, d'une durée d'une année en cas de reconduction après accord des deux parties à l'issue des six premiers mois, en priorité en zone sous-dense.
Par dérogation et conformément à la loi, un étudiant pourra demander à accomplir son stage de quatrième année dans le secteur hospitalier, en lien avec son projet professionnel. Cette demande devra être validée par le coordonnateur local du DES de médecine générale, la commission locale de coordination de la médecine générale et le directeur de l'unité de formation et de recherche (UFR).
· La fusion des stages en santé de la femme et de l'enfant et l'introduction, en conséquence, d'une période de stage libre ont suscité de vives réactions.
Dans un communiqué de mars 2024, les conférences nationales des présidents de commission médicale d'établissement (CME) des centres hospitaliers universitaires (CHU) et des centres hospitaliers (CH) ont, ainsi, regretté « les conséquences délétères de la diminution de six à trois mois de la durée de formation en stage en pédiatrie » et souligné que les « futurs médecins généralistes doivent bénéficier d'une formation solide à la pédiatrie »102(*).
Cette évolution correspond, toutefois à une demande ancienne des étudiants, soutenue par le Collège national des généralistes enseignants (CNGE). Auditionné, ce dernier souligne que :
- la nouvelle maquette augmente la part des terrains de stage103(*) de médecine générale, qui atteindrait désormais 50 %, conformément aux recommandations internationales ;
- l'introduction d'un stage libre permettra d'augmenter le temps de formation en ambulatoire et de faciliter les parcours individualisés ;
- la majorité des problèmes de santé pour lesquels un contact médical est nécessaire relèvent d'une prise en charge en médecine générale, y compris en santé de l'enfant : les médecins généralistes réaliseraient, aujourd'hui, plus de 60 % des actes de consultation visant des enfants ;
- la nécessité de maintenir les effectifs d'internes affectés dans les services hospitaliers de pédiatrie ne constitue pas un critère pédagogique pertinent susceptible de justifier le maintien d'un stage distinct104(*).
La rapporteure observe que ces débats persistants tendent à renforcer l'incertitude entourant le contenu et le déroulement du troisième cycle, et à complexifier encore les choix d'orientation des étudiants. Ces derniers jugent, à cet égard, la réforme « précipitée »105(*). Cette situation est encore aggravée par le retard constaté dans la publication de plusieurs textes d'application.
b) Les textes d'application demeurant attendus et les questions en suspens
Près de deux ans après la promulgation de la LFSS pour 2023, de nombreux textes d'application demeurent attendus et des incertitudes demeurent sur le contenu et le déroulement du nouveau DES. Le CNGE souligne qu'il est, à cet égard, « urgent que l'ensemble des textes (...) soient écrits et publiés », pour permettre aux équipes pédagogiques comme aux étudiants de « préparer avec sérénité cette nouvelle phase du DES »106(*).
· Les conditions d'organisation des stages de quatrième année demeurent, d'abord, encore largement inconnues.
Si la loi dispose que ceux-ci doivent être réalisés « en priorité » dans les zones sous-denses107(*), les modalités d'appariement entre les étudiants et les lieux de stage agréés ne sont pas encore définies. Interrogés par la rapporteure, les ministères chargés de la santé et de l'enseignement supérieur soulignent que « le choix des étudiants devra être priorisé informatiquement sur les zones sous-denses », et indique que les terrains de stage hors de ces zones « ne seraient donc accessibles que lorsque les terrains de stage en zone sous-dense seraient tous occupés »108(*). Ils ne précisent pas, toutefois, selon quels critères les étudiants devant réaliser leur stage en zone sous-dense seront, dans un tel cas, sélectionnés parmi tous.
La capacité de l'université à proposer suffisamment de terrains de stage en zone sous-dense apparaît également, à ce stade, incertaine. Si le nombre de MSU semble continuer d'augmenter109(*), le CNGE observe toutefois que « le retard majeur de publication des textes statutaires relatifs à la phase de consolidation constitue un frein majeur au recrutement anticipé de maîtres de stage pour la phase de consolidation »110(*). Une révision du référentiel de formation des MSU, intervenue en juillet 2024111(*), vise à améliorer l'attractivité de la maîtrise de stage universitaire en favorisant, notamment, les formations en distanciel permettant la participation des médecins installés à distance des grands centres universitaires.
· Le statut des docteurs juniors en médecine générale et les conditions de rémunération des stages de quatrième année restent, eux aussi, indéfinis. Cette question a également suscité de vifs débats.
Alors que la LFSS pour 2023 prévoit que « la rémunération des étudiants peut faire l'objet d'aménagements spécifiques, lesquels sont déterminés par décret »112(*), le rapport113(*) remis au ministre chargé de la santé et de la prévention par quatre personnalités qualifiées, en juin 2023, recommandait que les docteurs juniors en médecine générale soient partiellement rémunérés à l'acte, soulignant qu'« une rétrocession sur honoraires perçus [leur] permettrait, avec l'aide des praticiens qui les encadrent, de comprendre les règles régissant l'installation en secteur libéral... ».
Cette hypothèse apparaît soutenue par la majorité des étudiants de médecine générale comme par le CNGE. Interrogé par la rapporteure, l'Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG) souligne l'intérêt de ce mode de rémunération, qui permettrait de former les étudiants aux conditions d'exercice en libéral : « La quatrième année se veut professionnalisante, alors la rémunération à l'acte, la comptabilité, les liens avec les CPAM doivent avoir lieu »114(*). Le CNGE souligne, de la même manière, que la quatrième année doit permettre « l'appropriation des spécificités de la rémunération dans le cadre de l'exercice libéral, actuellement majoritaire au sein de la profession. La rétrocession d'une partie des honoraires participera au développement de ces compétences. » Afin de maintenir la qualité pédagogique du stage et d'éviter les dérives, il propose la fixation d'un nombre maximal d'actes quotidiens115(*).
À l'inverse, plusieurs acteurs ont souligné les difficultés soulevées par une telle exception aux règles entourant la rémunération des docteurs juniors. La Conférence des doyens des facultés de médecine se dit ainsi « formellement opposée à l'introduction d'une rémunération à l'acte pour les étudiants, (...) quelle que soit la spécialité », considérant que celle-ci est « contraire à l'éthique pédagogique » et introduirait « un conflit d'intérêts »116(*). La Conférence se fonde, notamment, sur les observations communiquées par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), qu'elle a interrogé : « Sur un plan éthique, il y aurait une forme d'iniquité ou d'injustice à rémunérer différemment des internes au même niveau de formation selon qu'ils sont de telle ou telle spécialité médicale »117(*). L'Intersyndicale nationale des internes (ISNI), auditionnée par la rapporteure, souligne s'opposer à tout « écart significatif de salaire et de mode de rémunération entre internes » et appelle « à une augmentation globale de la rémunération des docteurs juniors dans le cas où la tarification à l'acte ne pourrait pas s'appliquer pour toutes les spécialités à exercice ambulatoire »118(*).
Conscients de ce dissensus, le ministère demeure prudent et semble avoir revu, récemment, sa position initiale : « Les annonces initiales du ministre chargé de la santé le 12 juin 2023 proposaient une part de rémunération à l'acte. Cependant, au regard des nombreuses réactions des acteurs, ainsi que de l'avis formulé par le conseil consultatif national d'éthique à la demande de la conférence des doyens des facultés de médecine, des alternatives sont à l'étude. » Il indique être conscient du risque d'« effet reconventionnel » pour d'autres spécialités119(*).
La rapporteure regrette le très haut niveau d'incertitude entourant encore, près de deux ans après la promulgation de la loi, les conditions de rémunération des docteurs juniors de médecine générale. Ce paramètre apparaît, pourtant, central dans la réforme envisagée en 2022 et touche les étudiants engagés dans la spécialité comme les praticiens appelés à les accueillir.
La rapporteure appelle à engager rapidement les dernières concertations nécessaires à la finalisation de cette réforme, et souligne qu'une prise de décision rapide apparaît désormais indispensable à son succès.
* 85 Notamment, décret n° 2016-1597 du 25 novembre 2016 relatif à l'organisation du troisième cycle des études de médecine et modifiant le code de l'éducation.
* 86 Articles L. 632-4 et R. 632-24 du code de l'éducation.
* 87 Article R. 632-26 du même code.
* 88 Article R. 632-20 du même code.
* 89 Arrêté du 21 avril 2017 relatif aux connaissances, aux compétences et aux maquettes de formation des diplômes d'études spécialisées et fixant la liste de ces diplômes et des options et formations spécialisées transversales du troisième cycle des études de médecine.
* 90 Allergologie, biologie médicale, dermatologie, endocrinologie, gériatrie, gynécologie médicale, etc.
* 91 Gynécologie obstétrique, chirurgie orthopédique, chirurgie thoracique et cardiovasculaire, etc.
* 92 Article R. 632-20 du code de l'éducation.
* 93 Articles R. 6153-1 à R. 6153-1-23 du code de la santé publique.
* 94 Articles R. 6153-2 à R. 6153-40 du même code.
* 95 Article R. 632-20 du même code.
* 96 Igas, Répondre aux besoins de santé en formant mieux les médecins : propositions pour évaluer et réviser le troisième cycle des études médicales, décembre 2017, recommandation n° 14.
* 97 Instruction interministérielle n° DGOS/RH1/DGESIP/2022/51 du 24 février 2022 relative au développement des stages en ambulatoire pour les étudiants en deuxième et troisième cycles des études de médecine.
* 98 Proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale de M. Bruno Retailleau adoptée par le Sénat le 18 octobre 2022.
* 99 Article 37 de la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023.
* 100 Arrêté du 3 août 2023 portant modification de la maquette de formation du diplôme d'études spécialisées de médecine générale.
* 101 Réponses écrites du CNGE au questionnaire transmis par la rapporteure.
* 102 Communiqué des Conférences nationales des CME de CHU et de CH « 4e année d'internat de médecine générale et pédiatrie », 1er mars 2024.
* 103 Cette expression, utilisée par divers textes réglemenaires, désigne le lieu du stage.
* 104 Réponses écrites du CNGE au questionnaire transmis par la rapporteure.
* 105 Réponses écrites de l'Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG) au questionnaire transmis par la rapporteure.
* 106 Réponses écrites du CNGE au questionnaire transmis par la rapporteure.
* 107 Article L. 632-2 du code de l'éducation.
* 108 Réponses écrites de la DGOS et de la DGESIP au questionnaire transmis par la rapporteure.
* 109 Communiqué de presse du CNGE et du Syndicat national des enseignants de médecine générale « Une progression inédite du nombre des praticiens agréés maîtres de stage des universités en 2024 », 26 septembre 2024.
* 110 Réponses écrites du CNGE au questionnaire transmis par la rapporteure.
* 111 Arrêté du 5 juillet 2024 portant organisation de la formation à la maîtrise de stage universitaire.
* 112 Article L. 632-2 du code de l'éducation.
* 113 Bach-Nga Pham, Mathilde Renker, Olivier Saint-Lary, Stéphane Oustric, Ajout d'une quatrième année au diplôme d'études spécialisées de médecine générale, rapport remis à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et au ministre de la santé et de la prévention, 12 juin 2023.
* 114 Réponses écrites de l'ISNAR-IMG au questionnaire transmis par la rapporteure.
* 115 Réponses écrites du CNGE au questionnaire transmis par la rapporteure.
* 116 Position de la Conférence des doyens des facultés de médecine sur le DES de médecine générale d'une durée de quatre ans, transmise à la rapporteure.
* 117 Courrier du président du CCNE au président de la Conférence des doyens des facultés de médecine du 2 mai 2024, en réponse à une sollicitation concernant la rémunération d'une quatrième année du DES de médecine générale.
* 118 Réponses écrites de l'ISNI au questionnaire transmis par la rapporteure.
* 119 Réponses écrites de la DGOS et de la DGESIP au questionnaire transmis par la rapporteure.