B. UNE AUGMENTATION DES CRÉDITS QUI CONCERNE TOUS LES PROGRAMMES

L'ensemble des personnes entendues par le rapporteur spécial ont fait part de leur satisfaction quant aux crédits demandés pour 2024, dont le niveau permet de ne devoir remettre en cause ou affaiblir aucun des projets lancés ces dernières années. L'avantage d'une trajectoire conforme à la programmation réside dans la visibilité qu'elle donne aux responsables de programme, pour pouvoir s'engager dans des chantiers de grande ampleur sans craindre pour leur financement à long terme. De fait, l'ensemble des programmes voient leurs crédits augmenter, bien que dans une ampleur différente, en grande partie sous l'effet des dépenses de personnel (titre 2).

Contribution des programmes de la mission « Justice »
à la hausse des crédits demandés en 2024 (périmètre 2024)

(en millions d'euros, en CP)

P166 : Justice judiciaire.

P107 : Administration pénitentiaire.

P182 : Protection judiciaire de la jeunesse.

P101 : Accès au droit et à la justice.

P310 : Conduite et pilotage de la politique de la justice.

P335 : Conseil supérieur de la magistrature.

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Le ministère justifie la hausse des crédits demandés sur la mission par trois priorités : le financement des recrutements supplémentaires accordés pour le quinquennat 2023-2027 et des mesures catégorielles, la poursuite des programmes immobiliers pénitentiaires et de modernisation des juridictions et le plan de transformation numérique du ministère.

Évolution des crédits demandés sur la mission « Justice »
en 2024 par titre, à périmètre constant

(en millions d'euros et en CP)

 

 

Exécution 2022

LFI 2023 (format 2024)

PLF 2024

Évolution 2024/2023

Évolution en volume

Titre 2 - Dépenses de personnel

AE

6 220,16

6 679,20

7 131,06

6,8 %

451,86

CP

6 220,16

6 679,20

7 131,06

6,8 %

451,86

Titre 3 - Dépenses de fonctionnement

AE

4 082,6

3 223,52

4 739,50

47,0 %

1515,98

CP

2 585,5

2 713,52

2 966,64

9,3 %

253,12

Titre 5 - Dépenses d'investissement

AE

1 350,5

1 573,55

1 300,35

- 17,4 %

- 273,20

CP

824,9

1 136,00

997,32

- 12,2 %

- 138,68

Titre 6 - Dépenses d'intervention

AE

1 034,1

1 033,99

1 064,93

3,0 %

30,94

CP

1 024,8

1 033,99

1 064,93

3,0 %

30,94

Total

AE

12 687,3

12 510,26

14 235,84

13,8 %

1 725,58

CP

10 655,2

11 562,71

12 159,95

5,1 %

597,24

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

1. La création de 1 925 emplois en 2024, doublée d'importantes mesures de revalorisation

Le garde des Sceaux a annoncé en 2022 la création de 10 000 équivalents temps plein (ETP) pour le ministère de la justice entre 2023 et 2027, objectif confirmé dans la loi de programmation.

605 ETP ont été recrutés de manière anticipée en 2022 et correspondent à la pérennisation de 500 postes de contractuels du volet civil de la justice de proximité et de 105 emplois au titre de la lutte contre les violences intrafamiliales. En 2023, le schéma d'emplois devrait se traduire par le recrutement de 2 253 ETP, au profit de la justice judiciaire (1 220 ETP), de l'administration pénitentiaire (809 ETP), du secrétariat général du ministère de la justice (132 ETP) et de la protection judiciaire de la jeunesse (92 ETP).

En 2024, 1 925 emplois seraient créés, en suivant une répartition similaire à celle observée en 2023 : 1 274 ETP pour les services judiciaires, 447 ETP pour l'administration pénitentiaire, 112 ETP pour le secrétariat général du ministère de la justice et 92 ETP pour la protection judiciaire de la jeunesse. À ces emplois s'en ajoutent 36 pour les opérateurs, dont 33 pour l'École nationale de la magistrature (ENM) et 3 pour l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP).

Le schéma d'emplois comprend la création de 305 postes de magistrats et de 340 postes de greffiers, deux métiers sous tension au sein de la direction des services judiciaires. Au total, la loi de programmation 2023-2027 prévoit le recrutement de 1 500 postes de magistrats et de 1 800 postes de greffiers, une cible rehaussée à l'initiative du Sénat6(*).

Répartition des créations d'emplois par métier

(en équivalents temps plein)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Sans que ces emplois n'apparaissent dans le schéma d'emplois de la mission, il convient de noter que le plafond d'emplois de la mission « Justice », en équivalents temps plein travaillés (ETPT), a été rehaussé pour intégrer des renforts provisoires dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 (+ 165 ETPT). 140 personnels de la catégorie C administratifs et techniques seraient ainsi alloués aux services judiciaires et 16 à l'administration pénitentiaire, pour des contrats courts qui auront vocation à se terminer avec les Jeux et au plus tard au 31 décembre 2024. 4,5 ETPT seraient également alloués, pour les mêmes raisons, à la protection judiciaire de la jeunesse et 4 ETPT au secrétariat général, au sein de la catégorie des personnels d'encadrement.

La forte hausse des dépenses de personnel, à hauteur de 6,8 % entre 2023 et 2024, s'explique toutefois autant par la création de 1 925 ETP en 2024 que par la mise en oeuvre de mesures statutaires et indemnitaires (cf. infra). Le coût de ces dernières serait de 203,3 millions d'euros en 2024, soit plus de 45 % de l'augmentation annuelle des dépenses de personnel. Ce montant est quasiment deux fois plus élevé que celui qui serait constaté en 2023 (110,9 millions d'euros), ce qui s'explique notamment par l'extension en année pleine de la revalorisation de la rémunération des magistrats, de 1 000 euros par mois en moyenne.

2. Investissement et fonctionnement, deux postes de dépenses qui témoignent de l'ampleur des chantiers lancés par le ministère

Les crédits demandés sur les dépenses de fonctionnement (titre 3) et d'investissement (titre 5), qui représenteraient 33,3 % des crédits de la mission en 2024, connaissent une évolution contrastée : ils augmentent de 9,3 % en CP sur le titre 3, pour s'établir à 2,97 milliards d'euros, mais baissent de 12,2 % sur le titre 5, pour s'établir à 997,3 millions d'euros. La diminution des dépenses d'investissement s'explique principalement par le moindre nombre d'établissements pénitentiaires qui seraient livrés en 2024 dans le cadre du plan de construction de 15 000 places de détention supplémentaires (« plan 15 000 »), par rapport à 2023.

Néanmoins, de manière agrégée, le dynamisme de ces deux postes de dépenses résulterait essentiellement :

des dépenses informatiques, que ce soit pour la maintenance des applicatifs existants, pour l'acquisition et le renouvellement du matériel ou pour le développement de nouvelles fonctionnalités, dans le cadre de la mise en oeuvre du deuxième plan de transformation numérique (PTN) du ministère ;

des dépenses immobilières, qu'elles relèvent d'opérations de construction, de rénovation, d'entretien, d'aménagement des bureaux ou de gestion des locaux. La mise en oeuvre du plan 15 000 et des opérations sur le parc immobilier judiciaire mobilise une part prépondérante de ces crédits ;

- des réformes engagées ces dernières années et visant notamment à développer le statut du travailleur détenu, à développer les places en structures d'hébergement et en milieu ouvert pour prendre en charge les mineurs, à mieux former les personnels ou encore à mettre en place l'équipe autour du magistrat.

L'ensemble de ces crédits intègre également des hypothèses d'inflation, qui expliquent le relèvement de certains coûts (restauration, projets immobiliers, renouvellement des marchés des fluides).

3. Le dynamisme des dépenses de « guichet » du ministère de la justice

Les dépenses d'intervention du ministère de la justice s'élèveraient à 1,06 milliard d'euros en 2024. La majorité relève de l'aide juridictionnelle, portée par le programme 101 « Accès au droit et à la justice », pour une enveloppe estimée à 734,2 millions d'euros (cf. infra).

Répartition des dépenses d'intervention
de la mission « Justice » en 2024

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

S'il ne s'agit pas à proprement parler de dépenses d'intervention, mais de fonctionnement, le rapporteur spécial a choisi de consacrer ici une attention particulière aux frais de justice, qui représenteraient près de 57 % des dépenses de fonctionnement du programme 166 « Justice judiciaire » en 2024. Il partage en effet le propos de la direction des services judiciaires, qui les apparente à de « quasi dépenses de guichet », dans le sens où elles sont liées à l'exercice même de la justice et au volume de l'activité pénale.

L'essentiel des frais de justice constitue en effet une dépense engagée par les officiers de police judiciaire (OPJ) et par les magistrats dans le cadre des procédures judiciaires. Elle concerne principalement les expertises génétiques et médicales mais aussi financières, informatiques ou balistiques, ou encore le recours aux auxiliaires ou collaborateurs de la justice (huissiers, traducteurs, interprètes, délégués du procureur, etc.). La part des frais de justice pénale représente plus de 95 % des frais de justice totaux en 2022. Elle tend à augmenter, tandis que les frais de justice relatifs aux actions civiles et commerciales diminuent depuis 2015.

En 2024, les frais de justice s'élèveraient à 674 millions d'euros en AE et en CP, contre 660 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2023, soit une évolution maîtrisée de + 2,1 %. Ce montant pourrait être, à l'instar des années précédentes, revu à la hausse, alors qu'il augmenterait déjà de près de 183 millions d'euros en cinq ans (+ 37,3 %).

Évolution des frais de justice depuis 2017

(en millions d'euros, AE=CP)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Le difficile pilotage des frais de justice provient, d'une part, de leur dynamisme, lié à l'activité juridictionnelle - elle-même pour partie liée au recrutement de nouveaux magistrats - et, d'autre part, de leur manque de prévisibilité et de l'importance des charges à payer qui se sont accumulées au cours des années. Il a toutefois tendance à s'améliorer. Le rétablissement du délai de forclusion d'un an pour déposer les mémoires de frais de justice à compter de l'achèvement de la mission7(*) permet par exemple d'améliorer la prévision budgétaire. Il explique également une partie de la hausse des frais de justice constatée en 2021 et en 2022, avec un « effet volume » lié au traitement des dossiers proches de l'échéance. En 2023, la hausse des crédits alloués aux frais de justice s'explique en partie par la revalorisation des expertises psychologiques et psychiatriques, dans un contexte toujours marqué par une attrition du vivier d'experts.

Un plan de maîtrise des frais de justice a toutefois été lancé en 2021, resserré sur 15 actions en 2023 et qui devraient se poursuivre en 2024. La direction des services judiciaires doit trouver un point d'équilibre, par définition délicat, entre la contrainte budgétaire et le respect du principe de l'indépendance juridictionnelle. Les principaux leviers qu'elle entend actionner sont donc les suivants :

- un pilotage renforcé par les responsables de budget opérationnel de programme, avec un suivi régulier des plans d'actions et de nouveaux indicateurs sur l'origine et la nature de la dépense. Il importe en effet de distinguer les frais de justice par sous-segment d'activité, tous n'évoluant pas dans la même direction. L'expertise médicale est ainsi le sous-segment le plus dynamique (un tiers des frais de justice)8(*) ;

- la poursuite de l'expérimentation de services centralisés régionaux des frais de justice. Lors de son audition, le directeur adjoint des services judiciaires a en effet expliqué au rapporteur spécial que l'objectif était d'arriver à un référent frais de justice par cour d'appel, pour avoir un suivi quasiment en temps réel de ces dépenses. Cette expérimentation s'accompagne de la mise en oeuvre de mesures telles que le recrutement en interne d'interprètes des langues les plus demandées, au lieu de recourir à des prestataires externes très onéreux. En Guadeloupe par exemple, cinq contractuels ont été recrutés pour l'interprétariat en langue créole ;

- une plus grande sensibilisation des officiers de police judiciaire et un partage de systèmes d'information. En effet, comme la direction des services judiciaires l'a rappelé en audition, 60 % des frais de justice ont pour fait générateur la décision d'un officier de police judiciaire, ratifiée par le procureur ;

- l'engagement de travaux de rationalisation des tarifs d'expertises techniques et du gardiennage des scellés. La montée en charge de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) doit également permettre de réduire les frais de géolocalisation, même si la plus grande facilité d'accès aux réquisitions juridiques qu'elle entraine a un effet à la hausse sur le nombre de demandes, cet effet volume compensant partiellement les économies obtenues par le déploiement de la PNIJ.

En tout état de cause, le développement de techniques d'enquête de plus en plus sophistiquées et coûteuses, le développement de l'activité juridictionnelle - pour partie liée aux recrutements de nouveaux policiers et magistrats - ainsi que la masse croissante de données à exploiter, laissent peu de marges de manoeuvre pour une éventuelle réduction significative de ces frais.

En 2022, la dépense moyenne de frais de justice par affaire faisant l'objet d'une réponse pénale a atteint 558 euros, soit 87 euros de plus qu'en 2021 et 174 euros de plus qu'en 20209(*). Cette hausse s'explique principalement par la reprise de l'activité en sortie de crise sanitaire, le déploiement des enquêtes sociales10(*) et le renforcement de la justice de proximité, ainsi qu'une intensification de la lutte anti-terroriste. La prévision actualisée pour 2023 s'élève à 501 euros de dépense moyenne, et celle pour 2024 à 571 euros.

Le rapporteur spécial ne peut que se satisfaire que le Gouvernement fasse enfin preuve de réalisme dans ses prévisions de dépense moyenne. Il était en effet tout à fait impossible, contrairement à ce qui avait initialement été annoncé, que la dépense moyenne des frais de justice atteigne 330 euros en 2023. Une telle trajectoire aurait supposé une diminution drastique des frais de justice, à rebours de la dynamique constatée ces dernières années. Les doutes du rapporteur spécial ont été confirmés et les cibles inscrites dans le projet annuel de performances de la mission « Justice » démontrent que le Gouvernement ne considère plus comme crédible une trajectoire de retour à une dépense moyenne de l'ordre de 300 euros. Il vise plutôt une stabilisation, avec une cible de 571 euros prévue pour la période 2024-2026.

Enfin, et de manière plus anecdotique, même si cela illustre la sensibilité des frais de justice aux aléas conjoncturels, cinq millions d'euros supplémentaires ont été prévus au seul titre des Jeux olympiques et paralympiques, pour anticiper une hausse des coûts de traduction et d'interprétariat.


* 6 Dans le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, 1 500 postes de greffiers supplémentaires étaient prévus.

* 7 Article 236 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

* 8 D'après les données transmises par la direction des services judiciaires lors de son audition par le rapporteur spécial.

* 9 Indicateur de performance 3.1 « Dépense moyenne de frais de justice par affaire faisant l'objet d'une réponse pénale » du programme 166 « Justice judiciaire » de la mission « Justice ».

* 10 Enquêtes aux fins de vérifier la situation matérielle, familiale et sociale d'une personne faisant l'objet d'une enquête ou, pour un mineur, d'une demande d'assistance éducative.

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