II. AUDITION DE M. PIERRE MOSCOVICI, PRÉSIDENT DU HAUT CONSEIL DES FINANCES PUBLIQUES (28 SEPTEMBRE 2022)
Réunie le mercredi 28 septembre 2022 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis du Haut Conseil relatif au projet de loi de finances pour 2023, au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 et au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.
M. Claude Raynal , président . - Nous recevons ce matin M. Pierre Moscovici, en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), organisme indépendant placé auprès de la Cour des comptes.
En application des dispositions de l'article 61 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) révisée en décembre dernier, le Haut Conseil rend un avis sur les prévisions macroéconomiques, sur lesquelles reposent le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de l'année, ainsi que sur la cohérence de l'article liminaire au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel et de dépenses des administrations publiques. Le HCFP se prononce également sur le réalisme - j'insiste sur ce mot, qui a fait l'objet d'une bataille - des prévisions de recettes et de dépenses du projet de loi de finances de l'année.
Cette année voyant la présentation d'un nouveau projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP), destiné à succéder à une trajectoire 2018-2022 fort peu respectée, le Haut Conseil doit également se prononcer sur les prévisions macroéconomiques et l'estimation du produit intérieur brut (PIB) potentiel sur lesquelles repose cette programmation.
Alors que les hypothèses de croissance s'assombrissent à mesure des effets des tensions internationales, de la crise énergétique, mais aussi de l'inflation et de la remontée des taux d'intérêt, votre éclairage sur la sincérité et la crédibilité de la trajectoire budgétaire présentée, à la fois pour l'année qui vient, mais également pour la période quinquennale qui s'ouvre, sera précieux.
M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques . - Je vous remercie de m'avoir invité devant votre commission, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, afin de vous présenter les principales conclusions de nos deux avis, l'un relatif aux projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2023 et l'autre au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.
Nous sommes clairement à un moment charnière pour nos finances publiques. Sous les effets de la crise sanitaire et du « quoi qu'il en coûte », nos finances publiques ont subi une détérioration inédite, en raison à la fois du repli de l'activité économique et des mesures de soutien d'urgence adoptées pour y faire face. Ces mesures étaient nécessaires : elles ont préservé la situation des ménages et des entreprises, maintenu la cohésion sociale et permis le rebond économique, fort et rapide, enregistré en 2021.
Pour autant, nos niveaux de déficit et de dette constituent toujours des freins pour l'avenir. Je ne suis ni un « ayatollah de l'austérité » ni une « Cassandre de la dette », mais un endettement trop important ne permet pas de dégager des marges de manoeuvre et affecte les capacités d'investissement pour répondre aux défis de demain - la transition énergétique, la santé, l'éducation - d'abord en les limitant, puis en les annulant.
C'est dans ce contexte que vous aurez à examiner la LPFP, dont la vocation est de constituer une ancre pour notre trajectoire budgétaire au cours des prochaines années et de permettre de se projeter sur le long terme, ainsi que les PLF et PLFSS pour l'année prochaine.
N'oublions pas que si la crise sanitaire a conduit la Commission européenne à déclencher la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance (PSC), autrement dit à suspendre l'application du PSC, cette clause devrait être désactivée en 2024 et le pacte devrait à nouveau s'appliquer. Nous ne sommes donc pas exonérés de l'obligation de construire une trajectoire soutenable des finances publiques ; nous sommes toujours membre de la zone euro et nous avons des engagements à respecter.
Les deux avis du Haut Conseil s'inscrivent pour la première fois dans le cadre du nouveau mandat que le législateur a bien voulu lui confier lors de l'adoption de la loi organique du 28 décembre 2021. Nous sommes saisis des prévisions macroéconomiques et nous devons également apprécier le réalisme - je me souviens bien des discussions sur ce mot - des prévisions de recettes et de dépenses des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale. Je m'en réjouis, car je suis convaincu que le Haut Conseil peut mieux jouer son rôle au service du Parlement et, à travers vous, des citoyens.
Je vais vous présenter successivement notre avis sur les projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2023, puis celui concernant le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.
Je commencerai par un retour rapide sur la situation économique internationale et ses derniers développements.
Je ne vous surprendrai pas en vous rappelant que l'environnement économique international s'assombrit, que notre économie subit de plein fouet les conséquences de la guerre en Ukraine, qui se sont notamment traduites par de fortes tensions sur les marchés de matières premières. Certes, des baisses ont eu lieu, notamment concernant le prix du baril de Brent, qui a retrouvé son niveau de février. Cependant, de très fortes hausses se sont produites : les prix de l'électricité et du gaz se sont envolés, poussés à la hausse par le risque d'une rupture complète d'approvisionnement en gaz russe, que nous ne pouvons d'ailleurs pas totalement exclure. Les chaînes d'approvisionnement restent encore perturbées, en raison de la crise du covid-19 et notamment des mesures de confinement imposées en Chine qui n'ont pas été levées, même si progressivement les difficultés sont en voie d'atténuation.
Les contraintes sur l'offre alimentent la hausse des coûts de production et, dans son sillage, celle des prix à la consommation. L'inflation atteint des niveaux très élevés - à 8,3 % sur un an aux États-Unis et à 9,1 % sur un an en zone euro en août -, conduisant les banques centrales à relever fortement leurs taux d'intérêt. Aux États-Unis, la Réserve fédérale a d'ores et déjà relevé de 300 points de base la fourchette de ses taux directeurs.
La Banque centrale européenne (BCE) a augmenté ses taux plus tardivement, puisqu'on se situe à 125 points de base depuis le mois de juillet, mais elle connaît aussi des hausses fortes, de 75 points de base par exemple le mois dernier. La BCE comme la Réserve fédérale ont d'ailleurs annoncé la poursuite du cycle de resserrement monétaire au cours des prochains mois, dans le but de respecter leur mandat qui est de lutter contre l'inflation.
Le cumul des chocs extérieurs, le maintien de l'inflation à des niveaux élevés sous l'effet de la diffusion progressive des hausses de coûts de production et le durcissement des politiques monétaires sont trois facteurs qui devraient peser sur l'activité mondiale au cours des prochains trimestres.
L'« atterrissage en douceur » des économies, visé par les banques centrales et retenu dans les prévisions des organisations internationales comme du Gouvernement, est, d'expérience, assez difficile à réussir. Il ne faut pas se le cacher : le resserrement monétaire en cours comporte un risque de récession économique, souligné par plusieurs organismes internationaux. Le dernier en date a été l'Organisation mondiale du commerce (OMC), hier ou avant-hier. La Banque de France donne des fourchettes, qui peuvent aller d'un peu plus de -1 jusqu'à + 0,8 %. Enfin, le président de la Réserve fédérale a été clair sur ce point ; il estime qu'une récession américaine est probable, voire nécessaire.
Dans ce contexte, l'avis du Haut Conseil sur les projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2023 porte deux messages importants. D'abord, concernant le scénario macroéconomique du Gouvernement, le Haut Conseil considère que le taux de croissance retenu pour 2023 paraît un peu élevé. En revanche, il estime que les prévisions d'inflation, à + 4,2 %, et de masse salariale dans les branches marchandes, à +5,0 %, sont plausibles.
Le second message porte sur les prévisions de finances publiques. Le Haut Conseil estime que, bien que s'appuyant sur des hypothèses optimistes, le redressement des finances publiques prévu pour 2023 s'annonce lent et incertain : sous les hypothèses du Gouvernement, le déficit public effectif serait stable, l'amélioration du solde structurel très limitée et le ratio de dette quasi stable.
Je vais détailler ces deux messages.
Selon le scénario du Gouvernement, la croissance du PIB s'établirait à 2,7 % en 2022 et 1 % en 2023.
Pour 2022, bien que des incertitudes pèsent encore sur l'activité de fin d'année, le fort dynamisme des recettes rend crédible et plausible l'hypothèse de 2,7 %.
En revanche, pour 2023, la prévision du Gouvernement s'écarte sensiblement du consensus forecast , c'est-à-dire des hypothèses des instituts de prévision. Les instituts auditionnés par le Haut Conseil fournissent des fourchettes de prévision de croissance comprises entre 0 et 0,6 %, traduisant un net ralentissement, voire une baisse, de l'activité au cours de l'hiver prochain, suivi d'un rebond très modéré. Le consensus des économistes est à 0,6 %. Les dernières prévisions relatives à l'économie allemande, comme celles de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) parues ce lundi, anticipent une récession en 2023 alors que la prévision du Gouvernement est à 0,8 point. Or nous sommes interdépendants avec nos partenaires allemands. Cette dégradation du contexte international risque donc de peser sur les exportations françaises plus que prévu par le Gouvernement, alors que ce dernier prévoit plutôt une contribution positive du commerce extérieur.
Les hypothèses du Gouvernement sur lesquelles sont construites les prévisions de consommation et d'investissement sont de plus fragiles, dans un contexte marqué par l'inflation.
Notons que des aléas baissiers importants existent. Le scénario du Gouvernement n'intègre pas de difficulté majeure en matière d'approvisionnement en gaz ou en électricité, non plus que la perspective d'une récession qui pourrait résulter de tensions énergétiques ou d'un durcissement brutal des conditions financières. Enfin, des conditions sanitaires plus défavorables que prévu - même si elles ne sont évidemment pas souhaitables - ne peuvent être exclues.
Le Haut Conseil estime, par conséquent, que la prévision du Gouvernement à +1 % est un peu élevée.
Selon le Gouvernement, la progression de l'indice des prix à la consommation serait de 5,3 % en moyenne annuelle en 2022, ce qui est jugé crédible par le Haut Conseil.
L'inflation attendue en 2023 a été révisée en forte hausse, à 4,2 % en moyenne annuelle contre 3,2 % dans le programme de stabilité que vous avez examiné l'été dernier. Plusieurs facteurs continueront de jouer dans des sens contraires l'année prochaine. Nous estimons qu'ils s'équilibrent et que cette prévision est crédible.
Le Haut Conseil considère également que la prévision de masse salariale et d'emploi pour 2022 et 2023 est plausible.
Je récapitule donc notre avis sur les prévisions macroéconomiques du Gouvernement pour 2023 : une prévision de croissance un peu élevée - j'espère seulement un peu élevée -, une prévision d'inflation crédible, des prévisions d'emploi et de masse salariale plausibles.
Venons-en maintenant aux prévisions sur les finances publiques.
Le Gouvernement prévoit un solde public effectif de -5,0 points de PIB en 2022 et 2023, après -6,5 points de PIB en 2021.
En 2022, la prévision de recettes paraît un peu basse, compte tenu des rentrées fiscales observées et de l'évolution prévue de la masse salariale. Selon le Haut Conseil, le déficit public pourrait donc être un peu inférieur à 5 points de PIB.
En revanche, pour 2023, même si les prévisions sont très incertaines, comme l'est la prévision macroéconomique, les recettes pourraient pâtir de l'impact négatif d'une croissance plus faible que prévu, mais bénéficier en retour d'un effet de base des recettes sur 2022 favorable. Le niveau de dépenses publiques paraît incertain et les risques sont plus orientés à la hausse qu'à la baisse, notamment au regard de la situation sanitaire. En 2022, il pourrait être un peu inférieur à 5 points de PIB, et en 2023, un peu supérieur à 5 points de PIB. Ce qui peut être attendu est donc, au mieux, une stabilisation du déficit public effectif.
Détaillons d'abord plus précisément les prévisions d'évolution des recettes.
Le Gouvernement prévoit une hausse très nette des prélèvements obligatoires (PO), de 7,8 % en 2022, qui les porterait à 1 194 milliards d'euros, chiffre qui pourrait même être légèrement dépassé.
Pour 2023, la prévision de PO est de 1 234 milliards d'euros, soit + 3,3 % par rapport à 2022. Elle est inférieure à celle de la croissance du PIB en valeur, soit une élasticité inférieure à l'unité due au net ralentissement attendu par le Gouvernement de quelques grands impôts, ce qui nous paraît justifié. C'est par exemple le cas de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés.
Pour 2022 comme pour 2023, le Haut Conseil estime que les prévisions de prélèvements obligatoires sont cohérentes avec le scénario macroéconomique retenu. Les données de rentrées fiscales tendent toutefois à indiquer des recettes un peu plus élevées en 2022, tandis que les aléas sont plus équilibrés pour 2023.
Passons maintenant à l'analyse de l'évolution des dépenses publiques.
En 2022, les dépenses publiques, hors crédits d'impôt, devraient progresser de 4,2 % pour atteindre 57,6 points de PIB. Corrigées du déflateur du PIB, indice des prix pertinent pour l'analyse des finances publiques, elles progresseraient de 1,4 point en volume.
C'est une croissance soutenue, en dépit du fort repli des dépenses de soutien face à la crise sanitaire. Une fois neutralisées les dépenses liées à la crise sanitaire, celles de relance et les mesures prises pour faire face à la hausse des prix de l'énergie, les dépenses publiques déflatées par les prix du PIB progresseraient tout de même de 3,5 %.
En 2023, la dépense publique devrait ralentir à 2,8 %, ce qui, avec une inflation élevée, devrait conduire à une baisse de la dépense publique en volume de - 0,8 point de PIB, avec le déflateur du PIB. Cela s'explique toutefois essentiellement par le reflux des dépenses exceptionnelles dues à la crise sanitaire et celles de relance.
Une fois ces dépenses déflatées, la dépense publique progresserait au contraire de 0,7 point en volume. Les dépenses dans le champ de l'Ondam, à +3,7 % hors dépenses liées à la crise sanitaire, progresseraient plus rapidement qu'avant la crise sanitaire, tandis que, tirées par la hausse des crédits de plusieurs ministères - emploi, intérieur, justice, défense en particulier -, les dépenses de l'État sur le champ très large de la nouvelle « norme », qui regroupe la très grande majorité des dépenses de l'État, sont inscrites en hausse de 24 milliards d'euros.
Les hypothèses de dépense publique restent affectées par des incertitudes fortes relatives au coût des boucliers tarifaires sur l'électricité et le gaz, qui peuvent jouer à la hausse comme à la baisse. Des risques de dépassement existent par ailleurs pour certaines dépenses, par exemple celles dans le champ de l'Ondam qui comprennent une provision de seulement 1 milliard d'euros au titre des dépenses de covid-19 sur les achats de vaccins et la campagne de tests. Cette provision suppose une chute massive des dépenses de tests, à savoir une division par 20, et risque de se révéler très insuffisante. Par ailleurs, le maintien d'une inflation élevée en 2023, pour la deuxième année consécutive, pourrait entraîner une hausse plus forte que prévu de certaines dépenses de fonctionnement difficilement compressibles ou d'investissement, tandis que la prévision suppose - je le souligne à votre intention - l'absence de revalorisation du point fonction publique.
Aussi le Haut Conseil considère-t-il que certaines dépenses pourraient être sous-estimées. La prévision de déficit pour 2023, de 5,0 points de PIB, semble par conséquent également légèrement sous-estimée, même si elle reste marquée par une grande incertitude.
Je résume l'analyse de la situation des finances publiques qui résulte de notre examen : bien que s'appuyant sur des hypothèses optimistes, le Gouvernement prévoit pour 2023 une simple stabilité du déficit public effectif, une amélioration limitée du solde structurel et une quasi-stabilité du ratio de dette. Le redressement des finances publiques s'annonce ainsi lent et incertain en 2023.
Le Haut Conseil a également examiné le projet de loi de programmation des finances publiques qui vous est soumis. Trois missions lui incombent : apprécier l'estimation du PIB potentiel proposée par le Gouvernement, se prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées à ce projet, examiner la cohérence de la programmation envisagée au regard de l'objectif d'équilibre structurel à moyen terme retenu et des engagements européens de la France.
S'agissant de la croissance potentielle et de l'écart de production, soit l' output gap , le Haut Conseil considère que les hypothèses d'écart de production et de croissance potentielle sont toutes deux optimistes.
La croissance potentielle de l'économie serait ainsi, selon le Gouvernement, de 1,35 % sur la période 2023-2027. Cette hypothèse est légèrement plus élevée que celles du Fonds monétaire international (FMI) et de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), beaucoup plus élevée que celles de la Commission européenne et de l'OCDE, qui la situent plutôt autour de 1 %, tout comme les travaux du Haut Conseil.
L'estimation du Gouvernement suppose notamment que le net ralentissement de la population active prévu par l'Insee sera plus que compensé par les effets des réformes qu'il annonce - réformes du revenu de solidarité active, de l'assurance chômage, de l'apprentissage, des retraites - sur lesquelles il a fourni peu d'informations au Haut Conseil. Nous n'en connaissons ni les modalités ni le calendrier. Cependant, même si ces réformes étaient mises en oeuvre rapidement, elles ne pourraient en tout état de cause produire leurs effets que progressivement.
Le Gouvernement estime que l'écart de production s'établirait en 2022 à - 1,1 point de PIB. Cette estimation est, elle aussi, optimiste. Elle se situe dans le bas de la fourchette des organisations internationales, à comparer notamment à - 0,4 % pour la Commission européenne ou encore - 0,7 % pour le FMI. Elle n'est pas confirmée par les données d'enquêtes de conjoncture auprès des entreprises. Elle semble notamment incompatible avec les difficultés de recrutement déclarées par les entreprises dans de nombreux secteurs de l'économie.
Ce scénario de croissance potentielle et d'écart de production optimiste conduit à un scénario macroéconomique pour la période 2023-2027, qui l'est tout autant, selon nous.
J'ai déjà évoqué 2023, je n'y reviens pas. Pour la période qui suit, de 2024 à 2027, le Gouvernement retient une croissance du PIB de 1,7 % par an en moyenne.
Cette hypothèse de croissance suppose que soient réunis plusieurs facteurs favorables. Elle repose d'abord sur une baisse rapide du taux d'épargne des ménages, qui n'est nullement garantie au regard de leurs comportements habituels. La prévision de croissance du Gouvernement suppose également que l'investissement des entreprises se maintienne, sur toute la période, à son niveau de 2020-2021, qui était supérieur à celui atteint les vingt années précédentes, alors que les conditions de financement se durcissent. Enfin, dans le scénario du Gouvernement, le commerce extérieur contribuerait également positivement à la croissance, grâce à des gains de parts de marché à l'exportation, ce qui suppose une rupture forte avec la tendance des deux dernières décennies ; les derniers chiffres ne vont pas tout à fait dans ce sens.
Enfin, le Gouvernement suppose que l'inflation se résorberait avec une remontée seulement modérée des taux d'intérêt, alors même que des incertitudes fortes entourent la remontée de taux qui sera effectivement nécessaire pour maîtriser l'inflation.
Si aucune de ces hypothèses prises isolément n'est totalement irréaliste, chacune d'elles est favorable et leur combinaison conduit à un cadrage d'ensemble optimiste.
Enfin, le Haut Conseil doit se prononcer sur la cohérence de la programmation avec l'objectif à moyen terme, d'une part, et avec les engagements européens de la France, d'autre part.
Ces engagements européens résultent principalement du pacte de stabilité et de croissance ainsi que du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire, signé en 2012. Ces textes nous engagent. Comme vous le savez, la Commission européenne a déclenché, en mars 2020, la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance, qui permet aux États membres de s'écarter des exigences budgétaires normalement applicables, à condition de ne pas mettre en péril la viabilité budgétaire à moyen terme, mais seulement en principe jusqu'à la fin de l'année 2023.
Au-delà, le pacte de stabilité modifié - il doit l'être, j'espère qu'il le sera, mais il ne sera pas supprimé - devrait donc retrouver sa pleine application. Or la trajectoire présentée ici s'écarte des engagements qui en découlent à plusieurs égards.
Premièrement, le retour du déficit effectif sous les 3 % ne s'opère pas avant 2027, alors que pour la plupart de nos partenaires de l'Union européenne et de la zone euro, ce retour est prévu avant 2025.
Deuxièmement, la convergence vers l'objectif de moyen terme, fixé à - 0,4 point de PIB, est lente et reportée après la période de programmation, probablement longtemps après. En effet, le projet de LPFP prévoit d'atteindre un solde structurel de - 2,8 points en 2027, soit un écart de plus de 2 points par rapport à cet objectif.
Troisièmement, l'ajustement structurel prévu, c'est-à-dire l'amélioration du déficit structurel d'une année sur l'autre, est sensiblement inférieur à 0,5 point de PIB par an, alors que selon les règles applicables à la France, il devrait être supérieur.
Enfin, il convient de noter que le ratio de dette publique s'infléchirait seulement légèrement en fin de période de programmation pour s'établir à 111 points de PIB en 2027, alors même que les hypothèses de croissance sont plutôt optimistes.
Cette trajectoire est trop peu ambitieuse et sa crédibilité doit être renforcée. En effet, bien que l'ajustement structurel prévu soit très graduel, la trajectoire repose sur une quasi-stabilité en volume des dépenses publiques, soit une maîtrise nettement plus forte que celle qui a prévalu pendant les deux dernières décennies et qui n'est guère documentée.
Ce sont les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance, avec le concours de l'équipe qui m'entoure et qui travaille toujours dans des conditions extrêmement tendues ; nous sommes saisis tardivement sur des données parfois incomplètes. Je profite donc de l'occasion pour la remercier de la qualité de son travail.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Nos équipes travaillent elles aussi dans l'urgence et reçoivent tardivement des documents budgétaires qui engagent pourtant le pays pour une longue durée. On peut donc parler de parallélisme en termes de forme, mais aussi d'efforts !
Le président a rappelé vos propos sur le réalisme des prévisions. Pour ma part, je pense qu'il faut dire la vérité aux Français sur la gravité des crises que nous traversons. Malgré les « boucliers » mis en place pour les protéger, les Français ont l'impression que les institutions et les représentants politiques ne vivent pas les mêmes situations qu'eux. Je le dis aujourd'hui afin d'éviter des débordements lors des prises de parole publiques, mais aussi un embrasement de l'opinion et la montée des colères.
Je vous poserai à présent trois questions.
La prévision de croissance retenue par le Gouvernement, que vous jugez un peu élevée, peut-être même élevée, apparaît très optimiste compte tenu du contexte. Dès lors, comment croire à la crédibilité du scénario macroéconomique et d'évolution des finances publiques ?
Si l'on met en perspective l'évolution tendancielle des dépenses de chacune des catégories d'administration avec la cible proposée par le Gouvernement, on constate que les efforts demandés aux collectivités locales sont relativement plus importants que ceux qui sont demandés à l'État et à la sécurité sociale. Pensez-vous qu'il faudrait davantage chercher des leviers d'économies dans la sphère sociale et dans les dépenses de l'État ?
Vous avez fait très justement remarquer dans votre avis que la trajectoire d'évolution de notre solde structurel n'est pas conforme à nos engagements européens, même si ceux-ci sont encore temporairement mis en sommeil. Cette situation n'affaiblit-elle pas notre position dans la négociation sur la gouvernance budgétaire à l'échelon européen ?
En outre, dans la mesure où la trajectoire du solde structurel s'éloigne très fortement des standards sur lesquels on pourrait envisager que la négociation européenne aboutisse, doit-on considérer que cette loi de programmation n'est que temporaire et qu'une autre devra être prise pour tenir compte du résultat des négociations ?
M. Claude Raynal , président . - Dans son projet de budget pour 2023, le Gouvernement poursuit la baisse des impôts - après la suppression de la redevance, la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la troisième tranche de la taxe d'habitation pour les hauts revenus - pour un montant total de 11 milliards d'euros. Une baisse des dépenses ou une augmentation des recettes d'un montant équivalent est-elle prévue ?
M. Pierre Moscovici . - Pour faire suite à vos propos, monsieur le rapporteur général, je tiens à dire que nous sommes toujours attentifs à livrer à temps nos travaux aux commissions des finances des deux assemblées, devant lesquelles j'ai toujours plaisir à venir.
Le Haut Conseil juge la prévision de croissance « un peu élevée », mais elle pourrait devenir « élevée ». Le Gouvernement s'adapte progressivement. Il a pour l'instant retenu le taux de croissance qui faisait consensus précédemment. Le consensus se situe aujourd'hui à 0,6 %. C'est pour cela que je dis qu'un taux de 1 % est un peu élevé. Si nous nous trouvions dans une situation plus dégradée, le taux retenu par le Gouvernement serait carrément élevé. Cela aurait des effets au premier chef sur les recettes. Pour résumer, nous jugeons le taux de croissance envisagé un peu élevé aujourd'hui et incertain.
J'ai donné précédemment les chiffres sur les efforts demandés aux collectivités locales. Les dépenses des ministères s'élèvent à 24 milliards d'euros et continuent de croître. J'ai par ailleurs souligné l'évolution de l'Ondam. Dans le domaine de la santé, il y a à la fois des gisements d'économie - dans le numérique et dans l'organisation de notre système de soins - et des sources de dépenses supplémentaires, à l'hôpital et dans les Ehpad. Un rapport de la Cour des comptes a montré que nous devions investir plus pour nos anciens.
Enfin, sur le solde structurel, incontestablement, nous n'y sommes pas. Je pense que nous avons des difficultés de convergence au sein de la zone euro. Il existe aujourd'hui deux groupes : un groupe de onze pays dont la dette publique est inférieure à 80 % du PIB et un groupe de sept pays, dont nous faisons partie, dont la dette publique est supérieure à 100 % du PIB. Dans ce groupe, comme dans l'ensemble de la zone euro, nous sommes le pays dont l'effort de redressement des finances publiques est le plus lent. Le déficit de la quasi-totalité de nos partenaires sera inférieur à 3 % en 2025, quand nous prévoyons d'atteindre cet objectif la dernière année de la programmation. Nous soulignons qu'il faut être plus ambitieux. Une fois les règles « rebranchées », la Commission européenne tiendra compte des engagements que nous avons pris et de leur respect, mais aussi du respect des règles en général. Il y va donc de notre crédibilité.
Le Haut Conseil ne se prononce pas sur la baisse des impôts ni sur les différentes dépenses publiques. La Cour des comptes a souligné, elle, que, avec des déficits très élevés, une croissance plutôt limitée, des dépenses publiques soutenues, il existe peu de marges de manoeuvre pour baisser les impôts, sauf à augmenter encore le déficit et la dette. Donc oui, les baisses d'impôts doivent être compensées par une hausse des recettes à due concurrence ou par une maîtrise de la dépense accrue. Il me semble que les chiffres que je vous ai donnés sont une réponse à votre question, monsieur le président.
M. Claude Raynal , président . - Merci de le confirmer, monsieur le président !
Mme Christine Lavarde . - Monsieur le président, vous nous avez dépeint un tableau très noir de la situation ! Après vous avoir écouté, nous n'avons plus aucune certitude sur l'ensemble des documents qui nous ont été transmis.
Pensez-vous que l'objectif d'évolution des dépenses de fonctionnement des collectivités locales de 3,8 % prévu à l'article 16 de la LPFP soit atteignable, compte tenu des charges qui pèsent sur ces collectivités, notamment la revalorisation du point d'indice de 3,5 %, mais aussi les dépenses d'alimentation et de transport ?
Ma deuxième question porte sur les différentes stratégies mises en oeuvre par les États membres de l'Union européenne pour concevoir leur trajectoire budgétaire. Bruno Le Maire se réjouissait lundi dernier, car le taux de croissance de la France devrait être positif en 2023 quand l'Allemagne connaîtra a priori une récession. Il soulignait que la politique menée ces derniers mois était plus bénéfique. Comment évaluer si l'argent public a été mieux investi en en dépensant beaucoup avant et un peu moins ensuite ? Le regard objectif du Haut Conseil serait intéressant.
Enfin, vous n'avez pas parlé ce matin de la sensibilité de la charge de la dette à la remontée des taux. Les taux sont très volatils en ce moment. Avez-vous fait des calculs pour le futur ?
M. Didier Rambaud . - Vous l'avez dit et nous n'en sommes pas surpris, notre pays a besoin d'un programme d'économies solides. Force est de reconnaître que, en tant que parlementaires, nous voyons rarement des propositions véritablement audacieuses de réduction des dépenses. On a plutôt tendance à penser qu'il y a des dépenses qui peuvent rapporter et des économies qui peuvent coûter...
Quelles pistes doivent être privilégiées, au-delà de la réforme de l'assurance chômage et de celle des retraites, pour réaliser plus d'économies ?
À l'échelon européen, vous avez rappelé que la trajectoire présentée par le Gouvernement est peu ambitieuse. Or ne faudrait-il pas considérer que les règles européennes sont aujourd'hui désuètes, contraignantes et inadaptées au contexte de crise que nous connaissons et eu égard aux investissements que nous devons réaliser en matière de transition énergétique ?
Mme Isabelle Briquet . - Dans le contexte d'incertitudes que nous connaissons, alors que des dépenses de solidarité peuvent s'imposer, pensez-vous qu'il soit opportun de se priver de recettes ou de s'entêter à ne pas en chercher de nouvelles, en taxant notamment les profits exceptionnels ?
M. Michel Canévet . - Comme Didier Rambaud, je constate que très peu de propositions sont faites pour réduire les dépenses. Selon vous, le projet de loi de finances pour 2023 traduit-il l'ambition de maîtriser les dépenses de fonctionnement ? La distinction est-elle suffisamment faite entre les dépenses de fonctionnement, qui doivent être réduites, et les investissements nécessaires, par exemple à la transition énergétique ?
Par ailleurs, on constate une hausse des recettes fiscales de l'État. Doit-on s'attendre à une baisse significative de ces recettes, dans un contexte de baisse des prélèvements obligatoires ?
M. Sébastien Meurant . - Ma première question porte sur la dette et la charge des intérêts de la dette. On sait que la dette va continuer d'augmenter. Alors que les taux actuels devraient baisser et être presque négatifs, pourquoi la charge des intérêts de la dette serait-elle sensiblement égale ?
Sur l'énergie, les règles européennes sont désuètes également. L'Espagne et le Portugal, en étant sortis du marché européen régulé de l'énergie, se portent beaucoup mieux. Quel est l'intérêt pour nous, Français, avec une production décarbonée, nucléaire, de rester dans ce marché de l'énergie ?
M. Pierre Moscovici . - Madame Lavarde, je ne donnerai pas de couleur au tableau que j'ai peint. Le Haut Conseil est une instance indépendante, formée d'économistes pour l'essentiel, nommés par les différentes autorités de l'État. Ils travaillent en toute indépendance et en toute objectivité. Je le dis franchement, nos avis méritent d'être lus en détail, y compris pour préparer les discussions que vous allez avoir avec l'exécutif dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, car ils contiennent des appréciations nuancées et précises.
J'ajoute que nous sommes dans un contexte de très grande incertitude. Une autre loi de programmation des finances publiques sera-t-elle ou non nécessaire ? Il est trop tôt pour le dire. Le fait est qu'il faut au moins une loi, car il est compliqué de fonctionner sans loi de programmation des finances publiques. C'est compliqué pour le Haut Conseil, mais aussi pour la Commission européenne. Il faut une ancre budgétaire.
Le Haut Conseil a souligné que le contexte inflationniste provoquait des risques de dépassement pour les collectivités locales. L'objectif est atteignable, mais peut-être un petit peu optimiste.
Je ne m'engagerai pas dans un débat politique sur la comparaison entre la France et l'Allemagne. Les évolutions allemandes sont spécifiques et liées à deux facteurs : d'une part, la dépendance de l'Allemagne au gaz russe, qui n'est pas la nôtre ; d'autre part, le fait qu'elle est une économie beaucoup plus industrielle et exportatrice que la nôtre, qu'elle est davantage dépendante des difficultés dans les chaînes d'approvisionnement à l'échelle mondiale. Il n'est pas absolument certain qu'il s'agisse là d'évolutions de long terme.
La hausse des taux a déjà entraîné une hausse de la charge de la dette en 2022, à hauteur de 12 milliards d'euros pour l'ensemble des administrations publiques. L'essentiel de la dette étant contracté à long terme, ce sont les taux à long terme qui constituent le principal risque. Or les taux à long terme ont déjà augmenté, de 150 points de base depuis un an pour les taux à dix ans. Cela commence déjà à se voir dans la charge de la dette. En 2023, l'impact sera limité, mais à long terme, sur dix ans, cette hausse représentera 70 milliards d'euros en plus, si la hausse des taux à long terme se maintient au niveau actuel, ce qui n'est pas acquis. On voit les conséquences d'un niveau d'endettement élevé et la nécessité de réduire la dette, alors que les risques sont clairement haussiers.
Monsieur Rambaud, l'appréciation du Haut Conseil sur les règles de l'Union européenne est nuancée. Nous ne nous interdisons pas de nous prononcer sur ce sujet. Ces règles sont en partie obsolètes et elles devront être modifiées. Des projets sont d'ailleurs en cours d'élaboration, mais il ne faut pas se faire d'illusions : nous avons besoin d'une ancre pour les finances publiques. On ne sait pas faire de finances publiques sans règles ! Certaines règles seront probablement conservées. La règle des 3 % est assez robuste. C'est le niveau à partir duquel la courbe de la dette s'infléchit. En revanche, la règle selon laquelle la dette ne doit pas représenter plus de 60 % du PIB n'est pas tenable. Il y aura sans doute une appréciation plus nationale des niveaux de dette, ce qui ne sera pas forcément un cadeau pour les pays qui sont plus endettés que d'autres. Enfin, la question de la prise en compte de certains investissements, notamment ceux qui sont liés à la transition énergétique, se pose. Attendons-nous donc à ce que les règles soient modifiées, moins rigides, plus lisibles. N'imaginons pas toutefois que ces modifications exonéreront un pays fortement endetté de se désendetter.
J'en viens à la taxation des superprofits. Le rôle du Haut Conseil n'est pas de porter un regard sur les décisions politiques. Il a été question que le Haut Conseil puisse se prononcer sur le chiffrage des mesures nouvelles. Il serait assez utile que notre mandat soit modifié en ce sens parce que nous avons comme vous parfois des problèmes de documentation sur des mesures qui sont proposées. Toute évolution de nos prélèvements doit selon nous être examinée à l'aune de la situation d'équilibre de nos finances publiques. Je redis que les baisses d'impôt qui ne seraient pas financées par des réductions de dépenses ou l'augmentation d'autres impôts iraient à l'encontre de la préservation de la soutenabilité de nos finances publiques.
J'ai écouté avec attention les autres questions : soit j'y ai déjà répondu, soit je ne peux pas y répondre. Sur le marché de l'électricité, je vous renvoie, monsieur Meurant, au rapport publié par la Cour des comptes avant l'été. Il pourra, je pense, être utile à votre réflexion.
M. Claude Raynal , président . - Je vous remercie de vos réponses, monsieur le Président.