II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Une augmentation globale des dépenses de personnel, qui masque des disparités en termes de créations d'emplois

Les dépenses de personnel de la mission, qui représentent les deux tiers des crédits de celle-ci, progressent de 3,6 % en 2021 par rapport à 2020 , conformément à la hausse des effectifs prévue par la loi de finances initiale et au caractère prioritaire de cette mission depuis plusieurs exercices.

Dans la continuité des précédents exercices, l'exécution de crédits de titre 2 (dépenses de personnel) connaît un niveau particulièrement élevé, avec un taux d'exécution global de 99,25 % au niveau de l'ensemble de la mission, quasi-identique au taux observé en 2020.

Exécution des dépenses de personnel (titre 2) de la mission par programme en 2021

(en millions d'euros)

Exécution 2020

(AE=CP)

LFI 2021

(AE=CP)

Exécution 2021

(AE=CP)

Exécution 2021 / Exécution 2020

Exécution 2021 / LFI 2021

Justice judiciaire

2382,8

2451,7

2454,6

103,01 %

100,12 %

Administration pénitentiaire

2604,5

2750,5

2700,9

103,70 %

98,20 %

Protection judiciaire de la jeunesse

527

554,6

552,9

104,91 %

99,69 %

Accès au droit et à la justice

-

-

-

-

-

Conduite et pilotage de la politique de la justice

182,5

188,2

192,4

105,42 %

102,23 %

Conseil supérieur de la magistrature

2,6

3,1

2,6

100,00 %

83,87 %

Total de la mission

5 699,40

5 948,10

5 903,40

103,58 %

99,25 %

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

Plusieurs programmes ont dépassé l'enveloppe de crédits votée en loi de finances initiale. C'est notamment le cas du programme 166 - Justice judiciaire, qui connaît une sur-exécution à hauteur de 3 millions d'euros, en raison de la mise en oeuvre des recrutements effectués dans le cadre du renforcement de la justice de proximité , non budgétés en loi de finances initiale pour 2021 2 ( * ) .

La sous-exécution des dépenses de personnel constatée pour le programme relatif au Conseil supérieur de la magistrature traduit quant à elle une sous-exécution en réalité mineure, de l'ordre de 3 équivalents temps plein travaillé (ETPT).

Conformément à la hausse des moyens de la justice prévue par la loi de programmation 2018-2022, la loi de finances initiale pour 2021 fixait le plafond d'emplois de la mission à 89 882 ETPT , soit une hausse de 2,6 % par rapport au nombre d'ETPT en 2020.

En 2021, le nombre d'ETPT constaté en exécution s'élève à 89 489 emplois , soit un taux d'exécution de 99,6 % par rapport à l'autorisation fixée en loi de finances initiale.

Évolution du plafond d'emploi de la mission depuis 2019

(en ETPT)

2019

2020

2021

Évolution 2019-2021

Plafond d'emplois (LFI)

86 452

87 617

89 882

+ 3,9 %

Exécution

85 341

86 736

89 489

+ 4,9 %

Taux d'exécution

98,7 %

99,0 %

99,6 %

-

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

La loi de finances initiale pour 2021 prévoyait notamment la création de 1 500 équivalents temps plein (ETP) , auxquels se sont ajoutés 500 ETP en cours de gestion afin de mettre en oeuvre le volet civil des dispositions en faveur d'une « justice de proximité » (cf. supra ), répartis comme suit :

- 390 emplois au titre du comblement de vacances de postes des personnels de surveillance ;

- 300 emplois pour le renforcement des services d'insertion et de probation dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi de programmation et de réforme pour la justice ;

- 415 emplois pour la constitution d'équipes projet dédiées au pilotage et la préparation de l' ouverture des nouveaux établissements ;

- 318 emplois dans les services judiciaires , en vue du renforcement de l'équipe autour du magistrat et de la résorption de la vacance d'emplois dans les greffes ;

- 40 emplois à la protection judiciaire de la jeunesse ;

- 50 emplois au secrétariat général pour la poursuite du plan de transformation numérique du ministère ;

- 13 emplois restitués au titre des gains générés par le plan de transformation numérique.

En exécution, le schéma d'emplois réalisé fin 2021 s'élève à 1 901 ETP, soit un taux d'exécution de plus de 95 %. La sous-exécution constatée correspond à des recrutements moins importants que prévus sur les personnels de surveillance de l'administration pénitentiaire, en raison d'une baisse sensible d'attractivité de l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP) 3 ( * ) .

Le rapporteur spécial se félicite donc de la progression globale des effectifs, visant à répondre aux besoins du service public de la justice et à l'orientation fixée par la loi de finances initiale. Il appelle toutefois à demeurer vigilant sur les effets concrets du recrutement de centaines d'agents contractuels qui, s'il permet d'atteindre un taux d'exécution honorable en 2021, devra également se traduire par une incidence positive, à court et à moyen terme, sur l'écoulement des stocks de procédure et la célérité de leur traitement. À cet égard, le rapporteur spécial accordera également une attention particulière au suivi des conclusions des États généraux de la Justice , qui préconisent le recrutement de 1 500 magistrats, 3 000 greffiers et 2 000 juristes assistants, dans le cadre du prochain projet de loi de programmation pour la justice.

Il renouvelle en outre la vigilance exprimée lors de l'examen des projets de loi de finances pour 2020 et pour 2021 quant à la gestion prévisionnelle des effectifs de la mission , dans un contexte marqué par de nombreux départs à la retraite au cours des prochaines années, en particulier pour les effectifs rattachés à la direction des services judiciaires.

2. Des frais de justice toujours dynamiques, dont la gestion doit encore être améliorée

Comme l'a déjà souligné à plusieurs reprises le rapporteur spécial, les frais de justice, retracés au sein du programme 166 « Justice judiciaire » de la mission, constituent un enjeu budgétaire important de la mission , en raison notamment de leur montant élevé et de difficultés structurelles de pilotage , liées à une responsabilité partagée entre de nombreux acteurs .

En 2021, les frais de justice se sont élevés à 614,5 millions d'euros en AE et 613,2 millions d'euros en CP, soit une légère sous-exécution s'élevant respectivement à 0,6 % et 0,8 % par rapport à la loi de finances initiale, qui prévoyait un montant de 618,2 millions d'euros en AE comme en CP.

Il s'agit toutefois d'une hausse sensible (+ 13 % en moyenne) par rapport à l'exercice 2020, particulièrement marquée s'agissant des frais relatifs aux analyses et expertises médicales (+ 17,5 %), aux frais de traduction et d'interprétariat (+ 17,5 %) et aux scellés-gardiennages (+ 16,7 %). S'agissant plus particulièrement des analyses et expertises médicales, le rapporteur spécial salue la récente revalorisation des tarifs des médecins experts psychiatres et des experts psychologues non-salariés 4 ( * ) que reflète cette hausse. Il conviendra toutefois de rester attentif à ce que cette revalorisation se traduise, dans les faits, par une meilleure attractivité des expertises psychiatriques et psychologiques , qui peinent encore à attirer des candidats 5 ( * ) .

L'indicateur de performances de la mission évaluant la dépense moyenne de frais de justice par affaire faisant l'objet d'une réponse pénale témoigne également d'une augmentation de ces frais : alors que la dépense moyenne s'élevait à 368 euros en 2018 et à 439 euros en 2020 , elle s'établit à 483 euros en 2021 , soit une progression de plus de 31 % en deux ans .

Évolution des frais de justice depuis 2017

(en millions d'euros et en crédits de paiement)

2017

2018

2019

2020

2021

Évolution 2017-2021

Prévision (LFI)

469

479

505

491

618

+ 32 %

Exécution (loi de règlement)

496

528

531

544

613

+ 24 %

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

D'après le rapport annuel de performances, cette augmentation traduit notamment le renforcement de certaines politiques pénales, dont celle en lien avec la lutte contre les violences faites aux femmes , ainsi que le renforcement du maillage territorial de la médecine légale du vivant.

Cette hausse s'expliquerait également par un apurement dynamique des restes à payer , en raison d'un phénomène de déstockage massif des mémoires des prestataires, en lien avec la mise en oeuvre d'un délai de forclusion pour les demandes de paiement des frais de justice. Pour mémoire, afin permettre à terme une meilleure gestion et une meilleure lisibilité budgétaire des frais de justice, l'article 236 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 prévoit désormais que « la demande en paiement au titre des frais de justice doit être présentée à l'autorité judiciaire dans le délai d'un an à compter de l'achèvement de la mission ». S'il est encore trop tôt pour évaluer les impacts de cette réforme, soutenue par le rapporteur spécial lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021 6 ( * ) , elle devrait toutefois permettre des améliorations en matière de gestion du flux de mémoires et de maîtrise de la dépense relative aux frais de justice , non seulement pour les services centralisateurs des frais de justice des tribunaux judiciaires, mais également pour les services administratifs régionaux, responsables des budgets opérationnels de programme par délégation des chefs de cour.

Le rapporteur spécial déplore cependant que la présentation des annexes budgétaires ne permette toujours pas, à l'heure actuelle, de distinguer les effets des dépenses issues des charges à payer et les dépenses nouvelles en 2021 par rapport à l'exécution de 2020. A l'instar de la Cour des comptes 7 ( * ) , il appelle donc à améliorer les outils de gestion des frais de justice, afin de contribuer à une meilleure maîtrise de ces derniers.

3. Des crédits d'aide juridictionnelle en forte hausse, en raison d'un effet de rattrapage sur l'exercice 2020 lié à la crise sanitaire

Les dépenses d'intervention de la mission, toutes catégories confondues, connaissent depuis plusieurs années une progression régulière. Cette progression se poursuit toutefois de manière plus marquée en 2021, en raison notamment de la reprise de l'activité des juridictions, qui a pour corollaire une augmentation de l' aide juridictionnelle , laquelle représente plus de deux tiers des dépenses d'intervention de la mission.

En 2021, les crédits budgétaires relatifs à l'aide juridictionnelle, retracés au sein du programme 101 « Accès au droit et à la justice », se sont ainsi élevés à 553 millions d'euros en AE comme en CP , contre 419,3 millions d'euros en 2020 , soit une hausse substantielle de près de 32 % entre les deux exercices.

Ainsi, alors que les crédits relatifs à l'aide juridictionnelle avaient été sous-consommés à hauteur de 13,4 % en 2020, ils connaissent en 2021 une surconsommation de près de 3,6 %.

Par ailleurs, la loi de finances initiale pour 2021 a procédé à une nouvelle réforme de l'aide juridictionnelle, centrée sur la revalorisation des rétributions des avocats pour les missions réalisées dans le cadre de l'aide juridictionnelle 8 ( * ) .

Le Sénat avait adopté sans modification cette réforme, qui devait notamment permettre une meilleure rétribution des avocats commis d'office . Il avait toutefois regretté, sur la forme, l'absence d'étude d'impact du dispositif proposé , ce dernier ayant été adopté par voie d'amendement à l'Assemblée nationale. Du fait que le nombre d'unités de valeurs payées en 2021 n'est pas connu à ce jour, aucune évaluation n'est encore disponible à ce stade, ce que le rapporteur spécial ne peut que déplorer.


* 2 La mise en oeuvre des dispositions relatives à la justice de proximité, décidée fin 2020 pour le volet pénal et mi-2021 pour le volet civil, impliquait des embauches de 1 000 contractuels. Le financement de ces contrats, non programmé, s'est effectué par la constitution d'un gage sur des crédits hors titre 2 de plusieurs programmes de la mission, après arbitrage interministériel établissant le besoin à 42 millions d'euros (source : Cour des comptes, note d'exécution budgétaire 2021 sur la mission Justice).

* 3 Cf. rapport d'information n° 569 (2021-2022) de M. Antoine Lefèvre, fait au nom de la commission des finances, déposé le 9 mars 2022.

* 4 Cf. arrêté du 7 septembre 2021 portant modification de l'article A. 43-6 du code de procédure pénale. À titre d'exemple, pour les psychiatres libéraux, le tarif d'une expertise classique passe ainsi de 429 à 507 euros.

* 5 Cf. rapport d'information n° 432 (2020-2021) de MM. Jean Sol et Jean-Yves Roux, fait au nom de la commission des lois et de la commission des affaires sociales, déposé le 10 mars 2021.

* 6 Cf. rapport n° 138 (2020-2021) de M. Antoine Lefèvre, fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 novembre 2020.

* 7 Note d'exécution budgétaire 2021.

* 8 Portée de 32 à 34 euros par unité de valeur.

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