Rapport n° 347 (2021-2022) de MM. Jean-Marie VANLERENBERGHE , sénateur et Thomas MESNIER, député, fait au nom de la commission mixte paritaire, déposé le 12 janvier 2022
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N° 4903 et 4904
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 QUINZIÈME LÉGISLATURE |
N° 347
SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022 |
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Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 janvier 2022 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 janvier 2022. |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission mixte paritaire
(1)
chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion
des propositions de loi organique et ordinaire relatives
aux
lois
de
financement
de
la
sécurité sociale
,
PAR M. THOMAS MESNIER, Député |
PAR M. JEAN-MARIE VANLERENBERGHE, Sénateur |
(1) Cette commission est composée de : Mme Fadila Khattabi, députée , présidente , Mme Catherine Deroche, sénatrice, vice-présidente ; M. Thomas Mesnier, député, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur, rapporteurs .
Membres titulaires : Mmes Annie Vidal, Caroline Janvier, MM. Jean-Pierre Door, Stéphane Viry, Brahim Hammouche, députés ; Mme Corinne Imbert, MM. René-Paul Savary, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, M. Xavier Iacovelli, sénateurs.
Membres suppléants : Mme Stéphanie Rist, M. Julien Borowczyk, Mme Valérie Rabault, M. Paul Christophe, Mmes Valérie Six, Jeanine Dubié, M. Pierre Dharréville, députés ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, M. Alain Milon, Mmes Élisabeth Doineau, Annie Le Houerou, Véronique Guillotin, Laurence Cohen, sénateurs.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (15 ème législature) : Première lecture : 4111 rectifié , 4378 et T.A. 649
Commission mixte paritaire : 4903 et 4904
Sénat : Première lecture : 782 , 825 , 826 et T.A. 159
Commission mixte paritaire : 347 et 348 (2021-2022)
Mesdames, Messieurs,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, les commissions mixtes paritaires chargées d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion des propositions de loi organique et ordinaire relatives aux lois de financements de la sécurité sociale se réunissent à l'Assemblée nationale le mercredi 12 janvier 2022.
L'Assemblée nationale et le Sénat ont désigné :
- Membres titulaires :
• Pour l'Assemblée nationale :
Mme Fadila Khattabi, M. Thomas Mesnier, Mmes Annie Vidal, Caroline Janvier, MM. Jean-Pierre Door, Stéphane Viry, Brahim Hammouche
• Pour le Sénat :
Mme Catherine Deroche ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Corinne Imbert, MM. René-Paul Savary, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, M. Xavier Iacovelli
- Membres suppléants :
• Pour l'Assemblée nationale :
Mme Stéphanie Rist, M. Julien Borowczyk, Mme Valérie Rabault, M. Paul Christophe, Mmes Valérie Six, Jeanine Dubié, M. Pierre Dharréville
• Pour le Sénat :
M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, M. Alain Milon, Mmes Élisabeth Doineau, Annie Le Houerou, Véronique Guillotin, Laurence Cohen
Elles procèdent tout d'abord à la désignation de leur bureau, constitué de Mme Fadila Khattabi, députée, présidente, de Mme Catherine Deroche, sénatrice, vice-présidente, de M. Thomas Mesnier, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale, et de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur, rapporteur pour le Sénat.
Étaient également présents Mme Fadila Khattabi, M. Thomas Mesnier, Mmes Annie Vidal, Caroline Janvier, MM. Jean-Pierre Door, Stéphane Viry, Brahim Hammouche, députés titulaires, et M. Paul Christophe, Mme Jeanine Dubié, députés suppléants, ainsi que Mme Catherine Deroche ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Corinne Imbert, MM. René-Paul Savary, Mme Monique Lubin, M. Xavier Iacovelli, sénateurs titulaires, et Mmes Elisabeth Doineau, Annie Le Houerou, sénatrices suppléantes.
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La commission mixte paritaire a ensuite procédé à l'examen des dispositions des propositions de loi restant en discussion.
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. Je souhaite la bienvenue à nos collègues sénateurs pour cette commission mixte paritaire. Les propositions de loi organique et ordinaire déposées par notre collègue Thomas Mesnier et adoptées par l'Assemblée nationale en juillet dernier comportaient respectivement quatre et deux articles. Les textes adoptés par le Sénat comportent quant à eux dix articles pour la proposition de loi organique, dont six nouveaux et aucun conforme, et deux pour la proposition de loi ordinaire, dont un adopté conforme.
Mme Catherine Deroche, sénatrice, vice-présidente. C'est la quatrième commission mixte paritaire qui nous réunit en quelques semaines. Nous avons su élaborer ensemble plusieurs textes communs et démontrer ainsi la capacité des parlementaires à imprimer leur marque et à améliorer la qualité des textes qui leur sont soumis dès lors qu'ils sont capables de travailler ensemble, de s'écouter et de prendre en considération le point de vue de l'autre.
Le Sénat siège cet après-midi pour examiner le projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, dont notre commission des affaires sociales est saisie d'une partie des articles. J'ai néanmoins tenu à être présente car ce moment est important, même si nous semblons nous diriger vers un échec de la CMP.
En effet, sur un texte qui intéresse les fondements de la démocratie parlementaire dans son expression originelle - les lois financières - et qui se voulait une forme de reconquête des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS), innovation démocratique dévoyée en processus technocratique, nous n'avons pas pu trouver d'accord. Dans ces conditions, c'est la question des lois de financement de la sécurité sociale qui, tôt ou tard, sera posée.
Sur une proposition de loi organique, qui intéresse les relations entre les pouvoirs publics et qui, à ce titre, fait l'objet de règles procédurales ad hoc , nous n'avons pas pu trouver d'accord non plus. Il me semble que cette situation est inédite car, s'agissant de ce type de textes, il est d'usage que les assemblées fassent chacune un pas en direction de l'autre afin d'aboutir à un accord. Je regrette qu'il n'en soit pas ainsi.
L'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen nous confie une mission de contrôle du bon emploi des fonds publics à laquelle nous ne pouvons pas nous dérober, ne serait-ce que pour garantir la pérennité d'un modèle social auquel nous sommes attachés. En l'état actuel des textes, il n'est pas certain que nous puissions la remplir, alors qu'une telle exigence se fait chaque jour plus prégnante.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur, rapporteur pour le Sénat. Le Sénat a examiné les textes de l'Assemblée nationale avec une grande attention. Au reste, sa commission des affaires sociales réfléchit depuis longtemps au cadre organique des LFSS, considérant que le Parlement a intérêt à accroître son pouvoir de contrôle en la matière. Ainsi la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS) du Sénat m'a-t-elle confié, dès 2019, le soin de proposer un certain nombre d'évolutions dans ce domaine. Je lui ai remis mon rapport en juillet 2020, et une proposition de loi organique, cosignée par Mme Catherine Deroche, présidente de notre commission des affaires sociales, M. Alain Milon, vice-président, ainsi que par l'ensemble des rapporteurs du projet de loi de financement de la sécurité sociale - dont certains sont présents ici même, comme Corinne Imbert, Élisabeth Doineau et René-Paul Savary - a été déposée en mars 2021.
Saisi des textes de l'Assemblée nationale, le Sénat a accepté, dans un esprit toujours constructif, la très grande majorité de leurs dispositions ; la principale d'entre elles, la création des lois d'approbation des comptes de la sécurité sociale (LACSS) figurait d'ailleurs, sous le même intitulé, dans notre proposition de loi.
Il a toutefois souhaité les enrichir de ses propositions, structurées autour de quatre axes propres à donner une nouvelle dimension aux lois de financement de la sécurité sociale.
Premier axe : l'extension du périmètre de ces lois à l'assurance chômage.
Deuxième axe : le renforcement de leur normativité par l'introduction de clauses de révision visant à renforcer le pouvoir du Parlement en cours d'exercice. Ainsi, en cas de dépassement du plafond de découvert de l'URSSAF Caisse nationale, anciennement l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), ou de remise en cause des conditions générales de l'équilibre voté par le Parlement, le Gouvernement serait tenu de revenir s'expliquer devant les commissions des affaires sociales des deux chambres et de recueillir leur avis ou, s'il le préfère, de déposer un « collectif social ».
Le troisième axe concerne le renforcement des pouvoirs de contrôle. Notre commission a notamment adopté un amendement de René-Paul Savary, qui préside notre MECSS, visant à renforcer le droit d'interrogation du Parlement et imposant que les réponses soient fournies dans un format exploitable.
Enfin, le Sénat a adopté un amendement instaurant, à compter du PLFSS 2025, une règle d'or visant à assurer l'équilibre des comptes sociaux à moyen terme.
Le texte issu de nos travaux était donc ambitieux et cohérent. Nous sommes conscients qu'il l'était peut-être un peu trop. Pour favoriser un accord en CMP, nous sommes donc prêts à discuter de la possibilité d'en retirer les aspects les plus clivants, tels l'inclusion de l'assurance chômage dans le périmètre des LFSS et la règle d'or ; ce n'est pas rien. Il serait en revanche difficilement compréhensible de ne pas retrouver dans le texte final l'ensemble des volets consacrés aux clauses de révision ou à l'augmentation du pouvoir de contrôle, d'autant plus que le Gouvernement ne s'est opposé au Sénat à aucun de ces renforcements du pouvoir du Parlement. J'espère donc vivement que le rapporteur pour l'Assemblée nationale le confirmera.
Deux points résiduels n'ont pas été réglés avant le début de cette réunion.
Tout d'abord, la question de l'extension du périmètre des LFSS aux mesures ayant un effet sur la dette des établissements de santé. Le Sénat ne souhaite pas une telle extension, pour des raisons de fond et parce que le Conseil d'État a formellement considéré, dans son avis sur la proposition de loi organique, que cette mesure serait contraire à la Constitution.
Ensuite, la question du contrôle des dotations que la sécurité sociale attribue aux divers organismes, fonds et agences qu'elle finance, à hauteur d'environ 3 milliards. Selon nous, le niveau de ces crédits devrait être déterminé par la LFSS elle-même et, si nécessaire, le Gouvernement devrait demander une nouvelle autorisation parlementaire, comme il le fait pour toute subvention de l'État.
Les lois financières sont au coeur des pouvoirs du Parlement, dont elles sont même la principale raison d'être, avec la définition des crimes et des délits. Le cadre organique de ces lois est donc l'un des éléments fondamentaux de l'équilibre des pouvoirs. C'est pourquoi, dans toute l'histoire de la V e République, quelles qu'aient été les configurations politiques, la définition ou la révision du cadre organique des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale a toujours fait l'objet d'un accord entre les deux assemblées. J'espère que nous ne créerons pas aujourd'hui un précédent désolant sur le plan symbolique et institutionnel. J'espère davantage encore qu'un éventuel désaccord ne conduirait pas in fine à l'adoption d'une loi organique qui ne se traduirait, pour le Parlement, par aucun progrès réel en matière de pouvoir financier.
M. Thomas Mesnier, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. Les chiffres cités par Mme la présidente Khattabi témoignent de la volonté de chacune de nos chambres d'enrichir ce texte, mais aussi de l'écart qui subsiste entre nos deux points de vue, écart qui ne nous permettra pas, me semble-t-il, de conclure avec succès cette commission mixte paritaire, pas plus que cela n'avait été possible sur la loi relative à la dette sociale et à l'autonomie qui, déjà, révisait le cadre organique de la LFSS.
Je tiens tout d'abord à saluer la qualité du travail réalisé par le Sénat. Outre des modifications rédactionnelles toujours bienvenues, les sénateurs ont enrichi la proposition de loi organique de dimensions nouvelles qui me semblent intéressantes.
Je retiens tout d'abord la plus grande cohérence du cercle budgétaire vertueux que nous cherchons à instaurer par la proposition de loi organique. Le Sénat a ainsi doté la nouvelle loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale, que nous voterons au printemps, d'un article liminaire portant sur l'exercice clos, ce qui me semble de bonne pratique.
Il convient de citer ensuite l'amélioration du contrôle du financement de la sécurité sociale en période particulièrement troublée. Si je ne souscris pas à l'ensemble des instruments que les sénateurs ont ajoutés au texte - j'y reviendrai -, il me semble que la contrainte imposée au Gouvernement de déposer un rapport en cas de remise en cause sensible des conditions générales de l'équilibre financier en cours d'exercice est un outil utile pour le Parlement. La période récente atteste que ce type de bouleversement imprévisible des finances sociales n'est pas une hypothèse d'école.
Enfin, les dispositions relatives à l'encadrement du rôle de la Cour des comptes dans ses fonctions d'accompagnement du Parlement me semblent pouvoir être également comptées parmi les ajouts précieux qu'a permis le travail du Sénat.
Je constate toutefois que nos divergences l'emportent largement sur ces quelques points, en ce qui concerne le périmètre de la loi de financement, sa portée ainsi que l'appréciation de la situation des finances sociales.
S'agissant du périmètre des lois de financement, le Sénat en a étendu le champ à l'assurance chômage quand l'Assemblée s'en est tenue à une extension des informations contenues dans les annexes.
Je reconnais volontiers que le régime d'assurance chômage, qui se caractérise par des prestations principalement contributives, sur une base assurantielle, et une gouvernance assurée par les partenaires sociaux, a de nombreuses ressemblances avec les branches de la sécurité sociale actuellement examinées dans le cadre des lois de financement. Il me semble néanmoins qu'il est trop tôt pour opérer cette extension. Les partenaires sociaux, avec lesquels j'ai échangé en amont de la présentation de la proposition de loi organique, m'ont fait part de leurs fortes réticences, dans un contexte où la gouvernance de l'assurance chômage a déjà été sensiblement modifiée récemment. Il faut donc s'en tenir à un renforcement de l'information permettant d'éclairer les parlementaires sur le régime de l'assurance chômage et sur celui des retraites complémentaires. Ces masses financières qui engagent tous les Français ne peuvent plus rester des points aveugles de notre débat budgétaire.
Par ailleurs, le Sénat a restreint le champ des lois de financement proposé par l'Assemblée nationale, en supprimant les dispositions relatives à la dette des établissements de santé et des établissements médico-sociaux. Les raisons de nos divergences à ce sujet remontent à l'examen du projet de loi relatif à la dette sociale et à l'autonomie et relèvent d'une différence d'appréciation des liens entre ces établissements et l'assurance maladie. J'observe que le Conseil constitutionnel a refusé de censurer une disposition relative à la « reprise de dettes » pour l'investissement hospitalier en loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, qui lui avait été déférée par le Sénat. J'estime que l'insécurité juridique actuelle ainsi que les circuits de financement qui lient établissements et régime justifient un éclaircissement de la loi organique à ce sujet. C'est pourquoi je m'oppose à la suppression effectuée par le Sénat.
S'agissant de la portée que revêtent les lois de financement, nous avons, là aussi, des divergences sur lesquelles nous nous sommes déjà expliqués lors de l'examen de la LFSS pour 2022.
Le Sénat a souhaité créer des sous-objectifs au sein de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie visant à fixer des enveloppes limitatives pour le financement des établissements de santé, d'une part, et des opérateurs et fonds financés par l'assurance maladie, d'autre part. Ce dispositif, lourd en gestion et en implications, me semble peu opportun dans des conditions d'urgence telles que celles que la France a connues récemment.
Plus fondamentalement, ces dispositions contribueraient à remettre en cause le caractère évaluatif des lois de financement de la sécurité sociale. Celui-ci, garanti par la Constitution, qui évoque bien des « prévisions de recettes » et des « objectifs de dépenses », m'est particulièrement cher et me semble être l'une des principales raisons pour lesquelles le constituant a souhaité distinguer un budget propre à la sécurité sociale.
Nous n'avons malheureusement pas pu nous mettre d'accord sur une procédure d'information poussée quant à l'évolution budgétaire des agences et fonds de l'assurance maladie, actant là aussi une divergence qu'il me semble difficile de surmonter.
S'agissant, enfin, de l'appréciation de la situation actuelle de nos finances sociales, là encore, nos avis divergent.
Je ne peux que partager l'attention accordée par le Sénat, à qui je reconnais une vraie constance en la matière, aux déficits sociaux et à la dette qui en résultent, mais il ne me semble pas opportun de conserver dans le texte organique la règle d'or que les sénateurs y ont inscrite, et ce pour deux raisons.
En premier lieu, le mécanisme adopté par le Sénat suppose que la sécurité sociale soit à l'équilibre sur cinq exercices à partir de 2024. Or, en dépit des bonnes nouvelles qui s'accumulent sur le front économique - avec un taux de croissance de 6,25 % en 2021 et de 4 % en 2022 - comme sur le front social - avec une diminution sensible du chômage, donc une augmentation de la masse salariale -, les dernières prévisions inscrites en LFSS pour 2022 font état d'un déficit des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale de 10 milliards pour l'exercice 2024. Cela représente, certes, un net progrès par rapport à la situation actuelle mais, comme nous l'a appris la décennie qui a suivi la crise financière, les derniers milliards sont les plus difficiles à résorber ! L'instauration de cette règle d'or, dans les conditions actuelles, supposerait donc que la sécurité sociale soit en mesure de produire au moins 10 milliards d'excédents en 2028, et beaucoup plus si la réduction de ce déficit est graduelle à partir de 2024 - ce qui est quand même l'hypothèse la plus réaliste. Cela ne me semble donc ni possible ni souhaitable.
Ensuite, je rappelle que l'Assemblée nationale avait déjà prévu l'existence d'une « règle en dépenses » par le biais d'un compteur permettant de mesurer les écarts entre la trajectoire de dépenses pluriannuelle proposée par un gouvernement et une majorité en début de quinquennat et les dépenses engagées chaque année. Il s'agit d'un instrument de responsabilité politique et de sincérité budgétaire susceptible d'accompagner le redressement de nos comptes sociaux dans les années à venir.
En dépit de la qualité réelle d'un certain nombre d'ajouts de nos collègues sénateurs, les divergences entre nos deux chambres me semblent largement l'emporter sur les possibilités de convergence et ne permettent donc pas de trouver un accord équilibré.
Je me félicite néanmoins de ce que la richesse de nos échanges permettra d'apporter à une modernisation de l'exercice auquel nous nous prêtons chaque année : l'examen démocratique des finances sociales de notre nation.
M. Jean-Pierre Door, député. Je me souviens que les débats entre les deux chambres sur la loi organique de 2005 s'étaient déroulés dans un climat parfaitement consensuel. Si cette loi s'applique depuis maintenant quinze ans sans problème majeur, il paraît néanmoins logique de lui apporter des modifications, comme le propose la majorité de l'Assemblée nationale dans ces propositions de loi organique et ordinaire.
Du reste, en commission comme en séance publique, les députés du groupe Les Républicains ont approuvé ces textes, même si l'inscription de la dette des établissements hospitaliers dans la nouvelle loi organique nous semblait problématique. Le Sénat a souhaité revenir sur cette disposition et, bien entendu, cela nous convient. De fait, monsieur Mesnier, le Conseil d'État a souligné que les mesures relatives à cette dette ne font pas partie du domaine des LFSS. Quant au Haut Conseil pour le financement de la protection sociale, il soulève également cette question dans une synthèse à paraître demain.
Nous regrettons que, faute d'un rapprochement, ce point essentiel conduise à un échec de la CMP. La question de la constitutionnalité de cette disposition reste pendante, le Conseil constitutionnel ne l'ayant pas tranchée lorsqu'il a censuré plus de vingt articles du PLFSS pour 2022. Certes, la règle d'or instituée par le Sénat - que nous réclamons depuis des années - pose aussi problème, mais les débats de la campagne présidentielle permettront peut-être de formuler d'autres propositions en la matière.
Nous ne parviendrons donc pas, hélas, à une conclusion favorable ; je regrette que la majorité de l'Assemblée nationale ne fasse pas un effort sur la question de la dette hospitalière qui, par définition, ne relève pas du champ des LFSS.
Mme Monique Lubin, sénatrice. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat n'a pas approuvé ces propositions de loi : conçues à travers le seul prisme du contrôle de la dépense publique, elles conduisent à un pilotage par les déficits, donc à la limitation de la protection sociale des Français. Quant à la règle d'or introduite par nos collègues de la majorité sénatoriale, elle pourrait avoir les mêmes conséquences, dès lors qu'elle privilégie la question des moyens plutôt que les besoins de nos concitoyens. Enfin, même si nous connaissons l'attachement au paritarisme du rapporteur du Sénat, l'inclusion de l'assurance chômage dans le périmètre des LFSS nous paraît inquiétante.
Mme Jeanine Dubié, députée. Il est légitime d'envisager une adaptation des textes en fonction de l'évolution des choses. Compte tenu des enjeux, il est vraiment dommage qu'on ne puisse pas aboutir à un consensus entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Si ces propositions de loi ne sont adoptées que par cette dernière, ce n'est pas un bon départ.
M. Brahim Hammouche, député. La proposition de loi organique est fondamentale pour améliorer le cadre général des LFSS. Comme d'autres collègues, je regrette que la CMP ne soit pas conclusive. Cela aurait permis de montrer que le coeur battant de la République - l'Assemblée nationale - et son poumon - le Sénat - sont en synergie et que la grande circulation démocratique fonctionne sur de bonnes bases.
Le groupe MODEM et démocrates apparenté sera attentif à la manière dont le texte pourra évoluer lors de la suite de son examen, d'autant que l'insécurité constitutionnelle de certaines dispositions a été soulignée par le Conseil d'État.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur, rapporteur pour le Sénat. Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué cette question comme si nous ne vous avions pas écouté, mais nous sommes prêts, je l'ai dit, à discuter de la suppression de la disposition concernant l'assurance chômage pour trouver un point d'accord avec vous. J'ai écouté aussi les syndicats - comme l'a rappelé Mme Lubin, j'ai une expérience très concrète du paritarisme - et il me semble que les choses ont bougé et que nos initiatives ont contribué à cette évolution. M. Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), a ainsi déclaré qu'il fallait trouver un accord et faire en sorte que le Gouvernement arrête de dicter sa loi. Certains estiment qu'il faut revoir les règles du paritarisme. Je dis : bravo ! J'attendais cela. Je peux donc concevoir qu'il n'est pas nécessaire d'intégrer aujourd'hui l'assurance chômage dans le champ de la LFSS, le financement par l'impôt restant minoritaire par rapport aux cotisations.
En ce qui concerne la règle d'or, le compteur des écarts me paraît effectivement une mesure temporaire utile. Peut-être arrivera-t-on, un jour, à fixer des limites aux dépenses ou à augmenter les recettes de la sécurité sociale, pour améliorer ses finances. J'ai toujours dit, en effet, que je ne m'en tenais pas aux seules mesures d'économie : il faut également trouver de nouvelles ressources, notamment pour faire face aux besoins liés aux évolutions démographiques.
Sur ces deux points, nous sommes donc d'accord.
Pour le reste, le Sénat ne remet pas en question le caractère évaluatif des LFSS, j'y insiste. Il lui semble néanmoins légitime, s'agissant des dotations octroyées à certaines agences - à hauteur de 3,8 milliards en 2022 -, que le Parlement soit informé des éventuels dépassements et qu'il puisse en débattre. On peut trouver une formule de compromis.
J'en viens à la dette des établissements hospitaliers. Chacun a noté que, sur ce point, l'appréciation du Conseil d'État a été très ferme. Mais soyons précis s'agissant du contenu de la décision du Conseil constitutionnel du 16 décembre dernier sur le PLFSS pour 2022. Le Conseil s'est simplement prononcé sur l'article 6, qui prolonge de 2021 à 2028 la période pendant laquelle les établissements de santé peuvent présenter leurs dossiers d'investissements afin de bénéficier du soutien de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES). Il a considéré que cet article avait un effet sur les comptes de la sécurité sociale, mais qu'il ne modifiait pas le système de financement de la dette hospitalière par la CADES au point de justifier un réexamen d'ensemble du dispositif, qui ne lui avait pas été déféré en 2020, lors de son adoption - c'est l'application d'une jurisprudence dite « néocalédonienne ».
Selon nous, dans cette décision, le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur le périmètre des LFSS. En revanche, il l'a fait en termes clairs dans une décision du 10 novembre 2010. Un projet de loi organique prévoyait d'étendre le périmètre de ces lois à des mesures ayant des incidences sur l'équilibre financier des régimes et organismes de sécurité sociale. Le Conseil a censuré ce dispositif en rappelant que la Constitution limite le rôle des LFSS à la définition de l'équilibre financier de la sécurité sociale et qu'une simple incidence n'entrait pas dans ce champ. Dès lors, on voit mal comment il pourrait désormais valider une extension du périmètre de ces lois à la dette des établissements hospitaliers, puisque ces derniers sont des personnes morales distinctes des organismes de sécurité sociale.
Outre cette jurisprudence, le Conseil d'État a affirmé, je l'ai dit, une position très claire et sérieusement fondée. Il est donc nécessaire de discuter. Nous ne pourrons sans doute pas conclure ce soir, mais nous nous orientons vers une nouvelle lecture : peut-être pourrions-nous essayer de rapprocher nos points de vue, sur cette question comme sur les autres, dans l'intérêt du Parlement et dans le vôtre. L'année prochaine, je tirerai ma révérence, mais le Parlement continuera d'exister et c'est à vous qu'il reviendra d'exercer le pouvoir.
M. René-Paul Savary, sénateur. Je suis intervenu dans les discussions sur ces propositions de loi en tant que rapporteur de la branche vieillesse. C'est la raison pour laquelle j'étais très attaché au fait que les retraites complémentaires figurent dans les annexes. On en a discuté avec les partenaires sociaux, et c'est dans leur intérêt. Il n'y a aucune raison qu'il n'en soit pas de même pour l'UNEDIC.
M. Thomas Mesnier, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. C'est ce que nous avons fait !
M. René-Paul Savary, sénateur. Et je vous en félicite, en vous invitant à poursuivre dans cette voie.
Quant aux propositions concernant le financement des agences, elles sont aussi dans l'intérêt du Parlement puisqu'elles contribueraient à son information légitime. Prenons le cas de Santé publique France : sa dotation est passée, en deux ans, de 150 millions d'euros à 4 milliards d'euros !
Reste la question de l'inscription de la dette des hôpitaux dans le périmètre de la LFSS. Le montant de cette dette s'élève, je le rappelle, à une quarantaine de milliards d'euros, à comparer aux quelque 230 milliards d'euros de dépenses de la branche maladie. Il serait dommage que, pour une question dont l'enjeu budgétaire n'est pas prééminent, nous échouions à nous accorder sur un texte très intéressant pour le Parlement, tant pour les députés que pour les sénateurs. Un effort pourrait donc être consenti afin d'aboutir à une solution commune : peut-être pourrait-on analyser la dette hospitalière dans un autre cadre que celui du PLFSS - car il est important, en tout état de cause, que le Parlement puisse en débattre.
Ne nous entêtons pas sur cette question et essayons de faire un pas les uns vers les autres, afin d'aboutir à un texte commun qui nous éclaire davantage sur le financement de plus en plus compliqué de la sécurité sociale.
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. Même si certains des points sur lesquels subsistait un désaccord ont été évacués - je pense à la question de la règle d'or et à celle de l'assurance chômage -, des divergences subsistent, et non des moindres. Je constate donc l'échec de la CMP. La nouvelle lecture permettra peut-être d'autres avancées.
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La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à l'adoption d'un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi organique et de la proposition de loi relatives aux lois de financement de la sécurité sociale.