LES
MODIFICATIONS APPORTÉES
PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
SUR LA MISSION « ENGAGEMENTS FINANCIERS DE L'ÉTAT »
L'Assemblée nationale a adopté, avec un avis personnel 107 ( * ) favorable de la rapporteure spéciale Bénédicte Peyrol, un amendement du Gouvernement ouvrant 1,133 milliard d'euros sur le programme 117 « Charge de la dette et trésorerie de l'État » de la mission « Engagements financiers de l'État » .
Cet amendement vise à tirer les conséquences, sur la charge de la dette, de la révision à la hausse des prévisions d'inflation en zone euro (+ 0,8 million d'euros) et de l'intégration des émissions de dette et des taux effectivement constatés entre début septembre et mi-octobre, qui ont un effet sur la ventilation du programme d'émissions futures (+ 0,3 million d'euros). Les modifications apportées par cet amendement ont été prises en compte dans les données présentées en amont par le rapporteur spécial, le montant des crédits ouverts ayant significativement bouleversé ses constats et ses observations sur la mission « Engagements financiers de l'État », et plus particulièrement sur la charge de la dette.
SUR LE COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS « AVANCES À DIVERS SERVICES DE L'ÉTAT OU ORGANISMES GÉRANT DES SERVICES PUBLICS »
L'Assemblée nationale a adopté, avec un avis personnel 108 ( * ) favorable de la rapporteure spéciale Valérie Rabault, un amendement du Gouvernement ouvrant 744 millions d'euros en autorisations d'engagement et 100 millions d'euros en crédits de paiement sur le compte de concours financiers « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » .
Ces crédits portent, sur un nouveau programme, les avances remboursables destinées au financement des infrastructures de transports collectifs du quotidien de la métropole d'Aix-Marseille-Provence . Ils s'inscrivent dans le cadre du plan « Marseille en Grand », présenté le 2 septembre 2021. Ces avances remboursables complètent une subvention de 256 millions d'euros. 75 % de l'effort d'un milliard d'euros promis pour soutenir la mobilité au sein de la métropole et désenclaver les quartiers du nord de la ville prendra donc la forme d'avances, dont les conditions de remboursement n'ont pas encore été précisées .
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 2 novembre 2021, sous la présidence de M. Dominique de Legge, vice-président, la commission a examiné le rapport de M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial, sur la mission « Engagements financiers de l'État », le compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » et les comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ».
M. Jérôme Bascher , rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État », du compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » et des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ». - Je commencerai par les trois comptes spéciaux. Le compte d'affectation spéciale (CAS) « Participation de la France au désendettement de la Grèce » n'appelle aucun commentaire particulier de ma part. Nous continuons de reverser à la Grèce les revenus perçus par la Banque de France sur la détention d'obligations souveraines grecques, pour participer à la réduction de son besoin de financement et au rétablissement de la soutenabilité de sa dette publique.
À l'instar des années précédentes, le compte de concours financiers « Accords monétaires internationaux », qui constitue le pendant budgétaire de nos accords de coopération dans le cadre de la Zone franc, n'est pas doté de crédits. Je vous proposerai de l'adopter.
Le compte de concours financiers « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » porte des avances traditionnelles, par exemple celle d'une dizaine de milliards d'euros à l'Agence de services et de paiement au titre du préfinancement des aides de la politique agricole commune, versées par l'Union européenne. Toutefois, il y a aussi des crédits ouverts pour des avances au profit d'acteurs touchés par la crise sanitaire, par exemple sur le programme 824, qui porte les avances octroyées au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (Bacea). L'avance atteint 707 millions d'euros, contre une cinquantaine de millions d'euros avant la crise sanitaire. De manière plus générale, on peut s'interroger sur ces avances : certaines d'entre elles se répètent d'année en année, sur des durées parfois très longues. On est donc parfois plus près d'un soutien budgétaire ou d'un prêt, qui devraient être reconnus comme tels, que d'une avance au sens de nos règles comptables.
J'en viens désormais à la mission « Engagements financiers de l'État », en commençant par les programmes qui n'appellent que de brèves remarques de ma part. Le programme 336, qui porte la rétrocession par la France des intérêts perçus sur les dépôts du mécanisme européen de stabilité (MES) auprès de la Banque de France, est doté de crédits pour la deuxième année consécutive. Ce n'était pas le cas avant, avec des ouvertures en cours d'année : or, il est plus sincère sur le plan budgétaire de voter dès la loi de finances initiale les crédits portant cette rétrocession.
Un mot également sur le programme 145 « Épargne », dont les crédits visent à financer les primes d'épargne logement versées lors de la mobilisation des comptes épargne logement (CEL) ou de la clôture des plans d'épargne logement (PEL). Les crédits sont très faibles, ces dispositifs sont peu mobilisés dans le contexte de taux actuel, et ces livrets sont désormais un outil d'épargne plutôt que de financement du logement.
À l'inverse, les crédits demandés sur le programme 114 « Appels en garantie de l'État » atteignent près de 3,3 milliards d'euros, ce qui est considérable. Sur ce montant, 2,65 milliards d'euros sont provisionnés pour faire face au défaut éventuel de paiement d'entreprises ayant contracté un prêt garanti par l'État (PGE). La majorité des entreprises devront commencer à rembourser leur prêt à compter de l'été prochain, nous aurons alors une idée plus claire du risque de sinistralité et du taux de défaillance. Les premières nouvelles sont rassurantes : beaucoup d'entreprises ont vu leur trésorerie augmenter et elles devraient pouvoir bénéficier à plein de la reprise économique si les conditions sanitaires se maintiennent.
Ce qui est plus critiquable en revanche, c'est la création du programme 369 pour retracer l'amortissement de la dette de l'État liée à la covid-19, doté de 165 milliards d'euros en autorisations d'engagement, et qui relève de l'artifice comptable. La première critique, c'est le montant retenu. Qu'est-ce que la dette ? C'est la somme des déficits. Or, nous ne connaissons ni le déficit 2021, ni celui que nous projetons pour l'an prochain, puisque pas un jour ne passe sans que le Gouvernement n'annonce une dépense nouvelle - voyez le Premier ministre, qui a présenté ce matin le Contrat d'engagement jeune ... Nous ne connaissons pas plus la prévision de recettes - l'Insee table sur une croissance de 7 % en 2021, ce qui se traduira mécaniquement par un surcroît de recettes fiscales. En réalité, on ne connait pas encore l'ampleur de la dette de l'État liée à l'épidémie de covid-19, puisque des mesures sont encore actives. Le Gouvernement se contente d'afficher un écart de dépenses avec les lois de finances précédentes et de reporter ces chiffres, sans contenir la dette.
Face aux 165 milliards d'euros, incomplets, inscrits comme « dette Covid-19 », les crédits de paiement s'élèvent à 1,9 milliard d'euros pour 2022, le but est de retracer l'amortissement de ces 165 milliards d'euros d'ici 2022.Nous nous en souvenons, le ministre de l'économie, des finances et de la relance avait indiqué que tout surplus de croissance irait à l'amortissement de la dette, on voit qu'il n'en sera finalement rien, avec des dépenses nouvelles.
Avec la création de ce programme, le Gouvernement ne fait que de l'affichage. Il faut par ailleurs se méfier des termes utilisés, il ne s'agit pas ici d'un cantonnement de la dette, comme on le fait pour la dette sociale avec la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), mais d'un isolement de son amortissement.
Pour l'ensemble de ces raisons, la création de ce programme n'ayant aucune justification économique, budgétaire ou de gestion, il me semble que nous devons envisager sa suppression.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Merci pour cette présentation pédagogique et claire. Je me souviens du ministre des finances nous parlant de cantonnement de la dette, nous avons ici de la mystification. La Commission européenne s'apprête à émettre jusqu'à 800 milliards d'euros de dette d'ici à 2026. Y aura-t-il des conséquences pour le programme d'émissions de la France ?
M. Jérôme Bascher , rapporteur spécial . - Il n'y a pour l'instant pas « d'embouteillage » à craindre sur les marchés souverains, d'autant qu'il y a eu des efforts de coordination. La Commission européenne publie désormais son calendrier d'émissions sur six mois et fait preuve de plus de transparence, ce qui facilite cette coordination. Nous devons également suivre le sujet de la dette « verte » : si la France était jusqu'ici le premier émetteur d'obligations vertes, elle va désormais être dépassée par l'Union européenne. C'est un sujet qui appellera toute notre attention : sur le marché des obligations vertes, il reste encore d'importantes marges de progrès en termes d'harmonisation et de régulation. Chaque pays a ses règles, et la France dispose sans doute du cadre le plus contraignant, y compris en termes de vérification.
Une information importante : l'endettement est, pour la première fois de notre histoire, le premier moyen de financer l'ensemble des charges de l'État, avec l'amortissement des titres arrivés à échéance.
Mme Christine Lavarde . - Le MES est financé à 80 milliards d'euros par des fonds propres. Il peut également être abondé à hauteur de 620 milliards d'euros par le biais de contributions appelées principalement auprès de quatre bailleurs principaux, dont la France. Ces sommes sont-elles provisionnées dans les comptes de l'État ? Si, demain, un pays de l'Union avait des difficultés de paiement, comment notre pays pourrait-il remplir ses obligations à l'égard du MES ?
M. Sébastien Meurant . - Vous parlez de mystification, d'artifice comptable, c'est dire que la situation est grave, et ce budget peu sérieux. Je veux signaler, en plus des PGE, la question des remboursements à l'Urssaf, après la suspension du prélèvement des cotisations : est-ce que les défaillances possibles sont évaluées ?
M. Arnaud Bazin . - Quelques 3,35 milliards d'euros sont provisionnés pour les appels en garantie de l'État, dont 2,65 milliards d'euros pour les PGE. Ce montant paraît en rapport avec le risque évalué, mais sachant que l'encours atteint 142,5 milliards d'euros, avez-vous des éléments plus précis pour évaluer le risque en volume et le moment où les risques de défaillance seront les plus importants ?
Mme Sylvie Vermeillet . - La dette liée à la covid-19 est estimée à 165 milliards d'euros, 1,9 milliard d'euros est inscrit en crédits de paiement : comment, dans ce cadre, pouvons-nous retracer le remboursement de cette somme en vingt ans, d'ici 2042 ?
Mme Isabelle Briquet . - L'inflation marque le coup sur nos finances, mais le Gouvernement ne définit pas pour autant de stratégie de gestion de la dette : on le voit à l'absence de restructuration de la dette de SNCF-Réseau ou sur la question du financement du logement, dont les outils ne sont pas du tout adaptés à la mesure des besoins et à l'objectif de relance de la production de logements. Je déplore également l'absence d'intégration du programme France 2030, qui ne nous permet pas d'avoir l'évaluation la plus juste possible des engagements financiers de l'État pour 2022. En réalité, le Gouvernement gère la dette au présent, sans perspective, alors qu'il nous faut au contraire définir une stratégie de sortie de crise.
M. Vincent Delahaye . - Je ne suis favorable ni au cantonnement de la dette covid ni à son isolement, qui n'en font que complexifier l'analyse. Je souscris donc à l'idée du rapporteur de proposer la suppression de ce programme.
Le niveau de défaillance envisagé pour les entreprises ayant souscrit des PGE apparait faible : ne risquons-nous pas de sous-estimer le risque de défauts de paiement ? Si beaucoup d'entreprises ont profité des PGE pour accroître leur trésorerie, d'autres en avaient un réel besoin, pour répondre à leurs difficultés. Pour ces dernières, il sera plus difficile de rembourser : le taux de sinistralité de 3,8 % pourrait alors être trop optimiste.
Nous finançons nos dépenses avec la dette plus qu'avec l'impôt, ce qui apparait dangereux à terme. Nous ne pouvons que constater le résultat d'une gestion calamiteuse des finances publiques. Je défends à cet égard l'amendement récemment voté sur la transparence de la détention de la dette. Pourquoi ne disposons-nous pas chaque année d'une telle information ?
M. Jérôme Bascher , rapporteur spécial . - Sur le mécanisme européen de stabilité et le capital potentiellement appelable de la France, les sommes sont inscrites en hors bilan pour la France, à hauteur de 126 milliards d'euros.
Je partageais le scepticisme de certains d'entre vous sur la provision pour risque au titre des PGE, mais il faut reconnaître que les dernières données sont rassurantes. La Banque de France observe peu de défaillances s'agissant des entreprises ayant bénéficié d'un PGE. Sur les 650 836 entreprises ayant bénéficié d'un PGE, 3 944 font l'objet d'une procédure judiciaire, soit 0,6 % du total ; elles ont bénéficié de garanties à hauteur de 394 millions d'euros équivalant à 0,28 % des encours. Le service de cotation des entreprises de la Banque de France a par ailleurs analysé les bilans annuels de plus de 244 000 entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 750 000 euros. Parmi elles, 14 %, dont 3 % ayant eu recours à un PGE, sont jugées « sensibles ». La moitié dispose cependant d'une cotation élevée auprès de la Banque de France et la reprise économique est également un facteur conjoncturel favorable. Vous savez que des prêts participatifs ont été mis en place pour prendre le relais des PGE, mais, pour l'instant, ils ne fonctionnent pas, le taux de recours est très faible, les entreprises n'en ayant pas encore exprimé le besoin.
Attention, je le répète, la dette de l'État liée à l'épidémie de covid-19 ne fait pas l'objet d'un cantonnement, le programme 369 vise simplement à en retracer l'amortissement Inscrire 1,9 milliard d'euros en crédits de paiement, sur un total de 165 milliards d'euros de dette, s'apparente effectivement à de l'affichage. Il reviendra par ailleurs aux futurs gouvernements de continuer à doter ce programme de crédits de paiement.
Il est vrai que l'impact de l'inflation sur nos finances publiques et sur le pouvoir d'achat est au coeur de l'actualité. Il faut néanmoins rappeler que, dans la mesure où l'inflation accroit le PIB en valeur, elle permet de réduire le ratio de dette sur PIB. La gestion de la dette tient compte de cette inflation, d'autant qu'une partie de nos OAT (obligations assimilables du Trésor) sont indexées sur l'inflation en France et en zone euro. La logique est similaire s'agissant du financement du logement. Concernant le logement social, la gestion de l'actif et du passif est indexée sur l'inflation, qui agit sur le coût de la construction comme sur les aides au logement.
Enfin, s'agissant de la transparence des détenteurs de notre dette publique, j'estime qu'il ne s'agit pas là du premier sujet, la vraie question étant celle de notre capacité à placer notre dette, dans les meilleures conditions possibles pour l'État et le contribuable. Nous disposons de données trimestrielles de la Banque de France sur la nature des détenteurs, et de données du Fonds monétaire international (FMI) sur leur origine géographique, pour la détention des titres publics et privés. Il y a deux obstacles à la publication de données plus fines sur la détention de notre dette. Tout d'abord, on ne pourrait l'observer qu'à un instant t, ce qui nous donnerait finalement que peu d'informations pour une analyse approfondie. Les titres changent en effet de main très régulièrement. Ensuite, de nombreux acheteurs, et on peut par exemple penser aux banques centrales d'Amérique latine ou d'Asie, ne souhaitent pas rendre public le montant et le profil de leurs achats en euros. On peut toutefois approcher ce volume par le biais des données du FMI, en regardant la détention des actifs en euros d'une banque centrale et en la rapportant au volume de titres émis par les pays de la zone euro chaque année. Or, la France est l'un des premiers émetteurs de dette de la zone euro. Il faut surtout se féliciter que notre dette continue d'être achetée dans des conditions encore très favorables pour le contribuable et pour le financement de nos déficits, même si ces acheteurs veulent conserver une certaine discrétion...
La commission a décidé de réserver son vote sur les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État ».
La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits du compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » et des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ».
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Réunie à nouveau le mardi 9 novembre 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a décidé de ne pas adopter les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État », précédemment réservés.
M. Jérôme Bascher , rapporteur spécial . - Je serai bref, je suis défavorable à l'adoption des crédits de cette mission. Juste avant-hier, le Gouvernement a cru bon d'ajouter un amendement ouvrant 1,1 milliard d'euros de dépenses supplémentaires, liées, d'une part, à la révision à la hausse de la prévision d'inflation en zone euro et, d'autre part, au contexte des taux d'intérêt. En outre, le ministre de l'économie, des finances et de la relance, a annoncé hier une prolongation du dispositif des prêts garantis de l'État (PGE) jusqu'au 30 juin 2022.
La commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État ».
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Réunie à nouveau le jeudi 18 novembre 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission et d'adopter les crédits des comptes spéciaux.
* 107 L'amendement n'a pas été examiné par la commission des finances de l'Assemblée nationale.
* 108 Ibid.