EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 20 octobre 2021 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur, sur le projet de loi n° 806 (2020-2021) autorisant la ratification de l'accord modifiant le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité, présenté par M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Marie Mizzon , rapporteur . - Nous examinons ce matin le projet de loi autorisant la ratification de l'accord modifiant le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité (MES), dont le Sénat est la première assemblée saisie. Il comprend un article unique, afin d'autoriser la France à ratifier l'accord modificatif. Nos marges de manoeuvre sont particulièrement contraintes sur ce type de projet de loi, puisque nous devons nous prononcer de façon binaire. Il nous revient donc d'apprécier la portée des modifications apportées.
L'accord en question a été signé en janvier dernier par la France et les dix-huit autres États membres de la zone euro. L'objectif est que ses dispositions s'appliquent dès le début de l'année prochaine ; j'y reviendrai.
Le MES a vu le jour en octobre 2012, sous la forme d'un traité intergouvernemental conclu entre les seuls États membres de la zone euro. Il présente donc la particularité d'être en dehors de l'ordre juridique de l'Union européenne. Il vise à mobiliser des ressources financières et à apporter un soutien à la stabilité économique et financière de la zone euro, ayant pris le relai des programmes ad hoc mis en place dans l'urgence de la crise de la zone euro - FESF et MESF.
J'articulerai mon intervention en trois temps, afin de répondre à trois questions principales : il s'agira d'abord de comprendre pourquoi modifier le traité initial, puis d'aborder les modifications opérées et, enfin, d'en analyser la portée.
Commençons par le contexte et l'objectif de l'accord modificatif. Face à la crise de la zone euro, deux principales réponses ont été apportées. D'abord, le MES a été créé afin d'éteindre rapidement l'incendie et de soutenir les États membres faisant face à des difficultés. Ensuite, l'union bancaire a été lancée pour couper le lien entre la dette souveraine et les bilans bancaires.
Dans ce contexte, deux éléments doivent être pris en compte. Le premier concerne la genèse du traité initial. Pour rétablir la confiance des marchés, un mécanisme puissant et crédible de soutien financier aux États membres était nécessaire rapidement. De ce point de vue, avec une capacité totale de prêt de 500 milliards d'euros, le MES a pleinement rempli son rôle. Depuis sa création, il a porté assistance à trois pays - la Grèce, l'Espagne et Chypre - pour un montant total de 89 milliards d'euros.
Le second élément concerne le lancement de l'union bancaire, qui est intervenu après la création du MES. L'union bancaire repose sur trois piliers : un mécanisme de surveillance unique, un mécanisme de résolution unique et une garantie européenne des dépôts. Si les deux premiers sont effectifs depuis 2015, la garantie européenne des dépôts reste encore à finaliser pour passer d'une harmonisation des cadres juridiques nationaux à un véritable système européen.
Il en résulte deux conséquences. La première est que le MES constitue un mécanisme pérenne créé dans l'urgence : une fois l'orage passé, après plusieurs années de fonctionnement, des ajustements ont semblé devoir être opérés dans sa gouvernance et son articulation avec les institutions européennes. La seconde est que le cadre actuel de l'union bancaire ne préserve pas parfaitement les finances publiques en cas d'entrée en résolution d'une banque. En effet, la résolution d'une banque repose sur trois éléments : un renflouement interne, un renflouement externe par l'intermédiaire du Fonds de résolution unique (le FRU), dont les ressources sont issues des contributions du secteur bancaire, et, éventuellement, un soutien de l'État membre concerné.
Il s'agit là de la motivation principale ayant conduit à l'accord modificatif : concrétiser pleinement l'objectif initial d'étanchéifier dettes souveraines et secteur bancaire.
Comme vous vous en souvenez sans doute, l'ambition initiale était de transformer le MES en fonds monétaire européen. Une telle évolution aurait permis de l'intégrer dans l'ordre juridique européen, d'unifier les rôles du MES et de la Commission européenne et, surtout, de compléter les ressources du FRU par un « filet de sécurité ». Aucun compromis n'a toutefois été trouvé parmi les États membres, ce qui a rapidement conduit à recentrer l'ambition sur une modification du MES. C'est l'objet de l'accord modificatif dont le projet de loi vise à autoriser la ratification.
J'en arrive au contenu de cet accord, que je détaille dans mon rapport. Aussi, j'aimerais me concentrer sur son apport essentiel : l'introduction d'un filet de sécurité - ou « backstop » - que le MES pourra apporter au Conseil de résolution unique (CRU). L'objectif de ce filet de sécurité est précisément d'éviter que le contribuable d'un État membre soit mis à contribution pour venir au secours d'une banque en difficulté.
Pour cela, il est proposé de permettre au MES de prêter jusqu'à 68 milliards d'euros au CRU, par le biais d'une ligne de crédit renouvelable : c'est le filet de sécurité. Un strict encadrement est prévu : l'intervention est subsidiaire, en cas d'épuisement des ressources du FRU, et doit respecter le principe de « neutralité budgétaire à moyen terme ». Il s'agit bien d'un prêt : le CRU doit préalablement démontrer de sa capacité à rembourser le MES par des contributions supplémentaires ex post du secteur bancaire. Autrement dit, le « filet de sécurité » peut être appréhendé comme une capacité de « prêt-relais » du MES au CRU, le temps que le secteur bancaire rembourse les montants dégagés pour le soutenir.
Vous pourriez être tentés de me dire que nous transférons la charge d'un contribuable d'un État membre vers les banques de la zone euro. En schématisant, le filet de sécurité reporterait la charge du contribuable grec aux banques françaises. Dans ce cas, quel intérêt pourrions-nous y trouver ? En réponse, laissez-moi vous indiquer que la procédure actuelle ne cantonne pas la charge éventuelle au seul contribuable grec, mais implique tous les États membres. En effet, pour aider une banque en difficulté, un État membre peut bénéficier d'un prêt du MES.
Soyons clairs : l'évolution proposée ne conduit pas à davantage de mutualisation, mais fait remonter l'aide à la résolution d'un cran, en transférant la charge du contribuable au secteur bancaire. C'est donc bien de la concrétisation d'un principe posé dès 2012 qu'il s'agit. Pour autant, ne soyons pas naïfs : compte tenu de la part du secteur bancaire français dans les contributions au fonds de résolution unique, nos banques seraient les premières exposées à une éventuelle activation du FRU.
C'est la raison pour laquelle j'ai rigoureusement analysé le contenu de l'accord modificatif, en échangeant avec le Trésor et la Fédération bancaire française. J'en arrive à la conclusion d'un accord équilibré, en ce qu'il préserve les capacités de décision de la France, mais dont certaines incertitudes demeurent.
Au préalable, je ne reviens pas sur les conditions initiales posées pour toute intervention du filet de sécurité. Il s'agit somme toute d'un scénario catastrophe, puisque ni le renflouement interne, ni les ressources initiales du FRU ne suffiraient à apurer les pertes. En ce cas, deux critères supplémentaires doivent être remplis : d'une part, la capacité du CRU à rembourser le MES à moyen terme et, d'autre part, le principe de permanence du cadre juridique relatif à la supervision et à la résolution bancaires. Cette condition, ajoutée à la demande de l'Allemagne, me semble essentielle, puisqu'elle vient rappeler la nécessité de maintenir de strictes exigences en la matière.
Même lorsque ces conditions sont réunies, la France dispose de la capacité de bloquer l'intervention du filet de sécurité tout au long de la procédure. En effet, les décisions sont prises à l'unanimité ou, en cas de recours à la procédure d'urgence, à la majorité qualifiée de 85 %. Cette règle de vote maintient de facto un droit de veto à trois pays : la France, l'Allemagne et l'Italie, ce qui se justifie par le rôle de leurs secteurs bancaires respectifs dans le financement du FRU.
Je terminerai ma présentation en faisant part de deux incertitudes, sur lesquelles j'interrogerai le Gouvernement en séance. La première correspond à une inquiétude des banques françaises à propos de la façon dont elles pourraient être mises à contribution en cas d'utilisation du filet de sécurité. Elles souhaitent que le CRU s'engage à lever ces contributions ex post uniquement dans le cas où il est établi que la banque mise en résolution ne peut, elle-même, rembourser le soutien en liquidité obtenu. L'accord modificatif offre à cet égard une certaine souplesse, en autorisant un échelonnement du remboursement du CRU au MES sur une période maximale de cinq ans. Il faut pleinement mobiliser cette faculté pour calibrer au plus juste les contributions ex post et réduire ainsi au strict nécessaire la charge qui pèserait sur les banques françaises.
La seconde tient à l'entrée en vigueur de l'accord modificatif. Le Gouvernement a souhaité inscrire rapidement l'examen de ce projet de loi à l'ordre du jour pour que le filet de sécurité puisse être mis en oeuvre dès janvier prochain. Toutefois, j'observe que plusieurs États membres n'ont pas encore présenté de projet de loi pour autoriser la ratification et, surtout, qu'en Allemagne, la loi a fait l'objet d'un recours devant la cour constitutionnelle de Karlsruhe. Les représentants du Trésor se sont montrés optimistes - ou volontaristes - sur le sujet, mais il s'agit d'un facteur d'incertitude majeur sur le calendrier d'entrée en vigueur de l'accord modificatif.
Compte tenu de l'ensemble de ces observations, je propose à la commission d'adopter, sans modification, le projet de loi n° 806 autorisant la ratification de l'accord modifiant le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Nos marges de manoeuvre sont en effet limitées sur ce texte. Quels sont les pays qui n'ont pas encore enclenché la démarche de ratification ? Pour quelles raisons ? Ils ont sans doute des arrière-pensées... Quoi qu'il en soit, leur retard remet en cause l'entrée en vigueur de l'accord en janvier 2022.
M. Jean-Marie Mizzon , rapporteur . - Chaque pays a ses procédures de ratification propres et certaines sont plus longues que d'autres, certains pays ont des échéances politiques, ce qui peut expliquer en grande partie ce retard. Les quatre pays qui, lors de mon entretien avec le Trésor, n'avaient pas présenté de projet de loi de ratification sont l'Italie, Chypre, le Portugal et l'Estonie.
A priori , rien ne justifie que l'accord ne soit pas ratifié à terme par l'ensemble des États concernés. Quant au recours formé devant la cour constitutionnelle allemande, nous ne pouvons pas prévoir quel en sera l'aboutissement.
M. Jean-François Rapin . - Nous voilà au seuil de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Il semblait nécessaire, dans cette perspective, d'éviter tout retard de la France vis-à-vis de nos engagements.
La France a-t-elle été contrainte à faire d'importantes concessions pour la réalisation de l'union bancaire ? Nos banques risquaient d'en être les grandes perdantes ; certaines d'entre elles sont tellement inquiètes qu'elles souhaitent désormais en sortir.
M. Éric Bocquet . - J'ose penser que le MES n'a pas pour seul but de rétablir la confiance des marchés. Qu'en est-il de la confiance des peuples ? Quel bilan peut-on faire aujourd'hui de la situation de la Grèce, qui a été le premier pays bénéficiaire du MES ? Je n'ai pas l'impression que le ratio grec de dette publique a vraiment diminué ; dix ans après la mise en oeuvre du MES, la situation économique et sociale du pays demeure incertaine. Je préférerais que le « S » du MES signifie « solidarité ».
L'Union européenne indique que les prêts du MES peuvent être proposés à des taux inférieurs à ceux du marché. Pouvez-vous le confirmer ? Comment cela fonctionne-t-il ?
Mme Vanina Paoli-Gagin . - Contrairement à ce qu'a affirmé M. Bocquet, je pense que le MES, malgré son nom, constitue bien un mécanisme de solidarité - il s'agit tout de même d'un fonds à contribution obligatoire. Tout ce qui assure la stabilité financière et monétaire des États membres revient à maintenir la solidarité entre eux.
Le MES ne dépossède pas les États membres de leur souveraineté économique, bien au contraire. Les aides sont allouées à des États en difficulté uniquement sur décision des gouverneurs, c'est-à-dire des ministres des finances ; aucune décision n'est prise par les institutions européennes, déconnectées des gouvernements nationaux.
Reste que la solidarité repose, in fine , sur notre capacité à assainir nos finances publiques. L'absence d'efforts en ce sens rend la garantie de solidarité et de stabilité beaucoup plus hypothétique. Mon groupe soutiendra ce projet de loi, parce qu'il adhère au principe même du MES, mais il continuera à défendre l'assainissement des finances publiques, qui reste la condition du bon fonctionnement de ce mécanisme.
M. Patrice Joly . - La complexité des modalités de fonctionnement du MES est infernale ! Cela pose un vrai problème de lisibilité, qui compromet la capacité d'appréhension des responsables politiques. Nous avons le sentiment d'être privés des moyens de comprendre un dispositif aussi technique.
Pourquoi le MES a-t-il été aussi peu mobilisé ? Seuls 60 milliards d'euros ont été engagés jusqu'à présent, sur un total potentiel pouvant atteindre 500 milliards d'euros. Visiblement, les politiques d'austérité qui accompagnent ces dispositifs financiers suscitent des craintes. Les obligations faites à la Grèce en sont l'illustration.
Quid du contrôle politique ? Je le rappelle, le MES et le plan de relance sont respectivement abondés de 500 milliards d'euros et de 750 milliards d'euros. À cet égard, quelle est la place des représentants des populations des États membres siégeant au Parlement européen ? Cette question mérite d'être approfondie.
M. Jérôme Bascher . - Pour la deuxième fois seulement, ces crédits, pour ce qui est des intérêts, sont d'ores et déjà budgétés dans la mission « Engagements financiers de l'État » dont je suis le rapporteur spécial. Le Gouvernement omet systématiquement de les inscrire au budget initial pour les engager en loi de finances rectificative. Je salue cette initiative, qui a le mérite de consolider la sincérité budgétaire.
Il n'y a que la France qui ait des grandes banques - c'est un vrai problème européen ! Ce sont nos banques qui contribuent à la stabilité de banques plus petites, dont les ratios de stabilité et les stress tests sont moins bons. Pour elles, c'est la double punition, car elles doivent contribuer au MES, tout en aidant les banques les moins résilientes : plus on est sérieux, plus on aide des gens moins organisés que soi...
Le MES, parce qu'il met des boulets aux pieds des leaders lorsqu'il s'agit de concurrencer les grandes banques américaines, me laisse dubitatif.
M. Claude Raynal , président . - La question de l'insuffisance du Fonds de résolution unique est posée depuis l'origine. Il fallait la résoudre, en passant d'un système de responsabilité directe des États à un système de responsabilité directe des banques. On ne peut qu'être favorable à cette logique.
La France n'est pas le seul pays européen à avoir des grandes banques. Il n'empêche que nos banques jouent un rôle bien particulier, qui tient à la structure de notre secteur bancaire ; l'union bancaire, par nature, leur profitera. Les banques des pays plus petits, dont le système bancaire est plus faible, ont vocation à être placées sous le contrôle indirect, quoique réel, de nos banques. C'est la raison pour laquelle bon nombre de pays européens ont été réticents à accepter l'union bancaire.
Par ailleurs, plus le système de sauvetage en cas de crise majeure est visible, plus il devient solide par construction. Les marchés ont bien plus de difficultés à s'attaquer à un système qui a acquis une immunité extrêmement forte. Les banques françaises, en dépit du risque qui pèse sur elles, ont intérêt à ce que le système financier européen et la monnaie soient tenus.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je souhaiterais réagir à l'intervention de Jean-François Rapin, qui soulève la question de la transposition de l'accord de Bâle III. C'est un enjeu majeur et nous attendons les propositions de la Commission européenne avant la fin du mois.
M. Jean-Marie Mizzon , rapporteur . - La Fédération bancaire française est favorable à l'instauration du filet de sécurité, bien qu'elle ait exprimé ses inquiétudes quant aux conditions selon lesquelles il serait fait appel à d'éventuelles contributions ex post . Les banques françaises sont les plus gros financeurs du FRU. Notre système bancaire est ainsi structuré ; l'Allemagne, elle, se caractérise par l'existence de nombreuses banques régionales.
La Grèce suit le programme qui lui a été proposé ; il n'existe à ce jour aucune difficulté particulière nous ayant été relayée.
La force du MES est de décourager les tentatives de spéculation du marché - c'est sans doute pour cela qu'il est peu utilisé. À cet égard, les dix-neuf pays de la zone euro se sont suffisamment bien organisés. Je souhaiterais préciser que ce ne sont pas les États qui sont in fine mis à contribution au titre du filet de sécurité, mais les banques. Le mécanisme semble répondre à notre volonté d'étanchéifier la paroi entre dette souveraine et bilans bancaires.
Le MES est complexe, certes. Pour le moment, 89 milliards d'euros ont été engagés en faveur de la Grèce, de Chypre et de l'Espagne. On ne peut pas comparer les 500 milliards d'euros du MES, qui ont valeur de garantie, et les 750 milliards d'euros du plan de relance, lequel reste un plan d'action.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article unique
L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.