EXAMEN EN COMMISSION
__________
M. François-Noël Buffet , président . - Notre commission est appelée à examiner ce matin, en deuxième lecture, la proposition de loi déposée par Annick Billon visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels.
Mme Marie Mercier , rapporteur . - Le Sénat a adopté cette proposition de loi à l'unanimité le 21 janvier dernier et l'Assemblée nationale l'a votée, elle aussi à l'unanimité, le lundi 15 mars. Pour tenir compte des nombreux ajouts apportés au texte, l'Assemblée nationale en a modifié l'intitulé, qui est devenu « proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste ».
Vous vous en souvenez, la proposition de loi avait pour objet principal de créer un nouveau crime sexuel sur mineur de treize ans, de manière à mieux protéger les jeunes adolescents contre les violences sexuelles qui peuvent leur être infligées par des adultes. Tout acte de pénétration sexuelle aurait été qualifié de crime, sans qu'il soit nécessaire d'établir un élément de contrainte, violence, menace ou surprise, eu égard au jeune âge de la victime.
La création d'une infraction autonome, avec ce seuil d'âge à treize ans, nous avait paru solide sur le plan constitutionnel, car elle présentait l'avantage de ne pas criminaliser les relations consenties qui peuvent exister entre un mineur d'un peu moins de quinze ans et un tout jeune majeur. Il en aurait résulté une gradation dans la protection des mineurs, avec le délit d'atteinte sexuelle, puni de sept ans d'emprisonnement, protégeant les mineurs de moins de quinze ans et le nouveau crime sexuel sur mineur protégeant les mineurs de moins de treize ans.
En commission puis en séance publique, le Sénat avait beaucoup enrichi le texte.
Nous avions d'abord ajouté un volet préventif en adoptant des amendements présentés par Michel Savin et Valérie Boyer, qui tendaient, d'une part, à élargir la liste des infractions entraînant une inscription dans le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv) et qui incitaient, d'autre part, les juridictions à prononcer la peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité impliquant un contact habituel avec un mineur.
En séance publique, nous avions ensuite adopté un amendement d'Esther Benbassa et un amendement de Laurence Rossignol pour compléter la définition du crime sexuel sur mineur et celle du viol : en plus de la pénétration sexuelle, l'infraction serait constituée en cas d'actes bucco-génitaux, ces actes pouvant être tout aussi traumatisants pour la victime qu'une pénétration.
Sur la question de la prescription, le Sénat avait adopté, sur mon initiative, un amendement tendant à allonger le délai de prescription du délit de non-dénonciation des infractions sur mineur, prévu à l'article 434-3 du code pénal. Puis nous avions adopté un amendement présenté par Laurence Rossignol prévoyant une interruption du délai de prescription quand l'auteur d'un premier crime sur mineur commet le même crime sur un autre mineur.
Enfin, la question de l'inceste, qui ne figurait pas dans la proposition de loi initiale, mais que nous ne pouvions ignorer, y a été inscrite grâce à l'adoption d'un amendement présenté par Marie-Pierre de La Gontrie, qui crée une circonstance aggravante du délit d'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans en cas d'inceste.
Avec l'appui de la Chancellerie, l'Assemblée nationale a fait évoluer le texte, tout en respectant les objectifs que nous lui avions assignés.
Sur la question centrale de la création d'une nouvelle infraction pour protéger les mineurs, le débat portait sur le choix du seuil d'âge : treize ou quinze ans. Il faut reconnaître que le choix d'un seuil à treize ans, même s'il présente de solides justifications, a pu être mal compris et parfois perçu comme un recul par rapport au seuil de quinze ans qui figure dans le délit d'atteinte sexuelle. Je tiens d'ailleurs ici à exprimer mon soutien à Annick Billon qui a fait l'objet, dans les jours qui ont suivi l'adoption du texte, d'attaques excessives et parfois odieuses sur les réseaux sociaux.
L'Assemblée nationale a trouvé une solution créative, mais juridiquement rigoureuse, en faisant le choix d'un seuil à quinze ans, assorti d'un écart d'âge d'au moins cinq ans entre l'auteur et la victime. Cette solution permet d'éviter, comme nous le souhaitions, que les relations consenties entre un mineur de quinze ans et un tout jeune majeur ne soient criminalisées. Elle permet en même temps d'afficher un seuil d'âge qui paraît plus ambitieux et qui répond mieux aux attentes des associations de protection de l'enfance, comme j'ai pu le constater au cours de mes auditions.
Le choix de créer une infraction autonome, distincte du viol, avait également suscité des réserves : le juge Édouard Durand, co-président de la commission indépendante sur l'inceste, avait regretté que le choix d'une infraction autonome évacue la dimension violente du passage à l'acte, qui est en revanche bien prise en compte avec la qualification de viol ou d'agression sexuelle. Sur ce point également, l'Assemblée nationale a fait preuve d'imagination et d'esprit de synthèse en décidant de qualifier de viol la nouvelle infraction sexuelle sur mineur.
Il arrive que certaines infractions prévues par le code pénal renvoient à plusieurs définitions. C'est le cas, par exemple, pour le harcèlement sexuel, qui suppose en principe la commission d'actes répétés, mais qui peut aussi être constitué si un acte unique particulièrement grave a été commis. C'est le cas aussi pour le délit de proxénétisme qui renvoie à une dizaine de définitions différentes dans le code pénal. Tel serait désormais le cas aussi pour le crime de viol : à la définition classique, qui suppose un élément de contrainte, menace, violence ou surprise, s'ajouterait une nouvelle définition, applicable seulement si la victime est un mineur de quinze ans.
Le mineur de quinze ans pourra ainsi se dire victime de viol, avec toute la dimension symbolique qui s'attache à cette qualification, sans qu'il soit besoin de démontrer son absence de consentement. J'ajoute que l'Assemblée nationale a conservé l'apport du Sénat tendant à élargir la définition du viol aux actes bucco-génitaux. En l'absence de pénétration ou d'acte bucco-génital, la qualification d'agression sexuelle pourra être retenue si la victime est un mineur de quinze ans, sans qu'il soit nécessaire d'établir un élément de contrainte, menace, violence ou surprise.
Enfin, si l'écart d'âge entre le majeur et le mineur est inférieur à cinq ans, le délit d'atteinte sexuelle serait maintenu. L'Assemblée nationale a cru utile de préciser que ce délit ne serait pas constitué si l'écart d'âge est inférieur à cinq ans en l'absence de pression sur le mineur, ce qui me paraît donner lieu à plus de questions que de clarifications ; c'est pourquoi je vous proposerai d'y revenir par voie d'amendement.
La protection des mineurs serait renforcée en cas de relation incestueuse, l'Assemblée nationale ayant décidé la création de deux nouvelles infractions de viol incestueux et d'agression sexuelle incestueuse.
Ces infractions seraient constituées sans qu'il soit nécessaire d'établir un élément de contrainte, menace, violence ou surprise, si la victime est mineure, donc jusqu'à dix-huit ans, et que l'auteur des faits est un ascendant ou un autre membre de la famille ayant une autorité de droit ou de fait sur la victime. Le périmètre familial retenu prend en compte les frères et soeurs, oncles et tantes, neveux et nièces, ainsi que leurs conjoints, concubins ou partenaires d'un pacte civil de solidarité (Pacs). L'Assemblée nationale a souhaité ajouter à cette liste les grands-oncles et les grands-tantes.
Compte tenu de la création de ces deux nouvelles infractions, l'Assemblée nationale a supprimé l'aggravation de peine que nous avions prévue en cas d'atteinte sexuelle incestueuse.
J'en arrive à la question de la prescription.
L'Assemblée nationale a conservé l'allongement du délai de prescription pour le délit de non-dénonciation, en le recentrant toutefois sur les crimes et délits sexuels, ce qui est cohérent avec l'objet du texte.
En ce qui concerne la prescription des crimes et délits sexuels eux-mêmes, l'Assemblée nationale a adopté, sur proposition du Gouvernement, un double mécanisme.
Le premier est proche de celui qui a été introduit par le Sénat : il a pour effet de prolonger le délai de prescription d'un crime ou délit sexuel sur mineur si l'auteur commet un autre crime ou délit sexuel sur un autre mineur. Le délai de prescription de la première infraction se trouverait, le cas échéant, prolongé jusqu'à la date de prescription de la nouvelle infraction.
Le second mécanisme s'inspire de la notion de connexité, bien connue en droit pénal : un acte interruptif de prescription, une audition par exemple ou un acte d'instruction, interromprait la prescription non seulement dans l'affaire considérée, mais également dans les autres procédures dans lesquelles serait reprochée au même auteur la commission d'un autre crime ou délit sexuel sur mineur. Si, par exemple, un individu est suspecté d'avoir commis trois viols sur mineur, un acte interruptif de prescription dans l'affaire la plus récente interromprait aussi la prescription dans les deux affaires plus anciennes. Je précise qu'un acte interruptif de prescription a pour effet de faire repartir de zéro le délai de prescription.
Avec ces deux dispositifs, toutes les victimes pourront comparaître comme telles devant la cour d'assises, alors que, aujourd'hui, les victimes les plus anciennes, dont les faits sont prescrits, sont seulement entendues en tant que témoins.
Je termine en indiquant que l'Assemblée nationale a adopté deux articles additionnels qui visent à lutter plus efficacement contre les faits de « sextorsion », par lesquels un adulte exige d'un mineur qu'il effectue devant la caméra de son ordinateur des actes obscènes ou qu'il se filme pour envoyer ensuite les vidéos à l'auteur du chantage. Ces faits sont aujourd'hui réprimés sur le fondement de la corruption de mineur, mais la définition ancienne de cette infraction ne permet pas de décrire avec suffisamment de précision ces nouveaux phénomènes.
L'Assemblée nationale a également souhaité moderniser la définition de l'exhibition sexuelle pour mieux réprimer certains gestes obscènes qui sont réalisés sans que le corps soit dénudé, par exemple si un individu dans le métro se masturbe sous ses vêtements.
Au total, le texte qui nous est soumis renforce considérablement la protection des mineurs, au prix, il est vrai d'une plus grande complexité des règles de droit applicables. Il peut constituer la base d'un accord politique entre nos deux assemblées et je vous proposerai donc d'en préserver les grands équilibres.
Je vous présenterai tout à l'heure quelques amendements destinés à parfaire le texte sans remettre en cause les compromis qu'il opère. Je suis convaincue que ce dernier marquera une étape importante dans nos politiques de protection de l'enfance, même s'il faudra bien sûr l'accompagner de mesures de prévention et d'éducation auxquelles je suis depuis toujours très attachée. La loi ne suffira pas si l'on ne change pas les mentalités.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Nous avons débattu de nombreuses fois sur ce sujet. Le principal problème de cette énième version tient à ses difficultés d'application, dans la mesure où elle crée plusieurs incriminations pour des faits voisins. Je crains que tous les plaignants et tous les parquets n'aient pas une information claire sur le droit en vigueur, et que le texte ne rate sa cible en raison de sa complexité.
Je ne reviendrai pas sur les revirements du Gouvernement sur le sujet. Si le Sénat avait adopté, en première lecture, des amendements sur la non-dénonciation et la prescription en cas de pluralité de victimes, mon groupe n'avait pas réussi à le convaincre de la pertinence du seuil de quinze ans pour le nouveau crime sexuel ou du seuil de dix-huit ans pour l'inceste. Or le garde des sceaux a changé d'avis peu après. Je m'en réjouis, mais déplore le temps perdu !
Nous poursuivons tous le même but. Même si nous n'avons pas déposé d'amendements à ce stade, il nous semble toutefois que le texte mérite d'être précisé sur trois points. L'inceste, tout d'abord, nous paraît défini de manière trop complexe et fait référence à la notion d'autorité de droit ou de fait : c'est un contresens, car l'inceste n'est pas un crime de pouvoir, mais bien un interdit. Nous sommes aussi dubitatifs sur l'écart d'âge. Nous ferons enfin des propositions concernant la notion de pression sur des mineurs. J'espère que le Sénat adoptera une rédaction plus efficace, car en l'état, le texte semble difficilement applicable dans les faits.
Mme Esther Benbassa . - Je voudrais poser une question technique : si les frères et les soeurs sont visés dans le périmètre familial pris en compte pour qualifier l'inceste, qu'en est-il des demi-frères et des demi-soeurs ?
Mme Marie Mercier , rapporteur . - Juridiquement, ils sont dans la même situation que les frères ou les soeurs.
Mme Dominique Vérien . - Nous avions voté la proposition de loi d'Annick Billon, en retenant un seuil de treize ans, et non de quinze ans, car le Gouvernement nous alertait sur les risques d'inconstitutionnalité. Aujourd'hui, on découvre que le seuil de quinze ans est possible, la Chancellerie ayant introduit la clause « Roméo et Juliette », pour traiter différemment les situations où les protagonistes ont moins de cinq ans d'écart. Cela ne semble pas si compliqué finalement... Pour prouver l'inceste entre frère et soeur, il faudra prouver l'existence d'un rapport d'autorité de droit ou de fait. On peut se demander si cela est nécessaire, ou si l'existence d'un lien familial ne pourrait pas suffire, considérant que l'inceste est un interdit. Enfin, je partage votre position sur la précision selon laquelle le délit d'atteinte sexuelle ne serait pas constitué en l'absence de pression sur le mineur si l'écart d'âge est inférieur à cinq ans.
Mme Muriel Jourda . - Comme en première lecture, je m'abstiendrai, car je pense que l'essentiel relève des évolutions de notre société et que notre arsenal juridique est suffisant. Ne complexifions pas le droit. Les professionnels ont besoin de stabilité. Le délit de « sextorsion », par exemple, n'est-il pas déjà couvert par le délit de corruption de mineur ?
Mme Marie Mercier , rapporteur . - Vous l'avez dit, nous poursuivons tous le même but : protéger au mieux les mineurs. Madame de La Gontrie, ce texte est, en effet, complexe et devra s'accompagner d'un effort de pédagogie. La loi doit être compréhensible par tous, mais si la complexité est le prix à payer pour mieux protéger les mineurs, alors pourquoi pas !
Sur l'inceste, les amendements du groupe socialiste, écologiste et républicain, en première lecture, n'étaient pas identiques à ceux qui ont été adoptés par l'Assemblée nationale, dans la mesure où ils ne prenaient pas en compte la notion d'autorité, qui est essentielle : autrement une grande soeur, de tout juste dix-huit ans, violée par son frère de dix-sept ans, risquerait, comme elle est majeure, de se retrouver sur le banc des accusés ! Il faut donc pouvoir déterminer qui est coupable et victime dans ces situations abominables. Rien n'est jamais simple et toutes les situations sont particulières. Chacun a des images en tête, en raison de son éducation et de son histoire, mais elles ne s'appliquent pas toujours aux situations douloureuses que l'on rencontre parfois. Il est donc nécessaire de conserver la notion d'autorité de droit ou de fait, car on ne sait pas qui l'exerce en réalité. Le coupable n'est pas toujours le majeur.
De même, en ce qui concerne la clause « Roméo et Juliette », tous les Roméo ne sont pas de gentils amoureux, et toutes les Juliette ne sont pas des oies blanches ! Il faut à chaque fois étudier le contexte. Chaque cas est unique, mais un viol n'est jamais consenti et il est aussi grave à dix-sept ans qu'à treize ans !
Madame Jourda, je comprends votre abstention, même si la nouvelle rédaction - nous avions déjà considérablement amélioré le texte - renforce davantage la protection des mineurs, en dépit de sa complexité. Si le droit ne doit pas se résumer à des symboles, il n'en demeure pas moins qu'il doit comporter des interdits clairs. Tout le monde comprenait ce que signifiait l'attentat à la pudeur. C'est moins vrai avec l'atteinte sexuelle, notion plus abstraite. Tout le monde sait aussi ce qu'est la corruption de mineur ; on comprend, pour l'instant, moins ce qu'est la « sextorsion », mais il faut tenir compte de ce qui se passe sur internet et qui semble dépasser le cadre de la corruption de mineur.
Mme Valérie Boyer . - Je n'étais pas d'accord avec la voie retenue pour protéger les mineurs, mais comme cela y contribue, je ne m'y opposerai pas. Les parlementaires, en retenant l'âge de treize ans, s'étaient autocensurés en présumant de ce que le Conseil constitutionnel jugerait. Mais le législateur n'est pas le juge. Il lui appartient de rédiger la loi. Lorsque l'on veut anticiper sur les décisions possibles des juges, on n'est plus dans notre rôle et on se prend les pieds dans le tapis sur le plan politique ! Ce texte doit nous servir de leçon à cet égard.
Sous la pression de l'opinion publique et des associations, l'âge retenu est passé de treize à quinze ans, à juste titre. C'est conforme à la proposition que j'avais faite. Il est dommage que l'on oppose trop souvent à nos amendements la position du Conseil d'État ou du Conseil constitutionnel. Le voilement des fillettes, sur lequel j'ai déposé des amendements dans le cadre de l'examen du projet de loi tendant à conforter le respect des principes de la République, relève pour moi de la maltraitance. J'aimerais savoir sur quels fondements le Conseil constitutionnel pourrait s'y opposer.
M. François-Noël Buffet , président . - Vous avez sans doute raison, mais ce n'est pas l'objet du texte !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - À mon avis, le viol n'a pas le même degré de gravité en fonction de l'âge : on ne peut pas tenir pour équivalents le viol d'une enfant de treize ans et celui d'une adulte. L'inceste n'est pas un crime lié à une relation de pouvoir, c'est avant tout un interdit. La notion d'autorité de droit ou de fait pervertit le raisonnement. De plus, à l'alinéa 8 de l'article 1 er , la notion d'autorité s'applique au conjoint ou au concubin, mais non aux frères et soeurs. Ce débat montre l'extrême complexité du texte. Il est à craindre qu'il ne soit guère mieux compris par les tribunaux ou les victimes...
M. Alain Richard . - Mon groupe votera sans doute ce texte, mais, à titre personnel, je suis défavorable à cet assemblage de dispositions et de conditions qui rendent de plus en plus complexe l'application du droit. Il ne nous appartient pas de faire le travail du magistrat qui doit statuer sur chaque cas d'espèce. Les notions de viol, assorti éventuellement de contrainte ou de ruse, et d'atteinte sexuelle me semblent suffisantes. La distinction entre les crimes et les délits est souvent délicate dans la pratique, et les juges requalifient les faits en fonction de la situation et de la sanction qu'ils estiment la plus adaptée. Je m'abstiendrai donc sur ce texte qui n'apporte pas de protection supplémentaire aux victimes et qui prive les magistrats de leur pouvoir d'appréciation.
Mme Marie Mercier , rapporteur . - Madame Boyer, les parlementaires ne s'autocensurent pas, simplement ils doivent agir avec sagesse et respecter la Constitution, notre règle commune. Il ne sert à rien de voter des dispositions inconstitutionnelles. Au contraire, ce serait préjudiciable aux victimes, car à la moindre question prioritaire de constitutionnalité, ces mesures seraient invalidées, créant un vide juridique au détriment des victimes. Il nous appartient donc d'être prudents : nous ne serions plus crédibles si nous votions des mesures inapplicables.
En première lecture au Sénat, personne n'avait proposé d'assortir le seuil d'âge d'un écart d'âge. Il a été adopté à l'Assemblée nationale pour garantir la constitutionnalité du seuil d'âge à quinze ans. Le législateur ne peut s'affranchir de la Constitution.
Madame de La Gontrie, il n'est pas toujours aisé de distinguer, dans les faits, qui a le pouvoir ou l'autorité, mais nous devons trouver un moyen de distinguer le coupable de la victime. M. Richard a raison, ce texte comporte une multitude de dispositions complexes, mais, encore une fois, c'est peut-être le prix à payer pour renvoyer l'image d'une meilleure protection des mineurs, pour faire en sorte qu'ils connaissent leurs droits et s'approprient cette loi, en sachant qu'ils seront protégés. Plus on parlera de cette loi, plus les mentalités évolueront.
M. Alain Richard . - Vous avez raison, on légifère pour une image !
Mme Marie Mercier , rapporteur . - Pour une image et pour un texte !
M. François-Noël Buffet , président . - Je ne partage pas votre sévérité. Les évolutions sont considérables par rapport à la loi Schiappa votée en 2018. Il sera nécessaire de faire oeuvre de pédagogie, en laissant le soin aux magistrats d'apprécier les situations. La loi ne pourra jamais prévoir tous les cas particuliers et doit affirmer des principes simples et clairs.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Avec le seuil d'âge de quinze ans, le texte crée une incrimination nouvelle et enrichit le droit.
Mme Marie Mercier , rapporteur . - Concernant le périmètre du texte, je vous rappelle que nous examinons le texte en deuxième lecture : ne sont donc recevables que les seuls amendements en relation directe avec les dispositions restant en discussion. Un seul article a été adopté conforme par l'Assemblée nationale. Pourraient être considérés comme recevables des amendements relatifs aux infractions sexuelles sur mineurs figurant dans le code pénal ; à la prescription de ces infractions ; aux infractions de mise en péril des mineurs et de prostitution de mineur ; au délit d'exhibition sexuelle ; au fichier judiciaire des auteurs d'infractions sexuelles et violentes ; et à la peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité au contact de mineurs.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-1 présenté par Valérie Boyer vise à supprimer l'écart d'âge de cinq ans. Comme je l'indiquais dans mon exposé, la différence d'âge de cinq ans est l'un des éléments qui garantit la constitutionnalité du dispositif en évitant de criminaliser des relations consenties entre un mineur d'un peu moins de quinze ans et un jeune majeur. Si l'on supprimait cet écart d'âge, un mineur de quatorze ans pourrait avoir une relation licite avec un mineur de dix-sept ans et demi qui deviendrait automatiquement une relation criminelle au moment où le plus âgé des deux partenaires atteindrait l'âge de dix-huit ans. Une telle situation serait difficilement défendable au regard du principe constitutionnel de nécessité des délits et des peines. Sur un plan plus politique enfin, supprimer cet élément clé du texte adopté par l'Assemblée nationale rendrait très difficile ensuite un accord entre nos deux assemblées. Avis défavorable.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
Mme Marie Mercier , rapporteur . - Avis défavorable pour les mêmes raisons que précédemment à l'amendement COM-2 , qui vise à réduire l'écart d'âge à trois ans.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Je ne sais pas quel écart d'âge est le plus adapté, mais on ne peut faire fi du principe d'opportunité des poursuites. Le garde des sceaux a donc tort d'affirmer qu'on criminalise à dix-huit ans et un jour ! Un parquet ne poursuivrait évidemment pas un jeune dans cette situation. Nous nous sommes suffisamment battus pour que l'opportunité des poursuites ne joue pas en défaveur des victimes, pour ne pas rappeler ce principe. Nous devrons donc veiller à ce que le garde des sceaux ne nous fasse pas prendre des vessies pour des lanternes en séance ! Enfin, plutôt que de chercher à tout prix un accord avec l'Assemblée nationale, je préfère que nous adoptions un texte efficace et protecteur pour les mineurs.
Mme Marie Mercier , rapporteur . - Je partage votre souhait. Il se trouve que le texte a été enrichi et on ne peut que s'en réjouir.
L'amendement COM-2 n'est pas adopté.
Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-3 propose une suppression de l'écart d'âge de cinq ans concernant cette fois le délit d'agression sexuelle. Par cohérence, mon avis est à nouveau défavorable.
L'amendement COM-3 n'est pas adopté.
Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-4 prévoit un écart d'âge de trois ans pour le délit d'agression sexuelle. Avis défavorable.
L'amendement COM-4 n'est pas adopté.
Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-8 précise que l'acte sexuel peut être obtenu en échange d'une rémunération, mais également en contrepartie d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage. Cette énumération figure déjà à l'article 225-12-1 du code pénal, qui punit l'achat d'acte sexuel. L'harmonisation rédactionnelle permettra d'éviter d'éventuelles difficultés d'interprétation.
Mme Valérie Boyer . - La « prostitution des cités » ou celle de certains mineurs - que ces relations avec des jeunes filles soient tarifées directement ou via internet - correspond à des réalités actuelles. Cet ajout dans le texte me semble donc important. Le sujet est peu évoqué dans l'actualité, alors que des procès, notamment dans la région parisienne, ont mis au jour le problème de ces réseaux exploitant des mineurs fragiles, notamment ceux qui sont pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE).
L'amendement COM-8 est adopté.
Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-6 présenté par le groupe écologiste porte sur le crime de viol incestueux constitué en cas d'acte de pénétration sexuelle commis par un membre de la famille. Il aurait pour effet d'élargir considérablement la définition du viol incestueux en prévoyant que tout acte sexuel commis par l'une des personnes visées à l'article 222-22-3 du code pénal - les ascendants, mais aussi les frères et soeurs, oncles et tantes, neveux et nièces, grands-oncles et grands-tantes - soit constitutif d'un viol. Le crime serait caractérisé sans que l'on ait besoin d'établir un élément de contrainte, menace, violence ou surprise, sans que soit exigé un rapport d'autorité et quel que soit l'âge des deux partenaires.
Cet élargissement poserait un problème constitutionnel, puisqu'il aboutirait à criminaliser automatiquement le rapport consenti entre, par exemple, le neveu et la tante, même s'ils sont majeurs, et sachant que le neveu est parfois plus âgé que la tante. Cela pose un problème au regard du principe de liberté sexuelle, qui découle du principe de la liberté individuelle. On se demande également, dans l'hypothèse où deux adultes ayant à peu près le même âge auraient des rapports sexuels sans contrainte ni rapport d'autorité, lequel serait le coupable et lequel serait la victime. Le dispositif proposé ne me paraît pas opérationnel. Aussi, j'émets un avis défavorable.
Mme Esther Benbassa . - Cet amendement n'a pas été rédigé dans ce sens. Davantage que les tantes et neveux, ce sont les frères et soeurs qui sont concernés...
Mme Marie Mercier , rapporteur . - Tel qu'il est rédigé, il s'appliquerait pourtant à toutes les personnes mentionnées à l'article 222-22-3 du code pénal, à savoir les ascendants, les frères et soeurs, les oncles et tantes, les neveux et nièces, les grands-oncles et grands-tantes.
L'amendement COM-6 n'est pas adopté.
Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-9 supprime une formulation redondante. Il est inutile de qualifier d'« inceste » l'infraction de viol incestueux - l'adjectif incestueux renvoyant déjà à la qualification d'inceste. Les termes « inceste » ou « incestueux » figurent déjà dans plusieurs articles ou intitulés du code pénal. Cet ajout ne paraît pas indispensable pour une reconnaissance juridique du phénomène.
L'amendement COM-9 est adopté.
Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-7 propose un élargissement de la définition de l'agression sexuelle incestueuse. Avis défavorable.
L'amendement COM-7 n'est pas adopté.
Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'article 1 er bis BA introduit une nouvelle infraction dans le code pénal, consistant à demander à un mineur qu'il envoie des images de lui-même à caractère pornographique. Ces faits peuvent aujourd'hui être réprimés sur le fondement du délit de corruption de mineur. L'amendement COM-10 apporte trois modifications à cet article.
D'abord, il prévoit que la nouvelle infraction puisse concerner tous les mineurs, et non les seuls mineurs de quinze ans. Ensuite, concernant les mineurs de quinze ans, la peine est aggravée, mais le montant de l'amende serait fixé à 150 000 euros ; le montant de 1 million d'euros, prévu dans le texte de l'Assemblée nationale, paraît en effet disproportionné, sauf si les faits ont été commis en bande organisée. Enfin, par coordination, il modifie le dernier alinéa de l'article 227-22 du code pénal, relatif à la corruption de mineur, afin de prévoir une amende de 150 000 euros si la victime est un mineur de quinze ans et de 1 million d'euros si les faits sont commis en bande organisée.
Il s'agit d'être cohérent avec le travail que nous avons effectué sur la pornographie. De façon unanime, nous avons voté un amendement pour interdire aux mineurs de moins de dix-huit ans - et non aux seuls mineurs de moins de quinze ans - l'accès aux sites gratuits pornographiques.
M. Alain Marc . - Les plateformes sur internet sont-elles concernées par cet article ?
Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'article 1 er bis BA vise l'hypothèse où un mineur envoie à un adulte une vidéo à caractère pornographique que ce dernier lui a commandée.
M. François-Noël Buffet , président . - D'autres dispositions pénales répriment la diffusion d'images pédopornographiques sur internet, par exemple.
L'amendement COM-10 est adopté.
Article 1 er bis B
L'amendement COM-13 est adopté.
L'amendement rédactionnel COM-11 est adopté.
Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-12 supprime la précision apportée à l'initiative de Laetitia Avia concernant l'écart d'âge pour le délit d'atteinte sexuelle, selon laquelle, en l'absence de « pression », le délit ne serait pas constitué si l'écart d'âge entre le mineur et le majeur est inférieur à cinq ans.
Les auditions ont montré que cet ajout du mot « pression » suscitait plus de questionnements et d'incompréhensions que de clarifications. Il appartient au procureur d'apprécier l'opportunité d'engager des poursuites pour atteinte sexuelle, et il paraît hasardeux de vouloir préciser dans la loi les critères à mettre en oeuvre.
Ces critères, en effet, risquent d'apparaître trop flous - qu'est-ce qui distingue, par exemple, une « forte pression » d'une « contrainte légère » ? - et incomplets, en ne visant pas la totalité des situations.
L'amendement COM-12 est adopté.
Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-14 rend la nouvelle infraction de « sextorsion » applicable à tous les mineurs et prévoit une peine aggravée si les faits sont commis à l'encontre d'un mineur de quinze ans ou en bande organisée. L'amendement procède également à une harmonisation rédactionnelle. Sont visés ici les actes obscènes réalisés en direct devant la caméra, et non par commande avec un envoi ultérieur.
L'amendement COM-14 est adopté.
Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'article 1 er bis E alourdit les peines encourues pour le délit d'achat d'acte sexuel auprès d'un mineur. Cependant, la peine proposée - cinq ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende - est supérieure à celle qui est prévue en cas de circonstances aggravantes par l'article 225-12-2 du code pénal. L'amendement COM-15 vise donc à rétablir une cohérence dans l'échelle des peines, afin que la peine aggravée demeure supérieure à la peine prévue pour l'infraction simple.
L'amendement COM-15 est adopté.
Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-5 présenté par Valérie Boyer supprime la possibilité pour le juge de ne pas prononcer, par une décision spécialement motivée, la peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité au contact des mineurs.
En première lecture, nous avons adopté un amendement de Michel Savin prévoyant que le juge prononce, en cas d'infraction sexuelle sur mineur, cette peine complémentaire d'interdiction. L'adoption de l'amendement poserait un problème au regard du principe constitutionnel d'individualisation des peines. Je sais, madame Boyer, que vous n'aimez guère que l'on vous oppose les principes constitutionnels, mais cela pose ici un réel problème.
Mme Valérie Boyer . - Je ne partage pas votre appréciation. Le sujet n'est pas de s'opposer à un principe, mais d'aller dans le sens d'une plus grande protection.
Mme Marie Mercier , rapporteur . - Nous comprenons très bien votre souci de protection des mineurs, mais je maintiens que nous devons garantir la constitutionnalité du texte.
L'amendement COM-5 n'est pas adopté.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article
1
er
|
|||
Mme Valérie BOYER |
1 |
Suppression de l'écart d'âge de cinq ans |
Rejeté |
Mme Valérie BOYER |
2 |
Écart d'âge de trois ans |
Rejeté |
Mme Valérie BOYER |
3 |
Suppression de l'écart d'âge de cinq ans concernant le délit d'agression sexuelle |
Rejeté |
Mme Valérie BOYER |
4 |
Écart d'âge de trois ans pour le délit d'agression sexuelle |
Rejeté |
Mme Marie MERCIER, rapporteur |
8 |
Précision concernant la contrepartie proposée au mineur en échange d'un acte sexuel |
Adopté |
Mme BENBASSA |
6 |
Crime de viol incestueux constitué en cas d'acte de pénétration sexuelle commis par un membre de la famille |
Rejeté |
Mme Marie MERCIER, rapporteur |
9 |
Suppression d'une disposition redondante |
Adopté |
Mme BENBASSA |
7 |
Élargissement de la définition de l'atteinte sexuelle incestueuse |
Rejeté |
Article
1
er
bis
BA (nouveau)
|
|||
Mme Marie MERCIER, rapporteur |
10 |
Protection étendue à tous les mineurs et coordination |
Adopté |
Article
1
er
bis
B
|
|||
Mme Marie MERCIER, rapporteur |
11 |
Rédactionnel |
Adopté |
Mme Marie MERCIER, rapporteur |
12 |
Suppression de l'exception introduite en cas de pression sur le mineur |
Adopté |
Mme Marie MERCIER, rapporteur |
13 |
Coordination concernant les atteintes incestueuses |
Adopté |
Article
1
er
bis
C (nouveau)
|
|||
Mme Marie MERCIER, rapporteur |
14 |
Protection étendue à tous les mineurs |
Adopté |
Article 1
er
bis
E (nouveau)
|
|||
Mme Marie MERCIER, rapporteur |
15 |
Mise en cohérence de l'échelle des peines |
Adopté |
Article 7
|
|||
Mme Valérie BOYER |
5 |
Suppression de la possibilité pour le juge de ne pas prononcer la peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité au contact des mineurs |
Rejeté |