TITRE III
DISPOSITIONS DIVERSES
Article 46
Extension du droit
d'opposition de Tracfin
L'article 46 tend à prévoir l'élargissement du droit d'opposition de la cellule de renseignement financier Tracfin à une série d'opérations.
La commission a adopté l'article en supprimant la restriction de la responsabilité des entités assujetties ajoutée en commission spéciale à l'Assemblée nationale.
1. L'exercice de son droit d'opposition par Tracfin est aujourd'hui générateur de lourdeurs administratives
Tracfin, qui figure parmi les services de renseignement dits « du premier cercle » 484 ( * ) , constitue la cellule de renseignement financier nationale . Créée en 1990 485 ( * ) , cette cellule placée auprès du ministre de l'économie et des finances dispose de prérogatives étendues qu'elle mobilise dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).
Ses prérogatives s'articulent pour l'essentiel autour de deux axes :
- un droit de communication d'informations 486 ( * ) , qui s'applique en premier lieu aux entités assujetties 487 ( * ) au cadre de la LCB-FT 488 ( * ) , mais également à certaines autorités publiques 489 ( * ) ;
- un droit d'opposition .
Ce droit, prévu à l'article L. 561-24 du code monétaire et financier, peut être exercé par Tracfin à l'endroit d'une opération qui n'a pas encore été exécutée par notification à l'entité assujettie en charge de ladite opération. Dans ce cas de figure, « l'opération est reportée d'une durée de dix jours ouvrables à compter du jour d'émission de la notification de cette opposition ». Comme le précise l'étude d'impact du projet de loi, ce délai permet à Tracfin d'élaborer une note d'information qu'il transmet à l'autorité judiciaire, qui peut elle-même saisir les fonds dans ce délai par une ordonnance de saisie pénale. Pendant toute la durée de la procédure, l'entité assujettie en charge de l'exécution de l'opération est tenue au secret : elle ne peut, à peine de sanctions, « porter à la connaissance de quiconque les informations provenant de l'exercice par » Tracfin de son droit d'opposition 490 ( * ) .
Auditionnée par les rapporteures, Maryvonne Le Brignonen, directeur de Tracfin, a rappelé l'usage parcimonieux qui est fait de cette procédure . Tracfin a ainsi exercé son droit d'opposition à 7 reprises en 2018, 11 en 2019 et 50 en 2020 : cette hausse sur l'année écoulée est néanmoins à replacer dans le contexte de « la mobilisation du service sur la lutte contre la fraude au dispositif de chômage partiel mis en place à l'occasion de de la crise sanitaire » 491 ( * ) , génératrice d'un surcroît d'activité. En 2019, le droit d'opposition de Tracfin a ainsi été exercé sur 0,011 % du total des déclarations de soupçon émises par les entités assujetties et a représenté 0,29 % des notes de transmissions judiciaires, administratives et en renseignement 492 ( * ) . Concrètement, ce droit s'exerce dans des conditions spécifiques, en particulier « dans les cas où il existe des risques immédiats de disparition des fonds suspects identifiés (retraits en liquide, transferts vers des pays étrangers peu ou faiblement coopératifs, etc .) 493 ( * ) . »
Bien qu'elle soit jugée efficace, la procédure d'opposition se caractérise néanmoins par sa lourdeur administrative , tant pour les services de Tracfin que les entités assujetties concernées. Ainsi, Tracfin ne peut exercer son droit d'opposition qu'à l'égard d'une seule opération à la fois ; le service ne peut l'exercer à l'endroit d'un groupe d'opérations liées, ce qui est générateur de difficultés :
- pour Tracfin , qui est tenu de lancer la procédure pour chacune des opérations concernées et pour qui la démultiplication des procédures présente un risque de déperdition d'information 494 ( * ) ;
- pour les entités assujetties concernées , qui doivent effectuer une déclaration de soupçon pour chacune des opérations concernées, ce qui représente un coût de traitement non négligeable.
2. Une simplification administrative bienvenue
L'article 46 du présent projet de loi prévoit ainsi à titre principal la possibilité pour Tracfin d'exercer son droit d'opposition à l'encontre d'un groupe d'opérations liées . Il prévoit que l'opposition formée par Tracfin « peut également s'étendre par anticipation à l'exécution de toute autre opération liée à celle ayant fait l'objet de la déclaration ou de l'information et portant sur les sommes inscrites dans les livres » de l'entité assujettie.
Au-delà des coordinations nécessaires, l'article 46 du présent projet de loi procède à deux autres modifications significatives . En premier lieu, il prévoit une dérogation au principe de confidentialité , pour l'entité assujettie exécutant l'opération, sur l'opposition formée par Tracfin. Tenue au secret sur l'opposition exercée, l'entité assujettie serait autorisée à révéler l'exercice de ce droit, lorsqu'une action en responsabilité civile, commerciale ou pénale est engagée à son endroit, à l'autorité judiciaire . Celle-ci pourrait en demander confirmation à Tracfin. Cette dérogation à la confidentialité du droit d'opposition semble proportionnée et à même de sécuriser le cadre juridique dans lequel évoluent les entités assujetties.
En second lieu, il aménage les conditions de l'engagement de la responsabilité des entités assujetties en prévoyant que lorsqu'une ou plusieurs opérations ne sont pas exécutées consécutivement à l'exercice par Tracfin de son droit d'opposition, « la personne chargée des opérations est dégagée de toute responsabilité » . En d'autres termes, dans le cas où le client de l'entité assujettie ayant reporté l'opération en application du droit d'opposition de Tracfin souhaiterait former une action en responsabilité à l'encontre de l'entité assujettie, celle-ci ne pourrait pas voir sa responsabilité engagée.
Issues d'un amendement en commission spéciale 495 ( * ) à l'Assemblée nationale, ces modifications semblent bienvenues en ce qu'elles permettent de sécuriser juridiquement l'action des entités assujetties : celles-ci évolueraient ainsi dans un cadre juridique leur permettant de ne pas être inquiétées lorsqu'elles procèdent à des déclarations de soupçon.
3. Garantir une pleine implication des entités assujetties
Lors de son examen en commission spéciale à l'Assemblée nationale, l'article 46 du présent projet de loi a néanmoins été modifié pour préciser que, lorsque Tracfin exerce son droit d'opposition, les entités assujetties ne sont tenues de procéder au report de l'opération que « sous réserve qu'il soit possible de surseoir à [son] exécution, dans des conditions définies par décret » 496 ( * ) . Cet ajout entendait répondre à divers cas dans lesquels il ne serait pas possible aux entités assujetties de surseoir à l'exécution d'une opération (paiements par carte bancaire ou par chèque).
Un tel ajout, au sein d'un article visant à sécuriser et favoriser l'exercice par Tracfin de son droit d'opposition en collaboration avec les entités assujetties concernées, semble pour le moins paradoxal . Le cadre juridique préexistant s'étendait déjà à des opérations telles que les paiements par carte bancaire ou par chèque, sans que cela constitue une difficulté particulière. L'ajout de cette précision semble ainsi poser le risque d'une fragilisation du dispositif . Il ne semble pas souhaitable d'en amoindrir la portée dans un article dont la visée est précisément de renforcer ce cadre juridique.
La commission a donc adopté des amendements identiques COM-367 des rapporteures, COM-409 d'Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances, et COM-2 rect. de Nathalie Goulet tendant à supprimer l'ajout de cette conditionnalité . Elle a ainsi entendu réaffirmer les prérogatives de Tracfin et faciliter l'exercice par celui-ci de son droit d'opposition, en collaboration avec les entités assujetties concernées.
La commission a adopté l'article 46 ainsi modifié .
Article 46 bis (nouveau)
Extension des missions des conseils locaux de
sécurité
et de prévention de la délinquance
à la prévention de la radicalisation
Introduit en commission à l'initiative de Jean Sol et de plusieurs de ses collègues, l'article 46 bis du présent projet de loi tend à étendre à la prévention de la radicalisation les missions des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.
Le rôle du maire dans la prévention de la délinquance est affirmé et détaillé aux articles L. 132-1 à L. 132-7 du code de la sécurité intérieure. Il comprend notamment la présidence, dans les communes de plus de 10 000 habitants et dans les communes comprenant un quartier prioritaire de la politique de la ville, d'un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) 497 ( * ) . Au titre de l'article L. 132-12 du même code, lorsqu'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre « exerce la compétence relative aux dispositifs locaux de prévention de la délinquance », son président peut également présider un conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance (CISPD).
Les CLSPD et CISPD ont pour but de faire dialoguer les acteurs locaux de la prévention de la délinquance . Ils comprennent 498 ( * ) :
- le préfet de département et le procureur de la République, ou leurs représentants ;
- le président du conseil départemental, ou son représentant ;
- des représentants des services de l'État désignés par le préfet de département ;
- le cas échéant, le président de l'EPCI à fiscalité propre compétent en matière de dispositifs locaux de prévention de la délinquance et auquel la commune appartient, ou son représentant ;
- des « représentants d'associations, établissements ou organismes oeuvrant notamment dans les domaines de la prévention, de la sécurité, de l'aide aux victimes, du logement, des transports collectifs, de l'action sociale ou des activités économiques, désignés par le président du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance après accord des responsables des organismes dont ils relèvent ».
Leurs attributions sont précisées à l'article D. 132-7 du code de la sécurité intérieure. Ainsi, en tant que « cadre de concertation sur les priorités de la lutte contre l'insécurité et de la prévention de la délinquance dans la commune », le CLSPD ou CISPD dispose de trois attributions distinctes :
- favoriser « l'échange d'informations entre les responsables des institutions et organismes publics et privés concernés et définir des objectifs communs pour la préservation de la sécurité et de la tranquillité publiques » ;
- assurer « l'animation et le suivi du contrat local de sécurité lorsque le maire et le préfet de département, après consultation du procureur de la République et avis du conseil, ont estimé que l'intensité des problèmes de délinquance sur le territoire de la commune justifiait sa conclusion » ;
- être consulté sur « la définition, la mise en oeuvre et l'évaluation des actions de prévention de la délinquance prévues dans le cadre de la contractualisation entre l'État et les collectivités territoriales en matière de politique de la ville ».
Enfin, en fonction de la situation locale , « les compétences du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (...) peuvent s'étendre aux actions de prévention de la radicalisation définies conjointement avec le représentant de l'État ».
L'article 46 bis du présent projet de loi, introduit en commission à l'initiative de Jean Sol et de plusieurs de ses collègues par l'adoption de l'amendement COM-148 rect. , tend à étendre systématiquement les missions des CLSPD et CISPD à la prévention de la radicalisation en modifiant leur dénomination. Au regard du caractère diffus des phénomènes de radicalisation, il semble pleinement pertinent qu'une telle mission ne soit pas exercée en fonction de la situation locale mais par chaque CLSPD ou CISPD.
La commission a adopté l'article 46 bis ainsi rédigé .
* 484 Cette appellation désigne la faculté pour les services concernés de mettre en oeuvre des techniques de renseignement. On dénombre généralement six services, au sein de la communauté française du renseignement, dits « du premier cercle » : la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), la direction du renseignement militaire (DRM), la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et Tracfin.
* 485 Décret du 9 mai 1990 portant création d'une cellule de coordination chargée du traitement du renseignement et de l'action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN).
* 486 Au-delà de ce droit de communication, les entités assujetties sont soumises à des obligations de déclaration et d'information, dont la principale est celle d'adresser à Tracfin des déclarations de soupçon lorsqu'une opération le justifie, au titre de l'article L. 561-15 du code monétaire et financier.
* 487 Ces catégories d'entités sont limitativement énumérées à l'article L. 561-2 du code monétaire et financier.
* 488 Ce droit est pour l'essentiel prévu aux articles L. 561-25 et L. 561-25-1 du code monétaire et financier, ce dernier article prévoyant un régime spécifique pour les avocats.
* 489 Ce droit de communication est prévu à l'article L. 561-27 du code monétaire et financier.
* 490 Dernier alinéa du I de l'article L. 561-24 du code monétaire et financier.
* 491 Étude d'impact du projet de loi, p. 390.
* 492 D'après les données fournies dans l'étude d'impact.
* 493 Rapport annuel d'activité de Tracfin, 2019, p. 69.
* 494 Le service dépend pour ces opérations de la fiabilité d'une entité assujettie tenue de faire une déclaration de soupçon pour chaque opération concernée : dans le cas où l'entité assujettie ne procèderait pas à la déclaration de soupçon pour chacune des opérations concernées, Tracfin pourrait « manquer » certaines opérations.
* 495 Amendement n° 1820 des rapporteurs, Sacha Houlié et Florent Boudié.
* 496 Amendement n° 1830 des rapporteurs, Sacha Houlié et Florent Boudié.
* 497 Article L. 132-4 du code de la sécurité intérieure.
* 498 Leur composition est prévue à l'article D. 132-8 du code de la sécurité intérieure.