II. RENFORCER LE CONTINUUM DE SECURITÉ
La proposition de loi aborde la question du continuum de sécurité au travers de plusieurs thématiques.
1. Une expérimentation pour renforcer le rôle des polices municipales
Le premier volet du projet de loi, qui comprend 12 articles à l'issue des travaux de l'Assemblée nationale, vise à accompagner la montée en puissance des polices municipales et à élargir leur champ d'action, avec pour objectif de favoriser l'émergence d'un véritable continuum de sécurité.
Pour ce faire, il est tout d'abord proposé de procéder, à titre expérimental et dans certaines communes sélectionnées par le ministère de l'intérieur et le ministère de la justice, à un élargissement de leurs prérogatives judiciaires (article 1 er ). L'expérimentation, lancée pour une période de trois ans, permettrait notamment :
- d'autoriser les agents de police municipale, dont le rôle est aujourd'hui cantonné à la constatation de contraventions, à constater certains délits (vente à la sauvette ; conduite sans permis ou sans assurance ; consommation de stupéfiants ; occupation illégale d'un terrain communal à des fins d'habitation ; destruction, dégradation ou détérioration d'un bien d'autrui, notamment) ;
- d'étendre le champ des actes d'enquête ouverts aux agents de police municipale (relevé d'identité, saisies des biens ayant servi à la commission de l'infraction ou du produit de l'infraction).
Cette expérimentation répond à une demande forte d'une partie des maires et vise à améliorer la réponse pénale sur la délinquance du quotidien, que policiers et gendarmes peinent aujourd'hui à traiter.
Parallèlement au lancement de cette expérimentation, d'autres dispositions du projet de loi apportent des évolutions conséquentes en matière d'organisation et de fonctionnement de la police municipale. En particulier :
- l'article 4 crée le cadre juridique permettant la mise en place d'une police municipale à Paris (article 4) ;
- des articles facilitent la mutualisation des polices municipales et des équipements de vidéo protection (articles 5 et 20 bis A) ;
- l'article 6 bis permettrait de sécuriser, sur le plan juridique, les brigades cynophiles de police municipale ;
- l'article 6 instituerait un engagement de servir la commune ou l'EPCI qui a pris en charge la formation de l'agent de police municipal.
2. Mieux structurer le secteur de la sécurité privée
La proposition de loi comporte vingt-deux articles relatifs au secteur de la sécurité privée. La sécurité privée regroupe différents métiers régis par le livre VI du code de la sécurité intérieure : surveillance humaine et gardiennage, surveillance à distance par des systèmes électroniques (alarmes), transport de fonds, protection physique des personnes (gardes du corps), protection des navires, agences de recherche privées (détectives privés), ainsi que la formation à ces métiers.
Des responsabilités distinctes de celles des forces de sécurité intérieure
La jurisprudence administrative et constitutionnelle a eu l'occasion de délimiter le champ d'intervention des agents de sécurité privée.
Dès 1932, le Conseil d'État a souligné que les pouvoirs de police municipale ne se délèguent pas et qu'ils ne peuvent donc être confiés à une fédération de propriétaires privés. Dans une décision plus récente (Commune d'Ostricourt, 1997), il a jugé que des agents de surveillance et de gardiennage ne peuvent se voir confier une mission de surveillance des voies publiques de la commune.
En 2011, saisi de la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure 1 ( * ) , le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution une disposition qui aurait confié à des personnes privées, via un système de vidéoprotection, une mission de surveillance générale de la voie publique, estimant que l'article 12 de la Déclaration de 1789 interdit la délégation à une personne privée des compétences de police administrative générale inhérente à l'exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits.
En 2018 2 ( * ) , il a en revanche jugé conforme à la Constitution l'article L. 613-1 du code de la sécurité intérieure qui ouvre la possibilité de déléguer à des agents privés de sécurité des missions de surveillance de la voie publique à titre exceptionnel à l'intérieur de périmètres de protection. Il a constaté que les agents ne peuvent qu'assister les officiers de police judiciaire et qu'ils sont placés sous l'autorité d'un officier de police judiciaire. Il a ajouté qu'il appartient aux autorités publiques de prendre les dispositions afin de garantir continûment l'effectivité de ce contrôle.
Ce secteur a connu une importante montée en puissance depuis une trentaine d'années : il compte aujourd'hui environ 177 000 salariés et 11 500 entreprises, pour un chiffre d'affaires global de l'ordre de 7,5 milliards d'euros 3 ( * ) . Les activités de surveillance humaine et de gardiennage prédominent puisqu'elles assurent à elles seules 70 % du chiffre d'affaires du secteur.
Il souffre cependant de réelles fragilités : son émiettement (environ 8 000 entreprises sont unipersonnelles) et un fort turn-over (80% des contrats sont des CDD), qui nuisent à la qualité des prestations fournies. Les salaires sont bas, guère supérieurs au Smic, et les niveaux de qualification souvent faibles. Des dérives sont observées en matière de sous-traitance, avec un abus de la sous-traitance « en cascade » qui dilue les responsabilités et complique les contrôles que le donneur d'ordres est censé effectuer sur les services rendus par son prestataire.
En 2012, un établissement public administratif, le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), a été créé pour contribuer à professionnaliser et moraliser le secteur. Il n'est pas chargé d'assurer une régulation économique mais assume d'importantes fonctions de police administrative.
Le Conseil national des activités privées de sécurité
Il assume trois principales missions : une mission de police générale, puisqu'il délivre, suspend et retire les autorisations, agréments et cartes professionnelles nécessaires à l'exercice d'une activité de sécurité privée ; une mission disciplinaire, qui le conduit à infliger des sanctions aux entreprises, chefs d'entreprise et salariés en cas de manquement aux lois et règlements ou à leurs obligations professionnelles et déontologiques ; enfin, une mission de conseil et d'assistance à la profession.
Le CNAPS est dirigé par un conseil d'administration, appelé collège, composé de vingt-cinq membres dont huit professionnels de la sécurité privée. Le collège délibère sur les orientations générales de l'établissement, son budget et ses modalités de fonctionnement.
Des commissions locales d'agrément et de contrôle (CLAC) - sept en métropoles, quatre en outre-mer - sont chargées de délivrer les autorisations nécessaires à l'exercice de la profession et de prononcer les sanctions disciplinaires. Formation spécialisée du collège, la commission nationale d'agrément et de contrôle (CNAC) statue sur les recours formés contre les décisions des CLAC dans le cadre d'un recours administratif préalable obligatoire.
Les services du CNAPS sont dirigés par un directeur, nommé par décret sur proposition du ministre de l'Intérieur. Il est chargé de la gestion administrative et budgétaire de l'établissement et organise ses missions de contrôle, conformément aux orientations décidées par le collège. Il a autorité sur les services centraux du CNAPS ainsi que sur ses délégations territoriales, chargées de l'instruction des dossiers de demandes d'autorisation, d'agrément et de carte professionnelle et des contrôles. Au 31 décembre 2019, le CNAPS comptait 218 agents, dont un tiers de fonctionnaires et deux tiers de contractuels.
À l'approche de la Coupe du monde de rugby en 2023 et des Jeux Olympiques et paralympiques en 2024, la proposition de loi ambitionne de professionnaliser davantage le secteur, afin de mieux l'intégrer dans un véritable continuum de sécurité. Plusieurs leviers sont mobilisés à cette fin.
- D'abord, le texte entend encadrer le recours à la sous-traitance pour mettre fin aux dérives constatées dans les activités de surveillance et de gardiennage : le texte adopté par l'Assemblée nationale propose d'interdire à une entreprise de sous-traiter 50 % ou plus d'un marché ou d'un contrat et n'autorise que deux rangs de sous-traitance.
- Deuxième axe, le texte vise à renforcer les prérogatives du CNAPS en élargissant ses pouvoirs de sanction et de contrôle et en introduisant de nouvelles obligations d'agrément : ses agents pourraient ainsi constater par procès-verbal certaines infractions, des sanctions pécuniaires pourraient être appliquées aux salariés, les sanctions les plus graves pourraient être publiées sur le site internet du CNAPS, l'exigence d'agrément serait étendue aux dirigeants de succursales et aux chefs des services internes de sécurité des grandes entreprises. Le Gouvernement a par ailleurs demandé à être habilité à réformer par ordonnance les modalités d'organisation et de fonctionnement du CNAPS.
- Troisième axe , garantir la qualité du recrutement et de la formation des agents privés de sécurité : toute mention au bulletin n° 2 du casier judiciaire deviendrait incompatible avec un emploi dans la sécurité privée ; pour les ressortissants étrangers, seraient exigées une attestation de maîtrise de la langue française, une durée de séjour régulier sur le territoire national d'au moins cinq ans et une connaissance des valeurs de la République ; la validation des acquis de l'expérience (VAE) ne permettrait plus d'obtenir les certifications requises pour obtenir une carte professionnelle ; le Gouvernement demande à être habilité à réformer par ordonnance les modalités de formation et de certification professionnelles.
- Dernier axe, apporter aux agents privés de sécurité plus de considération et une meilleure reconnaissance de leur travail : une nouvelle circonstance aggravante serait introduite dans le code pénal pour sanctionner plus lourdement les violences exercées à l'encontre de ou par les agents privés de sécurité ; sur un plan plus symbolique, est prévu l'ajout d'éléments d'identification communs sur les tenues afin de renforcer le sentiment d'appartenance à une profession ; pour favoriser un meilleur respect de la législation sociale, le CNAPS serait autorisé à constater les infractions de travail illégal.
En contrepartie de ces contrôles et exigences nouveaux, le texte envisage de confier de nouvelles responsabilités aux agents privés de sécurité , mais de manière très ponctuelle : ils seraient ainsi autorisés, aux abords des biens dont ils ont la garde, à détecter les drones et à conduire des missions de surveillance sur la voie publique contre les actes terroristes ; l'activité cynotechnique de pré-détection d'explosifs leur serait ouverte avec une nouvelle exigence de certification.
3. Moderniser et renforcer les moyens d'action de nos forces de sécurité
Cette partie du texte vise d'abord à donner les moyens aux forces de sécurité de mieux tirer parti des nouvelles technologies de captation des images.
Le recours à la vidéoprotection « classique », par caméras fixes, est encouragé en facilitant la transmission de ces images vers les policiers municipaux [article 20] ou les forces de sécurité (par ex. : pour mieux lutter contre les incivilités dans les halls d'immeubles [article 20 bis] ; pour assurer la sécurité des transports urbains [article 20 ter]).
Concernant ensuite les caméras mobiles ou « caméras piéton » qui équipent désormais la police, la gendarmerie mais aussi les polices municipales, le texte assouplit également leur usage [article 21] : il permet la transmission en direct des vidéos vers les centres de commandement en cas de danger ; il autorise le visionnage immédiat des images pendant l'intervention ; et il permettrait désormais aux forces de sécurité de participer à une véritable « guerre médiatique » en diffusant les images de leurs propres interventions directement dans les médias ou sur les réseaux sociaux.
Concernant les caméras aéroportées (ou « drones » ) [article 22], le texte crée une nouvelle base légale spécifique pour mettre fin aux incertitudes juridique nées après deux décisions du Conseil d'État et une sanction de la CNIL ayant interdit leur usage pour des finalités d'ordre public. Une base juridique similaire pour les caméras embarquées dans des véhicules [article 22 bis] est également prévue.
Quelques dispositions concernent en outre la protection des forces de l'ordre. Outre l'article 24, l'article 23 entend supprimer les remises automatiques de peines pour les auteurs d'infractions contre plusieurs catégories d'agents publics.
Enfin des dispositions diverses abordent notamment la lutte contre l'usage détourné des mortiers de feux d'artifice à l'encontre des forces de l'ordre.
* 1 Décision n° 2011-625 du DC du 10 mars 2011, considérant 19.
* 2 Décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, paragraphe 27.
* 3 Chiffre 2018.