Rapport n° 359 (2020-2021) de M. Philippe FOLLIOT , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 10 février 2021
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L'ESSENTIEL
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I. LES CONSÉQUENCES DE L'ARRÊT ACHMEA
POUR LES INVESTISSEMENTS RÉALISÉS AU SEIN DE L'UNION
EUROPÉENNE
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II. LES STIPULATIONS DE L'ACCORD PORTANT EXTINCTION
DES TRAITÉS BILATÉRAUX D'INVESTISSEMENT ENTRE ÉTATS
MEMBRES DE L'UNION EUROPÉENNE
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I. LES CONSÉQUENCES DE L'ARRÊT ACHMEA
POUR LES INVESTISSEMENTS RÉALISÉS AU SEIN DE L'UNION
EUROPÉENNE
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EXAMEN EN COMMISSION
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LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
N° 359
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021
Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 février 2021
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi (procédure accélérée) autorisant la ratification de l' accord portant extinction des traités bilatéraux d' investissement entre États membres de l' Union européenne ,
Par M. Philippe FOLLIOT,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Olivier Cigolotti, Robert del Picchia, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Philippe Paul, Hugues Saury , secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, Gérard Poadja, Mme Isabelle Raimond-Pavero, MM. Stéphane Ravier, Bruno Sido, Rachid Temal, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard, Richard Yung .
Voir les numéros :
Sénat : |
273 et 360 (2020-2021) |
L'ESSENTIEL
Dans son arrêt du 6 mars 2018 - dit arrêt « Achmea » -, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a jugé que les clauses d'arbitrage entre États et investisseurs, présentes dans les traités bilatéraux d'investissement conclus entre États membres, étaient contraires au droit de l'Union.
Pour mettre en oeuvre cet arrêt, la France et vingt-deux autres États membres ont signé, le 5 mai 2020, un accord portant extinction desdits traités. Cet accord met donc un terme aux traités bilatéraux d'investissement conclus par la France avec d'autres États membres de l'Union européenne, ainsi qu'à l'ensemble des traités bilatéraux d'investissement intra-européens liant les autres États membres signataires.
Le présent accord contient des dispositions relatives aux procédures d'arbitrage intentées sur le fondement de ces traités bilatéraux, qui ne pourront plus être invoqués pour initier de nouveaux contentieux. En revanche, les procédures d'arbitrage intentées et réglées avant le 6 mars 2018 ne seront pas affectées.
L'accord instaure des mesures transitoires pour les différends faisant l'objet de procédures d'arbitrage en cours. Ces procédures pourront, sous conditions, être réglées à l'amiable dans le cadre d'un mécanisme ad hoc de dialogue structuré, ou être tranchées par les juridictions nationales des États mis en cause.
À la lumière de ces éléments, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté ce projet de loi , dont le Sénat est saisi en premier.
I. LES CONSÉQUENCES DE L'ARRÊT ACHMEA POUR LES INVESTISSEMENTS RÉALISÉS AU SEIN DE L'UNION EUROPÉENNE
Afin d'offrir une protection renforcée aux investissements réalisés à l'étranger par nos entreprises, la France a conclu une centaine d'accords bilatéraux de protection des investissements avec, le plus souvent, des pays en développement désireux d'attirer sur leur sol des investissements directs étrangers (IDE), parmi lesquels des États d'Europe centrale et orientale qui ont, depuis, intégré l'Union européenne (UE) 1 ( * ) .
Pour prémunir les entreprises contre tout risque de nature politique, ces accords prévoient, d'une part, que le pays hôte réservera un traitement juste et équitable aux investisseurs de l'autre partie, et d'autre part, un accès à un mode alternatif de règlement des différends tel que l'arbitrage, généralement placé sous l'égide du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) ou du Règlement d'arbitrage de la commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI).
A. LES ÉLARGISSEMENTS DE L'UNION EUROPÉENNE ONT REMIS EN CAUSE LES TRAITÉS BILATÉRAUX D'INVESTISSEMENT CONCLUS ENTRE ÉTATS MEMBRES
1. Des traités bilatéraux dénoncés par les nouveaux États membres, avec le soutien de la Commission européenne
L'adhésion des pays précités à l'UE, postérieure à la conclusion desdits accords, a inévitablement soulevé la question de la compatibilité des accords d'investissement avec le droit de l'Union. Aussi la République tchèque a-t-elle, pour la première fois, remis en cause la conformité au droit européen d'un accord bilatéral conclu avec les Pays-Bas, qui a servi de fondement à une procédure d'arbitrage intentée à son encontre par l'entreprise néerlandaise Eastern Sugar B.V .
D'autres États membres, principalement d'Europe de l'Est - qui sont les plus fréquemment mis en cause dans le cadre de contentieux investisseur-État intra-européens -, ont également dénoncé la compatibilité des traités bilatéraux d'investissement avec le droit de l'UE, qui, selon eux, ont cessé d'exister avec leur adhésion à l'Union.
La Commission européenne a pris position en faveur de ces États, faisant valoir que ces accords n'avaient plus lieu d'être au sein du marché intérieur. Elle est ainsi intervenue en qualité d' amicus curiae dans le cadre de plusieurs contentieux opposant des États membres à des investisseurs, et a envisagé des solutions alternatives au mécanisme de règlement des différends prévu par les accords bilatéraux intra-UE, afin d'en obtenir le démantèlement.
Ses démarches n'ont pas obtenu les effets escomptés compte tenu des divisions entre les États membres sur ce sujet ; seuls quelques accords ont été volontairement dénoncés.
Fin 2019, le nombre de litiges entre États membres et investisseurs intra-UE était d'environ 150 ; plus de la moitié de ces contentieux ont été engagés sur le fondement des traités bilatéraux d'investissement (TBI). Il apparaît que ces litiges opposent, le plus souvent, des États membres issus des derniers élargissements de l'Union européenne (République tchèque, Pologne, Hongrie, Slovaquie, etc. ) à des investisseurs originaires des pays de l'« Europe des 15 » (en particulier les Pays-Bas, le Luxembourg et la France). Il est à noter qu'à ce jour, la France n'a jamais agi en qualité de partie défenderesse dans le cadre d'un contentieux engagé sur le fondement de ces accords qui, par ailleurs, ont été invoqués à une quarantaine de reprises par des investisseurs français contre des pays tiers à l'Union européenne.
2. La Cour de justice de l'Union européenne a consacré le principe de primauté du droit de l'Union...
En 2015, la Commission européenne a décidé de relancer les démarches préalables à l'introduction de recours en manquement engagées contre les États membres disposant toujours d'accords d'investissement intra-européens. À cette fin, des demandes d'information ( « EU Pilot » ) ont été transmises à 21 États membres, dont la France, alors que 5 autres États membres qui avaient déjà franchi cette étape préalable (Autriche, Suède, Roumanie, Slovaquie et Suède) se voyaient notifier des mises en demeure en vue d'une éventuelle saisine de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Toutefois, ces démarches précontentieuses ont été privées d'objet puisque la Cour de Luxembourg a été saisie d'une question préjudicielle l'interrogeant sur la compatibilité des accords bilatéraux de protection des investissements conclus entre États membres, au regard du droit de l'Union.
En effet, après l'ouverture du marché de l'assurance maladie privée réalisée par la République slovaque en 2004, la société néerlandaise Achmea a investi 70 millions d'euros dans le secteur. À la suite du changement de gouvernement intervenu en 2006, diverses mesures ont été adoptées afin de revenir, partiellement, sur la libéralisation de ce marché.
Estimant que ces mesures constituaient une violation du TBI conclu, en 1991, entre les Pays-Bas et la Tchécoslovaquie - à laquelle la République slovaque a succédé -, la société Achmea a formulé une demande d'arbitrage à l'encontre de l'État slovaque tendant à la réparation du préjudice subi.
Après avoir rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la République slovaque au motif que le TBI était incompatible avec le droit de l'Union et ne pouvait, dès lors, pas être appliqué, le tribunal arbitral siégeant à Francfort a fait droit à la demande d'Achmea et a condamné l'État slovaque à lui verser des dommages et intérêts d'un montant de 22 millions d'euros. La République slovaque a contesté cette sentence arbitrale devant diverses juridictions allemandes, jusqu'à la Cour fédérale de justice 2 ( * ) , qui a alors posé trois questions préjudicielles à la CJUE visant à déterminer si le TBI en question était ou non compatible avec le droit de l'UE.
La Cour a fondé la solution retenue sur un raisonnement en trois temps :
- dans un premier temps , elle a examiné l'article 8 du TBI traitant du droit applicable. Elle a relevé que cet article impose au tribunal arbitral de tenir compte du droit de l'État contractant mis en cause - en l'espèce, le droit slovaque -, des dispositions du traité lui-même, ainsi que de tout autre accord pertinent entre les États contractants, des dispositions d'accords spéciaux relatifs à l'investissement et des principes généraux du droit international. Elle en a déduit que le droit de l'UE était applicable par le tribunal arbitral à la fois parce qu'il fait partie du droit slovaque (le droit de l'UE étant intégré aux ordres juridiques nationaux), et parce qu'il résulte de traités auxquels les deux États en cause sont parties ;
- dans un deuxième temps , la Cour a cherché à déterminer si le tribunal arbitral pouvait être considéré comme une juridiction de l'un des États membres au sens de l'article 267 du TFUE, faute de quoi il ne disposait pas de la faculté de poser des questions préjudicielles à la CJUE. D'après elle, tel n'était pas le cas puisque le tribunal n'est ni une juridiction d'un État membre, ni une juridiction commune à plusieurs d'entre eux ;
- enfin, dans un troisième temps , la Cour s'est demandé si le contrôle exercé sur la sentence par les juridictions des États membres était de nature à garantir le respect du droit européen. Elle a estimé que ce contrôle était insuffisant au regard de plusieurs éléments : le fait que le tribunal choisisse son siège et donc l'étendue du contrôle sur la sentence à venir ; le caractère limité du contrôle dans les États de l'Union portant essentiellement sur la validité de la convention d'arbitrage et le respect de l'ordre public ; le nombre de cas très réduit d'annulations de sentences arbitrales en Allemagne qui est réputée favorable à l'arbitrage. Elle en a conclu que ce mécanisme de résolution des différends ne permettait pas de trancher ces litiges tout en garantissant la pleine efficacité du droit de l'Union, alors même que ce droit était applicable.
Ainsi, dans son arrêt du 6 mars 2018 3 ( * ) , la CJUE a jugé que « les articles 267 et 344 TFUE [traité sur le fonctionnement de l'Union européenne] [...] s'opposent à une disposition contenue dans un accord international conclu entre les États membres, [...] aux termes de laquelle un investisseur de l'un de ces États membres peut, en cas de litige concernant des investissements dans l'autre État membre, introduire une procédure contre ce dernier État membre devant un tribunal arbitral, dont cet État membre s'est obligé à accepter la compétence » .
Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE)
Article 267
La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :
a) sur l'interprétation des traités,
b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.
Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.
Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.
Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais.
Article 344
Les États membres s'engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l'interprétation ou à l'application des traités à un mode de règlement autre que ceux prévus par ceux-ci.
En conséquence, la Cour de Luxembourg a estimé :
- que la clause d'arbitrage de l'accord litigieux prévoyait, de manière explicite, que le différend soit soumis au tribunal arbitral du droit national de l'État membre partie au litige, ce qui incluait nécessairement le droit de l'Union européenne ;
- que le tribunal arbitral devant régler le différend se situait en dehors du système juridictionnel de l'UE et que, n'étant pas une juridiction d'un État membre ou une juridiction commune à plusieurs d'entre eux, il n'avait pas la capacité de saisir la CJUE à titre préjudiciel ;
- et que le contrôle des sentences arbitrales rendues par un tel tribunal était restreint.
Pour toutes ces raisons, la CJUE a considéré, d'une part, que l'autonomie et la pleine efficacité du droit de l'Union européenne n'étaient pas pleinement garanties dans ce contexte, et d'autre part, que la clause d'arbitrage remettait en question le principe de confiance mutuelle sur lequel repose le droit européen, ce qui implique que les juridictions nationales sont réputées impartiales même lorsqu'il s'agit de trancher des litiges entre l'État dont elles relèvent et un ressortissant étranger 4 ( * ) .
3. ...rendant inapplicables les clauses d'arbitrage contenues dans lesdits traités
Il résulte de l'arrêt précité que les clauses d'arbitrage entre investisseurs et États, contenues dans les traités bilatéraux d'investissement conclus entre États membres, sont contraires au droit de l'Union européenne et donc inapplicables.
Aussi les États membres se sont-ils engagés, conformément aux obligations qui leur incombent, à mettre un terme à tous les TBI conclus entre eux, et à prendre des dispositions s'agissant des procédures d'arbitrage entre investisseurs et États intentées sur le fondement de ces traités.
B. LES RÉPONSES APPORTÉES PAR LES ÉTATS MEMBRES
Afin de mettre en oeuvre l'arrêt Achmea , la Commission européenne et les États membres ont retenu une approche en deux temps : une déclaration politique signalant les conséquences juridiques de l'arrêt aux investisseurs et aux tribunaux arbitraux saisis de litiges intra-européens, puis un accord plurilatéral conclu entre les États membres pour organiser le démantèlement coordonné des TBI en vigueur.
1. Les déclarations politiques de janvier 2019
Après des négociations difficiles, trois déclarations politiques ont été rendues publiques.
Le 15 janvier 2019, 22 États membres 5 ( * ) , dont la France, ont adopté une déclaration politique relative aux conséquences juridiques de l'arrêt Achmea , dans laquelle les États signataires :
- s'engagent à informer les tribunaux arbitraux saisis de litiges intra-européens fondés sur des accords bilatéraux ou sur le Traité sur la charte de l'énergie (TCE) des conséquences de l'arrêt ;
- enjoignent aux investisseurs de ne plus engager de nouvelles procédures d'arbitrage sur la base de ces accords ;
- s'engagent à garantir, une protection juridictionnelle effective aux investisseurs, sous le contrôle de la CJUE ;
- soulignent que les sentences arbitrales définitives et déjà exécutées à la date de l'arrêt Achmea - soit au 6 mars 2018 - ne peuvent être remises en cause ;
- affirment leur engagement à finaliser, si possible avant le 6 décembre 2019, les modalités de dénonciation des accords d'investissement intra-européens, via un accord plurilatéral ou des dénonciations bilatérales ;
- s'engagent à examiner au plus vite les conséquences de l'arrêt Achmea sur l'application intra-européenne du TCE.
Pour ces États membres, de même que pour la Commission européenne, le but et l'objet du TCE était de régir, dans le domaine du commerce et de l'investissement dans le secteur énergétique, les relations entre l'Union européenne et ses États membres d'une part, et entre l'UE et des pays tiers d'autre part, de sorte que la clause de règlement des différends investisseur-État de ce traité ne devrait pas être interprétée comme étant applicable entre deux États membres de l'Union. L'application du TCE entre deux États membres est donc considérée comme contraire au droit de l'Union pour les motifs retenus par la CJUE dans l'arrêt Achmea , qui sont transposables mutatis mutandis au cas de figure du TCE.
Parallèlement, les États qui ne souhaitaient pas s'avancer sur le sort réservé au TCE avant que la Cour ne se prononce 6 ( * ) , ont adopté, séparément, deux déclarations :
- le 16 janvier 2019, un groupe de 5 États membres (Finlande, Luxembourg, Malte, Slovénie et Suède) a adopté une déclaration présentant une analyse alternative des conséquences de l'arrêt Achmea du point de vue du droit international et sur les procédures fondées sur le TCE. Ces États s'engagent à dénoncer les accords bilatéraux d'investissement et à assurer les interventions nécessaires devant les tribunaux arbitraux ;
- à la même date, la Hongrie s'est publiquement opposée à l'application de l'arrêt Achmea au mécanisme d'arbitrage investisseur-État du TCE, tout en rejoignant les États membres majoritaires s'agissant de la description des effets de l'arrêt sous l'angle du droit international public et les autres engagements relatifs aux TBI intra-UE.
2. L'accord plurilatéral du 5 mai 2020
En raison, d'une part, de l'opposition persistante de certains États membres sur la question du sort devant être réservé au TCE, et d'autre part, du souhait de parvenir à un texte aussi consensuel que possible, le projet d'accord plurilatéral ne couvre finalement que les accords bilatéraux de protection des investissements intra-européens et les procédures d'arbitrage, achevées, pendantes ou postérieures à l'arrêt Achmea , intentées sur leur fondement.
La Suède et la Finlande n'ont pas approuvé la rédaction proposée, non plus que le Royaume-Uni, dans le contexte du Brexit. Après avoir marqué leur accord de principe sur le projet final d'accord, l'Irlande - qui n'avait pas conclu d'accords bilatéraux d'investissement - et l'Autriche ont finalement renoncé à le signer.
C. LES CONSÉQUENCES DE L'ACCORD SONT DIFFICILES À ÉVALUER
À la suite de l'arrêt Achmea , les investisseurs, personnes physiques ou morales, originaires d'un État membre de l'Union européenne, ne devraient plus se prévaloir des clauses d'arbitrage des accords bilatéraux d'investissement intra-européens, qui seront formellement dénoncés par le présent accord.
Cet accord ne comprend pas de dispositions substantielles comparables à celles des accords bilatéraux. Néanmoins, les investissements réalisés au sein du marché intérieur continueront de bénéficier des garanties juridiques offertes par le droit national des États membres et par les libertés fondamentales (libre circulation des capitaux, liberté d'établissement) et les principes généraux du droit de l'Union (non-discrimination, proportionnalité, confiance légitime, sécurité juridique) mis en exergue par l'accord. Le respect et la mise en oeuvre de ces garanties juridiques sont assurés par les juridictions des États membres et par la Cour de justice de l'Union européenne, à travers la procédure de renvoi préjudiciel ou par le biais des recours en manquement dans le cadre des procédures d'infraction pouvant être diligentées par la Commission européenne.
1. Les conséquences économiques
Les décisions d'investissement résultent de plusieurs facteurs, d'ordre structurel et conjoncturel ; il est donc difficile d'anticiper les effets directs de l'extinction d'un accord bilatéral d'investissement et l'évolution des flux croisés d'investissements directs étrangers (IDE) entre les deux États parties à un tel accord. Ces conséquences devraient néanmoins être limitées dans la mesure où les investisseurs continueront de bénéficier, au sein du marché intérieur, d'un environnement juridique favorable aux IDE ( cf. supra ).
Les entreprises françaises pourraient néanmoins être tentées d'investir dans certains États membres de l'Union européenne via des filiales immatriculées dans des pays tiers (par exemple la Suisse ou la Norvège) ayant conclu des accords d'investissement avec ces États membres. D'après la direction générale du Trésor, cela ne semble pas être le cas puisque, depuis 2014, les stocks d'IDE français sortant vers les États membres en question n'ont jamais atteint plus de 9 % du stock total des IDE français au sein du marché intérieur, alors que, sur la même période, les stocks d'IDE entrant en France depuis ces pays, parfois négatifs, sont restés marginaux.
STOCKS D'IDE ENTRANT EN FRANCE DEPUIS LE MARCHÉ
INTÉRIEUR
ET STOCKS D'IDE FRANÇAIS SORTANT VERS LE
MARCHÉ INTÉRIEUR (EN MDS €)
Stocks d'IDE entrants |
Stocks d'IDE sortants |
|||||||||
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
|
Total (UE 27) |
363,5 |
382,6 |
405,4 |
408,4 |
437,9 |
512,4 |
548,1 |
573,7 |
603,2 |
663,7 |
dont IDE avec TBI * |
- 0,1 |
- 0,8 |
- 0,3 |
- 0,2 |
0,5 |
32,4 |
34,7 |
35,3 |
35,0 |
37,4 |
* Traités bilatéraux d'investissement conclus avec la Bulgarie, la Croatie, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie.
Source : commission des affaires
étrangères, de la défense
et des forces armées,
à partir de l'étude d'impact
Le Wall Street Journal 7 ( * ) estime, lui, que les sentences arbitrales annulées représentent un montant de 6 milliards de dollars de dommages et intérêts (soit près de 5 milliards d'euros) au détriment des investisseurs qui doivent s'engager dans l'une des deux procédures prévues au titre des mesures transitoires.
2. Les conséquences administratives et juridiques
L'arrêt Achmea pourrait avoir un effet négatif sur le climat des investissements dans certains États dont les juridictions n'inspirent pas confiance.
En effet, les juridictions des États membres doivent assurer en toute indépendance et impartialité la pleine application du droit de l'Union et la protection juridictionnelle des droits des personnes dans tous les États membres. L'indépendance du système judiciaire est un principe commun aux traditions constitutionnelles des États membres et au droit de l'Union, et le principe de confiance mutuelle constitue un principe cardinal du droit de l'Union.
Or, deux États membres - la Pologne et la Hongrie - ont été soumis à la procédure exceptionnelle de l'article 7 du Traité de l'Union européenne sur les valeurs fondamentales de l'UE. Aussi faudra-t-il s'assurer que les juridictions nationales de ces pays, qui porteraient atteinte à l'État de droit, respectent les principes fondamentaux précités, censés apporter aux entreprises les garanties juridiques nécessaires de protection de leurs investissements.
Par ailleurs, les dispositions du présent accord ne concerneront qu'un faible nombre d'entreprises françaises puisque la plupart des procédures qui les concernent sont aujourd'hui définitivement achevées ; conformément aux dispositions de l'accord, les sentences arbitrales - de même que les transactions amiables - qui les ont réglées ne seront pas remises en cause. Les affaires pendantes pourront, quant à elles, trouver une solution grâce aux dispositions transitoires prévues par l'accord ( cf. infra ).
Enfin, il est tout aussi difficile d'anticiper les incidences de l'arrêt Achmea sur les délais de procédure. Les études disponibles sur cette question montrent que la durée moyenne de ces procédures d'arbitrage, entre la constitution du tribunal arbitral et la finalisation de la sentence serait d'environ 4 ans 8 ( * ) , auxquels peuvent s'ajouter des délais supplémentaires liés, d'une part, aux procédures de contrôle et d'annulation des sentences arbitrales, et d'autre part, aux procédures de reconnaissance et d'exécution de ces sentences.
S'agissant de la durée moyenne des procédures devant les juridictions des États membres, elle varie suivant l'État et la matière concernés. D'après les données disponibles pour l'année 2020, le délai de résolution des contentieux administratifs - qui peuvent, à certains égards, être comparés aux litiges arbitraux entre investisseurs et États - est comparable à la durée moyenne des procédures arbitrales au sein de l'Union.
II. LES STIPULATIONS DE L'ACCORD PORTANT EXTINCTION DES TRAITÉS BILATÉRAUX D'INVESTISSEMENT ENTRE ÉTATS MEMBRES DE L'UNION EUROPÉENNE
A. LES OBJECTIFS DE L'ACCORD
L'accord organise la dénonciation coordonnée des accords bilatéraux de protection des investissements conclus entre les États membres signataires et toujours en vigueur ( cf. annexe A), ainsi que le démantèlement des accords déjà dénoncés par le passé mais toujours applicables au titre de leurs clauses de survie, que l'accord prive désormais d'effet ( cf. annexe B).
Compte tenu de l'opposition persistante de certains États membres, l'accord ne règle pas la question de l'application intra-européenne du TCE et du statut des procédures d'arbitrage intentées sur son fondement ( cf. supra ).
En outre, l'accord fournit un cadre aux procédures arbitrales intentées sur le fondement de TBI intra-européens. À cet égard, il stipule que :
- les procédures déjà achevées et définitivement réglées avant le 6 mars 2018, y compris à l'amiable, ne sont pas affectées ;
- les clauses d'arbitrage contenues dans les TBI ne peuvent servir de fondement à de nouvelles procédures arbitrales ;
- des mesures transitoires sont mises en place pour les différends faisant l'objet de procédures d'arbitrage en cours qui pourront, sous conditions, être réglés à l'amiable dans le cadre d'un mécanisme ad hoc de dialogue structuré, ou être tranchés par les juridictions des États membres agissant en qualité de partie défenderesse dans le cadre de ces procédures.
En revanche, l'accord n'a pas pour objet de se substituer aux dispositions substantielles des TBI intra-européens. Aussi les investisseurs opérant sur le marché intérieur continueront-ils de bénéficier des garanties juridiques offertes par le droit de l'Union et mises en exergue dans le préambule de l'accord, sans préjudice des actions envisagées 9 ( * ) .
Les clauses substantielles des accords bilatéraux d'investissement désignent les obligations qu'assument les États parties à ces instruments s'agissant du traitement et de la protection devant être accordés aux investissements étrangers qu'ils accueillent sur leur territoire. Ces garanties juridiques, largement homogènes d'un traité à l'autre, concernent : l'obligation de traitement national et de traitement de la nation la plus favorisée ; le standard de traitement juste et équitable ; le standard de protection et de sécurité pleines et entières ; la garantie d'une compensation prompte, adéquate et préalable en cas d'expropriation pour cause d'utilité publique ; le principe du libre transfert des revenus générés par les investissements.
Du point de vue français, le maintien en vigueur des seules dispositions substantielles des accords d'investissement, à l'exclusion des clauses d'arbitrage entre investisseurs et États comme celles en cause dans l'affaire Achmea , n'aurait pas réellement d'intérêt. Le choix, que n'impose pas immédiatement l'arrêt Achmea , de dénoncer formellement l'ensemble des dispositions des accords bilatéraux d'investissement intra-européens, y compris leurs clauses substantielles, permettait en outre de ne pas entretenir un débat juridique supplémentaire sur leur conformité au regard du droit de l'Union, que la Commission européenne conteste également depuis 2006. Cette position est partagée par les États membres non-signataires qui ont entrepris de dénoncer l'ensemble de leurs traités d'investissement intra-européens, dans le cadre de démarches diplomatiques bilatérales.
B. LES STIPULATIONS DE L'ACCORD
L'accord est composé d'un préambule, de dix-huit articles répartis dans quatre sections, et de quatre annexes.
1. Le préambule
Le préambule rappelle le contexte et les raisons ayant présidé à la conclusion du présent accord.
Les premiers considérants précisent les conséquences juridiques de l'arrêt Achmea au regard du droit international (convention de Vienne sur le droit des traités) et du droit de l'Union européenne. Les parties contractantes s'entendent sur le caractère inapplicable des clauses d'arbitrage présentes dans les TBI conclus entre États membres ; ainsi, à compter de la date d'adhésion à l'Union européenne de la dernière partie au traité, aucune procédure d'arbitrage ne pourra être engagée sur le fondement de ces clauses.
Un deuxième groupe de considérants précise la portée de l'accord à l'égard des règlements de procédure applicables aux arbitrages, qui ne concerne que les traités bilatéraux, à l'exclusion du Traité sur la charte de l'énergie (TCE) dont l'application entre États membres sera traitée ultérieurement, selon des modalités juridiques et institutionnelles restant à définir.
La dernière série de considérants rappelle le régime applicable à la protection des investissements au sein du marché intérieur, notamment au titre des libertés fondamentales garanties par les traités, et à la protection juridictionnelle effective des droits des investisseurs dans le cadre du droit de l'Union européenne. À cet égard, il est précisé que l'accord est sans préjudice des mesures et actions supplémentaires qui pourraient s'avérer nécessaires pour améliorer l'environnement juridique des investissements au sein du marché intérieur, conformément aux conclusions du Conseil Ecofin du 11 juillet 2017, en vertu desquelles la Commission européenne et les États membres s'engagent à intensifier les discussions en vue d'assurer une protection complète, solide et efficace des investissements au sein de l'UE.
2. L'extinction des traités bilatéraux d'investissement et l'annulation des effets éventuels des clauses de survie
L' article 2 met fin aux traités bilatéraux d'investissement qui n'ont pas été dénoncés avant la signature du présent accord ( cf. annexe A).
L' article 3 , lui, met fin à l'application des clauses de survie qui avaient été déclenchées par la dénonciation de certains traités bilatéraux d'investissement, avant la conclusion de l'accord ( cf. annexe B).
Les clauses de survie contenues dans les TBI sont des dispositions permettant aux investisseurs de s'en prévaloir pendant une certaine durée après sa dénonciation. L'arrêt Achmea ayant constaté la contradiction entre les clauses d'arbitrage et le droit de l'Union, il convenait de mettre à l'écart les clauses de survie afin de ne pas prolonger cette entorse au droit européen.
L' article 4 comprend des dispositions communes aux deux cas de figure présentés aux articles 2 et 3 :
- d'une part, cet article décrit les conséquences juridiques de l'arrêt Achmea et confirme le caractère inapplicable des clauses d'arbitrage contenues dans les TBI et contraires au droit de l'Union ;
- d'autre part, il est précisé qu'en application des articles 2 et 3, l'extinction des traités bilatéraux d'investissement (annexe A) et des clauses de survie (annexe B) prennent effet dès l'entrée en vigueur de l'accord pour les deux parties contractantes parties au TBI concerné.
3. Les recours exercés en vertu des traités bilatéraux
a) Les procédures d'arbitrage nouvelles et achevées
L' article 5 concerne en premier lieu les procédures d'arbitrage nouvelles, définies à l'article 1 er comme les procédures ouvertes à compter du 6 mars 2018, date de l'arrêt Achmea .
Il est rappelé qu'aucune procédure d'arbitrage nouvelle ne saurait être introduite par des investisseurs en application des clauses d'arbitrage des traités bilatéraux d'investissement listés en annexes A et B.
L' article 6 concerne quant à lui les procédures d'arbitrage achevées, définies à l'article 1 er comme les procédures ayant donné lieu à un règlement transactionnel ou à une sentence finale qui serait définitivement exécutée avant le 6 mars 2018, et ne ferait plus l'objet d'aucun recours ou contestation à cette date, ou qui serait annulée avant l'entrée en vigueur de l'accord.
En outre, malgré les conséquences juridiques de l'arrêt Achmea décrites à l'article 4, les procédures d'arbitrage achevées ne sauraient être rouvertes par l'investisseur ou par l'État partie à l'instance.
Enfin, l'article 6 prévoit que les accords conclus en vue du règlement à l'amiable de procédures d'arbitrage ouvertes avant le 6 mars 2018 ne sauraient être remis en cause par l'une ou l'autre des parties au litige.
L' article 7 dispose que les parties contractantes doivent informer les tribunaux arbitraux des conséquences juridiques de l'arrêt Achmea dans le cadre des procédures d'arbitrage en cours, intentées sur le fondement de traités bilatéraux d'investissement auxquelles elles sont parties. La France a déjà entrepris cette démarche pour quelques-uns des contentieux concernés. Cependant, jusqu'à présent, les tribunaux arbitraux ont systématiquement rejeté les exceptions d'incompétence soulevées par les États membres sur le fondement de l'arrêt Achmea .
Par ailleurs, dans le cadre des procédures judiciaires en cours devant les juridictions nationales compétentes - y compris dans des pays tiers à l'Union européenne -, les parties contractantes sont tenues de solliciter l'annulation des sentences arbitrales, ou de s'opposer à leur exécution. Les dispositions de l'article 7 sont également applicables mutatis mutandis aux procédures d'arbitrage nouvelles au sens de l'article 1 er de l'accord.
b) Les mesures transitoires liées aux procédures d'arbitrage en cours
À l' article 8 sont détaillées les conditions permettant de bénéficier de mesures transitoires prévues aux articles 9 et 10 aux fins du règlement des différends entre investisseurs et États, qui font l'objet de procédures d'arbitrage pendantes.
Ces voies de recours alternatives, qui renvoient à une procédure ad hoc de médiation (article 9) ou aux juridictions nationales de la partie contractante concernée (article 10), ne peuvent pas être invoquées par un investisseur lorsqu'il a déjà contesté les mesures mises en cause dans une procédure d'arbitrage en cours devant les juridictions nationales de l'État membre défendeur. Dans le cadre d'une procédure d'arbitrage pendante, un investisseur ne peut pas non plus se prévaloir des mesures transitoires établies par l'accord lorsqu'il a été débouté par une sentence finale rendue avant l'entrée en vigueur de l'accord.
Enfin, l'article 8 précise que les voies de recours alternatives offertes par les articles 9 et 10 concernent également les demandes reconventionnelles formées par les États membres défendeurs dans le cadre de procédures d'arbitrage pendantes. Elles sont sans préjudice de tout autre mode alternatif de règlement du différend, y compris à l'amiable, dans le respect du droit de l'Union européenne.
(1) Le dialogue structuré
Comme indiqué précédemment, l' article 9 instaure une procédure ad hoc de médiation, dite de « dialogue structuré ».
La mise en oeuvre de ce mécanisme de médiation est subordonnée à la suspension de la procédure d'arbitrage en cours ou, le cas échéant, des procédures relatives à la reconnaissance et à l'exécution de la sentence arbitrale. Ce mécanisme doit être actionné dans un délai de six mois après l'extinction du TBI invoqué dans le différend.
L'État membre concerné a l'obligation de participer au dialogue structuré lorsqu'il porte sur une mesure ayant été jugée contraire au droit de l'Union par la CJUE ou une juridiction nationale. En revanche, si la mesure a été jugée conforme au droit de l'Union européenne, la procédure ne peut pas être mise en oeuvre ; elle reste d'ailleurs facultative en cas de violation alléguée du droit de l'Union. Enfin, l'ouverture du dialogue structuré est suspendue lorsqu'une procédure d'examen de la mesure étatique en cause est pendante devant la CJUE ou devant une juridiction nationale.
Ce mécanisme de médiation est supervisé par un facilitateur impartial et indépendant, qui doit être désigné d'un commun accord entre les parties. Sa mission consiste en l'organisation d'une procédure contradictoire, dans laquelle les observations de la Commission européenne peuvent être sollicitées, et en l'assistance des parties dans la recherche d'un règlement transactionnel amiable de leur différend et conforme au droit de l'Union.
Les parties disposent d'un délai de six mois pour trouver une solution à leur litige ; ce délai peut néanmoins être prolongé d'un commun accord. À défaut, le facilitateur organise des échanges de vues complémentaires pour parvenir à une solution transactionnelle ; à l'issue de ses échanges avec les parties, il présente une proposition écrite finale de règlement à l'amiable sur laquelle les parties se prononcent dans un délai d'un mois à compter de sa communication :
- si elles n'acceptent pas la proposition finale, les parties doivent motiver leur refus ;
- en cas d'accord, elles en acceptent les conditions d'une manière juridiquement contraignante avec, notamment, l'obligation de clôturer la procédure d'arbitrage pendante et l'interdiction d'en engager une nouvelle à l'avenir.
(2) L'accès aux juridictions nationales
Les dispositions de l' article 10 permettent aux investisseurs de saisir les juridictions nationales de l'État membre défendeur dans le cadre d'une procédure d'arbitrage en cours, même lorsque les délais pour agir contre la mesure litigieuse sont prescrits en vertu du droit interne.
La saisine des juridictions nationales, qui peut intervenir après l'utilisation infructueuse du mécanisme de dialogue structuré prévu à l'article 9, suppose notamment que la procédure d'arbitrage pendante soit préalablement clôturée, ou que l'investisseur renonce à l'exécution de la sentence arbitrale.
L'accès aux juridictions nationales de l'État membre défendeur n'est pas imprescriptible et reste soumis aux délais pour agir prescrits en droit interne.
L'article 10 n'a pas pour effet de créer des nouvelles voies de recours internes au bénéfice des investisseurs qui ne sauraient invoquer un TBI devant les juridictions nationales. Ces dernières statuent en application du droit interne ou du droit de l'UE, et tiennent compte des éventuels dommages et intérêts déjà versés aux investisseurs afin d'éviter une double indemnisation de leur préjudice économique.
(3) Certains investisseurs français pourraient y recourir
Plusieurs procédures d'arbitrage, intentées par des investisseurs français sur le fondement de TBI conclus par la France avec des États membres de l'Union européenne, sont actuellement pendantes, comme par exemple :
- Up & Chèque Déjeuner Holding c/ Hongrie (recours en annulation contre la sentence favorable à l'investisseur rendue en octobre 2018) ;
- Sodexo Pass International SAS c/ Hongrie (recours en annulation contre la sentence favorable à l'investisseur rendue en janvier 2019) ;
- Société Générale c/ Croatie.
Les deux premières affaires sont des « procédures d'arbitrage en cours » au sens de l'article 1 er de l'accord. Ainsi, lorsque la France aura ratifié le présent accord, le traité bilatéral d'investissement conclu avec la Hongrie sera formellement dénoncé et les investisseurs impliqués dans les litiges pourront se prévaloir des mesures transitoires susmentionnées aux fins de leur règlement définitif.
En revanche, la dernière affaire mentionnée est une « procédure d'arbitrage nouvelle » au sens du même article, dans la mesure où elle a été engagée après le 6 mars 2018, date de l'arrêt Achmea . Par conséquent, l'investisseur impliqué ne pourra pas invoquer le bénéfice des mesures transitoires.
D'après la direction générale du Trésor, certains investisseurs français impliqués dans des procédures d'arbitrage actuellement pendantes souhaiteraient, compte tenu du risque d'annulation des sentences et des difficultés liées à leur exécution, régler leur différend à l'amiable, éventuellement par le biais du mécanisme de dialogue structuré établi par l'accord.
4. Les dispositions finales et les annexes
Les articles 11 à 18 traitent, de manière classique, de règlement des différends, de ratification, ainsi que d'entrée en vigueur et d'application provisoire de l'accord.
La France n'a pas appliqué le présent accord à titre provisoire. En effet, conformément à la circulaire du 30 mai 1997 relative à l'élaboration et à la conclusion des accords internationaux, l'application provisoire d'un accord international « est à proscrire en toute hypothèse, d'une part, lorsque l'accord peut affecter les droits ou obligations des particuliers, d'autre part, lorsque son entrée en vigueur nécessite une autorisation du parlement » ; c'est précisément le cas avec l'accord Achmea .
L' annexe A liste les traités bilatéraux d'investissement auxquels il est mis fin par le présent accord (article 2), dont onze des douze traités conclus par la France avec des États membres de l'Union européenne 10 ( * ) .
À l' annexe B figure la liste des traités bilatéraux d'investissement ayant déjà pris fin et dont une clause de survie est susceptible d'être en vigueur. Un seul traité conclu par la France y apparaît : celui conclu avec la Pologne, dont la dénonciation, sollicitée par les autorités polonaises, est effective depuis le 19 juillet 2019.
Afin d'informer les tribunaux arbitraux des conséquences juridiques de l'arrêt Achmea , en application des dispositions de l'article 7, un modèle de déclaration figure à l' annexe C .
Enfin, l' annexe D fixe un barème indicatif pour les honoraires du facilitateur prévu à l'article 9.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le 10 février 2021, sous la présidence de M. Pascal Allizard, vice-président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Philippe Folliot sur le projet de loi n° 273 (2020-2021) autorisant la ratification de l'accord portant extinction des traités bilatéraux d'investissement entre États membres de l'Union européenne.
M. Pascal Allizard, président . - Nous examinons ce matin le projet de loi autorisant la ratification de l'accord portant extinction des traités bilatéraux d'investissement entre États membres de l'Union européenne, sur le rapport de notre collègue Philippe Folliot.
M. Yves Détraigne . - Notre collègue rapporteur Philippe Folliot m'a demandé, en son absence, de lire son intervention sur ce projet de loi.
Afin d'offrir une protection renforcée aux investissements réalisés à l'étranger par nos entreprises, la France a conclu une centaine d'accords bilatéraux de protection des investissements avec, le plus souvent, des pays en développement désireux d'attirer sur leur sol des investissements directs étrangers, parmi lesquels des États d'Europe centrale et orientale qui ont, depuis, intégré l'Union européenne.
Pour prémunir les entreprises contre tout risque de nature politique, ces accords prévoient, d'une part, que le pays hôte réservera un traitement juste et équitable aux investisseurs de l'autre partie, et d'autre part, un accès à un mode alternatif de règlement des différends tel que l'arbitrage.
Dans son arrêt du 6 mars 2018, dit arrêt « Achmea », la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a jugé que les clauses d'arbitrage entre États et investisseurs, présentes dans les traités bilatéraux d'investissement conclus entre États membres de l'Union, étaient contraires au droit européen, consacrant ainsi le principe de primauté du droit de l'Union européenne.
Pour mettre en oeuvre cet arrêt, la France et 22 autres États membres ont signé, le 5 mai 2020, un accord portant extinction desdits traités. L'accord soumis à notre examen met donc un terme à l'ensemble des traités bilatéraux d'investissement conclus entre les États membres signataires, y compris aux clauses de survie qui permettent aux investisseurs de se prévaloir des traités bilatéraux, et ce même après leur dénonciation. Les États non signataires ont, quant à eux, entrepris de dénoncer les traités d'investissement intra-européens qu'ils ont conclus dans le cadre de démarches diplomatiques bilatérales.
Toutefois, faute de consensus entre les États membres, l'accord ne tranche pas la question de la compatibilité de la clause de règlement des différends du traité sur la charte de l'énergie, auquel plusieurs États tiers à l'Union européenne sont parties. Ce traité est un accord plurilatéral et sectoriel conclu dans les années 1990 pour favoriser le commerce et le transit des produits énergétiques et pour développer les investissements dans le secteur de l'énergie avec les pays issus de l'ancien bloc soviétique. La Commission européenne ainsi qu'une majorité d'États membres, dont la France, considèrent que cette clause est contraire au droit européen, mais ont convenu de trancher la question ultérieurement.
L'accord Achmea qui nous est soumis poursuit deux objectifs. Premièrement, organiser la dénonciation coordonnée des accords bilatéraux de protection des investissements conclus entre les États membres signataires et toujours en vigueur, ainsi que le démantèlement des accords déjà dénoncés par le passé mais toujours applicables en raison de leurs clauses de survie, que l'accord prive désormais d'effet. Deuxièmement, il s'agit de fournir un cadre aux procédures arbitrales intentées sur le fondement de ces traités bilatéraux. À cet égard, il dispose que les procédures déjà achevées et définitivement réglées avant le 6 mars 2018, date de l'arrêt Achmea , ne sont pas affectées ; que les clauses d'arbitrage contenues dans les accords de protection des investissements ne peuvent servir de fondement à de nouvelles procédures arbitrales ; que des mesures transitoires sont mises en place pour les procédures arbitrales pendantes qui pourront être réglées à l'amiable dans le cadre d'un mécanisme ad hoc de dialogue structuré ou être tranchées par les juridictions des États membres concernés par les litiges.
L'accord rappelle, en outre, que le droit de l'Union offre, d'ores et déjà, des garanties juridiques aux investissements intra-européens, qui prendront de facto le relais des accords bilatéraux d'investissement conclus entre les États membres. Ainsi, même en l'absence d'accords d'investissement, les entreprises opérant au sein du marché intérieur continueront de bénéficier, d'une part, des protections conférées par les libertés fondamentales comme la liberté d'établissement et la libre circulation des capitaux ainsi que des principes généraux du droit européen tels que la non-discrimination, la proportionnalité, la sécurité juridique et la confiance légitime ; d'autre part, d'une protection juridictionnelle effective devant les juridictions des États membres, sous le contrôle de la Cour de Luxembourg. Par conséquent, les investisseurs continueront d'évoluer dans un environnement juridique favorable aux investissements directs étrangers au sein du marché intérieur.
Ainsi, les conséquences économiques du présent accord, bien que difficiles à évaluer, devraient être limitées. De même, il n'est pas attendu d'allongement des procédures de règlement des différends dans la mesure où la durée moyenne des procédures devant les juridictions des États membres est comparable à celle des procédures arbitrales au sein de l'Union. Il conviendra, toutefois, de veiller à l'impartialité des juridictions nationales, en particulier dans des pays comme la Hongrie ou la Pologne qui, d'après les institutions européennes, porteraient atteinte à l'État de droit.
Pour conclure, cet accord permet aux États membres de se conformer au droit européen pour le règlement de leurs différends liés aux investissements réalisés au sein du marché intérieur, sans préjudice des garanties offertes par les libertés fondamentales et les principes généraux du droit de l'Union européenne. Neuf États membres l'ont déjà ratifié, permettant à l'accord d'entrer en vigueur. En outre, l'Espagne a décidé d'appliquer ces dispositions à titre provisoire.
En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi. Son examen en séance publique est prévu le jeudi 18 février prochain, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la conférence des présidents et votre rapporteur ont souscrit.
M. André Gattolin . - Je m'interroge sur le champ d'application de ce projet de loi au regard du statut des territoires d'outre-mer, certains d'entre eux bénéficiant d'un pouvoir d'autonomie - par exemple, Saint-Barthélemy est hors de l'Union européenne. Existe-t-il une différence entre les départements d'outre-mer qui font partie intégrante de l'Union européenne, et d'autres territoires pour lesquels la conclusion de traités bilatéraux d'investissement avec des États tiers serait envisageable ?
M. Yves Détraigne . - À ma connaissance, les dispositions de ce texte s'imposent à l'ensemble du territoire français.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
M. Hugo Barbier , professeur agrégé des facultés de droit de l'université d'Aix-Marseille, arbitre et expert international
M. Jacques Mestre , doyen honoraire de la faculté de droit et de science politique de l'université d'Aix-Marseille
Ministère de l'économie, des finances et de la relance
M. Mathieu Raux , adjoint au chef de bureau, service des affaires multilatérales et du développement
Ministère de l'Europe et des affaires étrangères
• Mme Agnès Daniel , adjointe à la sous-directrice du droit de l'Union européenne et du droit international économique
• Mme Caroline Goussé , rédactrice, mission de la régulation et de la concurrence équitable
• Mme Charline Thiéry , rédactrice, mission des accords et traités
* 1 Depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en 2009, l'Union européenne est compétente pour négocier des accords commerciaux prévoyant des dispositions sur la protection des investissements pour le compte des États membres ; ces États conservent toutefois une compétence résiduelle en la matière.
* 2 Organe suprême en Allemagne de la juridiction en matières civile et pénale. Son siège est à Karlsruhe.
* 3 Cf. affaire C-284/16, République slovaque c/ Achmea.
* 4 À l'inverse, le droit de la protection des investissements repose sur la méfiance à l'égard de juridictions qui pourraient juger les litiges impliquant leur État de façon partiale, d'où le recours à des arbitres.
* 5 Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, France, Grèce, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni et Slovaquie.
* 6 Une réponse est attendue en 2022.
* 7 « Investors Blindsided as Europe Upends Dispute-Resolution System », The Wall Street Journal , 20 décembre 2019.
* 8 1370 jours en moyenne pour les procédures CIRDI et 1446 jours pour les procédures CNUDCI.
* 9 Cf. considérants 15 et 16 : « en vue de mieux assurer une protection complète, solide et efficace des investissements au sein de l'Union européenne » et « pour assurer un niveau accru de protection des investissements transfrontières au sein de l'Union européenne et pour créer un environnement réglementaire plus prévisible, plus stable et plus clair afin d'encourager les investissements dans le marché intérieur ». En mai 2020, la Commission européenne a lancé une consultation publique sur la protection des investissements au sein de l'Union européenne afin d'alimenter une étude d'impact préalable à d'éventuelles initiatives complémentaires, y compris législatives, en ce domaine.
* 10 Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.