E. UN ÉCLATEMENT SIGNIFICATIF DES CRÉDITS DÉDIÉS À LA RECHERCHE, DANS LE CONTEXTE DU PLAN DE RELANCE ET DU LANCEMENT DU PIA 4

1. Des débudgétisations importantes au sein de la mission « Plan de relance »

Le projet de loi de finances pour 2021 comporte une nouvelle mission budgétaire « plan de relance », qui regroupe une partie substantielle des crédits du plan de relance. Certains de ces crédits sont destinés à abonder des dispositifs existants ou nouveaux portés par le ministère de l'Enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (Mesri).

En premier lieu, l'action 02 « Souveraineté technologique et résilience » du programme 364 prévoit l'ouverture d'une enveloppe de 300 millions d'euros en AE et 128 millions d'euros en CP dès 2021 afin de soutenir l'embauche des chercheurs dans le contexte de la crise sanitaire.

En effet, selon le Mesri, une fraction de l'ordre de 30 % des effectifs de la recherche privée (soit 180 000 emplois) serait potentiellement exposée au risque de perdre son emploi ; en parallèle, la génération 2020 des jeunes diplômés ou jeunes docteurs sera confrontée à une insertion particulièrement difficile dans le monde du travail. Le recrutement effectif de ces jeunes diplômés ou docteurs pourrait dans les faits être retardé de plusieurs mois, voire plusieurs années.

La mesure de « préservation de l'emploi R&D » propose donc plusieurs dispositifs à destination de 2 500 chercheurs par an , répartis en trois catégories :

- des personnels de R&D privée , qui pourront soit être mis à disposition de manière temporaire , pour une durée allant de 12 à 24 mois, dans des laboratoires publics, leur salaire étant pris en charge à 80 % par l'État, soit effectuer une thèse en partenariat avec un laboratoire public ;

- des jeunes diplômés , qui pourront être accueillis dans des laboratoires publics et mis à disposition des entreprises, leur salaire étant pris en charge à 80 % par l'État ;

- des jeunes docteurs , qui seront financés à 80 % par l'État dans le cadre d'une collaboration entre un laboratoire public et une entreprise.

L'action 2 du programme 364 portera aussi, en 2021, les crédits dédiés à la recherche duale , habituellement inscrits sur le programme 191 « Recherche duale (civile et militaire) » de la mission « Recherche ».

En 2021, le plan de relance financera 150 millions d'euros en AE et CP de recherche duale au titre de la souveraineté technologique.

Rattaché au ministère de la défense, ce programme est intégralement consacré aux subventions et dotations versées à deux opérateurs, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et le Centre national d'études spatiales (CNES) .

En 2021, les montants consacrés à la recherche duale s'élèveraient à 150 millions d'euros en AE et CP, dont 127,7 millions d'euros de subvention versée au CNES et 22,3 millions d'euros alloués au CEA. La baisse des crédits inscrits sur ce programme (- 4 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2020) se traduirait par un abandon partiel de l'action du CEA dans le domaine des sciences du vivant , les travaux de recherche étant recentrés sur la lutte contre le terrorisme face aux menaces NRBC-E (nucléaire, radiologique, biologique et chimique-explosif).

Le choix de rattacher ces subventions à la mission « Plan de relance » est particulièrement incongru, puisqu'il ne s'accompagne d'aucune modification quant au montant des crédits inscrits ou à leur destination. Cette budgétisation laisse par ailleurs planer un doute - qu'il conviendra de lever - quant à la pérennité de ces crédits dédiés à la recherche duale, la mission « Plan de relance » n'ayant pas vocation à durer.

Il sera également ouvert un montant de 365 millions d'euros en AE et 200 millions d'euros en CP afin de soutenir les entreprises du secteur spatial en trésorerie et en fonds propres, et de stimuler la recherche et l'innovation des entreprises du spatial, leur capacité d'autofinancement ayant été réduite par la crise sanitaire. Il s'agira ainsi d'améliorer la compétitivité du secteur, de maintenir leurs compétences critiques et de les accompagner dans la transition numérique et environnementale.

L'action 4 « Mise à niveau numérique de l'État, des territoires et des entreprises - modernisation des administrations régaliennes » de la mission « Plan de relance » prévoit également l'ouverture de 45 millions d'euros en AE et en CP pour financer le lieu préfigurateur du futur campus de recherche et d'innovation dédié à la santé numérique, dit « Campus Val-de-Grâce », regroupant des établissements de recherche publics et privés.

Enfin, comme évoqué précédemment, le plan de relance prévoit une hausse des crédits dédiés à l'Agence nationale de la recherche de l'ordre de 282 millions d'euros en 2020 .

Au total, le plan de relance abondera le budget de la recherche à hauteur de 1 142 millions d'euros en AE et 805 millions d'euros en CP .

Mesures du plan de relance dédiées à la recherche

(en millions d'euros)

AE

CP

Programme 363 « Compétitivité »

Action 02 « Souveraineté technologique et résilience »

Préservation de l'emploi R&D

300

128

Recherche duale

150

150

Soutien à la filière spatiale

365

200

Action 04 « Mise à niveau numérique de l'État, des territoires et des entreprises»

Préfiguration du futur « Campus Val-de-Grâce »

45

45

Programme 364 « Cohésion »

Action 05 « Recherche »

Agence nationale de la recherche

282

282

Total

1 142

805

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Selon les informations transmises au rapporteur spécial, une partie des 2,8 milliards d'euros destinés, en 2021, à la rénovation énergétique des bâtiments publics (action 01 « Rénovation énergétique » du programme 362 « Écologie ») devrait être mobilisée en faveur des établissements publics affectés aux missions d'enseignement supérieur, de recherche et aux oeuvres universitaires et scolaires. À ce stade, néanmoins, le montant exact dont bénéficieront les établissements de recherche n'est pas arrêté.

Pour le rapporteur spécial, ces abondements substantiels du budget de la recherche en provenance du plan de relance sont bien évidemment appréciables . L'effort de recherche doit en effet à tout prix être maintenu dans le contexte actuel, afin d'éviter une dégradation de la compétitivité des entreprises françaises à moyen terme. À cet égard, la mesure de préservation de l'emploi de R&D semble particulièrement pertinente , puisqu'elle soutiendra à très court terme les dépenses de recherche privée, tout en contribuant à renforcer de manière durable la recherche partenariale.

L'émiettement de ces crédits supplémentaires sur plusieurs actions et programmes de la mission « Plan de relance » est cependant problématique, aggravant le déficit de lisibilité dont souffre depuis plusieurs années le budget de la recherche .

Dans ce contexte, il eut été préférable de regrouper les mesures destinées à la recherche au sein d'une seule action, voire de créer une ligne budgétaire dédiée au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur » .

2. Une pérennisation, au sein de la mission « Investissements d'avenir » des crédits destinés au financement de l'écosystème de recherche

Le projet de loi de finances pour 2021 prévoit le lancement d'un quatrième programme d'investissements d'avenir (PIA 4) , élaboré à la lumière des recommandations rendues par le Comité de surveillance des investissements d'avenir.

a) Un abondement du budget de la recherche de l'ordre de 1,25 milliard d'euros par an

Ce programme répond à deux finalités distinctes , matérialisées par deux programmes budgétaires :

- le programme 424 « Financement des investissements stratégiques » a vocation à financer des investissements exceptionnels ;

- le programme 425 « Financement des écosystèmes d'innovation » vise à garantir, grâce à des dotations en capital, un financement pérenne aux écosystèmes d'enseignements supérieur, de recherche et d'innovation mis en place par les précédents programmes d'investissements d'avenir.

En pratique, le programme 425, doté de 4,063 milliards d'euros en AE, entend répondre à deux critiques récurrentes adressées aux programmes d'investissements d'avenir, à savoir l'éclatement entre plusieurs programmes des sources de financement de l'innovation et de la recherche, et la fluctuation des moyens alloués aux différents dispositifs.

Partant, ce programme se décompose en deux actions.

L'action 01 « Financement de l'écosystème ESRI et valorisation », bénéficie de 1,25 milliard d'euros sur 5 ans, auxquels s'ajouteront les intérêts des dotations non consomptibles issus des PIA 1 et 2 pour un montant de 3 milliards d'euros entre 2021 et 2025 , afin de financer les structures de l'enseignement supérieur et de la recherche issus des précédents PIA.

Il s'agit notamment de :

- renforcer la dynamique de transformation des sites académiques (idex, i-site) et développer des campus de démonstration ;

- financer des laboratoires et des programmes de recherche de grande ampleur (labex, equipex) ;

- amplifier l'effort en faveur de la recherche biomédicale, du développement des connaissances en matière de santé et de l'amélioration des pratiques médicales ;

- soutenir les instituts de recherche technologique (IRT) et les instituts pour la transition énergétique (ITE), et à travers eux, les entreprises dans leurs efforts de recherche ;

- accélérer, en cohérence avec la loi de programmation pour la recherche (LPR), la structuration du paysage des acteurs de la maturation et du transfert technologique, notamment à travers les Sociétés d'Accélération de Transfert de Technologies (SATT), regroupant l'ensemble des équipes de valorisation des sites universitaires.

L'enveloppe totale allouée à ces structures atteindra donc 4,25 milliards d'euros , ce qui correspond à un budget annuel de 850 millions d'euros.

En parallèle, l'action 02 « Aides à l'innovation Bottom-up », pour laquelle 2,812 milliards d'euros sont inscrits, vise à centraliser les aides publiques aux entreprises innovantes , actuellement portées par différents instruments - savoir le PIA 3, les budgets interministériels et les intérêts du Fonds pour l'innovation et l'industrie.

Seront ainsi financées par le programme 425 :

- les aides à l'innovation de Bpifrance - y compris pour les jeunes entreprises à forte intensité technologique ;

- les concours d'innovation à destination des start-ups et PME, qui accompagnent la création et la croissance d'entreprises innovantes et fortement technologiques ;

- le soutien aux projets structurants de R&D dans tous les secteurs , pour accompagner les projets collaboratifs associant des grandes entreprises avec des PME et des ETI.

L'enveloppe allouée à cette action s'élève à 2,812 milliards d'euros (en AE) sur la durée du PIA 4 , auxquels s'ajouteront les intérêts annuels du FII, pour un montant de 87,5 millions d'euros par an 25 ( * ) .

Ainsi, en ne comptabilisant que les montants inscrits au programme 425, le budget de la recherche devrait bénéficier de 1 250 millions d'euros en provenance du PIA 4 en 2021 .

Ce montant devrait être affiné, pour prendre en compte les crédits en provenance du programme 424, dont une proportion significative sera dévolue à l'effort de recherche. Néanmoins, le rapporteur spécial note que la répartition de ces crédits demeure à ce jour largement inaboutie, ce qui obère toute tentative de consolidation du budget de la recherche .

b) Une débudgétisation largement contestable

La création du PIA 4 participe ainsi d'une dispersion accrue des moyens alloués à la recherche , puisque les mêmes actions (par exemple les programmes prioritaires de recherche) seront désormais financées par plusieurs lignes budgétaires, se rapportant à deux programmes d'investissements d'avenir distincts.

Au demeurant, le rapporteur spécial s'interroge sur l'opportunité de conserver ces lignes budgétaires au sein de la mission « Investissements d'avenir » ; en effet, dans la mesure où les structures financées sont désormais pleinement opérationnelles, le financement de l'écosystème d'innovation s'apparente désormais à une politique publique récurrente . Il eut donc été nettement plus cohérent - et, en tout état de cause, lisible - de procéder à une rebudgétisation de ces crédits.

De la même manière, il paraitrait plus pertinent de rattacher l'ensemble des aides publiques à l'innovation au programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle », dont c'est la vocation initiale.

Dans ce contexte, l'extrême dissémination actuelle des crédits dédiés à la recherche impose à la représentation nationale de se plier à un effort de consolidation particulièrement complexe , rendant très malaisé le suivi des autorisations budgétaires votées.

Crédits extra-budgétaires en faveur de la recherche

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

En 2021, les 11,575 milliards d'euros (en CP) des programmes recherche bénéficieront d'un abondement de 2,055 milliards d'euros en provenance d'autres missions budgétaires. Ainsi, près de 18 % des crédits dédiés à la recherche ne seront pas inscrits au sein de la MIRES.

Le rapporteur spécial regrette ainsi que le vote de la loi de programmation pour la recherche ne se soit pas accompagné d'une simplification de l'architecture du soutien public à la recherche . Cet effort aurait été particulièrement bénéfique pour les chercheurs, qui peinent à identifier les différentes sources de financement existantes.


* 25 Il s'agit ici de la partie nominale du Fonds, qui n'est pas issue du dividende des participations de l'État.

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