Rapport n° 446 (2019-2020) de M. Michel CANEVET , fait au nom de la commission des finances, déposé le 20 mai 2020
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N° 446
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020
Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 mai 2020 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur la proposition
de loi
visant à
rendre
effectif
et à
renforcer
le
plafonnement
des
frais
bancaires
,
Par M. Michel CANEVET,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Vincent Éblé , président ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Yvon Collin, Bernard Delcros, Philippe Dominati, Charles Guené, Jean-François Husson, Mme Christine Lavarde, MM. Georges Patient, Claude Raynal , vice-présidents ; M. Thierry Carcenac, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Joyandet, Marc Laménie , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Julien Bargeton, Jérôme Bascher, Arnaud Bazin, Jean Bizet, Yannick Botrel, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Mme Frédérique Espagnac, MM. Rémi Féraud, Jean-Marc Gabouty, Jacques Genest, Alain Houpert, Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Sébastien Meurant, Claude Nougein, Didier Rambaud, Jean-François Rapin, Jean-Claude Requier, Pascal Savoldelli, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel . |
Voir les numéros :
Sénat : |
339 et 447 (2019-2020) |
L'ESSENTIEL
Réunie le 20 mai 2020 sous la présidence de M. Vincent Éblé , président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Michel Canevet sur la proposition de loi n° 339 (2019-2020), visant à rendre effectif et à renforcer le plafonnement des frais bancaires , présentée par M. Patrick Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain.
Cette proposition de loi s'inscrit dans le prolongement des engagements pris par la profession bancaire en décembre 2018 en réponse au mouvement social des « Gilets Jaunes » en vue de geler les tarifs des services bancaires en 2019 et de plafonner les montants des frais d'incidents bancaires pour les clients en situation de fragilité financière.
Considérant, aux termes de l'exposé des motifs, que « cette parole n'a pas été suivie d'effet », la proposition de loi prévoit de consacrer au niveau législatif le principe d'un plafonnement de tous les frais bancaires pour tous les Français . Le plafonnement général proposé se révèle toutefois très large en ce qu'il intègre également le prix des services bancaires du quotidien et vise tous les Français, quelles que soient leurs ressources. Dès lors, son caractère proportionné au regard de l'intérêt poursuivi peut être mis en doute, ce qui l'expose à des risques constitutionnels réels au regard de la liberté d'entreprendre. Sur le fond, l'opportunité même d'un tel plafonnement peut être contestée , la concurrence et l'émergence de nouveaux acteurs suffisant à contenir les tarifs des services bancaires, ce que les études corroborent.
Par ailleurs, pour renforcer le déploiement de l'offre spécifiquement dédiée aux personnes en situation de fragilité financière, la proposition de loi introduit une procédure permettant à la Banque de France, aux présidents de conseil départemental, de centre communal d'action sociale ou de centre intercommunal d'action sociale d'enjoindre un établissement de crédit à proposer l'offre spécifique à une personne en situation de fragilité financière. Cette procédure ne correspond pas aux besoins exprimés par les différents acteurs . Elle se révèle trop complexe, alors que le cadre législatif en vigueur est déjà suffisant pour assurer l'effectivité du droit des clients en situation de fragilité financière à l'offre spécifique. Les éventuels manquements constatés doivent être traités par les procédures de médiation et de recours à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), ce qui sera facilité par la mise en place prochaine d'une cellule d'alerte dédiée.
Au cours de la réunion de commission, l'objectif de protéger nos concitoyens les plus fragiles financièrement a été unanimement partagé , a fortiori dans le contexte actuel, où les conséquences économiques de la crise sanitaires vont bouleverser les ressources de nombreux ménages.
Des réserves ont toutefois été exprimées sur les dispositions proposées , qui apparaissent à la fois trop fortes dans les restrictions qu'elles apportent à des libertés constitutionnelles et trop limitées dans leur périmètre. Le rapporteur a insisté sur la nécessité de protéger des clients les plus fragiles financièrement d'une « cascade » de frais d'incidents bancaires , ce que le cadre juridique actuel ne garantit pas. À cet égard, un plafonnement plus adapté peut se justifier.
Plus largement, il a été relevé qu'en abordant la fragilité financière sous le seul angle des frais bancaires, la proposition de loi se prive de toute approche préventive .
Pour ces raisons, et compte tenu du fait que la commission des finances ne pouvait apporter de modification à la proposition de loi sans l'accord de ses auteurs, votre commission n'a pas adopté de texte de commission.
En conséquence, et en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte initial de la proposition de loi. Le rapporteur du texte, M. Michel Canevet a indiqué à ses collègues qu'il proposera des modifications par voie d'amendements lors de l'examen en séance publique .
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
ARTICLE
UNIQUE
Plafonnement des frais de services et d'incidents bancaires
et
procédure de droit à l'offre spécifique
Le présent article propose d'introduire un plafonnement de l'ensemble des frais liés à la fois aux incidents et aux services bancaires, dont le montant serait déterminé par décret en Conseil d'État, en prévoyant un plafond réduit, correspondant au maximum au tiers du plafond général, pour les personnes bénéficiant de l'offre bancaire spécifique dédiée à la clientèle financièrement fragile et de services bancaires de base dans le cadre de la procédure de droit au compte. En complément, il est proposé de créer une procédure de droit à l'offre spécifique, en permettant à la Banque de France, aux présidents de conseil départemental, de centre communal d'action sociale ou de centre intercommunal d'action sociale d'enjoindre un établissement de crédit à proposer l'offre spécifique à une personne en situation de fragilité financière. Le plafonnement général proposé se révèle très large en ce qu'il intègre également le prix des services bancaires du quotidien et vise tous les Français, quelles que soient leurs ressources. Son caractère proportionné au regard de l'intérêt poursuivi peut être mis en doute, ce qui l'expose à des risques constitutionnels réels au regard de la liberté d'entreprendre. Sur le fond, l'opportunité même d'un tel plafonnement peut être contestée, la concurrence et l'émergence de nouveaux acteurs suffisant à contenir les tarifs des services bancaires. Le rapporteur n'en considère pas moins qu'il est indispensable de protéger des clients les plus fragiles financièrement d'une « cascade » de frais d'incidents bancaires. Dans la mesure où le cadre juridique actuel ne garantit pas cette protection, le recours à un plafonnement plus adapté se justifie. S'agissant de l'offre spécifique, le rapporteur considère que la procédure proposée ne correspond pas aux besoins exprimés par les différents acteurs rencontrés. Elle se révèle trop complexe, alors que le cadre législatif en vigueur est déjà suffisant pour assurer l'effectivité du droit des clients en situation de fragilité financière à l'offre spécifique. Les éventuels manquements constatés doivent être traités par les procédures de médiation et de recours à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), ce qui sera facilité par la mise en place prochaine d'une cellule d'alerte dédiée. Au-delà des propositions formulées, à visée curative, le rapporteur rappelle que l'ambition de tous doit conduire à renforcer la prévention et la détection précoce de la fragilité financière. Le rapporteur ne pouvant présenter, au stade de l'examen en commission, des modifications qu'avec l'accord des auteurs de la proposition de loi, la commission des finances n'a pas adopté le présent article. Le rapporteur présentera des propositions d'amendements pour la séance publique. |
I. LE DROIT EXISTANT : UN CADRE JURIDIQUE APPROFONDI MAIS INCOMPLET POUR PROTÉGER EFFICACEMENT LA CLIENTÈLE EN SITUATION DE FRAGILITÉ FINANCIÈRE
A. PLUSIEURS TYPES DE FRAIS BANCAIRES, FAISANT L'OBJET D'UNE INFORMATION DU CLIENT DIFFÉRENTE, DOIVENT ÊTRE DISTINGUÉS
Deux types de frais liés aux services bancaires doivent être distingués :
- d'une part, les tarifs liés aux différents services bancaires proposés par les établissements de crédit et les prestataires de services de paiement à leurs clients, qui correspondent au prix d'une prestation ;
- d'autre part, les tarifs liés aux incidents de paiement et aux irrégularités constatées sur le compte , facturés par les établissements de crédit et les prestataires de services de paiement au client en raison d'un fonctionnement anormal du compte ou d'un moyen de paiement.
Ces différents tarifs font l'objet d'une définition et d'une dénomination réglementaires que les établissements de crédit et les établissements de paiement sont tenus d'utiliser. Elles sont prévues à l'article D. 312-1-1 du code monétaire et financier (CMF), lequel distingue trois catégories de services et frais :
- la liste des services les plus représentatifs rattachés à un compte de paiement (A du I de l'article D. 312-1-1 du CMF), ce qui recouvre par exemple l'abonnement à des services de banque à distance, la tenue d'un compte de paiement et les commissions d'intervention ;
- les autres services bancaires (B du I du même article), à l'instar de l'émission d'un chèque de banque ;
- les frais bancaires et cotisations (C du I du même article), cette dernière catégorie inclue les frais liés aux incidents bancaires mais regroupe des frais divers , allant de la location de coffre-fort aux frais d'opposition de chéquier ou d'envoi de lettre d'information préalable pour compte débiteur non autorisé.
Afin de protéger le consommateur, les frais bancaires font l'objet d'une obligation d'information du client, mise en oeuvre selon des modalités et des logiques différentes.
1. Une information préalable à la conclusion du contrat pour les « services les plus représentatifs liés à un compte de paiement »
Conformément au I de l'article L. 312-1-1 du CMF, « les établissements de crédit sont tenus de mettre à la disposition , sur support papier ou sur tout autre support durable, de leur clientèle et du public les conditions générales et tarifaires applicables aux opérations relatives à la gestion d'un compte de dépôt ». S'agissant des prestataires de services de paiement, le VI de ce même article prévoit que, « pour chaque opération de paiement [...] relevant d'une convention de compte de dépôt et ordonnée par le payeur, le prestataire de services de paiement fournit à celui-ci, à sa demande, des informations [...] sur les frais qu'il doit payer et, le cas échéant, sur le détail de ces frais ».
Des obligations analogues incombent aux établissements de paiement , lesquels sont tenus, en application de l'article L. 314-13 du même code, « de mettre à disposition de leur clientèle et du public, sur support papier ou sur un autre support durable, les conditions générales et tarifaires applicables aux opérations relatives à la gestion d'un compte ».
Il est renvoyé à un arrêté du ministre chargé de l'économie le soin de préciser les conditions de mise en oeuvre de ces obligations d'information . L'arrêté du 5 septembre 2018 précise ainsi que l'information « comprend les services les plus représentatifs liés à un compte de paiement énumérés au A du I de l'article D. 312-1-1 du code monétaire et financier ».
À l'exception des commissions d'intervention 1 ( * ) , les frais bancaires et cotisations énumérés au C du I de l'article D. 312-1-1 du CMF, qui regroupent en particulier les frais liés aux incidents bancaires, ne sont donc pas détaillés dans le document d'information tarifaire .
De fait, l'objectif de ces dispositions est de permettre au consommateur de comparer les différentes offres disponibles sur le marché , en complément de l'assouplissement du droit à la mobilité bancaire.
2. Une information au cas par cas en amont du prélèvement pour les frais liés à des incidents bancaires
Une logique différente prévaut pour les frais liés à des irrégularités sur le compte ou à un incident de paiement . Pour ces frais, l'information intervient non pas de façon générale mais de façon spécifique , en amont du prélèvement de chaque frais 2 ( * ) .
Ainsi, en application de l'article L. 312-1-5 du CMF, « le client, personne physique n'agissant pas pour des besoins professionnels, est informé gratuitement, par le biais de son relevé de compte mensuel, du montant et de la dénomination des frais bancaires liés à des irrégularités et incidents que l'établissement entend débiter sur son compte de dépôt. Ce débit a lieu au minimum quatorze jours après la date d'arrêté du relevé de compte ».
Une liste non limitative de ces frais figure à l'article R. 312-1-2 du CMF ; elle est reproduite dans l'encadré ci-après.
Liste des frais liés à des incidents
bancaires figurant
« I. - Les frais bancaires liés aux irrégularités de fonctionnement d'un compte bancaire mentionnées à l'article L. 312-1-3, aux incidents de paiement mentionnés à l'article L. 131-73 et au II de l'article L. 133-26 ainsi que ceux liés aux autres irrégularités et incidents font l'objet de l'information préalable gratuite du client prévue à l'article L. 312-1-5. Ils comportent notamment les frais suivants : « 1° Les frais d'opposition (blocage) de la carte par la banque ; « 2° Les frais de lettre d'information préalable pour chèque sans provision ; « 3° Les frais de lettre d'information pour compte débiteur non autorisé ; « 4° Le forfait de frais par chèque rejeté pour défaut de provision ; « 5° Les frais de rejet de prélèvement pour défaut de provision ; « 6° Les frais par saisie administrative à tiers détenteur ; « 7° (abrogé) « 8° Les frais par saisie-attribution ; « 9° (abrogé) « 10° Les frais par virement occasionnel incomplet ; « 11° Les frais de non-exécution de virement permanent pour défaut de provision ; « 12° Les commissions d'intervention ; « 13° Les frais suite à la notification signalée par la Banque de France d'une interdiction pour le client d'émettre des chèques ; « 14° Les frais pour déclaration à la Banque de France d'une décision de retrait de carte bancaire. » |
B. LES FRAIS D'INCIDENTS BANCAIRES FONT L'OBJET D'UN PLAFONNEMENT EN SILO ET INCOMPLET
En complément des obligations d'information du consommateur, le Législateur a souhaité plafonner les frais liés à des incidents bancaires .
Il convient de distinguer deux types de plafonnements , relatifs :
- aux incidents de paiement , d'une part ;
- aux commissions d'intervention , d'autre part.
1. Un plafonnement par opération des frais relatifs à des incidents de paiement
L'article 70 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable 3 ( * ) a plafonné les frais perçus par les établissements de crédit en cas de rejet d'un chèque (article L. 131-73 du CMF) et en cas d'incident de paiement autre que le rejet d'un chèque (articles L. 312-1-1 et L. 133-26 du CMF - prélèvements et virements ).
Les plafonds, qui s'entendent pour chaque rejet, sont fixés par voie réglementaire à 30 euros pour le rejet d'un chèque d'un montant inférieur ou égal à 50 euros, à 50 euros pour le rejet d'un chèque d'un montant supérieur à 50 euros (article D. 131-25 du CMF) et à 20 euros pour un incident dû à un autre moyen de prélèvement (article D 133-6 du CMF). S'agissant des rejets de chèque, il est précisé qu'un même chèque présenté plusieurs fois dans un délai de 30 jours ne peut donner lieu qu'à un seul incident de paiement.
Ces plafonnements s'appliquent uniquement par incident de paiement constaté , de sorte que les frais peuvent se cumuler en cas d'incidents répétés.
2. Un plafonnement par opération et par mois des commissions d'intervention
L'article 52 de la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires 4 ( * ) a introduit un plafonnement des commissions d'intervention perçues par un établissement de crédit à raison du traitement des irrégularités de fonctionnement d'un compte bancaire pour les personnes physiques n'agissant pas pour des besoins professionnels (premier alinéa de l'article L. 312-1-3 du CMF).
Contrairement au plafonnement des frais liés à des incidents de paiement, ce plafonnement s'applique par mois et par opération , et comprend un montant réduit pour les personnes souscrivant l'offre spécifique réservée à la clientèle en situation de fragilité financière (cf. infra ) et celles bénéficiant des services bancaires de base dans le cadre de la procédure de droit au compte. Les plafonds sont fixés par voie réglementaire à 8 euros par opération et 80 euros par mois (article R. 312-4-1 du CMF), réduits à 4 euros par opération et 20 euros par mois pour les personnes en situation de fragilité financière (art. R. 312-4-2 du CMF).
Ces obligations juridiques peuvent être complétées par des mesures complémentaires spontanées de la profession bancaire , à l'instar des engagements spécifiques pris en décembre 2018 auprès du président de la République et détaillés dans l'encadré ci-après.
Les engagements de la profession bancaire de décembre 2018 À la suite du mouvement social des « Gilets jaunes », les établissements bancaires ont pris des engagements auprès du président de la République en décembre 2018 . En complément du gel des tarifs bancaires en 2019 , les banques ont décidé de limiter les frais bancaires pour les clients en situation de fragilité financière en fixant deux plafonds : - un plafond de 25 euros par mois des frais d'incidents bancaires et de dysfonctionnement de compte des personnes en situation de fragilité financière (cf. infra ) ; - un plafond de 20 euros par mois et de 200 euros par an de ces mêmes frais pour les personnes bénéficiant de l'offre spécifique à la clientèle fragile, tout en fixant un objectif d'augmentation de 30 % du nombre de bénéficiaires de cette offre en 2019 par rapport à 2017. Source : commission des finances du Sénat |
C. L'OFFRE BANCAIRE SPÉCIFIQUE POUR LA CLIENTÈLE FRAGILE
En complément du plafonnement des commissions d'intervention, l'article 52 de la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires a introduit une offre bancaire spécifique pour la clientèle en situation de fragilité financière . Cette offre reprend en pratique les caractéristiques de la gamme de moyens de paiement alternatifs (GPA) que les banques s'étaient engagées à mettre à la disposition de leurs clients privés de chéquiers en 2005 dans le cadre du Comité consultatif du secteur financier (CCSF).
Cette offre spécifique donne lieu à double encadrement :
- son coût est plafonné à trois euros par mois (IV de l'article R. 312-4-3 du CMF) ;
- les commissions d'intervention relèvent du plafonnement spécifique et réduit , fixé à 4 euros par opération et 20 euros par mois pour les personnes en fragilité financière (art. R. 312-4-2 du CMF).
Au terme du deuxième alinéa de l'article L. 312-1-3 du CMF, les établissements de crédit sont tenus de proposer « aux personnes physiques n'agissant pas pour des besoins professionnels qui se trouvent en situation de fragilité, eu égard, notamment, au montant de leurs ressources, une offre spécifique comprenant des moyens de paiement , dont au moins deux chèques de banque par mois, et des services appropriés à leur situation et de nature à limiter les frais supportés en cas d'incident ». Cette proposition doit être formulée sur support papier ou sur tout autre support durable.
Au-delà du critère de ressources, les conditions d'identification des personnes en situation de fragilité financière sont précisées par voie réglementaire et déclinées par chaque établissement de crédit selon des procédures spécifiques .
Il convient de distinguer trois types de critères , selon que leurs paramètres s'imposent aux établissements bancaires, dépendent de leur interprétation ou sont librement déterminés.
L'article R. 312-4-3 du CMF prévoit que sont automatiquement considérées en situation de fragilité financière les personnes :
- inscrites pendant trois mois consécutifs au fichier de la Banque de France centralisant les incidents de paiement de chèques ;
- faisant l'objet d'une procédure de surendettement .
Par ailleurs, ce même article R. 312-4-3 du CMF détermine deux critères que les établissements de crédit doivent obligatoirement prendre en compte :
- l'existence d'irrégularités de fonctionnement du compte ou d'incidents de paiement ainsi que leur caractère répété constaté pendant trois mois consécutifs ;
- le montant des ressources portées au crédit du compte.
L'encadré ci-après détaille la façon dont les établissements bancaires mettent en oeuvre ces critères et d'éventuels paramètres additionnels qu'ils prennent en compte pour identifier la population en situation de fragilité financière.
Les critères de détection des clients
fragiles
Dans le cadre de l'enquête que la commission des finances du Sénat lui avait demandée sur les politiques publiques en faveur de l'inclusion bancaire et de la prévention du surendettement et rendue en juin 2017, la Cour des comptes s'était intéressée aux critères de détection des clients fragiles éligibles à l'offre spécifique. Elle avait ainsi souligné que les critères définis par les établissements de crédit teneurs de compte sur la base du cadre juridique « diffèrent selon chaque établissement mais sont globalement convergents : ils visent [...] des clients pauvres et ayant des difficultés avérées de fonctionnement de leur compte bancaire. Les clients détectés comme étant éligibles de manière systématique à l'offre spécifique ne sont donc pas, pour l'essentiel, des clients qui relèvent d'une approche de prévention du surendettement (dont les revenus sont plus élevés) ». Dans le détail, la Cour des comptes relevait que, « s'agissant du montant des ressources, les banques ne connaissent pas les revenus de leurs clients. Pour approcher les revenus, cinq établissements, sur sept, considèrent le niveau des flux créditeurs mensuels, qui doivent, par exemple, être inférieurs à 1 000 euros pour un établissement ou à 1 481 euros pour un autre établissement. Un établissement considère le solde moyen du compte de dépôt (comme une approximation du reste-à-vivre) qui doit être inférieur à 1 500 euros sur les douze derniers mois. Enfin, deux établissements ne fixent pas de niveau de revenu, mais excluent les clients ayant les patrimoines les plus significatifs de leur ciblage. « S'agissant des difficultés avérées de fonctionnement du compte bancaire, de nombreux établissements considèrent un montant de frais d'incidents (qui doit être supérieur à 120 euros - voire parfois à 240 euros - sur trois mois consécutifs dans quatre établissements). Deux établissements se fondent sur la probabilité de défaut avérée du client, calculée selon la réglementation bâloise (par exemple, découverts persistants de plus de 90 jours ou plus de trois impayés). Enfin, un établissement se fonde sur une série de critères cumulatifs : frais de dysfonctionnement supérieurs à 30 euros et supérieurs à 10 % des flux créditeurs du compte et frais de dysfonctionnement supérieurs à l'épargne disponible (sur les livrets d'épargne par exemples). » Source : commission des finances du Sénat, à partir de la communication de la Cour des comptes réalisée à sa demande sur les politiques publiques en faveur de l'inclusion bancaire et de la prévention du surendettement, juin 2017 |
Le contenu de l'offre spécifique est détaillé par voie réglementaire . Précisé au III de l'article R. 312-4-3 du CMF, il comprend au moins les services bancaires suivants :
- la tenue, la fermeture et, le cas échéant, l'ouverture du compte de dépôt ;
- une carte de paiement à autorisation systématique ;
- le dépôt et le retrait d'espèces dans l'agence de l'établissement teneur du compte ;
- quatre virements mensuels SEPA, dont au moins un virement permanent, ainsi que des prélèvements SEPA en nombre illimité ;
- deux chèques de banque par mois ;
- un moyen de consultation du compte à distance ainsi que la possibilité d'effectuer à distance des opérations de gestion vers un autre compte du titulaire au sein du même établissement ;
- un système d'alertes sur le niveau du solde du compte ;
- la fourniture de relevés d'identités bancaires ;
- un changement d'adresse une fois par an.
L'offre spécifique ne comprend donc ni chéquier, ni autorisation de découvert, tandis que la carte bancaire fait l'objet d'une demande d'autorisation systématique . Ces caractéristiques traduisent la logique sous-jacente de cette offre, qui vise avant tout à éviter que des incidents ne surviennent.
L'ensemble de ces caractéristiques explique la faible diffusion , quoiqu'en progression, de l'offre spécifique : le contenu de l'offre peut être jugé trop restreint par les clients, qui peuvent de surcroît être réticents à souscrire une offre labellisée pour des personnes fragiles, tandis que les établissements de crédit ont mis du temps à mettre en oeuvre une promotion active de cette offre. Le nombre de clients ayant souscrit cette offre atteint 487 000 fin 2019 , en progression de 27 % en un an, pour un total de 3,3 millions de personnes en situation de fragilité financière.
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : UN PLAFONNEMENT DE L'ENSEMBLE DES FRAIS LIÉS AUX INCIDENTS ET AUX SERVICES BANCAIRES, ASSORTI D'UNE PROCÉDURE DE DROIT À L'OFFRE SPÉCIFIQUE
Le I du présent article prévoit de réécrire l'article L. 312-1-3 du code monétaire et financier (CMF) afin d'opérer une double modification en introduisant :
- un plafonnement général de l'ensemble des tarifs et frais bancaires, relatifs aux incidents comme aux services bancaires (I de la nouvelle rédaction de l'article L. 312-1-3 du CMF) ;
- une procédure de « droit à l'offre spécifique » (III de la nouvelle rédaction de l'article L. 312-1-3 du CMF), en complément de l'obligation faite aux établissements de crédit de proposer cette offre à la clientèle identifiée comme fragile financièrement, déjà prévue actuellement et dont la rédaction est intégralement reprise (II de la nouvelle rédaction de l'article L. 312-1-3 du CMF).
Le IV de la nouvelle rédaction de l'article L. 312-1-3 du CMF renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de préciser les conditions d'application du présent article, à savoir essentiellement le détail des frais bancaires visés et le montant du plafonnement prévu, ainsi que les conditions de détermination de la clientèle fragile et de mise en oeuvre de la procédure de « droit à l'offre spécifique ».
Les II et III du présent article visent à compenser le coût résultant, pour les collectivités territoriales et l'État, du I du présent article, par la création d'une majoration de la dotation globale de fonctionnement et d'une taxe additionnelle aux droits sur le tabac. Ces dispositions n'ont toutefois pas d'utilité, dans la mesure où la procédure proposée n'entraîne pas de charge supplémentaire, ni pour l'État, ni pour les collectivités territoriales.
A. LE PLAFONNEMENT DE L'ENSEMBLE DES FRAIS BANCAIRES LIÉS AUX IRRÉGULARITÉS COMME AUX SERVICES DU QUOTIDIEN
Le deuxième alinéa du présent article introduit un plafonnement général des « commissions perçues par un établissement de crédit à raison du traitement des irrégularités de fonctionnement d'un compte bancaire et [des] facturations de frais et de services bancaires » pour les personnes physiques n'agissant pas pour des besoins professionnels. Il est précisé que le plafond s'applique par mois et par opération et qu'un plafonnement spécifique , dont le montant ne peut excéder le tiers du plafonnement général, s'applique aux personnes souscrivant l'offre bancaire spécifique et aux personnes bénéficiant des services bancaires de base dans le cadre de la procédure de droit au compte.
Par rapport au droit en vigueur, la modification proposée conduit à une double évolution :
- d'une part, elle plafonne non seulement l'ensemble des frais et commissions liés à des incidents et irrégularités sur le compte, mais également les tarifs des services bancaires , à l'instar des frais de tenue de compte par exemple ;
- d'autre part, elle précise une proportion maximale, fixée à un tiers du plafonnement général, que le plafonnement réduit doit respecter pour les personnes en situation de fragilité financière.
B. LA PROCÉDURE DE « DROIT À L'OFFRE SPÉCIFIQUE » POUR LA CLIENTÈLE EN SITUATION DE FRAGILITÉ FINANCIÈRE
Si le troisième alinéa du présent article reprend, dans les mêmes termes, la rédaction actuelle du deuxième alinéa de l'article L. 312-1-3 du CMF prévoyant l'offre spécifique pour la clientèle en situation de fragilité financière, le quatrième alinéa complète ces dispositions afin d'instituer une procédure ad hoc de « droit à l'offre spécifique » , inspirée de la procédure de droit au compte.
Ainsi, la procédure permettrait à la Banque de France ainsi qu'aux présidents du conseil départemental ou du centre communal ou intercommunal d'action sociale, pour les personnes résidant sur leur territoire de compétence, d'enjoindre sous huitaine « un établissement bancaire » à proposer cette offre spécifique à un de leurs clients.
III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES : UNE RÉPONSE INDISPENSABLE MAIS INADÉQUATE À LA PROTECTION DES PERSONNES EN SITUATION DE FRAGILITÉ FINANCIÈRE
A. UN OBJECTIF PARTAGÉ DE PROTÉGER LA CLIENTÈLE FRAGILE
1. Le modèle de banque universelle, conjugué à la réduction des marges des banques sur certaines activités, accentue les tensions sur les frais bancaires
La France se distingue des autres pays européens par un modèle de banque universelle , proposant toute la gamme des produits de la banque de détail en s'appuyant à cet effet sur un réseau territorial dense.
Comme le soulignait le rapport d'Emmanuel Constans et Georges Pauget sur la tarification des services bancaires en 2010, « cette organisation intégrée favorise le développement des péréquations de marge entre différents types de produits, ce qui a un effet déterminant sur la tarification des services bancaires » 5 ( * ) . Les auteurs soulignaient déjà le caractère déséquilibré de la tarification bancaire, dès lors que « le crédit immobilier, conçu comme un produit d'appel, est consenti à des marges très faibles, les taux d'intérêts pratiqués étant sensiblement inférieurs à la moyenne européenne. De plus, [...] les retraits d'espèce dans les distributeurs automatiques de billets de groupe [sont gratuits], ce qui constitue un cas isolé en Europe. Ces effets de réduction ou de perte de marge sont compensés par la tarification de la banque au quotidien (gestion du compte, moyens de paiement, gestion des incidents) » 6 ( * ) .
À la suite de cette mission et dans le prolongement du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale de janvier 2013, la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013 a prévu deux dispositions essentielles en matière d'inclusion bancaire et de protection des publics les plus fragiles :
- les commissions d'intervention facturées à l'occasion des incidents de paiement et des irrégularités constatées sur le compte ont été plafonnées ;
- une offre bancaire spécifique , conduisant à l'application de plafonds réduits, a été consacrée dans la loi, avec l'obligation faite aux banques de la proposer aux clients en situation de fragilité financière .
Il n'en demeure pas moins que la forte baisse des taux d'intérêt enregistrée depuis la publication du rapport Pauget-Constans ne fait que renforcer la portée du constat effectué alors. Les établissements de crédit cherchent des réponses à la réduction de leurs marges , par exemple en redimensionnant les réseaux d'agence et en se désengageant de la distribution d'espèces.
La tarification des services bancaires constitue également un relais potentiel pour les établissements de crédit .
L'apparition de nouveaux acteurs numériques , affranchis des coûts fixés liés au réseau d'agences, a néanmoins contenu la progression des services bancaires du quotidien et accéléré la segmentation des offres . C'est sans doute ce qui explique que, du point de vue agrégé, la hausse des prix des services financiers observée entre 1998 et 2018 (+ 31,5 %) a été sensiblement équivalente à l'inflation mesurée par l'indice des prix à la consommation (+ 31,8 %) et inférieure à la progression de l'ensemble des services consommés par les ménages (+ 42,2 %) 7 ( * ) .
La question des frais d'incidents bancaires doit toutefois être abordée de façon spécifique , dans la mesure où ils ne sont pas soumis à la même pression concurrentielle. Les plafonds mis en place font preuve de leur efficacité , sous réserve d'être correctement définis dès lors que, comme le relève l'observatoire des tarifs bancaires, « les tarifs liés à un encadrement législatif ou réglementaire [sont] assez homogènes d'un établissement à l'autre et quasiment toujours au montant du plafond » 8 ( * ) .
Certes, il n'existe pas de corrélation significative entre le montant moyen de ressources portées chaque mois sur le compte et le nombre de comptes enregistrant au moins un frais par mois ainsi que sur le montant moyen des frais facturés. Cependant, il est évident que les frais facturés pèsent d'autant plus sur les personnes qui ne disposent pas de ressources suffisantes pour vivre ou peinent à terminer le mois.
Autrement dit, pour ces personnes, les frais bancaires constituent un luxe qu'elles ne peuvent se permettre . C'est pourquoi il est indispensable d'agir.
2. L'indispensable protection des clients les plus fragiles financièrement s'est concrétisée par un engagement de la profession bancaire en décembre 2018
Une action en la matière rejoint la stricte rationalité économique , comme le souligne l'économiste Georges Gloukoviezoff dans son ouvrage sur l'exclusion bancaire, en écrivant qu'« un établissement de crédit n'a aucun intérêt à voir un de ses clients se trouver dans l'impossibilité d'honorer ses engagements. En revanche, tant qu'il peut en supporter le coût, ses difficultés sont une source de revenus pour l'établissement » 9 ( * ) .
En réponse à la crise sociale survenue à l'occasion du mouvement des « Gilets jaunes » et à la demande du président de la République, les établissements de crédit se sont engagés, en décembre 2018, à encadrer leurs tarifs bancaires.
Trois engagements ont été pris :
- le gel de l'ensemble des tarifs bancaires en 2019 ;
- le plafonnement des frais d'incidents bancaires pour les personnes en situation de fragilité financière à 25 euros par mois , réduit à 20 euros par mois et à 200 euros par an pour les personnes bénéficiant de l'offre spécifique ;
- la diffusion accélérée de l'offre spécifique pour la clientèle en situation de fragilité financière.
Dix-huit mois plus tard, les évaluations conduites dans le cadre des structures partenariales compétentes 10 ( * ) concluent que ces engagements ont été tenus 11 ( * ) .
Ainsi, sur le panel étudié, l'observatoire des tarifs bancaires conclue qu'« aucune augmentation tarifaire n'a été constatée entre le 31 décembre 2018 et le 31 décembre 2019 » 12 ( * ) , tandis que les données pour 2020 ne reflètent pas d'effet rattrapage.
Concernant les frais d'incidents bancaires, l'Observatoire de l'inclusion bancaire a mis en place un suivi trimestriel qui devrait faire l'objet d'une analyse étayée dans le cadre du rapport annuel qui sera publié en juin prochain. Les données transmises par la Banque de France « tendent à montrer que les engagements ont été dans l'ensemble tenus » 13 ( * ) . Ainsi, sur les 3,3 millions de personnes identifiées en situation de fragilité financière, « le plafonnement a permis de réduire les frais d'incidents bancaires pour plus d'un million de comptes de clients fragiles qui subissaient des frais supérieurs aux plafonds, ce qui signifie que les autres comptes financièrement fragiles avaient des frais inférieurs aux plafonds » 14 ( * ) .
Il y a lieu de se féliciter qu'un million de clients, et tout autant de foyers, aient été protégés par ce plafonnement.
Selon la direction générale du Trésor, le recours à une démarche négociée non contraignante juridiquement était alors justifié par un impératif de rapidité . Le rapporteur y voit également le signe que le cadre juridique actuel n'est pas suffisant, au moins sur deux aspects :
- les dispositifs de plafonnement mis en place au cours des dernières années sont élaborés en silo , distinguant les commissions d'intervention des frais eux-mêmes 15 ( * ) , tandis que certains tarifs demeurent librement déterminés par les banques, ce qui n'offre pas aux publics fragiles un parapluie général et efficace contre la cascade de frais ;
- l'information sur les frais d'incidents bancaires n'est pas suffisante , l'hétérogénéité des frais imputés et leur transparence relative n'étant guère à même de favoriser un diagnostic partagé et serein des acteurs.
De ce point de vue, le rapporteur a été confronté à l'impossibilité d'appréhender la réalité du montant total des frais d'incidents bancaires , les différents interlocuteurs rencontrés ne s'appuyant pas sur des données comparables. Ainsi, le montant agrégé de 6,5 milliards d'euros de frais bancaires acquittés par les Français chaque année, avancé par les associations de consommateurs et repris par les auteurs de la proposition de loi, est contesté par la Banque de France, qui estime que ce montant « est difficilement réconciliable avec [celui] des frais payés par les clients fragiles (300 euros pour 3,3 millions de clients soit un milliard d'euros) et le chiffre annoncé de 34 euros pour la population dans son ensemble » 16 ( * ) .
À l'aune des secousses économiques et sociales qui résulteront de la crise sanitaire, la question de la pérennité de ces engagements reste posée .
B. UNE RÉPONSE INADÉQUATE
Le rapporteur partage en ce sens l'objectif des auteurs de la proposition de loi : il importe d'agir le plus rapidement possible pour ajuster le cadre juridique et garantir une protection efficace de nos concitoyens.
Pour autant, il diverge en partie sur la réponse envisagée , en ce qu'elle se révèle à la fois trop lourde et trop restreinte pour assurer cet objectif partagé.
Deux éléments du dispositif proposé soulèvent des difficultés : le plafonnement général et très large envisagé et la procédure ad hoc d'injonction à proposer l'offre spécifique.
1. Un plafonnement général des frais bancaires trop large pour l'objectif poursuivi
Le premier concerne le plafonnement général et absolu des frais bancaires envisagé .
La rédaction proposée conduirait en pratique à introduire un plafonnement de l'ensemble des frais relatifs aux incidents comme aux services bancaires du quotidien, pour tous les Français. La difficulté est d'abord d'ordre juridique : par ce mécanisme, le Législateur porterait une atteinte à la liberté constitutionnelle d'entreprendre. Si le Conseil constitutionnel admet la possibilité de limiter cette liberté 17 ( * ) , il contrôle toutefois l'exigence liée à l'intérêt général qui la justifie ainsi que l'absence d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi 18 ( * ) . En l'espèce, il est à craindre que la restriction imposée à la liberté tarifaire soit jugée trop manifeste au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi .
Au-delà du risque juridique, le rapporteur ne partage pas la logique que la proposition sous-tend .
En effet, comme toute prestation de service, les opérations bancaires ont un coût, différent selon la nature du service offert . Plutôt qu'un plafonnement généralisé, c'est la concurrence tarifaire et la variété des offres qui est susceptible de répondre aux attentes diverses des clients. L'émergence des solutions de banque en ligne a ainsi tiré les prix vers le bas. Les travaux conduits dans le cadre du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) l'ont confirmé, en soulignant que « l'entrée des nouveaux acteurs conforte ce modèle de faible tarification des opérations courantes », dès lors que, pour ces offres, « l'autonomisation du client est très poussée, ce qui a comme contrepartie des tarifs faibles voire une gratuité dans de nombreux cas » 19 ( * ) . En dehors des offres réglementées pour les clients les plus fragiles, des acteurs privés ont développé avec succès des solutions simples et à moindre coût, à l'instar du compte Nickel.
Au cours des auditions, le rapporteur a été conforté dans son diagnostic : un plafonnement du prix des services bancaires ne correspond pas à une demande prioritaire des associations de consommateurs .
De surcroît, en matière d'inclusion bancaire, plusieurs objectifs doivent être conciliés , tant l'exclusion bancaire est protéiforme. Outre les frais bancaires, le rapporteur rappelle l'importance d'assurer à tous nos concitoyens un accès aux services bancaires. Or il est à craindre qu'un plafonnement généralisé n'accélère l'attrition des réseaux bancaires.
C'est pourquoi, pour concilier ces différents impératifs, il importe à tout le moins de cantonner le plafonnement aux frais d'incidents bancaires , lesquels ne relèvent pas uniquement de la fourniture d'un service, ainsi qu'aux populations en situation de fragilité financière . Une telle disposition conduirait à consacrer au niveau législatif l'engagement pris de façon volontaire, mais non contraignant, par les établissements bancaires en décembre 2018. Il prolongerait d'ailleurs des mesures mises en place par certaines banques de façon spontanée depuis quelques années. L'Observatoire des tarifs bancaires constate ainsi, « au 5 janvier 2019, que 5 établissements sur 109 proposent un plafond mensuel global de frais d'incidents à leur clientèle, contre 3, au 31 décembre 2018 », pour un plafond fixé à 300 euros par mois 20 ( * ) . Elle serait surtout davantage cohérente avec le diagnostic posé sur la nature des frais bancaires, dans la mesure où, comme l'indique le CCSF, « globalement, ces nouveaux acteurs, comme les réseaux traditionnels, ont des structures tarifaires similaires : les opérations courantes sur des produits très concurrentiels et peu différenciés sont très faiblement ou pas facturées alors que les tarifs sur opérations exceptionnelles et en particulier les incidents sont plus élevés » 21 ( * ) .
2. Une procédure complexe d'injonction à l'offre spécifique dont l'apport effectif doit être mis en doute
Le second élément du dispositif proposé pour lequel des difficultés sont identifiées concerne la procédure d'injonction à l'offre spécifique .
En l'espèce, ce n'est pas tant la proposition que le rapporteur désapprouve que le diagnostic préalable qu'il ne partage pas . En effet, cette procédure serait censée répondre à des carences dans la capacité des clients fragiles financièrement à se voir effectivement proposer l'offre spécifique. Or, le droit en vigueur oblige déjà les établissements de crédit à proposer cette offre aux clients qu'ils identifient comme relevant d'une situation de fragilité financière. Cette disposition, figurant à l'article L. 312-1-3 du code monétaire et financier (CMF), est détaillée au niveau réglementaire, contraignant en particulier les établissements de crédit à formuler la proposition de souscription sur un support papier ou durable et à en conserver une copie à des fins de contrôles (article R. 312-4-3 du CMF).
Lors des auditions qu'il a menées, le rapporteur s'est initialement interrogé sur le faible taux de souscription de l'offre spécifique (487 000 clients fin 2019) parmi l'ensemble de la clientèle éligible (3,3 millions de personnes).
Certes, comme l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) l'a relevé, « le degré d'implication et d'efficacité des différentes banques dans la mise en oeuvre des dispositions relatives à l'inclusion bancaire [observé lors de contrôles conduits en 2018] était variable selon les établissements », l'offre spécifique en particulier étant « proposée aux clients de façon hétérogène, tant dans le contenu des courriers, les modalités d'association du réseau commercial ou le dispositif de relance » 22 ( * ) . Néanmoins, et ces contrôles en attestent, il s'agit d'une obligation légale que les établissements de crédit sont tenus de respecter, sous peine de sanctions.
Surtout, il semblerait que ce soient aussi les modalités de l'offre spécifique qui en limitent le déploiement. Elle procède en effet d'une logique particulière , qui consiste à éviter que les frais n'arrivent . Pour cela, elle comprend une gamme restreinte de services , excluant les chèques et toute autorisation de découvert, et prévoit une carte de paiement à autorisation systématique. Autrement dit, quoiqu'avantageuse financièrement et protectrice, elle peut se révéler rigide à l'usage , en plus du caractère stigmatisant que certains clients peuvent ressentir face à une offre dédiée aux personnes fragiles financièrement. C'est précisément ce qu'a indiqué Rémy Weber, président du directoire de La Banque Postale, lors de son audition devant la commission des finances du Sénat le 4 mars dernier, en soulignant qu'un « effort important a été fait [pour proposer augmenter les souscriptions d'offre spécifique], même si la base de départ était faible. Mais l'arbitrage n'est pas si évident pour les clients, qui peuvent considérer qu'il y a des avantages à rester dans le cadre des offres classiques , avec un plafonnement qui finalement n'est pas si éloigné » 23 ( * ) .
La procédure proposée risque donc de se révéler plus complexe qu'utile . En l'espèce, s'inspirer de la procédure de droit au compte pour instituer une procédure de « droit à l'offre spécifique » procède d'une mauvaise appréhension des dispositions juridiques : si un établissement de crédit peut refuser la demande spontanée d'un client d'ouvrir un compte, sous réserve de lui produire une lettre de rejet, il lui est fait obligation de proposer à son client identifié comme fragile l'offre spécifique. En conséquence, le levier juridique existe déjà, sans qu'il soit nécessaire de le compléter d'une procédure spécifique d'injonction . La cellule d'alerte qui sera prochainement créée auprès de la Banque de France (cf. infra ) devrait permettre de traiter les difficultés ponctuelles constatées.
Les moyens de renforcer l'effectivité de l'offre spécifique résident davantage dans l'identification des personnes en situation de fragilité bancaire . Un ciblage fin et le plus précoce possible s'impose en effet pour garantir que ces personnes se voient proposer ce filet de sécurité et fassent l'objet d'un plafonnement des frais d'incidents bancaires - conformément à l'engagement de la profession bancaire.
Plus largement, le rapporteur y voit la principale faiblesse du dispositif proposé, qui se concentre sur le traitement des frais bancaires . De l'avis général des personnes rencontrées, lorsque les frais s'accumulent, c'est le signe qu'il est déjà trop tard. Un plafonnement des frais d'incidents bancaires est judicieux pour enrayer la spirale des difficultés, mais l'ambition doit être de définir une réelle démarche préventive.
Une telle action s'impose tout particulièrement dans le contexte actuel.
C. UN CONTEXTE BOULEVERSÉ DEPUIS LE DÉPÔT DE LA PROPOSITION DE LOI
Outre qu'elle a conduit à reporter l'examen de la présente proposition de loi, la situation particulière que nous connaissons depuis le milieu du mois de mars bouleverse profondément la situation économique et sociale de notre pays.
Les mesures d'urgence décidées par le Gouvernement et autorisées par le Législateur, en soutenant l'emploi et la trésorerie de nos entreprises, doivent contenir les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire. Ses répercussions se font toutefois déjà sentir et pourraient malheureusement s'accentuer en fonction du rebond de l'activité espéré.
Cette situation commande de renforcer la protection de nos concitoyens les plus fragiles financièrement : il est temps d'agir rapidement.
À cet égard, les auteurs de la proposition de loi ont d'ores-et-déjà proposé de compléter le dispositif par une mesure spécifique tendant à exonérer de tout frais bancaire les personnes en situation de fragilité financière pour la durée de l'état d'urgence sanitaire et les trois mois qui suivent sa levée 24 ( * ) . Une extension des critères de situation de fragilité financière pour inclure d'office les personnes ayant bénéficié des mesures d'urgence est également proposée.
Le rapporteur n'y est pas favorable , considérant qu'une telle disposition n'est pas appropriée, à double titre :
- d'un point de vue juridique , tout d'abord, puisqu'une telle disposition porterait une atteinte manifestement disproportionnée et sans compensation à des contrats en cours, au risque de méconnaître le principe constitutionnel de liberté contractuelle ;
- au regard de son opportunité , ensuite, dans la mesure où les mesures budgétaires d'urgence contribuent précisément à assurer, par le biais du fonds de solidarité et du dispositif d'activité partielle, un maintien des ressources des salariés, entrepreneurs et travailleurs indépendants, de même que les reports d'échéances de prêts sans frais facilités proposés par les établissements de crédit.
C'est donc une divergence d'approche dans la réponse et sa chronologie qui justifie la position du rapporteur.
Les difficultés se concentrent devant nous : c'est pourquoi il importe de définir dès à présent des réponses fortes et solides pour protéger efficacement nos concitoyens financièrement fragiles , en traitant leurs difficultés et en les anticipant le plus en amont possible.
D. PRIVILÉGIER D'AUTRES SOLUTIONS
1. Les annonces du Gouvernement privilégient le recours à des mesures réglementaires et à des engagements des acteurs
Avant même le Covid-19 et dans le prolongement des engagements de la profession bancaire de décembre 2018, le Gouvernement a annoncé des mesures complémentaires à la fin du mois de février, après le dépôt de la présente proposition de loi . Comme la direction générale du Trésor l'a confirmé au rapporteur, les mesures initialement annoncées seront complétées pour répondre à la crise actuelle .
Les évolutions envisagées se concentrent sur deux axes .
Le premier concerne l'identification des populations en situation de fragilité financière , afin d'assurer que toutes ces personnes puissent bénéficier du filet de sécurité mis en place. Le cadre actuel, fixé par voie réglementaire, associe des critères automatiques, obligatoires et subsidiaires, dont la définition est laissée au soin de chaque établissement bancaire. Gage de souplesse et d'adaptation au profil de clientèle de chaque établissement, ce cadre souffre néanmoins de deux faiblesses :
- d'une part, les critères propres à chaque banque ne sont pas détaillés , ce qui peut se traduire par un traitement différent de clients au profil analogue selon l'établissement de crédit qui héberge leur compte et suscite parfois la méfiance de certains acteurs associatifs ;
- d'autre part, les critères retenus peuvent apparaître trop restrictifs et conduire à une détection trop tardive de la fragilité financière, en particulier pour ce qui concerne la répétition pendant trois mois consécutifs d'irrégularités sur le compte.
Pour corriger ces lacunes, le Gouvernement a annoncé dès le 21 février que « les banques se sont engagées à faire la transparence sur la définition des publics fragiles dans leur rapport annuel » 25 ( * ) . Le rapporteur estime qu'il faut aller plus loin, en consacrant le principe d'une transmission à l'ACPR , sur une base au moins annuelle, des critères appliqués par chaque établissement bancaire.
Par ailleurs, le signalement des difficultés de mise en oeuvre du dispositif devrait être facilité par la création d'une cellule d'alerte auprès de la Banque de France , qui permettra aux associations de transmettre les cas ne correspondant pas aux engagements pris par les banques. Concrètement, « cette cellule instruira ces cas avec les médiateurs des banques et rendra compte de son action à l'Observatoire de l'inclusion bancaire » 26 ( * ) .
En parallèle, le Gouvernement a invité « l'Observatoire de l'inclusion bancaire à poursuivre ses travaux de clarification des critères de fragilité appliqués par les banques » 27 ( * ) . Trois mois plus tard, la presse s'est fait l'écho de premières pistes, non décidées à ce stade, mais qui ont été confirmées au rapporteur par les différents interlocuteurs rencontrés. L'une d'entre elle lui semble devoir être retenue : il s'agit de restreindre à un mois, contre trois mois consécutifs aujourd'hui, le critère relatif à la multiplication des irrégularités sur le compte. Les décisions devraient intervenir très rapidement , afin de modifier les dispositions réglementaires dans le courant du mois de juin, ce que le Gouvernement pourra sans doute préciser lors de l'examen du texte en séance publique.
Le deuxième axe de réflexion concerne les opérations sur le compte elles-mêmes. La question des frais bancaires relève en effet non pas d'une relation bilatérale entre la banque et son client, mais davantage d'une relation triangulaire, faisant également intervenir un tiers, bénéficiaire du paiement à l'origine de l'incident.
Il s'agit d'une demande ancienne des associations de consommateurs , afin de permettre la modulation des dates de prélèvement . Lorsque le niveau de ressources d'un compte est en tension, toute optimisation des flux peut permettre de limiter l'apparition d'incidents.
En l'espèce, deux améliorations sont attendues :
- d'une part, pour éviter la répétition de frais pour un même prélèvement infructueux, un panel de « grandes entreprises émettrices de factures se sont engagées, aux côtés des établissements bancaires, à déployer d'ici à la fin de l'année 2021 des solutions de marquage automatique des prélèvements infructueux représentés afin de faciliter le remboursement des éventuels frais associés pour les clients » 28 ( * ) ;
- d'autre part, ces mêmes sociétés « se sont engagées à offrir la possibilité pour les clients de choisir la date des principaux prélèvements récurrents à la souscription et en cours de vie du contrat, d'ici au mois de novembre 2021 » 29 ( * ) .
2. Ces annonces doivent être complétées par un renforcement du cadre législatif
Le rapporteur approuve ces orientations, tout en estimant que la situation actuelle commande d'accélérer le calendrier de mise en oeuvre .
L'essentiel des évolutions annoncées par le Gouvernement relève de dispositions réglementaires, voire même d'engagements non contraignants. Toutefois, pour faire pression sur les acteurs, le ministre de l'économie et des finances, M. Bruno Le Maire, a fait part de son intention de recourir au levier réputationnel , en demandant à l'ACPR de rendre publics les noms des établissements qui ne tiendraient pas leurs engagements.
Le rapporteur estime néanmoins que ces mesures doivent être renforcées et complétées à deux points de vue :
- d'une part, en consacrant dans la loi le principe d'un plafonnement des frais d'incidents bancaires pour les publics les plus fragiles , en laissant au pouvoir réglementaire, après avis du Comité consultatif du secteur financier, le soin d'en déterminer le montant et les modalités ;
- d'autre part, en assurant l'information effective du client sur les frais d'incidents bancaires prévus par son contrat et la disponibilité des données en la matière, ce qui permettra de renforcer la transparence sur les pratiques de chaque établissement de crédit et la connaissance globale des frais d'incidents bancaires.
Il formulera à cet effet des propositions en séance publique.
En dernier lieu, la démarche de prévention des difficultés financières doit être accentuée . Le déploiement des points conseils budget (PCB) 30 ( * ) , initié sous la forme d'une expérimentation en 2016 puis généralisé, doit se poursuivre. Il était ainsi prévu que leur nombre passe d'une cinquantaine de PCB dans les quatre régions expérimentales 31 ( * ) à 150 en 2019 puis 400 sur l'ensemble du territoire en 2022. La crise sanitaire a suspendu la procédure d'appel à manifestation d'intérêt : il importe de la mener à bien le plus rapidement possible pour ne pas obérer l'objectif de montée en charge de ces structures indispensables à la prévention des difficultés financières.
Décision de la commission : votre commission n'a pas adopté de texte sur la proposition de loi et, en conséquence, n'a pas adopté cet article.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 20 mai 2020, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a examiné le rapport de M. Michel Canevet, rapporteur, sur la proposition de loi n° 339 (2019-2020) visant à rendre effectif et à renforcer le plafonnement des frais bancaires, déposée par MM. Patrick KANNER , Claude RAYNAL , Vincent ÉBLÉ , Mme Laurence ROSSIGNOL , M. Jacques BIGOT et plusieurs de leurs collègues .
M. Vincent Éblé , président . - Nous examinons la proposition de loi du groupe socialiste et républicain visant à rendre effectif et à renforcer le plafonnement des frais bancaires. Pour des raisons sanitaires, nous avons restreint la présence en commission et je remercie nos collègues qui ont accepté de ne pas venir physiquement et de participer à nos travaux par visioconférence, sachant qu'ils pourront débattre, mais sans prendre part au vote, lequel, hors les délégations de vote, exige une présence physique.
M. Michel Canevet , rapporteur . - La proposition de loi visant à rendre effectif et à renforcer le plafonnement des frais bancaires constitue une initiative du groupe socialiste et républicain, parmi lesquels nos collègues Vincent Éblé et Rémi Féraud. Elle s'appuie sur des études menées par l'Observatoire de l'inclusion bancaire et par des associations de consommateurs. Ces dernières estiment à 6,5 milliards d'euros le montant des frais d'incidents bancaires payés par les ménages français, chiffre que la Banque de France et la Fédération bancaire française (FBF) contestent cependant.
Le nombre de personnes en situation de fragilité bancaire est estimé à 3,5 millions de personnes environ. Après la crise des « gilets jaunes », le Gouvernement et les responsables des établissements bancaires français ont cherché à juguler l'augmentation des frais bancaires, considérés comme trop élevés pour les ménages modestes, en les limitant à 25 euros par mois pour les personnes en situation de fragilité financière, et à 20 euros par mois pour les personnes ayant souscrit l'offre bancaire spécifiquement dédiée à cette clientèle.
Depuis 1984, plusieurs dispositions législatives contraignantes ont concerné l'inclusion bancaire, de la création d'un droit au compte à la mise en place d'une offre spécifique pour les clients en situation de fragilité financière. La définition de ces publics n'est cependant pas complètement fixée par la loi ni même par voie règlementaire, car il apparaît difficile d'apprécier la situation de chacun selon des critères identiques. De fait, le coût de la vie varie en fonction des régions, de la composition des familles et des choix de vie des ménages. Aussi, la liste des personnes bénéficiaires de l'offre spécifique est-elle laissée à l'appréciation des établissements bancaires à partir de lignes directrices fixées par voie réglementaire, prenant par exemple en compte le niveau des ressources, le nombre d'incidents sur le compte, etc.
Au terme de l'engagement pris par la profession bancaire en décembre 2018, un plafonnement de l'ensemble des frais d'incidents bancaires s'applique pour les clients fragiles financièrement, au-delà du cadre juridique qui plafonne l'ensemble des commissions d'intervention ainsi que certains frais de rejet, pour tous les Français. La proposition de loi élargit le champ du plafonnement auquel les banques se sont engagées à la facturation des frais et des services bancaires dans leur intégralité. Une telle disposition modifierait considérablement la relation entre les clients et les établissements bancaires. En effet, les services proposés diffèrent d'un établissement à l'autre et relèvent de la politique commerciale. Le texte reviendrait donc à contraindre les banques dans leur stratégie commerciale. En France, de telles dispositions coercitives sur les prix de services n'existent que dans le secteur de l'électricité.
La proposition de loi prévoit un plafonnement réduit, au maximum à un tiers du montant général, pour les personnes ayant souscrit l'offre spécifique. Il s'agit d'une offre de services limitée, par exemple, à une carte à autorisation systématique et sans autorisation de découvert. Sur les 3,5 millions de personnes en situation de fragilité bancaire, 497 000 personnes en bénéficient. En 2018, il est apparu que l'offre spécifique, introduite par la loi en 2013, n'était pas suffisamment diffusée. Depuis la rencontre entre le Gouvernement et les établissements bancaires faisant suite à la crise des « gilets jaunes », 110 000 nouveaux clients l'ont souscrite. Les associations de consommateurs expliquent le recours encore limité au dispositif par son caractère stigmatisant et par le fait qu'il ne correspond pas toujours aux besoins des ménages. De fait, d'autres offres, à l'instar du compte Nickel proposé par BNP-Paribas, rencontrent un large succès.
Si je partage l'objectif de limiter les frais bancaires pour les personnes les plus fragiles, l'idée de plafonner l'ensemble des services et des frais bancaires de toute nature me semble quelque peu hasardeuse, et pourrait même présenter des risques constitutionnels au titre de la liberté de la concurrence.
Le texte propose, en outre, qu'un président de conseil départemental, un président de centre communal d'action sociale (CCAS) ou la Banque de France puissent enjoindre un établissement bancaire à proposer l'offre spécifique à l'un de ses clients. Or, les banques doivent déjà proposer l'offre spécifique à leurs clients en difficulté, tandis qu'un travailleur social peut assister toute personne en situation de fragilité dans le cadre des démarches bancaires. Dès lors, l'intervention d'un tiers dans le dispositif ne semble pas nécessaire. Elle existe en matière de droit au compte. Or j'observe que, selon l'Observatoire de l'inclusion bancaire, seules deux désignations sont intervenues en 2018 à la suite de l'intervention d'un CCAS et d'une association de consommateurs.
Au regard de mes observations, je vous propose de ne pas adopter la présente proposition de loi, trop contraignante et risquée pour les opérateurs bancaires comme pour les clients. La crise actuelle rend d'autant plus essentiel le rôle des banques dans le développement et le soutien de l'économie. Elles doivent, à cet effet, disposer des moyens suffisants. En outre, le risque existe que le réseau bancaire, dense dans notre pays, ne s'étiole au profit des services numériques.
M. Rémi Féraud , auteur de la proposition de loi . - Cette proposition de loi du groupe socialiste et républicain, très brève, est l'aboutissement de débats que nous avons déjà eus, notamment dans le cadre de l'examen du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire. Son objectif est de donner suite aux engagements pris à l'occasion du mouvement des « gilets jaunes » en matière d'encadrement des frais bancaires.
Nous avons en effet fait le choix de prendre en compte l'ensemble des frais bancaires dans le plafonnement, qu'ils couvrent les services ou les incidents de paiement. Certes, la seconde catégorie est la plus importante, mais il convient de traiter l'ensemble des frais en raison du manque de transparence en la matière, malgré les engagements pris par les banques. Les tarifs des services bancaires sont un véritable maquis, dont la complexité est probablement volontaire. Pour toucher l'ensemble de la clientèle bancaire, les plus fragiles feraient l'objet d'un plafonnement spécifique plus bas que celui de la clientèle générale.
Je ne crois pas que cela relève d'une logique d'économie administrée appliquée seulement au secteur bancaire : nous avons bien obtenu du Gouvernement qu'il plafonne le prix des gels hydroalcooliques et masques chirurgicaux. Il s'agit non pas d'aboutir à un tarif unique, mais d'établir un plafonnement dont le montant sera fixé au niveau réglementaire. Les incidents de paiement font au demeurant l'objet d'un engagement de plafonnement à 25 euros par les banques, mais cet engagement n'est pas pleinement mis en oeuvre.
Enfin, nous proposerons un amendement tenant compte du contexte de la crise sanitaire. Le texte ayant été déposé avant cette crise, il convenait d'ajouter une exonération de frais bancaires au titre d'incidents de paiement pour les personnes au chômage partiel, les étudiants ou encore les personnes bénéficiaires du fonds de soutien. Les frais bancaires, en cette période, ne font qu'aggraver les difficultés, d'autant que les engagements pris par les banques en 2019 n'ont pas été suivis de changements significatifs. Cet amendement reprend un article introduit par le Sénat dans le texte de prorogation de l'état d'urgence sanitaire, mais supprimé par la suite à l'Assemblée nationale sur l'initiative du Gouvernement.
Cette proposition de loi doit faire avancer le débat. Je note qu'après le dépôt de ce texte, les banques ont pris de nouveaux engagements : son adoption les aiderait dans cet effort.
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je suis partagé.
D'un côté, dans un secteur concurrentiel, la règle doit être en principe : que le meilleur gagne. Faut-il réglementer l'économie, prévoir des tarifs et des plafonnements ? Après tout, se nourrir est, par les temps qui courent, un service essentiel, et l'on ne va pas, pour autant, réguler les prix dans les boulangeries. On a vu, par le passé, les résultats économiques de telles politiques.
D'un autre côté, il est également possible de considérer, avec Rémi Féraud, que le service bancaire est essentiel, que des abus sont commis dans les frais imposés aux publics les plus fragiles.
Cependant, ce texte est-il nécessaire au regard de l'offre disponible aujourd'hui ? Michel Canevet a cité le compte Nickel. Je viens de consulter les tarifs de la Banque postale, la mieux implantée sur le territoire national et parmi la clientèle fragile : les frais de tenue de compte sont de 1,10 euro par mois, la carte bancaire coûte 25 euros par an ; retraits et virements en ligne sont gratuits. Il y a une sélectivité de fait : les publics les plus fragiles ne se tournent pas vers les banques dont les services ne répondent pas à leurs besoins. Le mieux est de garantir la transparence à travers une concurrence réelle, alors que les taux bas et la crise actuelle nous mènent plutôt à une réduction du réseau, voire de l'offre.
J'entends bien que l'ouverture de compte est un service indispensable : on ne peut percevoir de revenus ou certaines prestations sans compte bancaire désormais. Cependant, l'offre existante ne serait pas améliorée par l'article unique de cette proposition de loi.
Mme Sylvie Vermeillet . - Je ne suis pas spécialiste du sujet. Monsieur le rapporteur, pourriez-vous nous éclairer sur le contrôle des plafonnements existants ? Est-il effectif et assorti de sanctions ? Des abus caractérisés ont-ils été constatés ? Le rapporteur général a cité la Banque postale ; existe-t-il un classement comparatif des frais bancaires au titre des découverts, des commissions de service, des rejets de paiement, des commissions d'intervention ?
M. Jérôme Bascher . - Notre commission a entendu voici quelques jours Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française. La France compte encore un très grand nombre d'agences bancaires, alors que les banques ont massivement réduit leur présence physique dans les autres pays européens. L'une des plus grandes banques françaises, BNP Paribas, est engagée dans des fermetures de guichets. C'est pour couvrir les frais liés à la tenue de toutes ces agences que les banques ont augmenté les frais bancaires. Le modèle économique a changé.
Je suis sensible à l'idée de plafonner les frais bancaires, qui ont augmenté. La Banque postale, que le rapporteur général a citée, a des tarifs raisonnables ; d'autres, disons-le, pratiquent des prix délirants. Mais il faut avoir conscience de ce qu'une limitation des tarifs bancaires se traduira par une réduction de la présence des agences sur notre territoire, et plutôt dans les zones rurales qu'à Paris. Et on déposera alors une proposition de loi pour augmenter le nombre de distributeurs...
M. Philippe Dallier . - Rémi Féraud a précisé que le champ du texte couvrait l'ensemble des frais bancaires. Les 6,5 milliards d'euros mentionnés dans l'exposé des motifs correspondent-ils à la facturation des seuls incidents bancaires, ou au total des frais ?
Des mécanismes sont nécessaires pour limiter l'impact des frais bancaires, qui tombent en cascade sur ceux qui ont déjà des difficultés. Jusqu'où faut-il aller ? Attention aux effets de bord de la disposition qui donne à la Banque de France, au président du conseil départemental, au président du centre communal ou intercommunal d'action sociale la possibilité de donner des injonctions aux établissements bancaires. Dans des territoires comme la Seine-Saint-Denis, si un président de CCAS peut imposer des tarifications aux banques, celles-ci fermeront tout simplement leurs agences sur le territoire. Si nous allons trop loin, seule la Banque postale restera dans certaines zones, ou alors les autres banques sélectionneront leurs clients.
M. Arnaud Bazin . - Merci au rapporteur pour sa pédagogie. Comme le rapporteur général, je suis assez partagé. Si je suis sensible à l'objectif visé, je suis interpellé par les effets de bord et les conséquences indésirables de ce genre d'initiative. Plus qu'un service essentiel, c'est un service obligatoire auquel personne ne peut se dérober, faute de pouvoir percevoir le moindre revenu ou de payer impôts et taxes. Je ne suis pas choqué par l'idée de réglementer un service obligatoire. Reste à définir les modalités.
La Banque postale est déjà la banque des pauvres sur nos territoires. À Persan, 13 000 habitants, dont j'ai été maire pendant seize ans, il ne reste plus qu'une des trois agences bancaires qui existaient il y a vingt ans, celle de la Banque postale - et nous avons dû nous battre pour obtenir deux malheureux distributeurs de billets supplémentaires. Cette ville est la deuxième la plus pauvre du département du Val-d'Oise, en revenu moyen des ménages. Elle n'a rien à envier à certaines communes de la Seine-Saint-Denis.
En ce moment, le manque d'agences pose des problèmes, au vu des conditions d'accès aux établissements recevant du public. Il y a des files de cinquante personnes souhaitant percevoir leurs prestations sociales. L'accessibilité aux services bancaires est problématique de manière générale.
Aborder cette question est une excellente initiative, même si cette proposition de loi n'apporte pas forcément la meilleure réponse. Le sujet est d'importance pour notre commission pour les années qui viennent.
M. Éric Bocquet . - Il y a un sujet sur les frais bancaires, qu'on le veuille ou non, au-delà la concurrence. L'engagement pris fin 2018 par le secteur bancaire de geler les tarifs n'est pas venu par hasard, mais de la pression sociale dans notre pays. L'engagement a-t-il été tenu à 100 % par toutes les banques ? Dans une interview en février, le ministre de l'économie et des finances, M. Bruno Le Maire, disait que globalement, cela avait été respecté, mais que certaines banques n'avaient pas joué le jeu. Il disait avoir demandé à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) de procéder à un name and shame en publiant leurs noms. Le Gouverneur de la Banque de France, M. Villeroy de Galhau avait annoncé que nous aurions un bilan complet de la situation en mai ou juin de cette année. Il existe un vrai problème pour la clientèle la plus fragilisée, qui se compte malheureusement par millions dans notre pays ; les moindres frais viennent charger la barque.
À l'occasion d'un stage en début d'année à la Banque de France, j'ai découvert que les microcrédits avaient des taux d'intérêt supérieurs aux taux du marché au prétexte que le risque était plus élevé, ce qui est faux, car le public concerné est accompagné par des travailleurs sociaux, ce qui diminue le risque de non-remboursement du prêt. Cela m'a scandalisé. C'est sidérant. Cette proposition de loi est tout à fait bienvenue ; elle aura notre soutien.
M. Jean-François Husson . - Je partage globalement l'intérêt pour le sujet. En revanche, je m'inscris dans la préoccupation générale et je partage la position d'équilibre de notre rapporteur général. À la suite de la crise des « gilets jaunes », un nouveau dispositif se met en place : allons jusqu'au bout et voyons objectivement s'il parvient à un plein accomplissement - je pense à l'offre spécifique. Souvenons-nous qu'il a fallu des années pour que le système d'aide à la complémentaire santé monte réellement en puissance. Pendant plusieurs années, seuls 10 % à 40 % des bénéficiaires potentiels y avaient recours. Beaucoup d'efforts de communication ont été nécessaires. Regardons comment faire monter en puissance le dispositif.
Il existe un équilibre général des services bancaires. On ne peut pas dissocier ce sujet de la présence physique des banques sur le territoire - encore plus en pleine crise sanitaire. Les banques affirment qu'à moins de trois salariés dans une agence, celle-ci ne peut pas être ouverte, pour diverses raisons de roulement des effectifs, d'accessibilité ou de sécurité. Dans trop de territoires, le manque de distributeurs de billets est criant. Dans mon département de Meurthe-et-Moselle, certains doivent parcourir 25 minutes en voiture pour atteindre un distributeur. J'ai lu tous les rapports de la Banque de France et des autres. C'est comme le droit au compte : les mêmes populations peuvent être victimes de plusieurs effets de bord.
Il faut de la concurrence dans les services. Regardons comment les opérateurs se positionnent.
M. Jean-Marc Gabouty . - Le sujet peut être pris sous plusieurs angles. La baisse des revenus des banques est liée à la réduction des marges sur les taux d'intérêt. Entre les taux des prêts et leur refinancement sur les marchés, la rémunération des banques a fortement baissé. Les rémunérations des placements, pour les banques de dépôt, ont également baissé. Auparavant, entre la rémunération qu'elles fournissaient à leurs clients et leurs placements, il y avait également une marge. Les banques ont donc cherché à se rémunérer différemment, sur les services et sur les incidents. Comme l'a dit Jérôme Bascher, leur modèle a changé. Cela ne nous exonère pas d'examiner la pertinence des frais bancaires qui ont une base légale.
Il y a un vrai maquis des frais bancaires et une transparence en petits caractères. Les banques envoient de plus en plus de documentation, mais 99 % des détenteurs de compte ne la lisent pas. Il y a un vrai problème. On arrive à des aberrations, lorsque ce sont les frais bancaires qui font passer à découvert et enclenchent des pénalités. C'est un effet boule de neige intolérable qui touche principalement les publics les plus fragiles.
J'ai découvert un jour l'arsenal des banques, en ayant une commission de lecture de bilan pour un compte presque inactif. Ce n'est plus contractuel ! Si j'achète un service, c'est normal que je le paie et que la banque dispose d'une certaine liberté pour me le proposer. Mais fournir un bilan est une obligation : l'entreprise n'a pas le choix. Il n'y a donc pas de prestation.
L'approche de la proposition de loi n'est peut-être pas tout à fait la bonne dans la mesure où elle est trop catégorielle. Il est difficile de définir réellement les publics fragiles. Surtout, pourquoi ne pas inclure les publics susceptibles de devenir fragiles, comme un artisan en difficulté ?
Il ne faut pas fragiliser le système bancaire, mais encadrer les pratiques : agir sur les principes plutôt que sur le niveau des commissions et les rémunérations, et bien faire la distinction entre les services et la tarification des incidents. Cette dernière mériterait un meilleur encadrement. Nul besoin d'une catégorisation. On peut tarifier les incidents de façon générale : automatiquement, ce sont les publics les plus fragiles qui en bénéficieront. C'est différent, mais cela répond au souhait des auteurs de la proposition de loi. L'intention de cette dernière est bonne, mais dans la pratique, répond-elle au problème ? Je n'en suis pas sûr.
M. Julien Bargeton . - Ce sujet extrêmement important a été ravivé par la crise des « gilets jaunes ». Je remercie les auteurs de cette proposition de loi, même si l'on peut s'interroger sur son caractère opérationnel.
Nous devons continuer à travailler sur le suivi de l'engagement de frais bancaires de 25 euros mensuels maximum pour les publics les plus fragiles, ou de 20 euros par mois pour ceux qui avaient souscrit à l'offre spécifique. Voyons où nous en sommes.
Nous devons surtout travailler sur la transparence de l'information et sa clarté. La définition des critères des personnes fragiles laisse beaucoup de marge aux banques. Peut-être faut-il travailler d'abord sur les critères d'accès, et que les banques communiquent davantage sur les bénéficiaires du dispositif. Les banques doivent aussi renforcer la transparence des prix.
Le groupe LaREM est plutôt sur une position d'abstention, avec l'idée d'approfondir le sujet.
M. Sébastien Meurant . - Je reprends la distinction de M. Jean-Marc Gabouty entre les services, qui peuvent être payants - et il faut laisser la liberté aux banques, qui souffrent de la désintermédiation, et qui ne peuvent plus se rémunérer sur les taux d'intérêt - et les frais pour incidents. C'est davantage sur cet aspect qu'il faut se pencher.
On m'a fait part de coûts de 130 euros ou de 150 euros pour des incidents, ce qui semble exorbitant par rapport au travail fourni par la banque. Or, les incidents concernent les personnes les plus fragiles ou les moins attentives.
Disposer d'agences bancaires dans nos territoires est nécessaire. C'est une demande des citoyens. Dans le contexte actuel, certaines banques, notamment mutualistes, ne facturent pas certains actes : on ne peut pas seulement opposer les vilaines banques aux gentils consommateurs. On a multiplié les contraintes sur les banques, les documents à remplir, ce qui coûte de l'argent. Simplifier la relation bancaire leur ferait faire des économies.
Je le redis, intéressons-nous surtout aux incidents, sur lesquels il y a des abus.
M. Rémi Féraud . - - Je vous remercie de vos interventions. Cette proposition de loi a la qualité et le défaut de prendre en compte l'ensemble des frais bancaires, pour poser l'intégralité du problème. L'objectif prioritaire porte sur les frais pour incidents bancaires. Les 6,5 milliards d'euros cités sont les frais pour incidents bancaires ; l'ensemble des frais bancaires s'élèvent à plus de 30 milliards d'euros. Il ne s'agit pas de supprimer les frais pour incidents bancaires, mais de les plafonner. En moyenne, les frais pour incidents bancaires s'élèvent donc à 100 euros par Français ; c'est beaucoup, et les frais sont encore plus élevés pour les plus modestes, pour lesquels ils peuvent atteindre plusieurs milliers d'euros par an. Ces frais mettent sous l'eau la tête de personnes déjà en difficulté.
M. Julien Bargeton . - C'est vrai !
M. Rémi Féraud . - C'est pour cela que le Président de la République a cité ce point dans son intervention télévisée lors de la crise des « gilets jaunes ».
La Banque postale a des tarifs bien inférieurs à tout plafonnement. L'objectif n'est pas que cette banque accueille toute la clientèle fragile, mais qu'il y ait un partage entre les banques.
J'entends vos remarques quant aux effets pervers du mécanisme d'injonction de la proposition de loi. Même à Paris, certains quartiers manquent de distributeurs automatiques. Il est important de rendre effectif non pas le droit à zéro frais bancaires, mais le droit à l'offre spécifique. Nous en débattions hier sur un autre sujet, le droit au compte pour les Français de l'étranger : comment rendre effectif un droit qui est parfois refusé à certains ? Cette proposition de loi mériterait d'être enrichie sur la transparence, pour avoir une exhaustivité de l'information sur l'ensemble des frais bancaires.
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je suis d'accord.
M. Rémi Féraud . - Les banques se sont engagées à faire payer 25 euros de frais maximum par mois pour les incidents bancaires ; mais elles mettent en oeuvre ce dispositif souvent trop tard, et pour trop peu de personnes. Les banques font sortir leurs clients de ce plafonnement plus vite que prévu, dans une logique punitive.
Le Gouvernement a déposé un amendement à l'Assemblée nationale contre l'exonération des frais bancaires en période d'état d'urgence sanitaire voté par le Sénat en invoquant un effet d'aubaine. Les banques veulent un effet d'alerte des clients pour limiter les découverts, mais ceux-ci augmentent souvent à cause des frais bancaires. Notre proposition de loi ne propose pas de supprimer les frais bancaires pour incident - sauf pendant l'état d'urgence sanitaire. Conservons un système d'alerte avec des frais limités pour aider les gens à s'en sortir, sans qu'il se transforme en spirale infernale.
M. Michel Canevet , rapporteur . - Merci de vos interventions. Il faut aller vers plus de transparence, et instituer dans la loi les engagements que les banques ont pris.
Sylvie Vermeillet, le contrôle des pratiques bancaires, réalisé par l'ACPR, s'est intensifié. La procédure de name and shame à l'égard des réseaux bancaires qui ne respectent pas la réglementation, annoncée par le ministre de l'économie et des finances, devrait être rapidement instituée. Selon l'ACPR, les pratiques ont évolué, même si certaines banques demeurent en dehors des clous. La prise de conscience des banques est assez récente depuis les incidents de 2018 et les obligations instaurées par le Gouvernement.
Jérôme Bascher, le modèle des réseaux change. Si on institue une limitation des services bancaires, l'incidence sur les réseaux sera extrêmement forte. Le chiffre de 6,5 milliards d'euros de frais pour incidents bancaires est contesté tant par la Banque de France que par la Fédération bancaire française. La Banque de France n'arrive pas à un tel niveau.
M. Philippe Dallier . - Quel chiffre avance la Banque de France ?
M. Michel Canevet , rapporteur . - Environ 3 milliards d'euros.
M. Philippe Dallier . - Soit la moitié !
M. Michel Canevet , rapporteur . - L'obligation de transparence comprend une obligation de reporting , qui doit être beaucoup plus forte. L'Observatoire de l'inclusion bancaire, composé de représentants d'institutions bancaires et d'associations de consommateurs, doit disposer d'éléments fiables.
Arnaud Bazin, la Banque postale accueille la moitié des clients français en fragilité financière, avec des tarifs attractifs ; elle doit avoir les moyens de continuer sa mission particulière, comme me le rappelait son président.
Éric Bocquet, vous soulevez un vrai problème. Le microcrédit n'est pas traité comme il le devrait, alors qu'il a une mission sociale importante. Il n'est pas normal que le taux de prêt soir largement supérieur à celui du marché.
Je suis d'accord avec Jean-Marc Gabouty : il faut des frais bancaires qui ne soient pas surréalistes. La création de plus de cent commissions diverses par les banques doit être davantage encadrée. Mais la relation entre les banques et leurs clients doit rester commerciale, et donc synonyme de liberté. Il faut distinguer les frais pour services de ceux pour incidents bancaires.
En conclusion, il n'est pas possible, en l'état actuel de la rédaction du texte, de l'adopter. Il faut prendre le temps de la réflexion en vue de l'examen en séance. Je pense en particulier à l'offre spécifique : avoir un arsenal d'intervenants supplémentaires n'apporterait pas grand-chose. Actuellement la loi impose déjà aux banques de proposer cette offre, et les clients peuvent être accompagnés. Il faut une meilleure transparence et un meilleur reporting .
Quant à l'amendement relatif à la situation de crise, je ne sais pas s'il est nécessaire que la moitié des Français soient considérés comme un public en difficulté : 12,7 millions d'entre eux accèdent au chômage partiel, d'autres aux aides du fonds de solidarité... Est-ce la meilleure façon de traiter le sujet ? Prenons surtout en compte les personnes qui risquent de perdre leur emploi. Certaines personnes sont en difficulté, d'autres ont plutôt profité de la crise pour épargner davantage. Ciblons davantage le dispositif au lieu de créer une mesure généralisée...
M. Vincent Éblé , président . - Le rapporteur propose de ne pas adopter la proposition de loi et donc de ne pas établir de texte de commission. Je vous propose, si les auteurs de la proposition de loi et de l'amendement en sont d'accord, de voter sur la proposition du rapporteur.
La proposition de loi n'est pas adoptée. En conséquence, l'amendement COM-1 rectifié devient sans objet.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
M. Vincent Éblé , président . - Le rapporteur propose, pour délimiter le périmètre du texte au titre de l'article 45 de la Constitution, de retenir, d'une part, le plafonnement des frais d'incidents et de services bancaires des personnes physiques n'agissant pas pour des besoins professionnels et, d'autre part, les conditions dans lesquelles les personnes physiques n'agissant pas pour des besoins professionnels en situation de fragilité financière peuvent souscrire une offre bancaire spécifique.
Le périmètre de la proposition de loi est ainsi défini.
M. Vincent Éblé , président . - Les amendements de séance peuvent être déposés jusqu'au lundi 25 mai, à midi. Ils seront examinés en commission le mercredi 27 mai au matin.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Banque de France et Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)
- M. Frédéric VISNOVSKY, secrétaire général adjoint de l'ACPR et médiateur national du crédit ;
- Mme Véronique BENSAID-COHEN, conseillère parlementaire auprès du Gouverneur.
Direction générale du Trésor
- M. Jérôme REBOUL, sous-directeur des banques et financements d'intérêt général ;
- M. Paul CAPOCCI, adjoint au chef du bureau des services bancaires et des moyens de paiement.
Fédération bancaire française (FBF)
- Mme Maya ATIG, directrice générale ;
- M. Nicolas BODILIS-REGUER, directeur du département des relations institutionnelles.
La Banque Postale
- M. Rémy WEBER, président du directoire ;
- Mme Smara LUNGU, déléguée aux affaires territoriales et parlementaires.
Union nationale des associations familiales (UNAF)
- Mme Morgane LENAIN, administratrice en charge de la consommation, du surendettement et du microcrédit ;
- M. Fabien TOCQUÉ, coordonnateur du pôle économie, consommation et emploi ;
- Mme Claire MÉNARD, chargée des relations parlementaires.
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl19-339.html
* 1 Cette distinction peut s'expliquer par la différence de nature entre les commissions et les frais d'incidents : à la différence des frais bancaires qui constituent une forme de compensation, par exemple par l'application d'un intérêt au titre du montant débiteur d'un compte, sinon de sanction, la commission d'intervention correspond au paiement d'un service rendu par la banque à son client, à savoir l'analyse de la situation financière individuelle et de la nature du débit, de manière à apprécier la légitimité ou la nécessité qu'il y a ou non à autoriser le paiement malgré l'absence de provision.
* 2 Sous réserve toutefois de l'information prévue par le II de l'article L. 314-12 du code monétaire et financier pour un compte de paiement ne faisant pas l'objet d'une convention de compte de dépôt ou pour un instrument de paiement spécifique.
* 3 Loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.
* 4 Loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires.
* 5 « Rapport sur la tarification des services bancaires », Emmanuel Constans et Georges Pauget, juillet 2010, p. 2.
* 6 Ibid.
* 7 Source Insee.
* 8 Rapport annuel de l'observatoire des tarifs bancaires , octobre 2019, p. 3.
* 9 Georges Gloukoviezoff, « L'exclusion bancaire. Le lien social à l'épreuve de la rentabilité », PUF, 2010, p. 162.
* 10 À savoir l'observatoire des tarifs bancaires pour le gel des tarifs bancaires et l'observatoire de l'inclusion bancaire pour les frais d'incidents bancaires et la diffusion de l'offre spécifique.
* 11 Lors de son audition devant la commission des finances du Sénat le 4 mars dernier, Rémy Weber, président du directoire de La Banque Postale, a dressé un constat identique, insistant sur la place singulière de La Banque Postale pour la clientèle en situation de fragilité financière : « En 2019, sur les 3,3 millions de personnes considérées comme financièrement fragiles, plus d'un million a bénéficié du plafonnement à 25 euros des frais d'incidents bancaires auquel la profession s'est engagée en décembre 2018, dont 600 000 sont clients de La Banque Postale ».
* 12 Étude sur les tarifs bancaires au 5 janvier 2020 , Observatoire des tarifs bancaires.
* 13 Réponse de la Banque de France au questionnaire du rapporteur.
* 14 Réponse de la Banque de France au questionnaire du rapporteur.
* 15 Cette situation limite d'ailleurs l'effectivité du plafonnement des commissions d'intervention, comme le souligne le rapport du Comité consultatifs sur les frais bancaires de juillet 2018 : « si l'opération est payée, il y aura facturation de la commission d'intervention, si elle est rejetée, un forfait de frais de rejet est facturé, comprenant tous les frais perçus à l'occasion de ce rejet (commission d'intervention, éventuelle lettre, etc.). [...] Les plafonds de frais de rejet imposant de prendre en compte l'ensemble des frais applicables au rejet, on ne peut donc plus, a priori, au sein de cette enveloppe, distinguer la commission d'intervention. De ce fait, on ne peut pas non plus constater le plafonnement des commissions effectivement perçues ».
* 16 Réponse de la Banque de France au questionnaire du rapporteur.
* 17 Voir, en particulier, la décision n° 90-287 DC du 16 janvier 1991, Loi portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales, cons. 21 (à propos des critères d'homologation des tarifs conventionnels ayant pour but de maîtriser l'évolution des dépenses de santé).
* 18 Voir, par exemple, 2012-280 QPC du 12 octobre 2012, Société Groupe Canal Plus et autre (Autorité de la concurrence : organisation et pouvoir de sanction), cons. 8.
* 19 Voir le rapport « Frais d'incidents bancaires », juillet 2018, pp. 9 et 10.
* 20 Voir le rapport annuel de l'Observatoire des tarifs bancaires, octobre 2019, p. 55.
* 21 Voir le rapport « Frais d'incidents bancaires », juillet 2018, p. 10.
* 22 Réponse de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) au questionnaire du rapporteur.
* 23 Voir le compte-rendu de l'audition de Rémy Weber devant la commission des finances du Sénat le 4 mars 2020.
* 24 À l'occasion de l'examen du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire, le Sénat a adopté, avec un double avis défavorable de la commission des lois et du Gouvernement, un amendement de notre collègue Laurence Rossignol tendant à exonérer, pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire, de tout frais bancaire les personnes en situation de fragilité financière et les personnes allocataires du revenu de solidarité active. À l'initiative du Gouvernement, cette disposition a été supprimée par l'Assemblée nationale et n'a pas été retenue dans le texte définitif après accord en commission mixte paritaire.
* 25 Voir le communiqué de presse n° 2033 du ministère de l'économie et des finances du 21 février dernier, « Premier bilan de l'application des engagements de modération des tarifs d'incidents bancaires pris par les banques en 2018 ».
* 26 Réponse de la Banque de France au questionnaire du rapporteur.
* 27 Voir le communiqué de presse n° 2033 du ministère de l'économie et des finances du 21 février dernier, « Premier bilan de l'application des engagements de modération des tarifs d'incidents bancaires pris par les banques en 2018 ».
* 28 Voir le communiqué de presse n° 2033 du ministère de l'économie et des finances du 21 février dernier, « Premier bilan de l'application des engagements de modération des tarifs d'incidents bancaires pris par les banques en 2018 ».
* 29 Ibid.
* 30 Les points conseils budget sont des structures d'accueil inconditionnel destinées à accompagner toute personne rencontrant des difficultés budgétaires et ayant besoin d'un accompagnement. Il s'agit de structures préexistantes (associations, centres communaux d'action sociale, etc.) labellisées sur la base d'un cahier des charges. Ils visent à prévenir le surendettement et de favoriser l'éducation budgétaire.
* 31 Île-de-France, Hauts-de-France, Grand-Est et Occitanie.