B. LE REPORT DU SECOND TOUR DES ÉLECTIONS MUNICIPALES ET COMMUNAUTAIRES : UNE RÉPONSE PROPORTIONNÉE À UNE SITUATION INÉDITE

En application de l'article 34 de la Constitution 9 ( * ) , le report des élections municipales nécessite l'adoption de mesures législatives , notamment pour déroger aux articles L. 56 (« en cas de deuxième tour de scrutin, il y est procédé le dimanche suivant le premier tour ») et L. 227 du code électoral (les conseillers municipaux « sont renouvelés intégralement au mois de mars »).

L'adoption d'une loi ad hoc constitue le moyen le plus sécurisé sur le plan juridique, pour les électeurs comme pour les candidats .

Serait-il possible de recourir à l'article L. 3131-1 du code de la santé publique
pour reporter le second tour par arrêté du ministre de la santé ?

En 1973, le Conseil constitutionnel avait admis le report d'une semaine par le préfet de La Réunion des élections législatives en raison d'un cyclone 10 ( * ) . À l'époque, il avait regretté l'absence de base juridique, mais avait considéré, après de longs débats, que ce report n'affectait pas la sincérité du scrutin. Pour Pierre Chatenet, ancien membre du Conseil constitutionnel, « il n'est pas douteux qu'il y a eu un cyclone et face à cet événement, la décision de reporter les élections à une date la plus rapprochée possible était la décision la plus honnête » 11 ( * ) .

Depuis lors, il existe une base légale avec l'article L. 3131-1 du code de la santé publique qui dispose qu'« en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population ».

Toutefois, ce fondement juridique paraît très fragile : le précédent admis par le Conseil constitutionnel portait sur une seule circonscription, au vu des circonstances constatées dans cette seule circonscription . Sa généralisation au niveau national aurait généré de nombreux contentieux, notamment au regard de l'état sanitaire de chaque commune.

1. Le respect des mandats acquis dès le premier tour
a) La situation des élus concernés

Respectant les suffrages des électeurs, le projet de loi ne remet pas en cause le mandat des conseillers municipaux élus dès le premier tour, qui s'est déroulé le 15 mars 2020 . Leur élection est donc acquise, sous réserve des recours contentieux qui peuvent être déposés par tout électeur.

Cette situation concerne 30 143 communes , soit 86 % du nombre total de communes.

Se pose toutefois la question des communes de moins de 1 000 habitants , dans lesquelles les conseillers municipaux sont élus au suffrage majoritaire, avec possibilité de panachage.

Dans certaines communes, le conseil municipal a été élu au complet dès le premier tour (pour un total de 7 à 15 conseillers municipaux). Dans d'autres, le conseil municipal est incomplet , soit par manque de candidatures, soit parce que certains candidats n'ont pas obtenu la majorité des suffrages exprimés.

Le dispositif prévu par le Gouvernement
dans les communes de moins de 1 000 habitants

Dans le projet de loi présenté au Sénat, le Gouvernement propose une solution hybride , qui paraît d'une grande complexité :

- les conseillers municipaux actuels seraient maintenus en fonction dans les communes où moins de la moitié des sièges ont été pourvus . En conséquence, les conseillers municipaux élus au premier tour entreraient en fonction le lendemain du second tour ;

- dans les communes où la moitié ou plus des sièges ont été pourvus, les conseillers municipaux élus au premier tour entreraient en fonction dès à présent . En conséquence, le maire et les adjoints seraient désignés à titre provisoire jusqu'au second tour des élections municipales, date à laquelle le conseil municipal devrait se réunir de nouveau pour élire le maire.

Outre sa complexité, cette solution présente plusieurs difficultés :

- elle créerait une différence de traitement entre les communes de moins de 1 000 habitants , en fonction du nombre d'élus dès le premier tour des élections municipales ;

- elle permettrait, dans une commune de moins de 100 habitants, de composer un conseil municipal avec seulement quatre personnes ;

- elle remettrait en cause la sincérité du second tour , le vote des électeurs pouvant être influencé par les décisions prises par le conseil municipal « provisoire ». Cet enjeu est d'autant plus important dans les communes où le nombre de candidats n'était pas suffisant au premier tour : dans cette configuration, tout électeur peut se porter candidat au second tour, sans avoir participé au premier tour.

Pour garantir la sincérité du second tour dans les communes de moins de 1 000 habitants , la commission des lois a préféré distinguer deux situations (amendement COM-16) :

- soit le conseil municipal a été élu au complet dès le premier tour, et dans ce cas, les nouveaux conseillers municipaux peuvent entrer en fonction ;

- soit le conseil municipal est incomplet, ce qui nécessite l'organisation d'un second tour . Dans cette hypothèse, les mandats des actuels conseillers municipaux seraient prolongés à titre exceptionnel et transitoire . Les conseillers municipaux élus au premier tour entreraient en fonction au lendemain du second tour.

Le législateur a déjà prévu un dispositif comparable pour les députés européens « supplémentaires » élus en mai 2019 mais entrés en fonction en février 2020, après le Brexit 12 ( * ) .

Dans le même esprit, la commission a également souhaité garantir l'unité du conseil de Paris : l'ensemble des conseillers entreraient en vigueur au lendemain du second tour des élections municipales (amendement COM-17) .

Élection des conseillers municipaux dans les communes de moins de 1 000 habitants

Source : commission des lois du Sénat

b) L'organisation de la première réunion du conseil municipal

Les conseils municipaux élus complets dès le premier tour doivent se réunir entre le vendredi 20 mars et le dimanche 22 mars 2020 pour élire le maire et ses adjoints .

Le contexte sanitaire impose toutefois de prendre des précautions particulières pour protéger la santé des conseils municipaux et des agents communaux . La circulaire de la ministre de la cohésion des territoires du 17 mars 2020 13 ( * ) apporte des garanties nécessaires mais insuffisantes devant l'ampleur de l'épidémie.

La première réunion du conseil municipal :
les garanties prévues par la commission des lois

Par l'adoption de l'article 1 er bis , issu d'un amendement COM-21 rectifié de son rapporteur, la commission a souhaité que :

- le conseil municipal puisse se réunir, si besoin, en dehors de la commune, dans un lieu permettant de préserver la santé des élus et des agents ;

- le quorum des présents soit fixé à un tiers des membres du conseil municipal, contre la moitié aujourd'hui ;

- les conseillers municipaux puissent détenir deux pouvoirs chacun, contre un seul en l'état du droit.

La lecture et la remise de la charte de l'élu local pourraient être reportées à une prochaine séance du conseil municipal.

2. Le report du second tour, avec comme corollaire, la prorogation des mandats
a) La date du second tour

Dans les communes dont le conseil municipal n'a pas été renouvelé intégralement à l'issue du premier tour de scrutin, un second tour serait organisé à une date définie par décret et, au plus tard, au mois de juin 2020 .

Pour plus de clarté, la commission a prévu que les électeurs soient convoqués au moins un mois avant le scrutin ( amendement COM-14 ). Elle a également permis au Gouvernement d'organiser les élections municipales à une date différente en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie , les conditions sanitaires dans ces territoires étant, à ce stade, moins dégradées qu'en métropole ( amendement COM-20 ).

Les résultats du premier tour seraient conservés et seuls les candidats qualifiés pour le second tour pourraient se maintenir .

Le report du second tour :
un dispositif qui ne met en cause aucun principe constitutionnel

Aucune norme constitutionnelle n'impose de délai maximal entre le premier et le second tour des élections municipales et communautaires 14 ( * ) .

La seule exigence constitutionnelle est, dans ce cadre, que les conditions du report ne remettent pas en cause la sincérité du scrutin, que le Conseil constitutionnel est appelé à examiner en tant que juge des élections législatives et sénatoriales mais également dans le contrôle des textes législatifs 15 ( * ) .

En maintenant les résultats du premier tour, le projet de loi préserverait la sincérité du scrutin, dans un contexte inédit sur le plan sanitaire . Cette nouvelle date ne serait pas de nature à fausser les résultats du scrutin 16 ( * ) , notamment car elle ne créerait aucune confusion dans l'esprit des électeurs par rapport à d'autres consultations 17 ( * ) . Elle n'est pas non plus motivée par une volonté de manoeuvre frauduleuse et ne remettrait pas en cause les prochaines élections sénatoriales, prévues en septembre 2020 18 ( * ) .

Il s'agit, en outre, d'une mesure exceptionnelle et temporaire , justifiée par un motif impérieux de santé publique. Elle semble préférable à toutes les solutions alternatives.

Le législateur aurait pu, d'une part, se limiter à décaler d'une semaine le second tour des élections municipales et communautaires, en les fixant au 29 mars 2020 19 ( * ) . Cette solution n'apparaît toutefois pas viable au regard du contexte actuel et des prévisions épidémiologiques qui peuvent en être tirées.

Il n'est pas envisageable, d'autre part, d'utiliser les résultats du premier tour pour répartir les sièges de conseillers municipaux lorsqu'aucun candidat n'a obtenu la majorité des voix. Une telle modification des règles a posteriori remettrait en cause la sincérité du scrutin : les enjeux d'un premier tour ne sont pas comparables à ceux d'un second tour, notamment en ce qui concerne d'éventuelles fusions de liste.

Pour plus de garanties, la commission a souhaité fixer le délai de dépôt des candidatures au 24 mars 2020 et à autoriser les dépôts par voie dématérialisée (amendements COM-15 et COM-22) .

Certes, les candidats ont besoin de plus de temps pour remplir leur dossier. Il convient toutefois de préserver une certaine cohérence entre le premier et le second tour et d'éviter que les échanges pour d'éventuelles fusions de listes ne s'échelonnent sur plusieurs mois.

Avant le 10 mai 2020, le Gouvernement remettrait au Parlement un rapport sanitaire pour évaluer la possibilité d'organiser ce second tour de scrutin . Ce rapport serait fondé sur l'analyse du comité national scientifique placé auprès du Gouvernement.

Si le risque épidémiologique persiste, le Gouvernement déposerait un nouveau projet de loi pour annuler, dans les communes dont le conseil municipal n'a pas été renouvelé intégralement, les résultats du premier tour de scrutin, fixer une nouvelle date d'élection et prolonger le mandat des actuels conseillers municipaux.

Cette dernière hypothèse impliquerait de repousser les prochaines élections sénatoriales, qui ne peuvent pas avoir lieu avant les élections municipales 20 ( * ) .

b) L'organisation du second tour

Le texte prévoit plusieurs garanties pour l'organisation du second tour des élections municipales et communautaires , qui pourront être complétées par voie d'ordonnances. Pour préserver les droits du Parlement, la commission des lois a réduit le délai de dépôt du projet de loi de ratification , qui devrait être déposé avant le scrutin (amendement COM-23) .

Le plafond des dépenses électorales serait majoré pour tirer les conséquences de l'allongement de la période de financement (qui s'étendrait désormais du 1 er septembre 2019 jusqu'au second tour des élections en juin 2020).

Pour s'assurer du bon déroulement de ce scrutin , la commission a précisé :

- le délai dont disposeront les candidats pour déposer leur compte de campagne auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) (amendement COM-18) ;

- les règles applicables à la propagande , notamment en ce qui concerne l'interdiction d'apposer des affiches en dehors des panneaux dédiés (amendement COM-19) .

c) La prorogation du mandat des conseillers municipaux

Corollaire du report du second tour, le mandat des actuels conseils municipaux et communautaires serait prorogé lorsque le conseil municipal n'a pas été élu complet , ce que le Conseil constitutionnel a déjà admis dans d'autres circonstances.

La prolongation des mandats :
une mesure acceptée sous conditions par le Conseil constitutionnel

L'article 3 de la Constitution , en vertu duquel le suffrage « est toujours universel, égal et secret », implique que les électeurs soient appelés à exercer leur droit de suffrage selon une périodicité raisonnable .

Rappelant qu'il ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement, le Conseil constitutionnel vérifie que les modalités retenues par loi ne sont pas manifestement inappropriées au regard de l'objectif poursuivi. Il a par exemple admis que :

- le mandat des membres de l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE) soit prolongé d'un an pour permettre la mise en oeuvre de la réforme de la représentation des Français établis hors de France (décision n° 2013-671 DC du 6 juin 2013) ;

- le mandat des conseillers municipaux soit prorogé de trois mois pour faciliter l'organisation de l'élection présidentielle de 1995 (décision n° 94-341 DC du 6 juillet 1994) ;

- les conseillers de la communauté urbaine de Lyon siègent au sein de la métropole de Lyon entre 2015 et 2020 pour « éviter l'organisation d'une nouvelle élection au cours de l'année 2014 » (décision n° 2013-687 DC du 23 janvier 2014).

Refuser de prolonger les mandats en cours des conseillers municipaux soulèverait également des difficultés au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales et de la nécessaire continuité des services publics . Cela conduirait le préfet à instituer des délégations spéciales de trois à sept membres, dont les pouvoirs seraient limités « aux actes de pure administration conservatoire et urgente » 21 ( * ) .


* 9 « La loi fixe les règles concernant [...] le régime électoral [...] des assemblées locales ».

* 10 Conseil constitutionnel, Élections législatives dans la deuxième circonscription de La Réunion , décision n° 73-603/741 AN.

* 11 Compte rendu de la séance du Conseil constitutionnel du 27 juin 1973.

* 12 Loi n° 2019-487 du 22 mai 2019 relative à l'entrée en fonction des représentants au Parlement européen élus en France aux élections de 2019.

* 13 Circulaire sur l'élection des conseillers communautaires et municipaux et des exécutifs et le fonctionnement des organes délibérants.

* 14 La Constitution prévoit uniquement, en son article 7, un délai de quatorze jours entre les deux tours de l'élection présidentielle.

* 15 Conseil constitutionnel, 18 juillet 2013, Loi relative à la représentation des Français établis hors de France , décision n° 2013-673 DC, consid. 16.

* 16 Conseil constitutionnel, 30 janvier 1968, Élections législatives dans la troisième circonscription de Corse , décision n° 67-501/502 AN.

* 17 Conseil constitutionnel, 6 juillet 1994, Loi relative à la date du renouvellement des conseillers municipaux , décision n° 94-341 DC, consid. 7.

* 18 En application de l'article L. 283 du code électoral, un délai de six semaines au moins doit séparer la désignation des délégués des conseils municipaux et leurs suppléants, d'une part, et les élections sénatoriales, d'autre part.

* 19 Ce qui aurait nécessité de déroger au seul article L. 56 du code électoral.

* 20 Conseil constitutionnel, 15 décembre 2005, Loi organique modifiant les dates des renouvellements du Sénat , décision n° 2005-529 DC du 15 décembre 2005.

* 21 Articles L. 2121-35 à L. 2121-39 du code général des collectivités territoriales.

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