B. L'AMBITION DE LA PROPOSITION DE LOI : PROMOUVOIR UN EXERCICE DE L'AUTORITÉ PARENTALE SANS VIOLENCE

1. Les mesures proposées

La proposition de loi visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires tend à compléter le deuxième alinéa l'article 371-1 du code civil, relatif à l' autorité parentale .

Cet article définit tout d'abord l'autorité parentale comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant ».

Son deuxième alinéa précise ensuite qu'elle « appartient aux parents jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ».

La proposition de loi propose de compléter cet alinéa en indiquant que l'autorité parentale s'exerce « à l'exclusion de tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux punitions et châtiments corporels » .

Cette formulation peut être rapprochée des termes de l'article 37 de la convention internationale des droits de l'enfant, qui proscrit les « traitements cruels, inhumains ou dégradants » envers les enfants. Le choix d'une telle référence vise à consacrer en droit interne les droits fondamentaux de l'enfant reconnus par les dispositions supranationales.

La notion de « châtiments corporels » est quant à elle inspirée des recommandations du Comité des droits de l'enfant, qui a invité la France à interdire expressément ces châtiments, en précisant qu'ils constituent une forme de violence.

Afin de viser l'ensemble des violences éducatives ordinaires, le texte mentionne également les « punitions », qui peuvent aussi, notamment si elles sont humiliantes, avoir un effet négatif sur le développement de l'enfant.

2. Un levier nécessaire pour une évolution de la jurisprudence

La loi, et en particulier le code civil qui est l'un des piliers de notre « contrat social », a pour objet de fixer une norme sociale. C'est la vocation du code civil de poser les principes généraux qui régissent la vie en société, sans nécessairement les assortir de sanctions.

Le code civil énonce de nombreux principes sans prévoir de sanction : « Chacun a droit au respect de son corps » à l'article 16-1 ; « Nul ne peut porter atteinte à l'intégrité de l'espèce humaine » à l'article 16-4, etc .

Ces principes orientent les juridictions dans leur travail d'interprétation de la loi et les conduisent à faire évoluer leur jurisprudence.

Ainsi, l'inscription au sein du code civil, dans les dispositions relatives à l'autorité parentale, de l'interdiction explicite de toute violence, ne permettra plus à la jurisprudence de se retrancher derrière un attribut implicite de l'autorité parentale pour justifier l'invocation d'un droit de correction. Auditionnées par votre rapporteure, Mmes Marie-Charlotte Dalle, sous directrice du droit civil à la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice, et Anne Caron-Déglise, avocat général à la Cour de cassation, ont jugé probable que l'adoption de la proposition de loi conduirait la Cour de cassation à renoncer à sa jurisprudence sur ce point.

Interdiction des violences éducatives ordinaires
et exercice de l'autorité parentale

Le retrait de l'autorité parentale, qui peut être prononcé par une juridiction pénale ou par une juridiction civile, obéit à des conditions strictes, qui ne recouvrent pas la question des violences éducatives ordinaires.

S'agissant du retrait par le juge pénal, conformément à l'article 378 du code civil, il ne peut être prononcé qu'à l'occasion d'une condamnation pénale du ou des parents :

- comme auteurs, coauteurs ou complices d'un crime ou délit commis sur la personne de leur enfant ou sur celle de l'autre parent,

- ou comme coauteurs ou complices d'un crime ou délit commis par leur enfant.

En dehors de toute condamnation pénale, le retrait total de l'autorité parentale peut intervenir en application de l'article 378-1 du code civil, lorsque les parents mettent manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité de leur enfant :

- par de mauvais traitements,

- par une consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques ou un usage de stupéfiants,

- par une inconduite notoire ou des comportements délictueux, notamment lorsque l'enfant est témoin de pressions ou de violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l'un des parents sur la personne de l'autre,

- par un défaut de soins ou un manque de direction.

Ce même article prévoit que le retrait peut également intervenir en cas d'abstention volontaire pendant plus de deux années d'exercer leur droit à l'égard d'un enfant faisant l'objet d'une mesure de placement. Il s'agit dans cette hypothèse de consacrer en droit le délaissement de fait du ou des parents à l'égard de leur enfant.

Ces hypothèses, d'une gravité certaine, ne recouvrent donc pas la question des violences éducatives ordinaires.

Il en va de même concernant les faits susceptibles de déclencher une mesure d'assistance éducative. L'article 375 du code civil prévoit qu'une telle mesure peut être prononcée lorsque : « la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ». Au vu des décisions rendues par les juges des enfants, des faits de violence éducative ordinaire ne sauraient justifier le prononcé d'une mesure d'assistance éducative. Le juge n'intervient que face à des situations de maltraitance ou de négligence caractérisées.

3. Renforcer la prévention par la portée pédagogique de la disposition

L'adoption de la proposition de loi enverrait un signal fort de refus de la banalisation des violences faites aux enfants.

Il n'est pas inutile, à cet égard, de rappeler que l'article 371-1 du code civil est lu aux futurs époux par l'officier d'état civil lors de la cérémonie de mariage. Le principe posé par la proposition de loi bénéficiera donc d'une grande publicité et sera un outil de sensibilisation à l'exercice sans violence de l'autorité parentale.

Certains exemples étrangers indiquent que l'interdiction des violences éducatives ordinaires peut favoriser une prise de conscience propice à une plus grande vigilance de l'ensemble du corps social sur la question des violences faites aux enfants. En Espagne, l'adoption d'une loi interdisant les violences éducatives a ainsi conduit à une forte augmentation du nombre de signalements traités par le dispositif national d'écoute « Aides aux enfants et adolescents en danger », multiplié par quatre entre 2009 et 2016, une plus grande sensibilisation de la population conduisant à des signalements plus fréquents.

4. Une mesure qui doit s'inscrire dans le cadre plus large d'une politique de soutien à la parentalité

Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité des lois du 5 mars 2007 et du 14 mars 2016 relatives à la protection de l'enfance.

En effet nos habitudes culturelles et le poids de notre propre éducation ne doivent pas freiner l'évolution vers une meilleure prise en compte de l'intérêt de l'enfant.

Face à la possibilité que certains parents, ne sachant pas comment fixer des limites à leurs enfants sans employer de punition corporelle, se sentent démunis, des mesures d'accompagnement à la parentalité sont nécessaires.

Au cours de ses auditions, votre rapporteure a pu apprécier l'engagement de certaines associations, comme StopVEO, Enfance sans violences ou la Fondation pour l'enfance, qui prodiguent conseils et recommandations aux familles en difficulté. La Fondation pour l'enfance a par exemple mené d'importantes campagnes d'information, comme celle conduite en janvier 2018, en partenariat avec France Télévisions, sur le thème « Violenter son enfant, c'est le marquer pour longtemps ».

Mais la mobilisation des pouvoirs publics est également indispensable.

Dans le cadre du plan interministériel 2017-2019 de lutte contre les violences faites aux enfants, des initiatives ont été prises pour renforcer la prévention et la sensibilisation des parents. Un livret « Première naissance » est envoyé aux parents par les caisses d'allocations familiales au cinquième mois de grossesse et le carnet de santé a évolué pour intégrer une information sur l'éducation sans violence et le syndrome du bébé secoué. Votre rapporteure espère que le nouveau secrétaire d'État à la protection de l'enfance, M. Adrien Taquet, aura à coeur de prolonger cet effort au-delà de l'année 2019.

Il importe de faire mieux connaître aux parents en difficulté les dispositifs existants, gérés par les caisses d'allocations familiales : services de médiation familiale, espaces de rencontre, réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents (REAAP), lieux d'accueil enfants-parents (LAEP) pour les enfants jusqu'à six ans. Les parents peuvent également obtenir une écoute et des conseils en appelant le numéro national 119, géré par le groupement d'intérêt public « Enfance en danger » (Giped) dont votre rapporteure a entendu la directrice générale.

Votre rapporteure est consciente du fait qu'un travail de sensibilisation à long terme doit être mené : beaucoup de parents qui recourent couramment aux violences éducatives ordinaires, souvent parce qu'ils en ont subis eux-mêmes, estiment qu'elles ne posent pas de problème et ils ne se tourneront donc pas spontanément vers ces dispositifs ; d'autres parents hésiteront à demander de l'aide par peur du jugement des autres ou parce qu'ils considèrent que ces dispositifs ne s'adressent qu'à des familles en grande difficulté.

C'est pourquoi une prise de position claire du législateur apparaît aujourd'hui indispensable.

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