B. UN ARSENAL LÉGISLATIF RENFORCÉ LORS DES DERNIÈRES LOIS RELATIVES AU LOGEMENT DONT LE VOLET ADMINISTRATIF DOIT ENCORE ÊTRE SIMPLIFIÉ POUR PLUS D'EFFICACITÉ
Les trois dernières lois relatives au logement - la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour un accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté et la loi ELAN- ont comporté un volet dédié à la lutte contre l'habitat indigne et contre les marchands de sommeil.
1. Des mesures préventives et répressives pour lutter contre les marchands de sommeil
La loi ALUR comprend un chapitre dédié à la lutte contre les marchands de sommeil. Sur le plan préventif, plusieurs mesures ont vocation, si ce n'est à empêcher, du moins à enrayer l'activité des marchands de sommeil. Ainsi, l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétent en matière d'habitat, ou à défaut la commune, peut délimiter des zones caractérisées par une importante proportion d'habitat dégradé dans lesquelles les travaux en vue de créer dans un local plusieurs logements d'habitation seront soumis à autorisation préalable (ou permis de diviser). Il peut également dans ces zones imposer aux bailleurs de déclarer la mise en location du logement, voire de soumettre à autorisation préalable cette location (ou permis de louer). Les personnes auditionnées par votre rapporteur n'ont pas été en mesure de lui donner de premiers éléments statistiques d'application de ces différents dispositifs, les mesures d'application ayant été publiés tardivement entre décembre 2016 et mars 2017.
Sur le plan répressif, la loi ALUR a renforcé l'arsenal de sanctions à l'encontre des marchands de sommeil en instaurant une peine complémentaire d'interdiction d'acheter un bien à d'autres fins que son occupation personnelle et l'obligation pour le notaire de vérifier qu'un acquéreur de bien immobilier n'est pas condamné à cette peine.
La loi ELAN comporte également un chapitre visant à renforcer la lutte contre les marchands de sommeil que le Sénat a contribué à enrichir. Ainsi, sur le plan fiscal, l'administration fiscale est autoriser à imposer sous certaines conditions les revenus que les marchands de sommeil sont censés avoir tiré de la mise à disposition de logements indignes.
Sur le plan pénal, certaines peines complémentaires deviennent automatiques, comme la confiscation des biens ayant servi à l'infraction ou l'interdiction d'acquérir un bien immobilier à d'autres fin que son occupation à titre personnelle -peine dont la durée maximale est portée à dix ans- sauf si le tribunal en décide autrement par décision motivée. Est instaurée une peine complémentaire autorisant la confiscation en valeur du montant de l'indemnité d'expropriation. Enfin, le juge pourra décider de confisquer des biens du patrimoine des marchands de sommeil, au-delà de ceux ayant servi à l'infraction, lorsque la personne est poursuivie pour l'infraction de soumission à des conditions d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine. Ces peines complémentaires pourront être appliquées aux marchands de sommeil personnes morales.
Le maire devra être informé par le notaire lorsqu'une vente n'a pu avoir lieu en raison de l'interdiction d'acheter pesant sur un marchand de sommeil. Les agents immobiliers devront signaler au Procureur de la République les agissements des marchands de sommeil.
Par ailleurs, la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté a autorisé l'exercice de l'action civile des associations qui ont pour objet de lutter contre l'habitat indigne sous réserve qu'elles soient régulièrement déclarées depuis cinq ans, qu'elles aient obtenu l'accord de la victime et que leurs actions concernent les infractions relatives à l'hébergement incompatible avec la dignité humaine.
2. Un volet administratif qui nécessite d'être encore harmonisé et simplifié
a) L'émergence d'un acteur unique chargé de mettre en oeuvre les polices spéciales de l'habitat
Devant le constat d'une multiplicité des acteurs intervenant en matière de polices spéciales de l'habitat, la loi ALUR a proposé de mettre en place un acteur unique . Ainsi, le préfet peut transférer aux présidents des EPCI délégataires des aides à la pierre ou aux maires ayant un service communal d'hygiène et de santé ses pouvoirs de police en matière d'insalubrité. La loi relative à l'égalité et à la citoyenneté a également permis qu'il délègue ses attributions en matière de danger sanitaire ponctuel urgent et en matière de lutte contre le saturnisme.
En outre, il est prévu le transfert aux présidents des EPCI des prérogatives en matière de polices spéciales de l'habitat (police en matière de péril, d'hôtels meublés, d'équipements communs des immeubles collectifs) détenues par les maires des communes membres. Néanmoins, le maire peut s'opposer au transfert de ses polices dans les six mois de l'élection du président de l'EPCI, ce dernier pouvant à son tour renoncer au transfert de compétence à compter de la première opposition.
Un premier bilan effectué en 2015 a montré que 24% des présidents des EPCI alors concernés exerçaient les compétences des maires en matière de police. Néanmoins, ce chiffre pourrait avoir évolué en raison de la réforme de l'intercommunalité mise en oeuvre avec la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). L'enquête sur l'habitat indigne portant sur les données de l'année 2017 comportera des questions pour faire le bilan de ces transferts.
La loi ELAN a habilité le Gouvernement à légiférer par ordonnance dans deux directions :
- modifier les dispositions relatives au transfert des polices de l'habitat du maire aux présidents des EPCI, afin de préciser « les modalités de décision des maires, de façon à établir un cadre stable à l'exercice des compétences transférées et sécuriser les actes juridiques pris pendant les périodes transitoires de transfert de compétences » ;
- favoriser la création par les EPCI de services qui mutualisent au niveau intercommunal les moyens matériels et financiers de lutte contre l'habitat indigne et les immeubles dangereux et de favoriser en présence d'un tel service la délégation à l'EPCI des polices de santé publique du préfet.
Le Gouvernement doit publier son ordonnance dans un délai de 18 mois.
b) Une amélioration des conditions de mise en oeuvre des polices spéciales en matière d'habitat indigne lors des dernières lois relatives au logement
La loi ALUR et la loi ELAN ont amélioré les conditions de mise en oeuvre des polices spéciales en matière d'habitat indigne .
Le législateur a souhaité inciter les propriétaires à réaliser les travaux demandés par les pouvoirs publics. Ainsi, les autorités compétentes en matière de police de l'habitat indigne peuvent fixer des astreintes d'un montant maximal de 1 000 euros par jour de retard lorsque des travaux ont été prescrits sur des logements indignes mais non exécutés dans les délais prévus par l'arrêté. La loi ELAN a généralisé l'application de cette astreinte. En outre, les organismes payeurs de l'allocation logement ont la possibilité de conserver pendant 18 mois le montant de l'allocation tant que les travaux prescrits pour rendre le logement décent ne sont pas réalisés. Pendant le délai, le locataire paie le loyer déduction faite du montant de l'allocation. A l'issue du délai, si les travaux n'ont pas été réalisés, l'allocation est définitivement perdue pour le bailleur.
Le législateur a également cherché à favoriser la réalisation des travaux en cas de carence du propriétaire. Ainsi, le coût de la maîtrise d'ouvrage et de l'accompagnement social des travaux et mesures prescrits par les arrêtés, mises en demeure ou injonctions des autorités publiques compétentes peut désormais être mis à la charge des propriétaires défaillants.
c) Une simplification des polices très attendue
La règlementation actuelle comprend pas moins de treize polices applicables en matière de lutte contre l'habitat indigne qui s'appliquent à des situations différentes (habitat insalubre, indigne, indécent...) et qui font intervenir des autorités différentes (commune, établissement public de coopération intercommunale, État) et des procédures différentes.
Dans son vade-mecum « Agir contre l'habitat insalubre ou dangereux - Méthodes, choix et conduite des procédures », la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) classe les différentes polices administratives en deux catégories : celles relatives à la salubrité publique et celles relatives à la sécurité publique. Les paragraphes qui suivent ont vocation à présenter brièvement les plus importantes d'entre elles.
(1) Police relevant de la salubrité publique
? Plusieurs polices traitent les cas d'occupation non conforme du bien.
• En cas de mise en location de locaux impropres à l'habitation comme les caves ou les pièces sans fenêtres , le préfet doit mettre en demeure la personne ayant mis à disposition ces locaux de faire cesser cette situation dans un délai déterminé. Il peut imposer des mesures pour empêcher l'accès ou l'usage du bien comme lieu d'hébergement et décider de les faire exécuter d'office (article L. 1331-22 CSP). Le maire au nom de l'État peut également décider ces mesures. La personne doit assurer le relogement des occupants.
• Le préfet doit mettre en demeure la personne ayant mis en location des locaux dans des conditions conduisant à leur suroccupation manifeste de faire cesser cette situation dans le délai qu'il impose. La personne doit assurer le relogement des occupants (article L. 1331-23 CSP).
• Lorsque l'utilisation des locaux présente un danger pour la santé ou la sécurité des occupants , le préfet après avis de la commission départementale compétente en matière d'environnement, de risques sanitaires ou technologiques (CODERST) a la possibilité de délivrer une injonction à la personne qui a mis ces locaux à disposition ou qui utilise ces locaux de le faire conformément à ses prescriptions ; l'injonction peut comprendre en outre une interdiction temporaire ou définitive d'habiter. La personne doit assurer le relogement des occupants. À l'issue du délai, si les mesures ne sont pas réalisées, le préfet exécute les mesures aux frais de la personne (article L. 1331-24 CSP).
? D'autres polices traitent de la dégradation du bâti.
• La police spéciale en matière d'insalubrité est définie aux articles L. 1331-26 et suivants du code de la santé publique et s'applique lorsqu'un bâtiment constitue « soit par lui-même, soit par les conditions dans lesquelles il est occupé ou exploité, un danger pour la santé des occupants ou des voisins ».
Le directeur général de l'agence régionale de la santé (ARS), ou le directeur du service communal d'hygiène et de santé, établit un rapport sur la situation de l'immeuble. Lorsque le rapport conclut à l'insalubrité de l'immeuble, le préfet demande à la CODERST de rendre un avis dans un délai de deux mois sur la réalité de l'insalubrité, ses causes et les mesures pour y remédier. Si la CODERST émet un avis différent, le Haut conseil de la santé publique est saisi.
Si la CODERST considère qu'il n'existe aucun moyen technique de mettre un terme à l'insalubrité ou que le coût des travaux est supérieur au coût de reconstruction, alors le préfet déclare que l'immeuble est insalubre irrémédiable , prononce une interdiction d'habiter et fixe sa date d'effet qui ne peut aller au-delà d'un an. Il peut ordonner la démolition de l'immeuble.
Le maire, ou le président de l'EPCI, agissant au nom de l'État, ou à défaut le préfet, peut réaliser d'office les mesures destinées à écarter les dangers immédiats pour la santé et la sécurité des occupants ou des voisins. Il peut faire procéder à la démolition sur ordonnance du juge statuant en la forme des référés.
Si la CODERST juge que l'immeuble est insalubre remédiable , le préfet doit prescrire les mesures permettant de remédier à la situation et le délai pour leur réalisation ; il prononce éventuellement une interdiction d'habiter. Si les mesures n'ont pas été exécutées dans le délai imparti, le préfet met en demeure le propriétaire de les réaliser, éventuellement sous astreinte, dans le délai d'un mois. À défaut d'exécution, les mesures pourront être réalisées d'office aux frais du propriétaire par le maire ou le président de l'EPCI agissant au nom de l'État, ou à défaut le préfet, y compris si les locaux sont devenus vacants et constituent un danger.
Un immeuble inoccupé ne constituant pas un danger pour la santé et la sécurité des voisins peut être interdit à l'habitation par arrêté du préfet qui précise les mesures à prendre pour empêcher l'accès à l'immeuble et les travaux à réaliser.
Si l'immeuble devient inoccupé après l'édiction de l'arrêté, qu'il est sécurisé et ne constitue pas un danger pour la santé ou la sécurité des voisins, le propriétaire n'est plus tenu de réaliser les mesures prévues par l'arrêté dans le délai fixé mais doit les réaliser avant toute nouvelle occupation.
Lorsque le rapport de l'ARS constate l'existence d'un danger imminent pour la santé ou la sécurité des occupants résultant de l'insalubrité de l'immeuble le préfet met en demeure, en application de l'article L. 1331-26-1 CSP, le propriétaire de prendre dans un délai donné toutes mesures permettant de faire cesser ce danger. Le préfet peut interdire temporairement l'habitation des lieux. Si les mesures ne sont pas réalisées dans le délai imparti, le préfet peut les exécuter d'office.
• Lorsque l'État souhaite éradiquer l'existence de bidonvilles, le préfet peut, après avis de la CODERST, définir des périmètres insalubres en application de l'article L. 1331-25 CSP, dans lequel il pourra déclarer insalubres des locaux impropres à l'habitation pour des raisons d'hygiène, de salubrité ou de sécurité. L'arrêté emporte interdiction d'habiter et d'utiliser les locaux.
• Une procédure spéciale est mise en oeuvre en cas d'exposition à l'amiante (article L. 1334-15 CSP), au plomb (article L. 1334-1 CSP) ou en cas de danger ponctuel imminent pour la santé publique (article L. 1311-4 CSP).
(2) Police relevant de la sécurité publique
• En matière de sécurité publique, la police relative aux bâtiments menaçant ruine est définie aux articles L. 511-1 du code de la construction et de l'habitation (CCH) et suivants.
Ainsi, lorsqu'un bâtiment menace ruine et peut par son effondrement compromettre la sécurité ou, ne présente pas les garanties de solidité nécessaires au maintien de la sécurité publique, le maire peut mettre en demeure le propriétaire de réaliser des travaux de réparation ou la démolition dans un délai déterminé. Le maire peut également prononcer une interdiction d'habiter temporaire ou définitive. Dans ce cas, la durée maximale d'habitation ne peut excéder une année. Lorsqu'il s'agit d'un immeuble d'habitation, le propriétaire qui ne réalise pas les travaux demandés dans le délai pourra être condamné au paiement d'astreinte.
Si le propriétaire n'a pas réalisé les travaux prescrits, le maire met la personne en demeure d'y procéder dans un délai qui ne peut être inférieur à un mois, éventuellement sous astreinte. À défaut de réalisation des travaux, le maire procède à l'exécution d'office des travaux.
• En cas de péril grave et imminent établi par un expert, le maire prescrit en application de l'article L. 511-3 CCH les mesures provisoires garantissant la sécurité. Si les mesures ne sont pas réalisées dans le délai imparti, le maire peut les exécuter d'office.
• Une procédure spéciale est mise en oeuvre en cas d'atteinte à la sécurité des équipements communs des immeubles collectifs d'habitation. Cette procédure permet au maire à l'issue d'une procédure contradictoire de prendre des mesures en cas de fonctionnement défectueux ou de défaut d'entretien de nature à créer des risques sérieux pour la sécurité des occupants ou à compromettre gravement leurs conditions d'habitation. Lorsque les mesures n'ont pas été exécutées, le maire peut mettre la personne en demeure de le faire dans un délai qui ne peut être inférieur à un mois. A défaut d'exécution, il peut réaliser d'office les travaux. En cas d'urgence ou de menace grave et imminente, le maire dispose de pouvoirs spécifiques (article L. 129-1 CCH et suivants).
• Enfin, des règles sont prévues en matière de sécurité des établissements recevant du public à des fins d'hébergement afin de protéger les personnes contre les risques de panique et d'incendie (article L. 123-3 CCH).
(3) Une simplification des polices prévue pour 2021
À l'issue de ses auditions, votre rapporteur a pu constater combien il était nécessaire de simplifier les polices de lutte contre l'habitat indigne. En effet, la multiplication des polices, treize en l'occurrence, non seulement ne permet pas de traiter efficacement la matière mais peut aussi être source de contentieux. À titre d'exemple, selon l'étude d'impact de la loi ELAN, plus de 400 recours gracieux et administratifs en matière de police de l'insalubrité ont été recensés.
L'article 198 de la loi ELAN habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour harmoniser et simplifier les polices administratives en matière de lutte contre l'habitat indigne. Le Gouvernement bénéficie de 18 mois pour publier l'ordonnance dont le contenu entrera en vigueur le 1 er janvier 2021. Il a confié au député M. Guillaume Vuilletet une mission pour préparer cette réforme. Son rapport devrait être rendu fin mai. Votre rapporteur sera particulièrement attentive à ses conclusions.
Votre rapporteur était favorable à cette partie de l'habilitation. Néanmoins, au regard des événements dramatiques survenus à la fin de l'année 2018, elle estime que le Gouvernement doit impérativement accélérer ses travaux préparatoires et présenter son ordonnance dans des délais plus courts que ceux prévus par la loi ELAN et ce d'autant plus qu'il ressort de ses auditions que la réforme des polices prévues dans le code de la santé publique serait déjà prête .