II. LE PROJET DE LOI TRANSMIS PAR L'ASSEMBLEE NATIONALE : UN TEXTE HYBRIDE ET INABOUTI
Le projet de loi initial comportait huit articles, habilitant essentiellement le Gouvernement à procéder à cette réforme par voie d'ordonnance. Comme le Gouvernement l'avait annoncé lors de la présentation du texte, le 14 mars 2018, il a introduit, lors de son examen à l'Assemblée nationale, des dispositions législatives se substituant à certaines habilitations. Le projet de loi transmis au Sénat, qui comporte désormais 28 articles, comprend donc à la fois des dispositions législatives et des habilitations à procéder par ordonnances, qui parfois se recoupent. Il laisse en outre en suspens un certain nombre de questions non réglées, en particulier sur le sujet important des conditions de transfert des salariés.
A. UNE RÉFORME DE L'ORGANISATION ET DE LA GOUVERNANCE DU GROUPE PUBLIC FERROVIAIRE IMPRÉCISE QUANT AU DEVENIR DU GESTIONNAIRE DE GARES
L'article 1 er A procède à la transformation des établissements publics du groupe public ferroviaire (GPF) en sociétés anonymes à capitaux publics à compter du 1 er janvier 2020 . La société nationale SNCF serait détenue intégralement par l'État, et serait propriétaire de l'intégralité du capital de SNCF Réseau et SNCF Mobilités.
Il prévoit que la société SNCF et ses filiales constituent un « groupe public unifié » remplissant des missions de service public dans le domaine du transport ferroviaire et de la mobilité.
Par ailleurs, il procède au rattachement du gestionnaire de gares à SNCF Réseau , sans préciser si celui-ci s'opère sous forme de direction dédiée ou de filiale.
L'article 1 er habilite le Gouvernement à préciser, par voie d'ordonnances, les modalités de gouvernance du futur groupe public unifié , ainsi que les conditions de transfert des droits et obligations des établissements publics et de poursuite des contrats de travail, ou encore les modalités d'évolution du régime des biens publics du groupe. Cet article habilite également le Gouvernement à déterminer par voie d'ordonnance les conditions de recrutement, d'emploi, de représentation du personnel et de négociation collective au sein des sociétés du groupe public.
Afin de garantir l'indépendance du gestionnaire d'infrastructure vis-à-vis de SNCF Mobilités , l'article 2 octies prévoit l'incompatibilité des fonctions de membre d'un organe de gouvernance de SNCF Réseau et de membre d'un organe de gouvernance de SNCF Mobilités.
B. LE CHOIX D'UNE OUVERTURE À LA CONCURRENCE TRES PROGRESSIVE DES SERVICES DE TRANSPORT DE VOYAGEURS
1. Une modulation des redevances d'infrastructure aux effets incertains
L'article 1 er bis modifie les critères pris en compte pour la définition des redevances d'infrastructure liées à l'utilisation du réseau ferré national, géré par SNCF Réseau. Le maintien et le développement des dessertes pertinentes pour l'aménagement du territoire devront désormais être pris en compte dans la tarification des capacités d'infrastructure. Cette évolution vise en particulier à permettre une modulation des majorations appliquées aux services commerciaux, en vue de réduire le nombre de dessertes TGV susceptibles d'être remises en cause lors de l'ouverture à la concurrence en raison d'un équilibre économique fragile. D'après les rares informations disponibles, environ 50 % des dessertes TGV seraient actuellement exposées à un équilibre économique fragile. La modulation tarifaire permettrait de diviser ce nombre par trois. Néanmoins, l'ampleur de cette modulation reste incertaine, et dépendra notamment de l'évolution générale du niveau des péages.
L'article 1 er ter fixe les conditions d'exercice du droit d'accès au réseau ( open access ) prévu par la directive 2012/34/UE, telle qu'elle a été modifiée par le quatrième paquet ferroviaire. Les entreprises devront notifier au gestionnaire d'infrastructure et à l'Arafer leur intention d'assurer des services de transport librement organisés , et lorsque ces services sont susceptibles de porter atteinte à l'équilibre économique d'un contrat de service public , l'Arafer pourra limiter ou interdire l'exercice de ce droit d'accès sur saisine de l'autorité organisatrice, de l'entreprise qui exécute ce contrat de service public, du gestionnaire d'infrastructure ou de l'État.
2. Un calendrier très échelonné d'ouverture à la concurrence des services conventionnés et de nombreuses possibilités de dérogations
Entre le 3 décembre 2019 et le 24 décembre 2023 , le projet de loi pose le principe du monopole de SNCF Mobilités sur les services publics de transport ferroviaire , à l'article 1 er A, tout en permettant, par dérogation , à l'État et aux régions, autorités organisatrices de transport ferroviaire, d'attribuer des contrats de service public par voie de mise en concurrence , aux articles 2 sexies et 2 septies . Les régions pourront également fournir ces services en régie ou en quasi-régie . En application de l'article 2 bis , les services publics de transport ferroviaire créés entre le 3 décembre 2019 et le 24 décembre 2023 en Île-de-France obéiront aux mêmes règles.
En application des articles 2 sexies et 2 septies , les conventions conclues directement avec SNCF Mobilités en application de l'article 1 er A avant le 24 décembre 2023 se poursuivront jusqu'à leur terme, leur durée ne pouvant excéder dix ans.
À partir du 25 décembre 2023 , l'article 2 quater pose le principe de l'attribution des contrats de service public de transport ferroviaire de voyageurs par voie de mise en concurrence . Les autorités organisatrices conserveront la possibilité d'attribuer directement des contrats dans le cadre des dérogations prévues à l'article 5 du règlement n° 1370/2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, qui sont toutes autorisées par le présent projet de loi.
L'article 2 bis établit un calendrier spécifique pour l'ouverture à la concurrence des services de transport ferroviaire organisés en Île-de-France et créés avant le 3 décembre 2019.
3. Une extension conditionnée de la possibilité de conventionnement des régions
Après avoir défini le rôle d'autorité organisatrice de l'État, l'article 2 ter étend les possibilités de conventionnement des régions aux services effectués au-delà de leur périmètre , qui les desservent, sous réserve que ces services respectent l'équilibre économique des services de transport ferroviaire de voyageurs librement organisés existants.
L'article 3 bis B prévoit par ailleurs que les régions, départements et communes concernés seront préalablement informés par les entreprises ferroviaires de la modification de la consistance d'un service librement organisé assuré dans leur ressort territorial.
4. Une obligation limitée de transmission d'informations aux autorités organisatrices
L'article 2 quater impose aux entreprises fournissant des services publics de transport ferroviaire de voyageurs, aux gestionnaires d'infrastructure et aux exploitants d'installations de service (ce qui inclut le gestionnaire des gares) de transmettre à l'autorité organisatrice, à sa demande, toute information relative à l'exécution de ces services et aux missions faisant l'objet d'un contrat de service public nécessaire pour mener les procédures d'attribution des contrats de service public. Il prévoit l'élaboration, par l'autorité organisatrice, d'un plan de gestion des informations confidentielles pour éviter la divulgation des informations relevant du secret en matière industrielle et commerciale. En cas de manquement à l'obligation de transmission d'informations, l'Arafer pourra intervenir dans le cadre de sa compétence en matière de règlement des différends ou en prononçant une sanction administrative.
5. Les autres dispositions introduites
L'article 3 bis A crée auprès de l'ensemble des autorités organisatrices de transport des comités de suivi des dessertes permettant l'association des représentants des usagers.
L'article 3 ter élargit aux autorités organisatrices et aux gestionnaires d'infrastructure autres que SNCF Réseau la liste des acteurs du système ferroviaire pouvant recourir aux prestations du service interne de sécurité de la SNCF (la « Suge ») .
6. Des sujets en suspens, relevant d'une habilitation à procéder par ordonnance
L'article 3 habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour déterminer les conditions de définition des spécifications des obligations de service public et les procédures d'attribution des contrats de service public , déterminer le devenir des biens utilisés par SNCF Mobilités dans le cadre des services conventionnés, dont les matériels roulants et les ateliers de maintenance , ainsi que les exceptions requises pour les biens utilisés à la fois dans le cadre de services conventionnés et de services commerciaux.