DES ENTREPRISES EUROPÉENNES INSUFFISAMMENT PRÉSENTES SUR CE MARCHÉ ?

Quelle que soit la source, l'ensemble des experts s'accorde sur le constat selon lequel les perspectives économiques du marché des objets connectés sont impressionnantes . En 2020, entre 20 et 35 milliards d'objets connectés devraient être en circulation dans le monde. Alors qu'environ 750 milliards de dollars auraient été dépensés dans l'internet des objets en 2018, ce montant atteindrait 1 100 milliards en 2020 selon le cabinet IDC 18 ( * ) . Il estime également que les objets physiques constitueront, en 2018, le premier poste de dépenses de l'internet des objets (239 milliards de dollars).

En France, le cabinet A.T. Kearny a estimé, en 2015, à 3,6 % d'ici 2020 l'impact positif potentiel sur le produit intérieur brut du déploiement des objets connectés 19 ( * ) . Et si le marché des objets connectés y est encore relativement peu développé, il progresse néanmoins rapidement (il serait passé de 153 millions à 281 millions d'euros entre 2015 et 2016 20 ( * ) ).

Or, le positionnement des acteurs économiques européens apparaît actuellement sous-optimal . Cela peut se constater en examinant les dépenses consacrées à l'internet des objets : le cabinet IDC 21 ( * ) estime que l'Asie Pacifique (hors Japon) dépensera 312 milliards de dollars dans l'internet des objets en 2018, menée par la Chine, qui investira à elle seule 209 milliards de dollars. L'Amérique du Nord se place en seconde position avec 203 milliards, suivie par l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient réunis (171 milliards de dollars).

En témoigne également, par exemple, le segment de marché des enceintes intelligentes. Aux États-Unis, même si les estimations varient selon les études, la pénétration du marché est déjà importante 22 ( * ) , et celui-ci croît à un rythme soutenu : le cabinet Gartner estime qu'il atteindra 3,5 milliards de dollars en 2021, contre 700 millions en 2016 23 ( * ) . Alors que l'entreprise Orange doit lancer à la fin de cette année son enceinte connectée dotée de son assistant « Djingo » et que certaines start-ups, telle que Snips, déploient des assistants vocaux respectueux de la vie privée, toutes les enceintes qui font actuellement leur entrée sur le marché français ont été conçues par des entreprises américaines : l'enceinte « Google Home » est commercialisée depuis août 2017, l'« Amazon Echo » 24 ( * ) et l'« Apple HomePod » devraient être disponibles d'ici peu.

Il existe donc un risque que l'essor des objets connectés conforte la position de faiblesse des entreprises européennes dans l'économie de la donnée relativement aux géants américains et chinois . En effet, la création de valeur issue des objets connectés ne proviendra que marginalement des objets physiques en eux-mêmes. Elle résultera surtout de l'utilisation du très important flux de données qu'ils produisent, à travers des capacités toujours plus grandes de stockage, de traitement et d'analyse de ces données. Autrement dit, la valeur du service rendu sera concentrée par la couche informatique de l'internet des objets, pas dans les objets en eux-mêmes 25 ( * ) . Ainsi, selon le cabinet A.T Kearney, 56 milliards d'euros devraient revenir d'ici 2025 aux activités liées au traitement des données, quand les revenus associés à la connectivité des objets seraient de 15 milliards d'euros et ceux liés aux objets physiques en eux-mêmes, de 10 milliards d'euros 26 ( * ) .

Or, sur l'ensemble de la couche informatique, les « GAFAM » (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et autres « BATX » (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi, auxquels on peut ajouter, s'agissant de l'internet des objets, Huawei) occupent déjà une position dominante. Le récent rapport de Cédric Villani sur l'intelligence artificielle 27 ( * ) emploie les mêmes termes que notre collègue Catherine Morin-Desailly pour décrire le risque encouru : celui que l'Europe devienne une « colonie numérique » 28 ( * ) .

Il convient néanmoins de remarquer que, bien qu'elle ne dispose pas de « géants numériques », l'Europe participe d'ores et déjà à la course aux objets connectés . En France, de nombreux acteurs économiques se sont positionnés sur la chaîne de valeur de l'internet des objets, en tant que concepteurs ou fabricants des objets (les composants de ST Microelectronics, Gemalto ou Eolane, les objets de la maison connectée de Netatmo, Awox, Legrand ou Somfy, les objets connectés dédiés à la santé et au bien-être de Withings, les compteurs intelligents de Sagemcom...), de solutions de connectivité (Sigfox, Actility, Kerlink, opérateurs de télécommunications engagés dans l'alliance LoRa, Matooma, Connit...) ou de solutions informatiques (Thalès, Dassault Sytèmes, Atos, Inside secure, Intent technologies, Craft AI, Tellmeplus ...). Orange, déjà évoquée à propos des enceintes connectées, fait également de l'internet des objets un des leviers de sa croissance, en s'impliquant sur une grande partie de la chaîne de valeur 29 ( * ) .

Au-delà de ces exemples concrets, c'est aussi ce que montre l'étude de l'Office européen des brevets sur les demandes de brevet européen relatives à des objets connectés intelligents 30 ( * ) . L'Office remarque que 29 % des demandes déposées en 2016 proviennent d'inventions d'origine européenne 31 ( * ) . L'étude remarque que « l'Allemagne se démarque dans les domaines d'application (véhicules, infrastructure et fabrication), tandis que la France est en tête dans les technologies complémentaires, telles que l'intelligence artificielle, la sécurité, les interfaces utilisateur et les systèmes 3D. La région parisienne (Île-de-France) et la région de Munich (Haute-Bavière) seraient les régions en pointe au niveau européen dans les technologies » d'objets connectés.


* 18 IDC, Worldwide spending on the Internet of Things, décembre 2017.

* 19 A.T. Kearney pour l'Institut Montaigne, dans le rapport publié par l'Institut en avril 2015 intitulé « Big data et objets connectés ». Ce potentiel de création de valeur de 74 milliards d'euros à horizon 2020 proviendrait de l'augmentation de la productivité, de gains de pouvoirs d'achat et d'économies de temps monétisées. Les secteurs qui en bénéficieraient le plus seraient le logement, la mobilité, ou la santé.

* 20 Selon les données disponibles sur le site statista.com. Si les études retiennent des périmètres divers, ce qui conduit à des estimations non concordantes, il convient de retenir que toutes les études concluent à une forte croissance du marché, y compris en France. Ainsi, une récente étude du cabinet GFK a estimé à 1 milliard d'euros le chiffre d'affaires généré par le marché français des objets connectés en 2017, un chiffre en croissance de 33%. Sur les 5,2 millions d'objets vendus en 2017, 57% seraient dédiés à la maison, segment porté par l'essor de l'électroménager connecté, 16% correspondraient aux « wearables », comme les montres connectées, puis les drones (9%) et la santé connectée (3,5%).

* 21 IDC.com, IDC forecasts worldwide spending on the internet of things to reach 772 billion dollars in 2018, décembre 2017

* 22 Selon une étude menée par NPR et Edison Research et publiée en janvier dernier, 16% de la population américaine posséderaient une enceinte connectée.

* 23 Gartner, Forecast snapshot : VPA-Enabled Wireless Speakers, 2017.

* 24 D'après le cabinet CIRP, la part de marché d'Amazon attaint, aux Etats-Unis, 69 % en décembre 2017 (Geek Wire, New data: Google Home faring better against Amazon Echo, grabbing 40% of U.S. holiday sales).

* 25 Par exemple, la qualité de service des enceintes connectées provient surtout de la qualité du logiciel d'assistant personnel qui l'accompagne (Alexa pour Amazon, Siri pour Apple, Google Assistant pour Google, Cortana pour Microsoft, Bixby pour Samsung...).

* 26 A.T. Kearny, The Internet of Things : A new path to European prosperity, janvier 2016.

* 27 L'internet des objets, du fait de la forte croissance de la production de données qu'il va engendrer, est profondément lié à l'essor de l'intelligence artificielle : les données produites seront amenées à nourrir les IA, qui augmenteront leurs performances et rendront des services de meilleure qualité.

* 28 Catherine Morin-Desailly, L'Union européenne, colonie du monde numérique ?, Rapport d'information n° 443 (2012-2013), fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 20 mars 2013.

* 29 Par exemple, Orange Business Services et Siemens ont annoncé, le 18 avril dernier, former un partenariat dédié à l'élaboration de solutions dans l'internet des objets tournées vers la performance industrielle. Le 23 avril dernier, Siemens a également signé un accord de partenariat portant sur la solution Mindsphere avec Atos.

* 30 Office européen des brevets, Patents and the Fourth Industrial Revolution (4RI), décembre 2017. Pour un recensement des entreprises ayant déposé des brevets en France au cours de l'année 2016 dans le domaine des objets connectés, on pourra se référer à l'étude consultable sur ce lien : https://fr.linkedin.com/pulse/analyse-et-dataviz-des-acteurs-fran%C3%A7ais-du-march%C3%A9-objets-sylvestre.

* 31 Néanmoins, d'une part, les Européens sont suivis de près par les Américains (25%) et les Japonais (18%), d'autre part, la croissance des demandes coréennes et chinoises est plus importante que celle des autres pays, alors que la plupart des 25 entreprises représentant environ la moitié de toutes les demandes de brevet déposées entre 2011 et 2016 sont situées en Asie...

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