B. LES DROITS SOCIAUX DE L'AIDANT : UNE SOLIDARITÉ À GÉOMÉTRIE VARIABLE

Les droits sociaux de l'aidant se sont étoffés à la faveur de textes législatifs ponctuels et prennent deux formes principales : ils se manifestent soit par la création de droits nouveaux et spécifiques , soit par le renforcement de prestations contributives de droit commun par plusieurs mécanismes de solidarité . Par ailleurs, on observera que les disparités constatées entre aidants en matière de rétribution financière se confirment en matière de droits sociaux, qui montrent une importante disparité selon le public aidé.

1. Le congé de proche aidant : un calque inopportun du congé de solidarité familiale

Les contraintes liées à l'exercice d'une activité professionnelle salariée à temps plein par l'aidant ont appelé la prise de dispositions spécifiques relatives à ses congés. Historiquement, le premier congé véritablement spécifique aux aidants fut le congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie créé par la loi du 9 juin 1999 7 ( * ) , rebaptisé congé de solidarité familiale en 2003, et figurant au nombre des congés non rémunérés . L'ouverture du droit à ce congé était alors réservée aux salariés dont un ascendant, descendant ou une personne partageant son domicile souffrait d'une pathologie mettant en jeu son pronostic vital .

Ce n'est qu'en 2007 que ce congé spécifique fut étendu aux aidants de personnes dont le pronostic vital n'était pas engagé. Il fut ainsi créé un congé de soutien familial qui, dans sa version initiale, était ouvert aux salariés ayant au moins deux ans d'ancienneté dans l'entreprise et dont un membre de la famille jusqu'au quatrième degré présentait « un handicap ou une perte d'autonomie d'une particulière gravité ». On peut à ce titre remarquer que le congé de soutien familial inaugure la série des droits sociaux accordés aux aidants sans distinction entre personne âgée et personne handicapée.

Ce congé était d'une durée de trois mois renouvelable et ne pouvait excéder la durée d'un an pour l'ensemble de la carrière . L'extension de ce congé non rémunéré aux aidants de personnes dont la vie n'était pas en danger partait sans doute d'une intention fort louable mais présentait l'inconvénient d'un calque intégral du congé de solidarité familiale , conçu spécifiquement pour l'accompagnement de proches en fin de vie sur des périodes courtes.

La loi ASV 8 ( * ) , prenant acte de l'introduction de la notion de proche aidant, a renommé le congé de soutien familial en congé de proche aidant . Cette dénomination peut être source de confusion, car elle désigne un droit autant ouvert aux proches aidants de personnes âgées en perte d'autonomie qu'aux aidants familiaux de personnes handicapées. Les conditions d'éligibilité au congé sont inchangées, à la différence que le salarié proche aidant d'une « personne âgée ou [...] handicapée avec laquelle il réside ou entretient des liens étroits et stables, à qui il vient en aide de manière régulière et fréquente à titre non professionnel », sans nécessairement être de sa famille, peut désormais y prétendre.

La loi ASV a également modifié en profondeur les modalités d'exercice du droit au congé de proche aidant, en permettant que ce dernier prenne la forme, avec l'accord de l'employeur, d'une période d'activité à temps partiel ou encore que le proche aidant y ait recours de façon fractionnée . Ces inflexions permirent de mieux faire correspondre les possibilités offertes par le congé du proche aidant aux nécessités d'un accompagnement sur le long terme. La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a néanmoins indiqué à votre rapporteure que la possibilité de convertir le congé de proche aidant en activité à temps partiel était très peu employée.

Une dernière série de modifications furent apportées au congé du proche aidant par la loi du 8 août 2016 9 ( * ) dite « loi Travail », dont la principale figure à l'article L. 3142-16 du code du travail, qui dispose désormais qu' une seule année d'ancienneté est requise dans l'entreprise pour y prétendre. Par ailleurs, votre rapporteure signale que l'article L. 3142-24 du code du travail, qui prévoit qu'un décret détermine les critères d'appréciation de la particulière gravité du handicap ou de la perte d'autonomie de la personne aidée, n'a toujours pas reçu d'application .

Ainsi, à l'issue de plusieurs modifications législatives intervenues ces dix dernières années, le congé du proche aidant continue pourtant de présenter d'importantes similitudes avec le congé de solidarité familiale, alors même que les deux dispositifs répondent à des exigences très différentes en termes de durée d'accompagnement . Les auditions menées par votre rapporteure l'ont convaincue que la solution du congé, adéquate pour l'accompagnement d'une personne en fin de vie, n'était que très partiellement satisfaisante pour un accompagnement sur un plus long terme, et que devait lui être préféré le recours à l'aménagement du temps de travail .

2. La retraite des aidants : le maintien de distinctions peu justifiables

Outre les dispositifs relatifs aux aménagements du temps de travail, les droits sociaux de l'aidant comprennent un important volet relatif à leur retraite , leur permettant ainsi de ne pas subir la perte de trimestres correspondant aux périodes non travaillées.

Cependant, alors que le congé de proche aidant s'applique aux aidants d'une façon très large, les mesures s'appliquant à eux en matière de retraite maintiennent de très importantes distinctions, peu justifiables, selon la nature et le degré d'activité professionnelle de l'aidant .

a) L'interruption ponctuelle de l'activité professionnelle : une relative homogénéisation du régime de retraite de l'aidant

L'article L. 381-1 du code de la sécurité sociale prévoit l'affiliation obligatoire à l'assurance vieillesse du régime général de sécurité sociale des personnes salariées bénéficiaires du congé de proche aidant, malgré l'interruption du versement de la rémunération.

La même affiliation obligatoire est prévue pour les travailleurs non-salariés , mais est étrangement limitée aux seuls membres du cercle familial jusqu'au quatrième degré qui interrompent leur activité professionnelle pour s'occuper d'une personne atteinte de handicap ou d'une perte d'autonomie d'une particulière gravité. De façon plus synthétique, la personne aidante extérieure au cercle familial peut bénéficier de l'affiliation à l'assurance vieillesse du régime général si elle fait valoir son droit au congé de proche aidant et si elle est salariée, mais ne bénéficie pas de cette affiliation si elle n'est pas salariée . C'est là une inégalité de traitement que votre rapporteure tient à signaler et à laquelle il paraît urgent d'apporter une correction de simple justice.

b) L'absence ou la diminution de l'activité professionnelle : un régime de retraite limité aux aidants de personnes handicapées

L'affiliation obligatoire à l'assurance vieillesse du régime général est également possible pour les aidants n'exerçant aucune activité professionnelle ou seulement une activité à temps partiel 10 ( * ) , dans les cas limitatifs où la personne aidée est soit un enfant handicapé dont le taux d'incapacité permanente est au moins égal à 80 % 11 ( * ) et qui n'a pas atteint l'âge limite d'attribution de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) soit un adulte handicapé dont le taux d'incapacité permanente est au moins égal à 80 % avec une condition restrictive d'appartenance au cercle familial.

Autrement dit, l'affiliation obligatoire à l'assurance vieillesse du régime général n'est pas ouverte aux personnes ayant cessé ou diminué leur activité professionnelle pour venir en aide à une personne âgée en perte d'autonomie . Votre rapporteure est bien consciente que cet état du droit se justifie en partie par le fait que les aidants de personnes âgées en perte d'autonomie sont très fréquemment membres du cercle familial étroit et souvent elles-mêmes à la retraite .

Elle tient néanmoins à dénoncer cette inégalité, qui lui paraît ne pas devoir être maintenue pour plusieurs raisons. En premier lieu, l'ouverture du droit à l'affiliation obligatoire permettrait de couvrir les aidants actifs de personnes âgées, même s'ils sont minoritaires ; en second lieu, il ne paraît pas justifiable de ne pas prévoir de dispositif de solidarité en direction des aidants retraités alors même que les textes législatifs les plus récents établissent des droits sociaux de l'aidant sans distinction (congé de proche aidant).

Elle souhaite souligner une autre inégalité, elle aussi difficilement justifiable, inscrite à l'article R. 381-1 du code de la sécurité sociale. Ce dernier prévoit en effet que l'affiliation de la personne ayant la charge d'un enfant handicapé est faite « soit à sa demande, soit à la diligence [de la Caf] », alors que l'affiliation de la personne assumant au foyer familial la charge d'un adulte handicapé ne peut se faire que sur l'avis conforme et motivé de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH). Il paraît anormal qu'une inégalité d'accès à l'affiliation à l'assurance vieillesse soit inscrite dans la loi, sur le seul fondement d'une différence entre la charge d'un enfant ou d'un adulte handicapé.

Tableau synthétique des droits à la retraite de l'aidant

Activité professionnelle
de l'aidant

Bénéfice de l'affiliation obligatoire à l'assurance vieillesse du régime général en cas d'interruption de l'activité professionnelle

Salarié à temps plein

Sans restriction (dans le cadre du congé de proche aidant)

Non-salarié à temps plein

Uniquement si l'aidant appartient au cercle familial jusqu'au quatrième degré

N'exerce aucune activité professionnelle ou une activité à temps partiel

Uniquement si l'aidant appartient au cercle familial restreint et si la personne aidée est une personne handicapée au taux d'incapacité permanente de plus de 80 %.

L'affiliation est de droit dans le cas d'un enfant handicapé mais doit recevoir l'avis conforme de la CDAPH dans le cas d'un adulte handicapé.

c) La prise en charge financière de l'assurance vieillesse des aidants

Votre rapporteure tient à souligner que le financement de l'assurance vieillesse des aidants est assuré par une cotisation à la charge exclusive des caisses d'allocations familiales (Caf) .

Cependant, de façon surprenante, la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) ne reçoit de remboursement de ces cotisations de la part de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) que pour les aidants salariés ou non-salariés ayant effectué une interruption ponctuelle de leur activité dans le cadre d'un congé de proche aidant.

Les sommes remboursées par la CNSA à la Cnaf au titre de l'affiliation obligatoire à l'assurance vieillesse des aidants se sont élevées en 2016 à 10 625 euros . Ce montant dérisoire, considéré par rapport au nombre total d'aidants, fait craindre que le dispositif du congé de proche aidant soit peu connu ou peu activé 12 ( * ) .

Pour la dernière catégorie d'aidants, celle qui n'exerce aucune activité professionnelle ou une activité professionnelle à temps partiel, l'affiliation à l'assurance vieillesse se fait dans le cadre de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) .

De façon surprenante, la prise en charge de cette dépense, exclusivement supportée par la Cnaf, continue de se faire de facto au titre de la politique de l'enfance, alors que l'intégration du cas de l'aide apportée à un adulte handicapé et la suppression de la condition de ressources opérée par la loi du 20 janvier 2014 13 ( * ) militeraient davantage pour une prise en charge au titre de la politique de la perte d'autonomie, et donc par la CNSA.

Ce maintien est d'autant plus surprenant que la loi du 20 janvier 2014 prévoit que, pour le cas spécifique de l'aide apportée à l'adulte handicapé par n'importe quel assuré social - indifféremment donc de son activité professionnelle - l'aidant bénéficie d'une majoration de durée d'assurance d'un trimestre par période de trente mois, dans la limite de huit trimestres 14 ( * ) . L'adoption de dispositifs spécifiques en matière d'AVPF plaide ainsi pour son absorption au régime de l'assurance vieillesse de l'aidant.

3. Le droit au répit : un droit réservé aux aidants de personnes âgées

Le droit au répit est inscrit à l'article L. 232-3-2 du CASF par la loi ASV. Il dispose que le proche aidant qui assure une présence ou une aide auprès d'un bénéficiaire de l'Apa peut ouvrir droit, dans le cadre de cette allocation, à des « dispositifs répondant à des besoins de répit ». L'article D. 232-9-1 du CASF prévoit quant à lui que l'équipe médico-sociale chargée de l'élaboration du plan d'aide propose le recours à « un ou des dispositifs d'accueil temporaire, en établissement ou en famille d'accueil, de relais à domicile, ou tout autre dispositif permettant de répondre au besoin de l'aidant et adapté à l'état de la personne âgée ». Enfin, le recours au droit au répit est financé à hauteur d'environ 502 euros par mois, au-delà du plafond d'Apa .

Trois formes de répit sont décrites par le CASF : l' accueil temporaire de la personne aidée en établissement ou en famille d'accueil et le relais à domicile . Les deux premières, qui sont jusqu'à présent les seules vraiment réalisables, se heurtent non seulement à la carence de places disponibles mais présentent une difficulté importante susceptible d'affaiblir leur recours : elles nécessitent le déplacement de la personne âgée, allant ainsi à l'encontre de la continuité domiciliaire . C'est pourquoi la solution du relais à domicile, inspirée des expérimentations québécoise et belge du « baluchonnage », a récemment fait l'objet de plusieurs études.

Un rapport de notre ancienne collègue députée Joëlle Huillier 15 ( * ) mentionnait que « le relayage, pour qu'il offre un réel bénéfice à l'aidant, [doit être] d'au moins deux jours et une nuit soit 36 heures ». Cet impératif suppose qu'un cadre partiellement dérogatoire aux règles relatives au temps de travail soit défini, ce que le projet de loi ASV avait initialement tenté en permettant l'expérimentation de prestations de suppléance à domicile du proche aidant. Dans l'état du droit actuel, aucune convention collective du secteur des services à la personne n'autorise un temps de travail consécutif supérieur à 12 heures, en dehors de la convention collective du particulier-employeur signée par la Fédération des particuliers employeurs de France (Fepem). Dans les faits, le droit au relayage n'est donc actuellement mobilisable qu'en emploi direct et non en ayant recours au mode mandataire et au mode prestataire, qui facilitent pourtant grandement les démarches administratives de la personne employeur.

Votre rapporteure souligne avec satisfaction que l'article 29 du projet de loi pour un État au service d'une société de confiance se saisit à nouveau de ce sujet en permettant, à titre expérimental, que les établissements et services médico-sociaux chargés de la prise en charge de personnes âgées puissent recourir à leurs salariés volontaires pour réaliser des prestations de suppléance du proche aidant dans la limite de six jours consécutifs.

Elle tient néanmoins à rappeler que la consécration législative du droit au répit, intervenue à la faveur d'un texte relatif aux personnes âgées, ne s'étend pas aux aidants familiaux agissant auprès de personnes handicapées âgées de moins de 60 ans . Les mêmes facilités -accueil temporaire en établissement ou accueil familial- peuvent être offertes aux aidants familiaux de personnes handicapées, mais elles restent à la discrétion des établissements et services médico-sociaux qui les définissent dans le cadre des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom). Elles ne sont pas accessibles aux aidants en vertu d'un droit légalement garanti .


* 7 Loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs, article 11.

* 8 Article 53.

* 9 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, article 9.

* 10 D'après l'article R. 381-2-1 du code de la sécurité sociale, une activité à temps partiel se caractérise par une perception annuelle de revenus professionnels inférieurs à 25 031 euros.

* 11 Article D. 381-3 du code de la sécurité sociale.

* 12 D'après la CNSA, ces sommes ne concerneraient que 3 à 6 aidants par an.

* 13 Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, article 38.

* 14 Article L. 351-4-2 du code de la sécurité sociale.

* 15 Joëlle HUILLIER, « Du baluchonnage québécois au relayage en France : une solution innovante de répit », mars 2017.

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