C. UN « GRAND PLAN D'INVESTISSEMENT » DONT LES AMBITIONS AFFICHÉES APPARAISSENT EN DÉCALAGE AVEC LES MOYENS RÉELS

1. Un plan d'investissement affichant 57 milliards d'euros, dont la mise en oeuvre est confiée aux ministères (hors PIA) et pour lesquels des règles de gestion spécifiques sont prévues

Le Gouvernement a lancé un « Grand plan d'investissement » (GPI) le 25 septembre 2017 dont la préfiguration et les conditions de mise en place sont issues des travaux de Jean Pisani-Ferry qui a remis son rapport à cette même date.

Inscrit dans la loi de programmation des finances publiques, ce plan correspondrait à une enveloppe de 57 milliards d'euros sur la durée du quinquennat . Le Gouvernement souhaiterait ainsi « accélérer l'émergence d'un nouveau modèle de croissance » .

Les effets attendus du grand plan d'investissement d'après le rapport de préfiguration

- 300 000 emplois et une baisse d'un point de taux de chômage structurel ;

- une division par deux du nombre de passoires thermiques occupées par des ménages modestes propriétaires ou locataires du parc social ;

- une augmentation de 70 % de la production d'énergie renouvelable ;

- la conversion de 5 000 petites et moyennes entreprises (PME) à la lutte contre le gaspillage ;

- l'achèvement de la couverture du territoire en très haut débit ;

- 100 % de services publics dématérialisés ;

- le doublement du nombre de maisons de santé.

Source : rapport au Premier ministre de Jean Pisani-Ferry relatif au grand plan d'investissement 2018-2022

Il s'orienterait autour de quatre axes : accélérer la transition écologique, édifier une société de compétences, ancrer la compétitivité sur l'innovation et construire l'État de l'âge numérique.

En suivant ces finalités, il doit intervenir dans sept champs sectoriels : transition écologique, compétences, agriculture, santé, transports, modernisation de l'action publique et enfin enseignement supérieur, recherche et innovation.

Au total, il devrait concerner 25 « initiatives » (correspondant à des objectifs), parmi lesquelles, par exemple, le fait de diviser par deux le nombre de passoires thermiques occupées par des ménages modestes propriétaires ou locataires du parc social, augmenter la production d'énergie renouvelable, former et accompagner un million de chômeurs faiblement qualifiés, soutenir le déploiement du très haut débit ou encore créer un fonds pour la transformation publique.

Il intègrerait aussi le troisième programme d'investissements d'avenir (PIA 3) .

Présentation synthétique des investissements par axes d'intervention

(en milliards d'euros)

* Le troisième programme d'investissements d'avenir (PIA 3) prévoit à ce titre trois types d'initiative : adaptation et qualification de la main d'oeuvre (100 millions d'euros), investir dans les expérimentations portées par l'Éducation nationale (300 millions d'euros) et rénover le premier cycle universitaire (400 millions d'euros).

Source : commission des finances d'après les données du rapport au Premier ministre de Jean Pisani-Ferry sur le grand plan d'investissement 2018-2022, septembre 2017

La gouvernance du grand plan d'investissement reposerait sur les ministères qui disposeraient des crédits qui lui sont consacrés dans leurs budgets respectifs , contrairement à la pratique retenue pour les programmes d'investissements d'avenir (PIA). Le PIA 3 conserverait toutefois son mode de gouvernance propre.

Des comités de pilotage, placés auprès du ministre « chef de file » et comprenant des représentants des autres ministères concernés, seraient chargés du suivi de chaque initiative du GPI. Le suivi transversal du plan devrait par ailleurs être assuré par un secrétariat général pour l'investissement, placé auprès du Premier ministre et prenant appui sur l'actuel Commissariat général à l'investissement (CGI) qui pilote les PIA.

Des règles de gestion spécifiques sont également prévues et précisées dans l'annexe au projet de loi de finances pour 2018 (« jaune » budgétaire) relative au Grand plan d'investissement, pour identifier et sanctuariser les crédits qui lui sont consacrés, à savoir :

- une identification précise des crédits entrant dans le cadre du GPI au sein des projets annuels de performances de chaque mission ;

- une exonération de mise en réserve , en prévoyant que « pour les programmes du budget général où des crédits GPI côtoient des crédits classiques, les ministères devront exclusivement faire porter la réserve sur les crédits qui ne sont pas labellisés GPI ».

En outre, un dispositif d'évaluation serait spécifiquement mis en place, le pilotage des investissements devant se faire par les résultats.

Enfin, le GPI repose sur le principe d'une réallocation des crédits entre actions du GPI qui doit permettre d'adapter les financements en fonction des résultats obtenus. Ces réallocations porteraient chaque année sur un volume au moins égal à 3 % du total des crédits du GPI.

2. Un plan d'une portée finalement assez limitée

Des 57 milliards d'euros de crédits affichés au bénéfice du grand plan d'investissement, il apparaît qu'en réalité, figurent seulement 24 milliards d'euros de crédits budgétaires et 11 milliards d'euros d'autres instruments financiers (prêts, dotations en capital...) correspondant à des crédits « frais » et correspondant à des mesures nouvelles.

En effet, 10 milliards d'euros constituent en réalité un « recyclage » du PIA 3. Il convient toutefois de préciser qu'en étant repris au sein du grand plan d'investissement, ce programme se trouve financé alors que le précédent gouvernement n'avait ouvert que 10 milliards d'euros d'autorisations d'engagement, sans aucun crédit de paiements, dans la loi de finances initiale pour 2017 37 ( * ) .

Par ailleurs, 12,1 milliards d'euros correspondent à des redéploiements de crédits , avec la « réorientation de programmes, d'actions ou de dotations existants, qui seront maintenus mais dont les caractéristiques seront modifiées pour servir les finalités du grand plan d'investissement ».

Origine des moyens de financement du plan d'investissement

Mesures nouvelles

(en milliards d'euros)

Source : Commission des finances d'après les données du rapport précité de Jean Pisani-Ferry au Premier ministre sur le grand plan d'investissement 2018-2022, septembre 2017

En principe, les 57 milliards d'euros seront financés sur la période du quinquennat . En réalité, ils ne le seront pas tous nécessairement sur cette période puisque, déjà, le PIA 3 devraient plutôt voir ses décaissements se prolonger sur dix ans.

Par ailleurs, le rapport précité de préfiguration du GPI, donne une répartition indicative sur la période 2018-2022 qui prévoit entre 7 et 8 milliards d'euros environ pour la seule année 2018 . Or, en termes de crédits budgétaires seuls 3,6 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 3,5 milliards d'euros en crédits de paiement (dont 1,08 milliard d'euros de crédits de paiement pour le PIA 3) sont inscrits dans le projet de loi de finances pour 2018.

Certes, le GPI prévoit également des crédits portés dans la loi de financement de la sécurité sociale et d'autres instruments financiers . En outre, le ministère de l'action et des comptes publics a indiqué à votre rapporteur général que les projets annuels de performances n'identifiaient pas nécessairement encore tous les crédits « labellisés GPI » pour 2018 car certains ne pourront l'être qu'en début d'année prochaine (formation professionnelle des agents de l'État, numérisation au sein de l'administration...), « après une instruction précise des initiatives concernées ». Rien ne permet toutefois de garantir que l'ensemble de ces mesures permettra effectivement d'aboutir à une enveloppe de 7 à 8 milliards d'euros comme le laisse entendre le calendrier prévisionnel du rapport de Jean Pisani-Ferry.

Répartition indicative des actions du grand plan d'investissement 2018-2022

(en milliards d'euros)

Source : rapport précité de Jean Pisani-Ferry au Premier ministre sur le grand plan d'investissement 2018-2022, septembre 2017

Enfin, sur le fond de mesures, l'on peut s'interroger sur la nouveauté des priorités portées par le Grand plan d'investissement et les moyens réellement déployés .

Ainsi, à titre d'exemple, le plan d'investissement dans les compétences , qui devrait disposer au total de 13,8 milliards d'euros sur la durée du quinquennat, compte en réalité seulement 1,3 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 930 millions d'euros en crédits de paiement pour 2018. Il doit assurer la montée en puissance de la Garantie jeunes qui était toutefois déjà financée par la mission « Travail et emploi » ainsi que le plan de formation et d'accompagnement des demandeurs d'emploi faiblement qualifiés et des jeunes décrocheurs qui prend le relai du plan « 500 000 formations supplémentaires » qui existait auparavant. L'effort net du GPI pour ces dispositifs s'élève en réalité à 750 millions d'euros en autorisations d'engagement et 430 millions d'euros en crédits de paiement .

Autre exemple, au sein de la mission « Direction de l'action du gouvernement , 55,2 millions d'euros sont « fléchés GPI », en autorisations d'engagement et crédits de paiement, mais il s'agit en réalité des crédits de fonctionnement courant du secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) qui poursuit ses missions sans projets supplémentaires . En outre, son budget diminue en 2018 de 2,2 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 4,13 millions d'euros en crédits de paiement.

De même, si le rapport de préfiguration du GPI mentionne 1,2 milliard d'euros supplémentaires pour le programme « Habiter mieux » piloté par l'Agence nationale de l'habitat (Anah) et qui permet d'aider à la rénovation thermique des logements privés de ménages modestes, il s'agit en réalité de crédits budgétaires qui prennent le relais d'un financement jusqu'à présent assuré par le PIA 1 (110 millions d'euros prévus pour 2018).


* 37 Cf. rapport n° 140 (2016-2017) de M. Albéric de MONTGOLFIER, fait au nom de la commission des finances - tome III - annexe 18 relatif à la mission « Investissements d'avenir ».

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