II. LA NÉCESSITÉ DE MENER UNE RÉFLEXION GLOBALE SUR LES MODIFICATIONS À APPORTER AU RÉGIME DES COMMUNES NOUVELLES
La proposition de loi n° 620 (2016-2017) présentée par Alain Bertrand et plusieurs de nos collègues tend à garantir la représentation des communes déléguées au sein des communes nouvelles.
Si votre commission souscrit pleinement à cet objectif, les dispositions proposées soulèvent de nombreuses difficultés juridiques et pratiques qui pourraient être préjudiciables à la philosophie des communes nouvelles, sans pour autant pleinement répondre aux inquiétudes légitimes des élus locaux.
A. LA PROPOSITION DE LOI : LA VOLONTÉ DE RENFORCER LES COMMUNES DÉLÉGUÉES, UNE APPLICATION QUI POURRAIT S'AVÉRER CONTRE-PRODUCTIVE
L'article unique de la proposition de loi prévoit trois modifications, applicables uniquement aux communes nouvelles de 1 000 habitants et plus ayant conservé des communes déléguées , afin d'assurer une meilleure représentation de ces dernières au sein des conseils municipaux des communes nouvelles :
- tout d'abord, il organise une sorte de « fléchage » lors des élections municipales en imposant sur chaque liste de candidats au conseil municipal de la commune nouvelle la présence de candidats résidant dans chacune des communes déléguées ;
- ensuite, il prévoit un système de remplacement contraint des élus municipaux dont le siège deviendrait vacant, quelle qu'en soit la cause, par les suivants de liste résidant dans la même commune déléguée ;
- enfin, il exige que le maire délégué soit élu en priorité parmi les membres du conseil municipal résidant dans la commune déléguée.
1. Une composition sous contrainte des listes électorales pour représenter l'ensemble des communes déléguées
L'article L. 264 du code électoral rend actuellement obligatoire la déclaration de candidature à chaque tour de scrutin, dans les communes d'au moins 1 000 habitants - c'est-à-dire celles soumises au scrutin de liste à deux tours - avec obligation de respecter la parité - chaque liste devant être composée alternativement d'un candidat de chaque sexe - et de déposer des listes complètes - chaque liste devant comporter autant de candidats que de sièges à pourvoir.
L'article unique de la proposition de loi tend à le modifier pour prévoir une nouvelle obligation applicable aux listes de candidats aux élections municipales organisées dans les communes nouvelles de 1 000 habitants et plus ayant conservé leurs communes déléguées : chaque liste devrait, dans ces communes et en plus de l'obligation de parité et de complétude de la liste, comporter des candidats résidant dans chaque commune déléguée, selon des modalités fixées en décret en Conseil d'État. La condition de résidence s'apprécierait au moment de l'élection.
Cette nouvelle obligation aurait pour conséquence de rigidifier la constitution des listes électorales , dans les communes nouvelles composées d'un nombre important de communes déléguées, sans garantir une représentation de chaque commune déléguée au sein du conseil municipal de la commune nouvelle .
Dans les communes composées de plusieurs communes déléguées et dans lesquelles plusieurs listes seraient en lice, il n'est en effet pas certain que chaque commune déléguée puisse être représentée par un candidat élu, en particulier ceux en fin de liste. Par ailleurs, dans certains cas, il n'y aurait pas assez de sièges à pourvoir pour assurer la représentation de l'ensemble des communes déléguées. La disposition proposée ne serait donc opérante que dans les communes nouvelles ayant un nombre limité de communes déléguées.
Par ailleurs, on peut penser que spontanément, sans qu'une loi soit nécessaire, les élus chercheront à présenter des listes qui assureront une représentation de l'ensemble des communes déléguées, afin d'augmenter leur chance de remporter la majorité des suffrages. En outre, les chartes constitutives des communes nouvelles prévoient une représentation équitable de l'ensemble des communes déléguées au sein du conseil municipal. Bien que dépourvues de valeur contraignante, elles n'en revêtent pas moins une valeur morale et politique pour conserver l'adhésion de tous les citoyens au bon fonctionnement de la commune.
2. Un système inopérant de remplacement des conseillers municipaux par le suivant de liste résidant dans la même commune déléguée
En application de l'article L. 270 du code électoral, applicable aux élections municipales dans les communes de 1 000 habitants et plus, le candidat venant sur une liste immédiatement après le dernier élu est appelé à remplacer le conseiller municipal élu sur la même liste dont le siège devient vacant pour quelque cause que ce soit. Par conséquent, l'annulation définitive de l'élection, le décès ou la démission d'un conseiller municipal a pour effet immédiat de conférer la qualité de conseiller municipal au suivant de la même liste. Le mandat de celui-ci débute dès la vacance du siège et le maire doit le convoquer à toutes les séances ultérieures, sauf en cas de renoncement de l'intéressé.
L'article unique de la proposition de loi tend à prévoir que, dans les communes nouvelles de 1 000 habitants et plus ayant conservé des communes déléguées, tout conseiller municipal soit remplacé par le suivant de liste résidant dans la même commune déléguée et non par le suivant de liste comme c'est le cas aujourd'hui, la résidence s'appréciant au moment de l'élection. L'objectif de cette disposition est d'assurer une représentation continue d'une commune déléguée sur toute la durée du mandat.
La modification proposée soulève au moins deux difficultés d'ordre pratique.
D'une part, elle limite fortement les possibilités de remplacement en cas de vacance, ce qui obligerait, alors même qu'une liste de candidat ne serait pas totalement épuisée, à organiser des élections partielles.
D'autre part, la proposition de loi est muette dans les cas où une liste ne comporterait aucun candidat supplémentaire résidant dans la même commune déléguée. On peut imaginer que les dispositions de droit commun s'appliqueraient, ce qui ne permettrait pas de répondre à l'objectif de représentation des communes déléguées. Ce cas d'espèce n'est pas théorique : notre collègue François Grosdidier 12 ( * ) avait relevé que l'abaissement à 1 000 habitants du seuil d'application de l'élection des conseillers municipaux au scrutin de liste à deux tours avait conduit, pour une grande partie des communes de 1 000 à 3 499 habitants (c'est-à-dire celles auparavant soumises au scrutin majoritaire jusqu'aux élections municipales de 2014), à la présentation et à l'élection, in fine , d'une seule liste de candidats.
Dans cette hypothèse, et puisque l'article L. 260 du code électoral prévoit que la liste comporte autant de candidats que de sièges à pourvoir, l'ensemble des candidats de la liste siègent au conseil municipal. Dès lors, en cas de vacance d'un siège de conseiller municipal, il doit être procédé à une élection partielle pour procéder au renouvellement de l'ensemble du conseil municipal, suivant les dispositions de l'article L. 270 du même code.
Lors du dernier scrutin municipal de mars 2014, selon les éléments fournis par le ministère de l'intérieur, parmi les 6 784 communes appartenant à la strate démographique comprise entre 1 000 et 3 500 habitants - c'est-à-dire les communes désormais soumises au scrutin de liste à la représentation proportionnelle - ont été recensées 2 794 communes (soit 41,19 % de l'ensemble des communes de cette strate démographique) dans lesquelles une seule liste était présente lors des élections municipales de 2014. En comparaison, dans les communes de plus de 3 500 habitants, dans lesquelles s'applique le scrutin de liste à la représentation proportionnelle depuis plus de trente ans, seules 7,75 % des communes ont eu une liste unique de candidats lors du dernier scrutin municipal.
Source : Rapport n° 434 (2015-2016) de M.
François Grosdidier,
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3. L'élection du maire délégué parmi les conseillers municipaux résidant dans la même commune déléguée : les effets négatifs d'un sectionnement électoral qui ne dit pas son nom
L'article L. 2113-12-2 du code général des collectivités territoriales prévoit actuellement l'élection du maire délégué par le conseil municipal de la commune nouvelle parmi ses membres. Par dérogation, les maires des anciennes communes historiques deviennent de droit, de la date de création de la commune nouvelle au renouvellement du conseil municipal suivant, maires délégués.
L'article unique de la proposition de loi tend à prévoir l'élection du maire délégué parmi les seuls conseillers municipaux de la commune nouvelle résidant dans la commune déléguée. À défaut, il serait élu parmi l'ensemble des conseillers municipaux de la commune nouvelle.
Cette dernière modification soulève là encore des difficultés pratiques et juridiques.
a) Une disposition contraire au principe d'égalité devant le suffrage
La proposition de loi équivaut, dans ses effets pour l'élection du maire délégué, à un sectionnement électoral qui ne dit pas son nom .
Certes, le retour à un sectionnement électoral ou à une forme équivalente constituerait la solution la plus logique et la plus efficace pour assurer une représentation des communes déléguées au sein des communes nouvelles. Toutefois, les difficultés précédemment évoquées qui ont résulté du sectionnement électoral prévu par la loi « Marcellin » et ont justifié sa suppression en 2013, pour les communes de moins de 20 000 habitants, invitent à la prudence.
La solution proposée est en outre fragilisée par la jurisprudence constitutionnelle relative au principe d'égalité devant le suffrage .
En effet, la proposition de loi organise la représentation des communes déléguées à partir d'un critère de résidence, les listes devant être composées de candidats résidant dans chacune des communes déléguées. Le principe d'égalité devant le suffrage s'oppose à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles . Dans une décision du 18 novembre 1982 13 ( * ) , le Conseil constitutionnel a jugé que ce principe « s'oppose à toute division par catégorie d'électeurs ou d'éligibles, qu'il en est ainsi pour tout suffrage politique . » Dans une décision QPC du 5 octobre 2012 14 ( * ) , il a ajouté que « la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l'éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n'en sont pas exclus pour des raisons d'âge, d'incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la liberté de l'électeur ou l'indépendance de l'élu ; que ces principes de valeur constitutionnelle s'opposent à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles ».
Ce principe explique qu'à Paris, par exemple, un candidat peut résider dans un autre arrondissement que celui dans lequel il se présente. L'article L. 254 du code électoral ne prévoit pas en effet que « des conseillers municipaux représentant une section électorale de commune soient inscrits sur la liste électorale de la section dans laquelle ils sont élus », ce que confirme d'ailleurs le Conseil d'État dans une décision du 22 février 2002, Commune de Launac.
Lors de son audition par votre rapporteur, Mme Géraldine Chavrier, professeur de droit public à l'Université Paris I-Panthéon Sorbonne, a ainsi estimé que la division des éligibles au sein d'un même conseil municipal en fonction du critère de résidence, au sein donc de la même commune d'élection, était a fortiori moins envisageable en l'absence de sectionnement électoral.
b) La fragilisation de la cohésion des futures équipes municipales
Cette disposition est par ailleurs contraire à la philosophie même des communes nouvelles. Le risque d'un manque de cohésion de l'équipe municipale serait identique à celui résultant d'un sectionnement électoral.
En outre, il apparaît paradoxal de prévoir des contraintes particulières à des communes déléguées, qui n'ont plus de personnalité juridique au sein d'une commune nouvelle, et qui n'existent pas pour les arrondissements de Paris, Lyon et Marseille alors même que ces derniers exercent des compétences propres.
* 12 Cf . Rapport n° 434 (2015-2016) de M. François Grosdidier, fait au nom de la commission des lois, sur la proposition de loi de M. Jean-Noël Cardoux visant à augmenter de deux candidats remplaçants la liste des candidats au conseil municipal :
http://www.senat.fr/rap/l15-434/l15-434.html.
* 13 Décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982, Loi modifiant le code électoral et le code des communes et relative à l'élection des conseillers municipaux et aux conditions d'inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales.
* 14 Décision n° 2012-279 QPC du 5 octobre 2012, Régime de circulation des gens du voyage.